Adalbert Stifter (1805-1868)
Adalbert Stifter, Lever de lune (vers 1855)
Écrivain, pédagogue, poète réaliste et peintre haut-autrichien né en 1805 à Oberplan (Horní Planá, Bohême méridionale), petit village au bord de la Vltava non loin de Český Krumlov (Krumau), à la frontière avec la Haute-Autriche et mort à Linz, grand admirateur de Goethe, Adalbert Stifter est l’une des personnalités culturelles autrichiennes les plus illustres de l’époque post-napoléonienne du Biedermeier (1815-1848). Mais le peintre écrivain ou l’écrivain peintre autrichien, fervent admirateur et observateur de la nature, adepte de la lenteur et du voyage intérieur, ne symbolise en aucune façon cette époque superficielle qui représente le grand triomphe du goût bourgeois et du conservatisme dans les pays de la confédération germanique et en Autriche.
A. Stifter perd à l’âge d’à peine douze ans son père qui se tue accidentellement (1817). Traumatisé, son fils tente d’abord de se laisser mourir de faim puis il entreprend l’année suivante, des études à l’abbaye bénédictine de Kremsmünster.
Il est admis en 1826, à la Faculté de droit de l’université de Vienne et tombe amoureux de Fanny Greipl, fille d’un commerçant de la bourgeoisie viennoise. Dans ses lettres à Fanny, l’étudiant se dévalorise lui-même comme amant. Son refus de participer à un concours pour obtenir une chaire de physique à l’université de Prague déconcerte ses futurs beaux-parents qui le perçoivent alors comme un homme instable, sans ambition ni avenir. En 1832 a lieu la rencontre avec Amalia Mohaupt, une ancienne prostituée qui devient sa femme en 1837. Sans descendance, le couple adopte plus tard les enfants d’un frère d’Amalia. Une de fille se suicidera en se jetant dans le Danube. Après cet accident tragique, l’écrivain s’enfonce dans une grave dépression.
« La peinture m’est plus chère que le monde entier ; il n’y a rien sur la terre qui puisse me saisir plus profondément que la peinture…
Quand l’aube se lève rapidement, je me réveille et je me réjouis déjà de pouvoir à nouveau travailler dans les douces couleurs, et quand le soir arrive, je pense à ce que le jour a favorisé ou à ce qui est resté en arrière et je continue à peindre en pensée … »
Adalbert Stifter, « Nachkommenschaften »
A. Stifter n’arrive toujours pas à choisir entre les vocations de peintre et d’écrivain. Il se décide pourtant en 1840, après de longues hésitations, à devenir écrivain et c’est à travers la littérature et les nouvelles qu’il exprimera son talent d’observateur de la nature et sa passion pour celle-ci.
La parution de sa première nouvelle Der Kondor (1840) à Vienne reçoit un accueil très enthousiaste et le rend célèbre. Pendant huit ans, il arrive à subvenir à ses besoins grâce à la vente de ses livres et des leçons particulières. Stifter est nommé Inspecteur des écoles primaires de Haute-Autriche en 1850, prend sa retraite en 1865 et, gravement malade, met brutalement fin à son existence en se tranchant la gorge le 28 juin 1868.
« Le lendemain, lorsque les premières lueurs de l’aube apparurent dans le ciel, le bateau reprit son chemin vers l’aval. Witiko et Raimund s’étaient à nouveau assis sur le banc au-dessus du toit. Le navire descendit vers les plaines alluviales et poursuivit sa route en cheminant entre elles. Au bout de deux heures, on aperçut sur la rive droite les créneaux et les remparts de la petite ville d’Enns, à l’endroit où l’ancienne cité de Lorch [Lauriacum] avait été édifiée. Le Danube s’était métamorphosé en un grand fleuve car deux rivières la Traun et l’Enns s’y étaient jointes. Et de nouveau deux heures plus tard, on aperçut sur la rive nord le grand château des armées de Wallsee. Le bateau s’engagea alors dans une gorge sombre, comme celle qu’on avait traversée en aval de Passau. Les flots s’étaient rétrécis dans le défilé et s’écoulaient avec une grande rapidité. Après avoir navigué quelque temps dans celui-ci, trois bateliers nous rejoignirent en barque depuis une maison en bois située sur la rive. Ils firent passer le bateau à proximité de Grein. Au-dessous de cette localité, la gorge devint encore plus sauvage. Au-delà de la proue, on vit sur le fleuve une étendue d’eau aussi blanche que de la neige. Les passagers dirent qu’on arrivait aux endroits où le courant et le tourbillon étaient très dangereux pour la navigation. Peu à peu tous se rassemblèrent sur le toit du bateau. Quand on fut à la hauteur de l’étendue d’eau blanche, ils entonnèrent une grande prière. Les bateliers à qui l’on avait confié la conduite du navire s’activaient sans arrêt et le dirigeaient au milieu d’une eau profonde et rapide entre la tour de l’île et l’étendue d’eau blanche et tumultueuse qui écumait sur les écueils.
