Belgrade, capitale de la Serbie et ville des contrastes

 Regards littéraires sur Belgrade…

« Belgrade et Semlin sont en guerre.
Dans son lit, paisible naguère,
Le vieillard Danube leur père
S’éveille au bruit de leur canon.
Il doute s’il rêve, il tressaille,
Puis entend gronder la bataille,
Et frappe dans ses mains d’écaille,
Et les appelle par leur nom.

Allons, la turque et la chrétienne !
Semlin ! Belgrade ! qu’avez-vous ?
On ne peut, le ciel me soutienne !
Dormir un siècle, sans que vienne
Vous éveiller d’un bruit jaloux
Belgrade ou Semlin en courroux !

Hiver, été, printemps, automne,
Toujours votre canon qui tonne !
Bercé du courant monotone,
Je sommeillais dans mes roseaux ;
Et, comme des louves marines
Jettent l’onde de leurs narines,
Voilà vos longues couleuvrines
Qui soufflent du feu sur mes eaux !

Ce sont des sorcières oisives
Qui vous mirent, pour rire un jour,
Face à face sur mes deux rives,
Comme au même plat deux convives,
Comme au front de la même tour
Une aire d’aigle, un nid d’autour.

Quoi ! ne pouvez-vous vivre ensemble,
Mes filles ? Faut-il que je tremble
Du destin qui ne vous rassemble
Que pour vous haïr de plus près,
Quand vous pourriez, sœurs pacifiques,
Mirer dans mes eaux magnifiques,
Semlin, tes noirs clochers gothiques,
Belgrade, tes blancs minarets ?

Mon flot, qui dans l’océan tombe,
Vous sépare en vain, large et clair ;
Du haut du château qui surplombe
Vous vous unissez, et la bombe,
Entre vous courbant son éclair,
Vous trace un pont de feu dans l’air.

Trêve ! taisez-vous, les deux villes !
Je m’ennuie aux guerres civiles.
Nous sommes vieux, soyons tranquilles.
Dormons à l’ombre des bouleaux.
Trêve à ces débats de familles !
Hé ! sans le bruit de vos bastilles,
N’ai-je donc point assez, mes filles,
De l’assourdissement des flots ?

«Une croix, un croissant fragile,
Changent en enfer ce beau lieu.
Vous échangez la bombe agile
Pour le Coran et l’évangile ?
C’est perdre le bruit et le feu :
Je le sais, moi qui fus un dieu !

Vos dieux m’ont chassé de leur sphère
Et dégradé, c’est leur affaire :
L’ombre est le bien que je préfère,
Pourvu qu’ils gardent leurs palais,
Et ne viennent pas sur mes plages
Déraciner mes verts feuillages,
Et m’écraser mes coquillages
Sous leurs bombes et leurs boulets !

De leurs abominables cultes
Ces interventions sont le fruit.
De mon temps point de ces tumultes.
Si la pierre des catapultes
Battait les cités jour et nuit,
C’était sans fumée et sans bruit.

Voyez Ulm, votre sœur jumelle :
Tenez-vous en repos comme elle.
Que le fil des rois se démêle,
Tournez vos fuseaux, et riez.
Voyez Bude, votre voisine ;
Voyez Dristra la sarrasine !
Que dirait l’Etna, si Messine
Faisait tout ce bruit à ses pieds ?

Semlin est la plus querelleuse :
Elle a toujours les premiers torts.
Croyez-vous que mon eau houleuse,
Suivant sa pente rocailleuse,
N’ait rien à faire entre ses bords
Qu’à porter à l’Euxin vos morts ?

Vos mortiers ont tant de fumée
Qu’il fait nuit dans ma grotte aimée,
D’éclats d’obus toujours semée !
Du jour j’ai perdu le tableau ;
Le soir, la vapeur de leur bouche
Me couvre d’une ombre farouche,
Quand je cherche à voir de ma couche
Les étoiles à travers l’eau.

Sœurs, à vous cribler de blessures
Espérez-vous un grand renom ?
Vos palais deviendront masures.
Ah ! qu’en vos noires embrasures
La guerre se taise, ou sinon
J’éteindrai, moi, votre canon.

