Napoléon et l’abbaye bénédictine de Göttweig, campagne d’Autriche de 1809

L’abbaye bénédictine de Göttweig depuis les rives du Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

   Il n’est pas sûr que Napoléon, lors de sa deuxième campagne d’Autriche ait passé la nuit du 7 au 8 septembre 1809 à l’abbaye bénédictine de Göttweig1 que son armée avait transformée momentanément, tout comme l’abbaye de Melk, en une caserne et un hôpital de campagne pour y soigner ses malades et blessés. De par son emplacement en hauteur dominant à la fois la vallée du Danube et la plaine de Tulln, elle lui parût aussi un emplacement idéal pour y faire installer des canons…
S’il ne dormit vraisemblablement pas ni dans le lit ni dans la chambre qu’on lui avait préparé, il s’arrêta le 8 septembre à l’abbaye pour réconforter les blessés et déjeuner avant de traverser le Danube à Mautern et se rendre au camp de Krems ainsi que le maréchal Marmont (1774-1852), duc de Raguse, le raconte dans ses mémoires pour y inspecter ses troupes :
« Schoenbrunn, le 6 septembre 1809
Je vous préviens, Monsieur le Maréchal, que l’Empereur partira d’ici le 8 à quatre heures du matin et se rendra par la rive droite du Danube, à l’abbaye de Gottweig, où sa Majesté déjeunera. Sa Majesté passera ensuite le Danube sur le pont de Mautern, et se rendra au camp de Krems, où elle verra toutes les troupes qui sont sous ses ordres, infanterie, cavalerie, artillerie, tant la cavalerie légère que la grosse cavalerie… »

L’abbaye bénédictine de Göttweig aux environs de 1800, gravure de L Janscha (1749-1812)

   Napoléon est accueilli par l’Abbé prieur Leonhard Grindberger (supérieur de l’abbaye de 1803 à 1812). Celui-ci aurait ordonné qu’on utilise à cette occasion son propre service en porcelaine, service exposé désormais dans la chambre initialement destinée à l’empereur. L’Abbé interrogea Napoléon quant à l’éminence d’un accord de paix entre l’Autriche et la France, question à laquelle Napoléon répondit : « Je l’espère fort ! »
Lorsque les armées françaises investirent l’abbaye bénédictine de Göttweig, celle-ci traversait depuis plusieurs années une période difficile et il n’est pas étonnant dans ces circonstances que les moines aient demandé à Napoléon de soulager leurs contraintes, ce que celui-ci, selon la tradition, prit en considération. On raconte qu’au moment où Napoléon quitta Göttweig, il gratifia le personnel de cuisine d’un pourboire royal !
Le prieur Leonard Grindberger écrivit quelques temps plus tard que la visite l’empereur dans cette période difficile fut plus un réconfort qu’une charge.
Le lendemain de son inspection à Krems où il a passé la nuit, Napoléon écrit au prince Cambacérès avant de rentrer à Schönbrunn :
Krems, 9 septembre 1809
Au prince Cambacérès, archichancelier de l’empire, à Paris

Mon Cousin, j’ai passé hier, ici, la revue du corps du duc de Raguse. Je vais partir dans une heure pour retourner à Vienne. Les négociations continuent. On a répandu à Paris le bruit que j’étais mal ; je ne sais pourquoi. Je ne me suis jamais mieux porté.
Napoléon

L’abbaye de Göttweig sur la rive droite du Danube qu’elle domine, photo © Danube-culture, droits réservés

   La paix entre l’Autriche et la France que l’Abbé et les moines de l’abbaye espéraient tant, fut conclue le 14 octobre 1809 (Traité de Schönbrunn). Mais son prix était exorbitant pour la monarchie autrichienne vaincue et toutes les réserves d’or et d’argent de ce monastère et d’autres abbayes de l’Empire autrichien y furent englouties.
L’abbaye bénédictine de Göttweig sur la rive droite, à l’entrée aval de la Wachau, fondée en 1083 par l’évêque Altmann de Passau, est classée au patrimoine mondial de l’Unesco.

Eric Baude, © Danube-culture, mis à jour août 2024
Notes :
1 Divers documents parmi lesquels le journal de Napoléon et les mémoires du Maréchal Marmont, duc de Raguse, infirment l’hypothèse que l’empereur aurait dormi à Göttweig. Par contre Napoléon a logé en 1805 et 1809 à l’abbaye bénédictine de Melk.  

Sources :
 Correspondance inédite de Napoléon Premier conservée aux Archives de la Guerre, publiée par Ernest Picard et Louis Tuetey, Tomme III. — 1800-1810, Henri-Charles Lavauzelle, Éditeur militaire, Paris, 1913
Mémoires du Maréchal Marmont, duc de Raguse de 1792 à 1841, imprimés sur le manuscrit original de l’auteur avec le portrait du duc de Reichstadt : celui du duc de Raguse et quatre fac-similés de Charles X, du duc dd’Angoulême, de l’Empereur Nicolas, et du duc de Raguse, tome neuvième, Paris, Perrotin, libraire-éditeur, 41 rue Fontaine-Molière. L’éditeur se réserve tous droits de traduction et de, reproduction, 1857
UHRMANN, Erwin, UHRMANN, Johann, 111 Orte in der Wachau die man gesehen haben muss, Emons Verlag, Dortmund, 2019
Göttweig fronton et devise

