Dessins et gravures de paysages danubiens de 1493 à 1842

  Les villes importantes voire même celles plus modestes ainsi que les paysages fluviaux et des rives du Danube, ont été un motif inspirant pour les topographes, cartographes, peintres, graveurs, lithographes et des représentants du genre du védutisme ou veduta1, en particulier dans le domaine de la veduta imprimée, une technique qui permit aux artistes de s’adresser à un public beaucoup plus large.
   Le fleuve et ses paysages dont la plupart des représentations sont initialement  et à quelques rares exceptions près associées aux grandes cités, places fortes, châteaux, monuments divers, religieux ou civils du Haut et Moyen-Danube ainsi qu’à des évènements historiques qui ont lieu sur le fleuve lui-même et sur ses rives, verront peu à peu, dans le domaine de la gravure tout comme dans celui de la peinture, son image changer au cours du temps comme en témoignent l’évolution de cet art et les « Cent vues pittoresques du Danube » d’Antoine Christoph Gignoux qui ont inauguré une nouvelle manière d’appréhender le Danube et son contexte naturel.

   Les voyages et les transports par bateaux de passagers et de diverses marchandises qui commencent à se développer au cours  du XVIIe siècles sur une grande partie du continent européen et ce jusqu’à l’invention du chemin de fer et au-delà, placent les cours d’eau navigables, et en particulier les grands fleuves comme le Rhin, l’Elbe, le Rhône, le Danube… au coeur de la vie économique et sociale et suscitent un vif et durable intérêt de la part de nombreux, dessinateurs, graveurs et peintres européens. Quoi de plus significatif que les rives de ces grands fleuves pour témoigner de l’état d’un paysage ou d’une ville à un moment donné ainsi que de l’évolution de la civilisation européenne ?

  Représentation du fleuve : dessins et gravures de paysages danubiens : de 1493 à 1840
   L’histoire de la cartographie danubienne fera l’objet d’un article spécifique.
Les plus anciennes gravures imprimées où apparaît le Danube, des oeuvres sur bois de la Renaissance représentant des villes riveraines du fleuve, appartiennent aux « Chroniques de Nuremberg » du médecin humaniste allemand Hartmann Schedel (1440-1513). Elles furent publiées chez Anton Koberger (vers 1440-1513) à Nuremberg en 1493. Ces gravures sur bois colorées des peintres Michael Wohlgemut ou Wohlgemuth (1434-1519), maître d’Albrecht Dürer, dont celui-ci fait le portrait vers 1516 et de Wilhem Pleydenwurff (vers 1460-1494) nous montrent les cités d’Ulm, Ratisbonne (Regensburg), Passau, Vienne et Budapest et mettent la plupart du temps le Danube au premier plan.

Ulm, gravure extraite des Chroniques de Nuremberg d’Hartmann Schedel (1440-1513), gravure sur bois coloriée à la main, Nuremberg, 1493

Le dessin « Vue de Sarmingstein sur le Danube » (Strudengau, haut-Danube autrichien), daté de 1511 et dont l’auteur n’est autre que le grand peintre bavarois Albrecht Altdorfer (1480-1538) ), connu pour être le plus illustre des représentants de l’école dite « du Danube », est une oeuvre singulière et l’une des toutes premières représentations du fleuve et de son paysage en dehors d’un contexte urbain qui nous soient parvenues. La vue surplombante du défilé pourrait indiquer que le dessin a été réalisé de mémoire. De son voyage sur le Danube ultérieur (1515) ont également été conservés plusieurs dessins et petits tableaux de paysage qui préfigurent la place de celui-ci et de la nature dans les oeuvres ultérieures du peintre, sans doute impressionné par l’environnement danubien encore intact de la Haute-Autriche. Parmi les autres grands peintres de ce mouvement, Wolf Huber (1485), né  aux pied des montagnes à Feldkirch (Vorarlberg), a également consacré plusieurs dessins au Haut-Danube comme en témoigne cette vue des tourbillons de Grein (Strudengau) daté de 1531, c’est-dire sensiblement à peu près au même endroit, un peu plus en amont, que l’oeuvre d’Albrecht Altsdorfer.

