Le Danube

   Ce site aborde le fleuve dans une perspective géohistorique, sociétale et holistique. On y parle d’histoire, de navigation  du Danube, d’ethnologie, d’anthropologie, d’environnement, de climatologie, d’hydrographie, d’îles, de pélicans et autres oiseaux, d’esturgeons, de pêcheurs, de sources, du delta, de croisières, de musique, de gastronomie, de cinéma, d’étymologie, de peinture, de littérature, de grandes et petites cités, de souvenirs, de métiers du fleuve ou liés à celui-ci, de personnages danubiens d’anthologie ou d’habitants anonymes des bords du fleuve mais aussi de légendes, de mythes, de rites, de cosmologie, de symboles, autant dire de rationnel et d’irrationnel. Un fleuve comme le Danube incite à transgresser les barrières conventionnelles entre les différentes disciplines. Comme l’écrit le géographe Jacques Bethemont (1928-2017), dans l’avant-propos de son livre Les mots de l’eau, dictionnaire des eaux douces, de la métrique à la symbolique, « la disjonction entre les diverses représentations de l’eau [et par conséquent celles d’un fleuve] n’est pas irréductible à une conception globale. »
Pour paraphraser Héraclite, on ne se baignera donc jamais deux fois dans les mêmes eaux danubiennes à la lecture du contenu de ce site élaboré en même temps dans une tentative d’approche transdisciplinaire ou polyculturelle du fleuve.
D’aucuns considéreront celui-ci comme une sorte de « bazar éclectique danubien » !

Carte du cours du Danube depuis sa source jusqu’à ses embouchures avec six cartouches, par le sieur [Guillaume ?] Sanson (1633-1703), géographe du roi, d’après le père Vincenzo Coronelli (1650-1718) et extraite de l’Atlas Nouveau publié par Alexis-Hubert Jaillot (1632?-1712), Paris, 1696

   L’une des légendes, parmi les plus belles de la mythologie européenne, raconte que Jason et ses valeureux Argonautes auraient remonté le Danube jusqu’à Belgrade puis la Save jusqu’à Siscia (Sisak en Croatie) et son affluent la Kupa (Kolpa) pour rejoindre enfin l’Adriatique au retour de leur périlleuse expédition de conquête de la Toison d’or.

Konstantinos Volanakis (1837-1907), Argo, huile sur toile, domaine public

Brigach und Breg bringen die Donau zu Weg !
(La Brigach et la Breg ouvrent le chemin au Danube !)
Dicton populaire du Bade-Wurtemberg

« Il regarda le Danube : l’eau coule. L’eau coule tous les jours, elle est maintenant à Immendingen, maintenant à Eckhartsau, maintenant à Apatin, maintenant à Chilia Veche et maintenant de nouveau à Immendingen. Quand sa journée était très bonne, que pouvait-il penser d’autre que le Danube est éternel et qu’il est lui-même le Danube ? »
Péter Esterházy (1950-2016), L’œillade de la comtesse Hahn-Hahn, En descendant le Danube, Gallimard, Paris, 1999

 

Le bassin versant du Danube et les pays qui se le partagent en 2024

Seul fleuve européen important avec le Pô à se diriger dans un axe général d’ouest en est, le Danube prend ses sources en Allemagne dans le vieux massif de la Forêt-Noire (Bade-Wurtemberg) à Furtwangen pour les uns ou dans le parc du château de Donaueschingen, considérées comme la sources officielle, pour les autres.

La source de la Breg (Danube) au lieu-dit saint-Martin à Furtwangen (Bade-Wurtemberg), photo © Danube-culture, droits réservés

La chapelle saint-Martin à Furtwangen dans la Forêt-Noire wurtembergeoise veille sur les premiers pas de la Breg (Danube), photo © Danube-culture, droits réservés

Le confluent de la Breg (à gauche) avec la Brigach (à droite) auquel se sont joints auparavant les multiples sources et ruisseaux qui jaillissent du sous-sol du parc du château de Donaueschingen et de ses environs, donne naissance officiellement au Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

Le fleuve traverse ensuite, en formant de multiples méandres, une grande partie du vieux continent, s’élargissant peu à peu grâce à ses nombreux affluents de toutes dimensions et origines pour « finir » et s’ouvrir en apothéose sous la forme d’un magnifique delta toujours en évolution depuis sa création, prodigue en biodiversité et en écosystèmes. Le Danube se jette actuellement, en se divisant en trois bras principaux (on en comptait un nombre plus important dans l’Antiquité : Hérodote et Strabon en identifiaient cinq, Pline tout comme l’historien romain d’origine grecque Amien Marcellin, le géographe Anton Friedrich Büsching (1724-1793) et l’écrivain et poète Sigmund von Birken (1681-1744) dans son ouvrage géographique sur le Danube (1664), sept : Hierostomum, Narcostomum, Calostomum, Pseudostomum, Boreostomum, Stenostomum, Spirostomum)

Les bouches du Danube dans l’antiquité romaine, sur cette carte au nombre de six : du nord au sud, Thiagola ostium, Aquilonium, Pseudostomum, Calostomum, Inariatium et Sacreum Vel. Peuca

et de multiples ramifications secondaires (du moins pour les deux bras de Chilia et de Sfântu Gheorghe, celui de Sulina ayant été rectifié et aménagé par la Commission Européenne du Danube à partir de 1880) dans la mer Noire ou Pont-Euxin chez les anciens Grecs, une mer quasiment fermée appartenant à part égale à l’Asie et au continent européen. D’autres grands fleuves européens à l’est du Danube comme le Dniestr (1362 km), le Dniepr (2285 km), appelé dans l’Antiquité le Boristhène, le Boug méridional (806 km) ou Hypanis pour les anciens Grecs, viennent également déverser leurs  généreuses eaux douces dans cette mer d’une superficie de 400 000 km2.

Les cours du Moyen et du Bas-Danube ainsi que le delta et les côtes occidentales de la mer Noire vus d’un satellite.

Une longue histoire
Le Danube qui a pour lointain ancêtre le proto-Danube, un cours d’eau apparu il y a environ 25 millions d’années, est, dès sa naissance et sur de nombreux aspects, un fleuve fascinant et complexe. Son histoire commence bien avant que les hommes n’apparaissent sur la terre et ne viennent peupler et coloniser son delta puis son bassin tout entier.

Au coucher du jour sur le Danube slovaque… photo © Danube-culture, droits réservés

    « Ne pourrait-on reprendre à propos [du Danube] et des grands fleuves la formule de Montaigne et les dire « ondulants et divers »? Tantôt abondants et tantôt amaigris, tantôt clairs et tantôt chargés de boue, tantôt rapides et tantôt lents, et toujours changeants d’un instant, d’une saison ou d’une longue période à l’autre. Cette diversité et cette puissance font que, en tout temps et en tout lieu, les fleuves offrent, dans une perspective anthropocentriste un double aspect ; il y a le fleuve hostile par sa force brutale, par ses crues, par les maladies qu’il véhicule ; mais il y a aussi le fleuve qui offre une ressource abondante, des terres fertiles et planes sur ses rives, son énergie. Cela dans des contextes de milieux naturels et d’environnements culturels également divers, de sorte que le problème des relations qui s’établissent entre un fleuve et les collectivités humaines qui occupent et se partagent son bassin suppose autant de variations qu’il y a de fleuves et de lieux dans le bassin du fleuve: tel cadre est-il ou non favorable à l’emprise et à l’action humaine ? Quelles variations le temps et les systèmes socioculturels introduisent-ils dans ces systèmes de relations ? Quelles sont finalement les résultantes du jeu combiné des relations entre le fleuve et les hommes ? »
Jacques Bethemont, « Les temps du fleuve » in « Les grands fleuves, Entre nature et société », Armand Collin, Paris, 2002, p. 52

Le Danube en quelques chiffres…
Le Danube se distingue des autres fleuves par le fait que l’on en mesure depuis le XIXe siècle sa longueur à contre-courant, de l’aval vers l’amont, de l’extrémité d’un de ses bras (bras de Sulina) ou du point kilométrique zéro sur le même bras jusqu’à ses sources dans le parc du château de Donaueschingen ou alors jusqu’au lieu-dit Saint-Martin sur la commune de Furtwangen ; une longueur assez difficile à déterminer de manière précise d’autant plus qu’elle fut toujours variable au cours du temps en raison du travail du fleuve lui-même tout au long de son périple jusqu’à la mer Noire et des nombreux aménagements entrepris par les hommes, en particulier sur le bras de Sulina où furent supprimés de nombreux méandres, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle ou plus en amont comme les grands travaux de régulation du Danube à Vienne (1870-1875) qui changèrent la physionomie du fleuve à cette hauteur puis, plus récemment, les impressionnants barrages des centrales hydroélectriques.

Parmi de nombreux plans de régulation du Danube, celui-ci est daté de 1858, sources Wien Museum

Ces différents aménagements avaient pour objectif d’améliorer, de sécuriser la navigation et de faciliter l’exportation de céréales, de lutter plus en amont contre des inondations répétitives mais ils eurent également pour conséquence de réduire non seulement la longueur  du fleuve de 134 km mais aussi de modifier sa largeur et ses rives en de nombreux endroits tout en impactant sa biodiversité. C’est ainsi que ces aménagements sont l’une des causes majeures de la disparition des esturgeons sur le Moyen-Danube.
Longueur totale (actuelle) du Danube, de Sulina (point zéro, Dobroudja, Roumanie) jusqu’à la source de la Breg en Forêt-Noire (Furtwangen, Bade-Wurtemberg, Allemagne) : 2 888 km (on trouve également parfois le chiffre de 3019 km…).
Le Danube mesure 2 840 km (2857 km selon des sources officielles allemandes) du point zéro de Sulina jusqu’à Donaueschingen (Allemagne) où le fleuve prend officiellement sa (ses) source(s).

La statue de la Baar indiquant au jeune Danube le chemin au-dessus du bassin rénové de la source du Danube dans le parc du château des princes de Furstenberg à Donaueschingen, lieu officiel de la naissance du fleuve, photo © Danube-culture, droits réservés

De Sulina (Point Kilométrique 0) à Galaţi (PK 151), le parcours du fleuve est considéré comme une route maritime, aussi se mesure-t-il sur celui-ci en milles marins (1 mille marin = 1, 852 km).

En aval de Sulina et du point kilométrique zéro à partir duquel on mesure les distances sur le fleuve vers l’amont, le Danube poursuit inlassablement son chemin vers la mer Noire, photo © Danube-culture, droits réservés

La distance en ligne droite entre le confluent de la Breg et de la Brigach à Donaueschingen et l’embouchure du fleuve est de 1 630 km, donnant ainsi un coefficient de sinuosité de 1,7.
Le Danube n’est qu’à la modeste vingt-neuvième place (en considérant que sa longueur est de 3019 km) ou à la trente-et-unième place avec 2 840 km parmi les plus grands fleuves du monde. C’est toutefois le plus long fleuve européen après la Volga (3 740 km, 3 545 km selon d’autres sources), cours d’eau qui se jette dans la mer Caspienne, drainant un bassin versant de 1 350 000 km2 mais qui n’est toutefois pas le plus grand fleuve prenant sa source sur le territoire de la Russie. Il faut rappeler que le Danube et la Volga ont des caractéristiques hydrographiques très différentes.
Le Danube franchit, de ses sources en Forêt-Noire jusqu’à la mer Noire, 22 longitudes.

Au confluent de la Breg et de la Brigach à Donaueschingen (Bavière), les premiers pas officiels du Danube, photo © Danube-culture droits réservés

Un très faible dénivelé
Le dénivelé total du fleuve, depuis Donaueschingen jusqu’à la mer Noire n’est que de 678 m. La pente moyenne est donc très faible et n’est égale en moyenne qu’à 25 cm/km d’où en particulier les nombreux méandres du fleuve d’autrefois ! Si le coefficient de sa pente dépasse les 1% en amont d’Ulm, il s’abaisse à 0,5% entre le confluent du Lech et Regensburg (Ratisbonne) puis à 0,2% sur la fin de son parcours allemand jusqu’à Passau. Le dénivelé reprend ensuite un peu d’ampleur pour atteindre une moyenne de 0,4% à la hauteur de Bratislava puis s’abaisse à 0,1% sur la frontière slovaco-hongroise et à 0,006% dans la plaine panonienne, remonte à 0,3% dans le passage entre les Carpates et le Balkan, défilés dit des Portes-de-Fer (avec des variations entre 0,04 et 2%) avant de redescendre à 0,05% jusqu’à Cernavodă (Roumanie, rive droite) pour terminer enfin à 0,01%  jusqu’à la mer Noire.

Débit
   Le fleuve a un débit annuel moyen d’environ 203 millions m3 (6 500 m3/s).

Le Danube en Strudengau (Haute-Autriche) à la hauteur de Sarmingstein (rive gauche), fleuve miroir, à l’automne, photo © Danube-culture, droits réservés

Régime
   Rassemblant des eaux en provenance des hautes montagnes (Alpes), de moyennes montagnes (Carpates, Balkan…) et de leurs contreforts, de hauts plateaux, de bassins et de plaines, le Danube possède un régime d’écoulement très complexe dont le profil évolue depuis celui d’une rivière de montagne jusqu’à celui d’un grand fleuve de basse plaine. De nombreuses crues affectant plus particulièrement le Haut et le Moyen-Danube caractérisent son histoire mais le cours inférieur du fleuve n’a pas non plus été épargné par de sévères inondations. Ces crues dévastatrices n’ont toutefois pas touché au même moment l’ensemble du bassin en raison du « décalage chronologique qu’apportent à leur propagation les conditions d’écoulement et de l’hétérogénéité des influences météorologiques. »

Le fleuve pris par les glaces en 2014 à la hauteur de Vienne, photo droits réservés

L’embacle du Danube à la hauteur de Budapest pendant l’hiver 1939-1940, source Fortepan

Le fleuve peut encore, pendant certains hivers rigoureux, en traversant des régions à climat continental, charrier des glaces qui provoquent alors des embâcles remontant vers l’amont à partir de rétrécissements situés entre les reliefs. Il n’était pas rare autrefois que le Bas-Danube soit également pris par les glaces pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois entre le port de Cernavodǎ et ses embouchures, bloquant ainsi tout trafic fluvial.

Principales crues historiques du Danube : 1342, 1501, 1572, 1598, 1670, 1736, 1768, 1776, 1785, 1786, 1787, 1789, 1799, 1830, 1838 (particulièrement terrible à Budapest), 1849, 1897, 1899, 1954, 1956, 1965, 1970, 2002, 2006, 2010, 2013.

Inondations à Vienne en 1830

Inondations à Budapest en 1838. Elles furent causées par l’accumulation de glace sur le Danube en plusieurs endroits au cours de l’hiver rigoureux qui avait précédé. Les raz-de-marée, déclenchés par la fonte de la glace en amont, formèrent d’énormes embâcles. Les masses d’eau et de glace qui tombaient  balayèrent la plaine inondable d’Esztergom jusqu’à la Dráva. Plus de 10 000 maisons s’effondrèrent dont plus de la moitié à Pest et Buda, 3 200 furent endommagées et 153 personnes perdirent la vie.

Principaux affluents :
   Le Danube reçoit au long de son cours plus de 300 affluents les plus divers,  plus ou moins importants parmi lesquels, d’amont en aval, l’Iller (rive droite, 147 km) au débit plus important que le Danube à son confluent avec celui-ci, le Lech (rive droite, 264 km), l’Isar (rive droite, 292 km), tous trois cours d’eau d’origine alpine, l’Inn (rive droite, 515 km), rivière fougueuse qui prend sa sources dans le massifs des Grisons (Suisse) et dont le débit serait également supérieur à celui du Danube à la hauteur de son confluent (Bavière),

La confluence de l’Inn (au second plan) avec le Danube à la hauteur de Passau, photo Danube-culture, © droits réservés

l’Enns (rive droite, 349 km), la Traun (rive droite, 153 km), deux  nouveaux affluents alpins, la Morava ou March (rive gauche, 329 km), la Leitha/Lajta/Litava (rive droite 180 km), la Váh/Waag (rive gauche, Waag, 378 km), le Hron ou Gran (rive gauche 298 km), l’Ipoly/Eipel (rive gauche, 232 km), la Drava/Drau (rive droite, 707 km), la Tisza/Tisa/Theiß (rive gauche, 970 km), la Sava/Save (rive droite, 940 km), le Timiș (rive gauche, 359 km), la Velika Morava (rive droite, 245 km), le Timok (rive gauche, 184 km), le Jiu (rive gauche, 331 km), l’Iskar/Искър (rive droite, 368 km), l’Olt (rive gauche, 670 km), la Yantra/Янтра (rive droite, 285 km), l’Argeş (rive gauche, 327 km), le Siret (rive gauche, 726 km) et le Prut/Prout (rive gauche, 967 km). Tous ces affluents prennent leurs sources dans l’un des trois massifs montagneux que le fleuve traverse : les Alpes, les Carpates et le Balkan.

Débit du fleuve et apport des principaux affluents, source : Commission du Danube

Le fleuve le plus international au monde !
10 pays se « partagent » aujourd’hui les rives du Danube ce qui en fait le fleuve le plus international au monde : d’amont en aval, Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie, Croatie, Serbie, Roumanie, Bulgarie, Moldavie, Ukraine. Outre ces dix pays que le fleuve traverse ou borde, son bassin versant englobe une partie du territoire de vingt autres (Italie, Suisse, République tchèque, Pologne, Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Kosovo, Monténégro, Albanie).
Toutefois le Danube est un fleuve du continent européen qui n’a aucune nationalité et qui n’appartient à aucun pays qu’il borde ou traverse. Il n’est ni allemand, ni autrichien, ni slovaque ou hongrois, croate, serbe, roumain, bulgare, ukrainien ou moldave. Le Danube est le Danube !