Car je suis le Danube immense.
Malheur à vous, si je commence !
Je vous souffre ici par clémence,
Si je voulais, de leur prison,
Mes flots lâchés dans les campagnes,
Emportant vous et vos compagnes,
Comme une chaîne de montagnes
Se lèveraient à l’horizon !»

Certes, on peut parler de la sorte
Quand c’est au canon qu’on répond,
Quand des rois on baigne la porte,
Lorsqu’on est Danube, et qu’on porte,
Comme l’Euxin et l’Hellespont,
De grands vaisseaux au triple pont ;

Lorsqu’on ronge cent ponts de pierre,
Qu’on traverse les huit Bavières,
Qu’on reçoit soixante rivières
Et qu’on les dévore en fuyant ;

Qu’on a, comme une mer, sa houle ;
Quand sur le globe on se déroule
Comme un serpent, et quand on coule
De l’occident à l’orient ! »

Victor Hugo, Les orientales, 1828

Lasse de voir les deux villes et à travers elles Chrétiens et Ottomans s’affronter depuis des siècles, Victor Hugo leur demande de taire enfin leurs canons et autres bruits de guerre. À cette époque, Belgrade appartenait encore à la Grande Porte (Empire ottoman) et Semlin était la dernière ville autrichienne au sud du royaume de Hongrie.
Aujourd’hui les deux villes sont serbes mais Semlin a conservé du point de vue architectural une atmosphère très « Mitteleuropa » avec ses joyeuses façades baroques et ses bords de fleuve aménagés pour les promeneurs.


« Le lendemain nous quittons de nouveau le fleuve pendant quatre heure de marche. Le pays, comme tous les pays de frontières, devient aride, inculte et désert ; nous gravissons vers midi des coteaux stériles d’où nous découvrons enfin Belgrade à nos pieds. Belgrade, tant de fois renversés par les bombes, est assise sur une rive élevée du Danube. Les toits de ses mosquées sont percés, les murailles sont déchirées, les faubourgs abandonnés sont jonchés de masures et de monceaux de ruines ; la ville, semblable à toutes les villes turques, descend en rues étroites et tortueuses vers le fleuve. Semlin, première ville de la Hongrie, brille de l’autre côté du Danube avec toute la magnificence d’une ville d’Europe ; les clochers s’élèvent en face des minarets ; arrivés à Belgrade, pendant que nous nous reposons dans une petite auberge, la première que nous ayons trouvé en Turquie, le prince Milosch m’envoie quelques-uns de ses principaux officiers pour m’inviter à aller passer quelques jours dans la forteresse où il réside, à quelques lieux de Belgrade ; je résiste à leurs instances et je commande les bateaux pour le passage du Danube ; à quatre heures, nous descendons vers le fleuve ; au moment où nous allions nous embarquer, je vois un groupe de cavaliers, vêtus presque à l’européenne, accourir sur la plage ; c’est le frère du prince Milosch, chef des Serviens, qui vient de la part de son frère me renouveler ses instances pour m’arrêter quelques jours chez lui. Je regrette vivement de ne pouvoir accepter une hospitalité si obligeamment offerte ; mais mon compagnon de voyage, M. de Capmas, est gravement malade depuis plusieurs jours ; on le soutient à peine sur son cheval ; il est urgent pour lui de trouver le repos et les ressources qu’offrira une ville européenne et les secours d’un médecin d’un lazaret. Je cause une demi-heure avec le prince, qui me paraît un homme aussi instruit qu’affable et bon ; je salue en lui et dans sa noble nation l’espoir prochain d’une civilisation indépendante, et je pose enfin le pied dans la barque qui nous transporte à Semlin. ‑ Le trajet est d’une demi-heure ; le fleuve, large et profond, à des vagues comme la mer ; on longe ensuite les prairies et les vergers qui entourent Semlin. ‑ Le 3 au soir, entré au lazaret, où nous devons rester dix jours. Chacun de nous a une cellule et une cour plantée d’arbres ; je congédie mes Tartares, mes moukres, mes drogmans, qui retournent à Constantinople ; tous nous baisent la main avec tristesse, et je ne puis quitter moi-même sans attendrissement et sans reconnaissance ces hommes simples et droits, ces fidèles et généreux serviteurs qui m’ont guidé, servi, gardé, soigné comme des frères feraient pour un frère, et qui m’ont prouvé, pendant les innombrables vicissitudes de dix-huit mois de voyages dans la terre étrangère, que toutes les religions avaient leur divine morale, toutes les civilisations leur vertu, et tous les hommes le sentiment du juste, du bien et du beau, gravé en différents caractères dans leur coeur par la main de Dieu. »

Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, 2 septembre 1833
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« Il y a de tout dans la forteresse : un jardinier-fleuriste, des boeufs qui paissent sur les bastions, un puits étrange où l’on       descend par des escaliers en tire-bouchon, le tombeau présumé d’une sainte musulmane, une brasserie, même des militaires. Les uns décomposent le pas prussien avec un visage congestionné par l’attention ; d’autres lavent tranquillement leur linge dans le Danube par la brèche d’un mur écroulé. Ce qu’on voit le moins, ce sont des canons, j’entends de vrais canons de siège Le coin que je préfère, c’est un petit kiosque, à l’extrémité du bastion, juste au dessus de la Save et du Danube. De là on voit les deux fleuves s’acheminer majestueusement à travers les plaines croates et hongroises, et se donner la main au pied de la forteresse. Ils forment des taches lumineuses dans les lointains bleuâtres. Ils enlacent tantôt des îles de verdure, tantôt de grandes prairies rousses et marécageuses. Le Danube vient droit sur vous ; après avoir promené son ruban de lumière autour de Semlin, il décrit dans la plaine une courbe parfaite et cueille au passage les eaux plus vertes de la Save ; puis, grossi de son tributaire, emportant avec lui la fortune de vingt peuples riverains, il reprend sa course vers l’Orient. La citadelle s’avance entre les deux fleuves, semblable à la proue d’un énorme navire. De mon observatoire, je domine un enchevêtrement d’escarpes, de contrescarpes, de demi-lunes et de chemins couverts, entremêlés d’herbes folles et de jardins potagers. les profils sévères des murailles ont été adoucis par le temps. La brique a changé son rouge brutal contre une belle nuance dorée, marbrée de lichens. Á tous les angles, il y a des poivrières qui conservent la charmante crânerie des vieilles armes hors d’usage. Légères, suspendues au dessus de l’abîme, toutes noires sur l’argent du fleuve, elles évoquent ces temps déjà fabuleux où la force militaire n’allait pas sans élégance.
Plus loin, on aperçoit le clocher tout bosselé d’or de l’église orthodoxe. A dessous, un entassement de maisons sur une pente abrupte, les magasins du port rangés en demi cercle, les bateaux qui déchargent, les quais trop étroits encombrés de tonneaux et de voitures. La rumeur confuse du port monte jusqu’ici. Mais on y fait, ce semble, plus de bruit que de besogne. C’est d’hier que la ville est émancipée de sa forteresse, et qu’elle peut considérer sans crainte ces embrasures au regard louche, tournées contre elle aussi souvent que contre l’ennemi. Naguère, elle se faisait toute petite derrière cet inquiétant protecteur ; aujourd’hui, elle se risque d’un pas encore incertain, et s’éparpille sur toute les pentes. Tout en bas, les aubes d’un bâtiment autrichien, blanc et rose sous le soleil couchant, tracent un double sillon sur la moire nacrée du fleuve. Les derniers coude de la Save, encadrés de brume violette, s’illuminent de pourpre, et le vieux rempart présente ses blessures à la caresse d’un dernier rayon. »
Comte d’Haussonville, « De Salonique à Belgrade », in La Revue des Deux mondes, Paris, livraison du 15 janvier 1888
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« Quand à cette question de curiosité à satisfaire, elle n’existait pas pour Ilia Krusch. Alors qu’il exerçait le métier de pilote, il s’était souvent arrêter à Belgrade, soit pour y charger, soit pour y décharger des cargaisons. La vue qui s’offre aux regards de l’esplanade de sa citadelle, le Konak ou palais du pacha qui y dresse ses gros murs en massif carré, la ville mixte, entourant la forteresse, avec ses quatre portes qui flanquent l’enceinte, le faubourg où se concentre un commerce de grande importance, puisque les marchandises destinées non seulement à la Serbie, mais à toutes les provinces turques, y sont entreposées, ses rues qui, par la disposition des boutiques, et leur achalandage le font ressembler à un quartier de Constantinople, la ville neuve étendue le long de la Save, avec son palais, son sénat, ses ministères, ses larges voies de communication plantées d’arbres, ses confortables maisons particulières, tout ce contraste pour ainsi dire brutal avec la vieille cité, Ilia Krusch n’en était plus à connaître cet ensemble bizarre qui constitue Belgrade. »
Jules Verne, Le beau Danube jaune, écrit en 1901, publié en 1988 par la Société Jules-Verne
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« Dans la nuit, on signalera Belgrade. Et deux jours entiers nous nous désillusionnâmes – ô combien fortement, combien définitivement ! Ville incertaine, cent fois plus que Budapest ! Porte de l’Orient, l’avions-nous imaginé, et grouillante de vie colorée, peuplée de cavaliers étincelants, chamarrés, portant l’aigrette fine et chaussés de bottes laquées !
Capitale dérisoire ; pire : ville malhonnête, sale, désorganisée. Une situation admirable, du reste, comme Budapest. Dans une retraite, un musée ethnographique exquis, avec des tapis, des costumes…et des… pots, de beaux pots serbes, de ceux que nous irons chercher au haut du Balkan, vers Knajewatz. »
Le Corbusier, Voyage d’Orient, 1910-1911, « Le Danube »


