Le canal Danube-mer Noire

Comment ne pas se souvenir que ce canal de 95, 6 km (canal principal Cernavodǎ-Poarta Albă, longueur 64, 4 km, bras nord Poarta Albă-Midia Năvodari, longueur 31, 2 km) qui  permet à certains bateaux de mer et aux convois fluviaux d’économiser une distance d’environ 400 km pour rejoindre la mer Noire et le port de Constanţa depuis le Danube, fut creusé, aux côtés des volontaires des brigades de jeunesse, par des milliers de détenus et déportés politiques, la plupart opposants au régime communiste et représentants de minorités ethniques et religieuses. Un grand nombre d’entre eux y trouvèrent la mort tant le projet était gigantesque, les conditions climatiques extrêmement difficiles et celles du travail et de l’hébergement inhumaines.

Le canal Danube-mer Noire à la hauteur de Cernavoda avant la première écluse, photo Danube-culture, © droits réservés

C’est à l’initiative de Staline, qui suggère cyniquement aux dirigeants communistes roumains de l’époque d’employer des détenus politiques, que les gigantesques travaux commencent en 1949 mobilisant environ 30 000 hommes dont un tiers de détenus. Ils se poursuivent jusqu’au printemps 1984 après avoir été partiellement suspendus entre 1955 et 1976 sous la pression internationale. Le canal, surnommé pompeusement «La magistrale bleue» est inauguré par le dictateur Nicolae Ceaušescu en présence de nombreuses délégations le 26 mai 1984. Le bras nord ne le sera qu’en 1987.

Le monument communiste officiel à la gloire des ouvriers du canal… (photo droits réservés)

Le coût de la construction du canal, le troisième ouvrage le plus long au monde après ceux de Suez et de Panama, est estimée à environ deux milliards de dollars et aura contribué à ruiner la Roumanie socialiste d’alors. Les initiateurs de ce projet espéraient aussi pouvoir dans un bel élan d’optimisme, amortir la réalisation de l’ouvrage en cinquante ans. Au regard du volume du trafic fluvial et des bénéfices annuels que génère la voie d’eau, les autorités qui gèrent le canal Danube-mer Noire calculent actuellement que l’amortissement de la construction de l’ouvrage pourrait demander six cents ans !
Jusqu’en 1990 les bateaux ne purent circuler que dans le sens mer Noire-Danube, restreignant considérablement la rentabilité du canal.
L’ouvrage qui ne comporte que deux écluses, à Cernavodǎ et Agigea, est désormais, depuis l’ouverture de la liaison fluviale Rhin-Main-Danube un maillon complémentaire essentiel du corridor fluvial paneuropéen qui relie la mer du Nord (Rotterdam) à la mer Noire (Constanţa).

Présentation du canal Danube-mer Noire (2004, en roumain sous-titré en langue anglaise)

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour septembre 2023, © droits réservés

 https://youtu.be/2RnEoEf6sgo
Un documentaire de la télévision roumaine (TVR, 2011) avec des séquences d’archives sur l’histoire de la construction du canal

Sources :
http://www.courrierdesbalkans.fr/articles/roumanie-les-forcats-du-canal-du-danube-a-la-mer-noire.html.
Ioan Scurtu, Ionuţ Istoricul construirii canalului Dunăre – Marea Neagră, Carnet de istoric, août 2017
www.ionutcojocaru.ro  (excellent blog)
Adrian Ilie şi Claudia Ilie, Canalul Dunǎre – MareaNeagrǎ. Istoricul dezvoltǎrii, stadiile legate de acesta şi perspectivele valorificǎrii sale, Constanţa, Editura Ex Ponto, 2011

Valentin Ciorbea (coordonator), Canalul Dunǎre – Marea Neagrǎ, între istorie, actualitate şi perspective, Constanţa, Editura Ex Ponto, 2008  
Marian Cojoc, Istoria Dobrogei. Canalul Dunǎre – Marea Neagrǎ (1949-1953), Bucureşti, Editura Mica Valahie, 2001

https://ro.wikipedia.org/wiki/Canalul_Dun%C4%83re-Marea_Neagr%C4%83.

