L’abbaye bénédictine de Melk

   « L’abbaye bénédictine de Melk domine le paysage environnant avec ses magnifiques bâtiments, l’édifice le plus imposant de tout le cours du Danube, célébré par des chants et des récits depuis sa fondation au XIe siècle. De sa grande terrasse, on découvre toute la majesté du fleuve, dont la large nappe d’eau brillante s’étend de la plaine, bien au-delà de Pöchlarn, jusqu’à l’ombre du défilé en contrebas à travers lequel il se fraye un chemin entre des hauteurs escarpées, dentelées d’énormes rochers et de ruines de forteresses.

Georg Janny (1860-1935), l’abbaye bénédictine de Melk, huile sur toile

Il n’y a pas de tronçon plus grandiose et plus romantique du Danube en amont de Vienne que les quelques kilomètres en aval de Melk, car les sommets sont plus hauts et plus audacieux et les rochers plus sauvages que dans n’importe quelle autre gorge. Des ruines d’anciens châteaux-forts de brigands sont perchées sur chaque pinacle vertigineux, des ravins profonds avec des ruisseaux tumultueux marquent les flancs de la montagne, et de grandes parois rocheuses déchiquetées s’élèvent au-dessus des sombres frondaisons, formant souvent des barrières infranchissables le long des pentes les plus vertigineuses. Le courant tourbillonnant nous fit traverser trop rapidement ce tronçon d’une beauté enchanteresse, et lorsque, au coucher du soleil, nous vîmes la grande ruine de Dürrenstein [Dürnstein] dresser ses nobles tours sur le ciel violet, nous choisîmes un campement sur la rive opposée et regardâmes les dernières lueurs dorées du soleil s’éteindre sur ses créneaux brisés… »
Francis Davis Millet, « Melk and the pass below », The Danube from the Black Forest to the Black Sea, 1893

Johann Ziegler (1750-1812), graveur d’après un dessin de Lorenz Janscha, (1749-1812), vers 1810

 

Melk, le Danube et ses îles en 1866, auteur inconnu

« Melk, le plus beau sanctuaire danubien, où résidèrent ces Babenberg, premiers dynastes autrichiens de l’an mille avant les Habsbourg… Melk sur son roc, à l’entrée du défilé de la Wachau, avec sa terrasse insolente sur le fleuve, sa cour des Prélats, sa salle des Marbres, sa bibliothèque bénédictine, aussi belle que celle de la Hofburg. »
Paul Morand

Walter Prinzl (1891-1937), l’abbaye de Melk enneigée, 1922

« Et comment dire la beauté de Melk élevant sa façade ocrée au-dessus du Danube, le jeu subtil qui s’y joue entre la droite et la courbe, et comment les surfaces s’y animent en s’incurvant, à croire que c’est dans les eaux mêmes du fleuve que l’architecte est allé puiser ses formes ? »
Philippe Jaccottet

    « Pour voir cette abbaye, il faut fermer les yeux et te laisser frissonner. Remonte jusqu’au lieu dans le temps où elle est semence dans l’esprit d’un seul, de quelques seuls…

   C’est un lieu de vertige.

   À force de traiter les oeuvres d’art comme de la matière et non comme des visions hissées jusqu’à la visibilité, on perd la trace de l’essentiel : le lieu où la vision a germé, a surgi, s’est déployée. C’est à ce lieu qu’il faut s’attarder. C’est celui de notre humanité co-créatrice, la grande pépinière de l’aujourd’hui. Pénétrer jusque dans le coeur de l’homme (des hommes) où germe l’idée créatrice sous la nécessaire poussée du Vivant. Assise, les yeux fermés, à vingt ans, dans l’abbaye de Melk, j’ai touché ce secret. »
Christiane Singer, N’oublie pas les chevaux écumants du passé, Albin Michel, Paris, 2005

Abbaye de Melk, coupole de la basilique, photo Danube-culture © droits réservés


Ici, sur ces hauteurs au pied desquelles le Danube régulé s’est en principe apaisé sauf lors d’inondations exceptionnelles qui ont encore récemment meurtri la jolie petite ville voisine de Melk, l’énergie et la foi du jeune abbé Berthold Ditmayr (1670-1739) conjuguées au génie et à l’inspiration des architectes Jakob Prandtauer (1660-1726) et Franz Muggenast (1680-1741), des peintres Paul Troger (1698-1762), Michael Rottmayer (1654-1730), Johann Josef Bergl (1719-1789), élève de Paul Troger et des artisans talentueux qui les entouraient, ont engendré un miracle d’élégance et de puissance architecturales.

L’abbé Berthold Ditmayr, (1670-1739), grand rénovateur de l’abbaye bénédictine de Melk

L’agencement, la forme et la couleur des bâtiments au sommet de la colline qui réalisent la métamorphose architecturale des éléments naturels environnants, la coupole octogonale et les deux clochers jumeaux de la collégiale saint-Pierre et Paul, la grande cour à l’atmosphère solennelle et les cours secondaires, les terrasses, les pavillons latéraux, le couloir impérial, les jardins, l’orangerie, le paysage et les reliefs ondoyants des alentours, le jeu des lumières aux différentes heures du jour et des saisons, tout concoure à une extraordinaire mise en scène qui n’a évidemment rien du hasard et dont la grandeur tout autant qu’une certaine retenue s’avèrent fascinantes et paraissent avoir été volontairement soumises à l’ordre et à la raison. Comme un écho à l’architecture extérieure, la fresque allégorique de Paul Troger, dans la salle de marbre au plafond en trompe-l’oeil, aux hautes et larges fenêtres séparées par des pilastres en stuc imitant le marbre, met en scène la raison guidant l’humanité vers la lumière de la civilisation et de la culture.

La fresque allégorique en trompe l’oeil parfait de Paul Troger dans la salle de marbre, photo Danube-culture, © droits réservés

   Le plafond à la thématique religieuse de l’extraordinaire et conséquente bibliothèque a été également réalisé par ce même peintre. Cette bibliothèque comprend 1800 manuscrits dont le plus ancien, de la main de Bède le vénérable, date du début du IXe siècle.

Fragment de la « Chanson des Nibelungen« , un des trésors conservés dans la bibliothèque de l’abbaye, photo droits réservés

D’importantes copies des commentaires de Saint-Jérôme, des commentaires de la Règle de Saint-Benoît, des copies de l’Écriture sainte, des collections de recueils de formules et des textes juridiques remontent à la première apogée de la vie monastique de l’abbaye (1140-1250). Une grande partie des anciens documents historiques ont toutefois été détruits au cours du grand incendie de 1297, un évènement auquel fait référence l’écrivain italien Umberto Eco dans son livre « Au nom de la Rose ».

La bibliothèque de l’abbaye, photo droits réservés

Les deux tiers des manuscrits datent de la période ultérieure de réforme des monastères au XVe siècle, période au cours de laquelle l’abbaye de Melk est considérée comme un modèle et attire des étudiants et des professeurs de l’université de Vienne. La majorité des textes rédigés et copiés à cette époque sont des livres de piété et des sermonnaires. Les lieux abritent encore 750 incunables, 1700 oeuvres du XVIe siècle, 4500 volumes du XVIIe et 18 000 livres du XVIIIe siècle. La collection de la bibliothèque de l’abbaye bénédictine de Melk se monte en totalité à plus de 100 000 livres.
La collection de la bibliothèque compte également de superbes globes terrestres illustrant l’inextinguible soif de connaissance et de curiosité universelle des bénédictins que les 29 moines de l’abbaye de Melk d’aujourd’hui comme ceux des autres abbayes bénédictines perpétuent.

L’escalier de la bibliothèque, photo Danube-culture, droits réservés

La musique à l’abbaye de Melk

   La fondation de l’abbaye bénédictine de Melk en 1089 se situe dans le cadre du «groupe de réforme» des couvents bénédictins de Hirsau (Bade-Wurtemberg, Allemagne) et d’Admont (Styrie, Autriche). Il se concrétise par l’installation sur les lieux de moines venant de l’abbaye bénédictine de Lambach (Haute-Autriche). Des fragments de « Consuetudines monasticae » décrivant les activités quotidiennes des moines de Melk, datant du milieu du XIIe siècle, illustrent les nombreux efforts de réforme et à quel point ils furent également imités par certains autres couvents dans leur vie monastique.
Les premiers témoignages de la pratique musicale de l’abbaye sont, pour presque tout le Moyen-Age, en premier lieux ceux qui concernent la liturgie sacrée. La seule exception est une une ballade française à deux voix sans texte qui a été inscrite en 1415/30 sur le premier feuillet du fameux codex 391 des annales de Melk, en marge du chant marial de l’abbaye, et qui a donné lieu à de nombreuses hypothèses. Sont conservés de la première période, jusqu’à la fin du XIIe siècle un calendrier/nécrologique, la dite « Chanson de Marie de Melk » (Codex 391), un pontifical (recueil de cérémonie, Codex 591), un « Liber Ordinarius » appartenant aux « Consuetudines monasticae » (Codex 1977), un lectionnaire (livre liturgique, Codex 820) et un homiliaire (recueil d’homélies). On trouve également de nombreux autres fragments musicaux. Suivent chronologiquement un « Antiphonale Missarum » (Codex 709) et un Graduel (recueil de chants grégoriens, Codex 1792).
La tradition va s’améliorer avec les nouvelles pratiques introduites par la première réforme de Melk. À l’époque, les actes des visites mais aussi de nombreux traités, dénoncent des abus, ce qui nous permet d’en apprendre un peu plus sur la pratique musicale réelle. L’image positive de cette pratique musicale que nous transmettent les prescriptions consignées dans les « Consuetudines », en premier lieu les « Sublacenses/Mellicenses » puis, à partir des années 1460, les « Mellicenses » elles-mêmes, est cependant bien plus précise. Elle indique une forme de régression à certains égards notamment en ce qui concerne l’utilisation des instruments de musique et la place de la polyphonie dans la liturgie. Il est vrai que l’organisation musicale de l’office avait alors pour unique but de soutenir la force d’expression de la parole, l’attention ne se portant pas uniquement sur la psalmodie (psaumes) ou sur le respect des pauses centrales. Dans les règles concernant les visites, il est spécifié que les mélodies ne doivent pas être « more Italorum saltatice necnon modum choreizantium ». (On peut toutefois se demander s’il ne s’agit pas ici de préciser que celles-ci doivent être simplement d’un rythme paisible ; si tel est le cas, il ne faut pas alors attribuer au terme « chorea » le sens du latin antique).
S   i le Moyen-Âge concerne en premier lieu des témoignages musicaux et liturgiques au sein du monastère, la situation évoluera au cours de l’époque suivante. Au XVIe siècle, le contexte de crise de Melk ressemble à l’atmosphère de nombreux autres monastères. Cette crise, dépassant le cadre de la vie spirituelle, naît de la montée du protestantisme. Elle pousse de nombreux moines à quitter le monastère, lcette croyance leur paraissant ouvrir de nouvelles perspectives. Il ne faut toutefois pas voir cet exode uniquement de manière unilatérale ou comme une opportunité intéressante de pouvoir se marier car de nombreux moines s’étaient intimement familiarisés avec les idées de Martin Luther. Malgré tous les efforts de réforme de la pratique liturgique catholique, les résultats resteront décevants dans la deuxième moitié de ce siècle. Les divers rapports, (procès-verbaux de visite, examens réalisés dans le cadre de la Contre Réforme), montrent tout d’abord une absence de progrès en ce qui concerne la qualité des chanteurs et la prestation musicale durant les offices. Même à l’époque où le monastère de Melk sera dirigé par l’abbé Ulrich Perntaz (1564-1587), il semblerait qu’il y ait eu lieu de se plaindre du niveau de la pratique de la musique. D’où la nécessité de réunir les fonctions de chantre et d’abbé dans les années 1570. L’amélioration de la situation générale du catholicisme liée au mouvement de la contre-réforme et du statut spirituel de l’abbaye de Melk, se répercuta également sur la qualité de la pratique musicale. Il devint au court du temps de plus en plus courant que les « pueri » (élèves et jeunes chanteurs) de Melk participent non seulement à la liturgie mais qu’ils soient également invités à participer aux fêtes, réceptions, cérémonies de la cour impériale de Vienne et d’autres personnalités et qu’ils se produisent à ces occasions accompagnés d’instruments, en général à la grande satisfaction de leurs auditeurs. Des « pueri » du couvent de Melk seront par la suite engagés dans la chapelle musicale impériale de la cour. À la fin du XVIe siècle et surtout au XVIIe siècle, la culture de la musique et des arts du spectacle, souvent intimement liées, fait l’objet de comptes-rendus détaillés, en particulier lorsque les représentations ont lieu devant l’empereur ou des membres de sa famille. Les lettres de remerciements adressées à l’abbé de Melk, illustrent la satisfaction  de la cour pour la prestations des « pueri » de l’abbaye.

Franz Sebastian Rosenstigl (1702-1785), L’abbaye de Melk, 1736. Cet architecte, peintre et dessinateur viennois  travaille, après avoir étudié à l’Académie pour l’abbaye de Melk dès 1728 et conçoit des arcs de triomphe, des échafaudages funéraires, le pavillon et les aménagements du jardin. Il peint des tableaux d’autel latéraux (1732) ainsi que des fresques (1743). En 1736, il peint quatre grandes vues aériennes de l’abbaye, dont l’une a été conservée et gravée sur cuivre par Franz Leopold Schmitner. Dans les années 1740, il réalise une série de vue des monastères servites en Autriche et, entre 1754 et 1756, un projet pour les flèches de l’église servite de Vienne. 

Dès la fin du XVIIe siècle, et surtout à partir du XVIIIe siècle, de nouvelles impulsions se confirment non seulement dans le domaine spirituel, comme par exemple la surveillance plus stricte du respect des heures de prière du chœur par les moines, mais aussi dans le domaine musical. On en viendrait presque à douter qu’à cause des nombreux travaux de rénovation et de construction des nouveaux bâtiments devant entraîner une grande agitation à l’abbaye, que les éphémérides du prieur aient pu enregistrer malgré tout un « status vivendi » donnant, à de rares exceptions près, l’image d’une institution religieuse qui fonctionnait bien. Une fois de plus, c’est le prieur, et non l’abbé qui nous a légué ces éphémérides. De nombreuses recherches menées sur place, permettent également d’avoir accès à des documents d’une grande fiabilité dans ce domaine y compris dans celui de la pratique musicale.
Le 18 juillet 1701 marque l’entrée de l’abbaye bénédictine de Melk dans une nouvelle ère. À l’occasion de la consécration de Berthold Dietmayr (1670-1739) comme abbé de l’abbaye, Johann Joseph Fux (1660-1741), compose son opéra « Neo-Exoriens Phosphorous, id est neo-electus et infulatus praesul Mellicensis, », une  oeuvre entièrement dans le style du drame scolaire jésuite. La représentation n’est pas seulement dirigée par Johann Joseph Fux, qui avait été nommé maître de chapelle de la cour impériale de Vienne par Léopold Ier mais aussi interprétée par des musiciens et des chanteurs de la cour témoignant ainsi des liens étroits à cette époque entre les Habsbourg et l’abbaye de Melk et en particulier des relations intimes que l’abbé Berthold Dietmayr entretenait avec le milieu viennois. Cet évènement ne doit pas être considéré uniquement comme un signe du goût du faste qu’on attribuait volontiers à l’abbé Dietmayr mais également comme son souci de prendre soin de la liturgie et de la place de la musique au sein de celle-ci. Une préoccupation encore confirmée par le fait qu’il nomma un «Instructor in cantu chorali»  aux côtés du Regenschori de l’abbaye.

