Galaţi (Roumanie)

Le Danube et la Falaise sur le Danube (rive droite) de Galaţi sur laquelle se tient une grande partie de la ville

« Là-bas dans le port de Galaţi,
Les marchands croulent sous le poids
Des étoffes persanes,
Des fourrures lipovènes.
Rouleaux de soie
Douce comme laine,
Fils de soie brillante,
Drap légers comme un souffle ;
Marchandise féminine
Et toile de Turquie,
Pantoufles légères
Rapportées d’Inde,
Fourrure longue et molle
Bordée de Zibeline. »

Ancienne ballade populaire roumaine, citée dans Galatzi, Petit guide touristique, Éditions Méridiane, Bucarest, 1964

GALACZ, Axiopolis, (Géog.)​​ ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie près du Danube, entre les embouchures du Pruth & du Séret ou Moldawa. M. de Lisle écrit Galasi. (D. J.)
L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Denis Diderot et de Jean Le Rond d’Alembert, vol. VII, p. 427, (1757)

   « Galatz est une petite ville assez florissante, fréquentée principalement par des vaisseaux grecs qui viennent du Bosphore, et retournent chargés des différentes productions de la Moldavie. On construit ici des vaisseaux d’une grandeur considérable ; mais comme le bois qu’on emploie à leur construction est mis en oeuvre avant qu’il soit sec, il se retire ; les jointures s’ouvrent, et le vaisseau coule bas. C’est une des nombreuses causes auxquelles on doit attribuer la grande quantité de débris de vaisseaux qui couvrent continuellement les rives du Pont-Euxin1Du haut d’un rocher qui domine la ville, nous voyons le Danube se déployer devant nous ; plus loin nous découvrions le mont Hémus2, et nous allions même jusqu’à nous imaginer que nous apercevions les murailles blanches de Tomy3, où Ovide fut envoyé en exil, et dont le nom moderne est Baba-Dagh (la capitale des montagnes). Cette ville est située à environ quarante-cinq milles sud-est de Galatz, et fut prise en 1771 par un détachement de l’armée russe de Catherine II, commandée par Romanzoff4. »
Adam Neale (1778-1832), physicien, chroniqueur et écrivain écossais,Voyage en Allemagne, en Pologne, en Moldavie et en Turquie, tome second, Paris, 1818

Notes :
1Ancien nom pour la mer Noire, du grec Pontos Euxeinos, la mer hospitalière
2 Nom donné dans l’Antiquité à un sommet ou à la chaine des Balkans bulgares
3 Tomis ou Tomes est l’ancien nom de Constanţa. Le poète Publius Ovidius Naso (43 av. J.-C.-17 ap. J.-C.), connu sous le nom d’Ovide fut envoyé en exil à Tomes par l’empereur Auguste (63 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) pour une raison inconnue. Il mourut dans cette ville.
4 Le général russe Pierre Alexandre Romanzoff (1730-1800) dit « le Transdanubien », fut la « bête noire » de la « Sublime porte ». C’est l’instigateur du Traité de Küçük Kaynarca (Koutchouk-Kaïnardji) du 21 juillet 1774 entre la Russie et l’Empire Ottoman qui met fin au conflit des années 1768-1774. Ce traité très avantageux à l’impératrice Catherine II de Russie permet notamment à son pays de prendre pied sur les rives du Dniestr et d’avancer vers le delta du Danube que la Russie atteindra quelques années plus tard.

Vue de Galaţi depuis la rive droite, dessin de Jacob Alt (1789-1872), vers 1824

   « Heureusement qu’à côté du vieux Galatz des Turcs, il commence à se bâtir une ville nouvelle, qui datera, comme Braïlof [Brǎila], de la régénération des Principautés. C’est sur la colline qui domine le Danube que s’élèvent déjà quelques maisons qui sentent l’Europe et qui témoignent de ce que pourra devenir Galatz. Cette colline a une belle vue sur la dernière branche des Balkans, qui sépare le Danube de la mer Noire et qui le rejette au Nord ; elle a, à sa gauche, le lac Bratiz [Brateş] et le Pruth, qui sépare la Moldavie de la Bessarabie ; à droite la ligne du Danube et la plaine de Valachie ; à ses pieds le port, et elle ressemble, en petit, à la côte d’Ingouville au Havre. Je souhaite à Galatz d’avoir avec le Havre d’autres ressemblances. »
Saint-Marc Girardin (1801-1873)
Écrivain, homme politique et historien, professeur d’histoire puis de littérature à la Sorbonne, membre de l’Académie française à partir de 1844

   Pour Patrick O’Brien, un voyageur irlandais qui l’a visitée en 1853, Galați était une ville prospère, avec des routes en bon état et assez bien pavées : « dans les rues principales, on trouve de belles boutiques », ajoutait-il, « et il y a partout une agréable apparence d’agitation et de prospérité ».
Patrick O’Brien, Journal of a Residence in the Danubian Principalities in the Autumn and Winter of 1853 (London 1854), 23–24, cité par Constantin Ardeleanu dans son livre « O croazieră de la Viena la Constantinopol, călători, spaţii, imagini, 1830-1860, Humanitas, Bucarest, 2021

Karl Hermann Bitter (1813-1885), le premier commissaire prussien de la Commission, a remarqué « ses toits gris, ses maisons blanches, ses églises avec leurs tours étincelantes au soleil, ses nuages de poussière tourbillonnants, la forêt de mâts le long de son port »ainsi que ses nombreux vauriens et criminels de toutes les nations.De tous les points de vue, Galați était un centre commercial levantin très actif, où l’Orient rencontrait l’Occident.
Karl Hermann Bitter, « Skizzen und Bilder aus den Ländern an den unteren Donau und aus dem europäischen Orient aus den Jahren 1856 bis 1858 », in : Heinz-Peter Mielke, Karl Hermann Bitter. Stationen eines Staatsmannes (Minden 1981) pp. 40, 48, cité par Constantin Ardeleanu dans son livre « O croazieră de la Viena la Constantinopol, călători, spaţii, imagini, 1830-1860, Humanitas, Bucarest, 2021 

La rue Domneascǎ et le centre ville autrefois

   « Galatz est la seconde ville de la Roumanie. Elle renferme, nous a-t-on assuré, 180 000 habitants. Bucharest, capitale de la principauté, n’en compterait pas moins de 250 000. Les ouvrages spéciaux, et notamment Bouillet [Marie-Nicolas Bouillet,1798-1864], n’assignent à Galatz qu’une population de 10 000 âmes. La seule explication qui se puisse donner de cette contradiction, c’est que ces ouvrages ont été écrit avant que ne ce soient réalisés les rapides développements que Galatz doit à sa situation géographique moins encore qu’aux travaux accomplis depuis 1856 par la Commission européenne instituée par le traité de Paris pour l’amélioration des passes du Danube.
   On sait que ce fleuve verse ses eaux dans la mer Noire par trois bouches principales : Kilia, Saint Georges et Soulina.
Assise au sommet de ce triangle qui constitue le delta du Danube, la ville de Galatz se trouve être le point de jonction entre la navigation exclusivement fluviale et la navigation maritime. Elle est ainsi l’entrepôt forcé de tous les produits qui empruntent la voie du Danube pour s’échanger entre les provinces les plus reculées de l’Allemagne, depuis le grand-duché de Bade, et le marché asiatique, en arrière de Constantinople.

Galaţi au XVIIIe siècle, L’illustration

   On a bien essayé de faire échec à ce monopole par l’établissement de deux chemins de fer : l’un qui, partant de Tchernavoda [Cernavoda], sur le Danube, aboutit à Kustendjié, sur la mer Noire ; le second, qui part de Routschouk et se termine au port de Varna. L’une et l’autre de ces voies ont pour but de racheter la courbe accentuée que décrit le Danube en remontant vers Galatz et la Bessarabie, avant de jeter ses eaux dans le Pont-Euxin ; mais cette tentative ne paraît pas devoir réussir. Même dans l’hypothèse, dont la réalisation doit être considérée comme prochaine où ces deux tronçons se trouveront rattachés au réseau général des voies ferrées européennes, les embarras, les retards, les frais de transbordement et la différence du prix du fret entre la voie de fer et la voie d’eau compenseront et au-delà l’avantage qu’on peut se promettre d’une abréviation de parcours relativement insignifiante si l’on considère la distance immense qu’ont à parcourir l’un point extrême à l’autre les marchandises échangées.

Galaţi et le delta du Danube en 1867, carte d’Heinrich Kipert (1818-1899)

   Le port de Galatz a, par suite de cette situation privilégiée, presque exclusivement profité de l’accroissement considérable survenu depuis la guerre de 1856 dans les échanges entre l’Orient et l’Occident. Ce progrès a été singulièrement favorisé, comme je le disais tout à l’heure, par les travaux accomplis depuis la même époque pour l’approfondissement des passes du Danube.
   En effet, avant 1856, la branche la plus accessible du fleuve pouvait à peine recevoir des petits navires ayant moins de quatre mètres de tirant d’eau ; elle peut être aujourd’hui fréquentée par d’énormes bâtiments de six mètres. Alors que jadis les marchandises provenant du cours supérieur du Danube devaient être chargées sur des chalands pour être ultérieurement transbordées sur les navires de mer, on voit aujourd’hui, ancrés devant les quais de Galatz, des vapeurs de commerce du tonnage le plus élevé, battant en général pavillon anglais qui recueillent sans intermédiaire le fret à Galatz même, pour le transporter non plus seulement à Constantinople, mais directement et sans rompre charge dans les ports de la Méditerranée, voire même jusqu’en Angleterre.

Départ du courrier à Galatz en 1933 par le peintre Albert Marquet (1874-1947)

   Cette modification survenue dans les habitudes du commerce est tout à l’avantage du port de Galatz, dont l’activité ne pourra que se développer à l’avenir sous l’influence des travaux entrepris par la Russie en Bessarabie, le long de la branche de Kilia.
   La ville de Galatz occupe d’ailleurs une situation magnifique, que contribuent à embellir les grandes perspectives offertes à cet endroit par le cours majestueux du Danube. Elle ne manque ni de constructions privées assez élégantes, ni de promenades, ni d’églises ou de mosquées relativement riches. L’ensemble toutefois en est sauvage et l’aspect pour ainsi dire inculte. Si la civilisation s’y révèle dans quelques détails, c’est une civilisation à son début et à peine ébauchée. Pas plus que dans une autre ville de l’Orient, il n’y a ici ni édilité ni police organisée, par conséquent ni éclairage ni propreté. Si quelques-unes des rues principales sont empierrées, elles le sont de façon à rendre la marche à pied pénible et la circulation en voiture sinon impraticable, tout au moins très fatigante.
   C’est à Galatz que nous avons dû abandonner la navigation exclusivement fluviale, pénétrés de gratitude pour les attentions dont nous avions été l’objet pendant notre séjour prolongé à bord des magnifiques steamers de la Compagnie impériale et royale1Pour poursuivre jusqu’à Constantinople, nous transbordâmes sur l’Aunis2, appartenant à la Compagnie des Messageries maritimes3. À bord de ce joli paquebot, dont la seule infériorité consiste dans l’insuffisance de son échantillon pour répondre aux exigences d’un trafic toujours croissant, je me trouvais chez moi et pour ainsi dire en pleine famille. Il va de soi que nous n’avons manqué, sur l’Aunis, d’aucun des conforts qu’il soit possible d’obtenir dans le cours d’une traversée maritime.
   La descente de Galatz à la mer par la branche de Sulina n’exige pas moins de huit heures. Dans le cours de ce trajet , que nous avons accompli en compagnie de l’excellent agent des Messageries maritimes M. Malavassi, nous avons passé en revue plusieurs escales d’importance inégale, mais toutes intéressantes, notamment Toulscha et Soulina.
   Cette dernière, l’un des bourgs les plus peuplés de la Dobroutscha, est assise à l’issue même de la branche du Danube à laquelle elle donne son nom. L’aspect en est agréable ; son port, quoique étroit et incommode, n’est pas dénué d’animation. Soulina est, de plus, le siège de l’administration instituée par la Commission internationale pour l’amélioration des passes du Danube, et son principal dépôt.

Galatz,  Le Monde illustré, 1877

   Pendant la durée des opérations nécessitées par le débarquement et la mise à bord des marchandises, nous avons pu mettre pied à terre et examiner en détail, sous la conduite d’un médecin français attaché à la Commission [Européenne] du Danube, les formidables travaux de défense élevés par les Russes pour protéger l’entrée de la passe.
   Jusqu’ici nous n’avions vu les Russes qu’à distance ; à partir de Galatz, le contact avec eux est devenu plus direct. Non seulement ils occupent militairement tout le pays qui s’étend sur l’une ou l’autre rive du Danube, en aval de Galatz, mais ils en ont complètement assumé l’administration. Leur police s’exerçait jusque sur notre bord. Il faut dire, pour être juste, que les procédés des agents moscovites, depuis les gouverneurs investis de la plénitude des pouvoirs publics jusqu’au employés d’un ordre inférieur, ne se ressentaient pas trop, nous fut-il assuré, des habitudes, de l’esprit et de l’omnipotence militaires. Si, en Roumanie, simple lieu de passage pour leurs troupes, les Russes gardent l’attitude et la mobilité d’une armée en campagne, en Bulgarie, au contraire, où ils se considèrent comme chez eux, leur prise de possession est complète. Ils s’y conduisent toutefois en gouvernants et en administrateurs plutôt qu’en vainqueurs et en conquérants. L’occupation russe présente d’ailleurs tous les caractères de la permanence. Il n’y avait pas jusqu’aux femmes qu’on apercevait aux bras d’officiers de tous grades, assistant sur le quai à l’arrivée du paquebot, dont les toilettes élégantes et printanières ne témoignassent qu’en quittant les bords glacés de la Néva pour rejoindre leurs maris ou leurs frères sous le ciel de l’Orient, ces dames n’avaient pas conservé l’esprit de retour. En Bulgarie, on se sent aujourd’hui en pleine Russie. Or ce n’est pas la moindre des attractions du voyage que de voir le courant moscovite traverser, sans s’y mêler, le courant ottoman, comme les eaux limoneuses du Rhône traversent, sans se confondre avec eux, les flots azurés du lac de Genève.
   Le 6 juillet (1878 ?), par un temps exceptionnellement splendide, l’Aunis quittait Soulina pour entrer en pleine mer. »

De Paris à Constantinople par le Danube, Esquisses et souvenirs de voyage, Imprimerie D. Jouaust, Paris, 1878

 Notes :
1 Il s’agit de la D.D.S.G., Première Compagnie Impériale et Royale autrichienne  de Navigation à Vapeur sur le Danube, fondée à Vienne en 1829. L’auteur du récit est à bord du vapeur « Tegethoff ».
2 Paquebot en service de 1861 à 1882
Compagnie de navigation française fondée en 1851

« Galatz, grande ville portuaire en plein développement
Hôtels-restaurants : « Hôtel de Paris », service à la française, « Hôtel Müller », « Hôtel du Nord », service à  l’allemande. À l’hôtel du nord il y a des bains en baignoire, des bains de vapeur et des douches. Galatz est le siège de la commission européenne du Danube et de la préfecture roumaine. Les habitants de cette ville sont de différentes nationalités, beaucoup de Grecs et 2000 citoyens appartenant à l’Autriche-Hongrie. La ville est plus élevé que la Mehala, nommée faubourg du port, qui s’étend sur la sur la rive inférieure ; on est en train d’y construire les quais. Les curiosités de  Galatz ne consistent que dans la circulation animée au port car outre la société de navigation à vapeur du Danube, le Loyd austro-hongrois, les messageries maritimes et la compagnie de la navigation russe y ont aussi leurs agences.
Au nord de la ville le lac Bratich, de plus de deux lieues carrés de surface qui offre de pêches considérables. En face de Galatz, sur la rive de la Dobroudscha Boudjouk-Dag. »
Alexandre François Heksch, Guide illustré sur le Danube de Ratisbonne à Souline et indicateur de Constantinople, A. Hartleben, Éditeur, Vienne, Pest, Leipsic, 1883

La statue de Mihai Eminescu (1850-1889) dans le Parc municipal réalisée par l’artiste Frédéric Stork (1872-1942) et solennellement inaugurée en 1911, photo © Danube-culture, droits réservés

« Galatz compte 96 000 habitants, dont de nombreux Allemands et Hongrois, ainsi que des membres de tous les pays naviguant sur le fleuve.
   Celui qui arrive en bateau à Galatz distingue d’abord la ville portuaire (Mahala), qui s’étend avec ses quais le long du Danube. La ville proprement dite se trouve derrière Mahala, une trentaine de 30 m au dessus. Galatz possède un magnifique théâtre (Papadopol), un grand palais administratif nouvellement construit, le palais du Métropolite [siège de l’évêché orthodoxe de Galatz], un lycée, un grand nombre d’hôpitaux civils et militaires et des hospices. C’est également le siège de la Commission européenne du Danube, de l’Inspection générale roumaine de la marine marchande et des ports, d’un commando de marine et d’une cour d’appel. La ville possède des consulats généraux et des consulats de toutes les nations commerçantes dans la région.

Vue du port en 1909, photo collection particulière

  Des centaines de grands cargos maritimes apportent des produits industriels d’outre-mer vers le Danube et descendent le fleuve emmenant des céréales roumaines et bulgares.

Chargement de céréales, collection Archives de la Bibliothèque départementale V.A. Urechia de Galaţi, droits réservés

Le Danube jusqu’à la Mer noire, [guide de voyage], ERSTE K. K. PRIV. DONAU-DAMPFSCHIFFFAHRTGESELLSCHAFT, Wien, 1913 

Deux horaires de liaisons maritimes à partir de et vers Galaţi, par la Lloyd autrichienne (Galaţi-Constantinople) et par la Compagnie de Navigation à Vapeur Russe (Galaţi-Odessa-Nicolaeff) au début du XXe siècle avant la première guerre mondiale (guide de voyage de la D.D.S.G., 1913). La compagnie française Fraissinet assurait alors de son côté un servie régulier entre Marseille et Brǎila via Gênes, Constantinople, Bourgas, Varna, Constanţa, Sulina et Galaţi.  