Sarmingstein sur le Haut-Danube autrichien, rive gauche mais ici du fait de la vue en aval à droite, encre sur papier, 1511. Albrecht Altdorfer rend compte avec le relief et ces rochers qui se dressent jusqu’au ciel de l’étroitesse du défilé de la Strudengau. Au milieu du fleuve naviguent deux fragiles embarcations qui semblent perdues dans ce décor naturel grandiose.  

Wolf Huber, les tourbillons en aval de Grein, la forteresse de Werfenstein (forteresse des tourbillons selon son étymologie) et l’île de Wörth (Strudengau), plume et encre noire sur papier vergé, 1531, 

Dans la somptueuse « Cosmographie universelle » (Cosmographia Universalis) imprimée en de nombreuses éditions et en plusieurs langues (latin, allemand, français, italien, anglais…) entre 1550 et 1628 de Sebastian Münster (1488-1552), moine cordelier allemand à la fois historien, astronome, cartographe, mathématicien, professeur de théologie et d’hébreu à l’université de Bâle qui s’est converti à la réforme après sa rencontre avec Luther, on découvre également des gravures sur bois des mêmes grandes villes danubiennes (Ulm, Ratisbonne, Vienne, Budapest) ainsi que de Belgrade (Griechisch Weissenburg).

 « Bude, appelée vulgairement Ofen, qui est la royale et principale ville de tout le royaume de Hongrie. » Vue de Bude, de son château et du Danube dont le nom est mentionné en allemand (Tonau) et en latin (Danubius). Gravure sur bois coloriée à la main de Sebastian Münster, Cosmographie Universelle en langue française (Livre III) publiée à Bâle par Henry Pierre en 1552. 

Belgrade (Kriechisch Weissenburg) assiégée avec le Danube (Tonaw), gravure sur bois, Cosmographie Universelle en langue allemande de Sebastian Münster publiée à Bâle par Henry Pierre, 1588

Les six volumes de l’atlas « Civitates Orbis Terrarum » (« Théâtre des Cités du Monde »), du géographe, cartographe et ecclésiastique originaire de Cologne Georg Braun (1541-1622), réalisés en collaboration avec Franz Hogenberg (1535-1590) et publiés à Cologne entre 1572 et 1617, contiennent à leur tour un nombre important de vues du Danube. Le Danube hongrois ou moyen Danube y est représenté en détail d’après les dessins de Georg (ou Joris) Hufnagel (1542-1601) et de son fils Jakob (1573-1630), artistes flamands qui travaillèrent au service de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg (1552-1612), résidèrent à Prague et à Vienne et effectuèrent eux-mêmes de longs voyages dans les parties du royaume de Hongrie conquises et occupées par les Ottomans. D’autres artistes participent à l’élaboration de l’ouvrage comme Simon Novellanus (1538-1590), le peintre et graveur Abraham de Bruyne (1540-1587) ou encore Jacob van Deventer (1500-1575). Le « Théâtre des Cités du Monde » fera également l’objet d’une traduction et publication en allemand (1574) et en français l’année suivante.

Ratisbona (Ratisbonne, Regensburg), dessin de Jacob van Deventer (?), gravure sur cuivre coloriée à la main du « Civitates Orbis Terrarum » publié à Cologne par Georg Braun et Franz Hogenberg entre 1572 et 1618

« Patavia, Passavia, sive Patavium, quondam Boedurum, vulgo » (Passau), gravure sur cuivre coloriée à la main du « Civitates Orbis Terrarum » publiée à Cologne par Georg Braun et Franz Hogenberg, vue de la rive droite de l’Inn (au premier plan avant son confluent avec le Danube), 1581

Linzum Austriae vulgo Lintz (Linz, Haute-Autriche), dessin de  Georg Hufnagel, gravure sur cuivre coloriée à la main du « Civitates Orbis Terrarum » publiée à Cologne par Georg Braun et Franz Hogenberg, 1598