La « Biblioteca Mellicensis » du père bénédictin Martin Kropff

   Dans sa « Bibliotheca Mellicensis Sev Vitae, Et Scripta Inde A Sexcentis Et Eo Amplivs Annis Benedictinorvm Mellicensivm », datée de 1747, le père bénédictin et bibliothécaire de Melk, Martin Kropff, n’a pas seulement répertorié les principaux moines du monastère depuis sa fondation, mais aussi les musiciens qu’il connaissait. Si le « status vitae monasticae » était conforme aux règles de l’ordre bénédictin et fidèle aux diverses «Consuetudines», la pratique de la musique ne posait généralement pas de problème. La formation des musiciens et des chanteurs en premier lieu, était d’ailleurs considérée comme une préparation à la liturgie. Le fait que le monastère ait eu d’autres missions à accomplir dans ce domaine, en raison des visites impériales ou d’autres souverains, visites alors nombreuses, attira de grands musiciens et artistes à l’abbaye. Il était aussi courant que l’on consacre trop d’effort à l’exécution de ces missions.
À la fin du XVIIe, au XVIIIe et particulièrement au début du XIXe siècle, un grand nombre de musiciens furent actifs à Melk, non seulement en tant que moines mais aussi comme enseignants invités, soit parce qu’ils avaient été sollicités par l’abbaye, soit parce qu’ils désiraient faire de la musique avec des moines de Melk. Citons parmi les moines musiciens les pères A. Baumgartner, L. Thonhauser, P. Utz et C. Fröhlich. Le père Robert Kimmerling (1737-1799), élève de Joseph Haydn, enseigna à P. M. Paradeiser, P. R. Helm, A. Müller, G. Mayer, C. Andorfer et Maximilien Stadler.

Maximilian Stadler (1748-1833) vers 1830

   Parmi les musiciens invités, on rencontre Wolfgang Amadeus Mozart qui séjourna encore très jeune, deux fois à l’abbaye en 1767 et 1768, ainsi que Johann Georg Albrechtsberger (1736-1809) qui, en tant qu’organiste de l’abbaye avant d’être nommé organiste de la cathédrale saint-Étienne de Vienne, y joua des œuvres de Johann Joseph Fux, Antonio Caldara, Giovanni Baptiste Pergolesi, Carl Heinrich Graun et Georg Friedrich Händel. De nombreuses et fastueuses fêtes pour diverses circonstances comme les anniversaires des élections abbatiales, eurent lieu dans cette période. Pour toutes ces occasions, on faisait appel à la musique, un art qui connut son apogée à Melk au XVIIIe siècle, avant que les réformes drastiques de l’empereur Joseph II n’entraînent de profonds bouleversements dans la vie monastique. L’élève de J. G. Albrechtsberger, F. Schneider, composa toutefois dans ce contexte défavorable, une messe à l’occasion des fêtes du sept-centième anniversaire du monastère. L’établissement scolaire religieux fut ensuite transféré dans la ville voisine de Sankt Pölten et l’abbaye fermée. Seuls quelques « puer » demeurèrent sur place.
Le monastère rouvrit ses portes en 1811 sous la responsabilité de l’abbé Anton Reyberger (1810-18). Les pères F. Mainoli        († 1849), Robert Stipa (1781-1850), F. Schneider et P. A. Krieg, furent responsables de la musique. Le fonds du père Robert Stipa (1785-1850), qui a copié des cadences de manuscrits de Ludwig van Beethoven et dont la collection de plusieurs centaines de compositions et a été conservé presque intégralement, est un des trésors des archives musicales de l’abbaye.
À l’époque du Biedermeier, les « chambres impériales » furent réaménagées, mais les visites des souverains s’estompèrent. La musique  garda malgré tout son importance lors des cérémonies profanes et religieuses. Un grand nombre d’instruments du XVIIIe et du XIXe siècles qui ont pu être conservés, en témoignent comme par exemple une viole de gambe de G. Aman, un piano girafe du facteur viennois Heinrich Janssen datant de la première moitié du XIXe siècle ou un pianoforte d’un autre facteur viennois de l’époque Biedermeier, Conrad Graf (1782-1851).
Outre le souci prioritaire de rendre la liturgie particulièrement solennelle, les anniversaires, les fêtes patronymiques, les jubilés d’abbés, parfois de prieurs, comptaient bien sûr, comme à l’époque précédente, parmi les occasions pour lesquelles on composait spécialement de la musique. Citons par exemple une cantate interprétée par le lycée du couvent en hommage au 50e anniversaire de l’ordination de l’abbé Marian Zwinger (1819-37). Les programmes de ce que l’on appelait alors les « Abendmusiken » de l’abbaye sont tout aussi intéressants.
Le XXe siècle a vu s’épanouir une vie musicale correspondant aux évolutions historiques. A. Triftiger, le père Brandstetter et bien d’autres moines se sont efforcés de manière particulièrement active, d’ancrer encore plus profondément la musique dans la vie de l’établissement scolaire de l’abbaye, notamment depuis l’admission des filles au lycée et dans différentes chorales. Les multiples représentations et évènements musicaux qui ont lieu aujourd’hui témoignent du statut élevé que la musique conserve à Melk, en premier lieu pour le culte, mais aussi pour des représentations profanes.
La collection des archives musicales, dirigées par le père Ludwig Wenzl, est riche d’environ 12 000 cotes, dont près 4 000 manuscrits ainsi que des documents musicaux imprimés, de la littérature spécialisée, des écrits théoriques sur la musique et plus de 150 instruments de musique des époques Baroque, Classique, Romantique.
L’abbaye accueille depuis quelques années l’un des principaux festivals de musique baroque d’Autriche, les « Internationale Barocktage Stift Melk » et les « Sommerorgel Konzert ».

Les orgues et les cloches de l’abbaye

   L’abbaye de Melk ne possède pas moins de cinq orgues dans ses murs : le grand orgue de la collégiale saint-Pierre et Paul, l’orgue de la sacristie d’été, l’orgue de la salle Koloman, l’orgue de la chapelle bénédictine et le petit orgue positif, datant de la première moitié du XVIIIe siècle, à l’origine destiné à la chapelle de sainte-Marie de l’Assomption et désormais installé dans la collégiale où il est joué à l’occasion des vêpres dominicales.
Du grand orgue d’origine de la collégiale, réalisé par le facteur viennois Gottfried Sonnholz (1695-1781) qui a également construit des orgues pour les couvents de Klosterneuburg, Mariazell, à la Karlskirche de Vienne et pour de nombreux autres édifices religieux, il ne reste plus que la façade datant de 1731/32, l’instrument et son mécanisme ayant été transformés radicalement en 1929. En 1970, Gregor Hradetzky de Krems a installé un nouvel instrument à sommiers coulissants possédant 3.553 tuyaux répartis sur 45 registres et trois claviers et pédale. Cet instrument a été révisé en 2005 par Alexander Schuke et Bernhard Althaus. L’ensemble de la tuyauterie a été réharmonisé. L’orgue a été également doté d’un dispositif de composition électronique. Les quatre autres instruments sont dus aux facteurs d’orgues Reil, Hradetzky, Riedl et Ullmann.

Grandes orgues de la collégiale de Melk, photo Danube-culture, © droits réservés

Après l’incendie de l’abbaye en 1738, l’abbé Berthold Dietmayr conclut un contrat avec le fondeur de cloches viennois Andreas Klein pour l’acquisition de nouvelles cloches. En 1739, les deux tours de la collégiale furent terminées et les nouvelles cloches coulées. Ces cloches qui en avaient vu d’autres, ont faillirent être fondues pendant la Seconde Guerre mondiale pour être utilisées comme matériel de guerre.
La grande cloche du carillon est également la plus grosse de Basse-Autriche (7.840 kg, Ø 236 cm, tonalité : fa – 2). Il s’agit de la cloche « saint-Pierre-et-Paul »,  surnommée « Vesperin ». Elle est installée dans la tour nord et est sonnée lors des grandes fêtes de l’abbaye. Dans la tour sud se trouve la cloche de la Trinité ou « Angstglocke » (4.300 kg, Ø 178 cm, tonalité si + – 0). Une deuxième cloche, la cloche des sept douleurs, dite « cloche Ave Maria » (2.450 kg, Ø 152 cm, tonalité ré/1-3) est également située dans la tour sud. Cette cloche sonne tous les jours à 7 heures, à 12 heures et à 19 heures. La troisième cloche de la tour sud est la cloche Koloman (1.235 kg, Ø 118 cm, tonalité fa/1+3).

Photo droits réservés

La cloche de saint-Benoît (575 kg, Ø 96 cm, tonalité la/1+3) se trouve également dans la tour sud. Toutes les cloches sont sonnées lors des vêpres la veille et le soir d’une grande fête et avant une messe pontificale lors des grandes fêtes. Le dimanche, la cloche des sept-Douleurs, la cloche de saint-Coloman et la cloche de saint-Benoît sont utilisées pour l’appel à la messe. Une petite cloche de chœur (170 kg, Ø 65 cm, tonalité ré dièse/2+2) est suspendue dans une tourelle sur le toit de l’église, au-dessus du maître-autel. Elle est sonnée tous les matins pour la messe conventuelle (cinq minutes avant sept heures car la messe quotidienne commence à sept heures).

   La partie de l’article consacré à la musique à l’abbaye de Melk a été traduite, adaptée et complétée en français à partir de l’article de Meta Niederkorn : « Melk », in : Oesterreichisches Musiklexikon online, begr. von Rudolf Flotzinger, hg. von Barbara Boisits par Eric Baude pour Danube-culture.
https://dx.doi.org/10.1553/0x0001d956
https://www.stiftmelk.at

Autres sources musicologiques :
« Bericht über den Musikzustand des löbl. Stiftes Mölk » in alter und neuer Zeit in MusAu 3 (1982); [Kat.] 900 Jahre Benediktiner in M. Jubiläumsausstellung, 1989
J. F. Angerer (Hg.), Breviarium caeremoniarum Monasterii Mellicensis, 1987
J. F. Angerer, Lat. und dt. Gesänge aus der Zeit der M.er Reform, 1979
K. Hallinger
in [Fs.] H. de Boor, 1971
K. Hallinger in Untersuchungen zu Kloster und Stift, 1980
E. Höchtl, Die adiastematisch notierten Fragmente aus den Hss. der Stiftsbibliothek M., Diss. Wien, 1991
M. Ch. Nequette, Music in the manuscripts at the Stiftsbibliothek of abbey M., 1983
M. Niederkorn-Bruck, Die M.er Reform im Spiegel der Visitationen, 1994
Ch. Glaßner, Inventar der Hss. des Benediktinerstiftes M., 1990
Ch. Glaßner/A. Haidinger, Die Anfänge der M.er Bibliothek, 1996
I. F. Keiblinger, « Gesch. des Benedictinerstiftes M. » in Niederösterreich, seiner Besitzungen und Umgebungen. Bd. 1: Gesch. des Stiftes 21868
F. W. Riedel in Unsere Heimat 36 (1965); MGG 6 (1997)
R. Flotzinger in G. Fornari (Hg.), [Fs.] A. Dunning 2002; Chorbll. 6/1 (1950), 20

Luigi Kasimir (1881-1962), Le quai des Nibelungen à Melk, l’abbaye bénédictine et le Danube, eau-forte colorée, vers 1920

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour octobre 2025

Sources générales/ bibliographie :

Jaccottet, Philippe, « En descendant le Danube », in Autriche, L’Atlas des voyages, Éditions Rencontre, Lausanne, 1966
Morand, Paul, « Le Danube », Entre Rhin et Danube, Transboréal, Paris, 2011
Schmeller-Kitt, Adelheid, Klöster in Österreich,  Wolfgang Weidlich Verlag, Frankfurt/Main, 1983
Singer, Christiane, N’oublie pas les chevaux écumants du passé, Albin Michel, Paris, 2005 
Die Wachau, Niederösterreichische Kulturwege, NÖ Landesarchiv und NÖ Institut für Landeskunde, Sankt Pölten
Stifte und Klöster, Niederösterreichische Kulturwege, NÖ Landesarchiv und NÖ Institut für Landeskunde, Sankt Pölten
https://de.wikipedia.org › wiki › Stift_Melk
www.stiftmelk.at
 

Amand Helm (1831-1893), l’abbaye de Melk, Donau Album, 1868

Napoléon et l’île de la Lobau (campagne d’Autriche de 1809) I

La Grande Armée traverse le Danube avant la bataille de Wagram ( juillet 1809)

« Le Danube n’existe plus pour l’ennemi. Le général Bertrand [1773-1844] a, par dessus le fleuve le plus difficile du monde, et sur une longueur de 2400 pieds1, jeté, en 14 jours, un pont. Un travail que l’on aurait crût nécessiter plusieurs années, et qui a pourtant été achevé en 15 à 20 jours… ». (24ème Bulletin)
Note :
1 Un pied équivaut à 30, 48 cm, en l’occurence le pont devait mesurer près de 800 mètres de long ! 

Oeuvres de Napoléon Bonaparte
Guerre d’Autriche
Cinquième tome

Ebersdorf, 23 mai 1809, une heure du matin.
Il est de la plus grande importance, Monsieur l’Intendant général, qu’aussitôt la réception de cette lettre vous nous fassiez charger sur des bateaux 100,000 rations (le pain ou de biscuit, si vous pouvez les fournir, et autant de rations d’eau-de-vie ; que vous leur fassiez descendre le Danube pour se rendre à la grande île, où est notre pont de bateaux , c’est-à-dire au deuxième bras à gauche. Une grande partie de l’armée se trouvera cette nuit dans cette île et y aura besoin de vivres. Envoyez un employé qui descendra avec les bateaux , et, arrivé à la tête du pont, il fera prévenir le duc de Rivoli, qui se trouvera dans la grande île vis-à-vis Ebersdorf, afin qu’il ordonne la distribution de ces vivres , dont il a le plus grand besoin.
Dans la situation des choses, rien n’est plus pressant que l’arrivée de ces vivres.
Le prince de Neuchâtel, major général [le maréchal Louis-Alexandre Berthier, prince de Neuchâtel (1753-1815)].