Pour Ethel Greening Pantazzi, la femme d’un officier canadien, Galatz a un charme particulier ; elle est très différente de toutes les autres villes roumaines, notamment parce qu’elle est la résidence de la Commission européenne du Danube. Les huit commissaires représentent la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, la Turquie, la Russie et la Roumanie et, à l’exception du délégué français, ils ont leurs résidences à Galatz et y restent toute l’année. Ils sont les chefs naturels de leurs colonies, et organisent beaucoup de réceptions, qui ont le charme de l’inattendu, car on y rencontre des gens des quatre coins du monde. En plus de recevoir chez eux, ils donnent, collectivement, des bals et d’autres fêtes chaque printemps et automne dans le palais de la Commission, un grand bâtiment où se tiennent leurs réunions.
Ethel Greening Pantazzi, Roumania in Light & Shadow (Toronto 1921), cité par cité par Constantin Ardeleanu dans son livre O croazieră de la Viena la Constantinopol, călători, spaţii, imagini, 1830-1860, Humanitas, Bucarest, 2021  

« Cette ville est plus que le second port marchand  de la Roumanie, plus qu’un vaste grenier à blé, plus que l’ancienne capitales des Galates, paraît-il, (ainsi Jacques, sous le sol foulé par nous reposent nos pères aventuriers), plus qu’un ensemble heureux de brasseries, de beuglants, de bains occidentaux ou turcs, de cinémas et de maisons closes. C’est, dit-on, un des boulevards de l’Europe. Vivons donc, sans plus de souci qu’ailleurs, aux parapets de ce bastion. »
Pierre Dominique, Les Danubiennes, « Galatz », Éditions Grasset, Paris, 1926

Galaţi, rue du port au début du XXe siècle, collection particulière

« Galatz, ville de 73 000 habitants, est située sur la rive gauche du Danube, entre les embouchures du Sireth et du Pruth, à l’endroit où son cours faisant un coude, prend la direction Ouest-Est. La ville, à l’ouest du port, s’étage sur les hauteurs qui longent le fleuve, et s’étend jusqu’au Jardin Public, tout près de la ville et à L’Est se trouve le lac Brates.
À une distance de 150 kilomètres de Soulina, Galatz a une importance particulière au point de vue commercial car c’est là que s’opère la jonction entre la navigation fluviale et la navigation maritime. C’est à Galatz que les céréales descendues du Danube par chalands sont transbordées sur des vapeurs maritimes. »
Roger Ravard, Le Danube maritime et le port de Galatz,  « Le port de Galatz », thèse pour le doctorat, Librairie moderne de droit et de jurisprudence Ernest Sagot et Cie, Paris 1929

 

« Pour reprendre contact avec la vie civilisée, après sa villégiature dans la Balta, il passa deux jours à Galatz, ville plutôt grecque et turque que roumaine.
Il s’étonnait, à chaque rue, de voir ces enseignes qu’on eût pu croire arrachées des magasins d’Athènes et de Constantinople. Les confiseries notamment, étalaient ces gâteaux roses, vernissés, qui font les délices de Péra.
   Des souvenirs aussi de Russie, aussi. Il retrouvait les calèches d’un bleu noir qui ont l’air de carrosses de gala ; leurs grands chevaux, de la race de ces trotteurs qui filaient, jadis, à une allure de course, sur la perspective Newski.
   Ici, grâce orientale, leurs cochers ventrus, sanglés dans de longues redingotes de velours à ceinture frangée de glands d’or, avaient décoré le harnachement en cuir blanc de leurs bêtes de rubans roses et de fleurs. »
Louis-Charles Royer, Domnica, fille du Danube, « Sur le Danube » Les Éditions de Paris, Paris, 1937     

« Brăila — et sa voisine Galaţi, dont l’Antiquaire [Antiquarius] flétrissait la débauche et la foule de prostituées à chaque coin de rue — sont deux lieux qui conviennent à ses intrigues de bazar. Aujourd’hui les deux villes, et surtout la seconde, sorte de Hambourg du Danube, n’offrent plus à la vue des tapis, mais des chantiers, des grues, un enfer de ferraille — ou du moins ce qui semble tel à ceux qui ont la mémoire courte et oublient les tourments que l’homme devait endurer dans le monde bigarre d’hier. Les deux villes, et surtout Galaţi, sont bien plutôt le symbole de l’ambition d’indépendance de la Roumanie par rapport à l’U.R.S.S., grâce entre autres aux investissements industriels — et le symbole aussi, de la crise économique où l’on a précipité ces ambitieux projets. »
Claudio Magris, Danube, « À la frontière », Éditions Gallimard, Paris, 1986 

L’ancien palais de la navigation de Galaţi de style néo-roumain, construit en 1912-1915 sur les plans de l’architecte Petre Antonescu (1873-1965), photo © Danube-culture droits réservés

Histoire de Galaţi : le port, les tilleuls et la Commission Européenne du Danube

   Galați, aujourd’hui 7e ville de Roumanie, important port fluvial et maritime et grand centre industriel, est une ville de la Moldavie roumaine. Elle se trouve à 250 km au nord-est de Bucarest, sur la rive gauche du Danube, un peu en aval de sa soeur et rivale valaque Brǎila (rive droite), ville natale de l’écrivain Panaït Istrati (1884-1935).
La ville s’étend sur 246, 4 km2
.
   Préfecture du Judets du même nom, elle compte environ 290 000 habitants dénommés Galatéens (en roumain Gălățeni).
   La ville actuelle a été construite sur une colline formée de deux terrasses de type hercynien (quaternaire) contournées par le bas-Danube et  par un grand affluent de sa rive gauche, le Siret (624 km) qui se jette dans le fleuve juste en amont de Galați. Elle est délimitée à l’ouest par le lac Cǎtuşa et le lac Brateş1 au nord. Quant au Prut (828 km) deuxième affluent du Danube par la longueur après la Tisza et dernière rivière importante avant le delta, il dessine un peu plus à l’est la frontière avec la Moldavie.
   Cette grande confluence d’eaux douces a créé une zone alluvionnaire ponctuellement inondable, zone sur laquelle on a pourtant édifié la partie basse de la ville après l’avoir plus ou moins bien drainé.
   La fondation de Galaţi remonte à la fin du Néolithique comme des fouilles archéologiques ont pu le confirmer. Au nord-ouest de la ville, sur les rives marécageuse du lac Mǎlina, des fragments de céramique de type Stoicani-Aldeni, des silex et divers outils ont été découverts. La région, habitée durant le Chalcolithique se retrouve aux confins de l’imposant espace scythique (Petite Scythie) puis dans le périmètre oriental européen de l’expansion celte (IIIe siècle avant J.-C.), expansion qui s’étendra jusqu’en Asie mineure. Entretemps, des peuplades géto-daces conquièrent et s’installent durablement sur ces territoires comme sur l’emplacement de la ville (VI-Ve siècles av. J.-C.). Ces peuplades développent une civilisation agricole et ingénieuse, pêchent, pratiquent le commerce de l’or, de l’argent, du sel, du miel, de la laine et établissent la capitale de leur royaume à Sarmizégétuse jusqu’à ce que l’empereur romain Trajan, lassé des attaques et des incursions régulières de ces redoutables guerriers, y mette fin en faisant construire un pont sur le Danube pour aller conquérir le Sud-Ouest de la Dacie (101-106 ap. J.-C.) sur le territoire de laquelle se trouve l’emplacement fondateur de la future ville, auparavant déjà influencée par la civilisation romaine toute proche. Les trésors des tributs daces soumises passent alors aux mains des Romains qui s’empressent également d’exploiter leurs mines d’or et d’argent.
   Dépendante initialement du castrum de Bǎrboşi (forteresse de Tirighina), construite à l’époque de l’empereur Trajan sur un promontoire au-dessus du Siret (rive gauche) d’où les soldats romains avec leur flotte militaire peuvent surveiller les frontière de l’Empire, la nouvelle cité, qui sera habitée en permanence jusqu’au VIe siècle, s’implante, à partir du IIIe siècle, sur la rive gauche du Danube, au sud de l’emplacement actuel de l’église fortifiée Sfanta Precista (Sainte Vierge). Un ensemble de 12 monnaies en argent, éditées entre 613 et 685, découvert dans une tombe byzantine atteste de la présence humaine à cet emplacement. D’autres pièces de monnaie, datant de l’époque ultérieure de l’empereur Michel IV le Paplagonien (1034-1041), y ont été également retrouvées. Dans l’empire byzantin jusqu’au XIVe puis moldave la ville devient un comptoir génois et porte le nom de Caladda. Le Codex Latinus Parisinus de 1395 mentionne Caladda, escale génoise où l’on pouvait mettre les navires en cale sèche. Le quartier de Galați à Constantinople, autre ancienne escale génoise, partage la même origine. Le monde universitaire roumain adhère en majorité à cette origine italienne remontant au XIVe siècle : caladda, mot génois, signifie « cale de mise à l’eau ». Les anciens, Génois, navigateurs et commerçants dans l’âme avaient à l’époque un grand nombre de comptoirs tout autour de la mer Noire et sur le cours du bas-Danube dont, en Roumanie actuelle, San Giorgio (Giurgiu) et Licostomo, ancien port céréalier de l’Empire byzantin, près de Chilia-Vecche, sur la rive sud du bras du même nom.
   Un document signé par le voïvode Etienne II (Ștefan II) de Moldavie datant des années 1445 mentionne Galați comme l’un des ports de la Moldavie avec Reni, Chilia et Cetatea Albǎ (Bilhorod-Dnistrovsky, Ukraine) située sur l’estuaire du Dniestr. En 1484, Reni, Chilia et Cetatea Albǎ tombent aux mains des Ottomans. Galați demeurera provisoirement le seul port de la Moldavie, non seulement pour les échanges internes entre les principautés danubiennes mais aussi pour les nombreux échanges commerciaux avec la Turquie et la Pologne. De nombreux bateaux partent à destination de Constantinople chargés de blé, de bois, de moutons et chevaux, de denrées alimentaires diverses mais aussi de graisses et de cire pour l’éclairage du palais du sultan. Du poisson du Danube ou des lacs avoisinants est expédié vers la Pologne pendant que le pays importe via le port de Galaţi, des tissus et des étoffes en provenance de Venise. Une communauté juive s’implante à Galaţi  à la fin du XVIsiècle et en 1590, un cimetière juif est construit au nord de la ville.
La ville se développe, prospère mais attire les convoitises de peuples voisins, notamment des Tatars, établis dans la région voisine du Boudjak ottoman (Bessarabie).

Galaţi depuis la rive droite, dessin de Jacob Alt, vers 1824

   En 1710 les Tatars pillent Galați après la bataille de Stǎnileşti. L’église Saint-Georges sera saccagée lors de leurs nombreux raids. La Russie qui affronte à cinq reprises l’Empire ottoman y ouvre un consulat dès 1784 ce qui n’empêchera pas la ville d’être incendiée en 1789, pendant la quatrième guerre russo-turque, par les armées du général Mikhaïl Fedotovitch Kamenski (1738-1809). D’autres consulats ouvriront ultérieurement, en 1798 (Empire autrichien), en 1830 (France ? et Angleterre)2, en 1833 (Italie) et en 1838 (Royaume de Prusse). Outre la France et l’Angleterre, très présentes à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle sur le Bas-Danube, près d’une vingtaine de pays auront des représentants diplomatiques (consulats) à Galaţi (Belgique, Danemark, Grêce, Perse, Prusse/Allemagne, Ligue marchande de la Hanse, Sardaigne/Royaume des deux Sicile/Italie, Russie, Turquie, Suède-Norvège, Pays-Bas, Espagne, Suisse, États-Unis). 

Plaque en hommage aux 15 héros de la révolution grecque tués lors d’un affrontement avec les troupes turques de la ville de Galaţi le 21 février 1821, photo © Danube-culture, droits réservés

   Galați devient dans les premières années du XIXe l’une des bases de la Filiki Eteria ou Hétairie des amis, une société hellénistique secrète fondée en Russie à Odessa en 1814 et inspirée des idées des révolutions américaine et française tout en luttant contre le joug ottoman. C’est à Galaţi que se rejoignent en 1821 les révolutionnaires grecs d’Alexandre Ypsilanti (1792-1828) et les pandoures moldaves et valaques de Preda Drugănescu. Vassilios Karavias, chef de l’Hétairie du port et ses partisans repoussent dans le Danube la petite garnison locale ottomane et pillent les biens de riches marchands turcs, arméniens, juifs séfarades, romaniotes, phanariotes, avdétis sous divers prétextes. Les Ottomans reprennent la ville quelques semaines plus tard et la saccagent à leur tour en représailles tout en massacrant une partie de la population. 

Le poète et révolutionnaire bulgare Christo Botev (1848-1876) a  séjourné à Galaţi en 1871-1872 dans cette petite maison de la rue Nicolae Bălcescu (n° 33) autrefois dénommée rue du General Berthelot. En arrière-plan l’église othodoxe bulgare, photo © Danube-culture, droits réservés

   Galaţi, sensible aux idées du « Printemps des peuples » et des révolutionnaires connaît une nouvelle période d’agitation et de revendications dans les années 1848-1856. Les premiers travaux de modernisation la ville, aux ruelles « étroites sales et boueuses », aux maisons basses, insalubres, entassées dans le désordre sur de petits lots de terrain », au bas quartiers souvent inondés, ont enfin commencé. Le développement des activités du port (céréales, bois), du négoce, des importations connaissent un essor considérable grâce notamment au statut avantageux de « Port franc » de Galaţi, (1837- décembre 1882). Son abrogation est vivement contestée par la population locale, soutenue dans sa revendication par Mihaï Kogǎlniceanu. La construction des docks, la naissance d’un tissu industriel (chantiers navals, ateliers de chemin de fer, laminoir, minoterie…) attirent une population et une main d’oeuvre bon marché des environs et font doubler le nombre d’habitants entre 1847 (entre  8000 et 9000) et 1873 (entre 60 000 et 70 000). 

La Commission Européenne du Danube     

   La Commission européenne du Danube, organisme intergouvernemental  institué par les articles 15 et 16 du Traité de Paris du 30 mars 1856, traité donnant au fleuve un statut international pour la navigation, a installé entretemps son siège et ses services comptables à Galaţi, ses services techniques à Sulina et les bureaux de l’Inspection de la Navigation à Tulcea.
La Commission possède en outre à Galaţi 2 magasins à bois et à charbon, une maison d’habitation pour deux membres du personnel subalterne et une usine pour la lumière électrique avec l’outillage nécessaire à son fonctionnement.

    « Personne morale du droit international », elle comprend initialement des délégués d’Autriche-Hongrie, de Prusse, de France, de Grande-Bretagne, de Russie, d’Italie et de Turquie auxquels viendront se joindre en 1878 des représentants roumains, exerce à titre de mandataire, une véritable souveraineté sans avoir à en référer à l’autorité territoriale des Principautés danubiennes puis de la Roumanie (1877), souveraineté qui ne sembla pas acceptable à ce pays et qui engendrera un conflit de compétence entre celui-ci et la C.E.D., celle-ci s’étant vu attribuer en supplément, suite au Traité de Londres (1883), la gestion du secteur du Bas-Danube situé entre Galaţi et Brǎila. Une partie des missions de C.E.D. seront ainsi rétrocédées au cours du temps à la Roumanie puis cet organisme international cessera définitivement ses activités en 1939, sabordée par les autorités nazies.

L’Hôtel d’administration de la Commission Européenne du Danube, qui comprenait les bureaux du Secrétariat général et de la Caisse succursale, ainsi que les locaux nécessaires aux réunions de la Commission. Photo collection Bibliothèque Départementale V.A. Aurechia de Galaţi

Son siège est bombardé durant la première guerre mondiale par l’armée allemande au mépris du statut de neutralité des ouvrages et bâtiments de ladite commission !

Médaille de la Commission Européenne du Danube (collection du Musée d’Histoire de Galaţi, photo © Danube-culture, droits réservés

Galaţi au XXe siècle

   En 1908, l’ingénieur roumain Anghel Saligny (1854-1925), auteur du premier pont ferroviaire sur le Danube roumain situé à Cernavodǎ, reliant la Dobroudja à la Munténie  est chargé de dessiner les plans d’un nouveau port et de ses aménagements qui s’achèveront en 1914.

Notre-Dame de Sion, une institution éducative religieuse de haut niveau tenue par des soeurs françaises fait intimement partie de l’histoire de Galaţi. Le bâtiment a été malheureusement détruit. Photo collection Bibliothèque Départementale V.A. Aurechia de Galaţi. 

   L’année précédente, à la suite d’une sécheresse prolongée, de mauvaises récoltes et à cause d’un système agricole dépassé qui sera aboli en 1921, avait éclaté une révolte de paysans roumains. Les insurgés pénétrèrent dans Galați pour y piller les entrepôts de céréales, mais l’armée s’interpose et tire provoquant des centaines de morts. Ce sombre épisode est interprété différemment selon les historiens : pour les nationalistes, c’est une révolte roumaine contre l’oppression étrangère (le port et les grands domaines étaient administrés par des gestionnaires et des marchands en majorité grecs, arméniens et juifs). Pour d’autres, il s’agit d’une révolte prolétarienne contre les classes dominantes. Pour les Juifs il s’agit évidemment d’un pogrom.
   Entre les deux guerres mondiales, pendant la période de démocratie parlementaire, Galați demeure le siège de la Commission Européenne du Danube dont certaines des activités se sont déjà ralenties pour différentes raisons. Les membres y siègent lors de séances plénières deux fois par an. « Dans l’intervalle de celles-ci, ils sont remplacés par des délégués suppléants chargés de l’administration de la Commission et qui réunissent à cet effet en Comité exécutif deux fois par semaine. Ce comité s’assurent en particulier de l’application des tarifs de péages et de l’avancée des travaux d’amélioration fluviale du [Danube maritime.] »3

Galaţi à la Belle Epoque : l’élégante société de cette époque n’avaient rien à envier à leurs semblables des grandes capitales européennes (Collection Costel Giorgiu)

   La ville s’embellit et connait à nouveau un développement rapide. Puis elle est malheureusement soumise de 1938 à 1989, comme le reste de laRoumanie, à 3 régimes dictatoriaux successifs : carliste, fasciste et communiste. Durant la seconde guerre mondiale, elle est occupée et pillée par les troupes allemandes (fin 1940) puis russes (1945-1958).
https://youtu.be/jxSORt3VX3I
(Galaţi en 1944, en allemand, sous-titré en roumain)

   La ville sera également bombardée par l’aviation anglo-américaine en  juin 1944 et, en août de la même année, par les avions allemands.
   Après les désastres des bombardements Galaţi se reconstruit et subit dans les années 70 un nouveau traumatisme. Une grande partie du centre-ville historique, avec ses superbes monuments, est démolie pour permettre d’édifier, sous la direction de l’architecte Cezar Lazarescu (1923-1986), auteur entres autres réalisations de l’aéroport Otopeni et de la Bibliothèque Nationale à Bucarest, une nouvelle cité avec de grandes barres d’immeubles où seront logés les 50 000 ouvriers de l’un des plus grands complexes industriels et sidérurgiques de Roumanie, implanté à l’ouest de la ville.

Un immense chantier de démolition puis de reconstruction métamorphose Galaţi dans les années 70 pour le meilleur comme pour le pire avec la destruction d’une partie du patrimoine historique.

   La construction inachevée et bâclée engendre de gros problèmes techniques d’isolation, de chauffage, d’adduction d’eau, de gaz, de fonctionnement des ascenseurs. La mauvaise gestion des aciéries et des chantiers navals, difficilement rentables, entraine au cours des années l’accumulation de déficits financiers colossaux. Leurs dirigeants laissent péricliter ces sites industriels après la révolution de 1990 pour finir par les brader en 2001.

À la lisière de Galaţi, les industries sidérurgiques ont dévasté et pollué durablement le paysage, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le complexe sidérurgique est alors racheté par le géant indien Mittal Steel qui l’a depuis cédé. Le nombre d’ouvriers a diminué de manière drastique mais cette aciérie reste encore de nos jours le plus gros site sidérurgique de Roumanie et génère une importante pollution. Elle est souvent appelée par son ancien nom, la Sidex.

Les chantiers navals en 1978, photo Wikipedia

   Les chantiers navals de Galați, liés aux activités portuaires et qui faisaient autrefois la réputation et la fierté de la ville ont décliné puis ont été rachetés en 1999 par le Consortium hollandais Damen Shipyards, un des plus grands constructeurs navals au monde qui possèdent également des unités à Tulcea et Brăila.
https://youtu.be/EDo3ZsVve6s
Des barges, des chalutiers de haute mer sont toujours amarrés au milieu du fleuve et des milliers de wagons et de locomotives, construits sur ces sites ont été abandonnés, rouillant tristement sur les voies de garage des anciennes gares de triage. Galați connait encore un chômage important mais de nouvelles activités économiques ont vu le jour et contribuent à redynamiser la ville.