On n’omettra pas non plus les oeuvres de Hieronymus Ortelius Augustanus (1543-1614), en particulier sa « Chronologia oder Historische Beschreibung aller Kriegsempöhrungen und Belagerungen in Ungarn auch in Sibenbürgen von 1395, Nürnberg, 1602 »2, tout comme celles de Philips Galle (1537-1612), dessinateur, graveur et éditeur flamand (1537-1612) qui sont gravées en 1572 et réalisées d’après des dessins de Maarten van Heemskerck (1498-1574), portraitiste et peintre d’histoire. Philips Galle est l’auteur par ailleurs d’une série d’oeuvres représentant les sept merveilles du Monde. Il est également connu pour sa série de divinités de la mer et des fleuves datant de 1586 dans laquelle on trouve un magnifique dieu Danubius et pour sa gravure du siège et de la prise de Raab datant de 1598.

Philips Galles, gravure du siège et de la prise de Raab, 1598

Cette liste peut encore être évidemment complétée par de nombreuses autres  dessins, gravures, lithographies et « vedute » des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles comme celles des volumes « Topographia Provinciarum Austriacarum » (1649 et 1656), « Topographia Bavariae » (1644 et 1657) appartenant à la « Topographia Germania » de Matthaeus Merian l’Ancien (1593-1650) et dont les textes sont rédigés par l’écrivain originaire d’Ulm Martin Zeiller (1589-1661). Matthäus Merian grave en particulier dans sa « Topographia Bavariae », une remarquable représentation du célèbre pont de Ratisbonne (Regensburg), un ouvrage construit entre 1135 et 1146, sujet particulièrement prisé par de nombreux artistes et que l’on retrouve au cours du temps dans de nombreux recueils ainsi que des vues des villes bavaroises des deux rives du haut Danube comme Deckendorff (Deggendorf), Ingolstatt (Ingoldstadt), Laugingen (Lauingen, vue d’oiseau), Straubinga (Straubing), Thonavstauff (Donaustauf), Thonauwörth (Donauwörth), Vilsshofen (Vilshofen), Patavium/Passaw (Passau)…

 Ingolstadt (Bavière) et le Danube, vue depuis la rive gauche, gravure appartenant au recueil de Matthaeus Merian « Topographia Bavariae » (1644 et 1647)

Patavium/Passaw (Passau) et le confluent de l’Inn et de l’Ilz avec le Danube, gravure appartenant à la première édition du recueil de Matthaeus Merian « Topographia Bavariae », 1644

Quant aux dessins colorés du pragois Wenceslas (Václav) Hollar (1607-1677), l’un des plus grands et prolifiques artistes, en particulier aquafortiste, de son siècle et qui a fait son apprentissage auprès de Matthäus Merian, ils font sans aucun doute partie des plus belles représentations iconographiques du fleuve (Deckendorf ou Deggendorf, vue du château de Püssingen ?, vue sur le château de Neuhaus…, dessins de 1636). V. Hollar était entré au service du comte et diplomate anglais Thomas Howard, comte d’Arundel (1585-1646) en 1633 et il le suit dans ses pérégrinations en Europe.

Vue de Passau, extraite du recueil « Topographia Germania », gravure de Matthaeus Merian, colorée par Wenceslas Hollar, 1640, sources Privatarchiv von Frau Gisa Schäffer-Huber

Le Danube à la hauteur de Deckendorf  (Deggendorf), dessin de Wenceslas (Wenzel) Hollar (1607-1677), 1636

 Vue sur le château de Neuhaus (Haute-Autriche) depuis le Danube, dessin de Wenceslas (Wenzel) Hollar 1636

Linz et le Danube au XVIIe siècle, vue depuis la rive gauche,  gravure de Matthaeus Merian, 1650

On ne peut aussi passer sous silence les travaux soignés de Wilhem Dibich (1571?-1650), de Georg Matthäus Vischer (1628-1696), topographe, cartographe et graveur prolifique né au Tyrol dans une famille modeste et auteur des Archiducatus Austriae Superioris  et inferioris (1669 et 1670) ainsi que d’une Topographia Austriae superioris modernae (1674).

