Joseph Fouché, exilé et oublié sur les bords du Danube à Linz

Aucune cour européenne ne l’invite et il n’y a que son vieil « ami » le prince Metternich qui daigne accepter du bout des lèvres qu’il trouve refuge à Prague mais surtout pas à Vienne ni en Basse-Autriche. Tenu à distance par la noblesse bohémienne, espionné, ridiculisé, il sollicite de Metternich l’autorisation de quitter Prague et de se réfugier avec sa jeune et seconde épouse Gabrielle-Ernestine de Castellane (1788-1850) qu’il a épousé en 1818 et sa fille de son précédent mariage, Josephine-Ludmille (1803-1893), en Haute-Autriche. Leur chemin vers Linz les font passer par Carlsbad, la célèbre ville d’eau. Ils traversent le Danube et s’installent confortablement à Linz dans un superbe immeuble, au 27 de la Hauptplatz2 à proximité du fleuve sur les bords duquel Joseph Fouché va marcher, méditant sur son destin, sa solitude, son ennui et son oubli. Peut-être se souvient-il aussi que c’est juste en face de Linz, sur la rive gauche que se sont affrontées le 17 mai 1809 les armées autrichiennes et les troupes napoléoniennes placées sous le commandement du maréchal Bernadotte. Peu lui importe désormais. Il se fait même naturaliser autrichien. En 1819, Metternich autorise Fouché malade à quitter Linz et son climat peu favorable pour s’installer à Trieste. Il meurt à son domicile, le palazzo Vicco, le 26 décembre 1820 assisté de Jérôme Bonaparte qui brûle à sa demande ses papiers, emportant ainsi ses secrets avec lui.
L’écrivain autrichien Stefan Zweig (1881-1942) lui a consacré une biographie. Il décrit brièvement dans celle-ci le contexte de son exil sur les rives du Haut-Danube autrichien.

Linz, gravure d’Adolphe Kunike (1777-1838) d’après Jacob Alt (1789-1972), 1826

« Linz, — on sourit toujours, en Autriche, quand quelqu’un prononce ce nom qui, si involontairement, rive avec Provinz. Une population de petits bourgeois, d’origine rurale, des bateliers, des artisans, pour la plupart de pauvres gens, avec seulement quelques maisons de la vieille noblesse autrichienne. Il n’y a pas, comme à Prague, une grande et glorieuse tradition, pas d’opéra, pas de bibliothèque, pas de théâtre, pas de bals merveilleux donnés par la noblesse, pas de fêtes : une véritable ville de province, sans vie et somnolente, un asile pour vétérans. C’est là que s’établit le vieux Fouché, avec les deux jeunes femmes, presque du même âge, qui sont l’une son épouse et l’autre sa fille. Il loue une superbe maison, la fait magnifiquement mettre en état, au grand plaisir des fournisseurs et des marchands de Linz, qui jusqu’alors n’avaient pas l’habitude d’avoir dans leurs murs de pareils millionnaires.

La résidence de Joseph Fouché au n° 27 de la place principale pendant son exil à Linz, photo Michael Kranewitter, droits réservés

Quelques familles s’efforcent d’entrer en relations avec cet intéressant étranger qui, grâce à son argent, ne manque pas, malgré tout, de distinction ; mais la noblesse préfère, d’une façon très marquée, celle qui est née comtesse de Castellane au fils d’un « épicier », à ce « monsieur Fouché », à qui il a fallu un Napoléon (qui n’est lui-même à ses yeux qu’un aventurier) pour jeter sur ses maigres épaules un manteau ducal. D’autre part, les fonctionnaires ont été secrètement invités par Vienne à le fréquenter aussi peu que possible ; ainsi cet homme qui autrefois était d’une activité passionnée vit complètement isolé et presque en quarantaine.

La comtesse Gabrielle-Ernestine de Castellane (1788-1850), duchesse d’Otrante, épouse de Joseph Fouché 

      Un contemporain le décrit alors, dans ses mémoires, pendant un bal public :« On était frappé par la façon dont la duchesse était fêtée, tandis que Fouché lui-même était négligé. Il était de taille moyenne, fort, sans être épais, et avait un affreux visage. Il paraissait aux lieux où l’on dansait toujours en habit bleu avec boutons d’or, en culottes blanches et en bas blancs. Il portait le grand ordre autrichien de Léopold. D’ordinaire, il se tenait seul, près du poêle, et il regardait danser. Lorsque je considérais celui qui fut autrefois le tout-puissant ministre de l’empire français, qui maintenant était là si isolé, si délaissé et qui paraissait heureux lorsqu’un fonctionnaire quelconque engageait avec lui une conversation ou lui offrait de jouer aux échecs, je pensais involontairement à l’instabilité de toute puissance et de toute grandeur terrestre. »

