Le bac à fil (Rollfähre) Klosterneuburg-Korneuburg

    Ici, entre Klosterneuburg (rive droite) et Korneuburg (rive gauche) le «voyage» d’un bord à l’autre du beau Danube vert est bref : trois à cinq minutes selon le niveau d’eau qui détermine la vitesse du fleuve et par conséquence la durée de la traversée. Le capitaine peut rater de temps en temps par inadvertance ou parce qu’il dans un mauvais jour, sa manœuvre d’accostage à la surprise teintée d’une éphémère inquiétude de quelques passagers. Le bac revient alors en arrière, glisse dans le lit du fleuve puis se rapproche à nouveau lentement de la berge. Cette fois, l’amarrage est réussi. Piétons, cyclistes et automobilistes ont bénéficié de deux minutes de répit ou de grâce supplémentaires de traversée.

Inauguration du bac à fil Klosterneuburg-Korneuburg le 12 septembre 1935, photo d’archives

Il y a aussi des riverains qui prennent goût à traverser le Danube avec le bac. C’est  presque comme une drogue. Ceux-là ont envie d’osciller quotidiennement d’une rive à l’autre depuis l’aube jusqu’au dernier passage en soirée. La pause de fin d’automne et d’hiver (le bac ne circule pas également pendant les périodes de hautes eaux et d’épais brouillard1) qui dure de début novembre jusqu’en mars leur semble une éternité insupportable. Pas d’autre choix que d’emprunter un pont puisqu’il n’existe plus d’autre bac à la hauteur de Vienne. Il faut même aller loin, très loin en aval jusqu’au canal de Gabčikovo pour retrouver un bac. Mais la traversée d’un canal n’a rien de commun avec celle d’un fleuve, surtout le Danube. Et en amont on doit remonter désormais jusqu’aux bacs à fil de Weissenkirchen en Wachau et de Spitz/Danube qui ont été sans doute préservés grâce en partie aux touristes et aux cyclistes qui l’empruntent tout au long de la saison. Construire un pont tout comme un barrage (programmé dans les années glorieuses) en Wachau eût été aussi un geste architectural absurde au sein ce paysage préservé. Certains doivent encore en rêver. La Wachau et Dürnstein ont évité le pire sauf à Melk. Et puis que dire des murs anti-inondations qui défigurent les rives aux alentours des villages !

Le bac sur la rive droite, photo © Danube-culture, droits réservés

Avec les travaux de régularisation du Danube à la fin du XIXe siècle, les gués qui permettaient aux périodes de basses-eaux de traverser le fleuve à pied disparaissent définitivement. La géographie du fleuve est bouleversée, redessinée par des mains humaines conquérantes. La merveilleuse abbaye de Klosterneuburg se voit privée de « son » Danube qui  doit reculer plus au nord. Le bras du fleuve principal sépare désormais les deux villes de Klosterneuburg et de Korneuburg. Une liaison fluviale est établie en 1884 d’abord sous la forme d’une embarcation branlante composée de deux coques de bateaux surmontés d’une plateforme sur laquelle se tiennent les passagers, les charriots et les charrettes. Le pont volant, ainsi dénommé, est attaché à la rive avec un câble qui se tend dangereusement sous l’eau en travers du fleuve. Un projet de tunnel sous le fleuve est envisagé dans les années 1899/1900.  L’embâcle du rigoureux hiver de 1928/1929 fige le Danube de la Hongrie jusqu’à la Wachau, détruisant le fragile pont volant. Ne voulant pas se priver d’un lien essentiel avec l’autre rive, les municipalités de Klosterneuburg et de Korneuburg sont à l’origine de la mise en service du nouveau bac à fil à cette hauteur. Son inauguration officielle a lieu le 12 septembre 1935. L’abbaye de Klosterneuburg participa au coût de construction à la hauteur d’un tiers des dépenses. Le câble en travers du fleuve mesure 380 m de long, pèse 6 500 kilos et son diamètre est de 47, 5 mm.

Le bac à l’occasion du jubilé de ses 85 ans d’existence en septembre 2020, photo droits réservés

Le bac de Klosterneuburg-Korneuburg (PK 1941, 7)
   Il s’agit d’un bac à câble n’utilisant que le courant du Danube pour se déplacer de la  manière la plus écologique possible. Les deux moteurs hors-bord sont là uniquement que pour des raisons de sécurité et afin de pouvoir manœuvrer indépendamment du courant en cas d’urgence.
Pour qu’un bac à câble soit propulsé à travers un fleuve ou une rivière, deux forces distinctes doivent être combinées :
-la première force est exercée par la tension du câble en acier auquel le bac est suspendu de manière mobile. Le câble empêche le bac d’être emporté par le courant.
-le courant du fleuve est l’autre force qui agit sur le déplacement du bac. Pour que les deux forces puissent mettre le en mouvement, celui -ci doit être incliné par rapport au courant à l’aide  d’un gouvernail. La pression du courant pousse alors le bac à travers le fleuve grâce à la force qui en résulte.
La vitesse du bac à fil dépend ainsi de la force du courant et peut être influencée par l’angle avec lequel le capitaine place son bac par rapport au courant. La vitesse du courant du fleuve ne doit pas être inférieure à une certaine vitesse minimale comme c’est le cas par exemple dans la zone des lacs de retenue en amont des centrales électriques et également sur le Bas-Danube où la vitesse du fleuve ne permet pas à un bac à fil de fonctionner. Il n’existe pas d’autre bac de ce type en aval de celui reliant Klosteneuburg à Korneuburg. Les bacs de Weissenkirchen et de Spitz/Danube en Wachau sont du même type.
Le bac qui a été privatisé en 1994, peut transporter outre piétons, cyclistes et motos 4 voitures et accepte les véhicules jusqu’à une longueur maximale de 10,50 m. Le poids total ne doit pas dépasser 25 tonnes et le nombre de passagers 40 personnes.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, novembre 2022

Notes : 
1 Le brouillard qui parfois efface la réalité du fleuve a joué un mauvais tour au bac qui est entré en collision le matin du 17 octobre 2017 avec un convoi qui descendait le Danube. Les autorités compétentes ont attribué l’origine de l’accident à une erreur d’appréciation du capitaine du bac.

Photo Danube-culture © droits réservés

Le Regentag (Jour de pluie) : bateau-maison-atelier nomade du peintre Friedenreich Hundertwasser

   « Je voudrais peut-être qu’on me considère comme un mage de la végétation, ou quelque chose de semblable, disons magique, que je remplisse un tableau jusqu’à ce qu’il soit plein de magie, comme on remplit un verre avec de l’eau. »
Friedenreich Hundertwasser

Le navire, un vieux mais solide cotre méditerranéen en bois, à voile et à moteur porte le nom de San Giuseppe T et de petit « freighter » (cargo) pour le transport de marchandises quand le peintre l’achète en Sicile, à Palerme, en 1967. Il le rebaptise du nom Regentag (Rainy Day ou Jour de pluie).
Après l’avoir fait convoyer de Palerme à Venise par le capitaine Mimmo, Hundertwasser navigue en compagnie du capitaine Antonio pendant sept années consécutives (1968-1974), cabotant de ports en ports méditerranéens (Palerme, Pellestrina, Portegrandi, Malcontenta, Portoferraio, La Goulette, Malte…). Puis le peintre décide ensuite de l’agrandir, faisant passer sa longueur de douze à quinze mètres. Il fait avec celui-ci ses premiers expériences d’architecture, en redessine la proue, modifie la coque, installe un deuxième mat, donnant à son bateau une silhouette et une ligne originales et asymétriques. Pendant dix ans le Regentag servira de maison et d’atelier nomade au peintre.
La bonne adaptation du « nouveau » Regentag à la haute mer est d’abord éprouvée lors de croisières qui le mènent en Dalmatie, en Sicile, en Corse, à Malte, à Tunis, en Crète, à Rhodes, à Chypre et en Israël puis Hundertwasser et son capitaine Horst Wächter partent pour une grande traversée de 18 mois (1975/1976), de Venise jusqu’en Nouvelle-Zélande en passant par Malte, Gibraltar, les Antilles, Panama, l’archipel des Galapagos et Tahiti.