Le bateau qui descendait rapidement fut guidé vers un rocher derrière lequel on apercevait des tourbillons qui formaient de grands cercles. Les bateliers lui firent longer le bord des cercles. Puis ils se reposèrent, regardèrent vers l’aval et laissèrent le bateau s’avancer dans un fleuve plus large et plus calme. La prière de protection des passagers s’était transformée en louange de remerciements. Quand elle fut terminée, les hommes qui avaient assurés les manoeuvres entre les tourbillons et les récifs reçurent leur salaire puis ils remontèrent sur leur barque et regagnèrent la rive. Une petite embarcation arriva sur laquelle d’autres hommes, tenant un récipient en bois au bout d’une longue perche, demandèrent une offrande pour les pauvres et pour la construction d’une église destinée à la protection des bateaux. Tous les passagers déposèrent une offrande dans le récipient. Puis il vint encore un bateau plus grand qui requit un droit de péage ainsi qu’une redevance sur l’eau. Le péage et la redevance furent acquittés. Le bateau à la proue rouge s’avança ensuite entre les collines boisées vers une contrée ouverte de prairies, de champs, de forêts, d’églises et de châteaux-forts. Le pays était, des deux côtés du fleuve, celui du margraviat d’Autriche : sur la rive droite la ville d’Ybbs. Ensuite et sur la rive gauche une vieille église de couleur marron foncé. Enfin, dressé sur des rochers en saillie, le village de Marbach. C’est là qu’ils amarrèrent le bateau et se reposèrent pendant la nuit… »
Adalbert Stifter, Witiko, roman historique d’un chevalier du XIIe siècle, publié à l’automne 1867 (traduction Eric Baude)
« Si l’on excepte les écrits de Goethe et en particulier les Conversations de Goethe avec Eckermann, le meilleur livre allemand qui existe : que reste-t-il de la littérature en prose allemande qui mérite d’être relu et relu encore ? Les Aphorismes de Lichtenberg, le premier tome de l’Autobiographie de Jung-Stilling, L’été de la Saint-Martin d’Adalbert Stifter et Les Gens de Selwyla de Gottfried Keller, c’est tout pour l’instant. »
Friedrich Nietzsche, « Le Voyageur et son Ombre » in Humain, trop humain. Un livre dédié aux âmes libres., 1879
http://www.adalbertstifter.at
http://www.stifterhaus.at
Gerald Stieg, « Stifter (Adalbert) », Dictionnaire du monde germanique, dir. Élisabeth Décultot, Michel Espagne et Jacques Le Rider, Éditions Bayard Paris, 2007
Bibliographie sélective en langue française :
Le Sentier dans la montagne, Éditions Sillage, Paris, 2017
Le cristal de roche, Paris, Éditions Sillage, Paris, 2016
Dans la forêt de Bavière, Premières pierres, Saint-Maurice, 2010
Fleurs des champs, Éditions Circé, Belval, 2008
Les deux soeurs, Éditions Circé, Belval, 2004
L’arrière-saison, récit, Éditions Gallimard, Paris, 2000
Brigitta, Éditions Farrago, Tours, 2000
Descendances : nouvelle, préface de J. Le Rider, Éditions J. Chambon, Nîmes, 1996
Pierres multicolores. 1, Cristal de roche, nouvelles, Éditions J. Chambon, Nîmes, 1995
L’homme sans postérité, Éditions du Seuil, Paris, 1995
Le condor, Éditions Séquences, Rezé, 1994
Le village de la lande, nouvelle, Éditions J. Chambon, Nîmes, 1994
Tourmaline : pierres multicolores II, nouvelles, Éditions J. Chambon, Nîmes, 1990
Les cartons de mon arrière-grand-père, Éditions J. Chambon, Nîmes, 1989
Le château des fous, Éditions Aubier (édition bilingue), Paris, 1979
« Gorgé des rumeurs et des flots de sève montante de leur jeune vie à peine commencée, les jeunes gens escaladaient la pente entre les arbres, parmi les chants des rossignols. Tout autour d’eux se déployait un paysage resplendissant où couraient les nuages. Dans la plaine, en contrebas, on pouvait apercevoir les tours et la masse des demeures d’une grande ville. »
Adalbert Stifter, L’homme sans postérité, traduction de Georges-Arthur Goldschmidt, Éditions du Seuil, Paris, [1995 ?], c. 1978
Eric Baude pour Danube-culture, © mis à jour mai 2024