Mohács (Hongrie)

Mohács : deux batailles historiques et un carnaval
Mohács (PK 1447,1),
est une jolie petite ville hongroise méridionale de la rive droite du Danube, multiculturelle, à l’ambiance détendue, soigneusement rénovée et bien entretenue, dans le comitat de Baranya, à quelques kilomètres des frontières avec la Serbie (rive gauche) et la Croatie. 

   Avec une population d’environ 17 000 habitants, chef-lieu de la micro-région de Mohács, elle est d’abord connue pour un évènement historique dramatique pour le royaume de Hongrie et l’Occident, prélude à la conquête du pays par les Ottomans, la bataille de Mohács (29 août 1526) qui voit le triomphe des armées de Soliman le Magnifique (1495-1566) sur celles du très jeune roi inexpérimenté de Hongrie, Louis II Jagellon (1506-1526). Le 12 août 1687 aura lieu au même endroit un nouvel affrontement entre Ottomans et Chrétiens, la bataille de Nagyharsány. Élément principal de la reconquête de la Hongrie sur les Ottomans, elle représente un tournant dans l’histoire de la Grande guerre turque (1683-1699). Cette fois les armées du Saint Empire Romain germanique de Charles V de Lorraine (1643-1690), le vent de l’histoire ayant changé de sens, mettent les armées ottomanes en déroute.
Mohács est connu également pour son port de commerce où l’on charge en particulier de nombreuses céréales cultivées en Hongrie méridionale. La petite ville dont le patrimoine architectural fait l’objet d’un important effort de restauration, voit depuis un certain temps croître sa fréquentation et réputation touristiques en raison en particulier d’un bien étrange et bruyant défilé lors du carnaval de Busó qui met symboliquement fin à l’hiver et exorcise peut-être aussi le souvenir de la douloureuse défaite de 1526 et d’autres évènements plus récents d’une nation hongroise souvent dans la tourmente.

« Le Danube se divise en deux bras juste au-dessus de Bátaszék : le plus grand bras divise la Trans-Hongrie, un champ plat, le plus petit baigne Bátaszék et Mohács, et les deux se rejoignent en dessous de Mohács, formant une île. »
Écrit en 1528 par István Brodarics, Récit véridique de la bataille des Hongrois contre les Turcs à Mohács, Magvető Kiadó, Budapest, 1983

« Immédiatement au-dessous de Baja le fleuve se sépare de nouveau, et forme la Nagymargitsziget (grande île Marguerite), c’est-à-dire l’île nommée : île de Mohács ; ensuite vient à droite Bátta avec les restes d’une ancienne abbaye ; derrière il y a d’assez hautes montagnes plantées de vignes, et après, à droite est Dunaszekcső, bourg avec un bon restaurant communal et une place d’embarquement pour les vins pour Báttaszék.
Alors le peu de coteaux plantés de vigne disparaît et sur le rivage plat à droite suit le bourg de Mohács, d’à peu près 15 000 habitants, station principale du chemin de fer de Mohács à Fünfkirchen (Pecs) et Bude et par cela en communication avec le chemin de fer de Alföld-Fiume, Fünfkirchen-Barcs et Fünfkirchen-Budapest et avec le chemin de fer du sud. C’est la place la plus importante pour l’embarquement des charbons de pierre…
Dans les environs de Mohács on cultive beaucoup de blé et surtout le maïs, comme la vigne… »

Alexandre François Heksch, Guide illustré sur le Danube de Ratisonne à Souline et indicateur de Constantinople, A. Hartleben, Éditeur, Vienne. Pest. Leisic., 1883