Le bassin versant danubien ou de la Suisse orientale à la Moldavie : un espace cohérent mais aussi source de tensions ?
Le bassin versant du Danube, qui occupe le vingt-cinquième rang mondial et qui représente une superficie totale de 817 000 km2 (805 000 km2 selon d’autres sources) soit environ un douzième du continent européen, englobe la totalité ou une partie de 19 (ou 20 avec le Monténégro) pays européens pour une population d’environ 83 millions d’habitants. Il s’étend à partir de 8° 09’ (sources de la Breg et de la Brigach) jusqu’au 29° 45’ de longitude est (delta sur la mer Noire). Les 20 pays composant son bassin sont la Moldavie, l’Ukraine, la Bulgarie, la République de Macédoine, l’Albanie, la Roumanie, la Serbie, la Hongrie, la Slovaquie, la Pologne, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Slovénie, l’Autriche, la Tchéquie, l’Italie, l’Allemagne et la Suisse.
Le point le plus méridional du bassin danubien se situe au 42° 05’ de latitude nord, à la source de son affluent de la rive droite l’Iskar dans le massif du Rila (Bulgarie), et son point le plus septentrional à 50° 15’ de latitude nord, à la source de la Morava (March, rive gauche) en République tchèque à la frontière tchéco-polonaise.
Selon sa structure géologique et géographique, le bassin versant du Danube peut-être divisé en trois sous bassins : Le Haut-Danube, le Moyen-Danube et le Bas-Danube que les Grecs de l’Antiquité appelaient « Ister ».
Un tiers du bassin danubien appartient aux grands massifs montagneux récents (Alpes, Carpates, Balkan, Alpes dinariques) et les deux autres tiers sont formés des montagnes moyennes de formation plus ancienne (Forêt-Noire, Jura souabe et franconien, Forêts de Bavière et de Bohême, Hauteurs tchéco-moraves, monts de Măcin), des plateaux (Dobroudja, Ludogorie, plateau moldave, Podolie) et de grandes plaines (plaine pannonienne ou Alföld, plaine roumano-bulgare).

Bassin-du-Danube

Bassin versant du Danube ; le fleuve au coeur d’un important et indispensable réseau hydrographique européen. Il manque sur cette carte l’Albanie et la Macédoine dont une infime partie de leur territoire appartient au bassin du Danube (source Wikipedia)

Le bassin du Danube avoisine à l’Ouest et au Nord-Ouest, près de ses deux sources, le bassin du Rhin, confine au Nord au bassin de la Weser, de l’Elbe, de l’Oder et de la Vistule, au Nord-Est au bassin du Dniestr et au Sud aux bassins versants des fleuves tributaires de la mer Adriatique et de la mer Égée.

Climat
En raison de sa forme allongé d’ouest en est et de la variété de son relief, le bassin versant du Danube reflète des conditions climatiques très diversifiées : influences océaniques (Haut-Danube), influences méditerranéennes dans les territoires traversés par deux de ses affluents, la Drava et la Sava (Haut et Moyen-Danube), climat continental aux hivers rigoureux dans les régions danubiennes orientales (Bas-Danube). Le climat est également tributaire de l’altitude et de l’exposition au vent ou non. Ensoleillement, nébulosité, régime des précipitations et des vents contribuent à complexifier le climat et sont à l’origine de nombreux microclimats sur les rives danubiennes.

Le Danube à la hauteur du Braunsberg (Hainburg, Autriche), photo © Danube-culture, droits réservés

Le Danube et les hommes : berceau des premières civilisations européennes
   On trouve sur les rives du Danube des témoignages de la présence humaine parmi les plus anciens du continent européen. Plusieurs représentations féminines et mythiques de la préhistoire dites Vénus , symbolisent le lien intime des hommes avec le fleuve dès le Paléolithique comme la Vénus de Hohle Fels découverte en 2008 non loin du Danube dans une grotte du Jura souabe, à proximité d’Ulm (Allemagne) qui a été sculptée dans de l’ivoire de mammouth et est datée d’env. 35 000-40 000 ans av. J.-C.

Venus de Hohle Fels, Jura souabe (Schwäbische alb)

Fany von Galgenberg, statuette en serpentine verte, retrouvée en 1988 à Strautzing, près de Krems, en  Wachau (Autriche), remonte quant à elle à de plus de 32 000 ans avant J.-C. La Vénus de Willendorf, mise à jour auparavant en Autriche également dans la région de la Wachau (1908), présente l’aspect d’une petite divinité fluviale en calcaire aux formes généreuses et appartient à l’époque glaciaire (entre 30 000 et 20 000 avant J.-C.).

Culture de Gârla Mare, âge du  Bronze, photo droits réservés

D’autres trésors archéologiques plus récents ont été retrouvés sur le site archéologique de Vinča (Serbie), lieu sur lequel les hommes s’étaient installés dès la première période du Néolithique moyen, époque qualifiée « d’âge d’or du genre humain » par le poète romain Ovide. Tout comme celui de Vinča, le site serbe encore plus ancien de Lepenski Vir (9500 – 6200 av. J.-C.) à la hauteur des défilés des Portes-de-Fer, témoigne également du haut degré de savoir-faire de ces premières civilisations danubiennes et européennes ainsi que de leur lien intime avec le fleuve.

Culture de Lepenski vir (Rive droite Serbie), tête de dieu poisson, photo droits réservés

Les premiers navigateurs dans le delta du Danube auraient été les Phéniciens suivis des Égyptiens. Ceux-ci pourraient, selon certaines sources, l’avoir dénommé « Triton » en référence au Nil. Les ressources des Carpates en minerais divers étaient vraisemblablement connues de ce peuple dès la XVIIIe dynastie des pharaons (1580-1350 avant J.-C.). Certains géographes grecs pensaient même que le chemin de l’Istros, nom attribué par les Grecs au Bas-Danube, était connu de Sesostris III (vers 1872-1854 avant J.-C.). Les marins grecs (VIIIe et VIIe siècles avant J.-C.) s’aventurent sur le Bas-Danube non seulement dans l’intention de découvrir de nouveaux territoires mais aussi de nouer des relations commerciales avec les populations autochtones. Les armées du souverain perse Darius Ier (vers 550-486 av. J.C.) vont s’avancer dans la région du delta et du Bas-Danube mais elles sont obligées de battre en retraite devant les redoutables tributs nomades scythes, bien plus au fait de la géographie spécifique de ce territoire. Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) fait campagne contre les Gètes et les Triballes appartenant au peuple thrace en 335 av. J.-C. À partir de 500 av. J.-C., les premières tributs celtes, dont la langue pourrait être à l’origine du nom de Danube, s’installent au bord du fleuve. À l’époque de la conquête romaine les peuples indigènes de la région du Danube se partagent en quatre catégories plus ou moins distinctes : les Celtes au nord-ouest, les Illyriens (ouest), à l’est les Daces et les Thraces au nord et au sud.

Les six bouches du Danube sur une carte d’un atlas de 1508, sources Bibliothèque Nationale d’Autriche

Les conquêtes romaines orientales datent de l’apogée de l’empire (100-300 ap. J.-C.) et font de « Fluvius Danubius » une de ses principales frontières. Les légions y surveillent le fameux « Limes » (zone frontalière) avec ses camps fortifiés le long du fleuve qui protègent plus ou moins bien l’empire des tributs barbares qui n’hésitent pas si besoin, à traverser un fleuve qui n’est pas un obstacle quand celui-ci est gelé certains hivers ou en raison d’un lit peu profond et de la présence de nombreux gués et bancs de sable. Les flottes militaires romaines danubiennes (Ier-VIe siècles ap. J.-C) comme la Classis Flavia Moesica, (Ier-IIIsiècles ap. J-C) dans la zone du Bas-Danube ou la Classis Flavia Pannonica, basée sur le Moyen-Danube à Carnuntum (rive droite), en aval de Vindebona (Vienne) avec un détachement à Brigetio (Szőny), stationnent dans des ports près de camps militaires érigés sur les rives danubiennes et sur le littoral de la mer Noire. Ces flottes bien adaptées au contexte danubien, naviguent habilement et rapidement avec différents types de bateaux (liburnes) suivant les époques et les missions sur le Danube et certains de ses affluents comme la Drava et la Morava (March). La présence romaine atteint son apogée vers 300 ap. J.-C. Le fleuve, alors entièrement sous sa domination de ses sources jusqu’au delta, (les Romains sont probablement les seuls à l’avoir réussi de toute l’histoire humaine !), est devenu un axe commercial et de communication. Plusieurs empereurs romains furent des « adeptes » du Danube parmi lesquels Galère (vers 250-311), né en Dacie à Felix Romuliana (Gamzigrad, Serbie), Constantin Ier (vers 274-337), né en Illyrie à Naissus (Niš, Serbie), fondateur en 330 de l’Empire romain d’Orient et de Constantinople, la « Nouvelle Rome », bâtie sur le site grandiose de l’ancienne Byzance et qui se rendra à plusieurs reprises dans ses provinces danubiennes pour y répandre le christianisme qu’il a imposé comme religion officielle ou encore Marc Aurèle (121-180),  empereur et philosophe stoïcien mort à Vindebona (Vienne) dont une partie de ses « Pensées pour moi-même » (entre 170 et 180) a été rédigée sur les rives du fleuve près de Carnuntum, ville qui sera élevée au statut de capitale de la Pannonie supérieure par Trajan.

Marc Aurèle (121-180), photo droits réservés

Cette occupation romaine a laissé des traces indélébiles dans l’histoire de ces contrées. Le déclin de l’Empire romain bouleverse l’ordre établi, laissant une situation de plus plus instable et un territoire ouvert aux invasions et aux migrations de tributs nomades de l’Asie centrale et d’ailleurs. Les Bulgares envahissent la Dacie et fondent leur premier empire. Entretemps les Germains s’emparent de territoires situés sur le Haut-Danube. Passau tombe aux mains des Hermundures en 470. Succédant aux Huns d’Attila, redoutables cavaliers asiates, les Avars établissent leur domination sur le Moyen-Danube (500-800 ap. J.-C.), assujettissant les tributs germaniques et slaves qui occupent déjà ces contrées. La domination avare prend fin lors de l’avènement de Charlemagne et de l’Empire franc. L’établissement du Saint-Empire romain germanique permettra de stabiliser les frontières sur le Haut et le Moyen-Danube jusqu’à l’arrivée des Ottomans sur le territoire de la Hongrie qui disputent entretemps Belgrade aux Bulgares et aux Serbes.
Se sont ainsi implantées la plupart du temps de force sur les territoires des deux empires, romain et byzantin, de nombreuses tributs que le bassin danubien occidental séduisait : Goths (IIIe-Ve siècles), Gépides (IVe-Ve siècles), Huns (IVe-VIe siècles), Avars (VIe-VIIe siècles), Slaves (VIIe siècle), Magyars (IXe siècle), Coumans (XIe-XIIIe siècles), Tatars (XIIIe siècle) et autres peuples venus souvent des steppes orientales et de contrées encore plus lointaines. Succèdent à Rome, l’Empire byzantins, de la fin du IVe jusqu’à la prise de Constantinople en 1453,  le premier (VIIe-Xesiècles) et le second empire bulgares (fin XII-XIVe siècles). De redoutables expéditions tataro-mongoles en provenance des steppes ukrainiennes viennent toutefois semer à plusieurs reprises la désolation dans ces contrées de l’Europe. Les trois premières croisades (fin XIe-XIIe siècles) suivent  la route du Danube jusqu’à Belgrade, certaines troupes descendant même le fleuve en bateau sur sa partie supérieure. L’Empire bulgare domine le Bas-Danube au XIIIe. Lui succèdent les principautés de Moldavie et de Valachie dans la deuxième moitié du XIIIe-XIVe siècle. Les Ottomans vont alors faire alors leurs premières apparitions et s’implanter dans les Balkans peu à peu dès le milieu du XIVe, profitant des divisions entre les empires byzantin, bulgare et la Serbie pour étendre leurs conquêtes. Le sultan Mehmed II dit « Le conquérant », met le siège devant Constantinople en 1453 et s’empare de la cité impériale. Manifestant des velléités de conquêtes européennes pendant trois siècles (XVe-XVIIe siècles), les Ottomans vont continuer à s’avancer peu à peu vers l’ouest annexant tout d’abord le Bas-Danube (Dobrogée, Valachie puis plus tard Moldavie et Bessarabie) et une grande partie du fleuve sous domination hongroise jusqu’au delà de Budapest, justifiant parfaitement l’appellation de « Danube ottoman ». Le règne de Soliman le Magnifique (1494-1566) qui bat les armées hongroises à Mohács sur le Danube en 1526, représente le point culminant de l’expansion ottomane en Europe.

Les armées ottomanes assiègent sans succès Vienne pour la deuxième et dernière fois en 1683, collection du Musée de la ville de Vienne

Ces Ottomans seront difficilement repoussés à deux reprises aux portes de Vienne qu’ils assiègent en 1529 et 1683, par des coalitions d’armées catholiques et alliées. Tout comme les Romains, les Ottomans (La Grande Porte) avaient bien compris les intérêts stratégiques et économiques de maîtriser la navigation sur le Danube et s’y sont employés avec un certain succès. Ils s’appuient pour leurs conquêtes (et pour leurs échanges commerciaux !) sur des embarcations inspirées de leur flotte maritime mais adaptées aux conditions particulières et complexes de la navigation danubienne et au combat, les tschaïques.

Ada-Kaleh dans les année soixante. Perle ottomane dont l’existence rappelait le souvenir de la longue présence turque sur le moyen et le bas-Danube. L’île a été engloutie en 1972 dans les eaux du lac du barrage roumano-yougoslave des Portes-de-Fer (Djerdap I). Photo droits réservés

L’Empire russe commence à entrer régulièrement en conflit avec son voisin ottoman (onze guerres opposeront ces deux empires entre 1568 et 1878) et profite dès le début du XIXe de sa fragilisation pour le harceler et s’installer en Bessarabie et dans le delta, une politique perçue comme une menace pour Vienne et les capitales de l’Europe occidentale. Il occupe ensuite provisoirement la Moldavie et la Valachie, alors principautés danubiennes sous domination turque dont il prétend vouloir protéger la population orthodoxe. Ces deux principautés retrouveront leur indépendance en 1878.
La situation sur le cours inférieur du fleuve et dans les régions riveraines reste instable, confuse et tributaire des nombreux affrontements qui s’y déroulent dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe : guerre de Crimée (1853-1856), guerres russo-turques danubiennes, guerres balkaniques (1912-1913), Première Guerre mondiale. Des alliances se font et se défont au gré des ententes et des mésententes, des trahisons, des gouvernements et des opportunités intéressées.

Le passage du Danube en juin 1877 par les armées russes, peinture de Nicolai Dimitriev-Orenburgski (1837-1898), 1883

Le Traité de Paris (1856) qui met fin à la guerre de Crimée, décrète également la liberté de navigation pour les bateaux de tous les États sans obligation de redevance des nations riveraines. Une Commission Européenne du Danube voit le jour. Elle sert en grande partie les intérêts des pays d’Europe de l’Ouest qui en sont membres et qui la dominent. Elle est d’abord chargée de la gestion du secteur de navigation entre Galaţi (PK 150/ 81 Mille) et les embouchures puis de Brǎila (PK 170), en amont de Galaţi sur la rive gauche jusqu’à la mer Noire et de l’aménagement des bras de Sulina et de celui méridional de Saint-Georges. Elle cédera ultérieurement la place à une administration roumaine spécifique.

Le port de Sulina aménagé par la Commission Européenne du Danube au début du XXe siècle

La première guerre mondiale voient s’affronter sur le Danube même les flottes fluviales militaires et sur ses rives les armées de la Triple Entente (Russie, Royaume-uni et France) et de leurs alliés (Roumanie, Serbie) avec celles de la Triple Alliance (Autriche-Hongrie, Italie, Allemagne) à laquelle s’est joint la Bulgarie. La géographie des rives  et des frontières du Moyen et du Bas-Danube est bouleversée avec la défaite et la disparition de l’Empire austro-hongrois. De « nouvelles » nations font leurs apparitions ou réapparitions (Tchécoslovaquie, Yougoslavie…). Les frontières redessinées selon la volonté des vainqueurs vont s’avérer rapidement sources de conflits pour de nombreuses minorités séparées de leurs pays d’origine et contribueront à alimenter une volonté de reconquête des territoires perdus. De nombreuses grandes villes danubiennes et leurs installations portuaires, leurs zones industrielles, seront bombardées lors de la seconde guerre mondiale, les ponts détruits, en particulier à Budapest lors de la retraite des armées nazies, ce qui eut pour conséquence de stopper durablement toute navigation commerciale.

Le Danube pris par les glaces à Budapest et le pont des Chaines en 1945, photo Kádár Anna, Fortepan

De la frontière austro-tchécoslovaque jusqu’au delta, le fleuve sera sous surveillance et domination soviétiques de 1945 jusqu’en 1989. Une nouvelle commission internationale, la Commission du Danube, composée cette fois exclusivement des États riverains y compris l’Union soviétique mais sans l’Autriche et l’Allemagne qui la rejoindront ultérieurement, est mise en place suite à la Conférence et à la Convention de Belgrade (1948).
Le fleuve est le théâtre de violents affrontements lors de la guerre croato-serbe (1991-1995), comme en témoignent encore  certains bâtiments de la cité croate de Vukovar (rive droite). Le pont de Novi Sad (Voïvodine) sera bombardé et détruit par les avions de l’Otan au mois d’avril 1999 dans le cadre de la guerre entre la République fédérale de Yougoslavie et le Kosovo. Il est reconstruit entre 2003 et 2005 avec un financement à 95 % de l’Union Européenne et porte le nom de « Pont de la liberté ».
La rive gauche du bras du Bas-Danube roumano-ukrainien de Kilia est redevenue récemment le théâtre d’affrontements depuis le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Les installations portuaires des villes ukrainiennes d’Ismaïl et de Reni tout comme celles d’Odessa, sont bombardées par l’armée russe.
Longue est la liste des empires et des nations du bassin danubien qui connaissent d’abord une expansion puis un déclin, se replient sur leur territoire d’origine voire disparaissent pour certains d’entre eux. Aucun empire n’a échappé à cette loi impitoyable. Il y a là pour l’Europe d’aujourd’hui une édifiante leçon d’histoire à méditer.
Malgré les conflits récurrents et des situations politiques parfois instables, des volontés plus ou moins ouvertes d’annexion et de volonté d’hégémonie de la navigation sur le fleuve, le Danube est resté un axe sur lequel et le long duquel les échanges, les routes commerciales et culturelles se sont développées.

Axe Rhin-Main-Danube, corridor VII enjeu européen, sources Monde Diplomatique

L’Union européenne a fait du fleuve depuis 1997 un de ses neuf corridors prioritaires de transport multimodal au sein du marché unique européen, le corridor VII de transports paneuropéen ou corridor Rhin-Danube via le Main, un affluent du Rhin et le canal Rhin-Main-Danube. Il semblerait qu’aujourd’hui, du moins en ce qui concerne le Moyen et le Bas-Danube, les priorités d’aménagement et de transport se soient reportées bien plus sur les infrastructures routières (ponts, routes et autoroutes) que sur le fleuve lui-même, imparfaitement équipé en installations portuaires performantes. Le trafic fluvial sur cette partie de son cours stagne voire régresse alors que le transport des marchandises par camion a, quant à lui, littéralement explosé avec des conséquences environnementales préoccupantes. Des perspectives inédites d’échanges commerciaux et de modalité ont engendré la construction de nouveaux ponts sur le moyen et le bas-Danube comme ceux de Belgrade, Calafat-Vidin ou, plus récemment, celui de Brăila, dernier pont sur le fleuve avant la mer Noire et qui a été inauguré au début de l’été 2023 . Certaines liaisons par bac pourraient, par conséquence, disparaitre du paysage danubien à plus ou moins long terme.