Ponton-bateau des armées napoléoniennes

À Fouché. – Ebersdorf le 25 mai 1809
Je reçois votre lettre du 19. Vous avez vu par le bulletin ce qui s’est passé ici. La crue du Danube m’a privé de mes deux pont pendant plusieurs jours. Je suis parvenu enfin à les rétablir ce matin.

Las Cases [Emmanuel de las Cases, comte d’Empire (1766-1842] :
« Les premiers ordres sont donnés à l’instant même du désastre, et les préparatifs sont si rapides, que deux ou trois jours après la bataille, on voit déjà plusieurs sonnettes battre des pilotis au travers des deux grands bras du Danube (..) Le même jour, Napoléon détermine sur les lieux, et trace, de sa cravache sur le sable, le plan des ouvrages qui doivent former la tête des grands ponts et le réduit de Lobau ».

Tout ce qui flotte, ou y ressemble, est amené à hauteur de Kaiser-Ebersdorf. Pour relier l’île à la rive droite, un deuxième pont est construit, sur pilotis celui là, environ 40 m en amont de celui existant déjà. Il permet le passage de front de 3 voitures attelées, de l’artillerie et de la cavalerie.

Ludovico Visconti (1785-?), Napoléon ordonne de jeter un pont sur le Danube le 19 mai 1809.  La scène se passe sur la rive droite du Danube. Huile sur toile, ?, collection du château de Versailles, domaine public

Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.
Vienne, 3 juillet 1809.
   « Le duc d’Auerstaedt [Le maréchal,Louis Nicolas Davout (1770-1823), duc d’Auerstaedt et prince d’Eckmühl] a fait attaquer le 30, une des îles du Danube, peu éloignée de la rive droite, vis-à-vis Presbourg, où l’ennemi avait quelques troupes.
Le général Gudin [1768-1812] a dirigé cette opération avec habileté : elle a été exécutée par le colonel Decouz [1775-1814] et par le vingt-unième régiment d’infanterie de ligne, que commande cet officier. À deux heures du matin, ce régiment, partie à la nage, partie dans des nacelles, a passé le très petit bras du Danube, s’est emparé de l’île, a culbuté les quinze cents hommes qui s’y trouvaient, a fait deux cent cinquante prisonniers, parmi lesquels le colonel du régiment de Saint-Julien et plusieurs officiers, et a pris trois pièces de canon que l’ennemi avait débarquées pour la défense de l’île.

Général_César_Charles_Etienne_Gudin

Le général César Charles Étienne Gudin

Enfin, il n’existe plus de Danube pour l’armée française : le général comte Bertrand a fait exécuter des travaux qui excitent l’étonnement et inspirent l’admiration. Sur une largeur de quatre cents toises1, et sur un fleuve le plus rapide du monde, il a, en quinze jours, construit un pont formé de soixante arches, où trois voitures peuvent passer de front ; un second pont de pilotis a été construit, mais pour l’infanterie seulement, et de la largeur de huit pieds. Après ces deux ponts, vient un pont de bateaux. Nous pouvons donc passer le Danube en trois colonnes. Ces trois ponts sont assurés contre toute insulte, même contre l’effet des brûlots et machines incendiaires, par des estacades sur pilotis, construites entre les îles, dans différentes directions, et dont les plus éloignées sont à deux cent cinquante toises des ponts.

Quand on voit ces immenses travaux, on croit qu’on a employé plusieurs années a les exécuter ; ils sont cependant l’ouvrage de quinze  à vingt jours : ces beaux travaux sont défendus par des têtes de pont ayant chacune seize cents toises de développement, formées de redoutes palissadées, fraisées et entourées de fossés pleins d’eau. L’île de Lobau est une place forte : il y a des manutentions de vivres, cent pièces de gros calibre et vingt mortiers ou obusiers de siège en batterie. Vis-à-vis Esling, sur le dernier bras du Danube, est un pont que le duc de Rivoli a fait jeter hier. Il est couvert par une tête de pont qui avait été construite lors du premier passage.
Le général Legrand [1762-1815], avec sa division, occupe les bois en avant de la tête du pont.
L’armée ennemie est en bataille, couverte par des redoutes, la gauche  à Enzendorf, la droite à Gros-Aspern : quelques légères fusillades d’avant-postes ont eu lieu.
À présent que le passage du Danube est assuré, que nos ponts sont à l’abri de toute tentative, le sort de la monarchie autrichienne sera décidé dans une seule affaire.
Les eaux du Danube étaient le premier juillet de quatre pieds au-dessus des plus basses et de treize pieds au-dessous des plus hautes.
La rapidité de ce fleuve dans cette partie est, lors des grandes eaux, de sept à douze pieds, et lors de la hauteur moyenne, de quatre pieds six pouces par seconde, et plus forte que sur aucun autre point. En Hongrie, elle diminue beaucoup, et à l’endroit où Trajan fit jeter un pont, elle est presque insensible. Le Danube est là d’une largeur de quatre cent cinquante toises ; ici il n’est que de quatre cents. Le pont de Trajan était un pont de pierres fait en plusieurs années. Le pont de César, sur le Rhin, fut jeté, il est vrai, en huit jours, mais aucune voiture chargée n’y pouvait passer. Les ouvrages sur le Danube sont les plus beaux ouvrages de campagne qui aient jamais été construits… »
Note :
1 Une toise mesure 1, 949 mètre, quatre cent toises équivalent à  779, 6 mètres soit sensiblement la même longueur que précédemment

Napoléon sur l’île de la Lobau

Vingt-cinquième bulletin de la grande-armée.
Wolkersdorf, 8 juillet 1809

Passage du bras du Danube à l’île de la Lobau
« Le 4, à dix heures du soir, le général Oudinot [1767-1847] fit embarquer, sur le grand bras du Danube, quinze cents voltigeurs, commandés par le général Conroux [1770-1813]. Le colonel Baste [1768-1814], avec dix chaloupes canonnières, les convoya et les débarqua au-delà du petit bras de l’île Lobau dans le Danube. Les batteries de l’ennemi furent bientôt écrasées, et il fut chassé des bois jusqu’au village de Muhllenten.
À onze heures du soir les batteries dirigées contre Enzersdorf reçurent l’ordre de commencer leur feu. Les obus brûlèrent cette infortunée petite ville, et en moins d’une demi-heure les batteries ennemies furent éteintes.
Le chef de bataillon Dessales [1776-1864], directeur des équipages des ponts, et un ingénieur de marine avaient préparé, dans le bras de l’île Alexandre, un pont de quatre-vingts toises d’une seule pièce et cinq gros bacs.
Le colonel Sainte-Croix [1782-1810], aide-de-camp du duc de Rivoli [le maréchal Masséna, duc de Rivoli, prince d’Essling (1758-1817] se jeta dans des barques avec deux mille cinq cents hommes et débarqua sur la rive gauche.
Le pont d’une seule pièce, le premier de cette espèce qui, jusqu’à ce jour, ait été construit, fut placé en moins de cinq minutes, et l’infanterie y passa au pas accéléré.
Le capitaine Buzelle jeta un pont de bateaux en une heure et demie.
Le capitaine Payerimoffe jeta un pont de radeaux en deux heures. Ainsi, à deux heures après minuit, l’armée avait quatre ponts, et avait débouché, la gauche à quinze cents toises au dessous d’Enzersdorf, protégée par les batteries , et la droite sur Vittau. Le corps du duc de Rivoli forma la gauche ; celui du comte Oudinot le centre, et celui du duc d’Auerstaedt la droite. Les corps du prince de Ponte-Corvo [le maréchal Jean-Baptiste Bernadotte (1763-1844)], du vice-roi [Eugène de Beauharnais, fils adoptif de Napoléon et vice-roi d’Italie (1781-1824)], et du duc de Raguse [le maréchal Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont (1774-1852], la garde et les cuirassiers formaient la seconde ligne et les réserves. Une profonde obscurité, un violent orage et une pluie qui tombait par torrents, rendait cette nuit aussi affreuse qu’elle était propice à l’armée française et qu’elle devait lui être glorieuse… »

Richard Caton Woodville (1856-1927), Napoléon franchissant le pont pour l’île de la Lobau, 1912, collection Tate Gallery, domaine public

« Le Danube n’existe plus pour l’ennemi. Le général Bertrand a, par dessus le fleuve le plus difficile du monde, et sur une longueur de 2400 pieds, jeté, en 14 jours, un pont. Un travail que l’on aurait crût nécessiter plusieurs années, et qui a pourtant été achevé en 15 à 20 jours… » . (24ème Bulletin)

Après la retraite de mai, Napoléon a laissé dans la Lobau les 20 000 hommes du corps d’armée de Masséna, et installé le reste de son armée autour de Schönbrunn et de Vienne. Puis il fait entreprendre de très importants travaux pour rendre plus fiables ses moyens de passage du fleuve, à l’origine de sa déconfiture lors de la précédente bataille.
Au comte Daru, Intendant général de l’armée d’Allemagne à Vienne. [Pierre Daru (1767-1829) fut également brièvement en 1809, administrateur des provinces autrichiennes]

Les ponts en juillet 1809

Plan de la lobau en 1809 (auteur inconnu) pendant la présence des armées napoléoniennes avec les ouvrages sur les bras du Danube à la hauteur de Kaiserebersdorf (rive droite). Collection Wien Museum

« Le premier pont, qui sera réservé à l’infanterie, est protégé par plusieurs rangées de pilotis, la tête de pont par des redoutes, et par des batteries installées à hauteur de Kaisers Ebersdorf et de la petite île (Schneidergund) sur laquelle les deux ponts s’appuient, au milieu du fleuve. Un moment on pense même tendre, d’une rive à l’autre, une énorme chaîne trouvée à l’arsenal, et qui datait du temps du siège turc, en 1683 ! En amont, d’autres ponts, plus petits, doivent aussi permettre de se protéger de ce que l’ennemi pourrait mettre à l’eau, comme il l’a fait si habilement en juin.
Puis il fait transformer l’île en un véritable camp retranché, y faisant installer tout ce qu’une armée a besoin à la veille d’une grande opération: un hôpital, une boulangerie, un chantier naval (Napoléon a fait venir des marins de la flotte. Ils sont également employés à la surveillance de l’île, dans des chaloupes, équipées de canons, qui sillonnent les canaux), des ateliers, réserves de nourriture, magasin à poudre, alimenté par les arsenaux de Vienne.
Des milliers d’ouvriers s’affairent. Mais aussi les soldats, qui n’apprécient guère ces travaux, en dépit du supplément de paye qui leur est versé. Entre les latrines et les travaux, beaucoup rêvent à leur vraie vie de soldat… »
Jean Lucas-Dubreton, historien et biographe (1883-1972)

Girault :
« J’allais faire une tournée dans l’île. J’y trouvais bien du changement. On travaillait à élever des batteries de tous cotés, et on construisait de nouveaux ponts sur pilotis (..) Toute l’île était devenue une véritable place forte »

Coignet [1776-1865 ] :
« Cent mille hommes (étaient) à l’œuvre dans l’île. On éleva des redoutes, on creusa des canaux, on traça des chemins, on prépara des ponts et des moyens de passage de toutes sortes ».

La situation des troupes avait été difficile juste après la retraite, comme en témoignent de nombreux protagonistes.

Journal de route d’un régiment hessois :
« Les troupes, épuisées par les deux jours de bataille (Essling), affaiblies par la faim et la soif, ne trouvèrent rien dans l’île de la Lobau, si ce n’est boire l’eau sale de la rivière et une place dans la boue pour bivouaquer. Le manque de vivres devint rapidement évident. La viande de cheval et des orties aromatisées de poudre de canon devenaient un plat délicat. Ce n’est que lorsque les ponts furent rétablis, le 25, que les vivres arrivèrent. »

Coignet :
« Nous fûmes ainsi bloqués dans l’île et nous restâmes trois jours sans pain, obligés, pour vivre, de manger tous les chevaux qui étaient avec nous. Pendant ce temps, M. Larrey faisait des amputations à deux pas de nous. Les cris de souffrance et d’agonie se mêlaient à nos cris de détresse. »

Pils :
« Les communications pour aller d’une rive à l’autre étaient si difficiles, que les hommes n’avaient rien à manger et que les chevaux n’avaient d’autre fourrage que les feuilles des broussailles de saules, seul produit de l’île. On se trouva dans la nécessité absolue de tuer des chevaux pour la subsistance des troupes et, comme les soldats excédés de fatigue par une bataille de dix-huit heures avaient abandonné bidons et marmites, on fut réduit à faire cuire la viande dans des cuirasses et dans des casques.
Nous n’étions pas mieux partagés pour la boisson, n’ayant d’autre eau que celle du fleuve qui charriait les cadavres des hommes et des chevaux tués pendant les deux dernières journées de combats. »

Larrey :
« Malgré la promptitude et l’efficacité de tous les moyens que nous avions employés, les blessés étaient dans une situation pénible, tous étendus sur la terre, rassemblés par groupes sur les rivages du fleuve, ou dispersés dans l’intérieur de l’île, dont le sol était alors sec et aride. Les chaleurs du jour étaient alors très fortes, et les nuits humides et glaciales. Les vents, qui sont fréquents sans ces contrées, couvraient à tout instant ces blessés de nuages de poussière: quelques branches d’arbres, ou des feuilles de roseau, ne les garantissaient qu’imparfaitement des rayons du soleil.
La rupture des ponts et la pénurie des barques pour le transport des denrées ajoutèrent à ces vicissitudes, et nous mirent dans une privation extrême de bons aliments et de boissons réconfortantes, dont nos malades avaient un pressant besoin. Je fus forcer de leur faire préparer du bouillon avec de la viande de cheval, qu’on assaisonna, à défaut de sel, avec de la poudre à canon. Le bouillon n’en fut pas moins bon ; et ceux qui avaient pu conserver du biscuit firent d’excellentes soupes (qu’on ne se figure pas que ce bouillon avait conservé la couleur noire de la poudre: la cuisson l’avait clarifiée). »

Boulart :
« L’armée resta dans l’île pendant quelques jours, à peu près dépourvue de vivres, car il ne pouvait en être apporté que par quelques barques. À défaut de viande, les soldats firent la guerre aux chevaux; dès la première nuit, il y en eut un bon nombre de saignés et dépecés: les chevaux d’officiers y passaient comme les autres ; chacun fut obligé de faire bonne veille pour échapper à ce coûteux tribut. »

La situation va donc s’améliorer lorsque les ponts vont être rétablis.