Notes :
1 sur les rives duquel on cultivait au XVIIIe siècle de la vigne pour élaborer un vin champagnisé fort apprécié !
2 Présence diplomatique  française à Galaţi : Liste des consuls ou agents consulaires en poste à Galaţi de 1838 à 1914, sources : Constantin Ardeleanu, https://cities.blacksea.gr/en/galatz/1-8-2/
Violier, agent consulaire : 1838-1840
Charles Cunningham, vice-consul d’Angleterre (gérant du consulat français…) : 1840-1847
Duclos, agent consulaire : 1847-1852
Gardera, consul : 1852-1855
De Bronsard : 1855-1857
F. Stejert : 1857-1859
E. Bouillot : 1859-1860
L. Vermot : 1860-1863
V. Castaign (gérant) : 1863-1865
D. Grosse (Gorsse) : 1865-1868
H. Boyard : 1868-1873
Alex. Duboul : 1873-1880
Charles d’Haricourt : 1880-1881
Laporte : 1881-1882
Jules Ferndinand Coste : 1882
Gaston Wiet : 1882-1883
Camille Georges de Vaux : 1883-1885
Gaston Wiet : 1885-1900
Joseph Pollio : 1900-1908
Henri André Arnoud : 1908-1914
3 Roger Ravard, Le Danube Maritime et le port de Galaţi, « La Commission Européenne du Danube », Thèse pour le doctorat, Librairie Moderne de Droit et de Jurisprudence, Ernest Sagot et Cie, Paris, 1929

 

À propos du nom de Galaţi

    Les adeptes du protochronisme, courant pseudohistorique très influent en Roumanie (et ailleurs dans le monde sous d’autres régimes totalitaires…) pendant le régime dictatorial de N. Ceauçescu, ont associé le nom de Galați, même s’il n’apparaît pas avant le XIVe siècle, à la racine celtique et indo-européenne [gall-] « étranger » et en ont fait une dérivation de Galates (Gaulois en grec),  une des nombreuses tributs celtes, argumentant que cette région habitée dans l’Antiquité par des Thraces septentrionaux, les Daces, a aussi été colonisée par des tribus celtes au début du IIIe siècle av. J.C. Les partisans de cette hypothèse font même remonter le toponyme de Galați à environ 2300 av. J.C. Selon eux, c’est en cheminant d’Anatolie vers les Alpes que des Proto-Celtes auraient alors émigré et développé en Europe la civilisation dite « de Hallstatt ». Ils associent aussi le nom de Galați à la Table de Peutinger (1265), carte sur laquelle, outre la Galatie au centre de l’Anatolie, figure aussi une Tanasie-Galatie au nord de la Mer Noire. Ils affirment enfin que les Celtes de Galatie seraient le peuple évoqué dans la Bible dans l’Épitres aux Galates. Selon eux des études de généalogie avec des outils modernes de génétique moléculaire viendraient confirmer leur hypothèse.
   D’autres recherches font référence à des étymologies slaves ou coumanes (polovstiennes). Selon l’une d’entre elles, des habitants de la Galicie, des  ukrainiens originaires des Carpates, auraient laissé leur nom à la ville au XIIIe siècle, lorsque la Principauté de Galicie-Volhynie étendit à la Moldavie sa zone d’influence commerciale et politique. C’est une thèse qui a la faveur des milieux historiques russes et ukrainiens. Selon cette hypothèse, le nom de la ville dériverait du mot de la langue coumane galat, racine qui apparaît, également dès le XIIIe siècle, dans d’autres toponymes des environs comme  Gălățui, lac dont le suffixe est d’origine coumane, le suffixe ui signifiant dans cette langue « eau ». Quant aux Serbes, ils revendiquent galac comme origine du nom de la ville.

Un patrimoine architectural (en partie) miraculeusement indemne 

L’ancien Hôtel de ville, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le patrimoine architectural de Galaţi qui a pu traverser miraculeusement indemne les conflits mondiaux et les « aménagements » de la dictature communiste, présente un intérêt exceptionnel comme en témoignent la belle cathédrale orthodoxe du XVIIe siècle, dédiée à Saint Georges, l’église grecque et la magnifique église fortifiée et Sfânta Precista, érigée sur la « Falaise », toute proche du Danube.

Sfânta Precista, église fortifiée, photo © Danube-culture, droits réservés

   Édifiée sous le règne d’Étienne le Grand (1457-1704) puis détruite lors des invasions ottomanes, elle est reconstruite sous le règne du prince de Moldavie Vasile Lupu (Basile le Loup, 1634-1653). Une légende raconte qu’un tunnel y aurait été creusé sous le fleuve à partir de l’église pour rejoindre l’autre rive. 

Icône de l’église fortifiée Sfânta Precista, photo © Danube-culture, droits réservés

   On trouve en ville une remarquable bibliothèque départementale, la bibliothèque V. A. Urechia, hébergée dans l’ancien « Palais de la Commission Européenne du Danube ».

La Bibliothèque Départementale V.A. Urechia, photo © Danube-culture droits réservés

« Dans ce bâtiment a fonctionné entre 1895 et 1948 la Commission Européenne du Danube », photo © Danube-culture, droits réservés

Le joli jardin japonais dans le parc du Musée des Sciences naturelles, photo © Danube-culture, droits réservés

   Galaţi possède un complexe muséal dédié aux sciences naturelles entouré d’un parc au sein duquel se cache un joli petit jardin japonais très apprécié, plusieurs institutions comme le Musée d’histoire de Galaţi « Paul Pǎltǎnea », ouvert en janvier 1939 dans le cadre du 80e anniversaire de l’Union des Principautés roumaines, doté en particulier d’un fonds archéologique antique remarquable, d’une collection ethnographique, d’une bibliothèque, d’objets ayant appartenu à la Commission Européenne du Danube, la Maison Cuza Vodǎ où a habité Alexandru Ioan Cuza, prince souverain progressiste de Moldavie et de Valachie (1859-1862) puis de Roumanie (1862-1866), le Musée des Arts Visuels témoignant de la vitalité et de l’originalité de la peinture roumaine. 

La coupole de la cathédrale orthodoxe, cathédrale archiépiscopale du Bas-Danube depuis 1957 dont la construction commença en 1905 sur les plans des architectes Petre Antonescu (1873-1965) et Štefan Burcuş (1870-1928). Elle fut consacrée le 6 août 1917, endommagée par des tremblements de terres et rénovée, photo © Danube-culture, droits réservés 

   De nombreuses anciennes villas de la fin du XIXe et du premier tiers du XXe siècle sont également à découvrir lors de promenades dans la cité.

On trouve de nombreuses et élégantes villas dans les rues arborées du centre ville, © photo Danube-culture,  droits réservés

   Parfois (souvent) en mauvais état, mal restaurées ou mutilées de diverses façons, témoignages émouvants de la grande époque galatéenne, elles sont malgré tout la plupart du temps classées « Monuments historiques » et concourent à donner à certaines rues arborées de tilleuls un charme nostalgique. Sans doute la ville gagnerait-elle beaucoup à entreprendre elle-même ou à inciter leurs propriétaires actuels à les restaurer. C’est bien de trésors architecturaux qu’il s’agit de préserver car elles témoignent comme d’autres monuments d’une époque « fastueuse » révolue. 

Le charme des villas d’autrefois, photo © Danube-culture, droits réservés

   Une salle de musique récente (le Théâtre National d’opéra et d’opérette Leonard Nae) accueille des manifestions culturelles, des concerts et des représentations lyriques très fréquentés et d’un excellent niveau.
   La bibliothèque française Eugène Ionesco séduit un public francophone et francophile de plus en plus nombreux grâce à un fonds de documents et à des évènements culturels, des rencontres et conférences organisés tout au long de l’année par son entreprenante directrice. 

La tour de télévision de Galaţi à l’extrémité de la « Falaise » domine le Danube et offre une vue exceptionnelle sur la ville et le fleuve, photo © Danube-culture, droits réservés

   Des parcs municipaux bien entretenus et agrémentés de statues, comme le parc Mihai Eminescu, le jardin public, jalonnent la ville.

Promenade de la Falaise, photo © Danube-culture, droits réservés

   Une longue et agréable promenade le long du fleuve avec une collection de sculptures contemporaines imposantes permet aux habitants de flâner, de se restaurer, et aux visiteurs de découvrir « La Falaise ». Une haute tour de télévision datant de l’époque communiste la domine offre une vue imprenable sur la ville et le fleuve. Son restaurant est accessible au public.
   La superbe avenue Domneascǎ avec ses villas élégantes est la plus longue rue bordée de tilleuls d’Europe ce qui donne à la ville, au moment de la floraison, un parfum méridional et une ombre salutaire l’été. Ces arbres font intégralement partie du patrimoine galatéen. Les habitants de Galaţi comme ailleurs en Roumanie, vénèrent les tilleuls, considérés comme un arbre sacré pour les orthodoxes pratiquants. Son bois sert à la fabrication des icônes et ses fleurs ornent souvent les autels des églises.
   Dans le cimetière principal, le carré militaire de soldats français voisine avec des combattants d’autres nationalités témoignant des affrontements meurtriers dans cette partie de l’Europe.

Le carré militaire français de Galaţi  dans l’impressionnant et multiconfessionnel cimetière de l’Éternité, près du  Mausolée des héros de la nation (première guerre mondiale) et du monument à la mémoire des héros tombés pendant la révolution de 1989, rappelle l’implication de la France par le passé dans cette partie de l’Europe. Des tombes de soldats, civils roumains et étrangers, prisonniers politiques, représentants de diverses minorités de la ville et du pays, reposent dans une atmosphère qui prête à la réconciliation, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’Université du Bas-Danube, fondée en 1948, obtient le rang d’université en 1974. Galati possède aussi son École Normale ainsi que d’autres institutions éducatives et culturelles, parmi lesquelles les Collèges nationaux Vasile Alecsandri (1821-1890), Costache Negri (1812-1876) et un Lycée de musique Dimitri Cuclin (1885-1978), compositeur, philosophe et poète réputé né à Galaţi.
   Un potentiel de développement touristique au delà des frontières de la Roumanie existe et peut être mis en valeur s’il est accompagné d’une offre d’hébergement et de restauration adaptée ainsi que d’un accueil touristique digne de ce nom. Peut-être serait-il judicieux d’ouvrir enfin un office de tourisme…
   En attendant une association de passionnés permet de découvrir d’une façon originale la ville, son patrimoine connu et méconnu, la diversité de ses paysages, les sites du bord du Danube et bien d’autres lieux intéressants des environs.
www.facebook.com/ciprianvciocan 

   Avec mes grands et chaleureux remerciements à toutes celles et ceux qui m’aide à découvrir et à aimer Galaţi, qui ont pris et prennent de leur précieux temps pour m’aider à m’orienter et à me documenter sur l’histoire de la ville et de ses habitants, que ce soit L. Buriana et ses collègues de la Bibliothèque départementale V.A. Urechia, Dorina Moisa, directrice de la Bibliothèque française E. Ionesco, Adina Susnea, professeure de piano du Lycée de musique, Victor Cilincǎ, écrivain dramaturge et journaliste érudit qui me fait l’honneur de son amitié. 

  Personnalités nées ou liées à Galati

Eugen Bogdan Aburel (1899-1975), médecin, obstétricien et chirurgien
Max Auschnitt (1888-1959), industriel
Remus Azoitei, violoniste, professeur de violon à la Royal Academy of Music de Londres. Remus Azoitei a enregistré avec Eduard Stan pour le label Hänssler l’oeuvre complète pour violon et piano du compositeur roumain George Enescu.
Jean Bart (1874-1933), commandant de marine, écrivain

Jean Bart (1874-1933)

Hristo Botev, poète révolutionnaire bulgare, habitant de Galaţi en 1871-1872
Hortensia Papadat Bengescu (1876-1955), romancière
Ioan Brezeanu (1916-2010), écrivain, philologue, folkloriste, académicien roumain
Paul Bujor (1852-1952), scientifique, chercheur en physiologie animale
Tudor Caranfil (1931), critique de film, réalisateur et historien du cinéma
Alexandru Cernat (1828-1893), militaire, général de l’armée roumaine mort à Nice
Iordan Chimet (1924-2006), écrivain
Victor Cilincǎ (1958), écrivain, historien, journaliste, dramaturge
Costel Constantin (1942), acteur
Ileana Cotrubaș (1939), cantatrice qui fit carrière dans le monde. Elle était particulièrement appréciée pour sa musicalité et sa sensibilité.
Dimitru Cuclin (1885-1978), compositeur, violoniste, musicologue, pédagogue, écrivain, traducteur et philosophe (métaphysique) est une personnalité singulière du monde de la musique roumaine. Il fut l’élève de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum de Paris mais faute d’obtenir une bourse d’études, il doit rentrer précocement en Roumanie. Il enseignera au Conservatoire de Bucarest (premier titulaire de la Chaire d’esthétique et brièvement directeur), est invité aux États-Unis. Considéré comme réactionnaire et idéaliste il est condamné par le régime communiste à deux années de travail forcé dans un camp de prisonniers sur le chantier du Canal de la mer Noire (1950-1952) mais il a la chance d’en réchapper.
Alexandru Ioan Cuza (1820-1873), homme politique, réformateur, diplomate, francophone, gouverneur de Galaţi, colonel de l’armée moldave, souverain des Principautés Unies de Moldavie et de Valachie de 1859 à 1866. Un des pères de la Roumanie moderne.

Alexandru Ioan Cuza (1820-1873)

Laurențiu Darie (1977), musicien
Ion Dongorozzi, écrivain
Nicolae Dunareanu (1881-1973), écrivain, romancier, traducteur
Ludovic Feldman (1893-1987), compositeur
Georges Georgescu (1887-1964), violoncelliste, chef d’orchestre, né à Sulina. Un des plus grands chefs d’orchestre de l’histoire de la musique.
Ştefan Gheorghiu (1926-2010), violoniste et pédagogue. G. Enescu le recommande avec son frère Valentin avec qui il joue en duo pour obtenir une bourse d’étude pour le Conservatoire de Paris où il suit les classes de violon et de contrepoint. Il termine ensuite ses études à Moscou auprès de David Oïstrak. Violon solo de la Philharmonie d’État de Bucarest à partir de 1946. En 1958, il est lauréat avec son frère du premier concours Georg Enesco et enseigne au Conservatoire de Bucarest (1960).
Valentin Gheorghiu (1928), pianiste, compositeur, frère de Ştefan Gheorghiu.
Theodor Grigoriu (1926-2014), un des plus grands compositeurs européens du XXe siècle. Compositeur de musique de films (Codin, Valurile Dunării…)
Grigore Hagiu (1933-1985), écrivain
Dan Hulubei (1899-1964), mathématicien
Iosif Ivanovici (1845-1902), chef de l’harmonie militaire de Galaţi, auteur de la célèbre valse « Les vagues du Danube » et de nombreuses marches
Alexandru Jula (1934-2018), chanteur pop,  nommé citoyen d’honneur de la ville de Galaţi en 2002. Il fut aussi le chanteur préféré de l’ancien dictateur Nicolae Ceaucescu.
Leonard Nae (1886-1928), ténor, surnommé « Le prince de l’opérette roumaine ». Le théâtre musical de Galati porte son nom.
Gheorghe Leonida (1893-1942), sculpteur, auteur de la tête du Christ rédempteur de Rio de Janeiro (1926-1931) qui domine la ville depuis le sommet du mont Corcovado. 

Gheorghe Leonida (1893-1942) et la statue du Christ rédempteur de Rio de Janeiro, photo droits réservés

Constantin Levaditi (1874-1954), savant biologiste
Radu Lupu (1945), pianiste-concertiste roumain d’exception, ancien élève du Conservatoire Tchaïkovsky de Moscou.
Virgil Madgearu (1887-1940), économiste, sociologue, homme politique, ancien ministre des finances
Nicolae Mantu (1871-1957), peintre, reporter de guerre
Mihai Mihail (1977), acteur
Angela Baciu Moise (1970), poète, publiciste, journaliste
Leonard Nae (1886-1928), ténor, surnommé « Le prince de l’opérette roumaine ». Le théâtre musical de Galaţi porte son nom.
Costache Negri (1812-1876), écrivain, politicien et révolutionnaire d’origine moldave
Ioan Nenițescu (1854-1901), poète, académicien roumain
Paul Păltânea (1924-2008), historien, membre de l’Académie Internationale de Généalogie
Tudor Pamfile (1883-1921), folkloriste
Paul et Ecaterina Paşa, premiers fondateurs d’une collection muséale à Galaţi
Samuel Pineles (1843-1928), philanthrope de la communauté juive
Temistocle Popa (1921), compositeur
Ana Porgras (1993), gymnaste
Camil Ressu (1880-1963), peintre, professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Bucarest, président de l’Union des artistes de Roumanie, ancien élève de l’Académie Julian

Camil Ressu, vallée du Siret, huile sur toile, ?

Anghel Saligny (1854-1925), ingénieur en construction, pédagogue, ministre, académicien
Eugen Sârbu (1950), violoniste
Nicolae Spirescu (1921-2009), peintre
Fani Tardini (1823-1908), actrice, le théâtre de Galaţi porte son nom.
Eugen Trancu-Iași (1912-1988), homme politique, avocat, musicologue, collaborateur de Sergiu Celibidache
Vasile Alexandrescu Urechia (1834-1901), historien, homme politique, ministre, écrivain membre fondateur de l’Académie roumaine. La Bibliothèque départementale, ancien siège de la Commission Européenne du Danube, porte son nom.
Victor Vâlcovici, mathématicien
Ion și Alexandru Vladicescu, acteurs

En savoir plus sur Galaţi…

Viaţa Libera
Pour des informations fiables et une actualité complète dans tous les domaines. Un excellent journal animé par des journalistes érudits et passionnés…
https://www.viata-libera.ro

Théâtre Fani Tardini
www.fanitardini.ro

Théâtre Fani Tardini, photo © Danube-culture, droits réservés

Théâtre musical Léonard Nae
Saison de concerts et d’opéras

Théâtre de marionnettes Gulliver
www.teatrul-gulliver.ro

Centre culturel du Bas-Danube (Centrul cultural Dunǎrea de Jos)
www.ccdj.ro

Université du Bas-Danube
www.en.ugal.ro

L’Université du Bas-Danube, fondée en 1974, autrefois palais de justice et siège du Comité régional du Parti Ouvrier Roumain, photo © Danube-culture, droits réservés

Bibliothèque V.A. Urechia

Buste de V. A. Urechia (1834-1901), historien, homme politique, ministre, écrivain membre fondateur de l’Académie roumaine, photo © Danube-culture, droits réservés

  Remarquable bibliothèque, fondée dès 1889 avec un remarquable fonds de livres, d’incunables, de manuscrits anciens et d’iconographie, une politique d’acquisition avisée, une riche documentation sur l’histoire de la ville. Salles de lecture dans un bâtiment historique, ancien siège de la Commission du Danube.
www.bvau.ro

Le hall élégant de la Bibliothèque départementale V.A. Urechia, photo © Danube-culture droits réservés

Bibliothèque française E. Ionesco : une institution francophone unique en Roumanie !
   