Le nom tire son origine du slave Mъchačь, Mocháč : mъchъ (mousse, le mot hongrois moha est un emprunt au slave + le suffixe slave -ačь, comme le slovaque Mochnáč ou le tchèque Macháč).
Les premiers habitants de cette région connue dans l’histoire furent les Pannonii (Pannoniens d’où le terme de Pannonie pour la plaine pannonienne), un groupe de tribus indo-européennes apparentées aux Illyriens. À partir du IVe siècle avant J.C., elle est envahie par diverses tribus celtiques nomades. On sait peu de choses sur la Pannonie jusqu’en 35 av. J.-.C., lorsque ses habitants, alliés des Dalmatiens, sont attaqués par les armées de l’empereur Auguste (63 av.-14 ap. J.-C.). La Pannonie n’est définitivement soumise par les Romains qu’en 9 avant J.-C., date à laquelle elle est incorporée à l’Illyricum dont le territoire s’étendait jusqu’au Danube. L’Illyricum est scindée ultérieurement en deux provinces, la Pannonie au nord et la Damaltie au sud. La Pannonie est divisée en deux provinces sous l’empereur Trajan, la Pannonie supérieur avec sa capitale sur la rive droite du Danube Carnuntum et la Pannonie inférieure (capitales Aquincum et Sirmium) puis en quatre entité sous l’empereur Marc-Aurèle. Au sud de Mohács, sur le site du village Kölkeden avait été construite une importante forteresse du limes du nom d’Altinum. Les Avars prendront possession de la région à la chute de l’Empire romain et se heurteront à Byzance tout en établissant un empire qui disparaîtra à la fin du VIIIe siècle à cause des conquêtes de Charlemagne et de son fils Pépin d’Italie.
Mohacs avec le comté de Baranya appartiennent dès le Moyen-âge au royaume de Hongrie.

Mohács, détail de la « Tabula Hungariae » du diacre Lazare, 1528

   La forteresse de Mohács et le Danube pendant la période ottomane, peinture de Maximilian Brandstetter, 1608. Cette forteresse, connue sous le nom de « Párkán(y) » en turc (nom hongrois de Šturovo, commune aujourd’hui sur la rive gauche désormais slovaque), était l’une des plus petites construction défensive érigées par les Ottomans le long du Danube, de la région de Serem à Esztergom. Les journaux de voyageurs et d’émissaires des XVIe et XVIIe siècles contiennent de nombreuses informations sur cette petite garnison militaire. Les bateaux sur le Danube sont à la fois des embarcations civiles de type et militaires (tschaïques, embarcations légères et profilées avec leurs rangées de rameurs pour manoeuvrer rapidement et pouvoir remonter sans difficulté le fleuve).   

Pendant l’occupation turque la ville est la préfecture du Sandjak de Mohács. Selon le récit publié dans le « Livre des voyages » (Seyâhatnâme) d’Evliya Çelebi (1611-1682) qui visite Mohács en 1663, la forteresse se dresse au bord du Danube, avec quatre bastions et des canons aux angles. Outre la cinquantaine de logements pour les soldats, la construction se compose également d’une salle de guerre, de deux greniers et d’une mosquée décorée de mosaïques. La Porte de l’eau donne sur le Danube sur lequel flottent des bateaux-moulins, tandis que la Porte de la ville est gardée par une tour forteresse armée de canons. Les douves sont alimentées par les eaux du Danube. Les 300 maisons de « Miháds » (Mohács) possèdent des toits de chaume , seuls le palais du pacha, une auberge et la mosquée sont recouverts couverts de tuiles. Il y a également une médersa, un monastère et deux écoles primaires. Le village à deux portes était entouré d’un mur d’enceinte rempli de terre et les douves ont également été inondées par les eaux du Danube.1
   Après avoir été reconquise sur la Grande Porte par les Habsbourg-Lorraine en 1687 et être retournée dans le Royaume de Hongrie au sein du Saint Empire Romain germanique, Mohács et la Baranya voient arriver, la plupart du temps par bateau, des colons appelés « Souabes du Danube » (Donauschwaben) bien qu’ils ne soient pas obligatoirement originaires de la Souabe qui s’installent après avoir reçu des autorités des terres à défricher et à cultiver.