Le nouveau pont suspendu sur le Danube de Brăila (Roumanie) inauguré en juin 2023, dernier pont sur le fleuve avant la mer Noire, photo droits réservés

Navigation
Le Danube est navigable sur 2655 km sous certaines conditions pour les petites unités, depuis Ulm (Bavière, Allemagne) jusqu’à la mer Noire et pour les grosses unités de Kelheim jusqu’à la mer Noire (bras de Sulina, Roumanie), soit sur une distance officielle de 2414, 72 km (sources Via Donau). 34 affluents et sous-affluents du Danube sont ou ont été navigables sur une une partie de leur cours parmi lesquels, d’amont en aval, l’Inn, la Salzach, la Traun, l’Enns, la Morava, la Vah, la Drava, la Tisza la Save, la Velika Morava le Timiş, la Bega, le Prut, le Siret portant théoriquement la totalité de la longueur navigable sur le Danube, ses affluents, sous-affluents et  canaux, à 8000 km !

Un bateau des services de la navigation slovaque en amont de Bratislava, photo © Danube-culture, droits réservés

Le régime de sa navigation est administré depuis Kelheim jusqu’à Sulina par la Convention de Belgrade de 1948 et deux protocoles additionnels de 1998 dont la mise en application est confiée à une commission internationale, la Commission du Danube qui siège à Budapest.

L’Amiral Lacaze, symbole de la présence française sur le Danube par le passé, vendu par la suite à la Bulgarie, sur la photo naviguant sous le nom de Filip Totü. Le remorqueur finira sa carrière à Ruse en 1984.

Les enjeux internationaux du fleuve : le long et difficile processus de la navigation commerciale
   Des échanges commerciaux se sont mis en place dès l’Antiquité. Des marins et des commerçants grecs fondent des comptoirs sur le Bas-Danube ou sur le littoral de la mer Noire comme Argamon (Orgame, VIIe siècle av. J.-C.) sur le cap Halmyris (Dolojman), Histria (VIe siècle avant J.-C.) surnommée la Pompéi roumaine, Tomis (Constanţa) ou Callatis (Mangalia). L’Empire romain, après ses victoires et ses conquêtes territoriales, assure pendant quelque temps la stabilité relative de ses frontières (Limes) grâce à la surveillance de la navigation sur le fleuve jusqu’à son delta avec ses deux flottes militaires en appui, la Classis Pannonica et la Classis Moesica composées de trirèmes et peut-être ultérieurement de liburnes et répartie sur plusieurs bases le long du fleuve et encourage le transport fluvial.

Deux

Deux bateaux militaires romains (des liburnes ?) sur le bas-Danube, détail du relief de la colonne de Trajan construite entre 107 et 113, tableau LVIII

Lui succède à partir de 330 et de la fondation de Constantinople un Empire byzantin qui connaîtra de nombreuses crises successives. La navigation sur le fleuve va être plus tard, jusqu’aux conquêtes ottomanes des rives du Danube aux mains des diverses entités politiques riveraines et de leurs représentants locaux plus ou moins officiels qui parfois s’émancipent de leur tutelle supérieure et imposent aux bateaux de commerce de nombreuses taxes prohibitives ou pratiquent le pillage. Sur le Haut-Danube autrichien, la navigation commerciale est soumise à des seigneurs locaux sans scrupules qui parfois entravent la navigation sur le fleuve à l’aide de lourdes chaines et s’emparent des marchandises transportées. L’Empire ottoman et l’Empire autrichien s’affrontent pour le partage du fleuve du XVIe au XVIIIe. La navigation commerciale (transport des céréales…) sur le Bas-Danube (Empire ottoman) au profit de Constantinople, durera jusqu’au dernier tiers du XIXe siècle malgré le long déclin de celui-ci.

Rudolf von Alt (1812-1905), À bord du steamer Maria-Anna de la DDSG, aquarelle, 1837

Le XIXe sera l’époque qui verra enfin la concrétisation de l’idée d’un statut international pour le fleuve. Cette idée inspirée de la révolution française, ne pourra se réaliser qu’en 1856 à cause en particulier d’un centralisme viennois obtus et protectionniste qui veut protéger les intérêts de la compagnie autrichienne D.D.S.G. ou « Première Compagnie Impériale et Royale avec privilège de Navigation à vapeur sur le Danube », fondée officiellement à Vienne en 1829, des nationalismes, des velléités d’indépendance qui vont désormais s’exprimer et agiter les peuples du bas-Danube ainsi que des guerres balkaniques et de Crimée.

Le 13 septembre 1837, le vapeur « Maria Anna » est l’objet sur le canal du Danube d’adieux enthousiastes lors de son départ pour un voyage d’essai en direction de Linz (Haute-Autriche). Après quatre journées difficiles vers l’amont, le bateau à aubes arrivera à Linz. Lithographie de Franz Wolf, 1837, collection du Wien Museum.

   La D.D.S.G. commence par assurer à partir de 1831 un service régulier de bateaux de passagers sur le trajet Vienne-Budapest. En 1837, elle étend son offre de Vienne à Linz. La « Bayerische-Würtembergische Dampfschiffahrts Gesellschaft » (Société bavaroise et wurtembergeoise de navigation à vapeur) inaugure en 1835 de son côté une liaison fluviale régulière entre Ratisbonne et Linz.

Le vapeur Louis Ier de la « Bayerische-Würtembergische Dampfschiffahrts Gesellschaft » (Société bavaroise et wurtembergeoise de navigation à vapeur)  le 16 octobre 1837 en aval du Pont de Pierre de Ratisbonne (Regensburg)

La navigation à vapeur danubienne va coexister encore jusqu’à la fin du siècle avec le transport des marchandises à bord de bateaux traditionnels à rames et avec une importante activité de flottage qui se prolongera jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale

Radeau de transport de bois sur le Danube à la hauteur de Budapest, 1930

Vers 1850 la D.D.S.G. transporte environ 10% de ses marchandises sur le trajet entre Linz et Vienne, 41% entre Vienne et Budapest, 35% entre Budapest et Orsowa et les 14% restants en aval des défilés des Portes-de-Fer. Des ports du Bas-Danube de Galaţi et de Brǎila que les bateaux de mer peuvent rejoindre, non parfois sans de grandes difficultés à cause de la barre à l’embouchure du fleuve, partent de nombreux navires, principalement chargés de céréales. En 1851, 666 bateaux sont à destination de Constantinople, 616 de l’Angleterre, 275 de Trieste et Venise, et 70  des ports de la Méditerranée occidentale dont Marseille.

Carte du cours du Danube depuis Ulm jusqu’à son embouchure dans la mer Noire, ou Guide de voyage à Constantinople, sur le Danube avec indication de tout ce qui a rapport à la navigation des Pyroscaphes sur cette route, 1837

Le Traité de Paris est signé le 18 mars 1856. En vertu de l’article 16 de celui-ci une première commission internationale voit le jour, la Commission Européenne du Danube qui est chargée des travaux d’aménagement « nécessaires, depuis Isaktcha (Isaccea, rive droite, mille 56,05), pour dégager les embouchures du Danube, ainsi que les parties de la mer y avoisinant, des sables et autres obstacles qui les obstruent, afin de mettre cette partie du fleuve et lesdites parties de la mer dans les meilleures conditions possibles de navigabilité pour tous les bateaux et favorisant l’exportation des ressources des pays du bas-Danube au profit de l’Europe occidentale et de la Turquie. » Le mandat de la C.E.D. dont le siège est à Galaţi, qui n’était initialement que de deux ans, sera étendu jusqu’à la fin des travaux puis il sera à nouveau prolongé à plusieurs reprises jusqu’en 1939, date à laquelle la C.E.D. transmet à la Roumanie la gestion des aménagements réalisés dans le delta du Danube.

Pavillon de la Commission Européenne du Danube

Une nouvelle convention est entretemps signée en 1921, après la première guerre mondiale pendant laquelle le Danube a lui-même été le théâtre d’affrontements tragiques. Une Commission Internationale du Danube (C.I.D.) est instituée, complémentaire de la Commission Européenne du Danube qui s’occupe du secteur Brăila-mer Noire. La C.I.D. prend en charge le fonctionnement de la navigation sur le reste du fleuve et des affluents correspondant. Elle est dissoute en 1940 à la conférence de Vienne, sous la pression des nazis. La navigation danubienne commerciale est quasiment totalement interrompue pendant la deuxième guerre mondiale.

Un des phares construits par la Commission Européenne du Danube à Sulina, aujourd’hui situé à plusieurs kilomètres du bord de la mer et transformé en musée de la C.E.D. Photo © Danube-culture, droits réservés

Une nouvelle commission internationale, la Commission du Danube dominée initialement par l’URSS et ses pays satellites, est établie à la suite de la Convention relative au régime de navigation sur le Danube, signée le 18 août 1948 à Belgrade. Elle a son siège à Budapest.
Ses compétences en terme de navigation s’exercent depuis cette date et s’étendent d’Ulm (Allemagne) jusqu’à Brǎila (Roumanie). Une administration roumaine du Bas-Danube, dit « Danube maritime », gère en complément, le secteur de Brǎila jusqu’à Sulina.

Navigation maritime sur le bras aménagé de Sulina, photo © Danube-culture, droits réservés

Les enjeux environnementaux du Danube : un fleuve régulé, canalisé sur une grande partie de son cours et une nature fragilisée

Les premiers tentatives de régulation du fleuve ont eu lieu dès l’époque romaine puis à la Renaissance (XVIe) mais c’est à partir de la fin du XVIIIe siècle que les grandes initiatives d’aménagement pour la navigation, la régulation du fleuve et la protection contre les inondations ont commencé. Elles vont s’amplifier et se poursuivre tout au long des deux siècles suivants avec pour conséquence, conjointement à l’industrialisation d’une partie des rives danubiennes, au développement économique et démographique des villes en particulier de Vienne, capitale de l’empire austro-hongrois et de Budapest, puis à la construction de nombreux et grands barrages à partir du milieu du XXe siècle sur les cours allemands et autrichiens du fleuve mais aussi plus récemment en Slovaquie (Gabčikovo) et en aval, à la hauteur des Portes-de-Fer (Djerdap I et II), une modification considérable de son cours entraînant la disparition, à quelques miraculeuses exceptions près, d’une grande partie des zones humides qui caractérisaient le fleuve dans ses parties hautes et moyennes tout comme une sévère réduction des habitats naturels et de son exceptionnelle biodiversité, la disparition ou la raréfaction préoccupante de certaines espèces de poissons dont l’emblématique esturgeon sur le Moyen et le Bas-Danube, victime à la fois d’une pêche incontrôlée et de braconnage et des obstacles obstruants ses routes migratoires. Le Danube est aujourd’hui le symbole des problématiques transfrontalières environnementales du continent européen auxquelles de nombreuses initiatives, pas toujours cohérentes, tentent de trouver une réponse durable. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine pourrait également, dans un proche avenir, engendrer des conséquences néfastes importantes pour la zone septentrionale du delta du Danube voire au-delà (destruction de sites naturels, bombardement des villes ukrainiennes riveraines du bras de Chilia, pollutions diverses…).

Un « produit » de l’histoire humaine
Le Danube a été et est aujourd’hui, à l’image d’autres cours d’eau européens, considérablement impacté par la présence des hommes sur ses rives. Plus de 80% de la longueur du fleuve ont ainsi été aménagés et sévèrement régulés. Plus de 700 barrages et déversoirs ont aussi été édifiés le long de ses principaux affluents. Son cours a été raccourci de 134 km et sa largeur a été réduite jusqu’à 40% depuis le milieu du XIXe siècle. Certains de ses principaux affluents ont également, tel la Tisza ou la Drava, subi le même sort. Pendant cette même période la quantité de sédiments qui se dépose dans le delta du Danube s’est aussi effondrée, diminuant de plus de la moitié et provoquant des mutations irréversibles. Le réchauffement climatique impacte déjà également le débit du fleuve avec des conséquences considérables pour la navigation ainsi que pour la biodiversité malgré des efforts conséquents mais insuffisants de protection et de renaturation sur plusieurs endroits de son cours (Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie).
Ces chiffres illustrent à quel point les hommes ont métamorphosé le profil du fleuve avec la construction de barrages puis de centrales hydroélectriques, d’ouvrages de rectification du cours, de coupures de méandres, d’initiatives de protection contre les inondations et d’autres aménagements. Mais où est donc le Danube d’antan ?

Le barrage roumano-serbe Djerdap I, dans les Portes-de-Fer, a certes considérablement amélioré la navigation dans cette partie du fleuve autrefois problématique et offert une énergie hydraulique abondante. Ce fut toutefois au détriment d’un patrimoine culturel (disparition de l’île turque d’Adah-Kaleh) et environnemental d’exception et une des causes de la disparition des esturgeons en amont, photo © Danube-culture, droits réservés

Ce n’est que depuis les 30 dernières années que des efforts pour inverser la tendance et tenter de restaurer ou de préserver les espaces naturels ceux-ci ont été entrepris. Parmi les organismes les plus actifs, l’ICPDR/IKSD (The International Commission for the Protection of the Danube River, Commission Internationale pour la Protection du Danube) est une organisation internationale composée de 14 États coopérants et de l’Union Européenne. Issue de la Convention sur la protection du Danube, signée par les pays du Danube en 1994 à Sofia (Bulgarie), elle est active à partir de 1998. L’ICPDR est depuis devenu, malgré un manque de moyens, l’un des organismes internationaux les plus importants et les plus dynamiques en matière de gestion des bassins hydrographiques en Europe. Elle s’occupe non seulement du Danube lui-même, mais aussi de l’ensemble du bassin du fleuve, qui comprend ses affluents ainsi que ses ressources en eau souterraine.
   D’autre part une plate-forme scientifique internationale rassemble désormais les plus importantes réserves naturelles danubiennes de biosphère dont celle du delta et les principaux parcs nationaux de 9 des 10 pays riverains du fleuve (Ukraine exceptées). Scientifiques et chercheurs collaborent, dans le cadre d’initiatives transfrontalières, à l’étude et à la protection de l’environnement et mettent en place des projets pour la reconstitution de milieux naturels danubiens endommagés par l’homme.
Des actions en faveur de la biodiversité sont aussi initiées par des organismes internationaux comme le repeuplement du delta et du Bas-Danube roumain, bulgare et ukrainien par les esturgeons, une espèce menacée d’extinction ainsi que par des associations locales de protection de l’environnement. Mais de nombreux dangers et difficultés subsistent.


Le Danube, tout comme comme le Rhin et le Rhône, est désormais un produit de l’histoire humaine. Ce ne sont pas seulement les hommes qui se sont adaptés au fleuve mais aussi celui-ci qui a été considérablement transformé par l’action des hommes.

Le devenir du Danube d’ici à la fin du XXIe siècle : du berceau de la civilisation à son tombeau  ?
   Quel pourrait être le devenir du Danube comme celui d’autres grand fleuves européens (Rhin, Loire, Rhône, Elbe, Oder, Èbre, Pô…) du point de vue du réchauffement climatique ?
Le Danube et ses principaux affluents, pour certains encore largement pollués, fut longtemps soumis aux errances environnementales de l’ère industrielle. Il demeure par conséquent demeure un écosystème d’une très grande fragilité qu’il faudrait protéger avec une vigilance accrue, une collaboration internationale de plus grande envergure et une réelle cohérence dans des politiques européennes incompréhensibles qui détruisent son patrimoine environnemental d’un côté en tentant de le préserver de l’autre. Donner au fleuve un statut de personnalité juridique à l’instar d’autres fleuves dans le monde, pourrait améliorer la situation car de graves menaces pèsent incontestablement sur le fleuve : la baisse des précipitations, la baisse de l’apport des glaciers du fait de leur régression voire pour certains de leur disparition via les affluents alpins du Haut-Danube comme l’Inn, le Lech, l’Isar, la Traun…, impacteront considérablement le fleuve et son débit. À cela s’ajouteront l’augmentation des périodes d’étiages (quid alors de la navigation commerciale et touristique ?), des phénomènes d’évaporation et de réchauffement de l’eau du fleuve. Qu’en sera-t-il également des périodes de crue qui n’ont cessé de se répéter jusqu’à récemment et de leur évolution ?
On ne peut par conséquent que s’interroger sur le devenir du fleuve et s’inquiéter de son évolution face à la rapidité du changement climatique et des conséquences sur ce cours d’eau, ses affluents, son bassin versant, sa biodiversité et les populations riveraines. La sagesse voudrait donc que nous n’accroissions pas notre dépendance vis-à-vis du Danube voire même que nous la réduisions dès aujourd’hui.

Retour aux sources, parc du château des princes Furstenberg, Donaueschingen, photo © Danube-culture, Droits réservés

Un fleuve et un bassin multiculturels
   « Ce qui rend le Danube, avec ses pays et ses habitants, si attrayant, c’est justement la diversité qui s’est déployée sur un espace restreint : ni une nature intacte, ni une culture uniformément formatée. L’espace Danubien présente toujours à la fois une grande variété de nationalités, de religions, de langues, de niveaux différents de développement économique, de traditions qui ne se sont pas perdues et de nouveaux projets qui sont expérimentés ».
Karl Markus Gauss, « Ein Donauausflug von A bis Z », in : Die Donau hinab. Bilder von Christian Thanhäuser, Text von Karl markus Gauss, Innsbruck — Wien 2009

Le bassin danubien se caractérise d’abord et ce depuis l’antiquité, comme un territoire de nombreuses migrations et invasions, un espace habité en conséquence par des populations d’une très grande diversité ethnique ainsi que par la présence d’un magnifique patrimoine naturel et multiculturel.
De nombreuses langues sont parlées sur les rives du fleuve parmi lesquelles l’allemand, le slovaque, le hongrois, le serbo-croate, le roumain, le bulgare, le moldave, l’ukrainien, le russe, l’hébreu, le romani, le turc, le tchèque, le ruthène… Des centaines de dialectes locaux et régionaux symbolisent également l’extraordinaire et complexe mosaïque linguistique et culturelle du bassin danubien.
Plusieurs alphabets, latin, arabe, vieux-slavon et cyrillique cohabitent où cohabitèrent ensemble sur les rives du fleuve où à proximité.