Cette structure associative, crée il y a une vingtaine d’année par l’éditeur français Jacques Hesse et Anca Rusescu tient une place active et unique dans le paysage culturel de la ville et possède un des plus beaux fonds de livres et de documents en langue française (et aussi dans d’autres langues étrangères !) de Roumanie (+ de 16 000 documents, un fonds en augmentation permanente). Les lieux sont fréquentés par de nombreux étudiants de diverses facultés, lycéens et publics variés qui trouvent dans le fonds de la bibliothèque des sources indispensables à leurs recherches. Sa directrice se dévoue inlassablement et efficacement pour la faire connaître au-delà des cercles francophones et francophiles, élargir et renouveler les fréquentations (manifestations pour les enfants), diversifier les activités et organise inlassablement de nombreux évènements culturels (expositions, concerts…) tout au long de l’année.
www.bfei.ro 

La Bibliothèque française E. Ionesco, un lieu incontournable de la francophonie roumaine, fondée par l’éditeur Jacques Hesse et Anca Rusescu il y a plus de vingt ans. photo © Danube-culture, droits réservés

Musée d’histoire de Galaţi
Musée « Cuzǎ Voda », Maison des collections, Mémorial « Costache Negri », Mémorial « Hortensia Papadat Bengescu », Mémorial de la commune d’Iveşti, Maison rurale « Ion Avram Dunǎreanu »
www.migl.ro

Le Musée d’Histoire, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Musée « Cuza Vodǎ » (Musée d’Histoire) ancienne maison des parents d’Alexandru Ion Cuza (1820-1873), souverain des Principautés danubiennes moldavo-valaques de 1859 à 1866, photo © Danube-culture, droits réservés

Musée des Arts Visuels
www.mavgl.ro

Musée des Sciences Naturelles
planétarium, jardin botanique, jardin zoologique
www.cmsngl.ro

Site de la ville de Galaţi
www.primariagalati.ro

Bibliographie (sélection)

COMŞA, Pompiliu,  ZANFIR, Ilie, GALAŢI, Travel Guide, Axis Livri, Galaţi, 2012
PĂLTĂNEA, Paul, Galaţi, Oraşul teilor, Galatz, City of Linden trees, PAPERPRINTS S.R.L., Galatz, 2004
XENOPOL, Alexandru Dimitrie, Histoire des Roumains de la Dacie trajane : depuis les origines jusqu’à l’union des Principautés, Ernest Leroux, Paris, 1896
NOUZILLE, Jean, La Moldavie, Histoire tragique d’une région européenne, Ed. Bieler, Huningue, 2004
BREZEANU, Ioan, Galaţi, Biografie spiritualǎ, Personalitǎţi ale culturii, ştiinţei şi artei, Editura Centrului Cultural, « Dunǎrea de Jos », Galaţi, 2008
NEDELCU, Oprea et collectif, Cultura, ştiinţa, şi arta în judeţul Galaţi, Dicţionar bibliografic, Galaţi, 1973
NICA, George, IULAN, Panait, Galatz in vechi carti postal ilustrate, 2018
RAVARD, Roger, Le Danube maritime et le port de Galatz, thèse de doctorat, Librairie moderne de droit et de jurisprudence, Ernest Sagot & Cie, Paris, 1929
STANCIU, Ştefan, STROIA Marian, Oraşu Galaţi, în relatǎrile cǎlǎtorilor strǎini, Editura Biblioteca Bucureştilor, Galaţi, 2004
STOICA, Corneliu, Monumente de for public din Municipiul Galaţi, Axis Libri, Galaţi, 2015

Pour rejoindre l’autre rive (rive droite) et Tulcea
Bac Galati-I.C. Brǎţianu (Navrom), bus depuis le bac pour Tulcea via Issacea.
www.navrom.ro

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour mars 2025  

La « Falaise » depuis le Danube et le bac pour I. C. Brăţianu et la rive droite, un lieu de promenade très fréquenté, photo © Danube-culture, droits réservés

 Parc municipal, photo © Danube-culture, droits réservés

Vue sur le port et les chantiers navals, photo © Danube-culture, droits réservés

Questions sur la profondeur du Danube…

   Il est difficile d’’imaginer que dans la vallée antérieure formée entre les monts Ciucarul Mare et les monts Miroč en Serbie, la mer intérieure pannonienne (lac pannonien) entretenait autrefois une connexion avec les mers et océans de notre planète sous la forme d’une sorte de cordon ombilical. Lors du soulèvement de la Grande Plaine, à la période du Pliocène, la mer pannonienne s’est progressivement remplie et le détroit fut remplacé par un proto-Danube (Ur-Donau) qui a entraîné les eaux de son bassin vers les mers en mouvement de retrait. À cette époque, les paysages de cette région n’avaient que peu de ressemblance avec ceux d’aujourd’hui. Le fleuve serpentait entre des chaînes de montagnes beaucoup moins abruptes. Au fur et à mesure de l’élévation de la chaîne des Carpates, la vallée s’est creusée. Le rythme de l’incision a suivi le rythme du soulèvement et la forme des courbes creusées dans la roche plus tendre a également été un héritage de la présence des falaises calcaires du Jurassique et du Crétacé inférieur. Ce phénomène s’appelle une formation de vallée antérieure.

Emplacement des défilés  des Portes-der-Fer

   Dans le défilé du « Grand chaudron », le lit du Danube se rétrécit jusqu’à mesurer une largeur d’environ 150-170 mètres c’est-à-dire qu’il fait la même largeur qu’à Passau, après son confluent avec l’Inn (Haut-Danube. Le débit d’eau du Danube dans le passage du « Grand chaudron » est plusieurs fois supérieur à celui mesuré à la hauteur de Passau, soit une moyenne de 5 à 6 000 mètres cubes par seconde (16 000 m y ont même déjà été enregistrés !). Des profondeurs d’eau de 60 mètres ont été mesurées dans les chaudrons du défilé du Kazan (soit au dessous du niveau de la mer Noire dans laquelle se jette le fleuve). Actuellement, cette profondeur peut descendre jusque’à 80 mètres selon la hauteur des eaux du lac de barrage de Djerdap en aval. Des eaux beaucoup moins profondes sont appelées des « eaux sans fond » dans la langue vernaculaire. À titre de comparaison, la Manche n’a qu’une profondeur de 45 mètres entre Douvres et Calais.

Plaviseviţa et le défilé du Grand Chaudron, lithographie coloriée publiée à Vienne par A. Kunike, 1826

   Autrefois le village de Plaviseviţa était situé à environ 60 mètres au-dessus du niveau des océans ce qui permet de conclure que le Danube a donc creusé son lit jusqu’au niveau de la mer dans le grand défilé du « Grand chaudron ». Au grand regret des bateliers, cette profondeur n’était malheureusement pas constante, mais irrégulière. À quelques centaines de mètres de là, de redoutables récifs situés juste sous la surface de l’eau, ont engendré de nombreux naufrages et une réputation de passage infranchissable. Des courants et des tourbillons imprévisibles secouaient dangereusement les embarcations. Quand une tempête se levait, les vents en provenance des parois rocheuses pouvaient rendre la navigation dans ce passage impossible.

Les Portes-de-Fer en période de basses eaux dessin pour la géographie Universelle d’Élysée Reclus

   L’image du fleuve et de ses paysages ont désormais changé. Le Danube coule maintenant tranquillement comme comme un ours des Carpates apprivoisé, entre les flancs des montagnes. Le barrage de Djerdap I et sa centrale hydroélectrique sont comme un anneau sur son nez. Le niveau de la hauteur de l’eau a augmenté de 22 à 32 mètres à la hauteur du « Grand chaudron » et la présence du barrage peut être ressenti jusqu’à 240 kilomètres de distance en amont, transformant désormais cette succession de défilés en un immense lac.

Samuel Read, Les Portes-de-Fer

   Le rehaussement du niveau des eaux du Danube a enseveli tout ce qui était en dessous de leur hauteur actuelle. L’ancienne cité d’Orşova, le vieux village roumain de Dubova a été englouti tout comme les anciennes communes de Plaviseviţa, Varciorova, Eselniţa, Jupalnik, Ogradena veche, Ogradena nouǎ, Tisoviţa, Sviniţa, Liubotina, Cozla, des villages du côté Serbe et l’île turque d’Ada Kaleh, entièrement détruite avant d’être engloutie.

Gyula Hary :  Orşova vecche (la vieille Orsova), à l’arrière-plan l’île d’Ada-Kaleh, dessin à l’encre pour « Die-österreichisch-ungarische Monarchie in-Wort und Bild, 1886-1902

D’autres villages ont été partiellement recouverts par les eaux du lac de retenue du barrage de Djerdap. La plaque commémorative d’origine dédiée au baron Istvan Széchenyi (1791-1860) ainsi que la route construite à son initiative au-dessus du fleuve ont été aussi recouvertes par les eaux. Une nouvelle plaque commémorative en langue hongroise mais traduite en roumain et en anglais a été inaugurée le 26 mai 2018 sur la rive gauche au point kilométrique 973, 3.

Plaque commémorative dédiée à I. Szechenyi, Porte-de-Fer

La route et l’ancienne plaque commémorative dédiée à Istvan Szechenyi (1885), désormais englouties par les eaux du lac de barrage de Djerdap I

La grotte dite du général Veterani (peştera Veterani), commandant de l’armée autrichienne stationnée à Caransebeş et qui a refortifié la grotte à la fin duXVIIe  siècle et dans laquelle il se réfugia en 1692 avec 300 soldats lors d’un affrontement avec les Ottomans, déjà connue des hommes préhistoriques, a été partiellement inondée. Mais les parois rocheuses du défilé du « Grand chaudron », toutefois moins effrayantes qu’autrefois, sont  toujours là et font l’admiration des visiteurs.

Le médecin, aventurier et reporter américain Francis Davis Millet (1846-1912) franchissant avec son canoë le défilé des Portes-de-Fer en 1893, aquarelle d’Alfred Parsons 

Danube-culture, mis à jour novembre 2024
Sources :
Merci à Szávoszt-Vass Dániel pour la mise à disposition de l’article consacré à la profondeur du Danube et publié sur le site : https://dunaiszigetek.blogspot.com

La hauteur du rocher de Babakai

« Si vous lisez l’article wikipedia (en hongrois) ou d’autres descriptions en ligne du Bas-Danube vous apprendrez qie le rocher de Babakai mesurerait, selon les doctes auteurs de ces articles, une hauteur totale de 50 mètres. Ces articles estiment également la hauteur du rocher émergeant au dessus de l’eau à 6-7 mètres à débit du fleuve moyen.
Ce rocher de calcaire jurassique, dont le nom signifie « grand-père » en turc ou « vieux sage », symbolise toujours l’image d’un Danube qui doit passer, brutalement confronté aux reliefs des Carpates et du Balkan, de deux kilomètres à 400 mètres de large entre le village roumain de Coronini (rive gauche) et celui de Golubac sur la rive opposée serbe. Nous sommes exactement à l’entrée des quadruples défilés des Portes-de-Fer.

Babakai vers 1840, gravure de W. H. Bartlett

Si la hauteur totale initiale réelle de ce rocher avait été de 50 mètres comme certains l’écrivent, Babakai aurait ressembler auparavant à quelque chose comme à une sorte de tour de télécommunications en pierre. Comme ce rocher ne s’élève qu’à six ou sept mètres au-dessus du niveau du Danube actuel à débit moyen, il est facile de calculer que le niveau du fleuve aurait dû s’élever de 43 ou 44 mètres en 1972, lorsque la centrale hydroélectrique roumano-serbe de Djerdap I (PK 943), établie en aval, à environ une centaine de kilomètres fluviaux du rocher de Babakai (PK 1 040, 55 km) selon la très sérieuse Commission du Danube) fut mise en route. Cette gigantesque centrale hydroélectrique de Djerdap I possède en réalité un mur de barrage d’une hauteur totale de 33/35 mètres, hauteur qui diminue au fur et à mesure que l’on remonte le fleuve vers l’amont. Si Babakai avait été situé quelque part autour de l’ancienne île ottomane engloutie d’Ada Kaleh, le rocher aurait émergé à 15/17 mètres au-dessus du niveau du fleuve au lieu des 6 à 7 m à son emplacement réel. Il est donc facile de comprendre qu’estimer la hauteur totale de Babakai à 50 mètres tient, pour le moins, d’une pure fantaisie de l’esprit !

Babakai sur une carte postale, vers 1930

Comment déterminer la hauteur réelle de ce rocher ?
Pour cela il était nécessaire de trouver une photo qui permette de déterminer une échelle de hauteur. Nous l’avons déniché par chance sur le site hongrois Hungaricana. À l’évidence elle date d’avant la construction de la centrale hydroélectrique et de la mise en eau de son lac réservoir. On peut remarquer sur celle-ci, au pied du rocher, un arbre courageux et, juste à côté, deux personnages, deux « naufragés » à la bonne échelle. Si l’on estime leur taille entre 1,7 et 1,8 mètre, on peut arriver à déterminer la hauteur approximative de Babakai lors d’un niveau d’eau moyen comme cela semble être le cas sur cette photo.

Babakai sur une carte postale, à gauche deux personnages et un arbre au pied du rocher

Sur la base de ce calcul, Babakai mesurerait en totalité entre 14 et 15 mètres de hauteur. Même l’arbre qu’on voit sur la photo aurait pu nous aider, s’il n’y avait pas eu les deux personnages, à déterminer la hauteur approximative de ce rocher.
En cas de doute sur l’exactitude de ce résultat, on peut éventuellement s’amuser à vérifier cette hypothèse avec les tours de la forteresse de Golubac, sur la rive serbe et dont les plus basses ont été noyées par le lac de barrage de la centrale hydroélectrique de Djerdap I. »
On espère seulement qu’il n’y avait plus personne sur Babakai au moment de la mise en haut du lac de barrage de Djerdap I qui a englouti non seulement Ada Kaleh mais aussi noyé bien des villages riverains et déplacé de force de nombreux habitants !
Merci pour ces informations à Daniel Szávost-Vass et au site https://dunaiszigetek.blogspot.com
Eric Baude, Danube-culture © droits réservés, mis à jour novembre 2024

Babakai, automne 2024

Peintres, graveurs, dessinateurs et photographes du Danube : Constantin Artachino (1870-1954), Roumanie

C’est à l’École de commerce de Bucarest où ses parents ont déménagé en 1877 que ses professeurs découvrent son talent précoce pour le dessin. Avec le soutien matériel d’un oncle, le jeune homme commence à fréquenter en parallèle l’École des Beaux-Arts de la capitale roumaine et devient l’élève de Theodor Aman (1831-1891) et de George Demetrescu Mirea (1852-1934). Le banquier Zerleti lui offre une une bourse de quatre ans pour étudier à l’étranger ce qui lui permet d’aller à Paris. Il s’inscrit à l’Académie Julian et étudie avec Jean-Baptiste Camille Corot ( 1796-1875), William Bouguereau (1825-1905) tout en séjournant à Fontainebleau et à Barbizon. Peu de temps après, ayant épuisé ses ressources, le peintre doit retourner en Roumanie. Il expose et vend avec succès de nombreuses, succès qui lui permet de faire un voyage à Constantinople.

Constantin Artachino, Trois femmes turques sur les bords du Danube

Le 2 mai 1896, à l’initiative de Ștefan Luchian (1868-1916), est inaugurée à Bucarest l’Exposition des artistes indépendants dont le manifeste est signé par Ștefan Luchian avec Constantin Artachino, le poète, essayiste et critique d’art Alexandru Bogdan-Pitești (1872-1922) et Nicolae Vermont (1866-1932). Constantin Artachino, dont les oeuvres ont été refusées au Salon officiel de peinture qui s’ouvre au même moment, y expose ses tableaux. Avec d’autres artistes de son temps, dont Nicolae Vermont et Ștefan Luchian, il fonde une année plus tard, en juillet 1897 une société appelée « Société pour le développement des arts en Roumanie – « Ileana ». Ștefan Luchian, Nicolae Vermont, Arthur Garguromin-Verona (1868-1946) originaire de Brǎila, le sculpteur Frederic Storck (1872-1942), Ștefan Popescu (1872-1948)

Stefan Popescu

et Gheorghe Petrașcu (1872-1949) créent ensuite la Société des Jeunes Artistes (« Tinerimea artistică ») le 3 décembre 1901. Ce groupe prône un art réaliste avec des sujets inspirés de la vie des paysans et des gens du peuple.

Arthur Garguromin-Verona, violoniste sur une barque

En poste d’abord à l’École des Beaux-Arts de Iași, C. Artachino rejoint en 1920 l’École des Beaux-Arts de Bucarest. Il enseigne jusqu’à sa retraite en 1935.
En 1951, en pleine période de réalisme socialiste, le peintre doit réaliser un tableau représentant un ouvrier lisant le journal « Scânteia » (« L’étincelle ») pour être admis à l’exposition officielle qui a lieu à la salle Dalles.
Il mourra trois ans plus tard à l’âge de 84 ans.

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour août 2024

Mosquée d’Ada-Kaleh (?)

Notes sur la navigation entre Constantinople et Ibraïla [Brǎila] par G. Gain, capitaine au long cours, officier aux Messageries Impériales, pilote breveté du Danube

NOTES

Depuis quelques années, la mer Noire voit ses eaux sillonnées par une quantité considérable de navires de toutes les nations. Cette mer, sur laquelle on ne nous a laissé que des notions très incertaines, est peu connue encore de nos jours par les marins qui la fréquentent. Ce n’est qu’avec une crainte presque toujours exagérée qu’un capitaine se décide à affronter les dangers imaginaires de la mer Noire. Depuis la guerre de Crimée cependant on semble lui accorder une plus grande confiance, et cette mer paraît aussi de son côté vouloir prouver à tous qu’elle n’est pas aussi inhospitalière qu’on nous l’a répété jusqu’à ce jour.

1.

Les 4 Saisons.

   Les quatre saisons sont très distinctes dans la mer Noire. Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver ont chacun le vent et l’état du ciel qui leur sont propres. Je me bornerai ici à les décrire sommairement, n’ayant toujours en vue que de parler de la partie de la côte occidentale comprise entre le Bosphore et le Danube.

2.

Le Printemps : Mars, Avril et Mai.

   Le printemps, doux et tempéré, est, à mon avis, la saison la plus favorable à la navigation dans la mer Noire. Le vent est très variable et les coups de vent y sont rares ; en général, pas de mauvais temps. Au mois de mai, la brise du large commence à s’établir pendant le jour; la brise de terre se fait sentir pendant la nuit, jusqu’à une distance de quinze à vingt milles. La mer est presque toujours belle. lI fait encore froid pendant le mois d’avril, mais les chaleurs commencent à se faire sentir vivement au mois de mai. Le ciel est serein ; quelques nuages apparaissent rarement à l’horizon.

3.

L’Été : Juin, Juillet et Août.

   L’été, est généralement beau ; juin et juillet donnent des brises d’EST assez fraîches pendant le jour ; du calme pendant la nuit ; mais les brises de terre sont très-régulières le long de la côte. Souvent, vers la fin de juillet et pendant le mois d’août, la journée se termine par des orages accompagnés d’une brise très-fraiche qui dure deux ou trois heures et qui n’a pas de direction fixe ; mais pendant cette saison, quelle que soit la force du vent, quelle que soit la partie à laquelle il souffle, il ne fait que rider légèrement la surface de la mer. Pendant le mois d’août, le vent de NORD souffle presque continuellement, bon frais, avec une force régulière, beau temps et belle mer.

4.

L’Automne : Septembre, Octobre et Novembre.

   Le commencement de l’automne est beau ; mais vers la fin le ciel devient très nuageux. Il pleut ordinairement, vers la fin de septembre et dans le mois d’octobre, avec des vents du S.-O. au S.-E. Le vent, pendant cette saison, est très variable ; et quelquefois on a à supporter, en octobre et novembre, des coups de vent assez violents, mais qui durent peu. Il n’est pas rare de voir un calme plat succéder à un coup de vent de la veille ; la mer alors tombe presque aussitôt que le vent. Quelquefois aussi,  le lendemain, une légère brise souffle du côté opposé. Quelques instants avant le lever du soleil, une légère brume se répand sur l’horizon pendant les beaux jours et finit par se changer en un brouillard épais qui ne se dissipe souvent que vers neuf ou dix heures du matin; c’est alors qu’il est difficile et très dangereux de tenter un atterrissage quelconque, à cause du grand nombre de navires que l’on est susceptible d’y rencontrer, et surtout aux environs du Bosphore. Cette brume annonce toujours une belle journée et une brise modérée. L’atmosphère se refroidit tout à coup en novembre ; les vents de S. et de S.-E. sont plus fréquents et toujours très frais : on éprouve du froid pendant ce dernier mois d’automne ; et lorsque la neige commence à tomber, l’hiver a pris son cours.

5.

L’Hiver : Décembre, Janvier et Février.

   Quoique le mois de décembre soit parfois assez beau, on doit toujours se méfier de sa belle apparence : car le temps change souvent rapidement. Les trois mois d’hiver sont assez rigoureux, mais principalement sous le rapport du froid qui est sec et vif. Les fleuves gèlent, et souvent même la mer aux environs du Danube et d’Odessa. Le vent souffle du N.-O. au N.-E généralement ; on a quelquefois du S. en janvier. Le ciel est toujours couvert et grisâtre ; la neige et le grésil apparaissent souvent. Les coups de vent de N.-E., dangereux principalement près des côtes, sont plus vigoureux et plus tenaces. La prudence, pendant cette saison, doit engager les capitaines à naviguer au large et à en tenter un atterrissage un peu difficile qu’après la cessation d’un mauvais temps.

6.

Les vents.

   En résumé, généralement les vents sont très-variables et par conséquent très-favorables à la navigation dans la partie occidentale de la mer Noire. On peut cependant diviser ainsi les vents principaux : de décembre en avril, du N-.E. au N.-O. ; de mai en juillet, très variables ; les vents du N. soufflent ordinairement d’une manière régulière pendant tout le mois d’août, bon frais ; en septembre ils sont remplacés par les vents de S., qui durent quelquefois aussi en octobre et novembre. Ce n’est pas seulement un coup de vent qui rend la mer Noire dangereuse en hiver, mais aussi le froid rigoureux que l’on y éprouve. La neige ou la pluie qui tombe se gèle rapidement, et l’équipage ne peut manœuvrer qu’avec une grande difficulté lorsque le gréement et le pont sont couverts de glace.