Stefan Zweig, Joseph Fouché, Bildnis eines politischen Menschen, 1929, traduction en langue française, Grasset, Paris, 1969, traduction d’Alzir Hella (1881-1953) et d’Olivier Bournac

Vue de Linz, gravure colorisée réalisée d’après une image de Perlberg chez C. Rorich et fils, Nuremberg, vers 1850

Stefan Zweig a dédié sa biographie à son ami l’écrivain et médecin autrichien Arthur Schnitzler (1862-1931).
On consultera également la biographie de Joseph Fouché écrite par Louis Madelin (1871-1956) et parue en 1901.
Autres biographies ou ouvrages en français sur Joseph Fouché :
Jean Tulard, Joseph Fouché, Fayard, Paris, 1998
Julien Sapori, L’exil et la mort de Joseph Fouché, Anovi, Paris, 2007
Emmanuel de Waresquiel, Fouché : les silences de la pieuvre, Paris, Tallandier, 2014
Julien Sapori, (dir.), Dictionnaire Fouché, Tours, 2019

Eric Baude, © droits réservés, mis à jour juillet 2024
Notes : 
1 Joseph Fouché, élevé au titre de comte d’empire en 1808 devient duc d’Otrante en 1809. Otrante (Otranto) est une ville de l’Italie du sud, située dans la région des Pouilles au bord du canal du même nom qui sépare l’Italie de l’Albanie.  
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Place principale à proximité du Danube

La place principale de Linz à l’époque de l’exil de Joseph Fouché, sources : Robert Batty, Rudolf Lehr – Landeschronik Oberösterreich, Verlag Christian Brandstätter, Wien 2008 

Krempelstein (Haute-Autriche), le château-fort du tailleur

« Ober Oesterreich. das alte Schloss Grempenstein »., Litographie colorée d’Adolph Kunike d’après Jacob Alt, vers 1821 

« Le château appartenait aux évêques de Passau depuis 400 ans. Des chevaliers brigands en avaient fait autrefois leur repaire, pillant depuis le château-fort les bateaux qui naviguaient sur le Danube à proximité. La tour carrée, qui est encore en bon état, comme on peut le voir sur notre gravure, leur servait de repère de surveillance. Elle complète maintenant un tableau romantique que cet ancien nid de brigands offre sur son promontoire.
Les bateliers et les habitants des environs appellent habituellement cette forteresse le « Schneidersschlössl » (le château du tailleur). Ils racontent à son propos une histoire assez triste qui finit malgré tout par faire rire les auditeurs : un pauvre bougre, qui avait établi sa misérable demeure dans ses ruines, élevait une chèvre dont il se nourrissait du lait. La chèvre mourut et, furieux de ce malheur qui le frappait, le malheureux tenta de jeter la dépouille de l’animal dans le Danube. Mais la dépouille s’accrocha à ses vêtements par l’une de ses cornes et l’entraîna avec elle dans les profondeurs du fleuve.
Voilà pourquoi cette histoire peut faire rire maintenant. Les bateliers poursuivant leur récit, racontent que le malheur vient de ce que le pauvre homme était un tailleur auquel la chèvre a voulu jouer sans doute un mauvais tour même après sa mort. La pitié des auditeurs se change en éclats de rire lorsqu’un tailleur se trouve sur le bateau. Il est quand même étrange que l’on associe ensemble un tailleur avec une chèvre et que l’on oublie dans cette histoire les sentiments humains. Les tailleurs qui sont parmi les auditeurs font des efforts pour rire avec les autres passagers tout en essayant de garder leur bonne humeur.
Sur notre gravure, la forêt autour du château-fort est abondante. Un bateau navigue sur le Danube. »

Dr. Geor Carl Borromäus Kump, in Adolph Kunike, Zwei hundert vier und sechzig Donau-Ansichten nach dem Verlauf des Donaustromes von seinem Ursprung bis zum Ausfluss in den Schwarzes Meer, édité par Adolph Kunike, Vienne, 1826
Traduction et adaptation en français, Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, décembre 2021

Krempelstein Haute-Autricvhe PK 2215

Le château-fort de Krempelstein en automne 2021

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