Le pélican, symbole de la renaissance, oiseau emblématique du delta du Danube

   Il n’est pas étonnant que le pélican, porteur de nombreux symboles parmi lesquels ceux de la renaissance, des cycles de la vie et de la quête spirituelle vers la lumière, soit l’oiseau emblématique du delta du Danube.

Photo Mihai Baciu, droits réservés

Les onocrotales (le pélican, pelicanus onocrotalus, L.) ressemble aux cygnes : et on n’y trouverai aucune différence s’ils n’avaient pas à la gorge une espèce de premier ventre. C’est là que cet animal insatiable entasse tout, et la capacité de cette poche est étonnante ; puis ayant achevé sa provision, il la ramène peu à peu dans son bec, et la faut descendre, par une sorte de rumination dans le ventre véritable…
Pline l’Ancien (23-79), Histoire naturelle, Livre 10, LXVI 

Le pélican blanc (Pelecanus onocrotalus) ou frisé (Pelecanus crispus), habitants familiers du paysage deltaïque danubien, est un oiseau migrateur dont la présence sur notre planète remonte à la fin de l’ère secondaire, il y a une centaine de millions d’années. Il est encore présent sur tous les continents mais en bien moins grand nombre que par le passé.
Le mode de vie de cet oiseau emblématique du grand fleuve européen nous permet de mieux comprendre le sens de sa symbolique.
   Le pélican, dont les ailes peuvent atteindre une envergure de 3m 50 et qui peut peser jusqu’à 13 kg, fait aussi partie des plus gros oiseaux de la planète. Il affectionne les zones humides et tranquilles des régions tropicales ou tempérées chaudes où le poisson abonde comme dans le delta du Danube où se regroupent plusieurs colonies de pélicans blancs et, nettement moins nombreuses, de pélicans frisés. On les trouvait autrefois jusqu’en Autriche et sur le Danube hongrois.Le pélican peut se déplacer sur terre, sur l’eau et dans l’air. C’est un oiseau monogame, pacifique et qui aime à vivre en collectivité. Dans une communauté de pélicans, il n’existe pas de dominants ni de dominés à l’exception d’une petite hiérarchie et d’un respect témoigné par les plus jeunes aux plus expérimentés des oiseaux de la communauté au moment de la pêche.
   Mâle et femelle couvent alternativement les œufs pendant une période de 29 à 36 jours et qui donnent naissance de un à trois oisillons, totalement dépourvus de plumes. Les oisillons sont alors nourris par le couple parental qui leur apporte la nourriture sous forme de bouillie régurgitée contenue dans la poche de leur bec que les adultes vident en le pressant contre leur poitrine.

Hugo Charlemont (1850-1939), Pélicans au bord du fleuve


   Un peu plus tard, les jeunes pélicans de la colonie, regroupés sous la surveillance de quelques adultes, vont chercher les morceaux de poissons directement dans le gosier des parents, parfois même jusque dans l’œsophage !
   Le pélican ne dépense pas son énergie inutilement, aussi la pêche n’occupe qu’une petite partie de l’emploi du temps de la colonie. Cet oiseau semble préférer avant tout passer de longues heures à dormir (méditer ?) ou à faire sa toilette et lisser ses plumes au soleil. La longue présence sur la terre de ce magnifique oiseau lui a sans doute permis d’acquérir une forme de sagesse.