Ovide, poète de l’Antiquité romaine exilé entre Danube et mer Noire

Ovide en exil par le peintre

Ion Theodorescu-Sion (1882-1939), Ovide en exil à Tomis, 1915

Auguste restera inflexible tout comme son successeur Tibère et jamais Ovide ne retournera à Rome ni en Ausonie (Italie) malgré ses supplications. Il mourra d’ennui, d’amertume et de nostalgie dans ces contrées au climat rude et chaque jour menacées par les barbares dont les Sarmates et les Gètes, très proches, de l’autre côté du Danube et dont il apprendra malgré tout le dialecte :
 » Sarmatico cogor plurima more loqui.
Et pudet et fateor, iam desuetudine longa
vix subeunt ipsi uerba latina mihi… »
« Je suis souvent forcé de parler en Sarmate.
J’ai honte et je l’avoue : à ne plus m’en servir,
j’ai peine moi-même à retrouver les mots latins… »
« La vie à Tomes » (V, VII)
Il écrira pendant son exil définitif les cycles des Tristes en l’an 8-14 après Jésus-Christ puis les Pontiques et les Halieutiques (12-16 ap. Jésus-Christ).

Ion Theodorescu-Sion (1882-1939), Ovide à Tomis, huile sur carton, 1927

« L’hiver à Tomes »
Si quelqu’un se souvient encore d’Ovide l’exilé
et que mon nom sans moi subsiste dans la ville,
qu’il sache que je vis au milieu des Barbares,
sous des étoiles que la mer ne baigne jamais,
Autour sont les Sarmates1, race farouche, et les Besses2, et les Gètes3

qui ne méritent point que je donne leur nom.

Tant que les vents sont tièdes, le Danube est notre rempart :
son cours nous garantit contre leurs incursions ;
mais lorsque la saison mauvaise a montré son hideux visage,
que le gel a changé la terre en marbre blanc,
quand s’abattent sous l’Ourse4 et la bise et la neige,
le pôle frissonnant chasse alors ses nations.
La neige, une fois sur le sol, résiste au soleil et aux pluies :
la bise la durcit et la rend permanente.
Ainsi, une autre tombe avant que la première n’ait fondu
et dans l’ombre d’endroits elle reste deux ans.
Lorsque se déchaîne l’Aquilon5, telle est sa violence
qu’il renverse les hautes tours, emporte les toitures.

Des peaux et des braies rapiécées protègent mal les gens du froid ;
de tout leur corps on ne voit plus que leur visage.
Qu’ils bougent, l’on entend le bruit de leurs cheveux où pendent des glaçons ;
leur barbe prise par le gel éclate de blancheur.
Le vin se maintient dur, gardant la forme de la cruche ;
au lieu de le verser, on le donne en morceaux.
Que dire des ruisseaux, qu’enchaîne et condense le froid,
du lac qu’on doit forer pour en tirer une eau friable ?
Le Danube lui-même, aussi large pourtant que le Nil,
lui qui se jette dans la mer par de nombreuses embouchures,
il voit les vents durer et glacer ses flots azurés
et roule vers la mer des ondes invisibles.
Là où voguaient des nefs, l’on va maintenant à pied ferme
et le pas des chevaux heurte les eaux gelées.
Grâce à ces ponts nouveaux, sous lesquels l’onde coule,
le boeuf sarmate tire son chariot barbare.

J’ai même vu l’immense mer arrêtée sous la glace,
ses flots sans mouvement sous l’écorce glissante.
C’est peu de l’avoir vu : j’ai foulé cette mer durcie,
mon pied, sans se mouiller, pressa la surface des eaux.
Si telle avait jadis été la mer pour toi, Léandre6,
l’on n’accuserait point ce détroit de ta mort.