Regentag IV

Le Regentag immobile au port de plaisance de Tulln, photo Danube-culture © droits réservés

Hundertwasser fut souvent à la barre du Regentag en Méditerranée, dans la mer des Caraïbes, au large de Tahiti, de Rarotonga, des îles Kermadec, d’Auckland et de la Baie des îles (Nouvelle-Zélande).Le bateau fait naufrage en 1995. Aussi est-il ramené à Opua, dans la Baie des îles et y reste en 1999/2000. Le chantier naval Ashby’s Boat Yard installe, à la demande du peintre, un nouveau poste de pilotage, pose un revêtement en béton armé et réalise une fresque en céramique dessinée par Hundertwasser au dessus de la la ligne de flottaison. Ces réaménagements, nécessaires à la suite du naufrage, répondaient également à un souhait de longue date de l’artiste.
Le Regentag continuera à naviguer sur l’Atlantique. Après la mort subite du peintre sur le Queen Elisabeth II, le 19 février 2000, il sera rapatrié en 2004 vers l’Europe par cargo et convoyé en Autriche par le Danube jusqu’au port de Tulln (Basse-Autriche), son port d’attache actuel. Ce bateau que le peintre a emmené au bout du du monde n’a navigué depuis sur le fleuve que pour de courtes escapades et son entretien semble avoir été négligé pendant plusieurs années ce qui est incompréhensible car il s’agit d’un patrimoine exceptionnel !

Le Regentag au printemps 2022, photo © Danube-culture, droits réservés

Le bateau, qui a été de plus endommagé par un autre navire dans le port de plaisance de Tulln en 2015, a été sorti de l’eau pour des travaux de réparation et de rénovation puis remis à flot. Fin des travaux de restauration au printemps 2023.

Le peintre au nom prédestiné qui entretint un rapport intime avec l’eau sous toutes ses formes et ses couleurs durant son existence, ne pouvait être que fasciné par les bateaux. Ses dessins d’enfant comme les Bateaux à vapeur chantant avec leurs cheminées, les Bateaux bouche en témoignent. Des proues de navires, des hublots ou autre allusion à l’univers maritime apparaissent également régulièrement dans ses autres oeuvres.

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Friedensreich Hundertwasser en 1998, photo source Wikipedia

Le peintre qui s’appelait à l’origine Friedrich Stowasser a pris comme troisième prénom Regentag, celui-ci venant s’ajouter à Friedensreich et Dunkelbunt soit un nom complet d’artiste de Friedensreich Dunkelbunt Regentag LiebeFrau Hundertwasser.
Rappelons encore que l’artiste, aux très fortes convictions écologistes, a également participé activement, aux côtés d’autres artistes et scientifiques renommés comme Konrad Lorenz, à la préservation des prairies alluviales danubiennes menacées de destruction par la construction du barrage de Hainburg (1984), projet heureusement abandonné par la suite.

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour novembre 2022

www.hundertwasser.at
https://www.kunsthauswien.com/en/museum

 Photo © Danube-culture, droits réservés

La forteresse millénaire de Greifenstein, entre Danube et Forêt-Viennoise

   « Des croisées du château, on a une des plus belles vues d’Allemagne. Elle attire en été, une foule d’étrangers et d’oisifs citadins de Vienne. Les soins du prince de Liechtenstein ont arraché cet antique édifice à la main dévastatrice du temps. Propriétaire éclairé, archéologue instruit, homme de goût, seigneur magnifique, il n’a rien épargné pour garder à Griffenstein [sic], dont la position est d’ailleurs tout à fait romantique, son caractère original. La chronique veut qu’un griffon ait jadis établi son séjour en ce lieu, et de là le nom de Griffenstein qu’il porte aujourd’hui.1 Nous aimons trop les vieilles traditions populaires pour essayer de contester celle-ci. Nous sommes d’autant plus disposés à l’accueillir avec confiance, qu’on montre à ceux qui, comme nous, ont une foi peu ferme, les empreintes des serres du dragon formidable sur le rocher granitique dont il avait fait son trône. La discussion est impossible devant de si éloquents témoignages. »
William Beattie, Le Danube illustré, édition française revue (et traduite ?) par H-L Sazerac, H. Mandeville Libraire-Éditeur, Paris, 1849

Notes :
1Créature légendaire à tête de faucon et munie de griffes et présente dans plusieurs cultures de l’Antiquité et qui se rencontre encore au Moyen-âge et à la Renaissance. Le nom de Greifenstein viendrait non pas de la présence d’un griffon dans ces lieux mais d’un certain M. Griffo ou Greif qui pourrait avoir été à l’origine ou avoir surveillé la construction de la forteresse initiée probablement à la demande des puissants évêques de Passau qui était alors en possession de nombreux territoires dans les parties allemandes et autrichiennes du Saint Empire Romain Germanique. Une autre version de cette même légende populaire donne pour origine du nom de Greifenstein le verbe « greifen », saisir, en lien avec le dernier geste de Reinhard sire de Greifenstein qui fut précisément de saisir l’énorme pierre qui bloquait l’entrée du cachot où il avait enfermé son chapelain. Voir légende ci-dessous.    

La forteresse de Greifenstein se trouve au point le plus septentrional des Alpes. Il n’est pas impossible que les Romains aient déjà édifié une tour de guet sur ce promontoire idéalement placé au-dessus du Danube qui faisait alors office de frontière (Limes) de l’Empire.
Greifenstein a vraisemblablement été construit soit à la fin du Xe (985/991) ou au début du XIe siècle à la demande des évêques de Passau qui avaient reçu ce domaine du duc de Bavière en 955 et étaient en possession d’autres domaines sur le territoire autrichien. Cette construction initiale marquait sans doute également la frontière orientale du domaine auquel appartenait également le village de Greifenstein. Elle s’inscrivait aussi, avec la forteresse de Kreuzenstein (rive gauche), les postes de garde des collines du Leopoldsberg, du Bisamberg et du Kahlenberg avec lesquels elle pouvait communiquer en cas de nécessité par l’intermédiaire de feux, dans l’important réseau de surveillance et de défense de la « Porte de Vienne »(« Wiener Pforte »).

La « Porte de Vienne » (« Wiener Pforte ») avec les collines du Leopoldsberg, du Kalenberg (rive droite) et du Bisemberg (rive gauche) que le fleuve franchit avant de rejoindre la capitale autrichienne, gravure de 1679, auteur ?

La présence de la forteresse est mentionnée pour la première fois dans un document officiel en 1135. Dietrich von Greifenstein était probablement un noble au service des évêques de Passau. Rüdiger von Bergheim (vers 1175-1258), évêque de Passau (1233 à 1250), la fait agrandir en 1247. Une chapelle est construite au XIVe siècle. Une troupe de citoyens de Klosterneuburg assiègent Greifenstein en 1365 pour des raisons inconnues. Le burgrave doit remettre les clefs de la place-forte au chef des assaillants, un certain Herr von Wehingen. Konrad Vetterl, vicaire de l’église paroissiale de Passau y est emprisonné en 1388 et torturé jusqu’à sa mort. Conquise en 1477 par les armées de Matthias Corvin (1443-1490) Greifenstein tombe brièvement dans la sphère d’influence hongroise. Les armées ottomanes de Soliman le Magnifique (1494-1566) venus assiéger Vienne s’en emparent en 1529 sans rencontrer de véritable résistance et la détruise partiellement. La forteresse est reconstruite à la suite de leur repli mais elle ne jouera désormais plus aucun rôle militaire ou stratégique. Elle fait à nouveau office de prison de la cour ecclésiastique à partir du XVIIe siècle. Le clergé et les laïcs devant purger des peines de prison sont enfermés dans le donjon de la tour. Encore habitée dans les années 1770, Greifenstein est ensuite, du fait des réformes fiscales mises en place sous l’impulsion de l’empereur Joseph II de Habsbourg (1741-1790), délaissée et n’est plus entretenue. Elle reste toutefois encore en possession des évêques de Passau jusqu’en 1803 où elle est mise aux enchères publiques.

La forteresse et le village de Greifenstein, gravure de Johann Mansfeld, vers 1800, collection privée. Cette gravure du début du XIXe siècle montre le fleuve en amont de Vienne avant sa canalisation avec ses îles inondables et ses berges non aménagées.

Le Prince Johann Ier Joseph von Liechtenstein (1760-1836) l’acquiert en 1807 et la fera restaurer et agrandir en 1818, améliorant son confort et y rajoutant éléments architecturaux de style romantique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments. Son fils, le prince Alois II Joseph von Lichtenstein (1796-1858) en hérite en 1829 et y transfère des œuvres d’art et des armes des collections familiales.