« Pavés du quai de la Save, petites usines. Un paysan, le front appuyé à la vitrine d’un magasin, qui regarde interminablement une scie toute neuve. Buildings blancs de la haute ville sommés de l’étoile rouge du Parti, clochers à oignons. Lourde odeur d’huile des trams du soir, bondés d’ouvriers aux yeux vides. Chanson envolée du fond d’un bistro… sbogom Mila, dojde vrémé (adieu ma chère, le temps s’enfuit…). Distraitement, par l’usage qu’en on faisait Belgrade empoussiérée nous entrait dans la peau.
Il y a des villes trop pressées par l’histoire pour soigner leur présentation. Lorsqu’il avait été promu capitale yougoslave, le grand bourg fortifié s’était élargi par rues entières, dans ce style administratif qui déjà n’est plus moderne et semble ne jamais devoir être ancien. Grand-Poste, Parlement, avenues plantées d’acacias et quartiers résidentiels où les villas des premiers députés avaient poussé sur un sol arrosé de pots-de-vin. Tout était allé trop vite pour que Belgrade ait pu pourvoir déjà aux cent détails qui font la finesse de la vie urbaine. Les rues paraissaient occupés plutôt qu’habitées ; la trame des incidents, des propos, des rencontres, était rudimentaire. Aucun de ces recoins subtils, ombreux que toute ville véritable offre à l’amour ou à la méditation. L’article soigné avait disparu avec la clientèle bourgeoise. Les vitrines offraient des marchandises à peine finies ; souliers déversés comme des bûches, pains de savon noir, clous au kilo ou poudre de toilette empaquetée comme de l’engrais… »

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Petite bibliothèque Payot/Voyageurs, Éditions Payot, Lausanne, 1992
Nicolas Bouvier séjourne à Belgrade en 1953 lors d’un voyage en voiture (Fiat Topolino…) en compagnie du peintre Thierry Vernet (1927-1993) jusqu’au Khyber Pass.  


« Belgrade se refuse au portrait, ses métamorphoses se laissent vivre ou raconter plutôt que décrire. »