Larrey :
« Le troisième jour, nous eûmes heureusement toutes sortes de provisions, et nous pûmes faire des distributions régulières. Le quatrième jour, les ponts étant rétablis, les blessés furent tous transportés aux hôpitaux (..) Je fis transporter ceux qui appartenaient à la garde dans la superbe caserne de Reneveck (Rennweg), consacrée autrefois à l’usage de l’école impériale d’artillerie. »

La situation sanitaire n’est par pour autant satisfaisante, et la dysenterie s’installe, se répand, décimant les rangs.

Pour éviter que les Autrichiens puissent être tenus au courant de ce qui se prépare, les allées et venues dans l’île sont strictement surveillées.

Marmont :
« Davoust avait la police de l’île de la Lobau ; son caractère se montra, dans cette circonstance, avec toute sa sévérité sauvage. Il avait défendu aux habitants du pays, sous peine d’être pendus, de pénétrer dans nos camps, et souvent cet ordre a été exécuté à la rigueur » (selon Marbot un espion sera même intercepté et fusillé). »

L’île est traversée par une route qui mène des ponts de la rive droite à la tête de pont vers Essling

Las Cases :
« Le soin fût poussé à un tel point, qu’on éclaira (les ponts) par des lanternes de dix en dix toises, continués tout au travers de l’île de Lobau, le long des chaussées qu’on y avait pratiquées sur une largeur de quarante pieds. Au moyen de ces lanternes, le chemin demeurait aussi praticable de nuit que de jour. »

Des ponts sont jetés sur les nombreux bras qui sillonnent l’île, pour l’instant asséchés, mais pouvant se remplir rapidement, en cas de crue.

Du Kothau jusqu’à hauteur d’Aspern, la rive droite du petit bras est aussi équipée de redoutes et de fortes batteries. Ce bras, qui a la direction nord-sud, et est long d’environ quatre kilomètres, possède également de petites îles, qui sont autant de points de défense.

La première est l’île Alexandre (la Lobau elle-même est appelée île Napoléon.) On l’équipe de redoutes, de 4 mortiers, 10 canons de 12 et 16 de 16. Il s’agit de protéger la tête de pont, et de se garder de l’ennemi, en face d’Oberhausen et Wittau.

Un peu plus en aval, face à Groß-Enzersdorf, une autre île, beaucoup plus petite, l’île Montebello (ou encore île Lannes). Les batteries qui l’arment (10 mortiers, 20 canons de 18) sont dirigés sur ce village.

Continuons en amont du bras du Danube. L’île des Moulins, pareillement équipée, a pour mission de couvrir l’espace qui va de Groß-Enzersdorf à Essling.

Enfin, la dernière île, l’île d’Espagne, a ses 4 mortiers et 6 pièces de 12 directement dirigées sur Essling (toutes les pièces de gros calibre proviennent de l’arsenal de Vienne, dont les ouvriers ont également construit les affûts).

Bien entendu, ces îles sont reliées par des ponts à la Lobau. Il y en aura quatre, plus un ingénieux pont articulé, destiné à être mis en place grâce au courant de la rivière, tous construits à l’abri des regards de l’ennemi, en profitant du réseau de canaux de la Lobau. Toutes les réserves sont prêtes également pour parer à toute rupture de l’un ou l’autre de ces ponts, voire en construire d’autres, si nécessaire.

Pendant ce temps, Napoléon a fait construire des bacs, pouvant transporter 300 hommes, munis « pour mettre les hommes à l’abri de la mousqueterie, d’un mantelet mobile qui en s’abattant servait à descendre à terre ». Chacun des corps d’armée, qui doivent passer en des endroits différents, en est pourvu de 5, leur avant garde se composant donc, au moment du débarquement, de 1500 hommes.

Le 30 juin, toutes les fortifications sont prêtes, toutes les batteries sont en état de tirer. Napoléon a personnellement surveillé tous les travaux :

Marbot (1782-1859) :
« Chaque matin, il voulait avoir des nouvelles de Masséna, et Sainte-Croix [Charles d’Escorches de Sainte-Croix, fils du marquis de Sainte-Croix, autrefois ambassadeur de Louis XVI au près de la Porte ; il sera tué par un boulet à Lisbonne] avait pour ordre de rendre compte chaque jour, dès le lever du jour, dans sa chambre. Sainte-Croix passait sa nuit à inspecter l’île, inspectant nos postes et ceux de l’ennemi, puis il galopait jusqu’à Schönbrunn, où les aides de camp avaient l’ordre de l’amener sans tarder jusqu’à l’Empereur. Pendant que celui-ci s’habillait, Sainte-Croix faisait son rapport…Puis ils parcouraient à cheval l’île, pour inspecter les travaux de la journée, ou observant l’ennemi du haut d’une ingénieuse double échelle que Sainte-Croix avait fait installée en guise d’observatoire… Le soir, Sainte-Croix escortait l’Empereur jusqu’à Schönbrunn…. Cela dura 44 jours, par les chaleurs les plus extrêmes… »

Au cours d’une de ces inspections Masséna fait une chute de cheval, où il se blesse sérieusement, ce qui l’amènera à conduire ses troupes, les 5 et 6 juillet, dans une calèche, le chirurgien Brisset changeant les pansements régulièrement, sous la mitraille !

La même mésaventure arrive à Rapp [le général Jean Rapp (1771-1821)] :

« La bataille de Wagram eut lieu: je n’y assistai pas. Trois jours auparavant j’accompagnai Napoléon dans l’île Lobau: j’étais dans une de ses voitures avec le général Lauriston [le général Jacques Alexandre Bernard Law de Lauriston (1768-1828] ; nous versâmes : j’eus une épaule démise et trois côtes fracassées. »

Girault :
« Toute l’île était devenue une véritable place forte, défendue par plus de cent pièces de grosse artillerie. Tous les travaux s’exécutaient avec une activité extraordinaire, sous les yeux de l’Empereur, qui tous les jours venait s’assurer par lui-même de l’exécution de ses ordres, et surveiller les travaux des Autrichiens, qui eux aussi élevaient sur la rive gauche des retranchements formidables. On avait établi au milieu des arbres une grande échelle du haut de laquelle on pouvait découvrir toute la plaine. L’Empereur y montait souvent pour étudier les travaux de défense des Autrichiens. »

Coignet :
« L’Empereur arrivait tous les jours de Schönbrunn visiter les travaux, puis il montait dans son sapin pour examiner l’ennemi… »

Las Cases :
« Napoléon faisait souvent lui-même la tournée des postes de l’ennemi, et en approcha, dans l’île du Moulin, jusqu’à 25 toises. Un officier autrichien le reconnaissant un jour sur les bords d’un canal large de cinquante toises, lui cria : »Retirez-vous, Sire, ce n’est pas là votre place ».

Le 1er juillet au soir, celles installées dans la Mülhau, déclenchent un violent tir, qui a pour but de disperser les avant-postes autrichiens, et de couvrir le passage de troupes françaises en quatre endroits. A minuit, ces dernières sont installées, le calme retombe sur la Mühlau.

Marbot :
« Pour continuer de faire croire à l’archiduc Charles qu’il avait bien l’intention de passer le fleuve une nouvelle fois entre Aspern et Essling, Napoléon, après la nuit du 1er juillet, avait fait reconstruire le pont par lequel nous avions retraité, et fait passer deux divisions, dont les tirailleurs devaient détourner l’attention de l’ennemi de nos intentions sur Enzersdorf. Il est difficile de comprendre pourquoi l’Archiduc ait pu croire un instant que Napoléon pouvait attaquer sur ce point, face aux imposantes défenses qu’il avait élevé entre Aspern et Essling ; c’eut été prendre le taureau par les cornes. »

Et pourtant la feinte réussi: l’archiduc Charles met son armée en alarme, et la fait avancer à mi-chemin entre le Rußbach et le Danube. Réalisant son erreur, et la force de l’artillerie de la Lobau, il lui fait bientôt rebrousser chemin.

Le lendemain 2 juillet, 500 Français passent, à partir de l’île du Prater, dans le Schierlingsgrund. Le Biberhaufen est déjà occupé. À 8 h du matin, 9 batteries françaises ouvrent le feu sur Groß-Enzersdorf, pilonnant, autour du village et dans le village même, les emplacements occupés par les autrichiens, qui perdent plus de 300 hommes. Les Français en profitent pour occuper et fortifier la Mühleninsel, étant hors de portée des autrichiens.

Napoléon avait transféré son quartier général dans la Lobau.

Boulart :
« Le 3 juillet, départ général de la Garde pour l’île de Lobau, où l’Empereur s’établit. Trois ponts sur le Danube, l’un pour l’infanterie, le second pour la cavalerie, le troisième pour l’artillerie et les équipages rendent le passage du fleuve facile et prompt. »

Savary :
« Dans la journée du 2 juillet, L’Empereur transféra son quartier-général de Schönbrunn à Ebersdorf, et m’ordonna d’enlever tous les bagages du grand quartier, et de n’accepter qu’aucun français ne resta dans Schönbrunn ».

Girault :
« Le 1er juillet, Napoléon vint s’installer dans l’île avec tout le quartier général. Il fallut déguerpir. »

Il ne lui reste plus qu’à donner les ordres pour le passage sur la rive gauche et l’entrée dans la plaine du Marchfeld. Les troupes doivent commencer de se réunir dans l’île le 3 juillet, y être toutes concentrées le 4, avant de passer dans le Marchfeld.

Savary :
« Dès l’après-midi du 2, les troupes avaient commencées d’arriver de toutes les directions, un mouvement qui devait continuer toute la nuit, puis le 3, et encore le 4…150 000 fantassins, 750 pièces de canons, 300 escadrons de cavalerie formaient l’armée de l’Empereur. Les différents corps étaient rangés dans l’île en fonction de l’ordre dans lequel ils passeraient les ponts, de manière à éviter la confusion qui arrive en pareille occasion….. L’île de Lobau était devenue une seconde vallée de Jehosaphat : des hommes qui avaient été séparés l’un de l’autre durant six ans, se retrouvaient sur les bords du Danube. Les troupes du général Marmont, qui arrivait de Dalmatie, étaient composées d’éléments que nous n’avions pas vus depuis le camp de Boulogne. »

Bertrand :
« Le 4 juillet, traversée de Vienne, l’Empereur nous passe en revue sur le bord du Danube, rive droite. Immédiatement après, nous gagnons l’île de Lobau, où ma division est placée en première ligne sur la rive gauche d’un autre bras du Danube. »

Girault :
« Tous les jours de nouvelles troupes arrivaient dans l’île. Il y en avait de toutes les couleurs, des Bavarois, des Wurtembergeois, des Hessois, des Saxons… »

Macdonald :
« Nous ne fûmes pas les derniers à arriver, et nous étions au point de passage choisi pour surprendre l’ennemi. Nous avions parcouru soixante lieues en trois jours, et malgré la fatigue excessive et les chaleurs de cette saison, nous eûmes peu de traînards, tant les soldats de l’armée d’Italie avaient d’ardeur pour prendre part aux grands événements qui allaient se passer et combattre en présence de leurs frères d’armes de la Grande Armée, sous les yeux de l’Empereur. »

Marmont :
« Vous devez, monsieur le général Marmont, être le 5 au matin dans l’île Napoléon. » (Major Général Berthier).

« La leçon que Napoléon avait reçue lui avait profité. Des moyens de passage assurés, à l’abri de toute entreprise et de tout accident avaient été préparés. Le général Bertrand, commandant le génie de l’armée, avait conduit tous ces travaux avec habileté. Le véritable Danube était passé, et cette vaste île de Lobau rassemblait la plus grande population militaire que l’on eut jamais vue réunie sur un même point. »

Voltigeurs_of_a_French_Line_regiment_crossing_the_Danube_before_the_battle_of_Wagram

Voltigeurs de la grande armée traversant le Danube sur une embarcation avant la bataille de Wagram

Tascher :
« Le 3, toute l’armée de Hongrie vient de passer au pont d’Ebersdorf. Nos forces se concentrent, les grands coups vont se porter. Le 4, à 11 heures du matin…nous nous dirigeons sur Ebersdorf ; nous nous mettons en bataille dans la plaine en avant de Schwechat et nous y sommes accueillis comme l’autre fois par un orage affreux; je crois que la nuit sera rude.

L’armée entière se rassemble : l’armée d’Italie, celle de Dalmatie, les Saxons, les Bavarois, en un mot, tout ce qui combat pour Napoléon…À 9 heures du soir, notre tour arrive..Nous voilà donc dans cette fameuse île de Lobau, retraite de l’armée française après la funeste bataille d’Essling… C’est demain qu’il faudra vaincre ou mourir ! Quatre-cent mille hommes, qui ne se haïssent point, qui peut-être s’aimeraient s’ils se connaissaient, sont resserrés dans l’espace étroit de trois lieues carrées et n’attendent que le signal pour s’entr’égorger. Combien est intéressante la scène qui va s’ouvrir ! Nous sommes couchés dans la boue et plongés dans une profonde obscurité ; la pluie tombe par torrents. »

Ces Bavarois du général Wrede, dont parle Tascher, arrivent au dernier moment, n’ayant reçu que le 30 juin l’ordre de se rendre à Vienne.

Ils quittent Linz le 1er Juillet, à deux heures et demi du matin, et vont marcher 13 heures par jour, à la moyenne de 40 kilomètres ! Ils sont à Saint-Pölten le 3 Juillet. Là, ils reçoivent un nouveau message de Berthier :

« Mon Cher Général, si vous souhaitez participer à l’affaire qui se présente devant nous, vous devez arriver dans l’île de la Lobau, près d’Ebersdorf, avant 5h du matin, le 5 juillet. »

Wrede remet ses troupes sur pieds, et les amène le 4 à Purkersdorf. Ce n’est pourtant pas fini ; elles doivent encore faire 10 kilomètres pour aller bivouaquer à Schönbrunn. Au total, les Bavarois auront parcouru près de 225 kilomètres en un peu plus de quatre jours !

Czernin :
« Quand les canons de Wagram se firent entendre, nous vîmes arriver les Bavarois de Wrede. Ils avaient dû venir de Linz à marches forcées et, couverts de poussière et de boue, étaient si épuisés, qu’ils s’effondraient aux coins des rues. Leur aspect misérable éveillait la pitié. Mais eux aussi durent aller à cet abattoir, qu’on nomme le champ d’honneur. »

Un autre témoin raconte :

« Les Bavarois étaient si épuisés qu’ils s’effondraient au coin des rues et leur aspect inspirait la pitié. »

Le capitaine Berchen est tellement épuisé que, par deux fois, il s’endort et tombe de son cheval !

Et pourtant Wrede prendra part à la deuxième journée de Wagram. La marche de ses soldats est considérée par certains comme l’une des plus rapides de l’histoire militaire de ce temps.