Greifenstein à l’époque Biedermeier, gravure colorée de Johann Adam Klein (1792-1875), vers 1812, extraite du cycle « Merkwündige Ansichten der verschiedenen Provinzen der Österreich. Monarchie und der benachbaren Länder », Artaria, Wien, 1812

La forteresse est laissée à l’abandon à la fin du XIXe siècle. Vendue en 1918 à l’industriel Hugo Kostenitz, Greifenstein change à nouveau de propriétaire en 1931 devenant la possession du banquier Maximilian Mautner qui la rénove. Réquisitionnée quelques temps par l’armée russe à la fin de la deuxième guerre mondiale elle revendue par les descendants de M. Mautner en 1960 à une société hôtelière, propriété du Dr. Johannes Hübner. Celui-ci la lègue à sa fille Ingeborg en 2003 non sans l’avoir restauré dans son caractère romantique historique. Greifenstein et sa forêt environnantes de 16 hectares sont acquises en 2017 par un homme d’affaires viennois, Ernst C. Strobl qui poursuit les travaux de rénovation et souhaite ouvrir les lieux pour un public restreint à l’occasion d’activités culturelles et autres manifestations.

Salle des chevaliers, photo droits réservés

   La pierre mystérieuse qui se trouve au milieu de la cour intérieure s’appelle « La pierre du serment » (« Schwurstein« ). Une des nombreuses légendes touchant à sa présence à cet endroit raconte que chaque visiteur devait (et doit encore de nos jours…) la toucher. C’est de là vient son nom de « pierre de préhension ». Dans les temps sombres du XVe siècle, quand de nombreux voleurs et brigands semaient la terreur sur la région, tous ceux qui pénétraient dans la forteresse devaient poser la main droite dans le creux de la pierre et prononcer le serment suivant : « Autant je saisis la pierre, autant j’honorerai l’hospitalité de ces lieux. » Celui qui l’ignorait était considéré comme un ennemi et immédiatement enfermé dans le donjon.

La « pierre du serment » de Greifenstein, photo droits réservés

Voici une autre légende parmi les plus populaires au sujet de la forteresse de Greifenstein :
Rheinhard, sire de Greifenstein, était au XIe siècle le propriétaire de la forteresse. C’était un seigneur au caractère ombrageux, dur pour ses proches, les paysans des environs et cruel envers les étrangers qu’ils détestaient. Sa jeune épouse, comme il arrivait si souvent à cette époque, mourut en accouchant d’une petite fille qui fut prénommée Ételina (Eveline). La petite fille grandit en passant ses jours entre une vieille nourrisse et le chapelain de Greifenstein. Elle ne voyait guère son père, tout occupé par la chasse et les guerres ce qui l’amenait à s’absenter souvent du château. Ételina était d’une grande beauté et dès son adolescence de nombreux prétendants se manifestèrent pour l’épouser. Elle tomba amoureuse du plus pauvre d’entre eux, un chevalier du nom de Rodolphe. Mais son père, contrarié par son choix, refusa de la laisser se marier avec ce chevalier. Au même moment le sire de Greifenstein dut se rendre auprès de l’empereur qui le réclamait. Il confia Ételina au chapelain et partit. Peu de temps après, le bruit de sa mort parvint jusqu’à la forteresse. Aussi la jeune fille décida de se marier avec Rodolphe avec le consentement du chapelain. Mais la nouvelle de la mort de son père était fausse. Rheinhart n’avait été que blessé. Il annonça au bout de huit mois son retour et prévint sa fille qu’un époux digne d’elle et de lui l’accompagnait. Sa fille, prise d’une grande angoisse, alla se jeter dans les bras du chapelain car elle redoutait comme la mort le retour et la colère de son père à l’annonce de son mariage. Le prêtre décida de la cacher et la fit descendre ainsi que Rodolphe dans un des souterrains du château-fort. Les jeunes époux devaient y attendre que la colère de Rheinhart s’apaise. On déposa près d’eux des provisions, un panier rempli de pain, du vin et une cruche d’huile pour entretenir une lampe. Leurs provisions devaient être renouvelées tous les trois jours.Le sire de Greifenstein arriva avec le prétendant qu’il destinait à sa fille et demanda à la voir. On lui répondit qu’elle était souffrante et si faible qu’il fallait la laisser se reposer. Le lendemain, il courut jusqu’à sa chambre et, ne la trouvant, il entra dans une violente colère. Le chapelain lui raconta ce qui était arrivé et chercha vainement à l’adoucir. Rheinhart jura de tuer Rodolphe s’il le retrouvait et comme le chapelain refusait de lui dire où il s’était caché avec sa fille, il le fit descendre par une corde dans une prison souterraine de la forteresse et sceller une pierre sur sa tête. Le chapelain ne recevait de l’air et ne voyait la lumière que par une étroite ouverture qui permettait également de lui descendre régulièrement un peu de nourriture. Chaque jour Rheinhart venait lui renouveler sa demande avec d’horribles imprécations mais son prisonnier refusait de lui donner le lieu où Ételina et Rodolphe se cachaient.
Une année passa, la colère du sire de Greifenstein ne faiblissait pas tout comme la détermination du chapelain à se taire. La forteresse était devenue déserte. Rheinhart, quand il n’était pas à la chasse, errait dans les cours toujours en fureur. Un jour d’hiver, se trouvant dans une forêt au bord du Danube, une tempête de neige le surprit. les chemins recouverts étaient devenus méconnaissables. Croyant revenir vers le château, il s’égara au milieu du site le plus sauvage de la contrée. La nuit descendit. Il appela à l’aide à plusieurs reprises sans succès, recommença à marcher à tâtons et brusquement aperçut une petite lueur à travers les branches recouvertes. Guidé par elle, Rheinhart arriva près d’une caverne creusée dans le roc. Un grand feu y brûlait sur le seuil. L’éclat de la flamme lui permit d’apercevoir deux êtres humains endormis sur un épais tapis de feuilles sèches, couverts de peau de bêtes. Entre eux se tenait un petit enfant que sa mère pressait doucement contre son sein. Le sire de Greifenstein les réveilla et un grand cri s’échappa des lèvres de la jeune femme à la vue de son père. C’était Ételina. Elle était parvenue à s’échapper du souterrain avec Rodolphe et tous deux avaient survécu dans cette horrible solitude, se nourrissant de la chair d’animaux que Rodolphe attrapait et leurs peaux avaient remplacé leurs habits tombés peu à peu en lambeaux.
Rheinhart, ému aux larmes et pris de pitié, revint avec eux à la forteresse. Il courut aussitôt délivrer le chapelain dans sa prison souterraine. Mais au moment où il se saisit de la pierre qui recouvrait le cachot et se penchait, il glissa et tomba, se brisant le crâne contre un rocher. Ce caveau où il avait enfermé le chapelain, lui servit de sépulture. Son âme, dit la légende, y demeure toujours enfermée et sa captivité durera jusqu’à ce que la pierre qui le recouvre soit usée par le temps.

Anton Fikulka (1888-1957), Greifenstein et le Danube au printemps, huile sur canevas, 1942

Eric Baude, Danube-culture © droits réservés, mis à jour novembre 2022

Sources :
www.burggreifenstein.at
BEATTIE,William, Le Danube illustré, édition française revue (et traduite ?) par H-L Sazerac, H. Mandeville Libraire-Éditeur, Paris, 1849
BÜTTNER, Richard, Burgen und Schlösser zwischen Greifenstein und St. Pölten, 1969
BÜTTNER, Richard, Burgen und Schlösser an der Donau, 1964
CLAM MARTINIC, Georg, Österreichisches Burgenlexikon, 1992
DURAND, Hippolyte, Le Danube allemand, et l’Allemagne du sud, Voyage dans la Forêt-Noire, la Bavière, l’Autriche, la Bohême, La Hongrie, L’Istrie, La Vénétie et le Tyrol, Tours, Mame et Cie, Imprimeurs-Libraires, 1863
FEUCHTMÜLLER, Rupert, Dr, Greifenstein und seine Schausammlungen, ein Führer, Verlag Hubmann, Wien, ?
GERSTINGER, Heinz, Ausflugsziele Burgen, 1998
HALMER, Felix, Niederösterreichs Burgen, 1956
KRAHE, Friedrich Wilhelm, Burgen des deutschen Mittelalters – Grundrisslexikon, Frankfurt/Main 1994
KRATZER, Hertha, Donausagen, Vom Ursprung bis zur Mündung, Ueberrreuter, Wien, 2003

PERGER, Richard, « Beiträge zur Geschichte der Burg Greifenstein »,  in Jahrbuch für Landeskunde von NÖ, 1996/I
SCHICHT, Patrick, Buckelquader in Österreich – Mittelalterliches Mauerwerk als Bedeutungsträger,  Petersberg, 2011
STENZEL, Gerhard, Österreichs Burgen, 1989
STENZEL, Gerhard, Von Burg zu Burg in Österreich, 1973

La forteresse de Greifenstein depuis le Danube, photo © Danube-culture, droits réservés 

La basilique de Maria Taferl (Basse-Autriche)

Photo © Danube-culture, droits réservés

Un emplacement idéal !
Le sommet de la colline avait été déjà choisi, comme si souvent au long des rives danubiennes, par des tributs celtes pour en faire un lieu de culte. On trouve d’ailleurs encore devant la basilique une pierre posé sur un socle et entouré d’une rampe qui pourrait avoir vraisemblablement servi comme autel pour des sacrifices.