Alors, le dauphin ne peut plus bondir contre les vents :
l’hiver cruel comprime ses efforts.
Quoique Borée7 mugisse en agitant ses ailes,
pas un remous sur le gouffre enfermé.
la glace, comme marbre, assiège les poupes dressées,
la rame est impuissante à fendre l’eau durcie.
J’ai vu des poissons, raidis comme enchaînés dans la glace,
une partie d’entre eux vivaient encore.
Quand le cruel Borée, dans l’excès de sa violence,
coagule la mer ou bien les eaux du fleuve en crue,
aussitôt, à travers le Danube aplani par l’aquilon,
accourt le Barbare ennemi, sur son coursier rapide,
puissant par sa monture et par ses traits volants au loin,
et il dévaste largement les campagnes voisines…

Tristes, III, X 

Notes :
1 tribu scythique redoutée de la steppe pontique d’origine iranienne qui fut en conflit avec l’Empire romain
2 tribu thrace des Balkans
3 peuple vivant  dans l’espace carpato-danubien-pontique, parfois assimilé aux Daces par des historiens de l’Antiquité.
4 Une des plus grandes constellations célestes. Chez Ovide, Callisto était fille de Lycaon, roi d’ Arcadie. Zeus aperçut la jeune vierge comme elle chassait en compagnie d’ Artémie et s’en éprit ; il la séduisit en prenant l’apparence de Diane elle-même. Héra, jalouse, la changea en ourse après qu’elle eut donné naissance à un fils, Arcas. L’enfant grandit dans l’ignorance de sa mère, et un jour qu’il participait à une chasse, la déesse dirigea Callisto vers l’endroit où il se trouvait, dans l’espoir qu’elle soit transpercée de ses flèches. Mais Zeus enleva l’ourse et la plaça parmi les étoiles où Arcas la rejoignit, sous les noms de Grande Ourse et Petite Ourse.
5 vent du nord
6 Léandre, amoureux d’Héro, prêtresse d’Aphrodite à Sestros qui habite sur la rive européenne de l’Hellespont, traverse le détroit à la nage guidé par une lampe qu’Héro allume en haut de la tour où elle vit. Mais lors d’un orage, la lampe s’éteint et Léandre s’égare dans les ténèbres. Lorsque la mer rejette son corps le lendemain, Héro se suicide en se jetant du haut de sa tour. Ovide a imaginé dans une de ses oeuvres (Héroïdes) une lettre écrite par Léandre et la réponse d’haro.
7 autre vent du nord

William Turner (1775-1851), Ovide chassé de Rome, huile sur toile, 1838. Cette œuvre traite de l’exil de Rome d’Ovide, reconstitué ici sous la forme d’une variété de temples, d’arcs de triomphe et de statues datant de différentes périodes de l’histoire de la ville. Turner laisse planer l’ambiguïté sur la présence d’Ovide dans l’image : il pourrait s’agir du personnage arrêté au premier plan, ou bien il pourrait être tout simplement absent, déjà banni ou décédé (une tombe en bas à gauche porte son nom complet). Avec la scène brumeuse et le soleil couchant sur l’eau (le Tibre ?) le peintre évoque le sentiment d’un dernier adieu à Rome et à son âge d’or. Sources : The Metropolitan Museum of Art. 

