Adelbert Muhr (1896-1977), écrivain danubien viennois

Le remorqueur Inn de la DDSG en 1924, photo source Fortepan 

   « Le vent s’était calmé. L’allée tournait vers une passerelle en bois puis pénétrait dans les forêts alluviales. Frajo dut les retraverser à nouveau pour pouvoir retourner sur la rive du fleuve vers Schramm, le premier pêcheur qui, de son propre chef s’était installé sur cette rive qui n’avait jamais encore connu d’inondation. Le village se tenait en arrière, le caquetage des troupeaux d’oies s’était perdu. Quand il atteignit la lisière de la forêt, il se retourna vers le clocher de l’église puis les bois l’accueillirent avec une chaleur lourde et étouffante.
Rien ne bougeait. Aucun oiseau ne chantait. Le chemin serpentait dans les fourrés, on ne voyait même pas à dix pas devant. Bien que le Danube fut encore loin, il le sentait déjà par tous les pores de sa peau, il le humait, il le goûtait, il s’imaginait qu’il pouvait déjà entendre son bruissement, son éternel bruissement qui était dans ses oreilles dès sa naissance, oui, même avant sa naissance quand il était encore dans le ventre de sa mère. Il avait appris à nager en même temps que marcher ; certains disaient qu’il savait même mieux nager que marcher ; ce qui était sûr, c’est qu’il se sentait chez lui dans l’eau comme sur la terre ferme. S’il pouvait monter si merveilleusement à cheval, bien qu’il ait eu de moins en moins d’occasions de le faire, c’était grâce au fleuve et aux trains de bateaux tirés par des chevaux qui remontaient le Danube en si grand nombre ; déjà tout petit il avait caracolé sur un cheval sellé ou non, guidé par l’appel du conducteur de l’équipage tandis que la corde tendue du bateau grinçait derrière lui. Son audacequi l’avait même poussé jusqu’à monter les chevaux les plus sauvages, l’avait plus tard rendu célèbre. Oublié la crue, le danger auquel la maison de ses parents était aussi exposée, il marchait à grands pas de manière vive et joyeuse et commença, dès que le dernier oiseau s’était tu, à fredonner les rythmes de la marche de Radetzky aux rythmes dignes d’une chasse, qui, les piétinements de la cavalerie déchaînée et se perdant au loin, s’emparaient de lui dès lors qu’il s’occupait de monter à cheval…
Quatre jours après ces événements dramatiques qui, de par leurs conséquences immédiates et leurs effets indirects, allaient changer bien des caractères et le destin de certaines vies, quatre jours plus tard un étrange cortège funèbre remontait le Danube. Étrange le lieu d’où celui-ci était parti, une auberge isolée au bord du fleuve, étrange l’endroit vers lequel il se dirigeait. C’était vers ce cimetière auquel on avait donné le nom effrayant de « Cimetière des anonymes ».
Dans ce cimetière, comme son nom l’indique, avaient été enterrés des inconnus qu’il avait été impossible d’identifier, des morts emmenés par le Danube, des cadavres gonflés d’eau qui avaient été traînés par le courant pendant des jours, des semaines ou des mois, repliés, ballotés, déformés, métamorphosés, portés par le fleuve avec miséricorde ou au contraire impitoyablement noyés dans les profondeurs, innocents et coupables, bénis ou maudits, misérables, dépravés. Pour tous, le ruissellement éternel du fleuve était déjà la révélation de l’autre monde, la grande unité de sa musique qui ne laisse percevoir que les échos de l’au-delà, l’enfer ou le paradis du Danube qui ruisselait déjà vers eux… »

Adelbert Muhr (1896-1977), « La procession fluviale », in Le fils du fleuve, un roman danubien, 1945