L’autel de sacrifice celte, photo Danube-culture © droits réservés

Le culte et les superstitions du paganisme celtique sur les hauteurs de Marbach ont perduré suffisamment longtemps pour que les populations aient considéré ces lieux comme inhospitaliers. Pour effacer ces souvenirs païens, on aurait par la suite suspendu une petite croix de bois dans le chêne situé devant le dolmen. Cette croix était fixée à un tableau protégé par un petit auvent sur les côtés duquel était accroché les images de la Vierge Marie et de Saint Jean. C’est depuis cette époque que cet endroit s’appelle « Beim Taferl », en français « Près du petit tableau » d’où provient le nom de Maria Taferl.

Maria Taferl, photo © Bwag/Commons

Les origines du pèlerinage de Maria Taferl remonte au XVIIe siècle. Une légende raconte que le 14 janvier 1633, un berger du nom de Thomas Pachmann, décida d’abattre le vieux chêne, presque déjà mort. Mais sa hache glissa et retomba sur ses deux jambes. C’est à ce moment là qu’il aperçut la croix sur l’arbre. Pensant avoir involontairement commis un sacrilège, il s’agenouilla et demanda pardon à Dieu. Selon le berger, le sang qui coulait de ses blessures aux jambes, s’arrêta aussitôt. Il pût retourner seul chez lui et guérir rapidement. En 1641 ou 1642, un juge du village de Kleinkrummnußbaum atteint d’une grave dépression, fit remplacer la petite croix en bois qui s’abimait par une statuette de la Vierge des Douleurs. Il en fût guéri. La première apparition miraculeuse d’une lumière à cet endroit eut lieu un peu plus tard, en 1658. Elle fut suivie de nombreuses autres apparitions, sur la terre ou dans le ciel, une trentaine en tout, entre 1659 et 1661. De mystérieux pèlerins vêtus de blanc, seuls en petit groupe ou au sein d’une procession surgissaient lors de ses miracles. Au même moment où se produisaient ces apparitions se réalisaient des guérisons et des épisodes miraculeux. Les évêques de Passau et de Ratisbonne menèrent à la fin de 1659 une enquête minutieuse qui confirma, après l’audition de nombreux témoignages, la véracité des faits. Il fut alors décidé, dès 1660, qu’une église serait bâtie à cet endroit.

Jacob Prandtauer (1660-1726), maître maçon et architecte tyrolien, collection de l’Abbaye bénédictine de Melk 

La première pierre de la basilique est solennellement posée par un représentant des autorités ecclésiastiques de Passau le 25 avril 1660. Le terrain en relief oblige toutefois à abandonner la direction habituelle est-ouest et à lui préférer une orientation nord-sud. Le maître-autel est de cette façon orienté au nord, le portail principal au sud et la façade avec ses deux tours fait face au Danube. Le vieux chêne et sa Vierge miraculeuse sont volontairement inclus dans l’édifice. La construction de la basilique dure plus de soixante ans. Trois architectes se succèdent ; le viennois Georg Gerstenbrand (1667 ou 1668), architecte de la cour impériale, le lombard Carlo Lurago (1615-1684) de 1671 à 1673 et enfin le plus connu d’entre eux, le tyrolien et maître maçon Jakob Prandtauer (1660-1726), à qui l’on doit également en grande partie les merveilleuses abbayes de Melk, Dürnstein et Saint-Florian et qui acheva l’impressionnante coupole de Maria Taferl.

Martin Johann Schmidt (1718-1801) dit « Le Schmidt de Krems », éminent représentant de l’École dite « du Danube »,  sources Rudolf Lehr , Landeschronik Oberösterreich, Verlag Christian Brandstätter, Wien

La construction de Maria Taferl mobilise de nombreux artistes parmi les plus réputés. Aux trois architectes se joignent les italiens Carlo Consellino (stucs de la sacristie), Antonio Beduzzi (1675-1735) pour les fresques, connu également comme l’auteur du magnifique maître-autel de l’abbaye de Melk, Joseph Matthias Götz (1696-1760) pour le maître-autel, achevé en 1738, Peter Widering (vers 1684-1760) pour les sculptures de la chaire, J. A. Amorth, la Sainte Trinité sur le pilier du transept, J. G. Dorfmeister (1736-1786), auteur des sculptures des grands autels latéraux, le peintre viennois Johann Georg Schmidt (1685-1748) pour les petits autels latéraux ou encore le peintre autrichien Martin Johann Schmidt dit « Kremser Schmidt » (« Le Schmidt de Krems ») (1718-1801) qui réalise les tableaux des grands autels latéraux et enfin l’ébéniste Mattäus Tempe de Sankt-Pölten.

La fresque de la coupole représentant la vie et l’ascension de la Vierge Marie peinte par Antonio Beduzzi, photo Abubiju

L’édifice, consacré comme basilique mineure en 1947, est en forme de croix et mesure, si l’on inclue la sacristie attenante, une longueur totale de 70 m. Ses dimensions intérieurs sont de 53 m de long. La nef centrale atteint 13 m de large et le transept 31, 30 m sur 13.

Le maître-autel (détail), réalisé par Joseph Matthias Götz, photo © Danube-culture, droits réservés

Maria Taferl fit l’objet de nombreuses restaurations. La place devant la basilique fut aménagée en 1960.
Les extraordinaires orgues de l’époque Rococo, réalisées par le facteur viennois Johann Hencke (1698-1766) n’ont malheureusement pas été conservées à l’exception du buffet. Elles ont été transformées en 1910 par Franz Capek, facteur d’orgues de Krems, en un orgue romantique tardif avec 40 registres et 3 manuels. Aujourd’hui les orgues sont équipées de 47 registres, 4 manuels et comptent en tout 2915 tuyaux.

Les orgues de Maria Taferl, photo © Danube-culture, droits réservés

Les nouvelles cloches, d’un poids total de 7 200 kilos qui sonnent le Te Deum (si, ré, mi, sol, la) contribuent également à la grande réputation du lieu de pèlerinage.
On ne manquera pas de visiter l’extraordinaire chambre du trésor et si l’on visite les lieux par temps clair de jouir de la splendide vue sur le Danube et les massifs alpins autrichiens.
Une légende populaire raconte que l’eau de la source de Maria Taferl guérit miraculeusement les maladies des yeux.

Photo © Danube-culture, droits réservés

Eric Baude, révision juillet 2022, droits réservés

Sources :
WEICHSELBAUM, Josef, Maria Taferl, Verlag Schnell und Steiner GMBH CO., 3ème édition française, Munich et Zurich, 1987
www.basilika.at
www.nibelungengau.at

Dans les environs de Maria Taferl se trouve le château d’Artstetten. Une exposition permanente est consacrée à la vie et au destin tragique de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg (1863-1914), assassiné à Sarajevo, la capitale de la Bosnie-Herzégovine le 28 juin 1914.
www.schloss-artstetten.at 

T. W. Adorno : « Au Danube-Auen », un jour de semaine…

Dans un texte  court tiré d’Amorbach, le philosophe évoque l’atmosphère du fleuve, de ses rives et de la plaine du Marchfeld sur la rive gauche en aval de Vienne. 

