Allégorie de Ratisbonne

   Le frontispice de la gravure montre une allégorie complexe, en partie ambivalente et à bien des égards ouverte à l’interprétation, sur la ville « étatique » de Ratisbonne (« Staatisches Regensburg »), à prendre au pied de la lettre. Des phrases latines, dont beaucoup sont des citations antiques variées et parfois erronées tirées de l’Énéide et des Géorgiques de Virgile, donnent des indications sur l’interprétation de cette gravure richement illustrée. Le sens de certaines illustrations reste toutefois imprécis et laisse place à diverses interprétations.

Anselm Godin de Tampezo (1677-1742), prince-abbé monastère impérial de St. Emmeram

   Le message principal de cette gravure est toutefois facile à déchiffrer : Le navire d’État « RATISBONA », qui fend les flots devant le panorama de la ville, est sur la voie du succès. Dans l’ensemble, la mise en scène positive, voire propagandiste, révèle avant tout une chose : l’image et la haute conscience de soi des habitants de la ville, d’autant plus que dans leur cité siège également la Diète impériale perpétuelle.
   Pour compléter le titre de la gravure, on peut lire sur les rames du bateau « POLITICA », un terme riche en contenu qui désigne aussi bien l’ensemble de l’État que les actes administratifs en particulier. Dans cette représentation, il est associé à l’importance fondamentale des responsables politiques pour le bien commun, puisque le conseil dirige le destin de la ville et fait avancer le navire ou la communauté à l’aide des meilleures qualités possibles qui sont inscrites sur les manches des avirons : la justice (« Iustitia »), la prudence (« Prudentia »), le courage/la force (« Fortitudine »), la sagesse (« Sapientia »), la prévoyance/la sollicitude (« Providentia »), l’industrie (« Industria »), le travail (« Labore ») et la charité (« Munificentia »). Au milieu du bateau trône la Ratisbonne personnifiée, accompagnée de trois autres figures féminines, ses principales vertus, en partie attribuées à des qualités positives supplémentaires : la foi qui protège du mal – ou qui veille en permanence – (Fides avec un héron ou une grue) et la sagesse/la prudence dans la conduite de la guerre (Minerve avec une lance et un bouclier de Méduse) protègent les femmes. La paix victorieuse (Pax avec une couronne de la victoire levée) lui soutient le dos. Dans une interprétation plus large, l’auteur de cette représentation avait peut-être en tête la théorie classique des trois états ; ainsi, cette garde du corps pourrait symboliser, selon ses intentions, le clergé, l’État et le peuple.
   Sous la mention « Musa Studiumque decorat », c’est-à-dire « les arts et les sciences embellissent [Ratisbonne] », se tient à l’arrière du bateau un orchestre composé uniquement de femmes qui jouent des instruments (trompette, timbales, violons, viole de gambe, harpe, flûte à bec et un autre instrument difficilement identifiable. Elles symbolisent les neufs muses, une dixième femme incarnant la discipline dans les études. Le maître des muses, Apollon avec sa lyre, dieu des arts et de la musique, trône sur une place élevée au-dessus d’elles. En dessous, une guirlande de fleurs orne la poupe du navire.
   Devant le groupe central de Ratisbonne, Fama, la rumeur, se tient en hauteur et annonce au monde la nouvelle de la prospérité du navire d’État. A la proue, les armoiries des neuf électorats de l’époque sont réunies sous l’aigle impérial, qui orne également la voile principale : Mayence, Cologne, Trèves, Palatinat rhénan, Bavière, Saxe, Brandebourg, Bohême et Brunswick-Lunebourg ou duché de Hanovre. Au-dessus, Mercure, dieu du commerce et des marchands, est en équilibre comme une figure de proue surélevée.
   Les deux cartouches sur la coque du bateau méritent une attention particulière, car elles indiquent l’âge réel de la ville selon A. Godin, et accessoirement l’année de la création. À la proue apparaît la faucheuse ailée, Chronos (le temps), avec l’indication « Ab Anno Mundi » (Depuis le début du monde) « 2070 », à l’arrière une version miniature réduite de la présente allégorie, ainsi que la datation « Usque Ad Annum Christi 1728″ (Jusqu’à l’année du Christ 1728) » se rapportant à la gravure. L’explication est fournie par un passage du texte consacré à l’origine de Ratisbonne. D’après A. Godin, qui corrige à plusieurs reprises C. Vogl, le début du monde est à dater de 4054 av. J.-C. ; 2070 ans plus tard, soit en 1984 av. J.-C., Ratisbonne est fondée par le « roi Hermann » – sous le nom de « Hermanns-Haimb » et, il faut le noter, « bey dem Fluss Regen » c’est-à-dire au bord de la rivière Regen, et non pas sur le Danube. En 1728, elle existait donc déjà depuis plus de 3700 ans, un chiffre que l’on retrouve sur la voile arrière « Per Triginta viget, quibus addito Secula Septem » – en substance : « Elle prospère depuis trente siècles, auxquels il faut en ajouter sept ». Ce curieux jeu de chiffres est couronné par la constatation vaniteuse que Ratisbonne est ainsi plus ancienne que Troie ou Rome ! Mais cela ne suffisait manifestement pas à A. Godin : avec 338 et 1230 ans, il a fixé les différences de temps par rapport à ces lieux à un niveau encore plus élevé que ne l’a fait C. Vogl avant lui.
  Les meilleures conditions paraissent donc réunies : dans le ciel, à gauche, la Fortune sourit doucement sur sa roue à aubes ; à droite, le vent d’ouest favorable, Zéphyr, précurseur du printemps qui chasse l’hiver, aide le navire d’État à avancer ; l’œil de Dieu veille sur tout. Au premier plan à gauche, se tient un jeune dieu des eaux dégustant semble-t-il avec délectation, une écrevisse, qui n’est pas clairement identifié comme étant le dieu « Fluvius Danubius », représenté d’habitude comme un vieillard barbu. De l’autre côté, Cérès se repose avec une corne d’abondance et un faisceau d’épis, Bacchus est assis derrière elle sur un tonneau de vin. Ils incarnent non seulement les récoltes abondantes et la prospérité, mais aussi les éléments eau, terre et feu, ainsi que les saisons printemps, été et automne.
Sur la droite, au second plan on distingue le pont de pierre de Ratisbonne.
Karin Geiger, Musée d’histoire de Nuremberg