7.

Courants.

   Il n’existe pas de courants dans la mer Noire. L’influence du vent, qui roule les eaux dans sa direction, peut seule occasionner une altération sensible sur la route d’un navire. Ce n’est qu’à petite distance de al côte que l’on éprouve les effets d’un courant qui se dirige vers le S., en suivant les sinuosités de la côte. Ainsi le courant qui sort de la mer d’Azoff, se joignant à celui que produisent les eaux du Dnieper et du Dniester, se dirige vers le S. ; lorsque ce courant rencontre les eaux du Danube, il oblique un peu au large vers le S.-E., et après avoir dépassé la bouche de St-Georges, il se dirige vers l’O.-S.-O. pour pénétrer dans le golfe de Kustendjé [Constanţa] ; il glisse ensuite le long de la côte et vient se heurter à la pointe de Chabler et au cap Kalliakri ; il continue ensuite sa marche de cap en cap jusqu’à la rencontre de la côte de Roumélie qu’il parcourt jusqu’à l’entrée du Bosphore dans lequel une partie des eaux se précipite; le surplus se dirige vers l’EST, le long de la côte d’Anatolie. Ce courant devient nul par les vents de S. ; avec les vents d’E., la masse des eaux poussées par le vent, dépasse le Bosphore, neutralise ce courant par une brise ordinaire, et en produit un autre assez sensible de l’E. vers l’O. par une brise fraiche. Lorsque un courant rencontre un obstacle, tel qu’un cap ou une pointe, li se forme derrière cet obstacle un remous qui produit toujours un contre-courant. C’est ainsi que, près de Balchik, le courant porte à l’EST, le long de la côte, jusqu’au cap Kalliakri, et au N.-E. jusqu’à Chabler.

8.

Entrée du Bosphore.

   Avant de quitter le Bosphore pour entrer en mer Noire, tout capitaine doit s’assurer du temps, par un coup d’œil consciencieux et assuré. Avec des vents du N.-E. au S.-E., lorsque les terres sont chargées, on ne doit s’aventurer en mer Noire qu’après s’être bien convaincu que le temps ne forcera pas à laisser arriver, pour rentrer dans le Bosphore et y chercher un abri ; car, on en perd facilement de vue l’entrée ainsi que ses quelques points de reconnaissance. Lorsque l’on vient atterrir par un même temps, souvent aussi accompagné de pluie, on n’aperçoit quelquefois la terre que quand on y est dessus ; et, pendant la nuit, les feux qui éclairent l’entrée ne sont visibles qu’à une bien faible distance, malgré leur lumière éclatante et le minutieux entretien dont ils sont continuellement l’objet. On fera donc bien de n’agir qu’avec une extrême prudence. L’horizon est souvent tellement chargé aux approches du Bosphore, que l’on serait presque tenté de donner le conseil suivant à celui qui se verrait forcé de donner dedans : choisissez le point le plus sombre et mettez le cap dessus, vous êtes sûr de trouver le Bosphore.

________________

NAVIGATION ENTRE CONSTANTINOPLE ET SULINA.

9.

Cap Kalliakri.

Après avoir quitté el Bosphore, il convient de faire route de manière à aller reconnaître le cap Kalliakri, pour y rectifier l’estime et y prendre un nouveau point de départ. Ce cap, qui est à l’extrémité d’un promontoire d’une élévation moyenne, est taillé à pic. On aperçoit quelques ruines à son extrémité qui est d’un rouge foncé. La partie comprise entre Balchik et le cap est blanchâtre, taillée aussi à pic, des broussailles y découpent largement de grandes tâches noires. De ce cap la côte court vers le N.-N.-E., pendant dix-sept milles jusqu’à Chabler, pointe basse, à l’extrémité de laquelle on a construit un phare. Le feu en est fixe et a une portée de 8 milles.

10.

Ile des Serpents [Fidonisi].

Le phare de l’île des Serpents en 1898

Du cap Kalliakri on fait route sur l’ile des Serpents ; cette ile est accore, peu élevée et quadrangulaire. On peut mouiller tout autour , à demi-mille de la côte, par sept ou huit brasses, fond de vase et coquilles, mais avec du mauvais temps une forte houle contourne facilement cette ile et en rend le mouillage très fatigant et peu sûr. Elle est éclairée par un phare à feu tournant de 20″ en 20″, visible à vingt-cinq milles. Après avoir pris connaissance de cette île, on fait route vers l’O.-N.-O. et l’on ne tarde pas à apercevoir le phare de Sulina, placé sur la rive droite et à l’entrée du Danube. Le feu en est fixe et a une portée de 15 milles.

11.

Rade de Sulina.

La rade de Sulina et l’entrée de la bouche du Danube  vers 1845 : comme on le voit il existait déjà un phare bien avant celui construit ultérieurement par la Commission Européenne du Danube, sources Meyers Univerrsum

Il y a continuellement une grande quantité de navires à Sulina qui attendent un vent favorable ou qui prennent charge. Quelques navires mouillent aussi en rade et y opèrent leur chargement. Le meilleur mouillage est par 7 à 8 brasses, à trois miles au large, et en relevant la tour du phare au S.-O. du monde. Ce mouillage permet d’appareiller facilement pendant un mauvais temps, et de s’élever au vent. Le fond y est de bonne tenue. Avec du N.-E. ou de l’E., la mer est très grosse et brise presque partout : mais les quelques navires qui se perdent chaque année, en vont généralement à la côte qu’après la rupture de leurs chaines.
Il existe un navire coulé en rade et duquel on aperçoit une partie de la mâture. Il est à deux milles dans l’E.-N.-E. du phare. Dangereux pendant la nuit, il sera très facile de l’éviter pendant le jour.

12.

Bouches du Danube.

Plan des phares de l’île de Fidonisi (île des Serpents) et de Soulineh (Sulina), Atlas général des phares et fanaux à l’usage des Navigateurs, par M. Coulier, Paris, 1847

Il y a quatre bouches par lesquelles le Danube verse ses eaux dans la  mer Noire ; ce sont celles de Portitza, Saint-Georges, Sulina et Kylia. Celle de Sulina est la seule, actuellement, par laquelle les navires pénètrent dans le fleuve, à cause de sa profondeur. Il s’est produit en 1860, sur la barre, une amélioration très sensible, due aux travaux ingénieux de la Commission Européenne. Il y a eu jusqu’à 13 pieds d’eau au printemps et 9 en été ; il y en avait 1 et demi en novembre.

13.

Entrée de Sulina.

   Tout navire qui arrive en vue de Sulina, doit faire route de manière à amener le phare au S.-O., et gouvernant ensuite à cet aire de vent, il ne tardera pas à découvrir les deux jetées nouvellement construites, ainsi qu’une ou deux bouées qui indiquent l’ouverture de la passe. La jetée du nord part de l’extrême pointe de la rive gauche, court à l’E. puis incline légèrement vers le N. en formant une courbe presque insensible. Cele du SUD part de l’extrémité de la rive droite, se dirige vers le N.-E. et forme dans tout son parcourt une courbe très-prononcée, en inclinant vers l’E., jusqu’à devenir, par son extrémité, parallèle à la jetée du nord.

14.

Pilotage de la barre.

   Il n’est pas possible de donner, au sujet de la passe, des indications précises ; car les bancs et la barre peuvent changer rapidement de position et de forme, soit après un coup de vent du large, soit sous l’influence des courants plus ou mois forts des eaux du fleuve, ou par toute autre particularité quelconque. On a vu la profondeur de l’eau, à la barre, changer plusieurs fois dans la même journée. Les sondages réguliers et fréquents faits par les soins du chef-pilote permettent de signaler continuellement aux navires qui arrivent ou qui sont dans le port, al quantité d’eau sur la barre, au moyen d’une planche noire que l’on place sur le haut de la tour du phare, et sur laquelle est indiquée, en blanc, al profondeur de l’eau donnée en pieds anglais. D’ailleurs le pilote de service ne tarde pas à sortir pour se rendre à bord du navire qui se présente. Mais si l’état de la mer ne lui permet pas quelquefois de franchir la barre, bien qu’elle soit praticable pour un navire, il se tient en dedans de manière à être facilement aperçu, afin d’indiquer à ce navire la direction du chenal, au moyen du pavillon qu’il incline à droite ou à gauche, selon qu’il veut lui signaler de venir sur bâbord ou sur tribord. Le pavillon tenu perpendiculairement signifie que le navire ce trouve avoir une bonne direction.

Mouillage dans Sulina.

    Si, comme il vient d’être dit, le pilote ne peut sortir pour aller au large à la rencontre du navire, dès que celui-ci a franchi la barre, le pilote monte à bord et le conduit au mouillage qui lui est assigné par les règlements du port. Ce mouillage varie suivant la nature du chargement et la destination du navire. Chaque navire mouille une ancre et porte des amarres à terre, afin de laisser toujours le milieu du fleuve dégagé, de manière à ne pas gêner la circulation. (Il est juste de signaler la bonne organisation du corps des pilotes de Sulina).

15.

Pavillon.

   Le pavillon que hisse l’embarcation du pilote pour se faire reconnaître, est blanc, percé d’un losange rouge dans lequel sont les deux lettres P. S.

16.

Signaux de la tour du phare

    Signaux de la tour du Phare. Au moyen de quelques pavillons, le pilote de garde sur la tour du phare signale l’approche des navires et communique même avec eux et avec la direction du port de Sulina. Les signaux suivants devraient être connus à bord des navires qui vont dans le Danube :

Pavillon bleu foncé.

   La barre est impraticable, et on ne peut pas envoyer de pilote.

Pavillon rouge.

   Quand un navire sera en danger sur la passe, signal qui sera hissé tant sur la tour que sur le navire pour aller à son secours.

Flamme rouge.

   Signal qui sera hissé sur la tour à l’approche d’un navire de guerre.

Flamme rouge et blanche.

   Signal qui sera hissé sur la tour quand un navire s’approchera de la passe pour l’envoi d’un pilote.

17.

Divers mouillages en cas de Relâche.

   Un navire qui, en sortant du Bosphore, trouverait des vents contraires, ou qui, se trouvant plus nord encore, serait assailli par un coup de vent du N. au S.-E. qui le forcerait de laisser arriver, n’a sous le vent aucun port de refuge ; mais il peut trouver un abri plus ou moins sûr dans quelques baies que je vais me contenter de mentionner.

Kalliakri.

     Avec du vent du N. ou du N.-E. le cap Kalliakri offre trois bons mouillages : Balchik, Kavarna et Djeleip. La baie de Balchik abrite même du vent d’E. ; le vent de S.E. y pénètre rarement, et dans tous les cas la houle n’est jamais incommode.

Le cap Kalliakri forme la pointe E. de la baie de Djeleip ; on y mouille à deux milles du cap en le relevant à l’E.-S.- E. par 4 ou 5 brasses fond de sable vaseux, et à un mille de la côte.

Varna.

    La baie de Varna n’offre un bon mouillage que pour le vent de N. Il y pénètre une forte houle avec le N.-E. , et dès que le vent tourne à l’E., la grosse mer rend souvent ce mouillage impossible. Le paquebot à vapeur le Taurus, avec un coup de vent d’E.-N.-E. fut obligé d’appareiller et d’aller chercher un abri dans la baie de Bourgas ; la mer déferlait à bord. Le meilleur mouillage est dans la partie S.-S.-E. de la rade, par 9 à 10 brasses, à 1/2 mille de la côte; la lame est arrêtée et brisée par un haut fond avant d’arriver à ce mouillage, où l’on ne ressent qu’une houle longue et bien moins fatigante que devant la ville.

18.

Bourgas.

   La baie de Bourgas est, sans contredit, celle qui offre le plus de ressources et un abri sûr en tout temps. Katchi- Velaska est le meilleur de tous les mouillages ; le fond y est de bonne tenue, et il n’y entre jamais la moindre houle. Il faut avoir soin de fermer presque totalement l’ouverture de la baie par l’îlot de Papas sur lequel est bâti le monastère de Ste-Anastasie. On est alors par 4 brasses ; il y en a six lorsque cet ilot est détaché du cap Emona. Sizopoli abrite des vents du large, mais l’on y est ouvert au N., et le fond n’est pas d’une très bonne tenue.

19.

Niada.

   On peut mouiller à Niada, par cinq brasses à demi mille du rivage, et en relevant le cap Kouri à l’E., mais la forte houle qui y pénètre souvent, rend ce mouillage fatiguant et incommode. Il est très nécessaire cependant pour les navires qui, sortant du Bosphore, n’ont pas eu le temps de s’élever assez nord, pour pouvoir caper en sécurité.

20.

Katchivelaska.

   Tels sont les principaux mouillages de la côte de Roumélie et de Bulgarie. Excepté à Katchivelaska, un navire n’est jamais en parfaite sûreté.

Kustendji.

   Il faut espérer que le port de Kustendji, à la construction duquel on travaille activement, réunira toutes les ressources nécessaires. Sa situation lui promet un brillant avenir, sans détruire aucunement la navigation du Danube. Le chemin de fer qui actuellement relie ce port avec el haut Danube doit lui procurer de grands avantages ; mais li sera impuissant, malgré cela, pour nuire à la navigation du bas du fleuve. Ibraïla, Galatz, Ismail et Tulscha conserveront toujours un commerce très actif et fourniront constamment les aliments nécessaire à une navigation toujours croissante.

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NAVIGATION ENTRE SULINA ET IBRAILA.

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Plan du Danube de Sulina à Tulscha

21.

Aperçu général de la branche de Sulina.

   La branche de Sulina, qui a quarante-cinq milles de longueur et cent quatre-vingt mètres de largeur en moyenne, gît E. et O. Mais de nombreux contours, dont quelques-uns sont très courts, la rendent assez peu favorable à la navigation à voiles. Bon nombre de bancs et quelques carcasses formant autant de dangers, rendent la navigation, dans cette branche, encore plus difficile et font sentir à chacun la nécessité d’un pilote.

22.

Distances.

    Les distances, en milles, sont indiquées par des poteaux numérotés, plantés sur la rive gauche de la Sulina.

23.

Division en tables.

   Cette branche se divise en quatorze parties que l’on appelle tables ou Tavlassi ; chacune de ces parties est comprise entre deux contours principaux. La premièree, en partant de Sulina, se nomme Tchiboulli, et successivement les autres sont celles de :

Tramontana.            Monodhendri.

                                      Chamourli                   Tchobangirla               

                                      Batimiche Kavac       Papadia.                           

                                      Delta                              Kuchuk Alganis

                                      Gorgova                        Algani

                                      Austria                          St-Georges

                                      Kala Yeros

Contours.

    Les contours les plus remarquables sont ceux qui correspondent aux numéros suivants: 8, 17, 23, 24, 25, 37, 39 et celui de la pointe St-Georges.

Bancs.

   Les bancs les plus dangereux sont ceux de Batimiche-Kavac, de Gorgova et des Alganis, il n’y a sur chacun de ces bancs, que 10 ou 15 pieds d’eau suivant la saison.

24.

Carcasses.

   Quant aux carcasses, elles sont toutes de véritables dangers. Un navire qui viendrait à échouer sur une d’elles ne tarderait pas lui-même à couler bas. Elles se trouvent généralement adossées sur l’une ou l’autre rive ; mais trois d’entr’elles sont restées au milieu du fleuve ; deux sont signalées par des bouées rouges ; la première est à 26 milles et demi au-dessus de Sulina ; la seconde à 34 milles et demi. La troisième qui se trouve à 4 milles n’a jamais été signalée. Le remous du courant a formé, au-dessous de chaque carcasse, un banc qui se prolonge souvent à une très grande distance. Malgré le fond de neuf pieds et plus accusé sur la carte entre la seconde carcasse ci-dessus et la rive gauche, il serait imprudent de vouloir y passer ; car on pourrait fort bien rencontrer quelque monticule ou un banc nouvellement formé, sur lequel il serait toujours dangereux de venir échouer.

25.

Projets d’amélioration.

   La Commission Européenne, qui vient de faire construire, à l’embouchure de la Sulina, deux jetées magnifiques et qui ont produit d’assez heureux résultats, a formé aussi le projet de faire disparaître les bancs que je viens de citer, d’adoucir les contours trop rapides, d’en couper même quelques-uns, ainsi que d’enlever les carcasses qui gênent le plus la navigation. Il a paru, en outre, quelques règlements d’une grande utilité, qui sont venus apporter des modifications essentielles et urgentes, et dont le but est d’assurer l’exécution sévère d’une police fluviale. Chaque navire est tenu actuellement de s’y soumettre en ce qui le concerne.

26.

Différence dans le niveau des eaux du fleuve

   Pendant l’hiver toujours rigoureux que l’on éprouve chaque année dans les divers pays qu’arrose le Danube, tous les affluents et, presque chaque année, le fleuve lui-même sont gelés. Le Danube n’étant plus alors suffisamment alimenté, les eaux diminuent rapidement et descendent jusqu’à leur plus faible niveau. Au mois de mars, avril et mai, la fonte des glaces et des neiges produisent une augmentation très sensible, et les eaux du Danube, en juin et juillet atteignent leur maximum d’élévation ; elles débordent alors, souvent et en divers endroits, le lit du fleuve. Elles ne tardent pas à diminuer lorsque les neiges sont toutes fondues ; c’est pour ce motif qu’au mois d’août et de septembre, leur niveau s’abaisse pour ne remonter (exceptionnellement) qu’à l’époque des grandes pluies, en octobre et novembre.

27.

Influence du niveau des eaux sur les courants

   Telles sont, en général, les variations qu’éprouvent les eaux du fleuve, et les causes de leur plus ou moins grande élévation. Cette différence dans leur niveau en produit une analogue sur leur rapidité. Le courant est plus ou moins fort, selon que le niveau des eaux est plus ou moins élevé. Dans la partie du fleuve comprise entre Galatz et Tulscha, on compte, en moyenne, deux milles et demi par heure. Dans la branche de Sulina, la moyenne atteint à peine un mille. Cela est aisé à concevoir, puisque les eaux du fleuve se sont divisées en trois parties pour se déverser à la mer par les trois branches de Kilia, St-Georges et Sulina. Cette dernière, étant surtout la moins large, n’en reçoit, par conséquent que la plus faible partie. Le courant n’agit pas également partout avec la même vitesse. Ainsi là où il existe un banc qui occupe une certaine partie de la largeur du fleuve, quelquefois sa moitié, le courant est plus rapide, à cause du rétrécissement du canal dans lequel passe forcément la masse des eaux. Il en est de même pour chaque contour où il est à remarquer que, pour les mêmes motifs, dans chacun d’eux, les eaux se dirigent avec plus de force vers la partie concave ; tandis que sur la pointe opposée le courant est presque nul.

Lorsque le Danube déborde, le courant est beaucoup moins fort ; car les eaux, au lieu de suivre le lit du fleuve, se répandent par une multitude de canaux dans une plaine immense. Le contraire a lieu au moment où les eaux commencent à baisser ; car les étangs et les marais déversent alors leur trop plein dans le fleuve, et augmentent, par conséquent, la force du courant.

________________

PILOTAGE DU FLEUVE. – NAVIGATION EN AMONT.

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28.

Pilotes de la barre.

    Le corps des Pilotes de la barre a été composé de : un chef-pilote, un sous-chef, et trente pilotes de première classe ; il y a aussi des pilotes auxiliaires, mais leur nombre n’a pas encore été déterminé.

29.

Tarif général des droits de navigation.

   Les frais de pilotage, pour la barre de Sulina, sont de dix-neuf centimes par tonneau de jauge. Ces frais sont compris dans le tarif général des droits de navigation; tarif récemment mis en vigueur et dont nous allons donner, en résumé, la teneur des principaux articles. Les bâtiments à voiles de trente à cent tonneaux payeront à la sortie 0 fr. 75 centimes par tonneau de jauge, ayant la moitié au moins du chargement à bord et pour moins de dix pieds d’eau sur la barre. Et successivement suivant  le tableau ci-après : Jauge.