Claudio Magris, Danube, Gallimard, 1986
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« Il y a dit-on des villes trop pressées par l’Histoire pour soigner leur allure. Ainsi cette cité celte née Singidunum en 298 avant Jésus-Christ. Assise sur un promontoire rocheux surplombant le Save et le Danube mariant là leurs eaux, offrant une vue imprenable sur les plaines qui annoncent la plate et paisible Hongrie, Belgrade (Beograd en serbe, de beo : blanc et grad : ville) bénéficie d’un emplacement géographique de rêve. Conséquence : son destin ressemble à un cauchemar. Tous les conquérants passant par là voulurent ‒ forcément ‐ s’y installer ; bombardèrent joyeusement la Ville Blanche pour en déloger ses maîtres du moment ; ordonnèrent sa reconstruction ; la quittèrent sous les obus de nouveaux conquérants. Les habits de Belgrade sont donc tragiques. Et son allure, redisons-le, peu soignée.
Objet de dizaine de rafistolages de fortune et de cinquante ans de socialisme, victime d’une réputation sulfureuse dans les années 1990, capitale d’un pays qui aura changé à plusieurs reprises de nom et de frontières (la dernière fois c’était au printemps 2006, avec la proclamation d’indépendance du Monténégro) Belgrade ne souffre certes pas la comparaison avec ses homologues d’Europe centrale et orientale ‐ Vienne, Budapest, Prague, Sofia. Ses murs parlent peu, ses pavés ne résonnent guère. Le vieux quartier juif a perdu son identité, aucun bâtiment ne témoigne de l’occupation ottomane. D’où vient son charme, alors ? De son âme. Où se niche-t-elle ? Partout.

Dans le marc des cafés turcs et la crème des gâteaux autrichiens servis à l’hôtel Moskva.
Dans les viandes grillées du restaurant Franchet d’Esperey.
Dans la démarche des adolescentes aux jambes interminables qui arpentent inlassablement la rue piétonne Knez-Mihajlova, à la fois coeur et poumon de la ville.
Dans le regard impavide des joueurs d’échecs installés dans le parc du Kalemegdan.
Dans les restaurants traditionnels de Skadarlije.
Sur les péniches amarrées aux rives du Danube.
Dans les tribunes du stade de l’Étoile rouge de Belgrade.
Dans les trompettes des groupes tsiganes qui animent les terrasses des cafés de la place de la République.
Dans les plafonds art-déco de l’Aeroklub.
Dans les halls de ces hôtels que fréquentèrent tous les espions dignes de ce nom durant la guerre froide.
Dans les remparts de la forteresse turque du haut de laquelle vingt-trois siècles nous contemplent.
Sur les quais de la gare où s’arrêtait jadis l’Orient-Express bien avant les enquêtes de Hercule Poirot.
Sur les étals du marché de Zeleni Venac où sont vendus les meilleures légumes de la ville.

Dans le choeur de Saint-Marc, l’église préférée des Belgradois située dans le parc de Tašmajdan.
Sur le dôme de la cathédrale Saint-Sava, plus grande église orthodoxe du monde.
Dans le millier de pages de la somptueuse monographie que lui a consacré Dragoslav Bokan.
À Dedinje, dans les murs du Palais Blanc des rois de Serbie.
Dans les bars à Bimbos de la rue Strahinjica rebaptisée Silicone Valley.
Dans le décor kitsch du Sargon, la boîte de nuit de Kusturica, ou celui, épuré, de l’Akademija, un des derniers clubs punks d’Europe.
Sur la scène du Théâtre National.
Dans les salles du musée Nikola tesla, génie scientifique serbe injustement méconnu.
Partout, vous dis-je. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux. Et son coeur. »

Jean-Christophe Buisson, Le goût de Belgrade, « Introduction », Mercure de France, Paris, 2006
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« Il est vrai que les chiens aiment Belgrade. Ils l’adorent même. Jadis, leur nombre était déjà si élevé que le commandement ottoman décida un jour d’en finir avec ces maudites bêtes qui avaient en outre le mauvais goût de s’attaquer aux passants et aux diplomates étrangers. On en chargea plusieurs centaines sur un bateau afin de les expédier de l’autre côté du Danube, côté autrichien. À mi-course, un chien échappa à la surveillance des marins, sauta dans le fleuve et se mit à nager en direction de Belgrade ! Et comme dans une version inversée de la légende du joueur de flûte de Hamelin, ses congénères, à leur tour, se précipitèrent dans le Danube pour rejoindre leur ville chérie. »

Jean-Christophe Buisson, Histoire de Belgrade, « La ville révoltée, au XVIIIe, jusqu’en 1806″, collection tempus, Édition Perrin, Paris, 2013