Mauthausen avec son église paroissiale saint-Nicolas dominant  le bourg et le château de Pragstein, vue depuis la rive droite et le Danube, gravure de Georg Matthäus Vischer (1628-1696) appartenant à sa « Topographia Austriae Superioris Modernae », 1674 

Les gravures  datées de1686 concernant le Danube hongrois de J[acobus]? Peeters représentent les villes de Pressburg, Komara ou Komarom avec sa forteresse renommée « imprenable » au centre des affrontements entre Vienne et Constantinople et qui capta l’attention de beaucoup d’artistes, Raab, Strigonium ou Gran (Esztergom), Vicegrad ou Plindenburgh (Visegrád), Waitzen (Vác), Buda, Belgrade…

La forteresse et la ville de Komara (Komorn, Komárom), gravure de Iacobus Peeters, 1686 (?) 

Vicegrad (Visegrád) et (Gross) Marosch (Nagymaros), gravure de Iacobus Peeters, 1686 (?). En bas de la gravure à droite, une caravane de trois chameaux chargés de marchandises.

Waitzen (Vács) avec sa mosquée, l’île de Szentendre et le Danube hongrois à l’époque de l’occupation ottomane, gravure de Iacobus Peters, 1686 (?)

Michael Wening (1645-1718), graveur et éditeur originaire de Nuremberg, employé comme graveur de la cour des Wittelsbach à partir des années 1670, parfois surnommé le « Merian bavarois », privilégiera de son côté plus particulièrement avec sa « Landesbeschreibung » (Description de l’État) en quatre volumes dont le premier paraît en 1701, les trois autres post-mortem en 1721, 1723 et 1726 sous le titre de Historico-Topographica Descriptio avec au total pas moins de 846 gravures,  les représentations des lieux historiques de l’électorat de Bavière (vues des villes de Stadt-am-Hof, Vilshofen, Straubing, Passau…) tout en réalisant également des vues de Linz, Mauthausen, Grein et de l’île de Wörth avec les tourbillons de la Strudengau…).

Vue de Stadtamhof (Ratisbonne), du pont de Pierre et du Danube, gravure de Michael Wening Bavière (1645-1718), vers 1700

Vue de Vilshofen (Bavière), gravure de Michael Wening colorée à la main, 1700 

Les gravures de paysages danubiens de Friedrich Bernhard Werner (1690-1776), originaire de Silésie, sont l’illustration de son périple sur le fleuve, périple qui l’a mené dans les années 1740 depuis la Bavière à Buda Ofen (Budapest) en passant par Passau, Linz, Melk, Dürnstein, Göttweig, Vienne, Possony (Presbourg). On doit encore à ce graveur une vue de Regensburg (Ratisbonne) publiée par Jeremias Wolff (1663-1724) à Augsburg en 1731.

Regenspurg (Regensburg, Ratisbonne), gravure de Friedrich Bernhard Werner (1690-1776) publiée par Jeremias Wolff à Augsburg en 1731

