Periprava (delta du Danube)
Photo Guy-Pierre Chaumette, Regards de l’Est
Les lieux sont peuplés par des pêcheurs d’origine lipovène dans les années 1860, à proximité d’un monastère orthodoxe situé en lisière de forêt. Une église orthodoxe, dédiée à saint Dimitri est construite en 1882.
En 1900, le village compte une population exclusivement lipovène de 344 habitants logés dans 65 maisons puis 559 en 1912, 558 en 1930, 602 en 1948, 593 en 1956, 1048 en 1966, 615 en 1977, 322 en 1992 et 312 en 2002. Ces variations démographiques peuvent s’expliquer par la présence d’un goulag, le Camp de la maison rouge construit vers 1950 par Gheorghe Gheorghiu-Dej (1901-1965) et le régime communiste et qui a été « transformé » en prison pour détenus de droits communs en 1975 et qui a continué à fonctionner comme tel jusqu’à la révolution de 1989.
L’objectif officiel de la colonie pénitentiaire était de construire un barrage de 16,5 km de long entre Periprava et Sfiştofca afin de protéger des inondations les champs sur le point d’être débarrassés des roseaux afin de pouvoir les utiliser comme surfaces agricoles. Un autre objectif était de rehausser la route de Periprava sur plusieurs kilomètres. À partir de 1959, des milliers de prisonniers politiques ont été amenés dans la colonie et ce jusqu’en 1964, date des amnisties collectives. Le but non déclaré mais implicite de ces transferts était d’exploiter brutalement leur travail et de tout simplement les soumettre à un régime d’extermination. Ces conditions atroces ont entraîné la mort de 124 prisonniers, principalement des prisonniers politiques, mais aussi des prisonniers de droit commun. Selon des informations documentaires, ainsi que de nombreux témoignages d’anciens prisonniers politiques ayant survécu à la détention dans le camp de travail de Periprava, les causes principales de décès ont été les suivantes : la famine, le froid, le manque d’eau potable et l’absence de soins de santé, les accidents dus au travail épuisant et aux expériences antérieures dans d’autres camps de détention. Certains d’entre eux ont été abattus dans différentes circonstances, notamment lorsqu’ils tentaient de s’échapper.1 Une croix peinte en blanc, sans aucune inscription, commémore ceux qui y perdirent la vie. Les femmes âgées du village qui s’occupent des tombes du cimetière local, racontent qu’elle a été installée à l’endroit où leurs dépouilles étaient enterrées.
Le village souhaite mettre en place à l’intention des visiteurs un parcours mémorial rappelant cette histoire douloureuse mais il est quand même surprenant que l’hôtel « Ultima Frontiera », un établissement écotouristique dans une propriété de 10 000 ha, ait été construit sur l’emplacement même de ce camp de prisonniers. Aurait-on l’idée de construire un hôtel dans le camp de concentration de Mauthausen ?
Cette région du delta est un trésor de biodiversité et représente la plus importante zone de nidification d’oies sauvages de tout le delta du Danube, Des petits cormorans, des sternes nocturnes et des cigognes noires en grand nombre la fréquentent également.
Notes :
1 Sources : Institut d’enquête sur les crimes communistes et la mémoire de l’exil roumain, www.iiccmer.ro