Version ébauchée du texte de l’objet pour l’exposition « Stadt-Land-Fluss » 2018, n° 13, traduction et adaptation en langue française Eric Baude

Inscriptions collectées :
– Cartouche sur le mât principal : « Staat= / isches Regen / spurg. »
– Médaillon sous ratisbona : « Mercib[us] / atque Viri[is] / constat Res / publica doc= / tis. » – Drapeau de la clé de la ville : « Aperatque bonis / Clauditque malis ».
– Voile avec aigle impérial : « Expanso hoc tutò Navigo / velo ».
– Cartouche en dessous : « Musa / Studiumque / decorat ».
– Voile de poupe : « Per triginta viget, / quibus addito Se- / cula Septem. »
– Socle de la Fama : « Fert / Fama / Dietam. »
– Bannière de Mercure / Hermès : « Fert tot honores. »
– Coque du navire : « R – A – T – I – S – B – O – N – A ».
– Avirons : « P.O.L.I.T.I.C.A. ».
– Manches des avirons : « Iustitia » (balance), « Prudentia » (caducée), « Fortitudine. » (lion), « Sapientia. » (globe), « Providentia. » – (sphère armillaire), « Industria » (balles de tissu), « Labore. » (vigne), « Munificentia ». (Corne d’abondance)
– Cartouche de la coque à gauche : « Ab Anno Mundi / 2070 ».
– Cartouche du tronc à droite : « Usque ad An[n]um Christi / 1728 ».
– Bannière de la Fortune : « Ut / quamcumque / Viam dederit / Fortuna, sequa= / tur. Æn. 10. » – devant l’œil de Dieu : « Coeli menses et Sydera Serva. / Georg.i. »
– Zéphyr : « Ferte Viam Zephyri facile et spirate / secundi. ænei [?]. 3. »

Merci à Karin Geiger pour la mise à disposition de son texte sur cette magnifique allégorie de la ville de Ratisbonne.
Danube-culture, © droits réservés, mis à jour avril 2025

Le monastère de saint-Emmeran, photo d’une gravure de 1730

Peintres du Danube : Nicolae Dărăscu (1883-1959)

Nicolae Darascu, bateaux à Valcov
Nicolae Dărăscu, Bateaux sur le Danube à Vălcov (Vylkove, en ukrainien Вилкове, autrefois en Roumanie, aujourd’hui sur le territoire aujourd’hui ukrainien du delta du Danube) huile sur toile, 1924

Nicolae Dărăscu étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts de Bucarest entre 1902 et 1906, dans la classe de George Demetrescu Mirea (1852-1934). Après en avoir été lauréat et avoir reçu une bourse pour l’Académie Julian à Paris qu’il souhaitait fréquenter en tant qu’admirateur de ses prédécesseurs Nicolae Grigorescu (1838-1907) et Ştefan Luchian (1868-1916) où le jeune artiste va suivre d’abord les cours de Jean-Paul Laurens (1838-1921) puis à partir de en 1907, de Luc-Olivier Merson (1846-1920) à l’École des beaux-arts.

 Bateau à voile dans le delta, huile sur toile, 1914, une des nombreuses « marines » de Nicolae Dărăscu

Il voyage dans le sud de la France (Toulon et Saint-Tropez, 1908), à Venise (1909), en Roumanie (à Vlaici, comté d’Olt, 1913, et dans le sud de la Dobroudja et au bord de la mer Noire, à Balcic en 1919, principale résidence d’été de la reine Marie de Roumanie (1875-1938) entretenant des contacts permanents avec des artistes d’autres cultures, visitant les grands musées d’art européens et élargissant ses horizons pour découvrir et tenter de nouvelles formes d’expression artistique. Contrairement à nombre de ses contemporains, N. Dărăscu peint rarement des intérieurs ou des natures mortes.

N. Darascu maison avec tilleul à Balcik 1933

Nicolae Dărăscu, Maison avec tilleul à Balcic (Balčik, aujourd’hui en Bulgarie appartint à la Roumanie qui avait annexé la Dobroudja du sud de 1913 à 1916 puis de 1918 à 1940) huile sur toile, 1933

En 1917, N. Dărăscu fonde en compagnie des peintres de sa génération, Camil Ressu (1880-1962), Ștefan Dimitrescu (1886-1933), Iosif Iser (1881-1958), Marius Bunescu (1881-1971) et les sculpteurs Dimitrie Paciurea (1873 ou 1875-1932), Cornel Medrea (1888-1964), Ion Jalea (1887-1983) et Oscar Han (1891-1976), l’association Arta Română à Iaşi.
N. Dărăscu a été également professeur à l’Académie des beaux-arts de Bucarest entre 1936 et 1950.

Sources : 
Radu Ionescu, Vasile Florea
Nicolae Dărăscu, Editura Meridiane, București, 1987
https://ro.wikipedia.org/wiki/Nicolae_Dărăscu

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