« Pavés du quai de la Save, petites usines. Un paysan, le front appuyé à la vitrine d’un magasin, qui regarde interminablement une scie toute neuve. Buildings blancs de la haute ville sommés de l’étoile rouge du Parti, clochers à oignons. Lourde odeur d’huile des trams du soir, bondés d’ouvriers aux yeux vides. Chanson envolée du fond d’un bistro… sbogom Mila, dojde vrémé (adieu ma chère, le temps s’enfuit…). Distraitement, par l’usage qu’en on faisait Belgrade empoussiérée nous entrait dans la peau.
Il y a des villes trop pressées par l’histoire pour soigner leur présentation. Lorsqu’il avait été promu capitale yougoslave, le grand bourg fortifié s’était élargi par rues entières, dans ce style administratif qui déjà n’est plus moderne et semble ne jamais devoir être ancien. Grand-Poste, Parlement, avenues plantées d’acacias et quartiers résidentiels où les villas des premiers députés avaient poussé sur un sol arrosé de pots-de-vin. Tout était allé trop vite pour que Belgrade ait pu pourvoir déjà aux cent détails qui font la finesse de la vie urbaine. Les rues paraissaient occupés plutôt qu’habitées ; la trame des incidents, des propos, des rencontres, était rudimentaire. Aucun de ces recoins subtils, ombreux que toute ville véritable offre à l’amour ou à la méditation. L’article soigné avait disparu avec la clientèle bourgeoise. Les vitrines offraient des marchandises à peine finies ; souliers déversés comme des bûches, pains de savon noir, clous au kilo ou poudre de toilette empaquetée comme de l’engrais… »

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Petite bibliothèque Payot/Voyageurs, Éditions Payot, Lausanne, 1992


Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour juin 2023

Bratislava (Presbourg ou Poszony) en quelques dates…

5000 av. J.-C. : des fouilles archéologiques ont permis d’établir la preuve de la présence d’un peuplement sur le territoire de Bratislava à l’époque néolithique.

3000-2000 av. J.-C. : fin du Néolithique. Édification de hameaux fortifiés sur les emplacements du château et de Devín.

1800-700 av. J.-C. : Âge de bronze (700-400 av. J.-C). : première période de l’Âge de fer, fin de l’ère de la civilisation dite de Hallstatt

400-300 av. J.-C. : Âge de fer inférieur, culture celte

100-58 av. J.-C. : construction de sites celtes sur Bratislava et Devín

IIe siècle av. J.-C. : la tribu celte errante des Boïens construit un oppidum à l’emplacement de la vieille ville et un village fortifié sur la colline du château.

20 av. av. J.-C. : conquête du territoire par les armées romaines. La région de Bratislava devient la frontière entre l’empire romain et les tribus germaniques.

Ier siècle ap. J.-C. : les armées romaines édifient la forteresse militaire de Gerulata sur la rive droite du Danube, à l’emplacement actuel de Bratislava-Rusovce. Cette forteresse appartient au système de défense du « Limes romanus ».

IIe siècle ap. J.-C. : expéditions militaires romaines contre les tribus germaniques

280 : l’empereur romain Probus (232-282), né à Sirmium, aujourd’hui Sremska Mitrovica, en Vojvodine serbe, capitale de la Pannonie romaine, donne son accord pour que l’on cultive la vigne dans la région du Danube.

378 : attaques des Visigoths contre Gerulata. Les armées romaines abandonnent la forteresse.

Ve siècle : période de migrations et d’affrontements, conflits entre les Huns, les Ostrogoths, les Gépides, les Hérules et les Lombards

Ve-VIe siècles : arrivée de tribus slaves dans la région de Bratislava

623-658 : empire de Sámo : ses armées défont celles du roi franc Dagobert Ier en 631

791-796 : défaites et départ des Avars battus par Charlemagne qui leur fit une guerre impitoyable.

833 : naissance du royaume slave de la Grande-Moravie

863 : arrivée de Cyrille (Constantin) et Méthode en Europe centrale à l’invitation du prince Ratislav de Grande-Moravie (?-870)

864 : le château de Devín est mentionné dans les chroniques médiévales Les Annales de Fulda comme la résidence principale du prince Ratislav.

