La « Zille », embarcation traditionnelle du Haut-Danube

   « Alors, pour continuer le voyage, on s’y fait conduire par un bateau du rivage, ou si le navire traine une jolie Zille après lui, on n’a qu’à crier « Hol aus! » pour voir arriver un batelier qui vous mène à bord du vaisseau, car ces gens ne laissent pas échapper un petit profit inespéré. »

Heinrich August Ottokar Reichard, Le voyageur en Allemagne et en Suisse…, Manuel à l’usage de tout le monde. Douzième édition, De nouveau rectifiée, corrigée, et complétée par F. A. Herbig, tome premier, A Berlin, Chez Fréd. Aug. Herbig, Libraire. A Paris chez Brockhaus et Avenarius et chez Renouard et Co., 1844.

 

« En bon amateur de systèmes, il [Ernst Neweklowsky] répertorie les variantes phonétiques et orthographiques du mot Zille, qui désigne une embarcation plate ( Zilln, Cillen, Zielen, Zülln, Züllen, Züln, Zullen, Zull, Czullen, Ziln, Zuin), et d’innombrables autres termes techniques ; en tant qu’ingénieur scrupuleux, il note les dimensions des divers types de barques, leur charge utile et leur jauge
Claudio Magris, »Deux mille cent soixante-quatre pages et cinq kilos neuf cents de Danube supérieur » in Danube, collection « L’Arpenteur », Gallimard, Paris, 1986, pp. 73-74

La Zille, qu’on peut trouver traduite en français sous le nom de Zielle, comptait autrefois avec les plates (Plätte) parmi les bateaux les plus populaires sur le haut-Danube allemand et autrichien. C’était principalement une barque de transport de marchandises ou de passagers, en particulier du sel, abondant dans la région du Salzkammergut. Il existe de nombreux types de Zille.
   De construction en bois local, cette embarcation était de conception très rudimentaire mais sa forme était toutefois parfaitement adaptée aux spécificités de navigation sur le fleuve avec un fond plat sans quille, des extrémités relevées et des côtés assemblés à angle vif avec le fond. L’assemblage des pièces du fond et des flancs du bateau est maintenu par la pose de petites équerres en bois les Kipfen. Le joint entre deux planches était traditionnellement étanchéifié par un calfatage de mousse et de lichen qui pouvait être renforcé en enduisant les coutures de goudron de résine obtenue par distillation lors de la production de charbon de bois.

Zille dans le port de Linz

Zille dans le port de Linz (Haute-Autriche), gravure d’époque

D’une dimension comprise entre 5 et 30 m voire au-delà, la Zille était donc à la fois souple et résistante, relativement légère et nécessitait peu de puissance pour se déplacer. Elle glissait admirablement bien sur l’eau. Sa manoeuvre restait toutefois délicate, voire dangereuse du fait de son fond plat, des courants, des caprices du vent et du fleuve qui semble plus assagi aujourd’hui en comparaison de celui d’avant les aménagements pour la navigation et de sa canalisation. Aussi l’équipage, qui comprenait au minimum un Nauferg (patron et propriétaire de d’embarcation), un Steurer (pilote), responsable des avirons et des gouvernails de poupe et un ou plusieurs Schiffsmann (marinier) selon la taille de l’embarcation devait-il avoir une longue expérience du fleuve, bien  coordonner ses manoeuvres tout en surveillant attentivement les récifs et les rochers afin de les contourner avec habilité dans le sens du courant. Lorsqu’il fallait remonter le courant, la tâche n’était guère plus facile et l’on devait faire appel à des équipages de haleurs avec des chevaux ou des haleurs professionnels (parfois des prisonniers jusqu’à la fin du XVIIIe qui tiraient les embarcations vers l’amont depuis la rive sur des chemins de halage voire aussi parfois, suivant les conditions météo et le relief des rives, directement dans l’eau !
Les Zille pouvaient être munies de voile (navigation sur les lacs) ou de rames en plus des gouvernails de poupe. Elles pouvaient être réunies à contre-courant en train de bateaux avec les grandes Plätten (Plates) des villes, autres embarcations typiques de la navigation danubienne d’autrefois. Ces embarcations de transport de marchandises furent aussi réquisitionnées et armées (sans canon), dotées de voiles et d’avirons, accueillant un équipage de trente à quarante soldats-rameurs solidement équipés afin de compléter la flottille impériale autrichienne du Danube. Sur l’affluent alpin de la rive gauche du Danube, die Traun, des forces de police, chargées de protéger l’important et précieux commerce du sel, utilisèrent des Zille pour leurs missions de surveillance et de répression des vols et de la contrebande. Ces embarcations servirent encore pour la construction de pont de bateaux nécessaire au passage d’un fleuve lors de campagnes militaires comme celles menées contre La Grande Porte (Empire ottoman) au XVIIe siècle ou pour la pêche.
La Zille pourrait partager une origine commune avec le futreau ligérien et le Weidling du Haut-Rhin.

Aujourd’hui certaines Zille aménagées font office de petits Fähre (bacs) pour le transport des piétons, des  randonneurs et des cyclo-touristes sur le Danube autrichien comme à Schlögen, Grein, Dürnstein…

Bac Grein-Schwallenburg

Le bac Grein-Schwallenburg (Haute-Autriche), une jolie Zille traditionnelle réaménagée pour le transport des piétons et des cyclo-randonneurs, photo © Danube-culture, droits réservés

Il ne reste en Autriche plus que deux charpentiers de marine dont Rudolf Königsdorfer qui continuent à fabriquer de nos jours pour toutes sortes d’usage, ce type de bateau et il n’est pas rare d’en voir naviguer, la plupart du temps muni d’un moteur, sur le Danube. 

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour octobre 2023

Zille en construction dans l’atelier Königsdorfer à Niederanna (Haute-Autriche), photo Danube-culture © droits réservés

Notes :
1 Le grand gabarit concerne les voies classées de 4 à 6 pour des unités fluviales de 1 000 tonnes et plus. Le moyen gabarit correspond aux classes 2 et 3 pour des tonnages compris entre 400 et 1 000 tonnes. Enfin, le petit gabarit, dit gabarit «Freycinet», représente les unités comprises entre 250 et 400 tonnes (classe 1). En pratique, le gabarit 0 (de 50 à 250 tonnes) n’est plus utilisé pour le transport.

Sources :
BUFFE, Noël, Les marines du Danube, 1526-1918, Éditions Lavauzelle, Panazol, 2011

MEIßINGER, Otto, Die historische Donauschiffahrt, Holzschiffe und Flöße, Gugler, Melk, 1990 (deuxième édition)
REICHARD, M., Le voyageur en Allemagne et en Suisse…, Manuel à l’usage de tout le monde. Douzième édition, De nouveau rectifiée, corrigée, et complétée par F. A. Herbig., tome premier., A Berlin, Chez Fréd. Aug. Herbig, Libraire. A Paris chez Brockhaus et Avenarius et chez Renouard et Co., 1844.

www.zille.at
https://witti-zille.com

Chez les Königsdorfer de Niederrana (Haute-Autriche), constructeurs de Zille depuis plusieurs générations. Quand la tradition se régénère !

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