L’on doit également au et dessinateur lorrain, François-Nicolas Benstorf de Sparr (1696-1774) qui a suivi avec quelques autres artistes le duc de Lorraine François III (1708-1765) à Vienne en 1736 pour son mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche à l’occasion duquel il prend le titre d’empereur, un remarquable « Atlas du cours du Danube avec les plans, vues et perspectives des villes, châteaux et abbayes qui se trouvent le long du cours de ce fleuve, depuis Ulm jusqu’à Widdin ; dessiné sur les lieux, fait en 1751″ conservé au Archives de la Guerre à Vienne (Kriegsarchiv Wien [KA] Kartensammlung [KS] BIXb 113).
Stefan Zweig a consacré à cet ouvrage dans la revue Donauland (1917) un article élogieux :
« Parmi ces guides à travers notre univers personnel, il en est un merveilleusement ancien et néanmoins actuel comme peu le sont, enveloppé par-dessus le marché du secret qui entoure les livres inédits : le bel in-folio à la somptueuse reliure de cuir conservé dans les archives de l’armée impériale et royale qui décrit un voyage sur le Danube en 1751 et dont cette revue montre pour la première fois au grand public quelques images. C’est un chef-d’oeuvre de réalisation technique que cet épais volume doré sur tranche comprenant des centaines de cartes dessinées, de perspectives et de vues manifestement commandées par le gouvernement impérial. Le joli titre (peint) en est : Atlas du cours du Danube avec les plans, vues et perspectives des villes, châteaux et abbayes qui se trouvent le long du cours de ce fleuve, depuis Ulm jusqu’à Widdin ; dessiné sur les lieux, fait en 1751. L’auteur n’est pas facile à déterminer. La dédicace magnifiquement écrite, en français, est de la main d’un certain Franz Nikolaus von Sparr ; pourtant, selon toute apparence, plusieurs artiste ont conjugué leurs efforts pour réaliser cet ouvrage parfait : un iconographe remarquable, auquel on doit de toute évidence les superbes rebords et l’ornementation ; un paysagiste qui dessina les sites d’après nature et un géomètre chargé des plans des fortifications et de la cartographie. […] Le cartographe semble d’une exactitude rare, ses plans sont des modèles de netteté et de précision. Le paysagiste au contraire, sur un mode romantique, accorde plus d’attention à l’esthétique qu’à la ressemblance. […] Le voyage ne se déroule pas de la source à l’embouchure, mais en sens inverse, de Widdin à Ulm, au rythme des images. La première feuille contient une dédicace dans le goût de l’époque et dont le symbole peut-être encore valable pour la nôtre. Antique vieillard allègre, le Danube, avec des gestes soumis, s’avance vers l’impératrice et reine, vers Marie-Thérèse, et lui présente sa couronne et ses trésors. L’aigle de l’Autriche, les ailes déployées, veille sur cet hommage. Dans le fonds, au loin, on découvre la campagne autrichienne. Manifestement cette image, avec sa symbolique naïve, veut dire que le Danube reconnaît comme seul suzerain l’Autriche et comme unique maître légitime les Habsbourg. Sur la page suivante, une dédicace en français adressée à l’époux-empereur, Charles de Lorraine, vient compléter avec éloquence ce dessin. Ensuite se déploie la carte du cours du Danube près de Nicopolis et de la région des fortifications de Trajan […]. »
On connaît encore de ce dessinateur lorrain plusieurs volumes et dessins isolés, constitués de cartes géographiques et représentations de diverses forteresses, datées de 1718 à 1743, également conservées aux Archives de la Guerre de Vienne. Après quelques années dans les États de l’empire des Habsbourg, il accompagnera Charles-Alexandre de Lorraine, nommé gouverneur des Pays-Bas, et devient bibliothécaire à Bruxelles en 1750. Il meurt, sans descendance et apparemment pauvre, le 14 février 1774.
Un autre ouvrage consacré à la description iconographique d’un voyage sur le fleuve sera imprimé à Augsbourg vers 1782 et porte le titre « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Antoine Christoph Gignoux »), dont on rencontre aussi  le nom orthographié Anthoni Christoph Gignoun. Anton Christoph Géniaux, Anton Christoph Gignoure. Il s’agit d’un personnage original et étonnant, né à Augsbourg (?) en 1720 et où il meurt en 1795, actif dans cette même ville bavaroise comme musicien, contrebassiste, peintre, dessinateur, entrepreneur, fabricant de calicots (sic !)… Réalisé à l’occasion de son voyage d’Augsbourg à Vienne, l’ouvrage est gravé sur cuivre par le peintre, lithographe et éditeur Johann Michael Frey (1750-1813).

Aschach (rive droite, Haute-Autriche), gravure extraite du recueil du « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Anton Christoph Gignoux »), imprimé à Augsbourg par Johann Michael Frey en 1781  

L’ancienne forteresse et la place de foire de Spitz (rive gauche), le hameau d’Arnsdorf et l’église paroissiale saint-Rupert rive droite, ici sur la gauche), vue de l’aval. Au second plan, sur la rive gauche, le légendaire mur du diable (Teufelsmauer). Gravure extraite du recueil « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Antoine Christoph Gignoux »), imprimées à Augsbourg par Johann Michael Frey en 1781 

Greifenstein (rive droite), gravure extraite du recueil du « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Anton Christoph Gignoux »), imprimé à Augsbourg par Johann Michael Frey en 1781  

Cet ouvrage iconographique est reçu de part sa nouveauté avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme. Il sera réédité à plusieurs reprises chez le célèbre éditeur viennois Artaria (Carlo Artaria), connu aussi pour ses éditions d’oeuvres de J. Haydn, W.A. Mozart, L. van Beethoven…. Les représentations du Danube de Georg Laminit (1775-1848), publiées quelque temps plus tard, sont précisément toutes des reproductions d’après les gravures d’Anton Christoph Gignoux.