Mohács en 1778

Neu-Mohács et le Vieux  Mohács intérieur, délimités par le fossé de Büdös, sur le premier relevé militaire (1783)

Ces colons invités à repeupler et à mettre en valeur ces territoires reconquis auront à coeur de préserver leur langue et leur culture jusqu’au milieu du XXe siècle et la seconde guerre mondiale dont les conséquences seront dramatiques pour eux. Ils seront expulsés de leurs terres vers l’Autriche et l’Allemagne par les gouvernements communistes qui les accusent d’avoir collaborer avec les nazis et en profitent également pour confisquer leurs biens.
Entre 1918 et 1921, la ville est occupée par les Serbes et, en 1921, elle fait partie de l’éphémère République serbo-hongroise de Baranya-Baja. La frontière hongroise est redessinée par le Traité (controversé) de Trianon, désastreux pour la Hongrie et les géographes la feront passer désormais un peu au sud de Mohács.
En raison de la culture des céréales dans les environs, on trouvait autrefois, tout comme dans la cité voisine en amont de Baja sur la rive gauche, devant la ville, un nombre impressionnant de bateaux-moulins en activité. Puis vint le temps de la navigation à vapeur et de l’exploitation des mines de charbon voisines de Fünfkirchen (Pecs) par la D.D.S.G., charbon que les bateaux chargeaient au port après qu’il ait été transporté par train jusqu’à Mohács. Les navires remontaient leur précieuse marchandise vers Budapest et Vienne.

Femmes de Mohács lavant du linge au bord du Danube, photo Lőrincze Judit, Fortepan, 1958

Une importante minorité juive vécut à Mohács au cours de l’histoire. Persécutée par l’administration hongroise au nom de vieilles rancunes aussi injustes que tenaces pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fut internée dans deux ghettos puis déportée à Pecs et Auschwitz.
Des colons et croates s’installèrent également à Mohács au cours des siècles précédents.

Monuments historiques, musées, évènements, environnement…
Hôtel-de-ville de Mohács

L’imposant Hôtel-de-ville de Mohács aux influences architecturales ottomanes, sans doute pour mieux s’émanciper du passé, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Mercure de Mohács, photo © Danube-culture, droits réservés

Cinéma Kossuth (expositions…)
Patrimoines religieux et industriel

Patrimoine religieux, photo © Danube-culture, droits réservés

Un patrimoine industriel restauré avec soin, photo © Danube-culture, droits réservés

   Mohács est aussi la ville ville natale du peintre surréaliste et ami d’André Breton, Endre Roszda (1913-1999)
https://www.rozsda.com

Endre Rozdan

Endre Roszda, autoportrait

Atelier du sculpteur de masques en bois d’Antal Eglert (Kigyá utca 7)
Le Mémorial de (des) la bataille(s) de (Emlékpark) se trouve à 6 km environ au sud de Mohács près de Sátorhely. Le monument au roi hongrois Lajos (Louis II) a été érigé à l’occasion de la célébration du 450e anniversaire de la bataille de 1526 à l’endroit où le souverain s’est noyé.
Les bateliers, pêcheurs et meuniers de Mohács organisaient autrefois une fête, la « Wassergehenden » en lien avec le Danube qui tomba peu à peu dans l’oubli au fil du temps. Le Centre culturel remit cette coutume au goût du jour en 1989. Évènement populaire, la « Wassergehenden » a lieu désormais le 1er mai avec une procession de bateaux, un concours de soupe de poisson, tradition perpétuée également à Baja et ailleurs le long du fleuve, des concerts et un feux d’artifice.
   De Mohács  il est très facile (et recommandé !) de se rendre dans le Parc National Duna-Drava ou encore dans celui de Gemenc qui abrite entre autres oiseaux une population de cigognes noires, de réaliser des excursions en bateau, de louer des bicyclettes ou de profiter des thermes locaux.

