Budapest juive et martyre

   « D’innombrables nationalités se sont installées au bord de ce fleuve au puissant courant qui a vu et subi tout ce que les peuples d’Europe centrale et du sud-est sont parvenus à faire, et à se faire. Tout ce qui nous fait frémir de peur, les grimaces du chauvinisme, la haine des peuples liés pourtant les uns aux autres et s’affrontant périodiquement, le fanatisme de l’étroitesse d’esprit, la destruction de la nature, la marche nivelante du progrès, tout cela s’est déjà passé au bord du fleuve et sans doute sur un mode encore plus dévastateur qu’ailleurs. »
Karl-Maria Gauß

Le mémorial  « Les chaussures au bord du Danube » sur la rive gauche du Danube budapestois 

Jours sombres sur le Danube hongrois
    En mars 1944, l’armée allemande envahit la Hongrie sur l’ordre de Hitler et prend en otage l’amiral Miklós Horthy (1868-1957), régent du royaume. Un premier gouvernement fantoche aux ordres de l’Allemagne nazie est installé à la tête du pays. Budapest est occupée. La Gestapo avec des hommes des services de sécurité et des commandos spéciaux dont ceux du sinistre Adolph Eichmann s’installent et commencent leur sombre besogne. Ils ont pour mission de s’occuper des populations juives et de leur déportation. L’amiral Horthy tente de s’y opposer. On l’entend une dernière fois à la radio hongroise le 15 octobre 1944 puis il est arrêté. Les occupants nazis le contraignent à nommer Ferenc Szálasi (1897-1946), le chefdu parti fasciste et antisémite des Croix-fléchées fondé par celui-ci en 1935, comme chef du gouvernement. Horthy est conduit en Allemagne avec sa famille pour y être emprisonné.

Arrestation dans la population juive de Budapest en 1944, sources  Archives fédérales allemandes)

La communauté juive restée à Budapest est en grand danger. Le parti des Croix fléchées instituant un régime de terreur, regroupe avec l’aide des nazis une partie de la communauté dans un ghetto et se livre aux pires exactions. Des Juifs sont pourchassés, trainés au bord du Danube pour y être abattus puis jetés dans le fleuve. Entre décembre 1944 et fin janvier 1945, 20 000 hommes et femmes de la communauté juive subiront le même sort. Les derniers trains à destination des camps de l’horreur partiront de Budapest. D’autres, plus « chanceux », sont enrôlés pour le travail forcé. Quelques organisations internationales, des diplomates courageux dont le Consul de Suède Raoul Wallenberg (1912-1947 ?) et le Consul de Suisse, Karl Lutz (1895-1975), des représentants d’États neutres, se mobilisent en leur faveur et arrivent à en sauver un grand nombre.

Une marche de la mort ou l’horreur jusqu’au bout
Le 8 novembre 1944, les milices des Croix-fléchées raflent avec l’aide des nazis plus de 70 000 Juifs de tous âges, hommes et femmes, et les enferment d’abord dans la briqueterie d’Ujlaki à Obuda. 20 000 d’entre eux sont contraints de partir à pied pour une très longue marche forcée vers l’Autriche et les camps d’extermination. Des milliers d’entre eux ne pouvant suivre le rythme sont sauvagement abattus tout au long du « voyage » par les nazis qui se replient. D’autres meurent de faim ou de froid. Les survivants arrivent en Autriche à la fin du mois de décembre. Ils sont transférés dans divers camps de la mort comme celui de Mauthausen sur la rive gauche du Danube, en aval de Linz, à Dachau en Allemagne méridionale. Les plus valides échappent provisoirement à la mort en étant affecté à la construction de défenses proches de la frontière austro-hongroise et autour de la ville de Vienne.

Le mémorial  « Les chaussures au bord du Danube »
« Les chaussures au bord du Danube » (« Cipők a Duna-parton »), Budapest, Szechenyi Rakpart
Le mémorial se situe sur la rive gauche du Danube, entre le Pont aux chaines et le Pont Marguerite, à proximité du Parlement.
Conçu et réalisé en 2005 par les artistes Can Togay (1955) et Gyula Pauer, (1941-2012) ce monument est dédié aux victimes de la Shoah de Budapest, aux membres de la communauté juive de la capitale hongroise qui ont été amenés puis assassinés par les miliciens des Croix-fléchées au bord du fleuve pendant cette sombre période de l’histoire de la ville. Les miliciens obligeaient comme ultime humiliation leurs victimes à se déchausser avant d’être fusillés et jetés dans le Danube.

Eric Baude, © Danube-culture, mise à jour novembre 2022

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