Ovide en quelques dates :
43 avant J.-C. – Naissance de Publius Ovidius à Sulmona (Abruzzes)
25-20 avant J.-C. – Voyage en Grèce sur les lieux de l’Iliade. Il fréquente déjà le cercle littéraire de Messala auquel appartiennent Horace, Tibulle, Virgile…
23-14 avant J.-C. – Cinq livres des Amours que le poète réduira à trois.
20-15 avant J.-C. – quinze premières Héroïdes, lettres supposées écrites par les grandes héroïnes de la mythologie grecque qu’il complètent par six autres lettres.
13-18 avant J.-C. – Médée, tragédie perdue
2-1 avant J.-C. – Deux premiers livres de l’Art d’aimer, un troisième suit deux ans après.
7-8 après J.-C. – Les Métamorphoses, deux cents cinquante six fables de la mythologie grecque et romaine. Inachevées
8 après J.-C. Exilé à Tomis en Mésie, au frontière de l’Empire. Parti d’Italie par bateau en décembre et ayant laissé sa troisième épouse à Rome,  il arrive en mars sur les lieux après avoir peut-être terminer son voyage à pied à travers la Thrace jusqu’à Tomis. Selon l’historien Jérôme Carcopino, Ovide aurait fait escale à l’île d’Elbe.
Hiver 8-9 après J.-C. – Premier livre des Tristes
9 après J. -C. – Deuxième livre
9-10 après J.-C. – Troisième livre
10-11 après J.-C. – Quatrième livre
11-12 après J.-C. – Cinquième livre
14 après J.-C. – mort de l’empereur Auguste auquel succède Tibère. Ovide reste en exil.
12-16 après J.-C. – Pontiques, Halieuthiques
15-16 après J.-C. – suite des Pontiques
17 après J.-C. – mort d’Ovide  à Tomis.

Sources :
Ovide, Les Tristes, traduit du latin par Dominique Poirel, Orphée, La Différence, Paris, 1989
Ovide, Les Tristes, texte établi et traduit par J. André (Collection des Universités de France, publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), Les Belles Lettres, Paris, 1968
Ovide, Les Tristes, Les Pontiques, Ibis, Le Noyer, Halieuthiques, traduction nouvelle d’Émile Ripert, Librairie classique Garnier, Paris, 1937

Eugène Delacroix (1798-1963) Ovide chez les Scythes, 1859, National Gallery London

« Tout ce qu’il y a dans Ovide de délicatesse et de fertilité a passé dans la peinture de Delacroix ; et, comme l’exil a donné au brillant poète la tristesse qui lui manquait, la mélancolie a revêtu de son vernis enchanteur le plantureux paysage du peintre …
Si triste qu’il soit, le poète des élégances n’est pas insensible à cette grâce barbare, au charme de cette hospitalité rustique. Tout ce qu’il y a dans Ovide de délicatesse et de fertilité a passé dans la peinture de Delacroix […].
L’artiste qui a produit cela peut se dire un homme heureux, et heureux aussi se dira celui qui pourra tous les jours en rassasier son regard. L’esprit s’y enfonce avec une lente et gourmande volupté, comme dans le ciel, dans l’horizon de la mer, dans des yeux pleins de pensée, dans une tendance féconde et grosse de rêverie. »
Charles Baudelaire, curiosités esthétiques, Paris 1868

L’exil d’Ovide et le delta du Danube
« À quel endroit du Danube faut-il conclure cette croisière imaginaire ? C’est ici, juste avant que le Danube rencontre la mer Noire que s’expriment toute la force et la grandeur de son delta. Le Danube semble sortir de son lit, alors que sa surface est presque aussi grande que la mer vers laquelle il se dirige. Ce débordement du Danube, qui n’est pas encore maîtrisé, a créé tout un réseau de bras latéraux, de nouveaux univers aquatiques, d’enclos naturels inaccessibles, de marais et de marécages, qui sont devenus des réserves pour la flore et la faune qui se sentent encore à ces endroits à l’abri de la main de l’homme. Mais l’homme ne fut seulement impitoyable envers les animaux et la flore. Sur cette côte de la mer Noire qui s’est alliée au Danube, tout en conservant sa teinte grisâtre, sa rudesse et son inhospitalité, l’Empire romain a créé des lieux dignes de la vengeance d’un César. L’empereur Auguste a exilé le poète Ovide à Tomi ou Tomis. De là, il n’est jamais revenu à Rome, bien qu’il ait supplié son juge sévère de faire preuve de clémence et de lui pardonner ses frasques poétiques.
Avant de partir en exil dans ce lieu reculé de la côte de la mer Noire, Ovide a décrit sa dernière nuit à Rome, sachant qu’il quittait aussi une civilisation supérieure, tout le monde de l’érotisme qui lui était cher, où il régnait en poète incontestable :

