« Gloomy Sunday » ou l’histoire de la chanson mélancolique qui donnait l’envie de se jeter dans le Danube !

   En 1933, lors d’un séjour à Paris, Rezső Seress (1899-1968), musicien, compositeur hongrois appartenant à la communauté juive de Budapest, accessoirement trapéziste et qui tenait le piano du restaurant kasher Kispipa à Budapest (Akácfa utcá, 38, dans le 7e arrondissement, toujours en activité), écrit une chanson intitulée initialement « Vége a világnak » (« The world is ending ») puis ultérieurement  « Szomorú Vasárnap ». Ce titre sera traduit en anglais par  « Gloomy Sunday » (« Sombre Dimanche »). Quelques temps après son édition et de nombreux passages à la radio, la chanson et le texte de Rezső Seress et László Jávor (1903-1992), un poète hongrois et ami de Seress, sont accusés d’avoir incité au suicide plus d’une centaine de personnes. Elle est alors surnommée en Hongrie la « chanson du suicide ».

   La chanson est ensuite reprise par le chanteur Pál Kalmár en 1935, puis par Paul Robeson et Billie Holiday aux USA dans les années 1940.

Rezső Seress (1899-1968)

   La légende voudrait que la chanson ait été inspirée par la rupture tragique du compositeur avec sa maîtresse, d’autres pensent que c’est plutôt la petite amie au tempérament suicidaire de László Jávor qui a inspiré le texte de la chanson ou encore que la mélodie a été composée en l’honneur des proches que compositeur a perdu. Le texte de la chanson sur une mélodie profondément mélancolique parle d’une personne dont l’amour « est mort » et qui songe au suicide pour la (les) rejoindre. Rezső Seress s’est lui-même suicidé le 13 janvier 1968.

Jávor-László à Paris en 1938 (?), à gauche sur la photo, sources : www.szyneskonvtar.hu

   Le New York Times rapporte dans un article écrit peu de temps après sa mort que la chanson « Gloomy Sunday » avait considérablement déprimé le compositeur et qu’il pensait ne plus être capable d’écrire de la musique à succès ce qui s’avère tout à fait inexact. Il est vrai par contre que le deuxième éditeur qui avait reçu la partition se suicidera peu de temps après. La malédiction de la chanson commença.
En mars 1936, le magazine Time publie un article dans lequel l’auteur fait état d’une série de suicides en Hongrie, suicides qui sembleraient avoir un lien avec la chanson : un cordonnier aurait griffonné sur un papier le nom de la chanson avant de se donner la mort, deux personnes se seraient suicidées à son écoute. Le journaliste parle de nombreux autres récits de dizaines de gens qui se seraient jetés dans le Danube à cause de la chanson. La malédiction devient international. Le New York Times rapporte alors des cas de suicide et des tentatives de suicide en nombre aux États-Unis suite à l’écoute de « Gloomy Sunday ».

Le restaurant juif Kispipa à Budapest, Akácfa utcá, 38, photo droits réservés

   En 1941, la BBC interdira la chanson qui ne reviendra sur les ondes britanniques qu’en 2002 ! De ce fait beaucoup de disquaires refusèrent alors de vendre des disques avec la chanson, persuadés qu’elle allait aussi leur porter malheur. La science s’intéressa à la mystérieuse épidémie de suicides. Elle conclut à un phénomène de suicide contagieux ou à une manifestation de l’effet Werther, qui veut qu’une personne entourée par des « pensées suicidaires » réelles ou fictives ou le suicide récent d’un proche, peut à son tour être tentée de se suicider. Les investigations ont également été étendues au monde du cinéma et de la télévision, notamment pour essayer de trouver dans la chanson des messages subliminaux visuels ou auditifs qui pourraient avoir été à l’origine des actes de suicide mais sans succès !
 « Gloomy Sunday » est utilisée par plusieurs cinéastes dont Steven Spielberg (« La liste de Schindler », 1993), Abel Ferrara (« Nos funérailles », 1996), Sally Poter (« Les larmes d’un homme »), Daniel Monzón… Elle a également été interprétée depuis par de nombreux chanteurs parmi lesquels Ray Charles, Sarah Vaughan, Serge Gainsbourg (paroles de Jean Marèze et François-Eugène Gonda), Loreena McKennit, Björk, Claire Diterzi, Sanseverino …
Le film « Ein Lied von Liebe und Tod » de Rolf Schübel (production germano-hongroise, 1999 112 mn) est basé sur une nouvelle de l’écrivain Nick Barkow ( ) qui décrit de manière fictive la création et le destin de cette chanson.Version anglaise et française du texte :

Sunday is gloomy, my hours are slumberless
Dimanche est sombre, mes heures sont insomniaques
Dearest, the shadows I live with are numbless
Mon très cher, les ombres avec lesquelles je vis sont agitées
Little white flowers will never awaken you
Les petites fleurs blanches ne te réveilleront jamais
Not where the black coach of sorrow has taken you
De là où le train noir de la peine t’a emmené
Angels have no thought of ever returning you
Les anges n’ont pas pensé à te rendre à jamais
Would they be angry if I thought of joining you
Seraient-ils fâchés si je pensais à te rejoindre

Gloomy Sunday
Sombre Dimanche

Gloomy is Sunday
Sombre est dimanche
With shadows I spend it all
je passe tout mon temps avec les ombres
My heart and I have decided to end it all
Mon cœur et moi avons décidé de tout arrêter
Soon there’ll be candles and prayers that are sad
Bientôt il y aura des bougies et des prières, tristes
I know, let them not weep, let them know I’m glad to go
Je sais, ne les laissez pas pleurer, laissez-leur savoir que je suis heureuse de partir
Death is no dream, for in death I’m caressing you
La mort n’est pas un rêve, car dans la mort je te caresse
With the last breathe of my soul I’ll be blessing you
Avec le dernier souffle de mon âme, je te béniraiGloomy Sunday
Sombre Dimanche

Dreaming, I was only dreaming
Rêver, je ne faisais que rêver
I wake and I find you asleep in the deep of my heart, dear
Je me réveille et je te trouve endormi au fond de mon cœur, chéri
Dreaming, I was lonely dreaming
Rêvais, je rêvais seule
I felt my heart melt when I dreamt that we two were apart
Je sentais mon cœur fondre lorsque je rêvais que nous étions tous les deux séparés
Far apart, far apart, far apart
Si séparés, si séparés, si séparés
Darling, I hope that my dream never haunted you
Chéri, j’espère que mon rêve ne t’a pas hanté
My heart is telling you how much I wanted you
Mon cœur te dit combien je te voulais

Gloomy Sunday
Sombre Dimanche

https://youtu.be/f4tQ2o3dp6Y
https://youtu.be/5F8kh2xFwlM

Danube-culture, mai 2021
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