Le rocher de Jochenstein, gravure colorée, Nuremberg, Campe, vers 1810

Parmi les plus belles « vedute » imprimées de la fin du XVIIIe et du début XIXe siècle, on trouve les gravures magnifiquement colorées publiées une nouvelle fois par Artaria à Vienne, pour lesquelles Carl Schütz (1745-1800), Johann Ziegler (1749-1802), Laurenz Janscha (1683-1752), Karel Postl (1769-1818), Friedrich Ferdinand Runk (1764-1834) et d’autres artistes ont travaillé.

Presbourg, « ville libre royale de Hongrie » et son pont volant sur le Danube, dessinés et gravés d’après nature par Joseph et Peter Schaeffer, 1787

Les paysages le long du Danube, de Passau à Belgrade ont été représentés de manière particulièrement détaillée. Quelques-une de ces feuilles appartiennent sans doute aux plus belles vues du Danube que l’on puisse trouver dans le domaine de la gravure.
De son côté, l’étonnante aquarelle représentant le Danube nocturne et les villes de Buda et de Pest illuminées de l’illustrateur, cartographe militaire et lieutenant général hongrois Petrich András (1745-1842) fait partie des rares illustrations de nuit du fleuve et de son environnement.

Buda et Pest, éclairage festif de Buda et de Pest à l’occasion de la prestigieuse visite à Budapest en octobre 1814, lors du Congrès de Vienne, de l’empereur François Ier d’Autriche (1768-1835), du tsar Alexandre Ier de Russie (1777-1825), des rois Frédéric-Guillaume III de Prusse (1770-1840), Louis Ier Bavière (1786-1868), Frédéric-Auguste Ier de Saxe (1750-1827) et Frédéric Ier de Wurtemberg (1754-1816), accompagnés de leurs nombreuses escortes diplomatiques ».
« Le soir du 25 octobre, les souverains traversèrent le pont de bateaux pour se rendre au théâtre allemand de Pest. À cette occasion, le pont était baigné d’une mer de lumières. Plus de 900 lampes avaient été installées sur de grands mâts. Les éclairages en l’honneur de la visite des souverains étaient également d’une grande beauté. Les barques illuminées flottant sur le Danube attirèrent toute leur attention … » Source : Vay Sándor/Sarolta : Old Hungarian social life
Aquarelle du peintre, illustrateur, cartographe militaire et lieutenant général hongrois Petrich András (1768-1842), Galerie Nationale Hongroise, 1815.
On remarque sur les barques au premier plan les initiales de l’empereur François Ier d’Autriche (F), du tsar Alexandre Ier de Russie (A) et du roi Frédéric-Guillaume III de Prusse (F). Les lettres suivantes signifient « IN SALUTEM POPULORUM » (« Pour le salut des peuples »).

L’une des œuvres les plus populaires et les plus impressionnantes du début du XIXe siècle consacrées exclusivement au Danube et à ses paysages est sans aucun doute le grand album de lithographies du dessinateur et éditeur  austro-allemand installé à Vienne, Adoph Friedrich Kunike (1777-1838), intitulé « Zwey hundert vier und sechzig Donau-Ansichten nach dem Laufe des Donaustromes von seinem Ursprung bis zu seinem Ausflusse in das Schwarze Meer. Nach der Natur und auf Stein gezeichnet von Jacob Alt. Von Belgrad bis zur Mündung ins schwarze Meer nach der Natur aufgenommen von Ludwig Ermini. Von mehreren Künstlern lithographirt. Zum Schlusse des Werkes folgt ein erklärender Text von Franz Sartori. Iter (und) 2ter Teil« . (« 264 vues du Danube d’après le cours du fleuve depuis sa source jusqu’à son embouchure dans la mer Noire. Dessiné d’après nature et sur pierre par Jacob Alt. De Belgrade jusqu’à l’embouchure de la mer Noire, d’après nature, par Ludwig Ermini. Lithographié par plusieurs artistes. L’ouvrage se termine par un texte explicatif de Franz Sartori. Ière (et) 2ème partie.« 