« Cum subit ille tristis noctis imago,
qua mihi supremum tempus in urbe fuit,
cum repeto noctem, qua toi mihi cara reliqui,
labitur ex coulis nunc quoique gutta meis. »

« Quand me revient le souvenir de cette nuit cruelle,
de ces derniers moments que j’ai vécus à Rome,
quand je ma rappelle, avec tout ce que j’ai quitté,
alors, comme aujourd’hui, mes yeux sont plein de larmes ».
Les Tristes I, III

Il se trompait, comme beaucoup d’autres écrivains qui n’avaient pas compris que la proximité d’un homme de pouvoir comportait des dangers et qu’une parole imprudente pouvait détruire l’illusion de sa propre intangibilité et conduire le malheureux à l’exil ou à la mort.
Son exil sur les rives du Pont a enrichi la littérature européenne d’un recueil de vaines lamentations d’un homme qui se noie dans la nature et la solitude à l’extrémité de l’Empire romain, Les « Tristes ». C’est également dans sa prison de Maribor, pendant la Première Guerre mondiale, qu’Ivo Andrić (1892-1975) prix Nobel de littérature en 1961) a écrit ses poèmes lyriques nostalgiques, auxquels il a donné le titre « Ex Ponto ». Ovide, qui souffrait, avait réussi à faire du lointain Pont-Euxin danubien un exemple de l’issue d’un combat entre un poète et un homme.
Le destin d’Ovide n’a heureusement pas effrayé de nombreux auteurs qui s’étaient engagés consciemment dans ce combat inégal et qui sont partis volontairement en exil. Beaucoup d’entre eux ont sombré dans les eaux troubles de leur désespoir. De nombreux Serbes du Banat ont également été déportés, après le conflit yougoslave avec le Komintern en 1948, dans les terres désolées et austères du Baragan, près du delta du fleuve. Dans cet ostracisme loin d’être anodin, les Serbes étaient classés parmi les peuples condamnés à disparaître dans cette région perdue, située non loin de l’une des l’embouchure du Danube dans la mer Noire, à Sulina. Comme si cette région du Baragan était fatalement destinée à voir disparaître des peuples enfermés dans cette « cage » naturelle. Les Circassiens y ont été amenés par bateaux depuis la Russie tsariste, et abandonnés à leur inéluctable disparition. Le même sort a été réservé aux Tatares. Il s’agissait de morts sans témoins, une méthode utilisée par tous les systèmes répressifs connus dans l’histoire et à laquelle la nature a prêtée, involontairement main-forte !

Dejan Medaković (1922-2008)

Dejan Medaković (Дејан Медаковић, 1922-2008)

Dejan Medaković est un historien de l’ancienne Yougoslavie né à Zagreb, spécialiste de l’histoire de l’art, membre de l’Académie serbe des Sciences et des Arts et, de 1999 à 2003, président de cette institution. Il a orienté ses recherches dans de nombreux domaines de l’histoire de l’art et de la critique d’art, de l’art serbe médiéval jusqu’à la peinture contemporaine, même si ses domaines d’expertise concernaient d’abord l’art serbe baroque et les conditions culturelles au XVIIIe siècle, ainsi que l’art serbe du XIXe siècle. Il est l’auteur de plusieurs monographies et études en rapport avec le patrimoine culturel de l’église orthodoxe serbes (monastères de Hilandar ou Chilandar et de Savina). Parmi ses œuvres figurent également Les Chroniques des Serbes de Trieste, parues en 1987, Les Serbes à Vienne, Les Serbes à Zagreb, Les Images de Belgrade dans les gravures anciennes et Thèmes serbes choisis.
Outre ses ouvrages scientifiques, Dejan Medaković a également publié cinq recueils de poésies et un cycle autobiographique en prose intitulé Efemeris.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour juillet 2023