Adelbert Muhr (1896-1977), photo source Lobau Museum

Publications d’Adelbert Muhr
Le mystérieux Ostrong, Sankt Pölten, St. Pöltener Zeitungsverlagsgesellschaft, [1942] (= Niederdonau, Ahnengau des Führers. Schriftenreihe für Heimat und Volk. 66.)
En canoë, radeau et bateau à vapeur, une croisière sur le Danube à travers le Bas-Danube, Sankt Pölten, St. Pöltener Zeitungsverlagsgesellschaft, [1942] (= Niederdonau, Ahnengau des Führers. Schriftenreihe für Heimat und Volk. 74.)
Le voyage vers la Chanson des Nibelungen, Vienne-Berlin-Leipzig, Bischoff, 1944 (= Die hundert kleine Bücher. 29.)
Le fils du fleuve, un roman danubien, Berlin-Vienne-Leipzig, Bischoff, 1945
La vieille Vienne aujourd’hui, Vienne, Touristik-Verlag, 1946
Les tempêtes, trois nouvelles, Vienne, E. Müller, 1946
Le Livre du Prater, avec des illustrations de Hans Robert Pippal, Vienne, E. Müller, 1947
Entre la Moldau et le Danube, un livre de randonnée et d’évasion, Vienne, Touristik-Verlag, 1948
La femme du capitaine, Pièce radiophonique, création Radio Wien, 1948, inédit.
La rhapsodie de la Tisza, roman. Vienne, Zsolnay, 1949
Amour sur des chemins sombres, roman, Linz, Demokratische Druck- und Verlagsgesellschaft, [1950] (= Die Bären-Bücher. 12.)
La comtesse turque, un roman historique, Linz, Demokratische Druck- und Verlagsgesellschaft, [1950] (= Die Bären-Bücher. 20.)
L’ambassade sur l’Ohio, Vienne, Waldheim-Eberle, [1952] (= Die bunte Reihe. 7.)
«Et tranquillement coule le Rhin…», le carnet de voyage d’un grand amour. Hambourg / Vienne, Zsolnay / Elbemühl, 1953
Le message de la pomme, Vienne, Leinmüller, 1955 (= Das große Abenteuer. 43.)
Ils nous ont tous quittés, roman du paquebot « Austria », Hambourg-Vienne, Zsolnay, 1956
Sous le soleil magique du Rhône, le carnet de voyage d’un grand amour. Illustré par Wilfried Zeller-Zellenberg. Vienne, Verlag für Jugend und Volk, 1959
Excursions sur le Danube entre Vienne et Hainburg, y compris la Lobau, le Marchfeld, Fischamend, Bruck a.d. Leitha et Neusiedl am See, Vienne, Eurasia-Verlag/Verlag Jungbrunnen, [1960] (= Wandere mit. 4.)
Excursions sur le Danube entre Vienne et Dürnstein, Vienne, Eurasia-Verlag/Verlag Jungbrunnen, [1960] (= Wandere mit. 5.)
(traducteur) Eugène Susini, Autriche, (traduit par Adelbert Muhr), Würzburg-Wien, Zettner, 1961
Du vieux Jelinek-Pollak-Streinz à moi-même, essais littéraires, Vienne, Bergland-Verlag, 1962 (= Neue Dichtung aus Österreich. 85/86.)
Le dernier voyage, roman, Vienne-Hambourg, Zsolnay, 1963
Le Danube en images couleur, 47 planches en couleur, texte d’Adelbert Muhr,(Traduction des légendes en anglais par Joseph S[torey], Rippier, en français par Albert Barrera-Vidal), Innsbruck / Frankfurt am Main, Pinguin Verlag/Umschau Verlag, [1970]
Des rails et des bateaux, petite prose, voyages et une pincée de vers, (publié à l’occasion du 75e anniversaire de l’auteur), Vienne, Bergland Verlag, 1972
Voyage autour de Vienne en dix-huit jours, notes d’un voyageur à pied, (dessins dans le texte de Wilfried Zeller-Zellenberg), Vienne, Amalthea 1974, contient deux chapitres sur Gramatneusiedl et Marienthal
Le chant du Danube, trilogie de romans. Vienne-Hambourg, Zsolnay, 1976, contient Le fils du fleuve (1945), Ils nous ont tous quittés (première édition 1956), Le dernier voyage (première édition en 1963).
Le fougueux Elias, les petits chemins de fer d’Europe, (La déclaration d’amour d’un amoureux des chemins de fer), dessins de Wilfried Zeller-Zellenberg, Vienne, Amalthea, 1976

Danube-culture, © droits réservés, mis à jour mars 2024

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