 » À la mère du Dleu tout puissant ce bâtiment ressuscité des flammes…, photo © Danube-culture, droits réservés

MAGNAE
DEI MATRI
AEDIFICII HUIUS
IN AMPLIOREM DIGNIOREMQUE FORMAM
AB INCENDIO RESURGENTIS
UNICAE POST DEUM AUCTORI
SE SUOS ET QUIC QUID HIC CONDITUM VIDES
PUBLICAE GRATITUDINIS ERGO
SUPPLEX COMMENDAT ATQUE TUENDUM TRADIT
GODEFRIDUS ABB GOTWI
ANNO MDCCXXX

Napoléon et l’île de la Lobau (campagne d’Autriche de 1809) II

   Entre le 10 mai et le 6 juillet 1809 à l’occasion de la deuxième campagne d’Autriche, eurent lieu à Aspern, Essling, Groß-Enzersdorf et dans les environs, sur l’île de la Lobau, au milieu des méandres danubiens et bien avant que les grands travaux de canalisation du Danube de la deuxième moitié du XIXe siècle ne bouleversent et ne fassent disparaître l’extraordinaire complexité de ce paysage fluvial, de nombreux affrontements entre les troupes napoléoniennes et autrichiennes. Le 22 mai se déroule la bataille dite d’Aspern-Eßling, considérée comme une victoire par les Autrichiens dont les troupes, bien supérieures en nombre, étaient alors commandées par le prince Charles de Habsbourg (1771-1847), fils de l’empereur Léopold II (1747-1792). Le maréchal Jean Lannes (1769-1809), gravement blessé à cette occasion, mourra quelques jours plus tard.

Albert-Paul Bourgeois (?-1812), le maréchal Jean Lannes blessé à la bataille d’Essling, huile sur toile, 1809-1812, collection du château de Versailles, domaine public

6 stèles (obélisques) napoléoniennes et une route Napoléon (Alte Napoleon Straße et Napoleon Straße) commémorent le passage de la Grande Armée dans la Lobau où elle s’est quelque peu fourvoyée.
   La première des stèle, « La tête de pont des Français » (Brückenkopf der Franzosen) se trouve désormais sur la Lobgrundstraße (rue Lobgrund) à l’entrée des installations et du port pétroliers de Vienne. Les premiers éléments des armées napoléoniennes (la division du général Molitor) débarquèrent sur l’île de la Lobau à cette hauteur après avoir traversé sur des embarcations le Danube en venant de Kaiserebersdorf (quartier de Vienne sur la rive droite). Ils s’appliquèrent à construire tout d’abord deux ponts puis un troisième sur lesquels ne purent toutefois traverser qu’une partie des troupes avant que les Autrichiens ne les détruisent en laissant dériver depuis l’amont du fleuve des brûlots, bateaux-moulins en feu et des barques chargées de pierre que leur avaient fourni des bateliers du Danube expérimentés.
   La deuxième stèle, toute proche (traverser la voie ferrée et se diriger vers le « Panozalacke » et le « Fasangarten Arm », un ancien bras du fleuve) indique l’emplacement du quartier général de Napoléon (Napoleon Hauptquartier) en mai 1809.

La stèle du quartier général de Napoléon, photo © Danube-culture, droits réservé

   La troisième stèle (Napoleonstraße) se tient au carrefour de la Napoleonstraße et de la Vorwerkstraße (la route Napoléon qu’il faut suivre vers le nord en revenant sur ses pas et en tournant à gauche). Au-delà du bras mort d' »Oberleitner Wasser », en direction d’Eßling, on peut apercevoir le bastion de Napoléon (Napoleonschanze).

La stèle de la route Napoléon, photo © Danube-culture, droits réservés

Puis on suivra la « Vorwerkstraße » dans la direction de Groß-Enzersdorf en passant devant ou en visitant le joli Musée de l’histoire de la Lobau (Lobaumuseum) pour atteindre deux autres stèles, celle du « Cimetière des Français » (Franzosenfriedhof) et celle du « Magasin à poudre » (Napoleons Pulvermagazin). La dernière stèle commémorative, dite du « passage des Français », située un peu plus loin dans la direction de l »Uferhaus Staudigl », une auberge populaire très fréquentée à la belle saison (Lobaustraße 85, 2301, Groß Enzersdorf) marque l’endroit où les armées napoléoniennes franchirent depuis l’île de la Lobau, dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809 et par un temps exécrable, un dernier bras du fleuve pour atteindre la région du Marchfeld et rejoindre Wagram.

Charles Meynier (1768-1832), « Le retour de Napoléon sur l’île de la Lobau après la bataille d’Essling, 23 mai 1809 », détail, huile sur toile, 1812, collection du château de Versailles

   Deux peintures historiques aux tonalités contrastées traitent de ces tragiques affrontements : celle du peintre français Charles Meynier (1768-1832) « Le retour de Napoléon sur l’île de la Lobau après la bataille d’Essling, 23 mai 1809 » et celle postérieure du peintre, graveur et écrivain autrichien Anton, Ritter von Perger (1809-1876), « La traversée de Napoléon depuis l’île de la Lobau après la bataille perdue d’Aspern. » huile sur toile, 1845.

Anton, Ritter von Perger (1809-1876), « La traversée de Napoléon depuis l’île de la Lobau après la bataille perdue d’Aspern » , huile sur toile, 1845

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Eric Baude, © Danube-culture, mai 2023, droits réservés
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