« Au Danube-Auen1, un jour de semaine. Curieuse, cette profonde solitude au bord du fleuve, à quelques kilomètres seulement de Vienne. Un sortilège puztalien2 tient les hommes éloignés du paysage et de la flore déjà orientalisants, comme si cet espace ouvert sur l’infini souhaitait n’être pas dérangé. Un homme d’État autrichien du XIXe s’exprimait en ces termes : l’Asie commence à l’Est du Rennweg3. Ici, même l’industrie paraît hésitante. La sauvagerie du paysage serait restée archaïque si les Romains n’y avaient laissé des traces et si les derniers villages allemands ne s’étaient aventurés jusqu’aux frontières slovaque ou hongroise.

Bernardo Belloto (1721 ?-1780), vue du château de Hof ( vers 1758-1761)

De beaux châteaux comme ceux de Niederweiden et de Hof, tous deux en rénovation, bravent l’abandon des lieux par l’Histoire. Le jardin de l’un deux est séparé de la rue, des morceaux de statues et de décorations en pierre gisent épars : le XVIIIe se fait Antiquité. On aperçoit depuis de nombreux endroits la forteresse de Pressburg4 que la grande route esquive en un virage serré, comme dans Le château de Kafka. Aspern5 est l’un de ces lieux.

Vue sur le Danube et les Donau Auen depuis le Brausnberg (rive droite) sur le sommet duquel se tient un oppidum celte, photo © Danube-culture, droits réservés

Un regard depuis le sommet du Braunsberg6 au-delà du fleuve suffit pour qu’on ait, même entièrement dépouvu d’aptitude militaire, l’impression d’être un général , tant le terrain qui s’étend à perte de vue semble inévitablement destiné à toutes les batailles qui y furent livrées. On associe au nom du village Petronell celui de Pétrone7, mais aussi un aromate qui n’existe pas. Là où la Fischa8 se jette dans leDanube se trouve Fischamend9, avec son célèbre restaurant de poisson, où l’on se sent à la maison comme nulle part ailleurs qu’au bout du monde. »

Theodor W. Adorno, Amorbach et autres fragments biographiques, traduit de l’allemand par Marion Maurin et Antonin Wiser, Éditions Allia, Paris, 2016 

Le confluent de la Fischa avec le Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

Notes :
1
Prairies alluviales danubiennes, en Basse-Autriche, sur la rive gauche, à l’Est de Vienne jusqu’à la frontière slovaque, aujourd’hui territoire du Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes, seul parcours du fleuve, avec la Wachau, à avoir été préservé en Autriche.
2 Le Marchfeld, plaine fertile orientale autrichienne de la rive gauche du Danube ressemble à la vaste puzta hongroise.
3 Klemens Wenzel Nepomuk Lothar, comte, puis prince de Metternich (1773-1859)
4 Ancien nom allemand pour Bratislava dans l’Empire Autrichien et Austro-hongrois. La ville portait aussi le nom de Pozsony en hongrois.
5 Également sur la rive gauche, lieu d’une défaite napoléonienne au printemps 1809, aujourd’hui quartier périphérique de Vienne.
6 Le Braunsberg domine le Danube et la jolie petite ville moyenâgeuse de Hainburg, sur la rive droite autrichienne, à la frontière slovaque. Hainburg fut prise, détruite et sa population massacrée par les Ottomans à plusieurs reprises. J. Haydn est né dans le village de Rohrau, tout proche.
7 Petrone (Caius Petronius Arbiter, 27- 66 après J.-C.), écrivain romain est célèbre pour son Satyricon, considéré comme le premier roman de l’histoire de la littérature. Les Romains avaient établi tout d’abord à cette hauteur de la rive droite un camp militaire important pour protéger la frontière de l’Empire (Limes) et s’assurer la navigation sur le Danube puis une ville à la hauteur de Petronell-Carnuntum (rive droite).
8 Petit affluent de la rive droite du Danube dont le nom évoque un cours d’eau poissonneux.
9
Village de la rive droite, en aval de Vienne.

« La barbarie perdure aussi longtemps que les conditions qui ont permis cette régression persistent. C’est cela l’horreur totale. »
T.W. Adorno

L’église Saint-Jean-Baptiste im Mauerthale (Wachau, Basse-Autriche)

   L’église est mentionnée pour la première fois en 1240 en relation avec un don de l’archevêque Eberhard von Salzbourg (1200-1246) au monastère Saint-Pierre de cette même ville. Avec les villages d’Hofarnsdorf, de Bacharnsdorf et de Mitterarnsdorf, la paroisse de Saint-Jean-Baptiste im Mauerthale forma le domaine d’Arnsdorf propriété de l’archidiocèse de Salzbourg de 860 à 1806. 

Sankt Johann im Mauerthale, pointe sèche coloriée de W. Mossman d’après William Henry Bartlett (1809-1854), en face le village de Schwallenbach

   Si un tout premier édifice religieux a été bâti dès le IXe siècle en partie sur les ruines d’une tour de guet romaine, l’église actuelle date en grande partie de la première moitié du XVe siècle.

Reste d’un mur d’une tour de guet romaine sur laquelle a été bâtie l’église saint-Jean-Baptiste, photo © Danube-culture, droits réservés

   La tour de l’église est à la base quadrangulaire avec un clocher octogonal  surmonté à son sommet d’un coq transpercé d’une flèche qui évoque une des légendes populaires du Mur du diable (Teufelsmauer) situé sur l’autre rive du Danube.

Le coq transpercé d’une flèche veille toujours sur l’église saint Jean-Baptiste im Mauerthale, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’intérieur se compose d’une nef avec un toit plat avec sur les côtés de belles fresques murales du début du Gothique, datées d’entre le deuxième quart du XIIIe et le XVe siècle.

photo © Danube-culture, droits réservés

   La chaire en style baroque tardif est accessible de l’extérieur. Le maître-autel également baroque dans un  chœur de style gothique est d’une excellente facture.

Le maître-autel baroque et le choeur gothique, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le tombeau présumé de Saint-Aubin (Sankt Albinus) se trouvait jusqu’en 1862 dans une niche murale dans le fonds gauche de l’église. Une statue le représente en pèlerin du début du XVIe siècle.

Saint Albin dans sa niche au fonds de l’église, photo © Danube-culture

   La fresque sur le mur extérieur du côté du Danube montrant Saint-Christophe, protecteur des voyageurs a pu être en partie conservée.

Saint-Christophe, photo © Danube-culture, droits réservés

   Juste derrière l’église se trouve un puits couvert de l’époque Baroque. Les lieux ont été, en particulier pour cette  raison et pour le culte de Saint-Albin dont l’église abritait autrefois la tombe présumée, une importante destination de pèlerinage de la fin du Moyen-Âge jusqu’au Baroque. Les innombrables et souvent superstitieux pèlerins venaient y boire l’eau bénite et prometteuse de guérison miraculeuse et les bateliers y pratiquaient aussi différentes offrandes avec des fers-à-cheval. Un autre lieu de pèlerinage, Maria Langegg, situé sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, entre l’abbaye de Göttweig et l’abbaye de Melk, voisine avec la modeste église de Saint-Jean-Baptiste im Mauerthale.  

Le puit couvert à l’arrière de l’église, photo © Danube-culture, droits réservés

L’église de Saint-Jean-Baptiste im Mauerthale se trouve désormais sur la commune de Rossatz-Arndorf.

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour avril 2022

Sources :
Die Wachau, Niederösterreichische Kulturwege, NÖ Landesarchiv und NÖ Institut für Landeskunde, St. Pölten
Von Aggstein bis Göttweig, Dunkelsteinerwald, Niederösterreichische Kulturwege, NÖ Landesarchiv und NÖ Institut für Landeskunde, St. Pölten
www.kirchen-am-fluss.at

Austria-forum.at
www.gedaechtnisdeslandes.at

Le clocher octogonal de style gothique tardif, photo © Danube-culture, droits réservés

Le château de Schönbühel (Wachau)

Le château avec sa tour caractéristique tels qu’on les aperçoit aujourd’hui à la sortie de Melk, date du début du XIXe siècle. Au sommet de deux rochers d’une quarantaine de mètres de haut qui plongent directement dans le lit du Danube et qui sont appelés familièrement la vache et le veau, ce monument historique a été remanié à plusieurs reprises.
Comme dans de nombreux endroits stratégiques de la vallée du Danube, il est vraisemblable que les Romains avaient déjà bâti à cet endroit une forteresse ou du moins une tour de guet afin de surveiller le fleuve, le Danube faisant alors à la fois office de frontière et d’artère commerciale. Un premier château-fort médiéval est construit à la fin du XIe-début du XIIe siècle par deux frères, Marchwardus et Friedrich von Schoenbuchele, vassaux de l’évêché de Passau, sur l’emplacement de la tour de guet
. Dans l’enceinte même de ce château-fort se trouve une école et une église dans laquelle les messes et les cérémonies auront lieu jusqu’en 1667.