Le Danube à Vienne depuis la rive gauche : un fleuve domestiqué et aménagé pour les loisirs, photo © Danube-culture droits réservés

Quatre capitales dont trois de pays appartenant actuellement à l’Union Européenne ont « fenêtre » sur le Danube : Vienne (Autriche), Bratislava (Slovaquie), Budapest (Hongrie) et Belgrade (Serbie).

La basilique archiépiscopale saint Adalbert d’Esztergom (rive droite, Hongrie), ville thermale au passé prestigieux, ancienne capitale hongroise, photo © Danube-culture, droits réservés

De nombreuses grandes villes et petites cités au patrimoine historique et culturel d’exception se tiennent sur les rives du fleuve ou proches d’elles ou encore sur son ancien cours et toujours en lien avec lui parmi lesquelles Donaueschingen considérée comme la source officielle du Danube, Ulm, Günzburg, Lauingen, Höchstadt, Donauwörth, Neuburg, Ingolstadt, Kelheim,  Regensburg, Straubing, Vilshofen, Passau (Allemagne), Aschach, Linz,

Le Danube à la hauteur de Linz, capitale de la Haute-Autriche, photo © Danube-culture, droits réservés

Enns, Grein, Ybbs, Persenbeug, Spitz, Melk, Dürnstein, Krems, Klosterneuburg, Tulln, Vienne, Hainburg (Autriche), Bratislava, Gabčikovo, Komárno, Šturovo (Slovaquie), Komárom, Esztergom, Szentendre, Budapest, Ráckeve, Dunaújváros, Dunaföldvár, Kalocsa, Szekszárd, Baja, Mohács (Hongrie), Apatin, Vukovar (Croatie), Novi Sad, surnommée « l’Athènes serbe », Belgrade, Kladovo (Serbie), Orşova, Drobeta-Turnu Severin, Brăila, Galaţi, Tulcea, Sulina (Roumanie), Vidin, Ruse, Tutrakan, Silistra (Bulgarie), Reni, Ismaïl, Vilkovo (Ukraine) pour ne citer que quelques-unes d’entre elles.

Le bastion des pêcheurs d’Ulm (rive gauche) sur le Haut-Danube, point de départ de nombreux d’émigrants souabes au XVIIIe siècle, photo © Danube-culture, droits réservés

Le delta du Danube ou l’apothéose du fleuve : un univers peuplé depuis l’Antiquité, un monde à part, une histoire singulière, une biodiversité extraordinaire, un espace menacé à sanctuariser

Ancienne carte du delta du Danube de Rigas Vélestinlis (vers 1757-1798) ou Rigas le Thessalien, écrivain, philosophe, poète et patriote grec, une des plus importantes figures de la Renaissance culture grecque. Arrêté et accusé de conspiration contre l’Empire ottoman, il fut étranglé dans la tour Nebojša à Belgrade avec sept de ses compagnons et son corps jeté dans le Danube.

« Le delta du Danube est l’ultime et le plus extraordinaire cadeau que le grand fleuve fasse au continent avant que ses flots ne s’unissent à ceux de la mer Noire. »
Eugen Panighiant 

   Le delta1 (le mot vient de la lettre grecque delta qui signifie « en forme de triangle ») du Danube qui est précisément, comme de nombreux deltas, en forme de triangle, est l’un des plus jeunes et des plus actifs écosystèmes du continent européen.
Les trois bras actuels principaux du fleuve et une multitude de bras secondaires irriguent aujourd’hui le territoire deltaïque : le bras septentrional roumano-ukrainien de Chilia (Kilia, 116 km de long), le bras médian dit de Sulina (63 km) qui draine l’essentel de la navigation depuis son aménagezment par la Commission Européenne du Danube et le bras méridional de Saint-Georges, (Sfântu Gheorghe, 109 km), forment, avant de se « jeter » dans la mer Noire (la déclivité du delta d’ouest en est n’est que de 0,006% !), un exceptionnel territoire alluvionnaire en constante progression vers la mer. Sa superficie s’étend sur 580 700 ha dont 459 000 ha se situent en Roumanie et 121 700 en Ukraine. Ces chiffres doivent être toutefois considérés comme une situation à une date donnée (1993) car de par ses importants apports alluvionnaires, le fleuve contribue à étendre la surface de son delta et à en modifier la géographie. Cette géographie mouvante entraîne des contestations des frontières établies comme l’a illustré un différent récent entre l’Ukraine et la Roumanie.
Ses processus géomorphologiques, écologiques, biologiques sont dépendants de la qualité de l’eau du Bas-Danube. Ce paysage unique qui n’a cessé d’être modelé par le fleuve dès 16 000 ans avant J.-C., est habité par les hommes depuis l’Antiquité. 

Le Pélican, oiseau emblématique du delta du Danube a bien failli disparaître. Aujourd’hui pélicans blancs et frisés sont protégés mais leur nombre a considérablement diminué depuis le début du XXe siècle, photo droits réservés

   Le delta du Danube, avec son dense réseau de canaux qui relie plus d’une centaine de lacs et de limans peu profonds (6 m maximum), est d’abord considéré comme « le royaume de l’eau ».

Pêche dans le delta sur le bras de Sfântu Gheorghe (Saint-Georges), photo © Danube-culture, droits réservés

   Ce territoire à 80 % aquatique fascine les scientifiques et les historiens depuis longtemps. On trouve déjà sa mention dans les oeuvres de nombreux écrivains, historiens, philosophes, géographes de l’Antiquité comme Hérodote, Erasthotène (176-194 av. J.-C.), Strabon, Ptolémée, Pline l’ancien, Tacite…

Une lotca, symbole du delta, photo © Danube-culture, droits réservés

   Les premières investigations géomorphologiques connues, sont celle du grand géographe français Élysée Reclus (1830-1905) puis l’oeuvre de scientifiques roumains comme Grigore Antipa (1867-1944) en 1912 et 1914, Constantin Brătescu (1882-1945) en 1922, Gheorghe Vâlsan (1885-1935) et d’autres chercheurs roumains après la Seconde Guerre mondiale, recherches souvent associées à des programmes d’exploitation des ressources du delta comme la faune piscicole, les roseaux…
   La première réserve naturelle dans le delta est créée grâce aux efforts de Grigore Antipa et de quelques autres scientifiques et concerne la forêt primaire de Letea (1938).

Forêt primaire de Letea, delta du Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

   Les autres précurseurs scientifiques de la protection l’environnement qui alerteront sur la fragilité du écosystème deltaïque, dès la fin des années cinquante, verront leur travail et leurs articles censurés par le régime communiste. Il faut attendre la chute de cette dictature pour que soit que soit inaugurée la réserve de biosphère (1990), le site Ramsar et que le delta fasse l’objet d’un classement au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le delta du Danube, la surface couverte de roseaux (en marron), paradis des oiseaux et ses dépôts d’alluvions dans la mer Noire : un paysage en permanente évolution, photo prise le 26 février 2021 par le satellite Copernicus, European Union, Copernicus Sentinel-2 imagery

   Le delta du Danube est le second plus grand delta d’Europe après celui de la Volga. Riche de 1 700 espèces végétales, d’environ 3 450 espèces animales, de 400 lacs intérieurs et d’une roselière de 2 700 kilomètres carrés, ce territoire bénéficie depuis quelques années de programmes de « reconstruction écologique » et appartient désormais au réseau mondial des Réserves de Biosphère de l’Unesco. Sa protection est devenue transfrontalière dès 1998, la partie située sur le territoire ukrainien du delta, au nord, étant entrée dans la réserve de biosphère.

Réserve de biosphère du delta du Danube, sources ARBB

   Pour la seule Roumanie, 18 sites (soit 8 % de la surface du delta) sont classés en zones de « protection stricte ». Toute activité et présence humaine y sont en principe interdites. Dans les zones dites « tampons » (38,5 % du delta), les activités des habitants et le tourisme sont tolérés lorsqu’ils respectent l’environnement ce qui n’est pas toujours le cas pendant la période estivale. Enfin, 52,7 % du delta restent ouverts au développement économique mais sous le contrôle de l’administration chargée de la gestion de la réserve (ARBB). La partie roumaine du delta roumain est placée sous l’autorité administrative d’un gouverneur.

Delta du Danube, photo droits réservés

Au delà du delta la fin du Danube ?
Pas vraiment puisque les eaux du Danube, à l’instar de celles des autres grands fleuves de la mer Noire (Dniepr, Boug, Dniestr et Don), plus denses que ses propres eaux, poursuivent leur route sous-marine : un fort courant d’eau saumâtre situé à environ vingt-cinq mètres de profondeur et passant au large de Constanţa et des plages bulgares, avance vers le détroit des Dardanelles et la Méditerranée. Un canyon principal et des canyons secondaires dessinés par le fleuve sur le fond de la mer Noire et les courants sont visibles sur des photos satellites.
Le Danube est dans son essence, évidemment bien plus qu’un fleuve frontière, un rôle limité que n’a pourtant cessé de vouloir lui assigner l’homme depuis l’Antiquité avec plus ou moins de succès ou de conséquences désastreuses…

Danube_delta_Landsat_2000

Apothéose d’un fleuve : photo du delta du Danube prise par le satellite Landsat en 2000

Notes :
1 Le delta est une forme de relief littoral plus ou moins saillante vers le large et résultant de l’accumulation des matériaux apportés par un fleuve à son embouchure; la saillie peut n’être que relative, comme lorsque le delta occupe un fond de baie. L’avancée de la ligne de rivage est elle-même associée à une saillie des formes sous-marines construite par l’accumulation des matériaux en avant du relief émergé. Cette accumulation, en pente faible et limitée par un talus, constitue la plate- forme deltaïque. C’est l’ensemble des formes émergées (delta strico sensu ou plaine deltaïque) et des formes immergées qui constituent l’intégralité du relief deltaïque (Moore G.F. et Asquith D.G., 1971).

Eric Baude pour Danube-Culture, mis à jour septembre 2024, © droits réservés

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Étymologie du nom « Danube »

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« Et je dis en passant que les noms des rivières, étant ordinairement venus de la plus grande antiquité connue, marquent le mieux le vieux langage et les anciens habitants, c’est pourquoi ils mériteraient une recherche particulière ».
G.W. Leibniz (1746-1716)

« À toi sont soumis le Nil mystérieux,

Le Danube immense et le Tigre célère… »
Horace (Quintus Horatius Flaccus, 54 av. J.-C.-8 av. J. C.) , Odes, IV/14, à Auguste

   On trouve des éléments de l’étymologie du nom de ce fleuve dès le IIIe siècle dans les commentaires du moine érudit et archevêque grec Eustathius de Thessalonique (vers 1115-1195) de l’ouvrage de Dionysius (Dionysus Periegestes ou Denys d’Alexandrie, IIIe siècle ap. J.-C.), Description de la terre habitée  :
« Ce fleuve, que nous appelons aujourd’hui Danube, porte le nom de Danuvius dans les Inscriptions et Médailles antiques : mais il y a longtemps que cette manière d’orthographier n’est plus en usage, & à l’heure qu’il est, tout le monde écrit Danubius. Les Allemands disent communément Tona ou Donau les Hongrois, Donava, & les Turcs, Duna, mots qui signifient tous le Danube, et que chacun de ces peuples prononce selon le différent génie de sa langue. Une remarque plus essentielle que nous croyons devoir faire sur ce sujet, c’est que ce Fleuve est nommé tantôt Danubius, tantôt Ister, selon les différents Païs qu’il arrose. Mela, Ptolémée, Pline & surtout Strabon dont j’adopte volontiers le sentiment, parlent de la différence de ces noms. Il est en effet d’autant plus raisonnable de distinguer le Danube de l’Ister, qu’il y naturellement une grande différence entre le mouvement, la largeur & le cours de l’un & de l’autre. Le mouvement du Danube est souvent violent et rapide : mais au dessous de ses cataractes, où il prend le nom d’Ister, il coule plus lentement dans un large canal qui a moins de pente. Ces circonstances doivent suffire pour établir la différence entre l’Ister et le Danube… »
Le philosophe grec Aristote (384 ou 385-322 av. J.-C.) appelle le « fleuve natal » du nom d’Ister, l’historien grec Diodore de Sicile (vers 90-30 av. J-C) Danubius ou Danuvius tout comme César (100 ou 101-44 av. J.-C.), Ovide (43-17 ou 18 ap. J.-C.), poète qui connut l’exil au bord du Bas-Danube à Tomis où il meurt, Strabon (63-env. 25 av. J.-C.) et Pline le Jeune (61-env. 114 apr. J.-C.). Sur la Tabula Peutingeriana1 figure le nom de Danubius. Cicéron (106-43 av. J.-C.) le nomme quant à lui Histerus.
Salluste (86-35 av. J-C), historien romain, contemporain de César et de Cicéron, semble avoir été le premier à donner au fleuve les deux noms d’Ister et de Danuvius (Histoires, troisième livre).
   Étienne (Stephane) de Byzance (VIe siècle ap. J.-C.) et Eustathius de Thessalonique parlent des Scythes qui appellent le Bas-Danube Mataos « Le fleuve du bonheur. »
   D’autres sources dont le Dictionnaire étymologique de la langue serbe ou croate émettent l’hypothèse que Danubius tirerait son origine de la langue des Scythes qui s’établirent sur la partie méridionale du delta du fleuve et de la forme Danav. 

Carte du monde selon Hérodote et reconstituée par Louis Figuier (1864), collection Danube-culture. Le Danube apparaît ici sous le nom d’Ister sur la totalité de son cours et prends sa source près de la ville de Pyrène. Hérodote fait de l’Ister un fleuve celte qui traverse toute l’Europe.

Le fleuve portait également dans l’antiquité le nom d’Istros ou Histros qui pourrait être la forme grécisée du nom thrace du fleuve, déjà utilisée dès l’Âge de Bronze.
Dans une note (page 108) du chapitre « Le Danube jusqu’à la mer Noire, la source du Danube, son cours et sa vocation » de ses Souvenirs de voyages et d’études publiés en 1836, l’universitaire et écrivain français Marc Girardin dit Saint-Marc Girardin (1801-1873) cite un certain Vielmeyr (?) auteur d’un Donaureise qui « prétend que Donau en celtique veut dire « Deux fleuves », et que c’est de là que vient le nom de Danube ».
Velimir Vukmanović reprend de son côté dans son livre The Danube’s through the ages, l’hypothèse vraisemblable que ce nom proviendrait de la langue celte et du mot Danuv. Permutant les deux voyelles a et u, les Slaves adoptèrent la forme Dunav.
Avant les Celtes…
Le nom de Danube aurait pour origine, en transitant par l’appellation latine Danubius, un monde plus ancien encore, d’une racine indo-européenne (du sanskrit dhánvati ?) de laquelle pourraient également dériver d’autres noms de grands fleuves comme le Don ou le Dniepr. C’est cette racine ou ses dérivés que l’on retrouve un peu partout dans le monde dans de nombreux toponymes.
Serbes, Croates et Bulgares continuent de l’appeler ainsi soit Дунав /Dunav quand les Russes, les Ukrainiens, les Tchèques, les Slovaques et les Slovènes parlent de leur côté du Dunaj (on trouve parfois par erreur le nom au féminin) ou Дунай en alphabet cyrillique, les Hongrois de la Duna, Roumains et Moldaves de la Dunărea ou de la Dunare, les Italiens du Danubio, les Autrichiens et les Allemands de die (la) Donau (die Doana en dialecte autrichien), les Français et les Anglais, du Danube et les Turcs, autrefois familiers du fleuve et de ses rives, de (la ou le) Tuna.
   On trouve dans l’ouvrage de William Beattie, publié initialement en anglais sous le titre « The Danube, its history, scenery, and topography, illustrated from sketches by W.H. Bartlett ; engraved by J. Cousen, J.C. Bentley, R. Brandard », revu et adapté en français par H-L. Sazerac et publié  à Paris en 1849 par H. Mandeville, quelques propos plus ou moins fantaisistes sur l’étymologie du mot Donau  : « Les linguistes ne sont pas moins divisés sur la question de l’étymologie du nom de Danube, que les géographes sur celle de l’endroit où est son berceau. Ils ont été demander l’origine de ce nom à cinq ou six idiomes différents. Don ou Ton, dit l’un, est une racine commune aux Goths, Germains, Latins, et autres peuples : voilà pourquoi je la préfère. Daan (prononcez Dohn), réplique un autre, signifie en suédois, un bruit long et fort, et je m’y tiens. Un troisième s’écrie : Dœnning, en danois, s’applique au bruit et au mouvement des vagues. Le quatrième, qui fait d’un D un T, parce qu’il est né dans l’Helvétie ou sur les bords du Rhin, déclare que : donner, en allemand, exprime le tonnerre. Au, j’en conviens, ajoute un cinquième, dit à présent prairie ; mais anciennement, il doit, comme l’aa des Danois et des Suédois, avoir signifié une rivière ; d’où je conclue, continue notre savant, que Donau, le nom, le seul vrai nom du Danube, peut dire  : le fleuve bruyant, ou, si l’on veut, celui qui tonne à travers les prairies. »

James Robinson Planché (1796-1880), dramaturge, antiquaire et généalogiste britannique, dans son livre relatant son voyage de Ratisbonne à Vienne pendant l’automne 1827, tente de son côté de donner à ses lecteurs quelques explications sur l’étymologie du mot Danube :
« Les étymologistes se sont querellés autant sur le nom du Danube que les géographes sur sa source, dont certains prétendent qu’elle se trouve près du village de saint-Georges, et d’autres dans la cour du palais du prince de Fürstenberg, à Donaueschingen. Cette puissante rivière, la plus grande d’Europe, et la troisième en conséquence dans l’Ancien Monde, était connue des Romains sous le double nom de Danube et de Ister : « Ortus hie in Germanise jugis montes abnobae ex adverso Raurici Gallise oppidi multis ultra alpes millibus, ac per innumeras lapsus gentes Danubii nomine, immenso aquarum auctu et unde primum Illyricum alluit Ister appellatus, sexaginta amnibus receptis, medio ferme numero eorum navigabili, in Pontum vastis sex fluminibus evolvitur. »
Pline, Histoire Naturelle, livre 24.

