Le Danube à travers les cartes : l’Atlas Maior de Joan Blaeu (1595-1673)

Cartouche de la carte du D A N V B I U S, FLUVIUS EUROPAE MAXIMUS, A FONTIBVS AD OSTIA, Cum omnibus Fluminibus, ab utroque latere, in illum defluentibus. Le Danube, le plus grand fleuve d’Europe, de la source à l’embouchure avec tous les fleuves qui s’y jettent des deux côtés.

Cette carte du Danube (III/19) avec sa cartouche est singulière à plus d’un point. Alors que la plupart du temps les toponymes sont entourés de figures conventionnelles de divinités et de symboles d’abondance, celui-ci est encadré de personnages réalistes et met en scène le conflit qui opposa l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Charles Quint (1500-1558) à Soliman le Magnifique (1495 ?-1566), sultan de la Grande Porte ou selon d’autres sources, Ferdinand III de Habsbourg (1608-1657) à Mourâd IV (1612-1640). À gauche, l’Empire des Habsbourg est symbolisé par un aigle noir à deux têtes sur un bouclier de couleur jaune et un crucifix tenus par un personnage en retrait de l’empereur. L’empereur chrétien, plutôt dans une attitude défensive, tient l’épée impériale de la main droite et l’orbe impériale dans la main gauche, tous deux symboles du Saint Empire Germanique avec le crucifix. À droite, l’Empire Ottoman est représenté par le sultan Soliman le magnifique, coiffé d’un turban rehaussé de trois plumes colorées qui tient un bouclier de la main gauche et brandit un cimeterre de la main droite. L’attitude est celle d’un conquérant à l’image de Soliman le Magnifique. Non seulement le sultan brandit un cimeterre en direction de Charles Quint mais le personnage qui se tient à ses côtés, apparaissant sous les traits d’une jeune femme tenant une lampe à huile, foule un crucifix sous son pied droit. Au pied de Soliman on voit une salamandre, allusion au fait que le sultan avait trouvé un allié dans le roi de France François Ier ( 1494-1547) dont l’emblème familial était la salamandre.On remarquera également que l’empereur chrétien et le sultan ottoman portent tous les deux la barbe, alors à la mode mais aussi symbole de virilité et de maturité.

Les 6  Bouches du Danube sur la carte du Danube de l’Atlas Maior de Johann Blaeu, 1662

   L’illustration ci-dessus est un détail de la carte du cours du Danube de L’Altas Maior (Danubius, Fluvius Europa Maximus, III 19) centré sur les 6 « embouchures du Danube » dont les noms sont indiqués en latin (Pulchrum ostium, Sacrum ostium…).
Les deux illustrations ci-dessous concernent des détails d’une carte de l’archiduché d’Autriche traversé par le Danube (Austria Archiducatus, III/2) dont l’auteur est… le médecin cartographe et historien autrichien Wolfgang Lazius (1514-1565). Cette carte incorporée à la publication de Johann Blaeu est donc déjà vieille de près d’un siècle lorsque paraît l’Atlas Maior !

Le Danube, Viennne et l’Archiduché d’Autriche, détail, Atlas Maior de Johann Blaeu, 1662

On y voit tout Vienne fortifiée, qui sera encore sous la menace de l’Empire ottoman au XVII siècle (jusqu’en 1683), sur la rive droite du fleuve, un pont en trois partie à la hauteur de la ville qui le traverse et s’appuie sur deux îles. Deux autres ponts permanents (et à péage…) franchissaient le Danube sur le territoire de l’archiduché d’Autriche qui appartenait au Saint Empire Romain Germanique et dont l’empereur était à l’époque de la publication de l’Atlas maior, Léopold Ier de Habsbourg (1640-1705), celui de Mautern, en amont de Vienne et le troisième à la hauteur de Mauthausen, en aval de Linz. Ces deux toponymes proviennent d’ailleurs de la même racine, « Maut », signifiant péage en allemand.

Le Danube et l’Archiduché d’Autriche, détail du cours du fleuve en Haute-Autriche, Atlas Maior de Johann Blaeu, 1662

 Un deuxième détail de cette même carte se situe cette fois à l’ouest de l’Archiduché d’Autriche, à l’endroit où le Danube quitte le duché de Bavière. Sur la droite du fleuve le nom d’une cité, Pariz (!) pourrait indiquer qu’il s’agit de Passau tout en n’étant pas placé correctement c’est-à-dire au confluent de l’Inn avec le Danube. L’échelle graphique est en milles germaniques (1 mille = 7, 4 km). Selon un texte accompagnant cette carte « Les hommes et les femmes de condition se plaisaient, avant et depuis ces dernières guerres, à se vêtir à la française, et même ceux qui se croyaient au rang des honnêtes hommes, s’habillaient le plus qu’ils le pouvaient à la mode de France, mais ceux qui suivent la cour de l’empereur, à cause de l’affection qu’il porte à l’Espagne, se sont ordinairement presque tous vêtus à l’espagnol ».

   Seule la première partie du projet d’édition de l’Atlas Maior initial (9 à douze volumes selon les éditions latines, françaises, néerlandaises, espagnoles et « allemandes ») fut publiée. La deuxième partie qui contenait des cartes des mers et la troisième avec des cartes du ciel ne verront jamais le jour.

« Le Danube, épanchant ses eaux sur les douces pentes et les calmes hauteurs du Mont Abnoba, rend visite à de nombreux peuples, puis se précipite dans le mer Pontique par six bouches : un septième bras se perd dans les marais. »

Publius Cornelius Tacitus (56,-120 ? après J.C.)
Eric Baude, Danube-culture © mars 2022, droits réservés
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