Bleu Danube
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CHROMATIC 0857 Bleu Danube – JonOne-CH1 / #82a2cb Hex Code CouleurLe code hexadécimal de la couleur #82a2cb est une lumière moyenne teinte de couleur cyan-bleu. Dans le modèle de couleur RVB #82a2cb est constitué de 50.98 % de rouge, 63.53 % de vert et le bleu à 79.61 %. En l’espace colorimétrique HSL #82a2cb a une teinte de 214° (degrés), la saturation 41 % saturation et la légèreté 65 %.
Sources : https://encycolorpedia.fr
L’eau caméléon
« Si l’eau a des couleurs si variées, c’est parce que la lumière qu’elle renvoie à nos yeux, et qui fait que nous la voyons, est la somme de trois lumières bien distinctes. La lumière d’une étendue d’eau peut provenir de sa surface, de son milieu ou de son fond. Elle peut être de la lumière réfléchie, diffusée ou réfractée. Ainsi, un rayon lumineux qui vient du soleil peut soit être réfléchi par la surface de l’eau, soit entrer dans l’eau en subissant une première réfraction à sa surface, et, une fois à l’intérieur de l’eau, être diffusé par elle et réfracté une seconde fois en en sortant pour rentrer dans l’air. Ou le rayon solaire peut être réfracté une première fois à la surface de l’eau, traverser l’eau avant d’être réfléchi par le fond et réfracté une seconde fois à l’interface entre eau et air. C’est la variété des combinaisons de ces trois différentes sortes de lumière qui donne lieu à la gamme de couleur de l’eau.
L’eau possède t-elle néanmoins une couleur propre ? La réponse est oui si l’eau est suffisamment profonde pour que la lumière réfléchie soit négligeable, comme c’est le cas pour les océans . L’eau y a une couleur intrinsèque, et celle-ci est bleue. Cette couleur bleue est le résultat des effets combinés de la diffusion et de l’absorption de la lumière solaire par les masses d’eau océanique : les molécules d’eau absorbent préférentiellement l’orange et le rouge par rapport au bleu et au violet. En fait, le pic de transparence de l’eau se situe dans le bleu-vert.
Ni l’absorption ni la diffusion de la lumière du soleil ne sont pourtant les principaux responsables de la couleur des océans mais la réflexion du ciel par la surface de l’eau. C’est parce que le ciel est bleu que la couleur des océans est bleue. Que le ciel vienne à se couvrir, et l’océan prend une triste teinte grise. Ce gris résulte du mélange de la lumière bleue pâle diffusée, qui vient de sous la surface de l’eau, avec la lumière blanche du dessus, provenant des nuages. Quand le soleil se couche, l’océan, réfléchissant le ciel crépusculaire, se pare d’innombrables teintes rouges et orangées. Le fond de l’océan n’exerce pas d’influence directe sur sa couleur au-delà d’un mètre de profondeur.
La couleur de l’eau est aussi affectée par la présence de menues particules en son sein. Même l’eau des lacs de montagnes les plus purs contient des particules sédimentaires en suspension, qui selon la nature spécifique des minéraux dont elles sont constituées, diffusent la lumière d’une couleur donnée et confèrent à l’eau une coloration particulière. Ainsi c’est le limon en suspension en provenance des glaciers qui donnent aux lacs de montagne leur jolie coloration turquoise. Celle-ci résulte du mélange du bleu propre à l’eau et de la teinte blanchâtre issue de la diffusion de la lumière solaire par le limon… »
« Eau » in Trinh Xuan Thuan, Petit Dictionnaire amoureux du Ciel et des Étoiles, Pocket, Paris, 2014
On comprend à la lumière de ces explications que le Danube est bleu parce que tout simplement le ciel est bleu ! Personne n’a jamais vu le fleuve d’une couleur bleue par un temps maussade ou lorsqu’il pleut. Mais il se peut aussi que le Danube soit parfois marron-gris malgré un ciel d’une superbe limpidité. C’est le cas lors de hautes eaux quand la quantité importante de sédiments dans l’eau est trop importante et empêche sa surface de refléter le bleu de la voute céleste.