Les anciens Allemands l’appelaient Done et Tona ; les Slovènes, Donava. Les Hongrois l’appellent Tanara, ou Donara, et les Turcs, Duna. Son appellation allemande la plus récente est Donau. Certains auteurs anciens font dériver ce nom de Deus Abnobius, ou Diana Abonbia, ou Abnopa, à qui un temple était dédié près de la source du fleuve. D’autres le déduisent de Thon, l’argile, et soutiennent qu’il devrait être écrit Thonau. D’autres encore trouveraient son origine dans les mots Ton, son, ou Donner, tonnerre ; et Reichard, en effet, donne ce dernier comme dérivation reçue. Breuninger, cependant, propose Tanne (sapin), et de façon assez spécieuse, la rivière qui prend sa source dans le Schwarzwald, dont c’est le caractère distinctif, et dont les rives sont couvertes de forêts du même arbre, tout au long de la quasi-totalité de la région. Le Danube est un fleuve qui prend sa source dans le Schwarzwald (Forêt-Noire), dont le sapin est le caractère distinctif, et dont les rives sont couvertes de forêts du même arbre sur presque tout son cours ; tandis que Nikolaï voudrait que nous le cherchions dans les mots celtiques Do, Na, qui signifient deux rivières, et qui peuvent s’appliquer soit à son double nom, « Binominem Istrum », soit aux deux sources qui se disputent la gloire de sa naissance. »
James Robinson Planché, « Ratisbon », in Descent of the Danube from Ratisbon to Vienna during the automn of 1827 with Anecdotes and Recollections, London, 1828, p. 3

Un peu plus tard, l’Anglais John Mac Grégor (1825-1892), un aventurier et sportif explore, dans les années 1860 les lacs et des cours d’eau européens  avec son canoë « Rob Roy ». Il traverse en provenance du Rhin la Forêt-Noire vers Donaueschingen et les sources du Danube, fleuve qu’il va alors descendre jusqu’à Ulm suscitant un étonnement enthousiaste de la part des riverains. John Mac Gregor cherche lui aussi à son tour à s’informer sur l’étymologie des noms Danube, Brigach et Breg : « Hilbert [?] dit que le nom « Danube » vient de Don et Düna (un fleuve). En celte, « Dune » signifie rivière et « don » « brun », tandis que « au » signifie en allemand « île »(comme en anglais « eyot »). Il semble que ces cours d’eau aient conservé des traces de leurs noms romains. Telle la Brigach, le ruisseau qui vient du nord, où se trouve Alt-Breisach, le « Mons Brisiacus » romain, un lieu toujours cité dans les annales des guerres, alors que Breg pourrait peut-être venir de « Brigantii », les gens du « Brigantus Lacus », l’actuel lac de Constance, où Bregenz est l’ancien « Brigantius ». Le Neckar s’appelait autrefois « Nicer », et la Forêt Noire,  « Hercynia Silva »…
John Mac Grégor conclue avec humour : « Maintenant que le lecteur a été suffisamment embrouillé en ce qui concerne la source du Danube ainsi que son nom, laissons le latin de côté et sautons gaiement dans notre canoë… »
John Mac Gregor (1825-1892), A thousand miles in the « Rob Roy » canoe on rivers and lakes of Europa, S. Low and Marston, London 1866

Qu’en dit de son côté l’écrivain Jules Verne, dans son roman humoristique et d’aventures Kéraban-le-têtu (1883), lui que le Danube intriguait et fascinait tant ?
« Il va sans dire que l’origine du nom du Danube, qui a donné lieu à nombre de contestations scientifiques, amena une discussion purement géographique entre le seigneur Kéraban et Van Mitten. Que les Grecs, au temps d’Hésiode, l’aient connu sous le nom d’Istor ou Histor ; que le nom de Danuvius ait été importé par les armées romaines, et que César, le premier, l’ait fait connaître sous ce nom ; que dans la langue des Thraces, il signifie « nuageux » ; qu’il vienne du celtique, du sanscrit, du zend ou du grec ; que le professeur Bupp ait raison, ou que le professeur Windishmann n’ait pas tort, lorsqu’ils disputent sur cette origine, ce fut le seigneur Kéraban qui, comme toujours, réduisit finalement son adversaire au silence, en faisant venir le mot Danube, du mot zend « asdanu », qui signifie : la rivière rapide. »
Jules Verne, Kéraban-le têtu, Éditions Pierre-Jules, Hetzel, Paris 1883

Jean Bart, dans son étude « La question du Danube et sa solution », publiée à Galaţi en 1920, mentionne le nom de « Fison » :
 »   Sur ce cours d’eau, nommé successivement Fison, Istros, Danubius, Dunarea et sur ses affluents, ont navigué avec leurs bâtiments de différentes formes les Phéniciens, Ioniens, Romains, Vénitiens et Génois… »

L’écrivain italien Claudio Magris, plus proche de nous, se penche aussi dans son livre Danube sur les nombreux noms du fleuve à travers les âges :
« Le fleuve a plusieurs noms. Chez divers peuples, Danube et Ister désignaient respectivement le cours supérieur et le cours inférieur, mais quelquefois aussi l’ensemble : Pline, Strabon et Ptolémée se demandaient où se terminait l’un et où commençait l’autre, peut-être en Illyrie ou bien aux Portes-de-Fer. Ce fleuve « bisnominis », comme le qualifiait Ovide, entraine la civilisation germanique, avec son rêve d’une odyssée de l’esprit qui rentre chez lui, vers l’orient, et la mène à d’autres civilisations, par un grand nombre de métissages au gré desquels son histoire connaît son apogée puis sa décadence. »
Enfin, dans le paragraphe consacré à l’étymologie du nom Danube dans l’article en anglais consacré au Danube de Wikipedia  « le Danube est un nom de fleuve de l’ancienne Europe dérivé du celtique « danu » ou « don » (deux dieux celtiques), lui-même dérivé du proto-indo-européen *deh₂nu. Parmi les autres noms de rivières européennes issus de la même racine, citons Dunaj, Dzvina/Daugava, Don, Donets, Dniepr, Dniestr, Dysna et Tana/Deatnu. En sanskrit rigvédique, dānu (दनु) signifie « fluide, goutte de rosée » et dānuja (दनु-ज) signifie « né de dānu » ou « né de gouttes de rosée ». En avestan, le même mot signifie « rivière ». Le mot finnois pour Danube est Tonava, qui est probablement dérivé du nom du fleuve en allemand, Donau. Son nom sami, Deatnu, signifie « Grande rivière ». Il est possible que dānu, en scythe comme en avestan, soit un mot générique pour « rivière » : Dniepr et Dniestr, de Danapris et Danastius, sont supposés continuer le scythe *dānu apara « fleuve lointain » et *dānu nazdya- « fleuve proche », respectivement.
En latin, le Danube était connu sous les noms de Danubius, Danuvius, Ister ou Hister. Le nom latin est masculin, comme tous les noms slaves, à l’exception du slovène (le nom du Rhin est également masculin en latin, dans la plupart des langues slaves, ainsi qu’en allemand). Le nom allemand Donau (allemand anciennement moderne Donaw, Tonaw, moyen haut allemand Tuonowe) est féminin, car il a été réinterprété comme contenant le suffixe -ouwe  » zone humide « .
Le roumain diffère des autres langues environnantes en désignant la rivière par un terme féminin, Dunărea. Cette forme n’a pas été héritée du latin, bien que le roumain soit une langue romane. Pour expliquer la perte du nom latin, les chercheurs qui supposent que le roumain s’est développé près de la grande rivière proposent que le nom roumain descende d’un hypothétique *Donaris thrace. La racine proto-indo-européenne de ce nom présumé est liée au mot iranien « don-« / »dan-« , tandis que le suffixe supposé -aris se retrouve dans l’ancien nom de la rivière Ialomița, Naparis, et dans la rivière Miliare non identifiée mentionnée par Jordanes dans sa Getica[10]. [Gábor Vékony estime que cette hypothèse n’est pas plausible, car les Grecs ont emprunté la forme Istros aux Thraces. Il propose que le nom roumain soit un emprunt à une langue turque (Cumane ou Petchenénègue).

Pour résumer…

Daibi, Nikola Vlah, archevêque d’Esztergóm
Danane, cité par l’Encyclopedia Britannica
Danav (Scythes)
Danaus, cité par l’Encyclopedia Britannica
Danby (Mandeville’s Travels, XIVe siècle)
Danister, Danuvius (De bello Gallico, Jules César)
Danoubius fluvius (Ptolémée)
Danouvios (Hérodote)
Danovius (Krieger, 791)2
Dānowyos, langue proto-celtique, fin du IIe millénaire avant J. C.
Danu (ou Dana). Dans la mythologie celtique la déesse Danu, également connue sous le nom de Dana, est l’ancienne mère de tous les dieux et du peuple celte. On pensait qu’elle était à la fois la déesse et le dieu originel, une divinité globale qui a donné naissance à tout et à tous. Elle est souvent associée aux eaux, à la terre, aux vents, à la fertilité et à la sagesse.
Il existe également dans la mythologie brâhmanique une divinité nommée « Danu » qui a engendré une race de géants, les « Danavas » et dans la mythologie hindoue, Danú est aussi une déesse dont le nom signifie « les eaux du ciel » ou jet d’eau ».
Danu désigne également une sous-ethnie birmane, probablement en lien avec la ville de Danubyu sur le fleuve Irrawaddy.
Danuaan, Égypte, vers 1194 av. J.-C., règne du Pharaon Ramses III,  (I. and And Skoljes, The Danubes’ names through ages, p 97)
Dānūb (دانوب, arabe, perse et Ourdou, langue de culture des Musulmans de l’Inde et langue aujourd’hui officielle du Pakistan
Danuba (דנובה, hébreu)
Danube (français, anglais)
Danubio ou Danubo (italien)
Danubis, Danubius (Sénèque)
Danubius (Tabula Peuntingeriana), Danubis, Danuvius, Danovius (Constantin le Grand, César)
Danubius flumen
Dânus (rivière en iranien)
Danuv, Danuvius (celte)
Danuvi (Petar Petrović)
Davovius, Danuviu, Danister (latin, cité par Strabon, Jules César, Tacite…)
Doana, dialecte de Basse-Autriche (Wachau)
Donava, pour les Hongrois selon Marsigli
Donau, Danaus (allemand)
Dônavis, Dunavi (Goths)
Donnaï (Tatares)
Donou fluvius (Krieger, 954)
Dounavis (langue grecque moderne)
Duna (hongrois)
Dunaj (tchèque, slovaque, slovène)
Дунай, (russe, ukrainien tchèque, slovène)
Duner  (דונער) ou Tin’e, ? (טינע, yiddish)
Dunābī, transcription selon J. C. Ducène du slave Dunav (J.C. Ducène, L’Europe et les géographes arabes du Moyen Age (IXe-XVe siècle), « La grande terre » et ses peuples, Conceptualisation d’un espace ethnique et politique, Paris, CNRS, 2018, p. 64)
Dunaies, le « porteur de nuages »
Dunărea, Dunare (roumain) : « Danube (pour les Romains : Danubius, Danuvius, pour les Grecs : Danuvis (Δάνουβις), Dunavis (Δούναβις)1, en v. sl. Dunavŭ, en gothique *Donawi, *Dunawi) a une longueur totale de 2860 km, dont sur le territoire de la Roumanie 1075 km. Les formes mentionnées, quelle que soit la langue, renvoient à un radical dan-/don- signifiant « eau », « rivière », également présent dans le nom du Don, l’ancien nom du Nipro (Danapris) et du Nistru (Danastris) ainsi que dans le nom de la rivière de l’Océan Indien et de nombreux autres noms de la région du Caucase du Nord : Ghizeldon, Urs-Don, Hobi-Don, Ar-Don (Eremia, 1986 : 249 ; Frățilă, 2011 : 39-40). Dans les langues modernes, qui ont un contact avec la rivière, les formes ont été héritées : Dunav en bulgare, Dunaj en serbo-croate, Duna en hongrois, Donau en allemand. Le nom roumain, Danube, est différent de ceux-ci, parce qu’il est basé sur un hydronyme thrace *Donaris, du même thème, dan-, don- (Ivănescu, 1958 : 132), et le suffixe d’origine thrace -aris, existant, comme démontré par E. Petrovici, aussi dans les noms de deux autres fleuves en Dacie : Naparis et Miliare (Frățilă, 2011 : 40).
Oliviu & Nicolas Felecan « Straturi etimologice reflectate în hidronimia românească », Quaderns de Filologia: Estudis Lingüístics, XX: 251-269. 2015, pp. 254-255,  doi: 10.7203/qfilologia.20.7521
Notes : 
1 Le nom thrace du Danube, dans la partie inférieure Istros (Hister), d’un rad. *istr- « coulant rapidement », le même que dans le nom du Dniester (dans la République de Moldavie ; gr. Tiras (cf. Iran. turos « rapide », « rapide », de i-e *isro-, *sreu- « couler »). Le Dniestr était appelé en lat. Danaster, v. sl. Dŭněstru, Dněstru, Russian. Dnestr, et a une longueur de 1352 km. Étymologie : rad. Scytho-Sarmatique dan- (v. Iran. dana « rivière ») et le composant thrace *is(t)r- « fort courant d’eau ». Les Italiens, qui le connaissaient lorsqu’il se jetait dans la mer Noire, l’appelaient Tyrlo, et les Arabes et les peuples turcs, Tyrla, nom également transmis à la population de Bessarabie, comme le prouve l’expression « descendre la Turla » (Eremia, 1986 : 63).

Дунав, Dunav, Dunaw (serbo-croate, bulgare)
Dunaue, Le livre de la description des pays de Gilles le Bouvier, dit Berry, premier roi d’armes de Charles VII, roi de France, publié pour la première fois avec une introduction et des notes et suivi de l’Itinéraire brugeois, de la Table de Velletri et de plusieurs autres documents géographiques inédits ou mal connus du XVe siècle, recueillis et commentés par le Dr E.-T. Hamy, Éditions Ernest Leroux, Paris, 1908
« Puis y est le païs de Honguerie, qui est très grant royaulme tout plain se non du costé de Poulaine [Pologne] qui sont montaignes et vont les gens par les chemins par ce plain païs en charios. En ce royaulme a XVI cités dont la maistresse cité se nomme Bude où se tient le roy, et passe joignant de ceste cité la rivière de la Dunaue qui part des haultes montaignes d’Alc-
maigne de près d’une cité qu’on appelle Paso [Passau]. En ce royaulme a bon païs de toutes choses et bon marché.
Ces gens portent tous grandes barbes et sont ordes gens et vont souvent en pèlerinage à Rome en grant multitude plus que gens de nul païs du monde et en alent vendent moult de chevaulx par le païs des Venisiens, de Boulongne et de Tuscane. Leur païs fait souvent grant guerre aux Sarazins et ont petis arcs de corne et de nerfz et cranequins [arbalètes] de quoy ilz tirent et
ont bons chevaulx, et sont petitement armés et legièrement, et ne descendent point volontiers à pié pour combatre. Cellui qui est de present roy [J’ai déjà dit que ce personnage est Ladislas V le Posthume, fils posthume d’Albert V, né en 1439, mort en 1487, au moment où il allait épouser une fille de Charles VII, Marie de France] est roy de Honguerie, de Boemme [Bohême], de Crossie [Croatie] ,de Dalmacie, et duc d’Autriche, et marquis de Morave, et se tient en la cité de Vienne sur la Dunaue, qui est la plus grant cité des Alemaignes… »
Dunoe (Bertrandon de la Broquière, in « Voyage d’outre-mer et retour de Jérusalem en France par la voie de terre, pendant le cours des années 1432 et 1433« )
Fison (Jean Bart, « La question du Danube et sa solution », Galaţi, Stab. Grafic « Moldova », 1920)
Histerus (Ciceron, 106-43 av. J.-C.)
Histróm ou Histrium, cité par Ammianus Marcellinus, vers 330-vers 395, soldat et historien romain de l’Antiquité tardive dans ses Res Gestae, volume XX, p. 29)
Illyricis danuvil (latin, cité par Ausonius ou Ausone, poète romain du IVe siècle après J.-C.)
Istar, Istros (Thraces ?)
Ister, Hister (égyptien ?, grec, latin)
Istros (Ίστρος), Histros, Histri (grec, latin)
Mataos, cité par Dionysius Periegetes ou Denis le Périégète et Stéphane de Byzance à propos des Scythes
Okeanos, Okeanos Potamos (Argonautiques, Appolonios de Rhode, Hésiode, Théogonie)
Pishon (Phéniciens ?, New English Bible, Oxford, 1870, John Keats)
Soula (Proto-Bulgares ?)
Thonauwe (Krieger, 1410)
Thonaw ou Thonawstram, Chronique de Nuremberg d’Hartmann Schedel (1440-1593), feuillet CCLXXXVI, Nuremberg 1493
Thonow (Krieger, 1497)
Thonów (Krieger, 1456)
Thunaw (Krieger, 1472)
Thúnow (Krieger, 1496)
Thůnowe (Krieger, 1438)
Tuonowe (Moyen haut-allemand)
Tona, pour les Allemands selon Marsigli (1658-1730)
Tonava (finnois)
Tonaw (Sebastian Franck, Weltbuch: spiegel und bildtnis des gantzen Erdtbodens, 1542)
Tonays fluvius
Tonow (Krieger, 1472)
Tonów (Krieger, 1447)
Tonowe (Krieger, 1467)
To(u)now (Krieger, 1433)
Triton, nom possible donné en référence au Nil par les Égyptiens qui après les Phéniciens auraient navigué dans le delta du Danube et peut-être au-delà.
Tuenaw
Tuna, langue turco-ottomane, cité au XVIIe siècle par le géographe Katib Çelebi dans les manuscrits de sa Cosmographie (Kitāb-i-Ğihānnümā)
Tunaw (Krieger, 1460)
Tůnów (Krieger, 1489)
Tůno(u)w (Krieger, 1388)

