Voyage par bateau à travers la Strudengau et les légendaires tourbillons de Grein et de Struden

  Bien après les nombreux récits de voyages sur le Danube qui vont être publiés accompagnés d’illustrations (gravures) à partir de la deuxième moitié du XVIIIe, les guides de voyages en bateau sur le Danube voient le jour, pour les plus précoces, quelques années après l’inauguration des premières liaisons fluviales régulières de steamer à vapeur. Ce sont de précieux auxiliaires pour comprendre la révolution que représente les nouveaux moyens de navigation, sur le Danube, le nouveau contexte, l’atmosphère dans lesquels les voyages se déroulent et le regard porté sur le fleuve, ses paysages et ses populations riveraines à partir des années 1830 et dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

   Peu de temps après l’édition du premier guide de voyage sur le Rhin en 1828 publié par Karl Baedecker (1801-1859), guide intitulé Rheinreise von Mainz bis Köln. Historisch, topographisch, malerisch bearbeitet vom Prof. Joh. Aug. Klein. Mit zwölf lithographirten Ansichten merkwürdiger Burgen ec. in Umrissen. Koblenz, bei Fr. Röhling, apparaissent parmi les premiers guides de voyage de navigation fluviale sur le Danube, les ouvrages publiés par la compagnie autrichienne D.D.S.G., (Société de Navigation à vapeur sur le Danube). Cette compagnie venait d’être fondée en 1929 à Vienne par un groupe d’hommes d’affaires entreprenants et décidés à faire de la navigation sur le fleuve une activité économique lucrative austro-hongroise en transportant passagers, marchandises diverses parmi lesquels des ressources premières comme le charbon ou le bois. La D.D.S.G. sera elle-même propriétaire de mines de charbons et de lignes de chemin de fer pour amener ce minerai jusqu’au fleuve. Elle assurera par ailleurs, en complément du transport de passagers également un service postal. Ces publications annuelles et remises à jour de la D.D.S.G. (guide touristique des grandes villes et des curiosités, description du confort des bateaux, restauration, horaires, tarifs …) vont paraître pendant une longue période et faire référence dans leur domaine mais ne pourront éviter la concurrence d’autres publications comme celles d’Alexander F. Heksch.  

Le château-fort de Hausstein et les tourbillons de Pain, gravure de  Georg Matthäus Vischer (1628-1696), in  « Topographia Austriae superioris modernae », 1674 

Voici un extrait du guide (en allemand) de la D.D.S.G. Le Danube, de Passau jusqu’à la mer Noire, publié à Vienne en 1913, c’est-à-dire au crépuscule de la plus belle période de la navigation à vapeur sur le fleuve et son passage consacré à la description du Danube et de la région danubienne de la Strudengau, aujourd’hui aux frontières des Land de Haute-Autriche et de Basse-Autriche.

Le Danube près de Steyregg (en face de Grein) 1721, détail, sources : ÖNB/KAR AB 356

Ce « sas » ou défilé de la Strudengau, auparavant légendaire et redouté pour ses difficultés de navigation et connu pour ses paysages de caractère austère qui renforçaient la puissante et angoissante impression que causaient ces tourbillons sur les voyageurs, comme beaucoup loin en aval et dans des paysages encore plus grandioses et sauvages qu’étaient et que sont encore ceux des Portes-de-Fer, a fait lui-même l’objet de nombreux récits et a inspiré en particulier les poètes et les écrivains des époques Biedermeier et romantique parmi lesquels le poète, essayiste et romancier prussien Joseph von Eichendorff (1788-1857) qui fera lui-même l’expérience de la traversée de ces rapides lors d’un voyage en bateau vers Vienne.

L’île de Wörth avec sa croix et les « Strudl » (tourbillons), à gauche le passage de « Hess Gang » (Hößgang), Le Danube près de Steyregg 1721, détail, sources : ÖNB/KAR AB 356

   « Dès la sortie de Grein (rive gauche), l’image du fleuve se modifie considérablement. Son lit se rétrécit et de gros rochers granitiques semblent vouloir fermer le chemin au milieu de l’eau. Nous dépassons le ruisseau de Grein. L’eau indisciplinée rugît furieusement sur une courte distance puis s’écoule à nouveau paisiblement. Des forêts épaisses et d’antiques rochers grisâtres confèrent à la région un caractère particulièrement sombre.
   Aux alentours de Rabenstein apparaît l’île de Wörth, légendaire et d’une taille imposante, à la fois sauvage et romantique, habitée par les Celtes dès le IIe siècle ap. J.-C.. Les Romains y édifièrent une forteresse par la suite et l’île abrita encore au Moyen-âge, la citadelle d’un chef d’une troupe de brigands. Une haute croix de pierre, dite « Croix de Wörth » se dresse au sommet de l’éperon rocheux le plus élevé de l’île.