Légende : Le Leopoldsberg, dessin de Jakob Alt, lithographie d’Adolf Friedrich Kunike, 1824

Légende : Presbourg (Bratislava), dessin de Jakob Alt, lithographie d’Adoph Friedrich Kunike, 1824

   Adolf Friedrich Kunike qui possédait un important atelier de lithographie dans la capitale autrichienne, a publié de nombreux ouvrages de ce type. La publication des 264 vues du Danube est réalisée en trois étapes : 1820, 1824 et 1826. Aucun village, château, ruine de château, monastère n’a été oublié tout au long du parcours européen du grand fleuve, de ses sources jusqu’à la mer Noire. 48 gravures sont consacrées au Danube du sud de l’Allemagne, 77 à la Basse et à la Haute-Autriche, 32 à l’actuelle Hongrie et 107 aux pays du Bas-Danube, soit, d’amont en aval, l’actuelle Croatie, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie et l’Ukraine. Les nombreuses mosquées et minarets figurant sur les illustration du bas Danube, témoignent de l’importance encore à cette époque de la zone d’influence ottomane.

Île d’Ostrovo, Serbie,  lithographie de F. Wolf, dessin de Ludwig Erminy, 1826

Widdin, dessin de L. Erminy, gravure de F. Wolf

 La forteresse de Widdin (Empire ottoman), vue n°2, dessin de Ludwig Erminy, lithographie de F. Wolf, 1826

Légende : La ville et la forteresse de Nikopolis, vue n°1, dessin de Ludwig Erminy, lithographie de F. Wolf, 1826 

   La Bulgarie était alors intégrée à l’Empire ottoman tous comme les deux principautés roumaines bien qu’autonomes de Moldavie et de Valachie. Les lithographies du Danube de Donaueschingen à Belgrade ont été réalisées pour la plupart d’après des dessins du peintre allemand Jakob Alt (1789-1872) qui a lui-même parcouru le Danube dans les années 1819/1820 et a composé de nombreuses aquarelles. Les représentations du Bas-Danube ont été dessinés par Ludwig Erminy (ou Ermini), manifestement d’après ses propres impressions de voyage et  lithographiées par différents graveurs.

Légende : Valachie, la pêche à l’esturgeon près du village de Tufeschty (Tufesti), dessin de Ludwig Erminy, lithographie d’A. von Saar,1826

Légende : L’embouchure du Danube dans la mer Noire près de Sulinam (Sulina), Bulgarie, dessin de Ludwig Erminy, lithographie d’A. von Saar, 1826

Jakob Alt travaille en parallèle à un autre voyage sur le Danube pour le bureau lithographique de Mansfeld & Co. Le « Voyage pittoresque sur le Danube de la source à Belgrade » est un album de 71 lithographies dédiées aux paysages des rives de ce fleuve. Jakob Alt se consacrera encore un peu plus tard à nouveau aux paysages du Danube et dessinera les modèles d’une troisième série de vues du Danube, cette fois pour la maison d’édition Josef Hermann à Vienne « Malerische Donaureise von Engelhartzell bis Wien, lithographiert von Franz Xaver Sandmann » (« Voyage pittoresque sur le Danube d’Engelhartzell à Vienne », lithographié par Franz Xaver Sandmann). Cet album sera encore suivi de « Malerische Donaureise von Wien bis Ofen und Pest » (« Voyage pittoresque sur le Danube de Vienne à Ofen et Pest »).