De nombreux toponympes de petites villes, villages, lieux-dits, quartiers de villes du bassin danubien, la plupart du temps pour des raisons de proximité géographique avec le fleuve voire bien au-delà jusqu’au Nigéria, en Nouvelle-Guinée et sur le continent asiatique, ont également intégré la racine indo-européenne Duna/Danu. En voici quelques exemples : Donaualtheim,  Donaueschingen, Donaurieden, Donaustauf, Donaustetten, Donauwetzdorf,  Donauwörth (Allemagne) Donaudorf, (Tůnawdorf, Tuenawdorf, Thunawdorf, Donadorf, commune d’Ybbs/Donau, Basse-Autriche, rive droite), Donaudorf (Daunadorf, Thonawdorff, Thaunedorf, commune de Gedersdorf, autrefois rattaché au village de Theiss, Basse-Autriche, rive gauche), Herrschaft Donaudorf (ancienne seigneurie de Donaudorf, Archiduché d’Autriche en dessous de l’Enns, aujourd’hui la Basse-Autriche, rive droite), Dunabogdány, Dunacséb, Dunafüred, Dunaharaszti Rév, Dunairév, Dunakesz, Dunakisvarsány, Dunakomlod, Dunaorbágy (Ieselniţa, Roumanie), Dunapartdulo, Dunapataj, Duna-Pentele, Dunaradvány, Dunaszekcső, Dunaszentilona (Sfînta Elena, Roumanie), Dunaszentmiklós Dunaújfalu, Dunaújváros, Dunavecse (Hongrie), Dunabökény (Mladenovo), Dunadombó (Dubovac) Dunagálos (Gložan), Dunagárdony (Gardonovci), Dunavac (Serbie), Dunacsún (Čunovo), Dunahidas (Moc na Ostrově), Dunajánosháza (Janovce), Dunájó (Dunajov),  Dunajská Lužna, Dunajská Moč, Dunajská Nová Ves, Dunajská Středa, Dunajské Radvaň, Dunajský Klatov, Dunakiliti, Dunakišfalud (Ořechová Potoň), Dunajov, Dunamelleki Majer, Dunamoč (Dunamocs, Moča), Dunasáp (Nová Dědinka), Dunaszerdahely, Duna-Szerdahely, Dunatorony (Tuřeň), Dunatőkéš (Jahodná), Dunatölgyes (Dubova, Roumanie), Dunaújfalu (Nová Dědinka), Duna-Újfalu, Duna-Vajka, Dunawitz (Slovaquie), Dunajki (Pologne), Dunavaţu de jos, Dunacesti (Roumanie), Dunavstvi (Bulgarie), Dunayev, Dunayevka, Dunaryanka (Ukraine), Dunave Krajnje (Croatie), Dunacev Kom (Bosnie et Herzégovine), Dunay (Biélorussie), Dunayevshchina, Dunayskiy (Russie), Dunas de Mira (Portugal), Dunans (Écosse), Dunali (Turquie), Dunaybah (Syrie), Dunayqilah (Soudan), Dunawa (Nigeria), Dunami (Nouvelle-Guinée), Dunach (Australie), Dunajski Lake (Canada), Duna-ye Bala (Dūnā-ye Bālā, Iran), Dunamplaya (Bolivie), Duna Jiwanwala, Dunna Mame Wala (Pakistan), Dunadahgak (Afghanistan), Danubyu, ville de Birmanie sur le fleuve Irrawaddy (2170 km), Dunancun, Dunao (Chine)…

Danubyu, bataille anglo-birmane de 1853 sur le fleuve Irrawady et ses rives

Il existe aussi un village ukrainien de la région de Lvív qui porte le nom de Дунаїв (Dunajów). Un village polonais de la Voïvodie de Mazovie, à environ une centaine de kilomètres  au nord-ouest de Varsovie, s’appelle, quant à lui, tout simplement Dunaj.
Le Dunajec est un cours d’eau polonais et un affluent de la Vistule d’une longueur de 247 km qui prend sa source dans les Tatra polonaises. Il dessine la frontière entre la Pologne et la Slovaquie sur une petite partie de son cours (27 km).

Quelques dérivés composés :

Donaudampfschifffahrtgesellschaft : Compagnie de transport par bateaux à vapeur sur le Danube, fondée à Vienne en 1829
Donauschule ou Donaustyl (École du Danube) : néologisme inventé à la fin du XIXe siècle pour définir une école de peinture de la Renaissance allemande de l’espace haut-danubien  dont les plus célèbres représentants sont Albrecht Altdorfer, Wolf Huber et Lucas Cranach l’ancien dans sa première période.
Donauraum : espace danubien
Donaumonarchie : monarchie danubienne, autrement dit la monarchie austro-hongroise (1867-1918
Danubius : revue culturelle viennoise sur la thématique danubienne publiée en 1885
Sodalitas Litteraria Danubiana : Société savante littéraire du Danube fondée au début du XVIe siècle en Hongrie puis active à Vienne par le poète et humaniste allemand Conrad Celtes (1459-1508).
La racine Duna se retrouve également dans plusieurs noms de rivières en Pologne et Ukraine comme le Dunajec (Dunajetz), une rivière de 247 km qui prend sa source dans les Tatras polonaises à la frontière avec la Slovaquie et qui conflue avec la Vistule (Wisła) en aval de Cracovie sur la rive droite, ou le Czarny Dunajec (48 km) qui appartient également au bassin de la Vistule.
Pour la petite histoire le mot le plus long jamais composé en allemand (80 lettres) :
« Donaudampfschifffahrtselektrizitätenhauptbetriebswerkbauunterbeamtengesellschaft »

Vue de l’île Ada-Kaleh et du « Tuna » (en langue turco-ottomane), publiée par Adolph Kunike. peintre d’histoire et propriétaire d’un institut de lithographie à Vienne. Accompagné d’une description topographique, historique, ethnographique et pittoresque par le Dr Georg Carl Borromäus Rumy, professeur émérite de littérature classique, de philosophie et de sciences historiques. Vienne, aux frais de l’éditeur, imprimé chez Leopold Grund, 1826

Notes :
1 La « Tabula Peutingeriana » ou « Peutingeriana Tabula Itineraria », connue aussi sous le nom de « Carte des étapes de Castorius » ou de « Table Théodosienne », est une copie réalisée vers 1265 par des moines de Colmar, d’une carte romaine réalisée vers 350, elle-même probablement la copie remise à jour d’une grande carte du monde peinte sur le portique d’Agrippa à Rome vers 12 de notre ère, où figurent les routes et les villes principales de l’Empire romain. Sur les douze parchemins qui composaient la « Tabula Peutingeriana », onze ont pu. être conservés.  Pas moins de 555 villes et 3500 autres particularités géographiques sont indiquées, comme les phares et les sanctuaires importants, souvent illustrées d’une vignette.
2 Krieger, Albert: Topographisches Wörterbuch des Grossherzogtums Baden — Band 1, A – K, Nachdruck 2006 d. Ausg. Heidelberg 1904. Hrsg. von der Badischen Historischen Kommission. 2. durchgesehene und stark vermehrte Auflage. XXII, 645 S

Sources :
BÜSCHING, Anton Friedrich, Géographie universelle, traduite de l’allemand, Jean George Treuttel, libraire, Strasbourg, 1786
EREMIA, Anatol, « Hidronimia Basarabiei. Originea și semnificația numelor de râuri », Limba română XXIV(1), 2014

http://limbaromana.md/index.php?go=articole&n=2370
FELECAN, Oliviu & FELECAN, Nicolae. « Straturi etimologice reflectate în hidronimia românească », Quaderns de Filologia: Estudis Lingüístics, XX: 251-269, 2015
doi: 10.7203/qfilologia.20.7521
IVĂNESCU, G. « Origine pré-indo-européenne des noms du Danube », in Contributions linguistiques, București, pp. 125-137, 1958

KRIEGER, Albert, Topographisches Wörterbuch des Grossherzogtums Baden — Band 1, A – K, Nachdruck 2006 d. Ausg. Heidelberg 1904. Hrsg. von der Badischen Historischen Kommission. 2. durchgesehene und stark vermehrte Auflage. XXII, 645 S., p. 417
MAC GREGOR, John, Tausend Meilen im « Rob Roy Canoë, auf Flüssen un Seen Europas,  1865
MAGRIS, Claudio, Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1986
MARSIGLI, Luigi Ferdinando (1658-1730), Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie, Contenant des Observations géographiques, astronomiques, hydrographiques, historiques et physiques ; par  Mr. Le Comte Louis Ferd. de Marsigli, Membre de la Société Royale de Londres, & des Académies de Paris & de Montpellier ; Traduite du latin., [6 tomes], A La Haye, Chez Jean Swart, 1744
PLANCHÉ, James Robinson, Descent of the Danube from Ratisbon to Vienna during the automn of 1827 with Anecdotes and Recollections, London, 1828
POGHIRC, C., L’Hydronimie roumaine, Linguistique balkanique, XVII(3) : 35-63, 1974
SAINT MARC GIRARDIN, Souvenirs de voyages et d’études Paris, Amyot, rue de la paix, 1836
SKOKLJIEV, Antonije and Ivan, The mythological tourist guide along the the Danube, Don Vas, Belgrade, 2012

STANČÍK, Andrej, JOVANOVIČ, Slavoljub, Hydrology of the river Danube, Publishing House Príroda, Bratislava, 1988
TSAVARI, Isabella, La Description de la terre habitée de Denys d’Alexandrie ou la leçon de géographie, Albin Michel, Paris, 1990, traduction de Christian Jacob
VERNE, Jules, Kéraban-le-têtu, ‎Les Voyages Extraordinaires, Bibliothèque d’Éducation et de Récréation J. Hetzel et Cie, Imprimé par Gauthier-Villars, Paris, 1891
VUKMANOVIĆ, Velimir, The Danube’s through ages, Second edition, Prometej, Novi Sad, 2009
WILDNER, Dénes, Ortlexikon der ehemaligen Gebiete des historischen Ungarns, Band  I, Das Namenmaterial der Komitate im 20. Jahrhundert, Verlag Ungarisches Institut, Munich, 1996
WILDNER, Dénes, Ortlexikon der ehemaligen Gebiete des historischen Ungarns, Band  II. Register, Zusammengestellt von Összeállította Ralf Thomas Göllner, Verlag Ungarisches Institut, Munich, 1998
Varia :
Encyclopedia Britannica, « Danube » London, 1997
Galatzi, petit guide touristique, Éditions Méridiane, Bucarest, 1964

https://en.wikipedia.org › wiki › Danube
ro.wikipedia.org/wiki/hidronimia_romaniei
ro.wikipedia.org/wiki/lista_raurilor_din_romania

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour septembre 2024

Friedrich Hölderlin (1770-1843)

Mémorial de Friedrich Hölderlin à Lauffen sur le Neckar avec des extraits de son poème « Der Wanderer » (photo droits réservés)

   « Descendre le Danube, de la Forêt Noire  à la Mer Noire : voilà qui livre l’expérience de la direction, du courant vers « l’Orient »— tellement décisif pour Hölderlin : c’est sur ce chemin que les Grecs eux-mêmes sont nés d’une rencontre préhistorique entre ceux du nord-ouest et ceux qui sont les « fils du soleil », l’hymne La migration nous le dit ; ce concept hölderlinien est le concept de ce mouvement même. Cette figure, on la connaît, de façon abstraite ; notre culture n’est que la réponse toujours renouvelée à cette lumière venant de l’est, ex oriente lux, — Hölderlin chante cette Parole d’une « voix façonneuse d’hommes » qui par-delà les Alpes résonne en provenance de l’est : cette voix à laquelle les Héspériens [Allemands, Européens] devraient savoir répondre. Le cours du Danube, de l’Ister, en direction de l’Orient, évoque cette réponse. Mais, en même temps, la tendance inverse, de l’embouchure à la source, dans une correspondance singulière avec le souvenir du poète, en fait partie. C’est ainsi que l’on attire l’attention sur ce que l’on nomme le « Jeune Danube ».

Holger Schmid, « Hölderlin ; la parole et l’esprit du fleuve », in Annik Leroy, Danube-Hölderlin, Éditions La Part de l’OEil, Bruxelles 2002

« Le Danube, le seul fleuve de notre continent à relier tant de peuples aussi confusément mêlés ; il est le chemin qui relie l’Occident à L’Orient, un mythe autant qu’une réalité, une épopée vers la mer. »
Annik Leroy, « Vers la mer », in Danube-Hölderlin, Éditions La Part de l’OEil, Bruxelles 2002

Hoelderlin_1792

Friedrich Hölderlin en 1792, peinture de Franz-Karl Hiemer (1768-1822)

Johann Christian Friedrich Hölderlin (Lauffen an der Neckar, 1770-Tübingen, 1843)

   Son père, administrateur de biens, meurt alors qu’Hölderlin n’a que deux ans. Sa mère se remarie en 1774. Son mari, maire de la petite ville de Lauffen sur le Neckar (Bade-Wurtemberg) décède en 1779. Hölderlin intègre le séminaire protestant de Tübingen et se lie d’amitié avec les philosophes Georg Wilhem Friedrich Hegel (1770-1831) et Friedrich Wilhem Josef von Schelling (1875-1854).

Maison natale de F. Hölderlin à Lauffen sur le Neckar; dessin daté des années 1800

Encouragé par sa mère à devenir pasteur il préfère le métier de précepteur plus en phase avec ses préoccupations poétiques précoces.
Après un premier poste de précepteur à Waltershausen (Thuringe), obtenu grâce à Friedrich Schiller (1759-1805) qu’il a rencontré en 1793, Hölderlin occupe le même poste à Francfort chez un riche banquier, d’origine huguenote Jacques Frédéric Gontard. Il y retrouve ses amis Hegel, tout comme lui précepteur, et Schelling. Le poète tombe amoureux de Susette Gontard, femme du banquier, mère de ses élèves et écrit un roman épistolaire en prose Hypérion ou l’Ermite en Grèce1 (publié en 1797 et 1799) relatant l’histoire transposée de son amour pour Susette qui a pris le nom de Diotima dans son livre. Chassé vertement de la maison Gontard, Hölderlin trouve refuge dans la ville d’eau toute proche de (Bad) Homburg (Hesse) à l’invitation de son ami Isaac von Sinclair (1775-1815) où il reste de 1798 à 1800. Il continue  sa relation quelques temps avec Susette, correspond avec elle et travaille à son poème tragique en cinq actes Empédocle(les trois versions successives resteront inachevées et il se peut que d’autres textes aient été perdus) ainsi qu’à divers poèmes, essais et réflexions sur la poésie. Il reprend ensuite son métier de précepteur, séjourne 3 mois à Hauptwil en Suisse (canton de Thurgovie), retourne auprès de sa mère à Nürtlingen sur le Neckar et de là part à pied pour une longue route vers Bordeaux (Blanquefort) en décembre 1801. Il fait tout le trajet à pied, traversant une partie de l’Allemagne et de la France, faisant un détour par Lyon et le Massif central. Hölderlin loge dans la ville et travaille dans la maison du consul de Hamburg et marchand de vin Daniel Christoph Meyer qui l’accueille chaleureusement. A-t-il pris contact avec un cousin de Susette Gontard pendant son bref séjour ? « Chacun de ses nouveaux essais pour reprendre pied dans la vie est plus difficile, plus angoissé, plus bref ». De ce voyage et de ce séjour date l’admirable « Andenken » (« En souvenir de »).
Le séjour bordelais d’Hölderlin prend brutalement fin en mai. Le poète aurait-il su ou pressenti que sa Diotima était tombée malade et allait mourrir quelques semaines plus tard au mois de juin ? Son itinéraire retour est tout autant un mystère que son voyage aller. Lorsqu’il rentre en Allemagne, ses amis ne le reconnaissent pas. Schelling écrit : »La vue la plus triste que j’ai eu ici était celle de Hölderlin… ». Après son Allemagne, après les Hymnes, les Élégies, les Odes et toute une série de grands poèmes qui comptent parmi les plus beaux de la langue allemande (1801-1803), mais dont l’achèvement lui demande de plus en plus d’efforts ainsi que de remarquables traductions de Pindare et de tragédies de Sophocle (Antigone et Œdipe), Hölderlin séjourne à nouveau à Homburg près de son ami Sinclair. Mais l’aggravation de ses troubles mentaux l’oblige à être interné à la fin de l’été 1806 dans une clinique de Tübingen. La cure ne fera malheureusement qu’aggraver son état.
En 1807 le poète trouve un ultime refuge toujours à Tübingen chez le menuisier Ernst Zimmer. Il passera la seconde moitié de sa vie, écrivant encore quelques poèmes d’une facture très simple liés au cycle des saisons, signant ses écrits vers la fin de sa vie du pseudonyme de Scardanelli. Le poète est enterré au cimetière de Tübingen.
« De jeunes écrivains commencent à découvrir la grandeur de son lyrisme et à rassembler une partie de ses poèmes pour une édition dont il ne saura rien et qui paraîtra après sa mort. »

Hölderlin vers 1824, par JG Schreiner. Publié par Eduard Mörike dans le journal Freya.