« Les profondeurs de la barre seront données en pieds anglais.

« Le tonneau est de 1,015 kilog. (tonneau anglais.) Les bateaux à vapeur appartenant à une compagnie, faisant des voyages réguliers dans le fleuve, payeront 25 centimes par tonneau de jauge ; sauf déduction de 40 % sur le tonnage total.

« À l’entrée, les navires à voile et les bateaux à vapeur, autres que ceux dont il vient d’être fait mention, ayant à bord plus de la moitié de leur charge, payeront le quart de la taxe de la sortie.

« Les navires faisant opération en rade : cinquante francs par navire.

« En relâche, on ne payera aucun droit.

« Il y a une amende du quadruple des droits, pour tout  navire qui tenterait de se soustraire à les payer.

« Les pilotes de la barre sont tenus d’aller à la rencontre d’un navire jusqu’à un mille et demi au large.

« Nul ne peut jeter le lest à la mer qu’à deux milles au moins de distance de la barre ; jamais dans le fleuve. »

30.

Pilotes du Fleuve.

   Le nombre de pilotes du fleuve est illimité. Après avoir subi un examen, chaque candidat admis reçoit, au nom de la Commission européenne, un brevet qui lui donne le pouvoir de piloter les navires dans telle ou telle partie du fleuve.

   Les pilotes ainsi brevetés sont les seuls reconnus ayant droit de pilotage ; ils sont tous soumis, dans l’exercice de leur fonctions à un règlement particulier. Leur chef-pilote n’a pas de résidence fixe ; mais il a un bureau dans les principales viles maritimes. C’est à lui que l’on doit s’adresser pour tout ce qui concerne  le service du pilotage dans le fleuve.

31.

Nécessité d’avoir un pilote à bord.

    Le pilotage n’est pas obligatoire dans le Danube. On ne doit pas cependant négliger d’avoir un pilote, surtout à la descente, et lorsque le navire a un chargement à bord, autant pour sauvegarder les intérêts des assureurs que ceux des assurés. D’ailleurs, en certains endroits, des circonstances exceptionnelles et imprévues peuvent rendre la manœuvre extrêmement difficile et dangereuse. Une connaissance parfaite des lieux, une pratique constante, un coup-d’œil rapide et assuré peuvent seuls faire sortir un navire d’un embarras accidentel et éviter de graves avaries. C’est alors, dans un de ces moments critiques, que l’on sent la nécessité d’avoir à bord un homme pratique, habitué depuis longtemps à ce genre de navigation et qui, en luttant avec calme, sait vaincre tous les dangers en face desquels un navire peut si fréquemment se trouver engagé.

32.

La taxe du pilotage pour la navigation en aval est fixée à :

Dix ducats, d’Ibraïla ou Galatz à Sulina.
Huit ducats de Rény ou Ismaïl à  Sulina
Six ducats de Tulscha à Sulina
plus pour nourriture le traitement de sous-officier.

Pour la remonte on traite de gré à gré. Toutefois cela ne peut dépasser un demi-ducat par jour de voyage, et le traitement de sous-officier pendant toute sa durée.

33.

Navigation en amont.

   Le but de tout navire, qui es rend de Sulina à un point quelconque dans l’intérieur du fleuve, est de remonter avec toute la facilité et al promptitude possibles. Pour atteindre ce but, il s’agit de profiter de tout vent favorable, d’éviter les courants trop rapides, ainsi que les échouages, qui, à eux seuls, peuvent occasionner un retard considérable, en outre des avaries qui peuvent en être la conséquence.

34.

   Les bancs sont si nombreux, dans la branche de Sulina, que le plan seul peut en donner une idée exacte ; au reste, les amers manquent totalement pour pouvoir en donner les relèvements nécessaires. Il en est de même pour les carcasses qu’il serait trop long de détailler sans pouvoir en expliquer ici la position avec exactitude, et pour lesquelles on devra, comme pour les bancs s’en rapporter au plan.
Les bancs, chaque année, ne subissent qu’un changement presque imperceptible ; tandis que les carcasses augmentent malheureusement trop. J’ai signalé sur le plan toutes celles qui existaient au vingt décembre 1860 ; et leur position, ayant été placée avec soin, sera facile à reconnaître au moyen des poteaux numérotés.

   J’ai déjà eu occasion de signaler les plus dangereuses; j’ajouterai à celles déjà citées, la carcasse qui se trouve sur le banc en face de Tulscha, ainsi que celle qui est en face du lazaret de Galatz. Il y a assez d’eau sur cette dernière, mais il serait dangereux de venir se heurter contre la mâture dont une partie veille encore à certaines époques ; il y a un bon passage de chaque côté.

35.

    J’ai déjà dit que les courants sont plus rapides dans la partie concave des contours, ainsi que dans certains endroits du fleuve où les bancs ne laissent qu’un chenal étroit à la navigation. On doit éviter de se laisser affaler dans la partie concave des contours, et ne s’en approcher qu’autant qu’on le jugera nécessaire pour évoluer sûrement, et toujours en manœuvrant de manière à doubler convenablement la pointe, sans la ranger de près. Quant aux bancs, pour éviter un échouage, il faut beaucoup de prudence et une certaine expérience pratique que l’on ne peut acquérir qu’en faisant souvent cette navigation.

   Afin d’éviter, autant que possible, le courant dans tout le parcours du fleuve, il faut passer aussi près qu’on peut de l’accore de chaque bancs, quelquefois sur le banc lui- même, s’il y a assez d’eau ; mais s’il n’existe pas de bancs, il faut ranger de très-près l’une des deux rives ; on doit choisir de préférence celle qui forme la pointe du contour que l’on va rencontrer, parce que c’est là que le courant se fait moins sentir.

36.

Les trois contours du Delta.

  Le Delta, long à peine de deux milles, comprend à lui seul trois contours.
On l’appelle communément M, parce que le fleuve, en cet endroit, a la forme de cette lettre. C’est là que l’on rencontre presque toujours le plus grand nombre de navires, amarrés sur les deux rives, en attendant un peu de vent favorable. Ce passage, devenu dès lors difficile par l’encombrement, est rendu dangereux bien souvent par d’autres navires qui, descendant à al dérive, ne peuvent manœuvrer qu’avec difficulté. Ce n’est qu’avec beaucoup de patience et de prudence qu’un bateau à vapeur parvient à se frayer une route au milieu d’une véritable forêt de navires ; et lorsqu’on est parvenu à doubler ces contours, si l’on jette un coup-d’œil en arrière, on est souvent surpris des dangers que l’on a courus, tandis que l’on se trouve heureux aussi d’avoir pu les éviter.

37.

Alganis.

   Cinq bouées rouges, placées sur le même alignement, indiquent le chenal des Alganis. On doit les laisser toutes à tribord en montant, et passer beaucoup plus près d’elles que de la rive droite. Entre les bouées et la rive gauche, il y a peu d’eau et le fond est de cailloux. C’est là que la petite rivière de Papadia, actuellement barrée, déversait ses eaux dans le Danube.

38.

Tulscha.

    Après avoir quitté la branche de Sulina, il reste encore cinq milles à parcourir pour arriver à Tulscha, ville turque située sur la rive droite. Les navires qui doivent y prendre charge mouillent l’ancre de tribord et accostent le quai au moyen de leurs amarres ; les navires en relâche vont mouiller en face, sur le banc, par cinq ou six brasses, immédiatement au-dessus de la pointe, hors de la ligne des forts courants. Un câble télégraphique traverse le Danube à un mille au-dessus de Tulscha. Ce câble est signalé par des poteaux, sur l’une et l’autre rive, il est défendu de mouiller, sous aucun prétexte, dans l’alignement de ces poteaux.

39.

Roche de Tulscha.

    J’ai entendu souvent signaler la Roche de Tulscha comme un grand danger. Cette roche n’est recouverte qu’au moment où les eaux atteignent leur plus grande hauteur ; alors même un fort remous la fait aisément reconnaître. Au reste elle est éloignée tout au plus de douze mètres du pied d’un plus grand rocher qui fait partie de la montagne, contre laquelle la ville est adossée. On a construit sur ce rocher une petite maison ou baraque en pierres, d’un extérieur toujours très propre. Le courant qui vient se heurter contre la roche, forme un contre-courant assez rapide dans les parties concaves, au-dessus et au-dessous d’elle. Il existe aussi un autre contre-courant en face et au-dessous de la pointe. Ils sont tous très favorables pour faire évoluer un navire qui appareille pour la descente.

   Je suis persuadé que la Roche de Tulscha n’est pas aussi dangereuse qu’on veut bien le supposer ; car on ne peut citer pour preuve, non seulement aucun navire perdu, mais encore ayant fait même, à cause d’elle, la plus petite des avaries.

40.

Isatcha.

   Il n’existe qu’une seule ile entre Tulscha et Galatz ; c’est celle d’Isatcha [Isaccea], située du même côté et en face même de la ville d’où elle tire son nom. Cette ile est totalement boisée ; il y a de 6 à 9 pieds d’eau, suivant la saison, dans le chenal qui la sépare de la ville. On peut la ranger d’assez près, car sa partie extérieure est saine.

Plan du Danube, 3eme partie : de Isatcha à Ibraïla

41.

Reny.

   La ville de Rény, bâtie sur la rive gauche, fait partie actuellement de la Moldo-Valachie. Elle est à 10 milles au-dessous de Galatz. Elle possède un vaste lazaret où chargeaient autrefois les navires en quarantaine. Le commerce y est beaucoup plus actif qu’ à Tulscha. Le confluent du Pruth est à un mille au-dessus du lazaret.

Banc de Rény.

    Le grand banc que l’on appelle Banc de Rény, commence en face même de la ville, sur la rive droite. Il a trois milles de longueur et occupe le tiers environ de la largeur du fleuve. On passe assez près et sur l’accore même du banc, afin de ne pas avoir un courant trop fort à refouler.

42.

Pointe Cocona.

   À trois milles et demi au-dessus du confluent du Pruth, est la pointe Cocona ; elle est entourée d’un banc qui s’étend assez au large. Il existe un fort brassage dans la partie concave en face de la pointe, ainsi qu’un tourbillon de courant qu’il sera toujours prudent d’éviter.
Après avoir doublé la pointe Cocona, on peut suivre l’une ou l’autre rive ; mais on doit préférer la rive droite ; car, malgré qu’elle soit aussi profonde, le courant s’y fait moins sentir.

43.

Galatz.

Galatz vers 1820, vue de la rive gauche dessin de Ludwig Ermini publié par Adolph Kunike, 1826

La ville de Galatz est à 6 milles au-dessus de la pointe Cocona, sur la rive gauche. Le premier établissement que l’on rencontre est le lazaret [établissement hospitalier qui accueille en particulier les voyageurs pour une quarantaine], en face duquel , au milieu du fleuve, existe une carcasse déjà mentionnée. Il y a bon passage ed chaque côté, mais celui de la rive gauche est préférable parce qu’il est plus accore et plus profond.

Mouillage.

Les navires qui sont destinés pour Galatz, doivent tous les jours mouiller en face de la ville sur la rive droite, en attendant que la Direction du port leur désigne une place au quai pour y prendre charge.

Le Seret.

La rivière du Seret se jette dans le Danube à quatre milles au-dessus de Galatz. Sur la rive gauche, un peu au-dessus du Seret, existe une ile assez longue. Un navire qui remonte doit, après avoir passé le Seret, continuer de suivre la rive gauche, jusque par le travers du milieu de cette île, et passer ensuite sur la rive opposée, pour ne plus la quitter qu’en approchant de la branche de Matschin [Mǎcin], à l’entrée d’Ibraïla.

44.

Ibraïla.

Ibraïla (Brǎila) vers 1820, dessin de Ludwig Ermini publié par Adolph Kunike, 1826

De même que Galatz, Ibraïla est bâtie sur la rive gauche du fleuve. Les rues sont larges et bien percées. Le commerce de cette ville est immense, et elle possède de nombreux et vastes magasins. Les navires attendent, sur la rive droite, qu’on leur ait désigné une place, pour pouvoir aller s’amarrer à quai devant les magasins où ils doivent prendre leur chargement. Les navires qui ont quelques réparations à faire, vont se placer, soit dans la branche de Matschin, soit derrière le petit ilot en face de la ville.

Mouillage.

   Les navires en charge, ayant tous une ancre au large, et étant amarrés parallèlement au quai, souvent sur neuf et dix rangs, il en résulterait parfois de graves inconvénients, si la Direction du port, qui veille avec une constante sollicitude à maintenir l’ordre le plus parfait, n’avait pris à ce sujet d’excellentes mesures. Ainsi : tout mouvement dans le port, pour aller prendre une place au quai ou pour la quitter, n’est autorisé que le jeudi et le dimanche.

45.

Exportation.

   De tous les ports du Danube, Ibraïla est celui qui fournit le plus à l’exportation, et le commerce y prend une extension rapide. Il a été chargé en ce port 1,291 navires en 1839 ; tandis que l’année suivante nous présente un total de près de 2,000 navires.

L’exportation du Danube se compose de blé, maïs, orge, seigle, haricots, millets, graines de lin et de navette, planches et douelles [tonneaux], peaux de bœuf, fromages, suif et viande salée.

46.

Importation.

 L’importation donne un accès facile à presque toutes les branches de notre industrie, laquelle lutte avantageusement, par la bonté de ses produits, contre l’Allemagne entière.

50.

Appareiller à Ibraïla.

   Il existe, sous l’eau, un peu au-dessus d’Ibraïla, les restes d’un ancien pont qui traversait le Danube. Cet endroit est très favorable pour faire évoluer promptement un bateau à vapeur. Il faut, pour cela, remonter le fleuve, en rangeant la ville, jusqu’après avoir dépassé le travers du grand moulin à vent. Lançant alors le navire, sur bâbord, on le dirige de manière à venir placer l’avant dans le courant qui sort par l’espace compris entre deux piles, tandis que l’arrière se trouve dans le remous formé par l’une d’elles (ce qui est toujours très-facile à distinguer). On doit le maintenir dans cette position, aussitôt que l’avant est bien présenté, en stoppant et faisant même quelques tours en arrière, si c’était nécessaire. Le navire tourne alors sur lui-même avec une rapidité surprenante. Cette manœuvre est préférable à toute autre, et malgré la perte de temps qu’elle entraîne (un quart d’heure environ), la conviction de ne faire aucune avarie compense largement ce retard peu sensible.

51.

Appareiller à Tulscha.

   À la descente, un bateau à vapeur, qui ne doit séjourner à Tulscha qu’un espace de temps assez restreint, pourrait mouiller sur le banc par trois brasses ; mais il est préférable d’aller au dessous de la pointe, et de porter tout sim- plement une amarre à terre en échouant légèrement l’avant. Dans l’un ou l’autre cas, il faut, lors de l’appareillage, manœuvrer de manière à venir placer l’arrière du bâtiment dans le contre-courant au-dessus ou au-dessous de la roche. On peut être certain alors que le navire, étant poussé en sens inverse par l’arrière et l’avant en même temps, évoluera avec une grande facilité.

52.

Passage des coudes à la descente.

   Pour descendre un coude très-prononcé, avec un bateau à vapeur, il convient de suivre quelque temps à l’avance la rive qui forme la partie concave ; puis choisir le moment favorable pour lancer le navire de manière à venir placer l’avant le plus près possible de la pointe. En le main- tenant dans cette position, l’arrière reçoit une impulsion beaucoup plus forte que l’avant et l’évolution du navire est assurée.

53.

Avoir une ancre à jet prête à mouiller par l’arrière.

   Il est très prudent d’avoir toujours une ancre à jet prête à mouiller par l’arrière, dans le cas où il serait urgent de s’arrêter immédiatement, soit pour un encombrement de navires, ou bien pour tout autre motif impossible à prévoir.

Sources : Bibliothèque Nationale de France, Paris

Danube-culture, août 2024

Drobeta-Turnu Severin par l’écrivain roumain Alexandru Vlăhuţa (1858-1919)

Le port de Drobeta-Turnu Severin au début du XXe siècle, collection particulière

    « À partir de Vertchiorova1, les berges s’abaissent et s’aplanissent. De vastes champs de maïs verdoient à l’horizon. La voie ferrée, en bordure ininterrompue, ourle tout droit la rive du fleuve, jusqu’à Tournou-Sévérine, qui apparaît, au coucher du soleil, comme en un décor de théâtre. Le Danube élargi, empiète en courbe sur le littoral roumain, et repousse la ville sur une hauteur ombragée d’arbres, dont les touffes laissent entrevoir, toujours plus haut, toujours plus grandes, de blanches maisons coiffées de tuiles rouges. D’épaisses fumées noires s’échappent à gros bouillons des cheminées d’usine. On entend de loin cogner dans les chantiers, les lourds marteaux de fer. La berge, au débarcadère, fourmille de monde, comme une foire. Ils abondent, ces lieux, en souvenirs antiques. C’est par ici que s’écoula, il y a dix-huit siècles, le flot des légions romaines destinées à planter, dans les plaines désertes de la Dacie, un peuple nouveau.

C’est ici que plus tard, l’empereur Septime Sévère2, établit ses postes de sentinelles, à l’orient de son empire : « les camps Sévériens » dont on voit les restes encore aujourd’hui (La Tour de Sévère) dans le jardin public de la ville, situé au dessus du port, sur une terrasse élevée, d’où l’on découvre une des plus belles perspectives sur le Danube. C’est ici que se trouvait autrefois la capitale de l’Olténie, la résidence des illustres Bans de Sévérin3 dont l’origine se perd dans la nuit des temps, par-delà l’époque de la première colonisation. Les fouilles opérées dans les environs exhument d’antiques ruines, des figures de pierre, des bijoux et des monnaies romaines, lointains souvenirs de ce peuple d’incomparables héros, qui a transplanté et instauré dans les plaines danubiennes, la lumière, le parler et l’imposante puissance de l’empire le plus grand et le plus glorieux que le soleil ait vu.
Quelles empreintes de géant ont laissées, partout où ils passèrent, ces légionnaires de Trajan4 ! Leurs traces se montrent encore parmi les crevasses des montagnes. Toute chose leur fut soumise. Les rochers s’écartèrent pour leur faire place : les fleuves se soumirent, épouvantés par l’ombre et le fracas des premiers ponts qui les eussent enjambés. Même le Danube, le grandiose, l’impétueux Danube fut dompté, et dut fléchir sous le joug. On voit encore aujourd’hui se dresser hors des flots, comme deux bras gigantesques tendus vers le ciel, les extrémités du pont qui a rendu immortel le nom d’Apollodore de Damas5.

Les ruines du pont de Trajan, collection particulière

   À cette même place, sur cette terre consacrée par tant de grands sacrifices et de précieux souvenirs, s’élève aujourd’hui Tournou-Sévérine, l’un des ports les plus importants de la Roumanie ; ville à l’aspect occidental, aux beaux bâtiments, aux imposantes écoles, aux rues larges et droites, autrefois citadelle entourée par un fossé profond, qu’aux moments de danger le Danube remplissait en un clin d’œil, mettant ainsi la cité sous l’égide de ses flots et la pressant sur son sein, de ses bras protecteurs, comme un enfant bien-aimé.

