Le canal Danube-Oder-Elbe

  Un canal inachevé, un projet controversé…
   Le canal controversé du Danube à l’Oder et à l’Elbe sera-t-il un jour réalisé ? Certains en rêvent encore mais rien n’est moins sûr. Nombreux sont ceux, qui, pour des raisons écologiques, s’y opposent en Autriche et dans la Lobau viennoise, zone naturelle déjà menacée par le réchauffement climatique et par un projet aberrant de tunnel autoroutier.
Pourtant des plans pour une variante de ce canal du côté slovaque existeraient toujours. On se souviendra aussi que l’ancien président tchèque Miloš Zeman qui vient de terminer son mandat, était un des plus fervents partisans de la construction de cette voie d’eau européenne ce qui ne semble pas être toutefois le cas de son successeur.

   Pour les Viennois, un autre monde et une autre façon de se baigner commence aux portes de la Lobau derrière l’auberge légendaire « Roter Hiasl » ouverte en 1862. Celles et ceux qui ont envie d’échapper à l’agitation et à la fréquentation de l’île du Danube (Donau Insel) et du Vieux Danube (Alte Donau) choisissent d’aller vers les plages de baignade naturelles discrètes et paisibles qui se trouvent au début du Parc National de la Lobau, sur la rive gauche. Le tronçon abandonné du canal Donau-Oder, entre autres, avec ses eaux claires, attire en été les amateurs de fraîcheur et de tranquillité et les pêcheurs. Mais seuls quelques-uns d’entre eux se souviennent désormais que cet endroit de baignade de la Lobau se trouve sur une portion du canal Danube-Oder, un projet nazi grandiose inachevé datant de la Deuxième Guerre mondiale qui devait servir de voie navigable sur laquelle les convois auraient transporter leur marchandise du Danube jusqu’à la mer du Nord ou la mer Baltique.

Carte des voies navigables d’Allemagne pour des bateaux de 100 tonnes et plus ainsi que des voies navigables prévues par l’Autriche du Danube à l’Elbe, l’Oder et la Vistule. Carte (feuillet II) tirée du « Denkschrift zu dem technischen Entwurf einer neuen Donau-Main-Wasserstrasse von Kelheim nach Aschaffenburg », élaborée par Eduard Faber († 1930), directeur du bureau technique de l’Association pour l’amélioration de la navigation fluviale et des canaux en Bavière. Publié par l’Association pour le relèvement de la navigation fluviale et des canaux en Bavière, 1903. Le projet de canal Donau-Oder mentionné sur la carte part de Vienne et rejoint l’Oder via Prerau (Přerov, République tchèque) et Oderberg (Bohumín, République tchèque) avec un embranchement pour l’Elbe via Pardubitz (Pardubice, République tchèque). Un autre projet non réalisé de canal part de Korneuburg en amont de Vienne et rejoint la Moldau (Vltava) via Budweis (České Budějovice, République tchèque).

   Le projet qui a fait jusqu’à un passé très récent coulé beaucoup d’encre, revient régulièrement comme un « serpent de rivière » sur le devant de la scène au gré des aléas de la politique de transport de l’Union européenne empêtrée dans une croissance effarante du trafic de camions sur tout son territoire et les conséquences environnementales désastreuses qui l’accompagnent. Pourtant, ni dans le quartier de Donaustadt ni un peu plus loin à Gross-Enzersdorf où de jolies maisons bordent le canal, personne ne peut imaginer que le projet se concrétisera.