Waitzen, Vács, dessin d’après nature de Jakob Alt, lithographie de Franz Xaver Sandmann, vers 1840

Le même lithographe franco-allemand Franz Xaver Sandmann (1805-1856) élabore vers 1840 une autre série de vues sur le Danube pour l’éditeur d’art viennois L. T. Neumann, intitulée « Voyage sur le Danube de Linz à Vienne » comprenant 32 lithographies teintées.
Un magnifique ouvrage en anglais de vues (27 lithographies) du Danube hongrois d’après des oeuvres du peintre paysagiste britannique Georg Edwards Herings (1805-1879) « Sketches on the Danube in Hungary and Transylvannia », est publié entretemps à Londres en 1838 par Thomas McLean. L’ouvrage, dédié au comte hongrois et homme politique István Széchenyi (1791-1860), fait suite à un voyage de G. E. Herings dans cette région de l’Europe en 1835.

George Edwards Herings, vue sur le Danube depuis la porte de Marie-Thérèse du château de Bratislava, Sketches on the Danube, in Hungary and Transylvania, lithographies de  James Baker Pyne, London, Thomas McLean and the author, 1838.

Vue de Buda, du pont de bateaux et du Danube depuis le mont Gellert, gravure d’Antal Fülöp Richter d’après un dessin du peintre, illustrateur, cartographe militaire et lieutenant général hongrois Petrich András (1768-1842), 1840

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour avril 2024

Notes :
1  « La veduta est un paysage historiquement objectif, décrit avec précision et reconnaissable. C’est là que naît une attitude constante chez tous les véritables védutistes: une fidélité absolue à la perception optique de la réalité, dans ses traits les plus communs comme dans ses aspects les plus extraordinaires et les plus célèbres. Le peintre sort de son atelier et descend dans la rue, sinon avec son chevalet tout au moins avec son carnet de croquis qu’il remplit rapidement d’esquisses saisies sur le vif. Ce matériel constitue son patrimoine visuel, son vocabulaire d’images qu’il utilisera au fur et à mesure pour ses tableaux, pour ses vedute. » Le genre de la veduta apparu dans la peinture flamande dès le XVIe, déclinera à la fin du XVIIIe siècle.
2 « Description historique de toutes les guerres et sièges en Hongrie, y compris en Transylvanie, depuis 1395 »

Sources : 
NEBEHAY, Ingo, WAGNER, Robert, Bibliographie altösterreichischer Ansichtenwerke aus fünf Jahrhunderten, 5 Bde., Graz 1981-1984
MARKS, Alfred, Oberösterreich in alten Ansichten, Siedlung und Landschaft in 340 Bildern vom späten Mittelalter bis zur Mitte des 19. Jahrhunderts, Herausgegeben vom Oberösterreichischen Landesmuseum im Oberösterreichschen Landesverlag; Linz, 1966
OPPL, Ferdinand (1950), Wien im Bild, Historischer Karten : die Entwicklung der Stadt bis in der Mitte des 19. Jahrhunderts, 2. ergänzte Auflage, Österreichische Nationalbibliothek, Wien, Böhlau Verlag, 2004
PÖTSCHNER, Peter, Wien und die Wiener Landschaft, Spätbarocke und biedermeierliche Landschaftskunst in Wien, Verlag Galerie Welz – Salzbourg, 1978
SCHUBERT, Peter tTextredaktion), Die historischen Pläne und Landkarten des Johann Orth, Verlag Mayer und Comp, Klosterneuburg, 2. Auflage, 2003
SCHWARZ, Heinrich, Die Anfänge der Lithographie in Österreich, bearbeitet von Elisabeth Herrmann-Fichternau, Böhlau Verlag Wien, Köln, Graz, 1988

WAGNER, Robert, Gedruckte Donau Ansichten von 1493 bis 1900, mit einer Bibliographischen übersicht der wichtigsten Donau Ansichtenwerke, in: Beiträge zum II. Veduten-Colloquium in Lüneburg, 7. – 9. X. 1983, III. Veduten-Colloquium in Regensburg, 3. – 6. X. 1985 ; hrsg. von Angelika Marsch u. Eckhard Jäger, Lüneburg, 2001, S. 125-134

Vue sur Budapest et le Danube, gravure colorée à la main, 1840

L’Abbaye de Melk et le Danube depuis la rive gauche, gravure sur cuivre colorée à la main d’E. Willmann, 1842.

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