Le port de Drobeta-Turnu Severin dans les années trente, photo collection particulière

   Et, comme s’il était écrit que cette ville, à laquelle se rattachent tant de grands événements, dût graver son nom une fois de plus dans l’histoire de notre nation, voilà que c’est encore ici, à la place même où l’empereur Trajan mit pied à terre, il y a dix-huit siècles, que fit ses premiers pas sur le sol de la Roumanie, le jeune Prince Carol Ier6 , convié à prendre entre ses mains fortunées et sagaces la destinée de ce peuple, et à ressusciter dans son âme l’antique vaillance et l’indomptable énergie, en l’éveillant aune vie nouvelle, à une nouvelle phase de gloire et de progrès… »

Alexandru Vlăhuţa, extrait de son livre « La Roumanie pittoresque », traduction française de Mărgărita Miller-Verghy, publié à Bucarest en 1903

Alexandru Vlahuţa (1858-1919)

Notes :
1 Vârciorova, en aval du confluent de la Bahna avec le Danube, rive gauche.
2 146-211, Septime Sévère règne de 193 à 211 après avoir été nommé empereur à Carnuntum par les légions qui stationnent sur le Danube.
3
Princes ou gouverneurs régnant sur un Banat, territoire frontalier de la couronne hongroise. Les Bans de Severin règneront en fait de 1233 jusqu’à la conquête et la destruction de la forteresse en 1524 par les armées de Soliman le Magnifique. Cette forteresse qui avait été construite entre 1247 et 1250 par l’ordre  des chevaliers de Jeanne représentait le centre politico-administratif du Banat de Severin. Il s’agit de la première forteresse en pierre de Roumanie. C’est ici que Mircea l’Ancien (Mircea cel Bătrân, ?-1418, puissant voïvode de Valachie de 1386-1418 ) signe avec le roi de Hongrie, un traité d’alliance contre les Ottomans en 1406. À partir de ce moment-là, la forteresse de Severin n’a plus qu’un seul objectif : la défense devant la menace des Ottomans. La place forte comportait une imposante tour de guet (donjon), six tours défensives, deux murs de pierre concentriques et une douve profonde alimentée par l’eau du Danube. La tour de guet qui se trouve dans l’angle nord-est est également connue sous le nom de « Tour de Sever ». À l’intérieur de la forteresse se trouvent les ruines d’une église. En 1370, le prince de Valachie Vladislav Ier (Vlaicu Voda, 1325-1377), après avoir reçu le Banat de Severin en 1369 et accepté la suzeraineté hongroise, établit la deuxième métropole orthodoxe du pays roumain dans cette forteresse. L’épiscopat latin de Severin est fondé en 1382 et se place sous la protection de saint Séverin de Noricum, également connu sous le nom latin de San Severino.

4 Marcus Ulpius Traianus, 53-117, empereur de 53 à 117. Il mène deux campagnes contre les Daces en 101-102 qu’il affronte et vainc à Adamclisi en Dobrouja et en 105-106, assiégeant et prenant leur capitale Sarmizegetusa, sur le site actuel du village de Grădiștea de Munte dans le judeţ de Hunedoara en Transylvanie et contraignant leur chef Decebale à se réfugier dans les montagnes des Carpates puis à se suicider.
5 60,-129 ? architecte du pont de Trajan, construit entre 103 et 105, probablement le premier ouvrage en dur réalisé sur le Danube.
6 1839-1914, né à Sigmaringen sur le haut-Danube allemand, appartenant à la dynastie de Hohenzollern, il règne sur la Roumanie de 1881 à 1914.
Danube-culture, © droits réservés,  mis à jour mai 2024

Galaţi vu par un Allemand et un Français…

Johann Hermann Dielhem (1702-1784)
Johann Hermann Dielhem semble avoir exercé la profession de perruquier. Il publia, au profit des voyageurs et autres amateurs de découvertes, des descriptions de nombreuses régions fluviales, dans lesquelles il décrivait en détail les paysages, les villes, les châteaux, les forteresses et les monastères. Ses ouvrages ont d’abord été publiés de manière anonyme avec les seules initiales J. H. D.

Adolphe Lévesque, baron d’Avril (1822-1904)
 Entré au Ministère des Affaires étrangères en 1847, attaché à la mission française en Orient en 1854, rédacteur à la direction politique en 1856 puis consul général à Bucarest en 1866, Adolphe Lévesque est nommé en 1867, délégué à la Commission Européenne du Danube à Galatz et succède à Édouard Engelhardt (1828-1916) qui en fut le premier délégué français (1856 à 1866). Le baron d’Avril remplira cette fonction jusqu’à son affectation comme envoyé extraordinaire au Chili en 1876 où il reste jusqu’en 1882, date de son départ à la retraite.

Galatz dans l’Antiquarius des Donaustromes, 1785
   « Peu de temps après que le Danube, après avoir quitté la Valachie, soit entré sur le territoire de la principauté de Moldavie, apparaît à une petite distance la ville de Gallacz. C’est une ville moldave d’une certaine importance et abondamment construite, située au confluent du Seret1 avec le Danube, en aval de Brǎila.

Vue de Galaţi avec ses églises grecques orthodoxes et sa falaise depuis la rive droite, gravure réalisée d’après un dessin de Jakob Alt (1789-1872), vers 1824

   Si elle ne se distingue pas vraiment par sa taille ni par l’originalité de son architecture, c’est par contre la place commerciale la plus célèbre du Danube turc2. Entourée de médiocres remparts la ville abrite sept églises grecques dont trois sont assez grandes. Elles sont construites en pierre avec des tours surmontées de cloches et au sommet desquelles se tient une croix. Ces églises sont tournées, selon l’ancien usage, vers l’Orient. Leur intérieur est sombre et recouvert de fresques médiocres. Leurs missels sont imprimés en lettres grecques ou vénitiennes. Trois monastères orthodoxes grecs avec dans chacun d’eux seulement deux moines vivant dans la pauvreté plus sévère dépendent de ces églises. Il y avait autrefois à Gallacz également une église catholique dont on trouve encore de nos jours quelques ruines mais elle a été démolie sur ordre du prince de Moldavie. Il n’y a aucun espoir de la voir être reconstruite. La communauté catholique n’a donc ni église ni prêtres dans la ville. Pour le reste les maisons sont toutes en mauvais état. On y voit par contre beaucoup de boutiques et d’échoppes où l’on ne trouve généralement que des babioles. Il y a aussi d’immenses entrepôts de céréales qui sont en grande partie à destination de Constantinople. Les citadins de Gallacz, dont la plupart sont de religion grecque orthodoxe, sont tous commerçants. Ils jouissent de plus de liberté que les habitants des autres villes de ce pays. Mais la luxure est extrême à Gallacz. On voit dans tous les endroits des maisons de débauche, pleines de femmes de mauvaise vie. Elles s’exposent allègrement, au grand scandale des honnêtes gens et c’est une honte pour le christianisme. »
Johann Hermann Dielhem (1702-1784)Antiquarius des Donau-Stroms oder Ausführliche Beschreibung dieses berühmten Stroms, von seinem Ursprung und Fortlauf: bis er sich endlich in das schwarze Meer ergießet; nebst allen daran liegenden Festungen, Städten, Marktflecken, Dörfern, Klöstern und heineinfal-lenden Flüssen; bis ins verflossene 1784. Jahr accurat beschrieben; Zum Nutzen der Reisenden und andern Liebhabern zusammen getragen und ans Licht gestellet; … Frankfurt am Main, 1785 (L’Antiquarius du fleuve Danube ou une description détaillée de ce célèbre fleuve, de son origine et de sa progression jusqu’à ce qu’il se jette finalement dans la mer Noire ; et de toutes les forteresses, villes, places de foire, villages, monastères et affluents ; décrit avec précision jusqu’à l’année 1784 écoulée. Porté et mis en lumière pour être utile aux voyageurs et autres amateurs. Avec deux cartes géographiques, Francfort/Main, 1785, chez les frères von Düren 

Notes :
1 Sereth ou Siret, affluent de la rive gauche du Danube d’une longueur de 726 km qui prend sa source dans les Carpates ukrainiennes et se jette dans le Danube peu avant Galati au PK 155, 05. À ne pas confondre avec la rivière  Seret  (Сере́т en russe et en ukrainien) un affluent du Dniestr de 248 km.
2 La principauté de Moldavie, fondée en 1359 et plus ou moins indépendante, devient, tout en conservant son autonomie, vassale de l’Empire ottoman de 1538 à 1806, date à laquelle elle est envahie par les troupes russes puis en partie annexée à la Russie en 1812 (Traité de Bucarest entre l’Empire ottoman et la Russie).

Antiquarius des Donaustroms, 1785 L’Antiquarius des Donaustromes ou une description détaillée de ce célèbre fleuve, de son origine et de sa progression jusqu’à ce qu’il se jette finalement dans la mer Noire ; et de toutes les forteresses, villes, places de foire, villages, monastères et affluents ; décrit avec précision jusqu’à l’année 1784 écoulée. Porté et mis en lumière pour être utile aux voyageurs et autres amateurs. Avec deux cartes géographiques, Francfort/Main, 1785, chez les frères von Düren 

Adolphe Lévesque, baron d’Avril1 : I. GALATZ [1868]
   « Galatz est tout entier sur la gauche du Danube. La ville basse s’étend le long du fleuve à une petite élévation. Ce premier plateau se termine brusquement à l’est par un léger escarpement au bas duquel il y a quelques rues et des magasins, puis le grand lac Bratish2, à  une  très petite  distance. Au  couchant, une nouvelle élévation de sol, longue et régulière, aboutit à un grand plateau. J’imagine que le lac Bratish venait autrefois jusque-là, d’autant que, sur sa rive orientale, on aperçoit la même ligne élevée. Au couchant le premier plateau commence tout près du Danube. Aussitôt gravie cette petite montée, on entre dans les deux rues commerçantes, Strada mare [Grande rue] et Strada Braşovenilor, c’est-à-dire [la rue] des marchands de Cronstadt3. Les maisons sont en pierres. Ce sont des rez-de-chaussée à apparence de comptoirs fortifiés, avec un étage au-dessus. Beaucoup de boutiques sont fermées le samedi, et les autres le dimanche. Les voies aristocratiques et consulaires sont la rue Michail Bravul4 et la Strada domneasca5, toutes les deux sur le premier plateau et à peu près parallèles au lac Bratish. La Strada domnesca est plus droite et plus large. L’autre a directement la vue du lac et du fleuve, qui est splendide, surtout au clair d’une lune éblouissante et froide. Sortant le soir de l’une de ces maisons, j’ai cru que la cour était couverte de neige. Il y a de très jolies maisons avec de larges cours, des jardins. Quelques masures s’y entremêlent. Ce n’est pas plus mal ; à quoi bon parquer les misérables dans un quartier séparé ?

Strada Domneascǎ au début du XXe siècle, photo collection Bibliothèque V. A. Urechia, Galaţi 

Dans ces deux rues habitent les délégués à la Commission Européenne du Danube6 et les consuls7. Plus le pays est petit, plus le mât du consul est haut et l’uniforme éblouissant. Les États qui n’entretiennent pas de consuls-fonctionnaires, ont des agents plus riches, parce qu’ils choisissent des négociants, chrétiens ou israélites. Le malheureux fonctionnaire, rétribué avec parcimonie sur un budget mesquin, ne peut rivaliser. En suivant la rue de Michel-le-Brave du sud au nord, vous laissez à gauche la maison où réside la reine du Bas-Danube, la Commission Européenne. Nous en reparlerons.

Le siège de la Commission Européenne du Danube, photo collection Bibliothèque V. A. Urechia, Galaţi

Plus loin, à droite, est l’hôtel hospitalier de M. Rodocanachi8, un Grec.Voici la maison du prince Couza9, où sa mère a demeuré jusqu’à sa mort ; elle est occupée aujourd’hui par le consul anglais. À une double rampe aboutit la rue de Cérès, qui vient du bas du port. Plus loin est un jardin public dont les arbres sont encore tout petits10. En continuant, on sortirait dans la campagne. Du jardin public et de toutes les maisons situées du même côté, on jouit de la vue, sur le lac Bratish, la basse ville, le cours sinueux du Danube, et au delà sur les montagnes de la Dobrudja11, pittoresques, alors couvertes de neige.

La maison du prince A. I. Couza (1820-1873) aménagée en musée, photo Danube-culture, © droits réservés

Du jardin public, rentrons en ville par la Strada Domnească, entre deux rangées de jolies maisons espacées par des jardins et des cours. Si vous regardez à droite, vous voyez la ligne élevée qui borne la ville de côté de l’ouest. À la hauteur de la rue du Vautour12, il y a précisément sur la hauteur une grande église blanche aux toits de couleur. La rue est droite et large.Vous arrivez au sommet, d’où la vụe sur le lac et sur le fleuve est encore plus belle. L’église, vue de près, n’a plus rien de remarquable.

Port de Galaţi au début du XXe siècle, photo collection Bibliothèque V. A. Urechia, Galaţi

Appuyez toujours à gauche, descendant peu à peu la pente que vous avez gravie, vous parviendrez à l’endroit où la ville rejoint le Danube par le petit plateau. Descendez encore et vous voilà dans la rue du port, d’abord entre deux rangs de maisons, mais bientôt vous n’avez plus des maisons qu’à gauche et le fleuve à droite. La rue du Port a des magasins bien appropriés, et le « shipchandler »13 inévitable. On voit surtout des figures grecques, et l’on entend parler le grec. Bientôt s’élève une nouvelle construction à droite, entre vous et le fleuve ; c’est la bourse, qui appartient aux négociants. Au centre, une grande salle où l’on fait des affaires ; à l’entour de petites chambres, où l’on perd au jeu ce que l’on a gagné aux affaires.

La bourse de Galaţi au début du XXe siècle, photo collection Bibliothèque V.A. Urechia, Galaţi

Le côté pittoresque de la population ne laisse rien à désirer. Voici un vieux mendiant à tout crin, maigre et fier, il croque une pomme, assis par terre. À côté de lui, est venu pour lui tenir compagnie, s’asseoir  sur  le  même  siège d’Adam, une  jeune femme du peuple, pas mendiante du tout. Elle fait la conversation avec le vieux, en fumant une cigarette.
Voici deux dames dans un fiacre ; elles s’arrêtent. Elles ne sont ni jolies ni laides, ni vieilles ni jeunes, ni communes ni distinguées ; ce sont des dames entre le zist et le zest14 ; elles regardent gravement un numéro de la Mode illustrée que leur montre un juif « croitor »15 de dame [tailleur pour dames].
À l’odeur, je m’aperçois que je suis dans le quartier juif16. Les hommes sont affreux et sales. La préoccupation du lucre leur donne une physionomie presque repoussante. Les femmes sont généralement propres, sans coquetterie. Leur physionomie, qui est plutôt distinguée, respire le calme de la vie de famille, très honorée chez les Israélites : elles ne sont pas belles toutes, tant s’en faut ; mais elles ont le prestige d’une certaine « respectability ». Chrétienne ou juive, voici une autre femme qui est franchement vieille et franchement laide : montée sur une échelle, elle badigeonne tranquillement une maison en jaune criard…

II. LE DANUBE

Après la bourse, le fleuve  reparaît sur un long espace vide où l’on aurait dû planter des arbres. Au quai sont les bâtiments de guerre. Chacune des sept puissances signataires du traité de Paris17 peut en entretenir deux, en tout quatorze. Peu à peu le nombre a diminué. La plupart des pavillons ont disparu. La France, l’Autriche, l’Angleterre, la Russie restent seules. Encore l’hiver la Russie et l’Angleterre s’en vont-elles. La France seule a les deux bâtiments réglementaires18. C’est le bon endroit pour contempler le fleuve. Il est gelé avec une très mince couche de neige. On le passe à pied ou en chariot.
C’est étrange et triste.
L’hiver a été exceptionnellement froid et long. Aujourd’hui 23 février 1868, 14° au-dessous de zéro. Sur les bords, la glace a environ 1 mètre d’épaisseur. Vers le milieu, il n’y a plus qu’un pied, probablement parce que le courant est plus rapide. On remarque aussi vers le milieu que le dessous s’amollit. C’est sans doute parce que le haut Danube et les affluents apportent des courants plus chauds. Le Danube est très-haut et une inondation prévue. La municipalité a averti les gens d’en bas de prendre leurs précautions, attendu que l’autorité ne leur portera aucun secours. On croyait que les hautes eaux feraient éclater la couche solide, mais pas du tout. La couche a été soulevée et l’eau a regelé sur les bords. Quand la débâcle commence par en bas, la glace s’écoule paisiblement. Quand elle commence par en haut, il descend des glaçons énormes qui s’accumulent les uns sur les autres et peuvent briser les bâtiments ou les soulever et les jeter sur la rive. Les navires de guerre ont garni leurs proues de petites estacades. Ils sont solidement amarrés par de fortes chaînes et assujettis à de grosses poutres.
Le grand espace où sont les bâtiments de guerre est un quai construit par le commerce, qui n’en profite guère19. Vient ensuite un corps de garde, puis les établissements de la compagnie Russe, de la compagnie Danubienne20, du Lloyd austro-hongrois et des Messageries françaises21.

Le Carolus Primus, élégant bateau d’inspection de la C.E.D. à quai devant le Palais de la Navigation 

Adolphe Lévesque, baron d’Avril, De Paris à l’île des serpents à travers la Roumanie, la Hongrie et les bouches du Danube par Cyrille, auteur du voyage sentimental dans les pays slaves, Paris, Ernest Leroux Éditeurs, 1876

Notes :
1 Il publie, parfois sous le pseudonyme de Cyrille, plusieurs ouvrages relatifs à l’Orient, donne une traduction nouvelle de la Chanson de Roland et collabore également à la Revue d’Orient, à la Revue des Deux Mondes…
Adolphe Lévesque se marie 1857, à Paris, avec Marie Odobesco, née en Roumanie. Six enfants naissent de cette union. Le fils aîné, Louis, embrassera également la carrière de diplomate.
Adolphe Lévesque donne au Département (Ministère des Affaires Étrangères) sa bibliothèque, dont la plupart des ouvrages sont consacrés à l’Europe orientale et au Moyen-Orient. Cette bibliothèque contient plus de 1 850 titres regroupant non seulement des ouvrages, des mélanges mais également un grand nombre de dossiers de presse reliés. Ces ouvrages sont inscrits à l’inventaire en juillet 1925 et mai 1938. 
Sources : Ministère des Affaires Étrangères.
L’extrait cité dans cet article date de 1868.
2 Le lac Brateş, lac lagunaire peu profond de 2400 hectares, autrefois beaucoup plus étendu et très poissonneux, est situé dans la zone de confluence du Prut avec le Danube.
3 Braşov (Kronstadt en allemand ou Brassó en hongrois), grande ville multiculturelle de Transylvanie, centre industriel et touristique
4 Mihai Viteazul, Michel Ier le Brave (1558-1601), prince de Valachie, Moldavie et Transylvanie (1558-1601), s’est en particulier distingué en affrontant les armées de l’Empire Ottoman et en les repoussant au-delà du Danube. Héros national roumain.
5 La rue Domnească est une des principales rues de Galaţi.
6 La Commission Européenne du Danube est une commission internationale qui a été fondée en   vertu de l’article 16 Traité de Paris du 30 mars 1856, organisé à l’initiative de Napoléon III, pour s’occuper initialement de l’amélioration et de la gestion de la navigation aux embouchures du Danube, initialement d’Isaccea à la mer Noire ainsi qu’aux parties maritimes avoisinantes celles-ci, territoire alors dans l’empire ottoman. La Roumanie, fondée en 1878 sera admise à faire partie de la C.E.D. à partir de cette année là. Les pays membre de la C.E.D. représentés par des délégués sont l’Autriche, la France, La Grande-Bretagne, la Prusse, la Russie, la Sardaigne et la Turquie. Le secrétaire général de la C.E.D. siège à Galaţi, des services administratifs et techniques à Sulina, Issacea et Tulcea.
7 Les pays qui  possèdent un consulat à Galaţi ou un représentant consulaire à cette époque sont le Royaume-Uni, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne (?), la France, la Grèce, la Hollande, l’Italie, la Prusse, la Russie, la Suède-Norvège, l’ empire ottoman et les USA. Certains des délégués de la C.E.D. font également fonction de consuls.
8 Vraisemblablement Theodoros Rodocanachis (1797-1882), membre d’une famille de grands commerçants grecs.
9 Le prince Alexandru Ioan Cuza (1820-1873), grande personnalité de la renaissance culturelle roumaine, prince de Moldavie, de Valachie puis de Roumanie (1862-1866), francophone, soutenu par Napoléon III, réformateur, il est renversé par une coalition contre nature en 1866 et doit finir sa vie en exil. Il meurt à Heidelberg âgé de 53 ans.
10 Le Jardin public de Galaţi (Grădina Publică) qui donne sur la strada Domnească et la strada Vasile Alecsandri été inauguré en 1846.
11 La Dobrudja ou Dobrogea
12 La strada vultur est perpendiculaire à la strada Domnească
13 Marchand d’accastillage
14 Cette expression française qui remonte à la première moitié du XVIIIe siècle, a d’abord été appliquée dès 1718 aux noms de choses et bien plus tard vers 1835 aux personnes. Le zeste ou zest à l’origine, c’est-à-dire avant le XVIIe siècle, se définissait comme étant l’écorce superficielle de l’orange et au sens figuré un objet de peu de valeur. Quant au zist, ce serait l’enveloppe blanche au-dessous du zeste ce qui donnerait à notre expression le sens de l’indécision, une chose incertaine car la limite entre le zest et le zist est relativement incertaine. Ici l’expression est utilisée dans le sens d’un âge incertain ou entre deux âges. (Sources…)
15 Tailleur en langue roumaine
16 On est vraiment surpris par les propos antisémites  de la part d’un diplomate français, délégué à la C.E.D.
   Important carrefour commercial depuis le XVIIe siècle, la ville fut le théâtre d’actes de violence  et de vandalisme en 1868 après que fut lancée à l’encontre de certains habitants appartenant à la communauté juive de la ville, une accusation de meurtre rituel. Cette  communauté qui s’était implantée à la fin du XVIe siècle dans la ville, participait activement à sa vie économique. Outre 1868, la communauté juive a été persécutée sous divers prétextes et à de nombreuses reprises (1796, 1812,1842, 1846, 1859, 1867, 1893, 1940-1945). De 14 500 habitants en 1894, la communauté juive passa à 450 habitants en 1969.
L’imposante synagogue dite « des artisans » est l’unique rescapée des vingt-neuf synagogues que comptait la ville dans les années 1930. Construite en 1875, elle fut inaugurée à nouveau en 2014. Bien que l’émigration ait provoqué une quasi-disparition de cette communauté, il reste aujourd’hui, en dehors de cette synagogue, un restaurant cacher et un cimetière juif.
Sources : jguideeurope.org
17 Le « Traité de Paris » met fin à la guerre de Crimée (1853-1856). Il proclame l’intégrité de l’empire ottoman,  instaure la neutralité de la mer Noire et institue la première commission européenne du Danube. Les pays signataires sont l’Empire d’Autriche, la France, le Royaume de Piémont-Sardaigne, le Royaume-Uni, la Prusse, la Russie et l’Empire ottoman.
18 Cette station a été, depuis la guerre de 1870, réunie à celle de Constantinople (note de l’auteur).
19 Cet espace a été plus tard rendu au commerce (note de l’auteur).
20 La compagnie impérial et royal de navigation à vapeur sur le Danube autrement dit la D.D.S.G., compagnie autrichienne de navigation fluviale et maritime.
21 La compagnie des Messageries Maritimes fondée à Marseille desservira Constantinople et la mer Noire (Odessa…) dès 1855. Ses bateaux feront escale également à Sulina, Tulcea, Galaţi et Brăila.  Cette compagnie assurait également le transport du courrier auprès des bureaux de poste français de Galaţi, Brǎila, ouverts en 1857 et fermés en janvier 1875 et ceux de Sulina et Tulcea, ouverts en novembre 1857 et fermés en avril 1879.
Sources : messageries-maritimes.org 
https://semeuse25cbleu.net/usages-hors-de-france/bureaux-de-poste-francais-a-letranger