Entrée du canal Danube-Oder-Elbe à la hauteur du port pétrolier de Vienne et de la Lobau, photo Jaroslav Kubec, droits réservés

   L’empereur du Saint Empire Romain germanique et roi de Bohême Charles IV (1316-1378) avait déjà commandé des plans pour une telle liaison entre le Danube et l’Oder ou l’Elbe via la Vltava (Moldau)  au XIVe siècle si l’on en croit l’historien chroniqueur et poète Jan Dubravius (1486-1553) dans le chapitre XII de son « Historica Bohemica ». Mais c’est au régime nazi qu’il revint de concrétiser le début de construction du canal d’une longueur totale prévue de 320 km avec un dénivelé de 124 m à partir du Danube sur 2, 3 km en 1939-1940. Les habitants du bourg voisin de Groß-Enzersdorf eurent une curieuse amnésie après la guerre. Des pierres napoléoniennes furent érigées aux points névralgiques de la Lobau et tout le monde ou presque se dépêcha d’oublier la période nazie.
Le projet, côté autrichien a été définitivement abandonné dans les années 1990, notamment en raison de l’opposition du Land de Basse-Autriche et des écologistes.

Carrefour de trois mers, corridor fluvial Danube-Oder-Elbe, photo droits réservés

   Alors que la « variante Lobau » du canal semble aujourd’hui de ce fait presque oubliée du côté autrichien, il semblerait qu’une autre variante soit toujours d’actualité, variante qui partirait de Thèbes (Devín, rive gauche), en Slovaquie, aux lisières de Bratislava, en aval de la frontière avec l’Autriche et qui longerait ensuite la rivière March ou Morava sur sa rive droite en remontant vers le nord et la République tchèque. Cette variante a(vait) la faveur de la Slovaquie et de la République tchèque mais elle provoquerait une catastrophe écologique dans l’écosystème de la rivière, l’inverse d’une politique de renaturation et de protection de la biodiversité entreprise depuis plusieurs années sur ce territoire des confins austro-slovaques des rives de la March/Morava.

Le tronçon achevé du canal Danube-Oder-Elbe à Gross-Enzersdorf, aux environs de Vienne, photo droits réservés

Le canal Danube-Oder-Elbe dont les rives ne sont pratiquement plus accessibles au public, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le projet est estimé à dix milliards d’euros, un coût qui pourrait être le facteur décisif de l’abandon de la construction de cette nouvelle voie d’eau.
Lors de sa réunion du 8 février 2023, le gouvernement tchèque, sur proposition du Ministère des Transports, a décidé d’annuler les réserves territoriales pour le projet de corridor fluvial Danube-Oder-Elbe. Cette décision répond à la déclaration du gouvernement dans laquelle il s’engageait à mettre fin au projet de construction du canal.1

Photo : Von Lamotz – File:Luftbild_Donau-Oder-Kanal.jpg, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=121680674

Des prisonniers de guerre français pour la construction du canal

Un nombre supérieur à la moyenne de Français, pour la plupart des prisonniers de guerre, séjournèrent dans les camps de travail forcé de la région viennoise et furent affectés à des taches diverses, en particulier à la construction du canal Danube-Oder-(Elbe). Cette voie d’eau était considérée par les nazis  comme une « artère vitale des voies navigables allemandes » et un et comme symbole du « Nouveau Reich ».  ll y eut aussi  en complément de cette main d’oeuvre, plusieurs vagues d’arrivée de prisonniers de guerre de Yougoslavie, des « travailleurs de l’Est », c’est-à-dire issus des populations civiles déportées de Pologne ou d’Ukraine, ainsi que des détenus de camps de concentration, des Juifs hongrois qu’on obligeait également à construire des tranchées et des barrages sur leur route vers les camps de la mort, de telle sorte qu’ils meurent de faim ou, devenus inaptes au travail, qu’ils soient tout simplement assasinés. Ces hommes furent entassés dans des baraquements insalubres de la Lobau, Rutzendorfer Straße et à Matzneusiedl.
400 à 500 prisonniers furent affectés au creusement du canal mais un survivant a estimé leur nombre à 1800.

Notes :
1 www.d-o-l.cz

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour novembre 2023

Le Canal Danube-Elbe-Oder à sa sortie de la Lobau, photo © Danube-culture, droits réservés

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