   Au niveau de l’île de Wörth le fleuve ouvre un bras secondaire et peu profond, dit  de « Hößgang », bras longeant la rive droite et après un cours trajet venant rejoindre à l’extrémité de l’île le bras principal semé de rochers transversaux. Dans une course déchaînée, le fleuve gronde maintenant sur les écueils. Nous sommes arrivés au niveau des dangereux tourbillons de Struden, si redoutés autrefois. En raison des travaux de régulation commencés pendant le règne de Marie-Thérèse et qui se sont poursuivis jusqu’à récemment, ce passage n’est plus désormais dangereux pour la navigation des bateaux à vapeur. Pendant  la  traversée de ces anciens tourbillons le navire a pris le cap le plus court vers le château-fort de Werfenstein. Cet édifice qui aurait été été bâti par l’empereur Charlemagne, appartient maintenant à un scientifique qui poursuit des travaux sur la théorie des races, Jörg Lanz von Liebenfels1. Le propriétaire a transformé le sommet du rocher du château en un sanctuaire dédié à l’armanisme2. La visite du château-fort est autorisée sur demande auprès de M. Hans Kuhn, responsable du marché, à Struden n° 28.

   Nous contemplons au dessous du château-fort le petit hameau de Struden. Il n’y a pas si longtemps un bloc rocheux élevé, le « Hausstein », se dressait encore dans le fleuve à cet endroit et l’eau, acculée contre la pierre, rebondissait sur les rochers pour aller former dans un chaudron de granit creusé par le Danube un puissant tourbillon qui rendait avec ses mouvements circulaires la navigation aussi dangereuse que le précédent. Ce tourbillon a été transformé après les travaux de dynamitage du rocher de Hausstein (1874-1954) en un passage rapide mais sans danger. À peine le navire a-t-il franchi celui-ci que nous pouvons apercevoir Grein.

Struden. Motif de Saint-Nicolas. Le village de Saint-Nicolas avec avec sa jolie petite église. Magnifique vue sur les tourbillons du Danube et la tour d’observation du « Schweiger ». Au confluent du ruisseau de Sarming, le petit bourg de Sarmingstein avec les ruines du monastère de Säbnich. Le paysage est très pittoresque à la hauteur du Mühlbach. Au-dessous de Sarmingstein, Hirschenau et à droite la halte de Freyenstein.
Au sommet de la colline, les ruines  du château-fort à cinq tours de Freyenstein, autrefois à l’époque des Kuenringer3  
l’un des plus grands châteaux-forts d’Autriche.

Château-fort de Freyenstein (rive gauche), gravure de Matthäus Merian l’Ancien (1593-1650), 1649

Extrait du guide de voyage « Die Donau von Passau bis zum Schwarzen Meer, Erste .K.K. Priv. Donau-Dampfschiffahrtsgesellschaft, Wien, Jahr. 1913″

Notes :
1 Jörg Lanz von Liebenfels (1874-1954), Adolf-Joseph Lanz, personnage sulfureux, était un moine cistercien défroqué d’origine viennoise, devenu théoricien et fondateur de la revue racialiste et eugéniste Ostara. Ses théories raciales inspireront A. Hitler qui lui rendra, selon Jörg Lanz von Liebenfels, visite sur son île Danubienne de Wörth afin de se procurer des numéros de la revue Ostara qui lui manquait.
L’Armanisme est une théorie développée par le pangermaniste Guido List dit « Guido von List » (1848-1919), écrivain occultiste (à partir de 1902) soutenu par les théosophes viennois, qui réalise pour la première fois la fusion de l’occultisme et de l’idéologie pangermaniste. L’armanisme postule que l’Allemagne antique était une civilisation supérieure dont la religion originelle, comprenant renaissance et déterminisme karmiques, s’exprimait sous deux formes : une forme exotérique (accessible à tous) qui était le wotanisme  et une forme ésotérique (réservée à des initiés) qui était l’armanisme. Les « Armanen » étaient, dans cette théorie, un légendaire groupe de prêtres-rois de l’ancienne nation ario-germanique, adorateurs du dieu-soleil (source Wikipedia)
3 Ancienne dynastie de ministériaux autrichiens (XIIe-XVIe)

Les ruines du château-fort de Werfenstein et l’île et de Wörth au temps de la navigation à vapeur

Danube-culture, © droits réservés, mis à jour octobre 2021

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