Les Saxons de Bernadotte, eux, ont leur bivouac non loin des tentes de Napoléon. Celui-ci leur rend visite et s’adresse à eux, le général von Gutschmidt servant d’interprète :

« Demain, nous livrerons bataille – Je compte sur vous ! Dans quatre semaines vous regagnerez votre patrie. Le colonel Thielman a chassé les ennemis hors de la Saxe. »

Les cris de « Vive l’Empereur » l’accompagnent quand il s’éloigne.

Finalement, le passage a lieu dans la nuit du 4 au 5 juillet.

Danube-culture, mis à jour octobre 2025

Sources : 
www.napoléon-histoire.com

Le cours du Danube en 1812 à la hauteur de la région de Marchland en aval de Vienne, reconstitution de  Severin Hohensinner, 2008

La forteresse d’Aggstein

Construite, dans sa partie la plus ancienne, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle par Manegold III von Acchispach, elle tombe ensuite dans les mains de la dynastie des Kuenring von Aggsbach-Gansbach jusqu’à leur extinction au XIVe siècle.
Une légende raconte qu’Hadmar III von Kuenring contrôlait et entravait selon son bon vouloir la navigation sur le fleuve à l’aide d’une solide chaîne de fer qu’il faisait tendre en travers du fleuve à l’arrivée des bateaux. Exaspéré par ses pratiques, le duc Friedrich II von Babenberg, duc d’Autriche (1211-1246) décida de s’emparer sans succès de la forteresse. C’est par la ruse qu’il réussit à mettre fin aux exactions d’Hadmar III von Kuenring. Un marchand de Vienne avec un bateau lourdement chargé de marchandises qui cachaient une troupe des soldats puissamment armés dans ses cales, fut arrêté par la chaine dressée en travers du fleuve. Le maître des lieux monta sur l’embarcation et les soldats s’en emparèrent. Ils rentrèrent à Wiener Neustadt avec leur précieux prisonnier. La vengeance du duc Friedrich II von Babenberg fut toutefois clémente puisque Hadmar III von Kuenring recouvra la liberté en échange de la restitution des biens dont il s’était emparé. Repentant, il serait mort en pèlerinage quelques années plus tard non loin de Passau.

Une des chaines qui servaient autrefois à entraver la navigation sur le Danube (collection du Musée de l’armée de Vienne), photo © Danube-culture, droits réservés

En 1429, la forteresse devient la propriété du conseiller ducal Jörg Scheck vom Wald (littéralement « La terreur de la forêt ») qui l’avait reçu des mains du duc Albrecht V de Habsbourg dit « le Sage » (1298-1358), ultérieurement duc d’Autriche sous le nom d’ Albrecht II. Délabrée, la forteresse est reconstruite à la demande de celui-ci. Une période sombre pour la forteresse car son propriétaire, surnommé « le mangeur de fer » (« der Einsenfresser ») ou le vengeur sanguinaire » (« der Blutracher ») s’illustre par son comportement particulièrement sanguinaire et malhonnête. Chargé, à partir de 1438, de contrôler la navigation des bateaux sur le Danube d’amont en aval et d’entretenir le chemin de halage pour les embarcations montantes, il ne peut s’empêcher d’abuser de ses fonctions et se met à rançonner tous ceux qui naviguent sur le fleuve et passent devant son château-fort. Georg von Stain (?-1497) s’empare la forteresse d’assaut en 1463. Aussi peu scrupuleux que son prédécesseur, il en est expulsé par Ulrich Freiherr von Graveneck en 1476. Le duc Leopold III de Habsbourg (1351-1386) reprend lui-même Aggstein l’année suivante et y installe des locataires afin que les pillages et les pratiques de rançons cessent enfin.

Les ruines de la forteresse d’Aggsbach depuis le Danube (1820-1826), gravure coloriée imprimée par Adolph Friedrich Kunike (1777-1838), collection privée

Aggstein va subir encore les assauts des troupes ottomanes au XVIe siècle qui l’incendient (1529). À nouveau rénovée en 1606 par Anna von Polheim-Parz, veuve du dernier locataire, elle est laissée ensuite à l’abandon jusqu’au XIXe siècle.

Ses ruines alimentent alors de nombreuses légendes. Elle devient ensuite un lieu de promenade et commencera a être restaurée à partir de 1930 par son nouveau propriétaire, la famille Seilern-Aspang.

Burgruine_Aggstein_Wachau

La forteresse médiéval d’Aggstein dominant le Danube, photo Danube-culture, droits réservés

La forteresse avec sa salle des chevaliers sa chapelle, sa taverne, ses tours et ses vastes murailles est accessible par une petite route escarpée depuis le hameau d’Aggstein en contrebas. Elle se visite et fait aujourd’hui l’objet de nombreuses manifestations culturelles et historiques. La vue sur la vallée du Danube en Wachau depuis la forteresse est exceptionnelle.
www.ruineaggstein.at
info@ruineaggstein.at
www.aggstein.at

La légende du  jardinet des roses d’Aggstein

« Château en ruines, perché au sommet d’un rocher conique qui domine Aggsbach. Ce château, une des plus belles ruines féodales du Danube, était au XIIIe siècle, la terreur des voyageurs et des bateliers. Il avait alors pour propriétaire un seigneur-voleur nommé Schreckenwald, qui précipitait ses prisonniers par une trappe de fer dans un gouffre qu’il appelait Rosengartlein, son « petit jardin de roses ». Ce bandit périt sur l’échafaud. Mais il eut pour héritier, ou plutôt pour successeur Hadmar de Khuenringer, qui possédait aussi Dürrenstein [la forteresse de Dürnstein] avec dix autres châteaux-forts et qui fit regretter Schreckenwald. Son frère Leutold le secondait si bien dans tous ses crimes et ils inspiraient une telle terreur, qu’on les avait surnommés les limiers. »

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour septembre 2025

Le Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes

Un parc à la biodiversité exceptionnelle
   Ce parc, constitué de prairies et de forêts alluviales, est unique en son genre sur le territoire autrichien. Il est à la fois un magnifique oasis de verdure entre Vienne et Bratislava, la plus grande plaine alluviale naturelle intacte en Europe centrale et un territoire fortement dépendant du Danube qui est, dans sa traversée de l’Autriche encore un fleuve de montagne. Ce parc est un ensemble exceptionnel d’écosystèmes comprenant avec une vaste diversité de biotopes, une flore et une faune remarquables, un refuge pour de nombreuses espèces animales et végétales menacées, un espace naturel pour les crues comme il n’en existe plus sur le parcours autrichien du fleuve, un réservoir d’eau potable de haute qualité et un important régulateur climatique pour la région de Basse-Autriche.

Ce parc forme un paysage d’une beauté impressionnante et offre également un lieu de repos et de détente aux portes de Vienne ainsi qu’un espace pour la protection et la préservation de ce paysage unique.
La surface totale du parc est aujourd’hui de 9 600 hectares : 65% de sa surface sont constitués de forêts alluviales, 15% de prairies et environ 20% d’eau.

Dans les bras morts du fleuve, photo © Danube-culture, droits réservés

Les 36 kilomètres fluviaux danubiens forment la partie intégrale du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes. La dynamique du fleuve y est encore très active. Le niveau d’eau variable, peut atteindre, suivant le régime du fleuve et les saisons, 7 mètres de différence. Il détermine considérablement la vie sur le territoire du parc. Les inondations régulières ont façonné ce paysage étonnant et fluctuant, y créant une grande diversité d’habitats en lien direct avec le fleuve : mares, bras en activité et bras morts, bancs formés de cailloutis, rives peu escarpées et espaces de transition de l’eau vers la terre, rives pentues, forêts alluviales (forêts à bois tendre et dur), forêts de relief, prairies et zones arides de plaine alluviale.
La richesse biologique de ces territoires est exceptionnelle. On y compte plus de 800 espèces de plantes à tige, plus de 30 espèces de mammifères, une centaine d’espèces d’oiseaux, 8 espèces de reptiles, 13 espèces d’amphibiens ainsi que plus de 60 espèces de poissons. Une grande diversité d’invertébrés évolue d’autre part en milieu terrestre et aquatique.

Discrète Emys orbicularis ! Photo © Danube-culture, droits réservés

L’histoire du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes et les conséquences de la présence de l’homme sur le fleuve et ses rives
Les interventions répétées de l’homme ont influencé et métamorphosé le fleuve et ses plaines alluviales en particulier depuis la deuxième moitié du XIXe siècle.
Les  grands travaux de régulation du Danube à la fin du XIXe siècle, ses rectifications, suppressions de méandres et endiguements ont entrainé une augmentation de la vitesse du fleuve ce qui a eu pour conséquence d’engendrer une baisse de la nappe phréatique, un enfoncement du lit et un assèchement de bras morts et de certains bras en activité du Danube qui se poursuivent de nos jours. La destruction des rivages naturels a certes été « contrebalancée » par une amélioration des conditions de la navigation mais à quel prix !
Des digues de protection ont été érigées afin de protéger la plaine alluviale et très fertile du Marchfeld (rive gauche en aval de Vienne) contre d’importantes et régulières inondations.

Basses eaux sur le Danube à la hauteur du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes, un phénomène de plus en plus courant, photo © Danube-culture, droits réservés

L’édification d’un barrage en amont, à la sortie de Vienne (Centrale hydroélectrique de Freudenau) est venu modifié le charriage des cailloux et autres alluvions par le fleuve, participant à un enfoncement préoccupant du lit du Danube dans le sous-sol.

Écluse du barrage viennois de Freudenau, photo © Danube-culture, droits réservés

L’industrie forestière intensive a d’autre part transformé de vastes parties de la forêt alluviale en zones d’exploitation du bois, entrainé la propagation d’espèces d’arbres étrangères et l’installation d’un réseau de petites routes.
La chasse a eu de son côté pour conséquence l’extermination d’animaux locaux comme le castor et la loutre, heureusement protégés désormais et de retour sur le fleuve.

Le Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes au printemps, photo © Danube-culture, droits réservés

Quant à la pêche, autrefois professionnelle et commerciale, du fait de la raréfaction des poissons, elle n’est plus qu’essentiellement sportive et de loisir. Il a aussi été constaté l’apparition d’espèces de poisson étrangères.

Un projet de barrage incongru

Maquette du projet de barrage et de centrale hydroélectrique de Hainburg, sources ORF

L’écologiste et journaliste suisse Franz Weber fut appelé à la rescousse par les protecteurs de l’environnement autrichiens. Photo Fondation Franz Weber

Le projet peu opportun, sur le plan écologique, de construire une centrale hydroélectrique sur le Danube (la douzième du parcours autrichien !) près de la petite ville frontalière avec la Slovaquie de Hainburg (rive droite) en 1984 a été heureusement abandonné sous la pression des écologistes et de la population locale. Cette construction aurait entrainé la destruction d’une centaine d’hectares de forêt alluviale, d’îles et îlots, la disparition irréversible de rivages naturels et la construction de digues. Le barrage réservoir aurait de plus empêché le Danube de s’écouler librement vers Bratislava.

Affiche de Friedensreich (Regentag Dunkelbunt) Hundertwasser (1928-2000), « La liberté de la nature est notre liberté », 1985, Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

La plaine alluviale ne pouvant plus bénéficier des inondations, sa dynamique aurait été ainsi interrompue. La dynamique naturelle de l’eau souterraine aurait été également perturbée. L’occupation en 1984 de la plaine alluviale à Stopfenreuth par des manifestants luttant contre la construction de la centrale électrique a été déterminante pour l’abandon du projet alors que celui-ci avait été déjà voté par le gouvernement socialiste autrichien de l’époque et approuvé par la majeure partie de la classe politique. Une trêve de Noël fût alors proclamée par les politiciens du pays et les écologistes. Le développement de nouvelles alternatives a pourtant continué à être envisagé dès 1985 à la fois pour l’éventuelle construction de nouvelles centrales hydroélectriques mais aussi en parallèle pour la préservation de l’écoulement naturel du Danube.

Pétition « Pourquoi le barrage de Hainburg ne doit pas être construit », 1984, Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

La période suivante (1986 à 1989) permit l’élaboration des bases scientifiques pour la création du Parc National des Plaines Alluviales Danubiennes mais certains projets de centrales hydroélectriques sur le Danube étaient toujours d’actualité dans les hautes sphères économiques et politiques autrichiennes. En 1990 une convention est passée entre la République Fédérale d’Autriche, les responsables politiques de la ville de Vienne et ceux de Basse-Autriche autorisant la création du Parc National des Plaines Alluviales Danubiennes. De 1991 à 1995 sont élaborés les projets spécifiques du parc et le 27 octobre 1996, le traité international pour la création du Nationalpark Donau-Auen est signé par les représentants de ces mêmes institutions. Le Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes obtiendra sa reconnaissance par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature, catégorie II) dès 1997.

Selon les critères de l’UICN un parc national doit remplir les fonctions suivantes :
– préserver intact des écosystèmes pour les prochaines générations
– mettre fin à différentes activités économiques
– créer un programme de recherche scientifique et mettre en place un accueil spécifique pour les visiteurs.

Grèbe huppée, une habitante familière du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes, photo droits réservés

Activités
Le Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes propose un grand choix d’activités pédagogiques et d’initiation à la découverte de la faune et de la flore, sur l’eau comme à terre, permettant de vivre, dans ce paysage unique, des moments d’exception. Des guides professionnels accompagnent les visiteurs dans le dédale des prairies et des forêts en canot pneumatique ou en barque.
Le parc organise également des colloques et séminaires sur des sujets prioritaires tout comme des excursions pédagogiques pour les enfants et les associations. Des journées axées sur un thème spécifique sont régulièrement programmées.

Chemin faisant…
Le Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes accueille aussi les visiteurs individuels. Des cartes permettent de conseiller différents itinéraires balisés ou fléchés.
L’Office des forêts de la collectivité locale de Vienne, propriétaire des prairies et des forêts alluviales, collabore activement à la préservation des espaces du parc.
L’action du WWF « Natur freikaufen » (« Rachetons la nature ») a permis la protection d’une surface supplémentaire de 411 hectares de la plaine alluviale des prairies de Regelsbrunn.

Organisation du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes
L’administration du parc est gérée par une société d’état à but non lucratif dont les membres sont les Régions de Vienne et de Basse-Autriche. Le directeur du parc en assure la gérance et le bon fonctionnement. L’Office Fédéral des Forêts, l’Administration forestière de la Municipalité de Vienne et la Région du Marchfeld ont la responsabilité des sentiers de randonnée, des pistes cyclables et des points de vue et d’observation aménagés.
En cas de fortes d’inondations, il peut être nécessaire, pour des raisons de sécurité, d’interdire provisoirement l’utilisation de certains chemins.