C’est avec l’édition en 1914 de Norbert von Hellingrath (1888-1916) que l’oeuvre de Hölderlin trouve ses lecteurs ainsi qu’avec avec les interprétations du philosophe Martin Heidegger (1889-1976), qui en fait son poète de prédilection, peut-être également à cause d’une proximité géographique et d’une passion commune pour le « pays natal ». Le public français ne commencera à s’intéresser à l’oeuvre de Hölderlin qu’avec les premières traductions de Pierre-Jean Jouve et Pierre Klossowsky (1930) ainsi que du poète vaudois Gustave Roud (1942).
« Figure très noble et très pure de la poésie allemande, Hölderlin gagne sans doute à être lu en dépassant peu à peu les excès parfois contradictoires de ses principaux interprètes. »3

Notes :
1 un des Titans, fils d’Ouranos, frère de Poséidon

2 philosophe grec présocratique né à Agrigente en Sicile (vers 490-vers 430 av. J.-C.). Il est connu en dehors de ses œuvres, parce que la légende voudrait que, ou bien il se serait suicidé en se jetant dans l’Etna ou bien qu’il aurait disparu, sans proprement mourir
3 Philippe Jaccottet, D’une lyre à cinq cordes, « Notices bibliographiques, Johann Christian Friedrich Hölderlin », Gallimard, Paris, 1997

À la source du Danube (Am Quell der Donau)

 Car, de même que,  lorsque, tombant du splendidement accordé, de l’orgue dans la salle sainte,
Sourdant pur des inépuisables tuyaux,
Commence du matin le prélude éveilleur
Et que, loin alentour, de halle en halle
À présent, le rafraîchissant, le flot mélodieux, s’écoule, –
Jusqu’en ses ombres froides la maison
En est toute emplie d’enthousiasmes,
Mais à présent voici qu’est éveillé, à présent, que, montant à lui,
Soleil de la fête répond
Le choeur de la communauté : de même vint
La parole de l’est chez nous,
Et sur les rochers du Parnasse et sur le Cithéron1 j’entends,
O Asie, l’écho de toi venu, il se brise
Sur le Capitole et soudain du haut des Alpes

Vient une étrangère, elle,
Chez nous, l’éveilleuse,
La voix façonneuse d’hommes.
Là fut saisie d’une stupeur l’âme
Ceux qu’elle frappa, tous, et nuit
Ce fut souvent sur les yeux des meilleurs.
Car il est de beaucoup capable,
Et le flot et le roc ainsi que la force du feu
Il les dompte, l’homme, avec art,
Et se soucier, l’orgueilleux, du glaive,
Il ne le fait, mais il se voit
Par du divin, le fort, jeté à terre,

Et il ressemble presque à la bête sauvage ; laquelle,
Sous la poussée de la douce jeunesse,
Court sans répit les monts
Et sent sa propre force
Dans la chaleur de midi. Oui mais lorsque,
Entraînée en bas, dans les airs joueurs,
La lumière du soir, et avec le rayon attiédi
L’esprit de joie, vient vers
La terre heureuse, alors elle succombe, inaccoutumée
Au plus beau, et somnole un somme éveillé
Avant même qu’astre n’approche. De même aussi de nous.
De beaucoup en effet s’éteignit
La lumière des yeux avant même les dons envoyés par les dieux,

Dons amicaux qui d’Ionie à nous,
Aussi d’Arabie, vinrent, et contente
De l’enseignement de haut prix comme aussi des chants gracieux,
Jamais ne le fut l’âme de ces endormis,
Cependant quelques-uns veillaient. Et ils voyageaient souvent
Paisiblement parmi vous autres, ô citoyens de belles villes,
Aux Jeux, où, d’ordinaire, le héros
Etait secrètement assis près des poètes, contemplaient les lutteurs et, souriant,
Louait, lui le loué, les enfants au sérieux loisir.
Un amour incessant c’était et cela reste.
Et partis pour de bon, mais c’est pour ça que nous pensons
Les uns aux autres malgré tout, nous à vous, les joyeux, près de l’isthme
Et du Céphyse et du Taygète2,
Que nous pensons aussi à vous, les vallées du Caucase,
Si vieilles soyez-vous, paradis de là-bas,
Et à tes patriarches et tes prophètes,

Ô Asie, à tes forts, ô mère !
Qui , sans peur face aux signes du monde,
Avec le ciel sur les épaules et aussi le destin entier,
Au long du jour enraciné sur des montagnes,
Comprirent les premiers ça :
À parler seuls
À Dieu. A présent ils reposent. Mais alors que vous,
Et c’est cela qui est à dire,
Vous tous, anciens, vous ne disiez pas d’où ?
Nous te nommons, saintement forcés, te
Nommons, nous, Nature !, et neuf, comme du bain surgit
De toi tout ce qui est ne naissance divine.

Vrai, il en va de nous comme à peu près des orphelins ;
C’est bien comme jadis, mais finie cette douce tutelle ;
Tout est comme autrefois, mais cette affection, plus jamais ;
Jeunes gens, pourtant eux non plus, de l’enfance ayant souvenir,

Dans la maison ne sont des étrangers.
Ils vivent triplement, comme exactement comme aussi
Les premiers fils du ciel.
Et ce n’est pas pour rien que nous fut
En l’âme donnée la fidélité.
Ce n’est pas nous, c’est aussi ce qui est à vous qu’elle garde,
Et près des choses saintes, près des armes de la parole,
Qu’en partant vous, à plus maladroits, nous,
Vous les fils du destin, avez laissées derrière vous,

O esprits bons, là aussi vous êtes,
Souvent, quand la sainte nuée alors plane à l’entour de l’un,
Là nous nous étonnons et ne savons pas qu’en penser.
Mais vous nous relevez l’haleine de nectar
Et alors nous poussons des cris d’allégresse, souvent, ou encore nous saisit
Une rêverie, mais lorsque, de vous, l’un se voit trop aimé,
Il n’a de cesse d’être devenu l’un des vôtres.
C’est pourquoi, ô vous bienveillants ! Enlacez-moi légèrement,
Que je puisse rester, car beaucoup est encore à chanter,
Seulement ici prend fin, en pleurant de joie,
Comme une légende d’amour,
En moi le chant, et c’est ainsi également qu’il est
Qu’il est, avec rougeur, pâleur,
Dès le début venu. Mais il en va ainsi de Tout. »

« À la source du Danube », in Hölderlin, Hymnes et autres poèmes, traduits et présentés par Bernard Pautrat Rivages poche/Petite Bibliothèque, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2004, pp. 124-131

  L’Ister

Arrive, feu !
Avides sommes-nous,
De contempler le jour,
Et, une fois l’épreuve
Passée par les genoux,
L’on peut s’apercevoir des cris de la forêt.
Mais nous chantons, ici, depuis l’Indus,
Arrivés de loin, et
Depuis l’Alphée3, et nous avons longtemps
Cherché le convenable,
On ne peut pas sans ailes,
Accourir au plus près,
Tout droit
Et arriver sur l’autre bord.
Mais ici nous voulons bâtir.
Car des fleuves font labourable
Le pays. Oui, où poussent des herbes
Et où sur leurs rives viennent
Boire les bêtes en été,
Alors aussi viennent des hommes.

Mais celui-ci on le nomme l’Ister.
Belle est sa demeure. Y brûle des fûts le feuillage,
Il s’élève. Sauvages se dressent-
Ils, érigés en une mêlée ; au dessus,
Seconde mesure, fait saillie
Le dais de rochers. Aussi, surpris
Ne suis-je pas qu’il
Ait offert l’hospitalité à Hercule
En rayonnant de loin, en bas depuis l’Olympe,
Quand lui, pour se chercher de l’ombre,
Vint de l’isthme torride,
Car du courage ils étaient pleins,
Eux, là-haut, encore fallait-il, à cause des esprits,
La fraîcheur aussi. C’est pourquoi lui, il préféra venir
Par ici, près des sources des eaux, des rives jaunes
Au parfum montant haut, et, noires,
Du bois de pins où dans les profondeurs
Aime à se promener un chasseur
A midi, où l’on peut entendre pousser,
Près des résineux de l’Ister,

Mais celui-ci semble presque
Aller à reculons et
Je pense qu’il devrait venir
De l’Est.
Il y aurait beaucoup
À en dire. Et pourquoi pend-il
Tout droit des montagnes ? L’autre,
Le Rhin, s’en est de son côté
Allé. Ce n’est pas pour rien qu’ils vont
Se mettre au sec, les fleuves. Mais comment ? Un signe, il faut,
Rien d’autre, intègre et droit pour que soleil
Et lune, il les porte en son coeur, inséparables,
Et avance, de jour, aussi de nuit, et pour
Que les célestes se réchauffent l’un l’autre.
C’est pourquoi ceux-là sont aussi
La joie du Très-Haut. Car comment viendrait-il, sinon,
Ici-bas ? Et verts comme Herta4
Sont les enfants du ciel. Mais par trop patient
Lui me semble, pas
Plus libre, et presque à se moquer. Oui, quand
Doit débuter le jour
En sa jeunesse, où de croître il
Commence, un autre est là qui pousse
Déjà haut sa splendeur et qui, comme poulains,
Ecume sur le frein, et les airs au lointain
Entendent la poussée,
Lui, est satisfait ;
Mais au roc il faut des entailles,
Et à la terre des sillons,
Inhospitalier ce serait sans répit ;
Mais ce qu’il fait, lui, le fleuve,
Nul ne sait.

« L’Ister », in Hölderlin, Hymnes et autres poèmes, traduits et présenté par Bernard Pautrat Rivages poche/Petite Bibliothèque, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2004, pp. 217-221

Notes :
1Le mont Cithéron est une montagne qui se trouve dans la partie occidentale de la chaîne de montagnes du Parnès qui constitue la frontière entre le nord de l’Attique et la Béotie, à une trentaine de kilomètres au nord d’Athènes. Elle doit son nom au roi Cithéron. Heracles a du tuer le lion du Mont Cithéron. Son sommet était consacré à Zeus, mais la montagne était aussi consacrée à Dionysos, où des orgies avaient lieu. Sur l’une de ses crêtes se trouvait une grotte des nymphes célèbre dans l’Antiquité.
2 Le Céphyse est une rivière qui descendait du mont Parnès, coulait au pied d’Athènes traversait les murs du Pirée, et tombait dans le golfe Saronique au port de Phalère. Quand au Taygète, il s’agit dans la mythologie d’ une des Pléiades. Elle fut transformée quelque temps en biche par  Artémis pour la soustraire à Zeus qui la convoitait. Il lui céda finalement, et fut la mère de Lacédémon.Elle a donné son nom à la montagne où elle se cacha ensuite pour cacher sa honte.
3 Fleuve du Péloponnèse, mais qui est aussi un dieu. Fils d’Océan et de Théthys, Alphée tomba amoureux de la nymphe Aréthuse qui se baignait dans le fleuve. Ce sont les eaux du fleuve Alphée qu’Hercule (Héraclès) détourna pour nettoyer les écuries d’Augias.
4 Déesse de la terre dans le Panthéon germanique.

Autre version en langue française…

L’Ister

« Viens, ô feu, maintenant !
Avides nous sommes
De voir le jour,
Et quand l’épreuve
Aura traversé les genoux,
Quelqu’un pourra percevoir les cris de la forêt.
Nous chantons cependant depuis l’Indus,
Venus de loin, et
Depuis l’Alphée, longtemps nous avons
Cherché l’approprié,
Ce n’est pas sans ailes que l’on pourra
Saisir ce qui est le plus proche,
Tout droit,
Et atteindre l’autre côté.
Ici, nous cultiverons.
Car les fleuves défrichent
Le pays. Lorsqu’il y a des herbes qui y poussent
Et que s’en approchent,
En été, pour boire les animaux,
Les hommes iront également.

Mais l’Ister on l’appelle.
Belle est sa demeure. Y brûle le feuillage des colonnes
Et s’agite. Sauvages, elles s’érigent
Dressées, mutuellement ; par dessus,
Une seconde mesure, jaillit
De rochers le toit. Ainsi ne m’étonne
Point qu’il ait
Convoqué Hercule en invité,
Brillant de loin, là-bas auprès de l’Olympe,
Quand celui-ci, afin de chercher l’ombre,
Vint du chaud Isthme ;
Car pleins de fougue ils étaient,
Là même, mais il est besoin, en raison des Esprits,
De la fraîcheur aussi. Ainsi préféra-t-il voyager
Ici, vers les sources d’eau et les rives d’or,
Élevées qui embaument, là-haut, et noires
De la forêt de sapins, où dans les profondeurs
Un chasseur aime à se promener,
Le midi, et que la croissance se fait entendre
Dans les arbres résineux de l’Ister,

Lui qui paraît, toutefois presque
Aller en reculant et
Je pense qu’il devrait venir de l’est.
Beaucoup serait à dire là-dessus. Et pourquoi adhère-t-il
Aux montagnes en aplomb ? L’autre,
Le Rhin, obliquement
Est parti. Ce n’est point pour rien que vont
Dans le pays sec les fleuves. Mais comment ? Il est besoin d’un signe,
De rien d’autre, tout bonnement, pour qu’il porte le soleil
Et la lune dans l’âme, inséparables,
Et qu’il continue, jour et nuit aussi, et que
Les Célestes chaleureusement se sentent l’un auprès de l’autre.
C’est pourquoi aussi ceux-là sont
La joie du Suprême. Car comment descendrait-il
Ici-bas ? Et ainsi que Herta la verte
Eux sont enfants du Ciel. Mais trop patient
Me paraît celui-là, non,
Prétendant, et quasiment se moquer. Car lorsque

Doit se lever le jour,
Dans sa jeunesse, là où à croître il
Commence, voilà un autre qui bondit déjà
Haut en splendeur, et comme les poulains,
Grince des dents dans la bride, et que de loin entendent
Le tumulte les vents,
Celui-là est content ;
Il a pourtant besoin de coups le rocher
Et de sillons la terre ;
Inhospitalier ce serait, sans répit ;
Mais ce qu’il fait lui, le fleuve,
Nul ne le sait.

Friedrich Hölderlin, « L’Ister », traduction de Holger Schmid, in Annik Leroy, Danube-Hölderlin, La Part de l’OEil, Bruxelles, 2002

 Une poétique universelle et spirituelle des fleuves et des rivières

   Il semble difficile de ne pas être d’accord avec Nicolas Waquet qui, dans la postface de sa judicieuse anthologie Friedrich Hölderlin, Poèmes fluviaux écrit que les plus grand poèmes de la quête spirituelle de Hölderlin, sont peut-être les poèmes fluviaux et « que la célébration des fleuves cristallisait son génie poétique »1.
Souvenons-nous que le poète allemand, dès le début de sa vie, fut placé sous la protection des dieux et autres divinités des eaux des fleuves. Il nait au bord même du Neckar, affluent du Rhin, fleuve qui sera le cours d’eau de ses années de jeunesse mais aussi celui de la deuxième moitié de sa vie jusqu’à sa mort. Peut-on parler de « retour au fleuve » comme d’un retour aux    sources ?

« Mon bon Karl ! C’était dans ses beaux jours
Où j’étais jadis assis avec toi sur le rivage du Neckar,
Joyeux nous regardions les vagues battre le bord,
Détournions des ruisseaux dans le sable.
J’ai finalement levé les yeux. Dans les reflets du soir
Était le fleuve. Un sentiment sacré
Frémit dans tout mon coeur ; et soudain je ne plaisantais plus.
Soudain je fus plus grave, loin de nos jeux d’enfants.

Frémissant je murmurai : il faut prier ! »

Quant aux rives du Main à Francfort, celles-ci résonnent de son amour infini pour la Grèce antique et peut-être aussi de ses promenades idylliques avec sa Diotima :

« Ô toi paisible avec les étoiles, bienheureux !
Tu cours en bouillonnant du levant au couchant.
Vers ton frère, le Rhin ; et ensuite avec lui
Tu plonges joyeusement dans l’océan ! »

Cette rivière allemande sert à relier désormais le Rhin au Danube  avec le canal « Rhin-Main-Danube ». Il est symptomatique de constater que de nombreux monarques et dirigeants allemands plus ou moins inspirés n’auront de cesse durant des siècles, de concrétiser leurs rêves et chercher des moyens de relier les deux grands cours d’eau emblématiques surnommés « Vater Rhein und Mutter Donau » (« Le père Rhin et la mère Danube »).

Congédié vertement par le banquier Gontard quand il apprend l’idylle entre sa femme et le poète, le poète fait ensuite un incroyable voyage à pied, à l’aller comme au retour d’Allemagne à Bordeaux où il occupe brièvement à nouveau une place de précepteur dans une famille bourgeoise. La Garonne, son estuaire et le mouvement incessant des bateaux qui la remontent, la descendent vers l’estuaire et au-delà du phare de Cordouan vers la haute mer ou des autres embarcations ,exercent sur lui une immense fascination. Il  dédit à ce fleuve un poème parmi les plus émouvants de toute son oeuvre. C’est à l’évidence au bord des fleuves que le poète se sent chez lui :

« Mais les hommes sont maintenant
Partis chez des Indiens,
Là-bas passant à la pointe venteuse,
Au long des vignes, là
Où s’en vient la Dordogne,
Où se conjugue, ample comme la mer,
À la Garonne magnifique
Le fleuve, et part. Mais la mer
Prend et donne la mémoire,
Et l’amour aussi attache assidûment les yeux,
Mais ce qui reste est œuvres des poètes. »
(traduction Jean-Pierre Lefèvre, Friedrich Hölderlin, « … belle Garonne et les jardins… », version planétaire, William Blake & Co, Éditeur, Bordeaux, 2002)

Puis inquiet, nostalgique, instable, il repart de Bordeaux après quelques mois et retrouvera après Homburg et son ami Sinclair, son cher Neckar pour finir ses jours comme un long crépuscule de paisible folie à Tübingen dans cette tour mis à sa disposition par le menuisier Zimmer dont les flots de la rivière viennent lécher les murs, peut-être aussi parce que le poète y réside et que cette rivière n’a pas oublié les vers inspirés que F. Hölderlin lui a déjà autrefois consacrés. Avec ce retour au pays natal et lieu de années de ses études au séminaire protestant de la ville en compagnie de Hegel et Schelling, le cercle se referme ou plutôt s’ouvre sur le ciel infini de la poésie universelle. Les fleuves terrestres qui sont alors comme les artères du coeur pur du poète vont rejoindre les fleuves célestes et se confondre avec eux.
« Peu à peu, s’établira autour du fleuve une véritable construction spirituelle qui en fera tout d’abord le messager de la divinité, puis le centre civilisateur, toujours vivant et vivifiant du syncrétisme et de la philosophie hölderlinienne de l’Esprit migrateur » (Nicolas Waquet, Friedrich Hölderlin, Poèmes fluviaux). Au coeur de cette révélation de la présence divine et du sacré sur la terre brille la pureté dont l’écriture de Hölderlin se veut le reflet. Le poète réussit ainsi à se tenir au plus près de cette pureté qui le fascine et qu’il ne veut en rien altérer. Ici le mot pureté doit être évidemment compris au sens d’originel comme le souligne Martin Heidegger  dans son Approche de Hölderlin. De tous les éléments de la nature qui transcendent sa poésie, c’est des fleuves qu’il se sent le plus proche et comme en communion avec eux.