Symbolique du pélican

   « Le Pélican est le symbole de l’amour du Prince pour ses peuples ; il est aussi l’emblème de la tendresse maternelle. »
Nicolas Vitton de saint-Allais, Dictionnaire de la Noblesse, 1816

Alfred Hofmann (1879-1958), fontaine des pélicans,  Widholzhof, Simmering, Vienne, 1926, une fontaine qu’on aimerait voir en eau, photo droits réservés

   Ce n’est pas un hasard si nous trouvons la présence du pélican chez les Égyptiens qui en font un animal d’ornement se promenant dans les jardins et les palais. Les prêtres l’assimilent au cygne, le pélican étant « la lumière couvant l’œuf du monde ». L’oiseau était également sacré chez les musulmans, une vénération qui puise son origine dans une légende selon laquelle celui-ci était censé avoir participé à la construction de la Kaaba, à la Mecque.
   Nombreuses sont les légendes autour du pélican dans l’Antiquité. Elles se répandent dans le monde grec puis romain. Voyant des morceaux sanguinolents de poissons régurgités, certains hommes pensaient que le pélican allait jusqu’à percer sa propre chair pour nourrir ses petits. L’oiseau devient alors le modèle de l’amour parental.
   Cette histoire figure dans le Physiologos, bestiaire chrétien écrit en Égypte au IIe siècle ap. J.-C., une oeuvre qui influencera tout le Moyen-âge. D’autres légendes apparaissent dans ce bestiaire comme celle qui raconte que les jeunes pélicans, à leur naissance, frappent leur géniteur. En représailles, celui-ci les tue. Ils ressuscitent trois jours plus tard grâce aux gouttes de sang que fait couler sur eux leur mère ce qui lui fait à son tour perdre la vie. 

Gravure de Pélican, issu d’une fresque des ruines de Chan Chan (royaume de Chimor), au Pérou, photo © Ajor933, droits réservés

   Une autre légende raconte que l’ennemi du pélican, le serpent, tue les oisillons avec son venin. L’oiseau s’envole alors au-dessus d’un nuage qu’il inonde de son sang afin que le liquide, tombant avec la pluie sur les jeunes oiseaux, puisse les ressusciter.
   Le christianisme fait du pélican le symbole du sacrifice, du martyr et de la résurrection, comparant l’oiseau au Christ se sacrifiant pour la rédemption des pécheurs. Il symbolise également pour les Chrétiens l’amour paternel qui ne recule devant aucun sacrifice. 

Détail de la cathédrale de Metz, photo © zor32, droits réservés

   Eusèbe de Césarée (265-339) et saint-Augustin (354-430) le mentionnent au début du IVe siècle. L’oiseau, dorénavant étroitement lié à la symbolique chrétienne, apparaît alors dans de nombreux livres enluminés, sur des chapiteaux et des stalles d’églises et plus tard sur des armoiries.

Église de La Trinité-La Palud à Marseille : stalles avec accoudoirs en bois sculpté en forme de pélicans, photo © Rvalette, droits réservés

« Le Bestiarum du Moyen Âge cite une ancienne chanson enfantine, oubliée depuis, dont le texte est : « Pie pelicane, Jesu domine » (Ô pélican plein de bonté, notre Seigneur Jésus »). Il mentionne aussi la faculté que possède cet oiseau de ne se munir que de la nourriture strictement nécessaire à sa survie. »

Blason de l’université de Cambridge, source Wikipedia

« Pie pellicane, Jesu Domine,
Me immundum munda tuo sanguine;
Cujus una stilla salvum facere
Totum mundum quit ab omni scelere. »

« Pieux pélican, Jésus mon Seigneur
Moi qui suis impur, purifie-moi par ton sang
Dont une seule goutte aurait suffi à sauver
Le monde entier de toute faute. »
Extrait de l’Hymne eucharistique « Adoro te devote » de Saint-Thomas d’Aquin (1225-1274)

Jacques Callot (1592-1635), saint-Thomas d’Aquin, « Les Images De Tous Les Saincts et Saintes de L’Année », 1635 

Le poète florentain Dante Alighieri (1265-1321), dans le « Paradis » de sa Divine Comédie (1321, long poème racontant le voyage de l’auteur en enfer guidé par le poète romain Virgile. Il y retrouve plus tard sa bien-aimée, Béatrice qui le guide jusqu’au purgatoire puis au paradis où, dans un moment d’extase, le narrateur aperçoit Dieu), compare le Christ à l’oiseau, en parlant de saint-Jean qui fut représenté dans la Cène penché sur le sein du Sauveur :
« Voici venir celui qui coucha sur le sein
de notre Pélican : qui, du haut de la croix
avait été choisi pour un office insigne. »