« Das Tor zur Au » (La porte sur les prairies alluviales) – Centre d’accueil et d’information du parc, château d’Orth/Donau
Le Centre d’accueil et d’information du parc est hébergé au château d’Orth/Donau. On peut y trouver des informations sur le parc et son histoire, sur la commune d’Orth/Donau et sur l’ensemble de la région. On peut aussi s’inscrire pour des randonnées ou des activités dans le parc avec un guide.

L’exposition permanente « DonAUräume » offre de nouvelles perspectives sur les prairies alluviales danubiennes. Des expositions thématiques complémentaires mettent en valeur certains des aspects singuliers du fleuve sur tout son parcours. On peut enfin y découvrir une installation acoustique « A Sound Map of the Danube » et trouver également des informations sur le site naturel protégé serbe de Gorne Podunavje.
« L’île du château » est un site extérieur à proximité du centre d’accueil et d’information présentant les habitats spécifiques et la faune des prairies alluviales comme le Spermophile, la Cistude d’Europe et des espèce locales de serpents. De nombreux insectes, grenouilles et crapauds habitent prairies et mares. Des plantes aquatiques diverses et variées, parfois rares comme certaines variétés d’orchidées, en enrichissent la flore.
Le centre de l’île est aménagé en station d’observation sous-marine. L’on peut y observer avec intérêt la flore et la faune aquatique des prairies alluviales, des espèces locales de poissons, coquillages et autres crustacés.
Du haut de la tour du château on jouit d’une vue magnifique sur les prairies alluviales danubiennes, de Vienne jusqu’à Hainburg, de même qu’on peut y observer une aire de cigognes. La cour du château est le lieu de rendez-vous et le point de départ des visites guidées. Son aménagement incite à s’y attarder.

Horaires d’ouverture du centre d’accueil et d’information du parc, château d’Orth/Donau
Du 21 mars au 30 septembre : tous les jours de 9h à 18h
du 1er octobre au 1er novembre : tous les jours de 9h à 17h

Visites guidées de l’exposition : tous les jours à 10h, 11h, 13h, 14h, 15h, 16h

Fermeture d’hiver du 2 novembre jusqu’au 20 mars
Pendant cette période renseignements et informations uniquement par téléphone, du lundi jusqu’au vendredi de 8h à 13h

Centre d’accueil et d’information :
Château d’ORTH Nationalpark-Zentrum
2304 Orth/Donau, Autriche
Tel. + 43 2212/3555
www.donauauen.at
schlossorth@donauauen.at

Le château d’Orth/Donau, photo © Bwag/Wikimedia

Nationalparkhaus wien-lobAU (Maison du Parc National Wien-LobAU)
Le Nationalparkhaus wien-lobAU est le centre d’information pour la partie viennoise du parc. Logé aux portes de la capitale, il est géré par l’Administration forestière de Vienne et fonctionne comme point de départ pour des randonnées dans les environs. Une exposition « tonAU » permet de découvrir l’univers sonore des forêts du parc et un spectacle multimédia informe sur l’évolution historique des prairies alluviales.
www.nph-lobau.wien.at

Maison du Parc National de Wien Lobau, photo droits réservés

On peut aussi rejoindre le parc par bateau depuis le centre de Vienne (canal du Danube à la hauteur de la Schwedenplatz) du 2 mai au 26 octobre et profiter d’une visite accompagnée d’un guide.
Tel. pour réservation (places limitées) : 0043/ 1 4000 49495
 www.donauen.at/besucherinfo/bootstouren

Le Skorpion, bateau du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes qui relie en saison le centre de Vienne à la Lobau (rive gauche) via le Canal du Danube. Photo © Danube-culture, droits réservés 

Centre d’information
Nationalparkhaus wien-lobAU
Dechantweg 8, 1220 Wien
Tel.: 01/4000-49495
www.nph-lobau.wien.at
nh@m49.magwien.gv.at

Autres centres d’information :
Nationalpark-Forstverwaltung Lobau
MA 49 – Forstamt und Landwirtschaftsbetrieb der Stadt Wien
2301 Groß-Enzersdorf, Dr. Anton Krabichler-Platz 3
Tel. 02249/2353
pe-don@m49.magwien.gv.at

Nationalpark-Forstverwaltung Eckartsau
Nationalparkbetrieb Donau-Auen der ÖBf AG
2305 Eckartsau, Schloss Eckartsau
Tel. 02214/2335-18
infostelle.donauauen@bundesforste.at

Une expérience originale : naviguer sur une réplique de tschaïke réalisé par Martin Zöberl, photo © Danube-culture, droits réservés

Bateau-moulin d’Orth sur le Danube
Promenades en « tschaike » sur le Danube (avril-fin octobre)
www.schiffmuehle.at

Restaurant et café « an der Fähre », Orth/Donau
Bac pour les piétons et vélo
www.faehre-orth.at

Restaurant Humers Uferhaus, Orth/Donau
Pour sa terrasse à proximité du Danube, ses spécialités de poissons (du Danube) et ses généreux desserts
Très fréquenté les weekends et les jours de fête
www.uferhaus.at

Croisières Hainburg-Devin-Bratislava-Hainburg
Event Schifffahrt Haider
www.event-schifffahrt.at

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour août 2025

Le guide du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes, Falter Verlag. Wien, 2018

Vienne, le relevé cadastral joséphinien et le Danube à l’époque de Mozart

Relevé cadastral joséphinien pour la Basse-Autriche, désigné comme : « Kriegs-Charte des Erzherzogthum Oesterreich unter der Enns » levé par le k. k. Generalquartiermeisterstab, 1773-1781, copié par le k. k. Bombardiers Corps, échelle 1: 28.800, (Vienne), achevé entre 1793 et 1803, dessin à la main colorié, 122 sections de 71,5 x 47 cm. Est reproduit sur cette section n° 71 : Vienne et ses environs, et désignée : « Theil deren Vierteln unter Wiener Wald, und unter Manhartsberg », vers 1775, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, département des cartes, K II 87

   Ce que l’on appelle à juste titre le « relevé joséphin » (Joseph II avait reçu de sa mère Marie-Thérèse la direction des affaires militaires et avait depuis lors exercé une influence considérable sur l’évolution de la cartographie) est le deuxième relevé à grande échelle d’un vaste territoire réalisé par un État. Seule la France possédait déjà une carte plus ancienne, la fameuse « carte dite de Cassini ». À l’exception de celles des Pays-Bas autrichiens, les sections sont dessinées à l’échelle de 1 pouce viennois sur 400 cordes viennoises (= 1: 28 800). La cartographie et la mise au propre du relevé topographique qui correspond au territoire actuel de l’Autriche, furent réalisées pendant les mois d’hiver. Elles durèrent de 1773 à 1781 sous la direction du major, puis lieutenant-colonel Andreas von Neu (1734-1803). Le travail avança lentement les premières années en raison d’un personnel restreint. Lors de la reprise des travaux après la guerre de succession de Bavière en 1779, Neu disposa à son quartier général à St. Pölten de 24 officiers, enseignes et cadets, ce qui lui permit de réaliser les 74 sections de Basse-Autriche restantes en l’espace de deux ans. Sur les 122 feuilles consacrés à la Basse-Autriche, seuls deux exemplaires dessinés et coloriés à la main ont été achevés dont la section 71, représentée ci-dessus. Ces documents sont conservés aux Archives de la guerre et à la Bibliothèque Nationale d’Autriche de Vienne.
Vienne, peuplée d’environ 180 000-200 000 habitants en 1790 est ici telle que l’a fréquenté Mozart, entourée de ses remparts qu’elle conservera jusqu’au grands travaux d’aménagement de la deuxième moitié du XIXe siècle qui changeront sa physionomie et par ailleurs considérablement le cours du fleuve. À l’époque de Mozart, un seul pont franchissait les bras du Danube vers le nord, le pont de Tabor.

Section 48 du relevé cadastral de Joseph II avec le pont de Mautern

La section 48 de l’archiduché d’Autriche sous l’Enns (Basse-Autriche) donne une assez bonne impression de la représentation cartographique des différents types de paysages et de la richesse des détails du relevé cadastral joséphinien. Le relief est représenté par des hachures gris clair et noires et, pour les parties moins escarpées, par des traits plus fins, souvent au pinceau. Les zones boisées et les surfaces plantées de vignes sont caractérisées par des symboles de couleur noire représentant des arbres ou des ceps de vignes. Les prairies et les forêts ont été recouvertes de différentes nuances de vert, les surfaces sablonneuses ont reçu une trame de points bruns délicats, tandis que les routes et les chemins se distinguent par un brun un peu plus prononcé.
Pour chaque section du relevé topographique de Joseph II, une description spécifique (« Description für Kriegs-Charte ») a été rédigée dans le but de consigner les éléments importants pour l’armée qui ne pouvaient pas être inscrits sur la carte elle-même ou seulement de manière allusive. Celle de Krems est ainsi rédigée :
« La ville de Krems est une cité de construction robuste : elle possède des remparts et une grande caserne à l’extérieur de la ville. Dans la cité on trouve l’hôtel de ville, le couvent des demoiselles, l’église et le presbytère. Les faubourgs  au-delà de la rivière Krems ainsi que les moulins, sont solidement bâtis. Le Danube dessine dans cette région et en aval de nombreuses îles, la rivière Krems conflue avec un de ses bras par delà la ville ; Krems surplombe le Danube et la plaine autour tout comme la caserne qui voisine avec le couvent des Capucins et les vignobles ; elle est dominée comme la ville par la colline du Galgenberg et celle-ci par les montagnes situées au-dessus. »                      

 Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour août 2025    

L’église saint-Michel-en-Wachau

   Le bâtiment visible actuellement remonte à l’époque du gothique tardif (début XVIe) et sera entouré de remparts et d’un pont-levis qui le protégeront, remparts dont il ne reste plus aujourd’hui qu’une massive tour de défense sur les cinq d’origine, une tour autrefois directement reliée à l’ossuaire. Elle est ornée à l’intérieur de sgraffites modernes de l’artiste autrichien Rudolf Pleban (1913-1965) illustrant l’histoire de la vallée du Danube.

Plan des fondations de l’église et de ses remparts

Nikolaus Koffler (1776-1848), Saint-Michel-en-Wachau aquarelle et mine de plomb sur carton, 1841

   Des éléments de la première église de style roman (XIe) comme deux têtes sculptés en hauteur sur le mur extérieur côté sud, sont encore visibles ainsi que la fresque peinte sur le même pan de mur et qui représente le mont des Oliviers.
Saint Michel en Wachau

Deux têtes sculptés, XIe siècle, photo © Danube-culture, droits réservés

   La crypte qui a pu être préservée (XIe siècle), la statue illustrant un christ souffrant (XVe) et celle de saint Sébastien, appartenaient également au bâtiment roman.

Saint–Michel-en-Wachau, Christ souffrant, XVe siècle, photo © Danube-culture, droits réservés

Pieta, École du Danube, vers 1500, photo © Danube-culture, droits réservés

La Pieta (École du Danube, vers 1500) et les panneaux du maître-autel (1690) qui a été transféré à Saint- Michel-en-Wachau en 1748 depuis l’église paroissiale de Stein, datent, quant à eux, de l’époque du gothique tardif.

Photo © Danube-culture, droits réservés

   Les sept figures animales que l’on peut apercevoir au sommet du toit, probablement des cerfs, des chevaux ou d’autres animaux en céramiques (les copies des originaux sont conservées au Musée de la ville de Krems), pourraient symboliser le motif mythologique de la « Chasse sauvage ». Ils sont aussi à l’origine de plusieurs légendes populaires de la Wachau parmi lesquelles « Les sept lièvres de saint-Michel ».

Saint-Michel-en-Wachau, maître-autel, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’église de style gothique tardif a été baroquisée dans la première moitié du XVIIe siècle. La voûte au-dessus d’une longue nef a été réalisée par Cyprian Biasano. Le tableau central du maître-autel de style baroque primitif, représente la Sainte Famille, Marie plaçant l’enfant Jésus sur le globe, saint-Joseph, saint-Nicolas, patron des bateliers, sainte-Claire et quelques anges admirant et célébrant la scène.

Saint-Michel-en-Wachau, Dieu le père et le globe terrestre, photo © Danube-culture, droits réservés

   La peinture au-dessus, de forme ovale, représente Dieu le Père avec un globe terrestre et le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe planant, a probablement été réalisée par Johann Bernhard Grabenberger, auteur également du maître-autel de l’église paroissiale saint Nicolas de Krems. Les statues polychromes de saint  Antoine, saint Sébastien, saint Roch et saint Jean, ainsi que de sainte Catherine et de sainte Barbara surmontée de l’archange Michel dominent l’ensemble.
   L’autel latéral gauche possède un retable à cadre pictural avec un fronton triangulaire éclaté (deuxième moitié du XVIIe siècle). Il représente la Sainte Famille et a vraisemblablement été peint par Martin Johann Schmidt dit Kremser Schmidt (1718-1801). L’image supérieure, également de la deuxième moitié du XVIIe siècle, représente sainte Barbe. Sur les côtés se trouvent des figures en planches peintes de saint Laurent et de saint Sébastien.

L’orgue de la tribune et son superbe buffet Renaissance, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’orgue avec son jeu d’origine (un manuel et huit registres) et son buffet Renaissance dont le nom du facteur nous est inconnu, n’a pas été construit pour ce bâtiment religieux mais pour une une église des environs de Krems. Il a été déménagé vers 1650. Lors de son installation, il a fallu sacrifier quatre des douze apôtres sculptés (École du Danube, vers 1500) de la balustrade de la tribune. Le positif de l’instrument a été intégré dans la balustrade de la tribune. Le buffet a un fronton éclaté et des anges musiciens sont représentés sur les portes battantes.

L’Ossuaire de Saint Michel en Wachau, fin XIIIe, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’ossuaire, à proximité de l’église, a été édifié à la fin du XIIIe siècle, vers 1395, sans doute en raison de la place limitée dans le cimetière autour de l’église. Il est coiffé d’une flèche modeste, au-dessus du pignon ouest. C’est le seul ossuaire d’Autriche à avoir été financé par les habitants eux-mêmes. On y trouve un autel constitué de têtes de morts et deux cercueils en bois « économiques » avec un mécanisme de clapets de fond datant du règne de l’empereur Joseph II. À cette époque, pour des raisons d’hygiène et de salubrité, on enterrait les défunts ordinaires sans cercueil définitif et on les entassait ensuite dans des fosses communes ce qui pourrait expliquer qu’on n’ait jamais retrouver la trace du cadavre de Mozart. Certains des crânes pourraient provenir de soldats français tués à la bataille de Dürnstein (1805). Trois momies (1150-1300) reposent sur le côté droit dans des stalles de pierre recouvertes par un couvercle en verre. Subsistent également 15 tresses de cheveux de veuves, offertes à la paroisse en signe de voeux de fidélité à leurs maris après leur décès.