Quand le Danube vira au bleu…
C’est vers 1900 que le Danube, dont la valse éponyme de Johann Strauss junior (1825-1899) éponyme avait servi la cause bien au-delà des frontières de l’Empire austro-hongrois, vire nettement au bleu dans ses représentations graphiques. On pourrait bien évidemment faire la remarque suivante : cette coloration ne se plie-t-elle pas aux conventions de perception largement établies par les scientifiques selon lesquelles les lacs et les fleuves doivent être bleus ? Les choses ne sont pas tout à fait aussi claires : tous les grands fleuves de la planète n’ont pas été colorés dans le même bleu lumineux que le Danube dans leurs représentations graphiques
Le beau Rhin bleu ?
Prenez les eaux du Rhin par exemple, cousines et voisines à la fois proches et lointaines des eaux danubiennes. Voilà un fleuve qui n’apparaît pas dans un bleu tout à fait aussi vif que le Danube dans l’esthétique colorée des cartes postales illustrées (dont l’Autriche serait un des berceaux), sans doute parce qu’il ne s’identifie pas dans l’imaginaire populaire à une couleur particulière ou à une mélodie faisant référence à sa couleur. Sa représentation présente une une palette de nuances beaucoup plus large et plus variée, allant du gris pastel ou du bleu argenté au bleu clair et intense, en passant par différentes nuances de bleu brunâtre, verdâtre ou même violacé ! Le Rhin a par contre probablement eu le privilège d’être le premier fleuve au monde représenté sur une carte postale (1876).
Le Colorado, un fleuve américain qui est en réalité la plupart du temps d’un brun boueux, a commencé à être représenté par un bleu profond presque en même temps que le Danube sur les cartes postales mais pour des raisons différentes. Dans le cas du Danube, le motif du Danube bleu a concentré plusieurs discours sociaux, allant du thème de la valse aux discours nationalistes allemands, souvent associés à la couleur bleue (le bleuet) depuis la fin du XIXe siècle, en passant par le motif du lien fédérateur qui « unissaient » les différents pays de l’Empire des Habsbourg. D’ailleurs la grande majorité des rivières de cet empire ne confluent-elles pas dans le fleuve Danube ? Le fleuve Colorado, quant à lui, a été repeint en bleu parce qu’il a été transformé vers 1900 en un paysage (de nostalgie) américain protégé, de plus en plus touristique, connoté nationalement et idéalisé. En 1908, la région du Grand Canyon a été déclarée « monument national » par le président américain Theodore Roosevelt, et en 1919, elle a été protégée en tant que parc national. L’image idéale condensée dans les cartes postales a également été adaptée à cette revalorisation nationale et touristique du paysage.
Quant au Danube, il est sans doute dans notre imaginaire collectif plus bleu aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été de toute son histoire. Un bleu « confortable » et rassurant qui flirte toutefois avec l’amnésie ou l’ignorance des tragédies de l’Europe danubienne d’hier et dont le fleuve fut le témoin direct ou le cadre même des affrontements. La mélodie de la valse exportée dans des contextes et des environnements complètement étrangers et les vues des brochures touristiques des agences de voyage et des offices de tourisme au bord du fleuve, ont solidement et durablement fusionné en un amalgame d’un kitsch absolu mais, derrière le rideau culturel, d’une redoutable efficacité économique.
Le fleuve caméléon
Mais de quelle couleur ou de quelles couleurs est réellement le fleuve ? Pour répondre à cette question, on peut s’amuser à renouveler l’expérience empirique du conseiller juridique Anton Bruszkay, c’est-à-dire regarder chaque jour les eaux du fleuve et en noter les résultats au fil des saisons….
On constaterait probablement comme lui que des flots émanent souvent des reflets verdâtre, puis gris, parfois gris-bleu, et occasionnellement, par exemple en période de crue, brun-jaune. Le Danube peut-il être aussi par certains beaux jours bleu ? Oui, il arrive que le fleuve soit d’un bleu époustouflant ! Les hydrologues affirment que la coloration de l’eau est liée à des effets physiques, comme la proportion de matières en suspension qui filtrent différemment la lumière, mais aussi à la présence d’algues qui peuvent produire des effets verdâtres. Mais que peut la science face à la puissance de notre imaginaire collectif ? II paraît vraisemblable que pour celui-ci le Danube restera pour l’éternité évidemment toujours bleu !
Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour octobre 2024