871-894 : règne de Svatopluk (840-894) qui agrandit la Grande-Moravie

907 : début de la disparition de la Grande-Moravie. Première mention écrite de Bratislava dans les Annales de Salzbourg

1000 : naissance du royaume de Hongrie. Le roi Étienne (vers 975-1038) règne sur celui-ci depuis le château de Bratislava.

1042-1052 : l’empereur germanique Henri III le Noir (1017-1056) attaque la ville et le château.

1189 : troisième croisade

1241-1242 : attaque des Tatars

1291 : le roi de Hongrie André (Árpád) III (1265-1301) donne à Bratislava son statut de ville et lui octroie des privilèges.

1387 : Sigismond de Luxembourg (1368-1437), fils de Charles IV de Bohême, est couronné roi de Hongrie en 1387. La ville et le château connaissent un développement important sous son règne.

1405 : Bratislava devient une ville royale libre.

Plan de Bratislava, 1438

1465 : le roi Mátyás Hunyadi, surnommé Mathias Corvin (1443-1490) fonde l’Université « Academia Istropolitana ».

1491 : accord entre le roi de Hongrie Vladislas Jagellon (1456-1516) ) et l’empereur germanique Maximilien Ier (1459-1519) pour léguer la couronne hongroise aux Habsbourg.

1499 : grand incendie de Bratislava. Le congrès des États de Bohême se réunit à Bratislava.

1526 : Mort à Mohacs dans une grande bataille contre les Turcs de Louis II de Hongrie (1506-1526). Le royaume de Hongrie devient possession des Habsbourg. Les Turcs conquièrent Buda et occupent une grande partie de la Hongrie. Ils assiègent Bratislava sans la prendre.

1536 : Bratislava devient la capitale du royaume de Hongrie.

8 septembre 1563 : couronnement de Maximilien II de Habsbourg (1527-1576) à Bratislava comme roi de Hongrie et de Croatie. Tous les rois de Hongrie seront couronnés à Bratislava de 1563 jusqu’à 1830 soit en tout 11 souverains et une reine (l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse).

1590 : un gigantesque incendie détruit une grande partie de la ville.

1619-1621 : la ville est occupée par les armées du prince calviniste et roi élu de Hongrie Gabriel Bethlen (1580-1629). Défaites par les troupes impériales, elles quittent la ville.

1683 : défaite des armées ottomanes venues assiéger Vienne. Bratislava vient vient en aide à l’empire autrichien dans sa lutte contre les insurgés.

1699 : le tsar russe Pierre le Grand se rend en visite à Bratislava.

1720 : première publication du journal « Nova Posoniensia »

1713-1714 : importante épidémie de peste

1741 : couronnement à Bratislava de Marie-Thérèse de Habsbourg (1717-1780)

Bratislava avant la démolition de ses remparts, plan du XVIIIe siècle, sources Bibliothèque Nationale Slovaque, Bratislava

1775 : Marie-Thérèse donne l’ordre de démolir les remparts de la ville.

1781 : patente de tolérance de l’empereur Joseph II de Habsbourg (1741-1790)

1785 : la ville affiche une population de 31 710 habitants, c’est la ville la plus peuplée de tout le royaume hongrois.

1805 : La ville est occupée par les armées napoléoniennes. Signature au Palais primatial de la paix de Presbourg entre Napoléon et François II d’Autriche.

1809 : nouvelle attaque de la ville par les armées napoléoniennes. La forteresse de Devín est détruite.

1811 : un incendie ravage le château et de nombreuses maisons.

1830 : dernier couronnement d’un roi à la cathédrale Saint-Martin de Bratislava (Ferdinand V de Habsbourg, 1793-1875)

 

1840 : mis en service du premier chemin de fer tracté par des chevaux, de Bratislava à Svatý Jur qui sera prolongé ultérieurement jusqu’à Trnava.

1847 : dernière session de la Diète hongroise à Bratislava. Ľudovít Štúr (1815-1856) présente la requête de réintroduire le slovaque comme langue d’enseignement dans les écoles primaires.

1848 : Ferdinand V signe à Bratislava les lois sur l’abolition du servage. L’empereur Ferdinand abdique et intronisation de son neveu François-Joseph (1830-1916). Le centre politique est transféré de Bratislava à Budapest.