L’élégant bac de Mohács-Ujmohács se fait discret dans le paysage, photo © Danube-culture, droits réservés

Au port de Mohács, photo © Danube-culture, droits réservés

Un peu plus au sud (PK 1425, 5), sur la rive gauche et en Serbie dont le territoire commence au PK 1433, se trouve l’entrée du canal Danube-Tisza, une réalisation longue de 123 km et achevée en 1801 sous le nom de « canal François » qui permit de drainer des territoires marécageux et de faciliter les communications et le transport des marchandises.
La ville n’est malheureusement plus accessible par la ligne de chemin de fer Villány-Mohács, qui a été achevée en 1857 entre Mohács et Pécs et qui en faisait la deuxième ligne de chemin de fer de Hongrie.
Le port frontalier de Mohács, le seul port frontalier fluvial de l’Union européenne, a été inauguré en octobre 2007. Il possède un littoral de 340 mètres de long et une voie d’évitement.
Un plan routier  prévoit la construction d’un pont ce qui à la vue du traffic qui franchit le Danube par le bac, n’apparaît pas comme une priorité. Longue vie au bac de Mohács !

 L’évènement culturel majeur de la ville : le carnaval des Busó 
   Ce carnaval a lieu chaque année au mois de février et accueille de nombreux touristes. Il a été classé en 2009 au Patrimoine mondial immatériel de l’Unesco.

Carnaval des Busó : quand les esprits naviguent sur le Danube,  photo droits réservés, 

   Le carnaval des Busó est une manifestation traditionnelle populaire de six jours qui célèbre la proche fin de l’hiver. Les Busó sont des personnages (selon la tradition des hommes déguisés) portant des manteaux de laine grossiers et le visage recouvert de masques en bois aux grimaces effrayantes et ornés de cornes. Un concours de costumes pour les enfants, une exposition de masques et d’autres objets artisanaux, la venue de plus de 500 Busó dans des barques sur le Danube pour un défilé dans la ville accompagné de chars fantastiques tirés par des chevaux ou motorisés, la mise à feu d’un cercueil symbolisant l’hiver, un feu de joie sur la place principale ainsi que des festins et de la musique à travers la ville sont au programme.

Des Busó jusque dans le hall de l’Hôtel-de-ville, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’origine de cette tradition populaire qui appartenait initialement à la minorité croate de Mohács, est devenue au fil du temps une marque de la ville tout entière. Elle symbolise une commémoration des grands événements de son histoire. Bien plus qu’une manifestation à caractère uniquement  social, le carnaval des Busó est une expression à la fois d’un groupe social, de la ville et de la nation hongroise toute entière qui aime ainsi exorciser ses vieux démons et les évènements tragiques de l’histoire de  la nation hongroise.

Monument  du centre ville en hommage aux  dont on se demande s’ils ne sont pas présents dans la ville toute l’année, photo © Danube-culture, droits réservés

   Il permet à chacun de s’exprimer au sein de la communauté. Les créations artistiques qui appartiennent à cette manifestation sont préservées par des groupes autonomes de Busó provenant de tout milieu culturel qui  transmettent les techniques de sculpture de masques et les célébrations rituelles aux générations suivantes afin qu’elles se perpétuent.

Notes :
1 Evlia Çselebi, Turkish world travels in Hungary 1660-1664. Turkish historians III, 1904, Académie hongroise des sciences, Budapest

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, août 2023

   Endre Roszdan, Plein poids dans le rêve, 1960, Musée d’art moderne André Malraux — MuMa Le Havre. « J’éclaire des objets et des hommes, réveille des dormeurs, éveille les morts, je les fais parler d’événements qu’ils n’avaient peut-être jamais vécus, je capte des sons, je tisse des fils multicolores pour les attraper et j’écoute leurs appels, je saute ici et là, pinceau en main, occupé à vite fixer le passé. »

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