Fresque de saint Christophe, photo © Danube-culture, droits réservés

   Sur le mur extérieur se trouvent les restes d’une fresque de Saint Christophe, qui a la particularité de ressembler au duc Maximilien d’Autriche.

Les sept lièvres de saint-Michel-en-Wachau
Derrière l’église saint-Michel, perchée fièrement sur son rocher dominant le Danube et entourée de son vieux cimetière et d’un petit jardin, s’alignent dans une ruelle une rangée de vieilles maisons pimpantes qui s’adossent à la colline de l’Atzberg. Les hivers rigoureux sont plutôt rares en Wachau comme en témoigne les vergers d’abricotiers et de pommiers et la vigne qui s’étend sur les deux rives du fleuve et grimpe en terrasse haut le long de ses coteaux. Une année pourtant un hiver particulièrement sévère installa dans le paysage et étendit son manteau de neige dans la Wachau avec une telle épaisseur que les maisons autour de l’église Saint-Michel et la ruelle furent complètement ensevelies tout comme les collines aux alentours. Les pauvres lièvres qui habitaient dans les vignes voisines, commencèrent à mourrir de faim et ne sachant où trouver leur nourriture, s’aventurèrent dans le hameau et montèrent jusqu’au sommet du toit de l’église cherchant vainement quelque chose à manger.

Luigi Kasimir (1881-1962), Saint-Michel-en-Wachau

C’est la raison de la présence des sculptures de petits animaux sur le faîte du toit. Elles rappellent simplement le souvenir de cet hiver terrible et des lièvres que les habitants du hameau virent grimper sur le toit de leur église.  Les amoureux de la nature, intrigués par les sculptures et qui ont une bonne vue, affirment qu’il n’y a pas un seul lièvres parmi eux. Ils ont peut-être raison car la ressemblance est loin d’être évidente. Mais peu importe ! Les habitants s’accrochent avec ténacité à cette vieille légende qu’ils aiment raconter à leurs enfants et aux visiteurs de la belle région de la Wachau.

Robert Russ (1847-1922), Autriche, Saint-Michel-en-Wachau, sortie de la messe, huile sur toile, 1917

Sources : Josef Wichner, Wachausagen, raconté et dédié à tous les amis de la Wachau d’or, Krems an der Donau. [1920]

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour juillet 2025

Danube-culture adresse ses très grands remerciements à Gertraud Huber de Weissenkirchen pour ses explications passionnantes sur l’histoire (les histoires) de Saint-Michel-en-Wachau.

Johann Franz Pils (1921-2018) Autriche, Saint-Michel-en-Wachau, aquarelle, 1989

Saint-Michel-en-Wachau, photo © Danube-culture, droits réservés

Heimito von Doderer (1896-1966) : « Les Démons » (1956)

 Franz Carl Heimito Ritter von Doderer nait le 5 septembre 1896 à Hadersdorf/ Weidlingau près de Vienne dans une famille aristocratique à la double confession, catholique par son père et protestante par sa mère. Ayant obtenu son baccalauréat en 1914, il commence des études de droits mais, mobilisé comme sous-officier, doit les interrompre pour aller combattre avec les armées austro-hongroises sur le front de l’Est. Capturé par l’armée russe et emprisonné en Sibérie il ne rentre à Vienne qu’en 1920.

Heimito von Doderer (1896-1966), photo droits réservés

Il suit des cours de psychologie et d’histoire, commence à écrire, publie un premier roman (Die Bresche, La brèche, 1924) après un livre de poésie (Gassen und Landschaft, Ruelles et paysages, 1923), obtient son doctorat d’histoire (1925) et écrit de nombreux articles pour la presse viennoise. Adhérent du parti nazi dès 1933, Heimito von Doderer va toutefois s’en éloigner quelques années plus tard pour se rapprocher de plus en plus du catholicisme auquel il se convertit en 1940. Il est à nouveau mobilisé pour la seconde guerre mondiale, combat en France puis sur le front oriental, en Norvège où il est fait prisonnier et interné.

Les escaliers Strudlhof de Vienne, photo Wikipedia

Rentré à Vienne en mai 1946, son passé de nazi lui ferme provisoirement les portes de l’édition de ses ouvrages jusqu’en 1951, année où son roman Die Strudlhofstiege oder Melzer und die Tiefe der Jahre (Les escaliers Strudelhof ou Melzer et la profondeur des années) est autorisé à paraître. Suivent jusqu’à sa mort le 23 décembre 1966, de nombreux autres livres (romans, chroniques, journal, poésie) et articles parmi lesquels Les Démons, d’après la chronique du Chef de division Geyrenhoff (1956) fresque romanesque qu’il a repris après l’avoir abandonné auparavant. On lui décerne le le Grand prix d’État autrichien en 1958. Heimito von Doderer meurt à Vienne le 23 décembre 1966.

La tombe de Heimito von Doderer au cimetière viennois de Grinzing (photo droits réservés)

Les Démons
Heimito von Doderer met en scène par l’intermédiaire distant du récit de Geyrenhoff dans son livre un nombre impressionnant de personnages viennois, tous liés aux évènements des sombres années et des périodes d’affrontements 20-30 qui engendreront l’austrofascisme.
Un des protagonistes, Léonard, ancien marin du fleuve et désormais ouvrier, habite une modeste chambre chez une veuve d’un magasinier de la D.D.S.G. près du canal du Danube. Léonard, au passé qui revient sous les traits d’un Danube pollué et nauséabond est porteur de changement, d’émancipation et d’espoir dans l’humanité. Son évolution à travers sa rencontre avec la fille du libraire Fiedl, la découverte de l’amour, l’éveil de ses sens, ouvre à cet ouvrier inculte mais intact et en capacité de s’adapter au changement, des perspectives insoupçonnées et semblent bien symboliser pour H. von Doderer un champs de possible rédemption du  lourd passé de l’humanité et l’avènement d’un nouvel humanisme. 

 « Cette partie de la ville [de Vienne] est par endroit proche du fleuve, mais ce n’est pas vrai de toutes ses rues et ruelles ; il semble pourtant que de quelque façon tout se rapporte plus ou moins à lui, dont la nature est d’ouvrir les terres, d’autant plus efficacement ici qu’il y coule déjà entre des rives plates : le Kahlenberg et le Bisamberg1 étaient en amont de la ville les dernières hauteurs à sembler doucement venir serrer son cours, l’un avançant près de l’eau, mais l’autre comme fuyant déjà de sa courbe arrondie vers le fond du ciel. Et c’est à partir de là que commence l’Orient plat. Les cheminées des vapeurs à roues progressent lentement, on les voit de très loin, on entend aussi leur bruit sourd de meule quand ils remontent. Quand le vent soulève les jupes des saules, la face inférieure argentée des feuilles devient visible. À l’horizon, des nuages lourds de vapeur : là-bas de l’autre côté, le Marchfeld2 ; non loin, la Hongrie.

   Le quartier est bâti sur une grande île qui a en gros la forme d’un navire, d’un gigantesque navire qui a autrefois remonté le fleuve encore gigantesque pour venir mouiller ici. Il y a longtemps maintenant qu’il ne plus repartir, les eaux ayant baissé. Sur la plage avant s’est étalée la Brigittenau3, au milieu se trouve Leopoldstadt4, rejointe par le Prater, et tout à fait à l’arrière on fait des courses de chevaux dans la Freudenau5.

   Léonard sentait le fleuve. Il le sentait, le soir, quand il était couché sur le dos sur le divan de cuir lisse de sa chambre.

   Le fleuve sentait. Le fleuve était pollué. C’était ce qui formait au plus profond, au plus intime, le vif de cette âme ou corps, de cette broche par laquelle son passé sur l’eau rejoignait le présent de Léonard et l’habitait. Non que l’eau du fleuve ait senti, elle coulait trop vite, dans le lit principal tout au moins. Mais la vie sur les remorqueurs, en remontant de Budapest, en passant sous le haut promontoire montagneux de Gran6, en franchissant Komorn7, cette vie lente sur les péniches était toujours accompagnée d’odeurs que ces larges vaisseaux trainaient en quelque sorte par la plaine verte qu’elles offensaient et polluaient  : cuisine et chambre à coucher, femmes et enfants qui se trouvaient souvent sur les navires de ce genre, sur ces bateaux qui du dehors avaient l’air superbes et propres, grands comme des navires de haute mer, passés au goudron noir. Ce n’était pas le goudron qui gênait le nez de Léonard : il l’aimait bien. La fumée des cheminées du remorqueur de tête, s’il arrivait que le vent la rabatte sur le train de péniches, incommodait moins Léonard aussi, encore que l’on se mit alors volontiers à jurer à bord. Mais l’épais remugle de moisi et de malpropre qui remontait le fleuve lui causait un trouble profond. »

Heimito von Doderer (1896-1966) , « La grande nébuleuse ou passage devant Friederike Ruthmayr » , Les Démons (1956), D’après la chronique du Chef de division Geyrenhoff, traduit de l’allemand par Robert Rovini, L’ÉTRANGÈRE, Gallimard, Paris, 1965

Notes :
1 Le Kahlenberg dans le quartier de Döbling est une colline de 484 m qui domine Vienne et le Danube. L’église baroque de Saint Joseph qui se trouve juste en dessous de son sommet est un but de pèlerinage. Un observatoire (Stephaniewarte) a été construit au sommet de la colline en 1887. Lieu d’excursions des Viennois ses coteaux sont partiellement couverts de vigne. Le Bisamberg  est une colline de 192 m de haut située sur la rive gauche du Danube sur le territoire de Korneuburg également propice à la viticulture.
2 Plaine fertile au Nord-Est de Vienne, sur la rive gauche du Danube
3 Quartier de Vienne situé entre le Danube et le canal du Danube, au nord du centre de la ville.
4 Anciennement territoire de forêts alluviales et inondables, le deuxième arrondissement de Vienne se situe également entre le Danube et le canal du Danube. Le parc du Prater avec ses attractions appartient au quartier de Leopoldstadt.
5 Hippodrome de Vienne au bout du parc du Prater, non loin du Danube.
6 Nom allemand pour la ville hongroise d’Esztergom
7 Port slovaque (rive gauche) et hongrois (rive droite) sur le Danube. Ancienne forteresse autrichienne surnommée « Le Gibraltar du Danube ».

Bibliographie en langue française (sélection) :

Sursis, traduit par Blaise Briod, Paris, Plon, 1943 ; réédition, Paris, Union Générale d’Éditions, coll. « 10/18. Domaine étranger » n° 1837, 1987
Un meurtre que tout le monde commet, traduit par Pierre Deshusses, Paris, Rivages, coll. « Littérature étrangère », 1986, réédition, Paris, Rivages, coll. « Bibliothèque étrangère Rivages » n° 14, 1990

Les Chutes de Slunj, traduit par Albert Kohn et Pierre Deshusses, Paris, Rivages, coll. « Littérature étrangère », 1987
Les Fenêtres éclairées ou L’Humanisation de l’inspecteur Julius Zihal, traduit par Pierre Deshusses, Paris, Rivages, coll. « Littérature étrangère », 1990
La Dernière Aventure, traduit par par Annie Brignone, Toulouse, Éditions Ombres, coll. « Petite bibliothèque Ombres » n° 46, 1995
Divertimenti, traduit par Pierre Deshusses, Paris, Rivages, coll. « Littérature étrangère », 1996
Histoires brèves et ultra-brèves, traduit par Raymond Voyat, Paris, Éditions du Rocher, coll. « Motifs » n° 310, 2008
Mort d’une dame en été, traduit par François Grosso, Paris, Éditions Sillage, 2010

Fondements et fonction du roman, traduit par Robert Rovini, dans la revue Les Temps modernes 21/234, 1965, p. 908-921

Le Pont/passerelle de la liberté sur la Morava/March entre l’Autriche et la Slovaquie en amont de son confluent avec le Danube

Un bel ouvrage pour les cyclistes et les randonneurs, photo © Danube-culture, droits réservés   
   Un premier pont avec des piles en bois avait été édifié à cet endroit en 1771, à l’époque du règne de l’impératrice Marie-Thérèse. Emporté par la débâcle des glaces en 1809 le pont est reconstruit avec l’aide du comte hongrois Ferdinand Pálffy en 1813 puis détruit en 1866 pendant la guerre austro-prussienne afin de retarder l’avancée des troupes prussiennes qui menaçaient Vienne. Reconstruit une nouvelle fois à la fin des hostilités, il est encore emporté par une débâcle de glaces en 1880. Un bac le remplace. La rivière devient la frontière entre l’Autriche et la République tchécoslovaque à la fin de la première guerre mondiale puis en 1945, une ligne difficilement franchissable du Rideau de fer entre L’Ouest et l’Est de l’Europe. Nombreux furent celles et ceux qui, malgré les dangers, tentèrent malgré tout de rejoindre l’Autriche depuis la rive slovaque militarisée et y laissèrent leur vie. Une période sombre qui prit fin en 1989.
Pont-passerelle de la liberté sur la March (Morava)

Une rivière de frontière apaisée : la March/Morava depuis le pont-passerelle, photo © Danube-culture, droits réservés

   La partie autrichienne (région de Basse-Autriche) souhaitait initialement baptiser la passerelle du nom de « Pont Marie-Thérèse » ce qui n’a pas été accepté par les autorités slovaques (Marie-Thérèse fut pourtant couronnée « Roi de Hongrie et de Bohême » en 1740 à Bratislava). Ces mêmes autorités slovaques s’opposèrent ensuite au résultat d’un referendum qui proposa le nom de « Pont Chuck Norris », apparemment très populaire en Slovaquie. L’ouvrage qui a été ouvert aux cyclistes et au piétons en septembre 2012, a finalement été baptisé d’un commun accord « Pont de la liberté » (« Brücke der Freiheit » en allemand, « Slobodý cyklomost » en slovaque) en hommage aux victimes qui tentèrent de franchir la rivière et le Rideau de fer à cet endroit pendant la dictature communiste.
   Ce pont-passerelle, dessiné par l’architecte slovaque Milan Beláček, d’un coût total de 4,6 millions d’Euros, financé par l’UE à 80% et pour le reste à parts égales entre la Slovaquie et l’Autriche, mesure 550 m de long, 21,3 m de hauteur et 4,6 m de largeur.
Un Chuck-Norris-Buffet accueille avec humour promeneurs et cyclistes à proximité du pont sur la rive slovaque…

Le château de Hof en Marchfeld, © photo Danube-culture, droits réservés

Matthias Feldmüller (1770-1850), l’amiral du Danube

Matthias Feldmüller en habit d’amiral du Danube, portrait du peintre autrichien Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865)

   « Nous ne saurions nous refuser à offrir un exemple, combien un seul homme d’une parfaite probité peut contribuer par son assiduité au travail à sa fortune et à celle de ses concitoyens. Matthias Feldmüller, un des maîtres-bateliers de Persenbeug, est parvenu, uniquement par une probité à toute épreuve et par un travail constant, à une aisance bien méritée. Constamment, il entretient au moins quinze charpentiers de vaisseau, qui annuellement construisent une vingtaine des plus grandes barques de vingt-trois toises de long. Outre cela, il emploie trois cents matelots, et près de cent des plus grands chevaux de traits. Une grande partie des habitants de Persenbeug, jusqu’aux enfants même, trouvent chez lui de l’occupation et à gagner leur vie. Les progrès de la navigation et du commerce dans l’intérieur comme au-dehors sur le Danube, ainsi que la fidélité et so dévouement pour son Souverain, lui ont mérité le titre d’excellent patriote. »
« Description pittoresque de l’Autriche composée et mise au jour par les frères And. et Christ. Köpp de Felsenthal », Tome premier, La Commission chez Artaria et Compagnie à Vienne, 1814, p. 31

Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865) : portrait de Matthias Feldmüller, collection du Wien Museum

Matthias Feldmüller
   Matthias Feldmüller nait dans la petite ville d’Ybbs sur le Danube (rive gauche) en 1770. Son père, issu de la bourgeoisie locale, meurt quand l’enfant est encore jeune. Sa mère se remarie avec un batelier du nom de Rosenauer. Celui-ci perçoit les capacités du jeune homme et lui donne rapidement l’occasion de faire ses preuves en tant que batelier en participant à des convoyages difficiles. Le jeune Matthias, à peine âgé de quinze ans, fait preuve d’une redoutable habileté et manoeuvre seul des barges sur le Danube, un fleuve encore sauvage à cette époque et bien plus dangereux qu’aujourd’hui en raison de la présence de nombreux rapides, de tourbillons, de remous comme ceux de Grein mais aussi de banc de sable et de nombreuses îles.