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour janvier 2025

Cernavodă (PK 301, rive droite)

« Tchernavoda qui tire son nom de la vallée et du petit village qui y était construit, est la station d’embarquement pour ceux qui veulent prendre la voie du Danube. Le service des bateaux est actif et assez régulier. Sur les bords du fleuve d’immenses bâtiments ont été construits comme grenier et magasin à céréales, qu’une machine à vapeur nettoie et réduit en partie en farine. C’est la propriété de la même compagnie industrielle. Elle aura à trouver le moyen d’assainir ce lieu où règnent, pendant l’été surtout, des fièvres tenaces et redoutables… »
Eugène Boré (1809-1878), « Lettre à Camille Allard, 29 septembre 1863 », in Camille Allard, Entre Danube et mer Noire, Dobroudja 1855, Annexes, p. 231, Non Lieu, Paris, 2013, Texte édité et présenté par Bernard Lory, Postface d’Ivan Roussev

   Cernavodă fait d’abord référence à l’une des plus brillantes cultures de l’âge du néolithique appelée « culture de Cernavoda », un exemple de ces cultures précoces qui se développèrent le long de certains fleuves entre 4000 et 3200 avant J.-C. dans les régions de l’Ukraine occidentale, du Boudjak (Bessarabie du sud), de la Dobroudja et de la Bulgarie, principalement dans les basses vallées fluviales du Dniestr, du Boug méridional, du Dniepr, du Danube et de son delta.

Devant le bâtiment de la mairie de Cernavodǎ une copie des penseurs de Hamangia, civilisation du chalcolithique, période de la préhistoire comprise entre le Néolithique et l’âge du bronze, et correspondant au début de l’utilisation du cuivre, photo Danube-culture © droits réservés

   Cette petite ville, rattachée historiquement à la région de Dobroudja (Dobrogée)1 qui est conquise en 1389 par Mircea cel Brǎtrǎn ou en français Mircea l’Ancien (vers 1355-1418), entreprenant voîvode (prince) de Valachie puis annexée par l’Empire ottoman en 1420 (Cernavodǎ n’est alors qu’un village du nom de Boğazköy) et qui le restera pendant plus de quatre siècles, appartient aujourd’hui administrativement au Judeţ de Constanţa. La ville est occupée (libérée du joug de la Grande Porte) par les armées du Tsar Alexandre II (1818-1881) en 1877 lors de la guerre qui oppose l’Empire ottoman à celui de Russie. Ville portuaire stratégique dès la naissance de la Roumanie en 1878, elle fait office de port à la fois de la rive droite du Bas-Danube et d’entrée du canal Danube-mer Noire,

Le canal Danube-mer Noire et son confluent avec le Danube à la hauteur de Cernavodǎ, photo Danube-culture © droits réservés

   La vallée de Carasu (Karasu signifie eau noire en langue turc, aujourd’hui Megidia) vallée des environs de Cernavodǎ orientée est-ouest qui délimite les plaines septentrionales et méridionales du Judets de Constanţa et le long de laquelle a été creusé le canal Danube-mer Noire, est une dépression synclinale des ères glaciaires aux versants raides et élevés recouverts de loess et qui pourrait avoir été une ancienne vallée du Danube primitif. Plusieurs sites archéologiques dobrogéens importants de l’Antiquité se trouve à proximité de la ville comme Axiopolis, forteresse romaine, puis byzantine, située sur la rive droite du Danube à 3 km au sud du pont de Cernavodǎ et dont l’emplacement correspond au point le plus proche entre le Danube et la mer Noire2, Flaviana, Capidava (PK 279, 5), magnifique site géto-dace, romain et byzantin dont le nom n’a pas changé au cours des siècles et signifie « citadelle sur un méandre du fleuve » en langue géto-dace, un site construit sur un affleurement rocheux de la rive droite dominant le Danube, et qui comme par miracle, renaît, reprend vie, est inlassablement reconstruit après chaque invasion et destruction jusqu’au XIe siècle quand des tributs petchénègues à l’origine nomades l’incendient et obligent la population à abandonner définitivement l’emplacement, Castrum Carcium (Harşova, PK 253) ou encore plus en aval sur le bras de Măcin, Troesmis, édifié par les Romains pour protéger la frontière fluviale et le limes des invasions barbares et investi ultérieurement par les Ottomans.

La mosquée de Cernavodǎ, souvenir de la présence ottomane en Dobrogée, photo Danube-culture, © droits réservés

Tombes dans le cimetière turc de Cernavodǎ, photo Danube-culture © droits réservés

L’église orthodoxe de rite ancien, photo Danube-culture © droits réservés

 Le parc municipal, photo Danube-culture © droits réservés

C’est à Cernavodǎ que se terminait autrefois le voyage fluvial des passagers des vapeurs et « steamer » de la D.D.S.G. qui souhaitaient se rendre à Constantinople et au-delà via Constanţa et la mer Noire avec les navires de compagnies maritimes desservant les lignes mer Noire-mer Méditerranée à l’image de la Lloyd autrichienne.
Le bâtiment du port de passagers, reconstruit à l’époque communiste dont le goût pour l’architecture n’exprimait guère la joie de vivre et désormais tristement abandonné, n’est plus investi que par les choucas.

 Photo Danube-culture, © droits réservés

L’ancien bâtiment du port de passagers de Cernavodǎ, laissé à l’abandon, photo Danube-culture© droits réservés

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Il reste les activités du port industriel et de son bassin mais la tranquillité des grues inactives semble indiquer une pérenne somnolence.

Les grues du port industriel de Cernavodǎ, photo Danube-culture © droits réservés

Cernavoda port 05 2022

Photo Danube-culture © droits réservés

À l’entrée du port industriel de Cernavodǎ, photo Danube-culture, © droits réservés

Les trois ponts de Cernavodă
Le Bas-Danube n’était jusque dans les dernières années du XIXe siècle, franchissable officiellement que par le bac qui circulait entre Vadul oii (Le gué des moutons, PK 239) où autrefois les bergers des Carpates méridionales faisaient traverser leurs troupeaux pour rejoindre les pâturages de la Dobrodgée, et Giurgeni (PK 237, 8). Un pont de chemin de fer sur la ligne Bucarest-Constanţa, première ligne reliant la mer Noire au réseau ferroviaire européen via Bucarest, est construit par l’entreprise française « De Fives-Lille » au-dessus du Danube (PK 300) et inauguré en 1895.

Pont ferroviaire de Cernavodǎ 05 2022

Le premier pont ferroviaire de Cernavodǎ, photo Danube-culture © droits réservés

Son architecture métallique très audacieuse pour l’époque, est l’oeuvre de l’ingénieur roumain Anghel Saligny (1854-1925). Cet ouvrage ferroviaire monumental qui traverse le Danube à deux reprises, tout d’abord à la hauteur de la commune de Fetesti le bras septentrional de Borcea, l’île Balta ou Balta Ialomiţei2 ou encore Balta Borcea, grande île d’une longueur de 94 kilomètres, d’une largeur comprise entre 4 et 12, 5 km, et d’une superficie d’environ 831 km2, ancienne zone de marais et de « grinds » aménagée pour l’agriculture dans les années soixante et le bras méridional du Danube à la hauteur de Cernavodă.

Les soldats roumains du pont Angel Saligny, ex Carol Ier de  Cernavodǎ continuent imperturbablement à monter la garde, photo Danube-culture © droits réservés

L’ouvrage, d’une longueur de 15 km, est inspiré du pont écossais de Forth Bridge inauguré en 1890 et classé désormais au patrimoine mondial de l’Unesco. La nature du sol alluvionnaire instable posa de nombreux problèmes de stabilité pour les fondations des piliers, problèmes qu’on résolue en creusant jusque’à une profondeur de 31 mètres sous le niveau d’eau moyen du fleuve. La plus longues des 68 arches mesure 190 mètres. La hauteur de ce pont permettait à des voiliers d’un tirant d’air jusqu’à 38-40 m de passer sous celui-ci sans difficulté. Ce pont historique, doublé à proximité d’un pont rail-route métallique en 1987, est actuellement en rénovation.

Le pont rail-route sur le Danube de Cernavodǎ au premier plan, inauguré en 1987 et le pont historique, photo Danube-culture © droits réservés

Entre la gare ferroviaire (Cernavodǎ pod) et la ville le canal de la mer Noire qu’on franchit avec ce troisième pont, photo Danube-culture © droits réservés

Notes :
1« Peut-être pourrait-on y trouver l’étymologie du nom de la Dobroudja dans le mot slave dobro, « bon ». La Dobroudja est pour les Turcs, le bon pays, celui où la terre, n’appartenant à personne, peut être occupée et exploité par le premier venu. C’est une immense et fertile prairie presque entièrement déserte, habitée surtout par des Tatars pasteurs et par des Valaques sur les rives danubiennes… »
Camille Allard, « Coup d’oeil géographique » Entre Danube et mer Noire, Dobrouja 1855″, Non Lieu, Paris 2013, p. 32, Texte édité et présenté par Bernard Lory, Postface d’Ivan Roussev
2 Cette situation est probablement à l’origine de son rôle économique et stratégique important. La forteresse est mentionnée dans la Géographie de Ptolémée et sur la  « Tabula Peutingeriana ».
3 Du nom de la rivière Ialomiţa (417 km) qui conflue avec le Danube sur sa rive gauche

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, novembre 2023

Rue piétonnière et arborée du centre ville, photo Danube-culture © droits réservés

Le Musée de Cernavodǎ, mystérieusement fermé… photo © Danube-culture, droits réservés

Toute proche de la ville la centrale nucléaire de Cernavodǎ sur la rive gauche du canal Danube-mer Noire ; deux réacteurs sont actuellement en fonctionnement et deux autres pourraient être mis en service dans les prochaines années, photo Danube-culture © droits réservés

Le Monastère de Mraconia, gardien des « chaudrons danubiens »

Mraconia, Portes de Fer, Roumanie

Le monastère du ‘Lieu caché »

Un premier monastère orthodoxe fût construit aux XIIIe-XIVe siècles sur l’emplacement actuel de la petite commune roumaine de Dubova (Km 970, rive gauche), à une quinzaine de kilomètres d’Orşova, dans un lieu presque inaccessible, en contrebas de la route actuelle, d’où son nom de monastère de Mraconia ou monastère du « Lieu caché ». Il est placé sous la protection du prophète Élie. Le chroniqueur et protopope orthodoxe roumain Nicolae Stoica de Haţeg (1751-1833) raconte dans une chronique de 1829, que, par peur des Turcs et en particulier après la bataille de Varna et la prise en 1453 de Constantinople par les Ottomans, les moines du monastère de Mraconia cherchèrent refuge à Orşova. En 1523, le lieu de culte passe sous la juridiction de l’Evêché de Vârset, à l’initiative de Nicola Gârlisteanu, gouverneur militaire de la région de frontière Caransebeş-Lugoj. Faute d’un entretien véritable, les bâtiments s’altèrent au fil du temps. Il est pourtant toujours habité par des moines en 1788 mais subit de graves endommagements pendant le conflit austro-turc du fait de sa situation inconfortable aux frontières militaires de l’Empire autrichien et aux premiers postes des affrontements. En 1823, le sceau du monastère, portant une intéressante inscription en vieux-slavon est retrouvé dans les ruines. Une icône de la Vierge y est également découverte en 1853. Elle est exposée à Vienne, grâce à l’intervention d’un peintre bavarois.
Le monastère est reconstruit en 1931, l’église achevée en 1947. Suite aux travaux de construction du barrage, les bâtiments sont définitivement détruits en 1967 par le régime communiste et les ruines de ce lieu de culte disparaissent sous la surface des eaux du nouveau lac de retenue du premier barrage des Portes-de-Fer. On peut apercevoir leur sommet affleurer à la surface du fleuve pendant certaines périodes de basses eaux.

Le monastère orthodoxe de Mraconia

Le « nouveau » monastère orthodoxe de Mraconia photo © Danube-culture, droits réservés

Ce monastère traversa ainsi toutes les vicissitudes de l’histoire de cette région de l’Europe, depuis les pillages des envahisseurs, les conflits entre les empires, le paiement de lourds tributs aux occupants jusqu’à son engloutissement, comme sa proche voisine insulaire turque d’Adah Kaleh et la vieille ville d’Orşova.
L’archevêché d’Olténie prit en 1995 la décision de reconstruire le monastère à proximité des anciens bâtiments. Celui-ci se situe sur l’emplacement de l’ancien point d’observation et de guidage des bateaux naviguant sur le Danube (PK 965,5). Le paysage des Portes-de-Fer s’est métamorphosé par la main de l’homme.

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour juillet 2023, © droits réservés

Adolphe Lévesque, baron d’Avril, «Galatz, Quelques divertissements qui ne sont pas à mon goût»,

 La vie culturelle à Galaţi : quelques divertissements qui ne sont pas à mon goût (IV)
   « Il est arrivé à Galatz une troupe française ambulante. Ravel, du Palais-Royal, en est le leader1. On jouait le Fils de Giboyer2. J’ai pris la chose en triste au point de vue moral ; c’est peu de pervertir et d’abêtir Paris ; on s’attaque aux Daces ! Hier, à cette représentation, le rire du public me faisait mal.
   C’était le carnaval grec. J’ai vu passer une mascarade peu gaie : quelques palicares3 avec des masques. C’est singulier de revêtir son costume national pour  une mascarade. Il y avait aussi des femmes, mais sans  le moindre  déguisement : jupe d’indienne, casaquin4 foncé, plus un masque ; trois musiciens. Le cortège entrait dans toutes les portes, précédé d’un petit pavillon grec et romain, en haut d’un mât. Le plus souvent on les renvoyait sans leur rien donner. Il y avait aussi une sorte de loustic en costume de folie-diable-arlequin-polichinelle. Sa principale plaisanterie était de monter dans les fiacres vides et de s’y étaler. Tout cela n’était pas amusant.
   Je suis allé encore une fois au théâtre : on jouait Un mari dans du coton5 (c’est simplement commun), et le Supplice d’une Femme6. Toutes les jeunes filles de Galatz y étaient. Voilà notre enseignement en Orient ! Un jour, dans une autre ville, j’aperçois une bibliothèque musicale avec des titres en écriture allemande qui me font présager plus de sérieux. Quelle désillusion ! Je lis Parisen Leben musik von J. Offenbach — Die Prinzessin von Trapezunt – Die schöne Helena — Die Grossherzogin von Gerolstein7.
   Pendant mes voyages, je suis poursuivi de ces rencontres : à Prague, Giroflé Girofla8, à Nuremberg, Le postillon de Longjumeau9, à Vienne, Toto10 ; mais c’était chez des peuples sérieux.
Au milieu de ces réflexions, et en rentrant par une belle nuit sans lune, j’admire l’éclat brillant des étoiles : le fond de la voûte céleste en reçoit une vague transparence dont la profondeur infinie contraste avec le noir mat de la basse ville parsemée de lanternes. »

Adolphe Lévesque, baron d’Avril, Galatz, « Quelques divertissements qui ne sont pas à mon goût », in De Paris à l’île des serpents à travers la Roumanie, la Hongrie et les bouches du Danube par Cyrille, auteur du voyage sentimental dans les pays slaves, Paris, Ernest Leroux Éditeurs, 1876
Notes :
1 Pierre-Alfred Ravel (1811-1881), acteur et directeur du Théâtre du Palais-Royal et du  Gymnase Dramatique
2 Comédie anticléricale d’Émile Augier (1820-1889), créée à la Comédie Française en 1862
3 Soldats grecs de la guerre d’Indépendance
4 Type de corsage ajusté au buste
5 Vaudeville en un acte (1862) de Lambert Thiboust (1827-1867)
6 Drame en 3 actes (1865) d’Émile de Girardin (1806-1881)
 7 Jacques Offenbach (1819-1880) ) : La Vie Parisienne, opéra bouffe, 1866 suivi d’une 2e version en 1873, La Princesse de Trébizonde, opéra bouffe, livret de Charles Nuitter et Étienne Tréfeu, créé en juillet 1869 en deux actes, suivi d’une seconde version en trois actes en décembre 1869, La Belle Hélène, opéra bouffe, livret d’H. Meilhac et L. Halévy, 1864, La Grande Duchesse de Gérolstein,  livret d’H. Meilhac et L. Halévy, 1867
8 Opérette (1874) du compositeur français Charles Lecoq (1832-1918) sur un livret de Albert Vanloo et Eugène Leterrier
9 Opéra comique (1836) du compositeur français Adolphe-Charles Adam (1803-1856)  sur un livret d’sur un livret d Adolphe de Leuven et Léon Levy-Brunswick
10 Le château à Toto (1868) de Jacques Offenbach sur un livret d’H. Meilhac et L. Halévy 

Eric Baude, © Danube-culture, juillet 2021
Cet article est publié dans le cadre des recherches à propos de la présence française sur le Danube.

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