Gustave Doré, illustration pour le Paradis de Dante

Cette image est reprise au XIXe siècle par Alfred de Musset (1810-1857) dans son poème l’Allégorie du Pélican extrait de son oeuvre Les Nuits :

« Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure
Que les séraphins noirs t’ont faite au fond du cœur ;
Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L’océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur ;
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort se recommande à Dieu.

Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant ;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang. »

Les alchimistes s’emparent également très tôt de l’image du pélican. Ils se servent de ces oiseaux pour symboliser les parties volatiles de la matière, utilisant celui qu’ils appellent « l’oiseau d’Hermès » pour représenter leur Mercure. Un vase alchimique ou alambic, récipient hermétique muni de deux tubes recourbés reliant le sommet, ressemblant à la silhouette du pélican qui se perce le flanc, porte son nom. Le pélican représente aussi l’œuvre au blanc, les trois oisillons étant respectivement le Sel, le Soufre et le Mercure ou encore l’ image de la « pierre philosophale  » éparpillée dans le plomb liquide, où elle se dissout et se décompose pour le transformer en or.  Le pélican alors symbolise l’aspiration à la purification.
Les Rose-Croix à leur suite utilisent le symbole, qui est repris dans la Franc-maçonnerie pour l’ordre ultime du Rite Français et pour le dix-huitième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté, qui porte le titre de « Souverain Prince Rose-Croix, ou Chevalier de l’Aigle et du Pélican ».
On retrouve également cet oiseau accompagné des outils sur des tabliers de maçons correspondant à ces degrés. Il pourrait alors symboliser la consécration au grade de maitre et l’achèvement du parcours initiatique, comme le pélican, victorieux de la mort, pourrait faire renaitre ses enfants vers la lumière de l’initiation.
Robert-Jacques Thibaud (1941-2001), auteur d’une série de dictionnaires sur la signification des mythes et des symboliques de différentes cultures, voit dans le pélican une représentation de « l’œuvre générant puis entretenant sa création ». Selon lui, « le pélican symbolise l’axiome assurant que l’on ne découvre que ce que l’on possède déjà en soi. C’est l’image d’une autre phase de la longue quête spirituelle assimilable au grand-œuvre ».
En héraldique, le pélican est traditionnellement représenté comme un oiseau à bec d’aigle, dans son nid, les ailes déployées au-dessus de ses petits, se perçant la poitrine d’où coulent des gouttes de sang. Il est dénommé « Pélican de piété ». L’oiseau apparaît aussi sur les armoiries de plusieurs familles, institutions, villes, pays, voire même imaginaires comme sur celui de la Syldavie dans Le sceptre d’Ottokar d’Hergé.

Armoiries de la Syldavie dans le Sceptre d’Ottokar de Hergé, source : JulianKepler — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=133417678

Au final, notre oiseau porte en lui les symboles de la mort, de la renaissance, donc des cycles de la vie, de la quête spirituelle tendant vers la lumière.

Emblème de la Louisiane, source Wikipedia

Sources :
BIEDERMANN, Hans, KNAURS Lexikon der Symbole, Droemersche Verlagsanstalt Th. Knaur Nachfolger, München, 1989
CHEVALIER, Jean, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Robert Laffont/Jupiter,  Paris, 2000
COLIN, Didier, Dictionnaire des symboles des mythes et des légendes, Hachette, Paris 2000
PORTIER, Lucienne, Le pélican. Histoire d’un symbole, Éditions du Cerf, paris, 1984
www.oiseaux.net

http://www.larousse.fr/encyclopedie/vie-sauvage/p%C3%A9lican/178178
lieuxsacres.canalblog.com

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour décembre 2024, © droits réservés

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