Ybbs sur le Danube au début du XIXe siècle

   Il épouse Éleonore Freytag, fille d’un maître batelier de Linz et vit en Strudengau au bord du fleuve, à Freyenstein (Freienstein) sur la rive droite (aujourd’hui sur la commune de Neustadl-an-der-Donau). Il fonde sa propre société de transport fluvial. Les bateliers étaient de remarquables entrepreneurs en logistique et se chargeaient du transport des marchandises et aussi parfois de passagers sur le Danube avec leur flotte de bateaux composée de différentes Zille. Ils possédaient un personnel chargés d’en assurer le transport vers l’aval mais aussi vers l’amont ainsi que des équipages de chevaux pour haler depuis un chemin de halage (à certaines périodes de l’année) les bateaux  en remontant le fleuve ce qui représentait une tâche considérable et fastidieuse comportant une part importante de risques pour les hommes comme pour les chevaux.
En 1790, Matthias Feldmüller fait preuve d’un engagement particulièrement important pour la maison impériale en tant que transporteur lors de la dernière guerre avec l’Empire ottoman pendant laquelle l’Autriche est l’alliée de la Russie1. Il convoie avec ses bateaux des provisions et de la poudre jusqu’à Belgrade. L’empereur Léopold II de Habsbourg (1747-1792) le remerciera et le décorera pour l’accomplissement de ces missions périlleuses.
Il réussit ensuite avec le soutien d’une de ses parente, également maitresse batelière (Rosenauer), à fonder en 1801 une nouvelle entreprise de transport fluvial à Persenbeug, la développe, y joint un chantier naval d’où sortent plus de quarante bateaux par an et assure avec sa flotte le transport de diverses marchandises de l’Allemagne (Regensburg) jusqu’au fin fond de la Hongrie.

Le château de Persenbeug (rive gauche), gravure coloriée, 1840

Le village de Persenbeug et le Danube sont dominés depuis le Moyen-âge par un château, une des propriétés qui a déjà appartenu à la famille des Habsbourg jusqu’à la fin du XVIe siècle. Il sera vendu puis racheté par l’empereur François II de Habsbourg (1768-1835) en décembre 1800.  Le souverain y passe plusieurs étés et entre en contact avec le batelier, qui se montrera envers lui d’une grande loyauté et d’une aide précieuse lors des deux campagnes d’Autriche de Napoléon.
En 1805, alors que les troupes impériales autrichiennes sont battues à Ulm et font retraite sur Vienne, une armée russe alliée commandée par le général Mikhaïl Illarionovitch Koutouzov (1745-1813) entreprend d’arrêter les troupes napoléoniennes en chemin pour la capitale impériale à la hauteur de la Wachau. Toutes les embarcations des bateliers et maîtres de bateaux de la région ont été réquisitionnées par les troupes françaises pour leur permettre de traverser le Danube en toute sécurité. Matthias Feldmüller est lui aussi contraint d’accepter mais il ordonne à ses bateliers de naviguer le plus lentement possible afin de retarder l’avancée des armées napoléoniennes et de donner du temps à son adversaire autrichien. Selon les journaux de l’époque, c’est lui en personne qui aurait demandé à un chasseur local d’indiquer aux soldats de Koutouzov un sentier pour prendre les troupes napoléoniennes à revers avant la bataille d’Unter et Oberloiben près de Dürnstein en Wachau (rive gauche) remportée par les armées russes.
Selon le « Kremser Zeitung » (« Journal de Krems) » de 1893, M. Feldmüller arriva à Vienne en 1809 avant l’arrivée des armées françaises et transporta avec ses bateaux les réserves de poudre stockées dans les douves de la ville vers l’armée de l’archiduc Charles d’Autriche (1787-1847) stationnée dans la région proche du Marchfeld (rive gauche), faisant passer ses barges sous le Franzbrücke (pont François) déjà en feu, en direction des prairies alluviales du Danube et mettant sa propre vie en danger.

Plan de Vienne (partie) 1809

Partie d’un plan historique de Vienne avec le Prater et l’ancien bras du Danube, aujourd’hui le canal du Danube, 1809. Le « Franzbrücke » (Pont François) est le premier pont à gauche sur le bras du Danube. Il relia le Prater à Vienne. « Grundriß der Haupt- und Residenzstadt Wien », Wien: J.V.Degen 1809 – Historischer Stadtplan von Wien nach der zweiten Häuserzählung 1795″.

Son entreprise compta parmi les plus grandes de la monarchie des Habsbourg. Le « Journal du Danube » de 1860 écrit qu’au plus fort de son activité, 1000 bateaux de sa compagnie naviguent vers l’aval et 500 remontent vers l’amont chaque année. Plus de 1000 employés et chevaux sont placés sous sa direction. M. Feldmüller qui s’est fait construire une maison de maître batelier à Persenbeug possède aussi une habitation/magasin dans le quartier viennois de Leopoldstadt, au numéro 560. L’ancienne adresse « An der Holzlagergestätten » se situerait aujourd’hui Untere Donaustrasse 37, au coin de la rue Fruchtgasse.
L’empereur François Ier, avec lequel il noua d’excellentes relations, qu’il accompagnera parfois lors de ses promenades et dont il sauvera son fils, l’archiduc Ferdinand (1793-1875) de la noyade, distingue le batelier pour ses mérites. Le célèbre peintre de l’époque Biedermeier, Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865) réalise son portrait. Cet artiste est régulièrement l’hôte de l’empereur dans son château de Persenbeug et celui-ci lui demande de peindre « l’amiral du Danube » en compagnie de son épouse. Un des portraits de M. Feldmüller peint par Waldmüller appartient à la collection des princes Lichtenstein. Le batelier y porte un frac et un chapeau rouges, ressemblant à un uniforme, à la manière d’un amiral. M. Feldmüller refusera par contre d’être anobli  : « Je crois que je peux très bien représenter un maître de bateau compétent, mais très mal un gentilhomme ».
M. Feldmüller qui fit de Persenbeug le grand centre de la logistique fluviale danubienne était encore un bienfaiteur et un mécène. Lorsque le 12 juin 1837, le premier bateau à aubes, le « Maria Anna », passe devant Persenbeug en remontant le fleuve vers Linz, le maître batelier, âgé de soixante-sept ans, debout sur la rive, aurait marmonner en secouant la tête : « Cela ne pourra pas durer ! »

Le Maria-Anna en 1837, premier bateau à vapeur de la compagnie D.D.S.G. à assurer la liaison entre Vienne et Linz.

Matthias Feldmüller meurt à Persenbeug le 28 mars 1850. Une rue de la petite ville d’Ybbs porte son nom. Père de dix enfants, il laisse sa maison de Vienne à son fils prénommé Matthias, marchand de bois qui sera aussi gérant du canal de Wiener Neustadt. Selon Ferdinand Kisch, la famille Feldmüller possédait également en 1831 la maison au n° 6 de la Kettenbrückengasse, maison où le compositeur Franz Schubert était décédé en 1828.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour juillet 2025

Notes :
1 L’Autriche entre en guerre contre l’Empire ottoman en février 1788. Ses armées assiègent et prennent Belgrade en 1789. Le Traité de paix de Sistova (aujourd’hui en Bulgarie, sur la rive droite du Danube) est conclu entre l’Empire ottoman le 4 août 1791 et l’Autriche. L’Autriche renonce à garder Belgrade mais obtient Orşova (rive gauche), point frontière avec une quarantaine obligatoire pour les passagers dans les Portes-de-Fer. 

Le Danube à travers les cartes : l’Atlas Maior de Joan Blaeu (1595-1673)

Cartouche de la carte du D A N V B I U S, FLUVIUS EUROPAE MAXIMUS, A FONTIBVS AD OSTIA, Cum omnibus Fluminibus, ab utroque latere, in illum defluentibus. Le Danube, le plus grand fleuve d’Europe, de la source à l’embouchure avec tous les fleuves qui s’y jettent des deux côtés.

Cette carte du Danube (III/19) avec sa cartouche est singulière à plus d’un point. Alors que la plupart du temps les toponymes sont entourés de figures conventionnelles de divinités et de symboles d’abondance, celui-ci est encadré de personnages réalistes et met en scène le conflit qui opposa l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Charles Quint (1500-1558) à Soliman le Magnifique (1495 ?-1566), sultan de la Grande Porte ou selon d’autres sources, Ferdinand III de Habsbourg (1608-1657) à Mourâd IV (1612-1640). À gauche, l’Empire des Habsbourg est symbolisé par un aigle noir à deux têtes sur un bouclier de couleur jaune et un crucifix tenus par un personnage en retrait de l’empereur. L’empereur chrétien, plutôt dans une attitude défensive, tient l’épée impériale de la main droite et l’orbe impériale dans la main gauche, tous deux symboles du Saint Empire Germanique avec le crucifix. À droite, l’Empire Ottoman est représenté par le sultan Soliman le magnifique, coiffé d’un turban rehaussé de trois plumes colorées qui tient un bouclier de la main gauche et brandit un cimeterre de la main droite. L’attitude est celle d’un conquérant à l’image de Soliman le Magnifique. Non seulement le sultan brandit un cimeterre en direction de Charles Quint mais le personnage qui se tient à ses côtés, apparaissant sous les traits d’une jeune femme tenant une lampe à huile, foule un crucifix sous son pied droit. Au pied de Soliman on voit une salamandre, allusion au fait que le sultan avait trouvé un allié dans le roi de France François Ier ( 1494-1547) dont l’emblème familial était la salamandre.On remarquera également que l’empereur chrétien et le sultan ottoman portent tous les deux la barbe, alors à la mode mais aussi symbole de virilité et de maturité.

Les 6  Bouches du Danube sur la carte du Danube de l’Atlas Maior de Johann Blaeu, 1662

   L’illustration ci-dessus est un détail de la carte du cours du Danube de L’Altas Maior (Danubius, Fluvius Europa Maximus, III 19) centré sur les 6 « embouchures du Danube » dont les noms sont indiqués en latin (Pulchrum ostium, Sacrum ostium…).
Les deux illustrations ci-dessous concernent des détails d’une carte de l’archiduché d’Autriche traversé par le Danube (Austria Archiducatus, III/2) dont l’auteur est… le médecin cartographe et historien autrichien Wolfgang Lazius (1514-1565). Cette carte incorporée à la publication de Johann Blaeu est donc déjà vieille de près d’un siècle lorsque paraît l’Atlas Maior !

Le Danube, Viennne et l’Archiduché d’Autriche, détail, Atlas Maior de Johann Blaeu, 1662

On y voit tout Vienne fortifiée, qui sera encore sous la menace de l’Empire ottoman au XVII siècle (jusqu’en 1683), sur la rive droite du fleuve, un pont en trois partie à la hauteur de la ville qui le traverse et s’appuie sur deux îles. Deux autres ponts permanents (et à péage…) franchissaient le Danube sur le territoire de l’archiduché d’Autriche qui appartenait au Saint Empire Romain Germanique et dont l’empereur était à l’époque de la publication de l’Atlas maior, Léopold Ier de Habsbourg (1640-1705), celui de Mautern, en amont de Vienne et le troisième à la hauteur de Mauthausen, en aval de Linz. Ces deux toponymes proviennent d’ailleurs de la même racine, « Maut », signifiant péage en allemand.

Le Danube et l’Archiduché d’Autriche, détail du cours du fleuve en Haute-Autriche, Atlas Maior de Johann Blaeu, 1662

 Un deuxième détail de cette même carte se situe cette fois à l’ouest de l’Archiduché d’Autriche, à l’endroit où le Danube quitte le duché de Bavière. Sur la droite du fleuve le nom d’une cité, Pariz (!) pourrait indiquer qu’il s’agit de Passau tout en n’étant pas placé correctement c’est-à-dire au confluent de l’Inn avec le Danube. L’échelle graphique est en milles germaniques (1 mille = 7, 4 km). Selon un texte accompagnant cette carte « Les hommes et les femmes de condition se plaisaient, avant et depuis ces dernières guerres, à se vêtir à la française, et même ceux qui se croyaient au rang des honnêtes hommes, s’habillaient le plus qu’ils le pouvaient à la mode de France, mais ceux qui suivent la cour de l’empereur, à cause de l’affection qu’il porte à l’Espagne, se sont ordinairement presque tous vêtus à l’espagnol ».

   Seule la première partie du projet d’édition de l’Atlas Maior initial (9 à douze volumes selon les éditions latines, françaises, néerlandaises, espagnoles et « allemandes ») fut publiée. La deuxième partie qui contenait des cartes des mers et la troisième avec des cartes du ciel ne verront jamais le jour.

« Le Danube, épanchant ses eaux sur les douces pentes et les calmes hauteurs du Mont Abnoba, rend visite à de nombreux peuples, puis se précipite dans le mer Pontique par six bouches : un septième bras se perd dans les marais. »

Publius Cornelius Tacitus (56,-120 ? après J.C.)
Eric Baude, Danube-culture © mis à jour juillet 2025, droits réservés
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