1869 : la population de Bratislava atteint 46 540 habitants.

1844 : début de l’éclairage électrique, construction du premier réseau téléphonique

1886 : construction de l’opéra selon les plans des architectes viennois F. Fellner et H. Hellmer. Inauguration le 22 septembre 1886 avec l’opéra du compositeur hongrois Ferenc Erkel « Bánk Bán ».

1891 : construction et inauguration du premier pont fixe sur le Danube à Bratislava

1895 : mise en service du premier tramway électrique

1900 : la ville a une population de 61 537 habitants (Allemands : 58%, Hongrois : 31%, Slovaques : 16%, Juifs : 2%)

1913 : incendie dans le quartier sous le château

1918 : proclamation de la République tchécoslovaque

1919 : ralliement de Bratislava à la République tchécoslovaque, fondation de l’Université Comenius

1920 : création du Théâtre national slovaque

1938 : accords de Munich : proclamation de l’autonomie de la Slovaquie

1939 : proclamation de l’État slovaque, appelé ultérieurement République slovaque sous la protection de l’Allemagne nazie. De nombreux juifs de Bratislava et de Slovaquie seront alors déportés.

1944 : soulèvement national slovaque

1945 : libération de Bratislava par les armées soviétiques et roumaines

1946 : la population de la ville atteint 191 354 habitants Expulsion des Allemands de Slovaquie, transfert de Slovaques de Hongrie en Slovaquie et de Hongrois de Slovaquie en Hongrie.

1947 : exécution de l’ancien président de la République slovaque pro nazi Jozef Tiso (1887-1947).

1948 : prise du pouvoir par les communistes

1959 : création de la Galerie de la ville de Bratislava

1960 : inauguration du mémorial de l’Armée rouge à Slavín

1967 : avènement de l’aile réformiste du parti communiste emmenée par Alexander Dubček (1921-1992)

Août 1968 : invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie, signature de la loi sur la création de la Fédération tchécoslovaque

1969 : Bratislava devient la capitale de la République socialiste slovaque.

1971 : époque de la « normalisation ». Le grand Bratislava est créé par la réunion des villages avoisinant avec la capitale. Début des procès et des poursuites contre les communistes réformateurs et les anti-communistes.

1972 : achèvement de la construction du deuxième pont sur le Danube à Bratislava

1981 : début de la construction du quartier de Petržalka, la plus grande cité slovaque

1984 : Bratislava atteint une population de 400 000 habitants.

1985 : achèvement du Pont des Héros de Dukla (aujourd’hui pont du port)

1988 : manifestations aux bougies, action de résistance pacifique des catholiques contre le pouvoir communiste

1989 : chute du régime communiste 1990 : première visite en Slovaquie du pape Jean-Paul II

1992 : mort tragique des suites d’un accident (?) de voiture près de Humpolec en Bohême d’Alexandre Dubček (1921-1992)

1993 : partition de Tchécoslovaquie, création de la République slovaque dont Bratislava devient la capitale.

1995 : fin de la reconstruction du Palais Grassalkovic qui devient le siège du Président de la République slovaque. Le pape Jean-Paul II donne sa bénédiction solennelle à la Slovaquie depuis la cathédrale Saint-Martin lors de sa deuxième visite.

1997 : la reconstruction de la place centrale est achevée.

1999 : la conférence des rabbins européens a lieu à Bratislava.

2000 : réinstallation des cloches dans la tour de la cathédrale Saint Martin

2002 : la reconstruction à l’identique du bâtiment baroque attenant au château est achevée ainsi que la reconstitution de la place Hviezdoslavovo námestie.

2003 : troisième visite du pare Jean-Paul II

2004 : adhésion de la Slovaquie à l’Union Européenne et à l’Otan

Notes :
1 Né à Tours de parents protestants Louis Dutens émigre en Angleterre. Diplomate britannique, écrivain, philologue, historiographe, numismate et grand voyageur il publie son « Itinéraires des routes les plus fréquentées, ou Journal d’un voyage aux villes principales de l’Europe en 1768, 1769, 1770 et 1771 »

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