Bǎile Herculane (Les Bains d’Hercule), station thermale renommée de Roumanie

Bǎile Herculane en 1824

   À une quinzaine de km d’Orşova, en remontant la vallée de la Cerna, un affluent de la rive gauche du Danube qui se jette dans celui-ci à la hauteur de la ville (PK 954) et forme avec le Danube une baie protégée des plus agréables, un petit lac et une promenade appréciée des habitants et des touristes, on découvre, presque de manière inattendue, dans un paysage montagneux assez sauvage des Carpates, une station thermale parmi les plus anciennes et les plus réputées de Roumanie : Bǎile Herculane (Les Bains d’Hercule).
L’endroit est fréquenté depuis l’Antiquité. Les Romains appréciaient déjà les vertus bienfaisantes des eaux sulfureuses, riches en sodium et en magnésium d' »Ad Aquas Herculis Sacras ».
Bǎile Herculane connut ses plus belles heures de gloire à la fin du XIXe et au-delà la première moitié du XXe siècles. Son architecture en témoigne. L’empereur François-Joseph et sa femme, l’impératrice Sissi qui aiment à se rendre à Baden, près de Vienne, la fréquentent tout comme de nombreux autres aristocrates.
La petite gare de Bǎile Herculane, un petit chef d’oeuvre d’architecture, fait partie des plus beaux bâtiments ferroviaires d’Europe orientale.

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La gare de la station thermale, sur la ligne Bucarest-Timişoara, avec son style néo-byzantin, photo © Danube-culture, droits réservés

« Tout à coup, sans la moindre préparation, une ville d’eaux incongrue et ornée, appelée les Bains d’Hercule, jaillit des profondeurs de cette vallée sauvage. Du stuc fin de siècle, on aurait pu croire qu’il provenait directement d’un pistolet à glaçage ; je découvrais des balustrades de terre cuite, des palmiers nains, des agaves acérés dans des urnes galbées, des coupoles bulbeuses, des toits de plomb s’achevant sur des arrêtes d’épinoche ; des portes doubles en verre révélaient des escaliers chantournés, endigués par des hortensias, allant se perdre dans les salles de cure où les robinets et les fontaines déversaient des eaux thérapeutiques. Souveraines contre toute une série horrifique de maux externes et internes, celles-ci avaient rendu l’endroit célèbre depuis l’époque romaine ; légats, centurions et tribuns militaires s’étaient vautrés ici, y avaient siroté pendant qu’Hercule et une demi-douzaine de dieux mineurs présidaient à leur bien-être, et la statue victorienne du musculeux héros vêtu d’une peau de lion, trônant au centre de la ville, montrait que la gloire passée était de retour. La bourgeoisie dolente d’Europe de l’Est, en crinoline et chapeaux en tuyau de poêle, sabretaches et chapkas, ou manches gigot et canotiers, hantait ce site ressuscité depuis plus d’un siècle.

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Le casino de Bǎile Herculane, photo © Danube-culture, droits réservés

À sa manière provinciale, l’endroit répondait parfaitement à la définition de la ville d’eaux, du casino ou de la villégiature. Des massifs circulaires, au centre en forme de coeur, pleins de bégonias et de cannas, jaillissaient du gravier comme un tapis industriel ; le jaune, l’écarlate, l’orange, le pourpre, le bleu pâle et le rouge brique étaient si aveuglement juxtaposés qu’on pouvait croire les fleurs artificielles, et l’herbe, un droguet de couleur verte. Un voyageur plus érudit aurait détecté une bouffée d’Offenbach et de Meyerbeer, un soupçon de Schnitzler, un écho de l’Empire austro-hongrois à son extrémité, encore renforcé par des colonnes trapues de plâtre blanc aux spirales alternées, arches lourdement moulurées, aux grands avant-toits : je découvrais le style roumain néo-byzantin dérivé des monastères de Moldavie et des palais du dix-septième , sous le règne de Constantin Brancovan de Valachie. C’était l’heure de la promenade après la sieste. Un orchestre jouait sous un kiosque enguirlandé, et une foule sereine venue de Bucarest ou de Craiova déambulait le long de la grand-rue, dans les jardins, sur le pont de la Cerna, pour rebrousser chemin à pas lents. Bruissant de commérages, s’exclamant en retrouvailles et en bienvenues, les curistes étaient d’une élégance ravageuse : talons vertigineux, parfums entêtants et maquillages éblouissants, escortés par des cheveux gommés à la Valentino et par les chaussures adéquates. Un saupoudrages d’officiers en bottes montantes, aux éperons tintinnabulants — arrivant de Turnu-Severin, je pense — ajoutait de brillants képis et tuniques à la scène multicolore. »

Patrick Leigh Fermor, Dans la nuit et le vent, À pied de Londres à Constantinople, Éditions Nevicata, Bruxelles, 2016

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