L’étonnante porte flottante (Schwimmtor) du canal du Danube

   La porte flottante (Schwimmtor) du canal du Danube à Vienne, mise en service le 13 décembre 1873, également appelée bateau-barrage (Speerschiff), était destinée à protéger les zones habitées situées le long du canal du Danube de Vienne contre les embâcles et les inondations. Conçue par l’ingénieur, architecte et inventeur austro-prussien Wilhelm Freiherr von Engerth (1814-1884), fervent défenseur du projet d’aménagement du fleuve et d’autres prouesses techniques et mécaniques, membre consultatif de la Commission de régulation du Danube présidée de (trop) longues années par l’inamovible commissaire Florian Pasetti (1796-1875) elle resta en service jusqu’après la Seconde Guerre mondiale.

  La porte flottante de l’entrée du canal du Danube à Nussdorf (Schwimmtor), était un bateau en acier sans moteur et symétrique, qui n’était déplacé que par la force humaine via des treuils et le courant de l’eau entrant dans le canal du Danube. Wilhelm Freiherr von Engerth (1862-1875) avait refusé d’y adjoindre un treuil à vapeur en raison de son coût élevé. Construite  Seraing au bord de la Meuse, près de Liège (Belgique), dans l’énorme aciérie de John Cockerill sous la direction de l’ingénieur en chef autrichien J. Ritter von Kraf, elle pourrait avoir été transportée en totalité ou partiellement sur des barges en pièces détachées jusqu’en Haute-Autriche via la Meuse, le Rhin, le Main et le canal Ludwig (?). Elle est assemblée dans le chantier naval de Linz (Haute-Autriche) et amenée à Nussdorf par le fleuve.

Wilhem Freiherr von Engerth (1814-1884)

L’axe de la porte flottante a été placé à 166 mètres en aval de la pointe de Brigittenau, le canal du Danube s’étant suffisamment rétréci à cet endroit pour permettre la construction d’une porte flottante suffisamment stable pour résister aux fortes pressions de l’eau et de la glace.
Le mur de quai gauche (Brigittenau) a été doté d’un renfoncement dans lequel la porte flottante était amarrée quand elle n’était pas utilisée. Juste en dessous de cet endroit de stationnement, le mur du quai s’avançait vers le milieu du fleuve. C’est à cet angle que la porte s’appuyait en cas d’urgence.

Mise en place du dispositif d’amarrage de la porte flottante à l’entrée amont du Canal du Danube, photo prise le 23 décembre 1873

Sur la rive droite (Nußdorf), il n’était pas possible de s’appuyer sur un angle de mur similaire, car l’ouverture de la vanne de barrage en tirant la porte en travers contre le courant d’eau aurait généré des forces trop importantes.
C’est pourquoi une niche fût aménagée dans le mur de quai et recouverte au-dessus. Cette niche abritait la porte de barrage et la porte de l’installation.
Un cabestan situé en haut du couvercle et doté d’une roue dentée en bas permettait de faire pivoter la porte flottante vers l’extérieur par le biais d’une crémaillère. Ce mouvement de rotation faisait à son tour sortir la porte de quai de la niche du mur et constituait ainsi la deuxième butée pour la porte flottante.

La porte flottante fermée pendant une crue du Danube,  photo de Moritz Nähr, vers 1890

 La porte de barrage et la porte de service étaient toutes deux des constructions en treillis en acier qui absorbaient les forces et les transmettaient au mur de quai sur lequel s’appuyait la porte flottante
Pour rouvrir la porte flottante, la porte de barrage et la porte d’amarrage étaient à nouveau tournées dans la niche par le biais du cabestan. La porte flottante barrage était ensuite poussée par le courant sur le côté, vers le quai de Brigittenau.
La porte flottante pouvait s’enfoncer grâce au ballast mais elle ne devait pas reposer sur le fond de l’écluse d’une largeur 48,85 mètres. Quatre soucoupes en fonte et remplies de béton furent fabriquées afin de laisser une ouverture de 95 centimètres de hauteur. Il en résultait une grande vitesse d’écoulement avec une force destructrice correspondante. C’est pourquoi les supports ont été placés sur une dalle de béton de 126 centimètres d’épaisseur et de 30 mètres de long.

Amand v. Schweiger-Lerchenfeld- Die Donau als Völkerweg, Schiffahrtsstraße und Reiseroute, Wien 1896

Dimensions de la porte flottante :
Longueur : 48,6 mètres
Largeur maximale : 9,5 mètres
Largeur aux extrémités : 1,0 mètre
Hauteur : 5,7 mètres
Poids : 440 tonnes

Équipement :
Chaudière à vapeur (chaudière tubulaire) avec une surface de chauffe de 30 mètres carrés.
Deux pompes centrifuges (débit de 165 mètres cubes d’eau par heure chacune)
Deux pompes de fuite à commande manuelle
Appareil de chargement manuel des pierres de ballast (chargé : 1.000 pierres par heure, déchargé : 600 pierres par heure)
Chauffage à la vapeur pour éviter le gel des tuyauteries de et vers les pompes ainsi que des vannes.

En guise de lest, 2.000 kilogrammes de fonte se trouvaient en permanence à bord, jusqu’à 1.200 cubes de granit de 17,5 kilogrammes chacun étaient chargés en fonction des besoins, tout comme les réservoirs d’eau étaient remplis pour atteindre le tirant d’eau nécessaire à chaque fois.
L’utilisation de la porte flottante dépendait du niveau de l’eau au pont Ferdinand/Schwedenbrücke. La porte flottante était « immergée » à l’aide d’un ballast en cas de crue, mais elle ne devait en aucun cas toucher le fond. La profondeur d’enfoncement de la porte flottante devait également être adaptée en permanence par rapport au niveau du Danube. Pour se protéger des glaces ou des embâcles, il suffisait d’amarrer la porte en travers du canal du Danube, entre les deux culées. Grâce aux parois latérales droites, les blocs de glace n’étaient pratiquement pas poussés sous la porte. Il était important que celle-ci puisse monter ou descendre en fonction du niveau de l’eau.
Après plusieurs années d’utilisation, on s’aperçut que la porte ne répondait pas à l’objectif fixé et, en été 1878, on procéda à des améliorations. La porte flottante fut encore équipée ultérieurement d' »aiguilles de glace » supplémentaires. Il s’agissait de barres d’acier fixées à la paroi de la porte, qui s’étendaient jusqu’au sol et servaient de râteaux.

Notes :
1 Un pont en bois, construit au même endroit sur ce bras encore sauvage du Danube est mentionné dès 1368. Ce pont à péage servait aussi d’abattoir en plein air des animaux et à la vente des parties de moindre qualité qu’on appelait du nom de  « Bruckfleisch » (viande du pont). Le sang des animaux s’écoulait directement dans le bras du Danube, ce qui posa des problèmes d’hygiène. L’ouvrage qui resta la seule liaison fixe jusqu’en 1782 et rattachait  la ville à l’Unterer Werd, une grande île située sur le territoire de Leopoldstadt, se trouvait un peu en aval de la Rotenturmstrasse. Il fut reconstruit à plusieurs reprises à cause d’embâcles et d’inondations puis remplacé en 1819 par  un premier pont Ferdinand, en hommage à Ferdinand Ier de Habsbourg,  remplacé en 1911 par un nouvel ouvrage du même nom jusqu’en 1919, année pendant laquelle on le rebaptisa « Pont de la Suède ». Détruit pendant des bombardements en 1945, le pont actuel date de 1955.

 Éric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour juin 2023

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