Présence et témoignages d’un médecin français sur le Bas-Danube et en Dobroudja pendant la guerre de Crimée (1853-1856)

« Durant mon séjour à Rassova, je fis de bien fréquentes excursions sur les rives du Danube et dans les gorges voisines. Je gravis souvent les hauteurs pour contempler le magnifique spectacle qu’offre aux yeux le Danube, qui de ses mille bras étreint les plaines de la Valachie. J’aimais à voir, du haut des falaises turques, le grand fleuve autrichien, mécontent de sa facile proie, venir sans cesse user le sol bulgare sans pouvoir l’envahir. J’affectionnais surtout un point, du haut duquel on voit plusieurs vallées converger vers une vallée plus profonde, qui vient s’ouvrir sur le Danube devant Rassova. Au loin, semblable à une mer enveloppant d’innombrables îles, le fleuve se resserre subitement pour diriger sa course vers le point de la rive turque que protège la levée française. Que deviendront ou même que sont déjà devenus ces travaux ? Le fleuve les a peut-être détruit à cette heure, ou les détruira sans doute bientôt si une main conservatrice ne vient pas les protéger. Mais leurs traces resteront, comme pour attester aux populations futures de ces régions qu’il n’est pas impossible de résister aux empiètements du fleuve, et que la France a donné l’exemple et a eu l’initiative de cette grande oeuvre.

Vue du port antique de Kustendjé (Constanţa), des falaises et de la route française, dessin d’après Camille Allard

Nous habitâmes Rassova jusqu’au 25 novembre, et nous pûmes voir, à l’ombre du drapeau français, la ville ruinée se ranimer peu à peu. Les émigrés rentraient de toute part ; des maisons nouvelles s’élevaient partout, et Rassova, au moment de notre départ, était transformé. Plusieurs négociants étaient venus s’y établir ; des fournisseurs de l’armée avaient élevés de grands magasins, autour desquels se groupaient une foule d’arabas1 destinés à transporter à Kustendjé2 les approvisionnements de l’armée. Les bateaux à vapeur du Danube stationnent depuis cette époque devant Rassova, et tout promet à cette ville une certaine importance, si, comme on doit l’espérer, rien ne vient entraver l’impulsion donnée par la France.

Vue générale de Kustendjé (Constanţa), prise de la maison occupée par les membres de la mission, 1855, Camille Allard, Souvenirs d’Orient, la Bulgarie orientale, Adrien Le Clère et Cie, Libraires-Éditeurs et C. Dillet, Libraire-Éditeur, Paris, 1864

Mais le 25 novembre, la première neige commençait à tomber ; les steppes avaient pris un aspect bien triste. Les rives du fleuve et les lacs étaient gelés, et le dernier paquebot autrichien revenait de Galatz, trainant une longue chevelure de glaçons… »

Notes : 
Charriot couvert tirée par des bœufs, utilisée autrefois dans l’Empire ottoman
2 Constanţa

Sources :
ALLARD, Camille (docteur), Souvenirs d’Orient, La Dobroutcha, Charles Dourniol, Libraire-Éditeur, Paris, 1859 
ALLARD, Camille, Souvenirs d’Orient, la Bulgarie orientale, Adrien Le Clère et Cie, Libraires-Éditeurs et C. Dillet, Libraire-Éditeur, Paris, 1864
ALLARD, Camille, Entre mer Noire et Danube, Dobroudja 1855, collection Via Balkanika, introduction de Bernard Lory, Éditions Non Lieu, Paris, 2013

Danube-culture, mise à jour décembre 2021

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