Le château de Schönbühel, gravure de Georg Matthäus Vischer (1628-1696) extraite de son recueil « Topographia Archiducatus Austriae Inferioris Modernae », 1672

Lorsque leur descendant, Ulrich von Schoenbuchele, meurt au début du XIVe siècle, la dynastie des Schoenbuchele s’éteint. Le château devient alors la propriété de Konrad (IV) von Eisenbeutel dit l’ancien puis en 1323 de l’évêché de Passau1 qui l’administre mais est contraint de le vendre en 1396 à Gundakar von Starhemberg, dernier seigneur féodal de Gallneukirchen vraisemblablement pour des raisons financières. Gundakar von Starhemberg et son frère Kaspar vont soutenir le mouvement de la Réforme au XVIe et feront de Schönbühel un centre du protestantisme. Après s’être converti au catholicisme en 1639, Konrad Balthasar von Starhemberg (1612 -1687) fait édifier à proximitié du château, entre 1666 et 1674, le monastère de l’ordre des Servites sur des ruines surnommées par les habitants du voisinage « le château du diable ». Son fils, le comte Ernst Rüdiger von Starhemberg (1638-1701), gouverneur militaire de Vienne, a marqué l’histoire de l’Autriche par son courage exceptionnel et sa défense héroïque de la capitale autrichienne assiégée pour la deuxième fois de son histoire par les armées ottomanes de Kara Mustafa (1683).

Le comte Ernst Rüdiger von Starhemberg (1638-1701)

Pendant plus de quatre siècles, la seigneurie de Schönbühel demeure la propriété de la famille Starhemberg. Cette famille possédait également dans la Wachau la forteresse d’Aggstein ainsi que les droits de péage pour la navigation sur le fleuve y dont abusèrent sans scrupule certains occupants précédents des lieux comme Hadmar III von Kuenring ou encore Jörg Scheck vom Wald.

Le château de  Schönbühel, peinture de Jakob-Placidus Altmutter (1680-1820), vers 1817

Franz Graf von Beroldingen (1791-1864), membre d’une vieille famille de la noblesse d’origine suisse, acquiert le château de Schönbühel en 1819 et le fait reconstruire sur les anciennes fondations de la forteresse initiale (1819/1821) dont quelques vestiges sont encore visibles dans le clocher de la chapelle du château. Schönbühel est ensuite revendu en 1929 au comte Oswald Seilern und Aspang (1900–1967) dont la famille est expulsée par les armées soviétiques lors de l’occupation de l’Autriche  à la fin de la deuxième guerre mondiale. Le château est ensuite restitué aux Seilern-Aspang qui en sont toujours propriétaires.

Photo © Danube-culture, droits réservés

Une communauté juive vécut du Moyen-Âge jusqu’en 1671 dans le petit village au pied du château et dont le nom est mentionné dans un document officiel de l’année 1538. La synagogue se trouvait sur le site de la maison actuellement n° 147. Le cimetière juif du Kettental, au nord-est du village, n’a pu être localisé avec précision. Entre juin 1944 et avril 1945, des membres de la communauté juive hongrois ont été réquisitionnés par l’administration du domaine de Schönbühel et travaillaient à diverses taches (gestion et forêts).

Notes :
1Selon certaines sources la seigneurie et son château deviennent la possession de l’abbaye voisine de Melk.

Danube-culture, © droits réservés mars 2022

Sources : 
www.schoenbuehel.at
www.gedaechtnisdeslandes.at
www.museumnoe.at
Barbara Staudinger, « Gantze Dörffer voll Juden », Juden in Niederösterreich 1496-1670, Mandelbaum Verlag, Wien 2005

Portail d’entrée, photo © Danube-culture, droits réservés

Le voyage danubien prénuptial de Sissi vers Vienne au printemps 1854

   Le départ de la princesse et de la délégation bavaroise de Munich à huit heures du matin a lieu dans une grande confusion. La délégation arrive à Straubing au bord du Danube dans la soirée après avoir fait une étape à Landshut pour le déjeuner.

Straubing en 1854, gravure d’après J. Alt (1789-1872)

   « Sissi » embarque tout d’abord sur le vapeur « Stadt Regenburg » de la compagnie royale de navigation bavaroise jusqu’à Passau, ville frontière où ont lieu une cérémonie et les adieux officiels de la Bavière avec la duchesse et où l’accueille une délégation autrichienne. Le « Stadt Regensburg » entre en Autriche et poursuit ensuite sa navigation sur le fleuve vers Linz en traversant les paysages impressionnants et sauvages de la Strudengau. Son fiancé l’attend à l’embarcadère de la compagnie bavaroise, en amont du pont de la ville de Linz, entouré d’officiels et de nombreux habitants enthousiastes qui saluent et applaudissent la future impératrice. Le jeune couple impérial est convié à un diner officiel et à une soirée théâtrale.

François-Joseph accueille Sissi au débarcadère de Linz, sources Sisi Museum, Hofburg Wien

   Le lendemain matin Sissi embarque pour Vienne à huit heures devant une foule toujours aussi nombreuse et enthousiaste sur le « Franz-Josef », un vapeur  autrichien entièrement décoré de roses et pavoisé pour la circonstance. L’Empereur s’est de son côté levé dès l’aube et est déjà en route vers la capitale de l’empire sur un autre bateau, « l’Österreich » afin d’arriver avant sa fiancée et de pouvoir renouveler en plus grandiose la cérémonie de réception de Linz au débarcadère de Nußdorf. Une partie de l’importante délégation autrichienne est monté à bord du deuxième vapeur autrichien « l’Hermine » qui accompagne le Franz-Josef dans sa croisière vers Vienne.

Le départ du Franz-Josef de Linz, sources Sisi Museum, Hofburg, Wien

   Le voyage entre Linz ressemble à une véritable procession triomphale. Les cités des bord du fleuve sont pavoisées et regorgent de couleurs pour saluer le passage de la future impératrice. Les habitants en liesse se sont massés tout au long des rives et interpellent joyeusement le convoi. Sissi et les passagers qui se tiennent sur le pont grâce aux conditions météo favorables y répondent inlassablement. Enfin, vers quatre heures de l’après-midi, les deux vapeurs abordent à l’embarcadère de Nußdorf. Le mariage est célébré dans l’église des Augustins le 24 avril. 

L’arrivée au débarcadère de Nußdorf

    101 ans plus tard, en 1955, eut lieu la répétition de ce même incroyable voyage danubien et quasiment du même spectacle lors du tournage de la première partie du film du réalisateur autrichien Ernst Marischka (1893-1963) « Sissi Trilogie » (1955-1957). Ce fut alors l’inoubliable Romy Schneider (1938-1982), alors à peine plus âgée que Sissi (17 ans) qui salua depuis le pont du « MS Hebe » de la prestigieuse D.D.S.G. la foule des riverains qui s’étaient réunis sur les bords du fleuve pour cette reconstitution historique du voyage de la duchesse Élisabeth vers son destin impérial autrichien.

Le film « Sissi » (1955) d’Ernst Marischka avec Romy Schneider ou le triomphe du mélo kitsch

   Ce fut une nouvelle fois l’occasion d’une fête extraordinaire à laquelle participèrent comme par le passé toutes les cités riveraines autrichiennes entre Linz et Vienne avec leurs habitants qui avaient pour l’occasion revêtu leurs plus beaux costumes traditionnels. Villes et villages étaient plus que jamais pavoisés. C’est l’acteur l’acteur autrichien Karl-Heinz Böhm (1928-2014), fils du chef d’orchestre Karl Böhm (1894-1981) qui joue le rôle de François-Joseph dans le film d’Ernst Marischka.        

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour février 2022

Contes et légendes du Machland et de la Strudengau (Autriche danubienne)

Le poisson qui parlait (Machland)
Le Danube s’écoule entre Mauthausen (rive droite) et le village d’Ardagger (rive gauche) aux portes de la Strudengau à travers la plaine autrefois inondable du Machland au temps où le Danube autrichien était encore un fleuve sauvage. Les forêts alluviales ancestrales, les bras morts, une multitude de marais et d’étangs formaient des paysages semi-aquatiques qui abritaient autrefois selon la croyance populaire de nombreux esprits des eaux réalisant parfois des miracles ou provoquant au contraire toutes sortes de catastrophes. Ondins, sirènes, fées et les sorcières pouvaient aussi se jalouser et rivalisaient d’imagination pour ensorceler les habitants. Mieux valait les laisser tranquille ! Il arrivait parfois que des habitants entendent des animaux parler le langage des humains comme cette histoire en témoigne.

Le Danube, Mauthausen, l’église paroissiale Saint-Nicolas et le château de Pragstein vue de la rive droite

Marie, la fille d’un paysan qui venait d’Heinrichdorf, un hameau des environs de Mauthausen, était allée laver du linge au bord d’un étang à proximité du fleuve. Elle frottait les chemises avec beaucoup d’énergie mais à force de se pencher, son dos  commença à la faire souffrir. Au moment où elle voulut se reposer un instant, il lui sembla entendre une voix monter des profondeurs de l’étang. Elle se figea, tendit l’oreille et entendit clairement celle-ci lui dire : « Sors-moi ! Sors-moi de là ! »
L’instant d’après, la tête d’un énorme poisson apparut devant elle. Il était noir comme du charbon, sa gueule était grande ouverte et il regardait la jeune fille avec des yeux énormes. Effrayée par l’apparition de ce monstre la jeune fille laissa d’abord tomber dans l’eau la chemise qu’elle tenait dans ses mains puis elle s’enfuie à toutes jambes vers la ferme où elle chercha son père et lui dit avec une voix encore pleine d’émotion : Il y a un énorme poisson noir comme du charbon dans l’étang qui parle le langage des hommes. Il m’a demandé de le sortir de l’eau, arriva-t-elle à balbutier avec peine.
Le paysan se mit à rire et lui répondit : « Un poisson géant qui parle ? Ma pauvre fille, tu as dû encore une fois rêvasser au lieu de faire ta lessive. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu de poisson qui parle. File donc te remettre au travail. »
Marie avait beau insister et affirmer qu’elle avait vraiment vu et entendu parler un poisson géant, son père ne croyait pas un seul mot de ce qu’elle racontait et il finit même à la fin par se fâcher. « Je ne veux plus entendre parler de ces bêtises. Un poisson ça vit dans l’eau. Si on le ramène sur la terre ferme, il meure ! »
La jeune fille n’osa pas retourner à l’étang ce jour-là ni le jour suivant. Ce n’est que le surlendemain, sur l’insistance de son père, qu’elle prit son courage à deux mains et qu’elle y revint pour finir de laver son linge. C’était un jour merveilleux de l’été, l l’étang immobile réfléchissait le ciel. Pas un souffle de vent ne venait le troubler. Tout était calme, seules les libellules virevoltaient dans l’air avant de se poser sur un brin de roseau. C’était si tranquille que Marie elle-même crût avoir rêvé. Mais lorsqu’elle plongea le linge dans l’eau, il lui sembla entendre à nouveau la voix qui prononça distinctement : « Pourquoi ne m’as-tu pas sorti de là ? Maintenant, je dois rester ensorcelé et attendre de nouveau sept ans avant de pouvoir demander à un être humain de me délivrer. » Puis tout redevint silencieux et muet comme avant.
Marie fit sa lessive et rentra chez elle en courant. Elle ne parla plus jamais à personne de sa rencontre avec le poisson qui parlait même lorsque les gens racontaient qu’ils avaient vu un énorme poisson noir dans l’étang. Il paraît que c’était un poisson aussi muet que les autres !

La Légende de l’ermite de l’île de Wörth (Strudengau)
   L’histoire se déroule en 1540 : un noble tyrolien souhaitait faire un agréable voyage vers la ville de Vienne avec son épouse. Ils embarquèrent sur un bateau (Zille) avec de nombreux passagers pour descendre l’Inn puis le Danube et s’approchèrent des redoutables tourbillons de la Strudengau. Dès la ville de Grein, on avait prévenu le capitaine de l’embarcation qu’il fallait un pilote local expérimenté pour traverser la succession de tourbillons sans encombre mais l’orgueilleux batelier refusa la proposition, prétextant que c’était inutile et qu’il avait déjà franchi bien des endroits difficiles. Le mugissement de l’eau agitée commença à se faire entendre. De l’écume blanchâtre recouvrit peu à peu le pont mais le batelier regardait l’eau avec dédain. Il ne pouvait pas voir les différents récifs qui se cachaient insidieusement sous la surface. Soudain, suite à un choc et à un craquement brutal, de l’eau pénétra à travers les planches disloquées. Le navire se mit à à tourner sur lui-même, la proue se pencha et, en quelques minutes, comme attirée par des forces souterraines mystérieuses, entraîna les passagers effrayées au fond de l’eau. Juste après, on vit un homme sortir la tête du tumulte des flots et, à grand-peine, parvenir à secourir un passager inconscient en le ramenant sur la plage de l’île de Wörth toute proche. Ce passager sauvé de la noyade était l’aristocrate tyrolien et le sauveteur son serviteur. Lorsque le comte reprit connaissance et qu’il ne vit ni son épouse, ni le bateau, ni l’équipage ni les autres passagers, il comprit qu’il s’était noyé. Abasourdi par l’immense douleur d’avoir perdu sa chère et tendre épouse, il décida de rester sur l’île pour y finir sa vie et mourir en ermite. Le comte vécut pendant 12 années avec son fidèle serviteur sur l’île. Ce dernier apporta son aide à un paysan qui y était installé. Le noble tyrolien avait élu domicile dans les ruines du château-fort et, lorsqu’un bateau descendait le Danube en provenance de Grein, il montait sur la tour et, par des gestes et des appels éloquents, avertissait l’équipage de la présence des dangers du courant et des rochers, leur indiquant précisément par où passer en toute sécurité. C’est ainsi que « l’ermite de l’île de Wörth » devint une célébrité connue de tous les bateliers qui n’hésitaient pas à remercier de ses services le pauvre homme en lui offrant au passage de nombreuses provisions.

île de Wörth avec sa croix datant de 1552, refuge d’un noble tyrolien naufragé et l’un des passages des tourbillons avec de nombreux récifs.

   Sa femme que le comte pensait morte pendant le naufrage, était en fait restée en vie grâce au merveilleux effet de la providence. Évanouie sur le bord ses poumons avaient été vidés de leur eau à Sarmingstein par des gens bienveillants qui avaient pris soin de son corps inanimé. En la regardant de plus près, ils remarquèrent toutefois que la comtesse respirait encore et ils parvinrent par miracle à la réanimer. Elle fut amenée à l’hôpital de Saint-Nicolas où elle reprit des forces  de sorte qu’elle put continuer son voyage. Mais elle ne se rendit pas chez son frère à Vienne. Après avoir remercié et largement récompensé ses sauveurs, elle rentra au Tyrol où elle vécut retirée dans le deuil de son mari.
La nouvelle qu’un ermite s’était installé sur l’île de Wörth à proximité des redoutables tourbillons de la Strudengau, si dangereux pour la navigation, ermite qui avait failli lui-même mourir à cet endroit de nombreuses années auparavant, était parvenue par l’intermédiaire des bateliers qui naviguaient sur l’Inn jusqu’aux oreilles de la comtesse. Elle se demanda alors si cet ermite n’aurait pas par hasard des informations sur ce terrible naufrage d’il y avait 12 années. Elle lui envoya à tout hasard son valet qui, longtemps après, revint avec l’étrange message selon lequel l’ermite serait bien le comte qui avait été porté noyé depuis longtemps ! La comtesse se rendit alors rapidement sur l’île de Wörth. Le comte et son épouse tombèrent en larmes dans les bras l’un de l’autre et retournèrent dans leur propriété du Tyrol. En souvenir du sauvetage de ce naufrage, ils firent ériger  cette belle croix en pierre que l’on peut encore voir de nos jours.

La chasse sauvage (Strudengau) 
Il était une fois un paysan qui arrivait du pays voisin d’Achleiten et prit du bon temps dans une auberge d’Aumühle (Grein). Le temps passa très vite en joyeuse compagnie et le paysan fut surpris par la tombée de la nuit. Il se munit d’une lanterne pour retourner chez lui. Tandis que son chemin le menait à travers une forêt très sombre, il entendit soudain un cliquetis de chaîne parmi des hurlements de loups, des sifflement de serpents, des aboiement de chiens et des cris perçants de chouettes. Ces voix s’élevaient et se mélangeaient en un horrible tumulte. Un immense effroi traversa tout le corps de l’homme : il ne pouvait s’agir que de la fameuse et redoutable chasse sauvage. Il se jeta aussitôt au sol, cacha sa tête dans ses mains et commença à murmurer des prières.
Le paysan ne se souvint pas combien de temps il était resté couché sur le sol. Lorsqu’il se redressa avec hésitation, il remarqua que le cauchemar nocturne avait disparu et qu’il n’y avait désormais plus aucun bruit.
Quand il rentra chez lui et raconta son aventure, personne ne voulut croire à cette histoire étrange et qu’il avait pu échapper à la chasse sauvage. Mais le brave homme ne cessa, durant tout le reste de sa vie, d’évoquer cette épouvantable aventure.

La nymphe du Danube
La « Donauweibl » ou « Donauweibchen » apparaît comme une aimable et belle jeune fille avec de longs et magnifiques cheveux, la tête et les vêtements ornés de fleurs. Elle est tantôt bonne, tantôt perfide. Parfois, elle prévient les mariniers et les pêcheurs lors de tempête et de gros temps sur le fleuve. En cas de crue, elle indique aux navires la bonne direction. Elle se dresse sur le « Gransel » (Kranzel) ou à la proue du navire et a le pouvoir de dissiper le brouillard sur le fleuve. Son chant merveilleux mais dont personne ne comprend le sens saisit d’admiration les bateliers qui en oublient parfois leur gouvernail, font naufrage sur les rochers et se noient.

Nymphe du Danube

La nymphe du Danube

Le chevalier pillard du château-fort de Säbnich (Strudengau) 
Au moment où régnait encore la loi du plus fort sur nos provinces vivait au château de Säbnich en Strudengau un chevalier pillard redouté. Avec l’aide de ses valets, il verrouillait le Danube au moyen de grosses chaînes et pillait sans scrupule les navires marchands qui remontaient le fleuve, prenant en otage de riches commerçants et demandant une forte rançon en échange. Lassé de ces agressions et alors qu’il venait de nouveau de piller des bateaux de pèlerins, un noble seigneur des environs rassembla une armée imposante et assiégea sa forteresse. Les vivres ne tardèrent pas à manquer et la faim s’installa derrière les remparts.Le château-fort fut pris d’assaut. Peu avant d’être fait prisonnier, le chevalier pillard banda les yeux de son cheval et s’élança avec lui dans le précipice. Son château fut incendié. La vallée de la Strudengau et le Danube redevinrent sûrs pour la navigation.
Au cours de la guerre de Trente ans (1618-1648), le château fut détruit par les Suédois. Il est depuis en ruine et il ne reste plus aujourd’hui de la forteresse de Säbnich  que quelques décombres et ce conte…

Le passage des Strudel (tourbillons) en aval de Grein, l’île de Wörth avec sa croix et la forteresse de Werfenstein

L’église Notre-Dame de Struden (Strudengau)
   Une légende rapporte que l’empereur du Saint-Empire romain germanique Maximilien Ier de Habsbourg (1459-1519) dormit une nuit dans son château de Werfenstein en 1502 et que le plafond d’une pièce s’effondra mystérieusement pendant son séjour. L’empereur put échapper à une mort certaine grâce à un petit homme habillé en gris qui l’avait averti à temps. Maximilien fit ériger l’église Notre-Dame de Struden pour le remercier d’avoir eu la vie sauve.
   Un document de l’ancien tribunal libre de Struden du 16 novembre 1790 atteste que l’empereur Maximilien est effectivement le fondateur de l’ancienne église. Il entendait aussi offrir aux bateliers et aux transporteurs de sel qui remontaient et descendaient le fleuve dans ce passage difficile la possibilité d’écouter une messe les dimanches et les jours fériés. Il a d’ailleurs lui-même fait dire une messe en 1502, laquelle devait être répétée tous les ans le jour de son sauvetage, financée par le percepteur impérial et royal des péages et comptabilisée dans les dépenses. Le maître-autel de cette chapelle a été offert par les charpentiers de marine de Struden et d’autres bienfaiteurs. La conduite de l’office religieux fut confié à un prêtre de Saint-Nicolas ou, en cas d’empêchement, à un moine franciscain du couvent de Grein. Pendant 52 années, à chaque automne, une messe a été célébrée dans cette église conformément à la demande de l’Empereur.

Maximilien Ier de Habsbourg (1459-1519) par le peintre Bernhard Strigel (1460–1528), vers 1500

   Beaucoup plus tard, en 1784, sur ordre de l’empereur Joseph II, l’église a été fermée au culte. Le nouveau propriétaire l’a transformée en logements, son actuelle fonction. Le maître-autel avec le tabernacle a rejoint l’église paroissiale de Saint-Nicolas tout comme la statue de la Vierge Marie, les vêtements liturgiques, le ciboire, les chandeliers et le linge d’église. Le petit orgue a été transporté à l’église voisine de Klam. Les deux cloches ont été emmenées au village de Kreuzen. Cette ancienne église gothique se reconnaît aujourd’hui encore par son extrémité polygonale sous forme de tourelles et ses fenêtres maçonnées en ogive.

L’ancienne église Sainte-Marie de Struden, photo collection particulière

Sources :
Josef Petschan, Contes et curiosités de la Strudengau, 1929
Nora Kircher, Die Donau, in Mythen, Märchen und Erzählungen, Knaur, München, 1988
Hertha Kratzer, Donausagen, Vom Ursprung bis zur Mündung, Ueberreuter, Wien, 2003
Traduction en français et adaptation des contes pour Danube-culture, Eric Baude © droits réservés, Décembre 2021

Un projet de centrale hydroélectrique à la hauteur de l’île de Wörth (Strudengau) en 1924

Légende :
1) Râteau de protection de la centrale hydroélectrique 2) Fosse supérieure 3) Double chambre d’écluses 4) Écluses 5) Chenal vers l’amont 6) Chenal vers l’aval 7) fosse inférieure 8) Canal de la navigation 9) Île de Wörth 10) Struden 11) Ruisseau du  Giessenbach 12) Hößgang  

La centrale hydroélectrique de Struden, un projet des entreprises Universale, Mayreder, Krauss et SSW (1924)
   Le Danube sera barré à l’extrémité amont de l’île de Wörth, près de Struden, par un barrage à sept ouvertures de 28 m de large chacune et d’environ 1,6 m de hauteur. Le débit d’exploitation de 1520m3/seconde s’écoulera par un ouvrage d’entrée disposé perpendiculairement au barrage. Un canal amont amènera l’eau vers la centrale électrique, située à l’extrémité inférieure du bras de Hößgang. La centrale hydroélectrique sera complétée par une une double écluse avec des chambres d’un gabarit de 22 m, accessibles par l’amont et l’aval. Il est prévu un déversoir de crue sur le bras nord du Danube. La centrale électrique sera équipée de dix turbines d’une puissance maximale de 120.000 cv. La puissance moyenne de production annuelle prévue sera de 550 millions de kwh. L’emplacement de la retenue (cote 228,60) a été choisi pour être environ 3 m plus haut que les autres projets de centrales sur le Danube dans le défilé de la Strudengau.

Le Danube en Strudengau à la hauteur de l’île de Wörth et des ruines du château-fort de Werfenstein : un si beau paysage ! Collection particulière.

« Le Danube, qui a été utilisé pour de nombreux symboles dans l’histoire, est depuis longtemps devenu un symbole de la nature détruite – en Autriche, cependant, c’est aussi un symbole des premiers succès du mouvement de protection de l’environnement. L’abandon des projets de construction des centrales de Zwentendorf et de Hainburg marquent des tournants dans l’histoire de la seconde république autrichienne. Ils représentent des événements politiques qui ont ébranlé les certitudes sociales et interrompu l’existant. Les deux lieux de mémoire sont sur le Danube ; leur assimilation narrative est en grande partie achevée. Les mythes qui les entourent peuvent être complétés par un récit des centrales hydroélectriques qui ont été construites sur le Danube ; ils apparaissent ici comme les deux faces d’une même médailles. »
Otrun Veichtlbauer, « Donau-Strom, über die Herrschaft der Ingenieur », in C. Reder und  E. Klein, Graue Donau, Schwarze Meer, Éditions Transfer Springer, Wien- New York, 2008
https://www.academia.edu/1609680/Donau_Strom_Über_die_Herrschaft_der_Ingenieure

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