La tour dans la maison du menuisier Zimmer au-dessus du Neckar où Hölderlin passa la deuxième moitié de sa vie, photo Hedwig Storch, droits réservés

Am Quell der Donau – À la source du Danube

   « Le début de l’hymne fut perdu ou non retenu, il est de toutes façons très mutilé. Il s’agit du premier grand poème fluvial, datant de 1800 ou 1801, écrit en mètre libre. La strophe hétérométrique permet d’imiter les kôla de Pindare, dont la longueur variée est déterminée par le rythme d’insistance sur certains mots. La construction elle-même suit la triade pindarique : la strophe et l’antistrophe comprennent chacune douze vers et l’épode un nombre qui varie peu, soit :
   Le poète, placé à la source du Danube, regarde vers l’Est, vers l’Asie d’où nous est venu l’appel de l’Esprit renvoyé de montagne en montagne, du Parnasse et du Cithéron
au Capitole et aux Alpes. La plupart des hommes cependant en demeurent frappés de stupeur et comme plongés dans le sommeil. Mais quelques-uns veillent ; un jour, après les anciens Grecs et les patriarches, l’Europe occidentale à son tour répondra à la voie venue d’Asie, comme le choeur des fidèles répond au prélude de l’orgue ; ils donneront à la Nature son nom vrai. Il y a des génies bienfaisant qui habitent dans le langage lui-même et qui garantissent et suscite le réveil de l’Esprit. »

Friedrich Hölderlin, « Am Quell der Donau – À la source du Danube », Notes in Poèmes fluviaux,  Laurence Teper Éditions, Paris, 2004, pp. 160-161

Der Ister – L’Ister

   « Cet hymne inachevé date probablement de l’été 1803. Les vers, de longueur variable, à base ïambique ou dactylique, s’enchainent de manière inégale, soumis uniquement à leur propre rythme, un rythme (comme le souligne Pierre Berteaux) donné à l’expression sacrée d’une ferveur collective. Le titre rappelle le nom grec du Danube.
   Le poète, dans les trois premiers vers, anticipe l’instant où le jour se lèvera après la nuit de l’impiété. Les deux vers suivants, comme l’ébauche du poème le laisse croire, évoque la longueur de l’épreuve quand on attend le feu du nouveau jour. Le peuple venu de l’Indus se cherche une patrie auprès du Danube, autre fleuve civilisateur. C’est pourquoi nous traduisons par «le Destiné» ce que Hölderlin appelle « das Schickliche ». L’adjectif «schicklich» signifie littéralement «convenable». Il fait écho à des substantifs comme Geschick et Schicksal : « destin, partage ». Il s’agit en fait du lieu particulier (l’Ister) qui convient intrinséquement à la troupe errante qui lui a été échue en partage et où elle a destin de s’installer.
   Pour comprendre certains vers de la deuxième strophe, il faut savoir que Hölderlin a partiellement traduit la IIIe Olympique de Pindare. Il y est question de l’Ister et des ses sources ombragées, d’où Hercule aurait ramené l’olivier. Dans la strophe III, Hölderlin fait allusion à Hertha. Elle est chez les anciens Germains la Terre-Mère, que Tacite nomme Nerthus : « Nerthum, id est terra matrem collunt » (Germania, XL, 2). Au troisième vers de la strophe IV, c’est « un autre », le Rhin, qui est évoqué, par la force de son flux, dans toute la puissance de son pouvoir fertilisateur. Le rapprochement avec des fragments de Pindare que Hölderlin traduisait et commentait en 1803 éclaire la fin de l’hymne. Il faut considérer tout particulièrement celui intitulé « Das Belebende », »Le Vivifiant », avec lequel nous refermons le cycle. »

Friedrich Hölderlin, Der Ister – L’Ister, Notes in Poèmes fluviaux, Laurence Teper, Éditions, Paris, 2004, pp. 168

Notes :
Nicolas Waquet (traduction et présentation), Poèmes fluviaux, Anthologie, Laurence Teper Éditions, Paris, 2004, p. 123. Il manque à notre avis l’hymne « Andenken » (« En souvenir de ») qui date de son retour de Bordeaux printemps 1802)  

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour mai 2024, 

Sources/bibliographie : 

ALTER, André, Hölderlin, le chemin de lumière, Champs Vallon, Seyssel, 1992
BACHELARD, Gaston, L’eau et les rêves, Librairie José Corti, Paris, 1942
FÉDIER, François, Friedrich Hölderlin, Douze poèmes, édition bilingue, Orphée/ La différence, Paris, 1989
Hölderlin, Poèmes / Gedichte, traduction de Geneviève Blanquis, Paris, Aubier, 1943

HEIDEGGER, Martin, Approches de Hölderlin, Tel, Gallimard, Paris,
JACCOTTET, Philippe, D’une lyre à 1973 cinq cordes, « Notices bibliographiques,  Johann Christian Friedrich Hölderlin », Gallimard, Paris, 1997
JACCOTTET, Philippe (édition de), Hölderlin, Œuvres, Bibliothèque de la Pléïade, Paris, 1967
LEFÈVRE, Jean-Pierre, Hölderlin, « … belle Garonne et les jardins… », version planétaire, précédé de « Hölderlin dans la renverse du souffle » par Jean-Pierre Lefèvre, William Blake & Co, Éditeur, Bordeaux, 2002
LEROY, Annik, Danube-Hölderlin, La Part de l’OEil, Bruxelles, 2002
Gedichte (Poèmes), édition bilingue, Aubier, Paris, 1943
PAUTRAT, Bernard (traduction et présentation), Hölderlin, Hymnes et autres poèmes, Rivages poche/Petite Bibliothèque, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2004
Hymnes et autres poèmes (1796-1804)
, traduction d’Armel Guerne, Mercure de France, 1950, GF Flammarion, 1983
Poèmes de la Folie de Hölderlin, traduction de Pierre Jean Jouve avec la collaboration de Pierre Klossowski,  Fourcade, 1930, réédition Gallimard, 1963
Poèmes, version française de Gustave Roud, Lausanne, Mermod, 1942
WAQUET, Nicolas (traduction et présentation), Poèmes fluviaux, Anthologie, Laurence Teper, Éditions, Paris, 2004
www.greceantique.net
https://en.wikipedia.org › wiki › Hölderlin’s_Hymn_ »The_Ister »
www.hoelderlin-gesellschaft.de

La tombe du poète dans le cimetière de Tübingen, photo droits réservés

Le Danube et la Chanson des Nibelungen ; Aventure XXV

« Le Danube, c’est la Pannonie, le royaume d’Attila, c’est l’Orient, l’Asie qui déferle et détruit, à la fin de la Chanson des Nibelungen, la valeur germanique ; quand les Burgondes le traversent, pour se rendre à la cour des perfides Huns, leur destin – un destin allemand – est scellé. »
Claudio Magris, in Danube, collection « L’Arpenteur » Éditions Gallimard, Paris, 1988

Des fragments d’un manuscrit de ce chef d’oeuvre dont l’auteur est inconnu, ont été retrouvés en Wachau dans la bibliothèque de l’abbaye bénédictine de Melk et y sont exposés. Le compositeur allemand Richard Wagner (1813-1883) s’inspirera de cette tragique épopée pour écrire en 1874 une oeuvre lyrique imposante, la Tétralogie (Der Ring der Nibelungen, l’Anneau des Nibelungen)Un manuscrit de la Chanson des Nibelungen est également conservé dans la Bibliothèque de la cour des princes de Fürstenberg à Donaueschingen. Il date de 1203 et a été vraisemblablement copié par un moine. L’évêque Pilgram (920 ?-991 ?) de Passau aurait au Xe siècle fait réaliser un texte en latin de cette même légende.

Fragment d’un manuscrit de la Chanson des Nibelungen conservé à l’abbaye de Melk, photo © Danube-culture, droits réservés

Synopsis :
Le jeune Siegfried s’éprend de Kriemhild, sœur du roi des Burgondes Gunther, qui règne à Worms sur le Rhin (Rhénanie-Palatinat). Gunther lui promet la main de Kriemhild s’il l’aide à conquérir Brunhild, vierge guerrière, reine d’Islande. Siegfried assiste Gunther et le fait triompher des trois épreuves imposées aux prétendants. Siegfried épouse alors Kriemhild mais il intervient à nouveau pour maîtriser Brunhild, la jeune épouse de Gunther qui se rebelle. Quelques années après, une querelle éclate entre les deux reines : Kriemhild, blessée dans son amour-propre par Brunhilde qui la traite d’esclave, reproche à sa belle-sœur d’avoir appartenu à Siegfried avant d’être devenue la femme de Gunther.
À Brunhilde outragée, Hagen, le fidèle vassal de Gunther, promet vengeance. Ayant appris de Kriemhild quelle partie du corps de Siegfried était vulnérable, il le tue traîtreusement dans une partie de chasse. Afin de venger le meurtre de Siegfried, Kriemhild accepte d’épouser le roi des Huns, Etzel (Attila), et réussit à attirer Gunther et ses guerriers dans le pays d’Etzel. Par la faute de Kriemhild, obsédée de se venger et par celle de Hagen, qui n’accepte aucun compromis, les fêtes du mariage dégénèrent en sanglants combats. De la troupe des Burgondes, il ne restera plus que Hagen, à qui Kriemhild va trancher la tête avec l’épée de Siegfried avant d’être aussitôt mise à mort par Hildebrand.

Première page du manuscrit des Nibelungen, vers 1220-1250, Bibliothèque du Land de Bade-Wurtemberg, Karlsruhe, photo wikipedia, domaine public

Comment les seigneurs se rendirent tous chez les Huns et arrivèrent au bord du Danube.
C’est ici, au bord du fleuve, que cherchant et trouvant un moyen de passer sur l’autre rive, Hagen apprend de la bouche des ondines surprises par le héros, que le voyage sera, pour lui et ses compagnons d’armes, sans retour. « Au matin du douzième jour, le roi atteignit le Danube… »

1525
Lorsque, quittant la Franconie de l’Est, ils chevauchèrent vers le Swalefeld, on pouvait reconnaître à leur majestueuse allure les princes et leurs parents, ces héros dignes d’éloge. Au matin du douzième jour, le roi atteignit le Danube.

1526
Hagen de Tronege chevauchait en tête. Il était, pour les Nibelungen, une aide et un réconfort. À ce moment, le hardi héros descendit de cheval, mit pied à terre sur le sable de la grève et attacha tout aussitôt sa monture à un arbre.

1527
Le fleuve était sorti de son lit, et on avait caché les bateaux. Les Nibelungen étaient fort inquiets, ne sachant pas comment ils pourraient passer l’eau. Le fleuve était trop large. Plus d’un chevalier à la belle prestance mit alors pied à terre.

1528
« Prince du Rhin, dit alors Hagen, il peut t’arriver malheur ici. Tu peux le voir toi-même : le fleuve a débordé. Son courant est très fort. J’ai grand peur qu’ici nous ne perdions aujourd’hui plus d’un valeureux héros.

1529
— Que me reprochez-vous, Hagen ? dit le noble roi. Au nom de vos hautes qualités, ne nous découragez pas d’avantage. Cherchez donc le gué qui nous permettra d’aller sur l’autre rive et de transporter loin d’ici nos chevaux et nos vêtements.

1530
— Je ne hais pas la vie, dit Hagen, au point de vouloir me noyer dans ce large fleuve. Plus d’un guerrier périra, avant, de ma main au pays d’Etzel : c’est ma ferme volonté.

1531
Restez près de l’eau, vous autres, fiers et valeureux chevaliers ! J’irai moi-même chercher le long du fleuve, les passeurs qui nous conduiront sur l’autre rive, au pays de Gelfrat. » Le vigoureux Hagen saisit son solide bouclier.

1532
Il était bien armé : il avait pris son bouclier et attaché sur la tête son heaume qui brillait d’un vif éclat. Il portait, par-dessus sa cuirasse, une épée très large, dont les deux tranchants coupaient terriblement.

1533
Hagen se mit à la recherche des passeurs, en amont comme en aval. Il entendit l’eau d’une belle fontaine clapoter ; il tendait l’oreille ; c’étaient des ondines aux dons surnaturels qui se baignaient là et voulaient se rafraîchir.

1534
Hagen les remarqua et les suivit secrètement. Lorsqu’elles s’en aperçurent, elles tentèrent de s’enfuir à la hâte. Elles étaient heureuses de lui avoir échappé. mais Hagen leur prit leurs vêtements. C’est le seul tort qu’il leur fît.

1535
L’une des ondines — Hadeburg était son nom — dit alors : Noble chevalier Hagen, dès que vous nous aurez rendu nos vêtements, héros hardi, nous vous ferons savoir aussitôt comment se terminera pour vous votre voyage à la cour des Huns. »

1536
Tels des oiseaux, elles voletaient devant lui de-ci de-là sur les flots. Aussi lui parurent-elles tout à fait capables de faire des prédictions dignes de foi. Quoi qu’elles dussent lui dire, il était prêt à le croire. De ce qu’il désirait savoir, elles l’en informèrent clairement.

1537
Hadeburg lui dit : « Vous pouvez bien partir pour le pays des Huns. Je vous en réponds en cet instant sur ma foi : jamais héros ne sont allés en aucun royaume pour s’y couvrir d’aussi grands honneurs. Vous pouvez m’en croire, je dis la vérité. »

1538
Hagen eut le coeur réjoui de ces paroles. Sans tarder d’avantage il leur rendit leurs habits. Lorsqu’elles eurent revêtu leurs étranges vêtements, elles lui dirent la vérité sur leur voyage au pays d’Etzel.

Hagen et les ondines du Danube par Johann Heinrich Füssli (1741-1825), peintre suisse d’origine britannique

1539
La deuxième ondine, qui s’appelait Sieglinde, dit alors : « Je veux te mettre en garde, fils d’Aldrian. Ce n’est que pour recouvrer ses vêtements que ma parente t’a menti. Si tu vas chez les Huns, tu seras cruellement trompé.

1540
Il te faut rebrousser chemin ; il en est encore temps. Car, hardi héros, vous n’êtes invités que pour périr au pays d’Etzel. Tous ceux qui s’y rendent sont voués à la mort. »

1541
Hagen répondit alors : « Vous m’abusez sans nécessité. Comment pourrait-il arriver que nous trouvions là tous la mort par la haine de quiconque ? » Elles commencèrent à lui expliquer plus précisément leur prédiction.

1542
L’une d’elles reprit : « Les choses sont telles qu’aucun de vous ne restera en vie, si ce n’est le chapelain du roi. Nous le savons bien. Celui-là rentrera sain et sauf au pays de Gunther. »

Ferdinand Fellner ( 1815-1871), Hagen et les Ondines, vers 1830, collection du Städel Museum

1543
Le coeur plein de rage, le hardi Hagen dit alors : « Il serait bien pénible de dire à mes seigneurs que nous perdrons tous la vie chez les Huns. Toi, la plus sage des femmes, montre-nous donc où passer l’eau. »

1544
Elle dit : « Puisque tu ne veux pas renoncer au voyage, sache qu’en amont, au bord de l’eau il y a une maison où demeure un passeur. Il n’y en a nulle part ailleurs. » Il en resta là et ne posa plus de question.

1545
L’une des ondines dit à Hagen qui s’éloignait, contrarié : « Attendez encore, seigneur Hagen, vous êtes trop pressé ! Écoutez encore comment vous atteindrez l’autre rive. Le seigneur de cette marche s’appelle Else.

1546
Son frère a pour nom le brave Gelpfrat. Il est seigneur en Bavière. Vous rencontrerez de grandes difficultés si vous voulez traverser sa marche. Tenez-vous sur vos garde et usez de prudence à l’égard du passeur.

1547
Il est d’humeur si irascible qu’il ne vous laissera pas la vie, à moins que vous ne vous montriez bienveillant envers ce héros. Si vous voulez qu’il vous fasse traverser le fleuve, donnez-lui le salaire qui lui revient. Il est le gardien de ce pays et il est tout dévoué à Gelpfrat.

1548
S’il ne vient pas tout de suite, appelez-le de l’autre côté du fleuve, et dites que vous vous appelez Almerich. C’était un héros valeureux, qui a quitté ce pays à cause d’une guerre privée. Le passeur viendra à vous dès que vous aurez prononcé ce nom. »

1549
Le téméraire Hagen s’inclina devant les ondines. Il ne dit plus rien et garda le silence. Puis il remonta le long du fleuve jusqu’à ce qu’il trouvât de l’autre côté une maison.

1450
Il commença à crier très fort par dessus le fleuve : « Passeur, viens me chercher, dit le brave valeureux, je te donnerai comme salaire un bracelet d’or rouge. Il me faut absolument, sache-le, faire cette traversée. »

1551
Le passeur était si puissant qu’il ne lui plaisait pas de servir ; c’est pourquoi il n’acceptait jamais qu’on le payât. Ses hommes d’armes étaient eux aussi très arrogants. Hagen cependant, continuait de rester seul de ce côté-ci de l’eau.

1552
Il se mit alors à crier avec une telle force que tout le fleuve en retentit, car la force du héros était exceptionnellement grande : « Viens me chercher : je suis Almerich. Je suis le vassal d’Else ; l’acharnement d’ennemis m’a fait quitter ce pays. »

1553
Il lui offrit au bout son épée un bracelet, beau et rutilant, fait d’or rouge, pour qu’on le transporta dans le pays de Gelpfrat. L’audacieux passeur prit lui-même la rame en main.

1554
Ce passeur était marié depuis peu. L’appétit de grandes richesses conduit souvent à une mauvaise fin. Il voulut gagner l’or si rouge de Hagen. Cela lui valut la mort, donnée par l’épée furieuse du héros.

1555
Le passeur se hâta de ramer jusqu’à l’autre rive. Comme il ne trouva pas l’homme dont il avait entendu le nom, il entra dans une terrible colère. Quand il aperçut Hagen, il dit au brave d’un ton furieux :

1556
« Il se peut que vous vous appeliez Almerich. Mais vous ne ressemblez pas à celui que j’attendais : il était mon frère par ma mère et par mon père. Maintenant que vous m’avez trompé, il faudra que vous restiez de ce côté-ci du fleuve.

1557
— Non, par le Dieu tout-puissant, répliqua Hagen. Je suis un guerrier étranger et je veille sur des braves. Faites-moi aujourd’hui l’amitié de prendre le salaire que je vous offre pour que vous me fassiez traverser le fleuve. Je vous en serai vraiment reconnaissant. »

1558
Le passeur reprit : « Cela ne peut être. Mes chers Seigneurs ont des ennemis. C’est pourquoi je ne fais passer aucun étranger en ce pays. Si tu tiens à la vie, redescends vite sur le rivage.

1559
— N’agissez pas de la sorte, dit Hagen, car mon coeur est triste. Acceptez de moi, par amitié, cet or si précieux et conduisez-nous sur l’autre rive, mille chevaux et autant d’hommes. « Le passeur, en colère, dit : « Jamais je ne le ferai. »

1560
Il brandit une forte rame, grande et large, et en frappa Hagen, qui en fut très contrarié, car il trébucha dans la barque et tomba à genoux. Jamais le seigneur de Tronege n’avait rencontré passeur si emporté.

1561
Celui-ci voulut mettre encore davantage en colère l’audacieux étranger. Il abattit une perche si fort sur la tête de Hagen qu’elle vola en éclats. C’était un homme très fort. Le passeur d’Else en eut fort à souffrir.

1562
Fou de rage, Hagen aussitôt mit la main au fourreau où il trouva son épée. Il fit sauter la tête de l’homme et l’envoya par le fond. La nouvelle fut bientôt connu des fiers Burgondes.

1563
Tandis que Hagen frappait le batelier, la barque s’était mise à dériver au gré des flots. Il en fut fort affligé. Il la remit dans la bonne direction, mais la fatigue l’avait gagné. Le vassal du roi Gunther rama de toutes ses forces.

1564
L’étranger fit virer la barque à coup de rame si violents  que la forte rame se brisa dans ses mains. Il voulait rejoindre les guerriers et accoster sur le rivage. Il n’avait plus de rame ; comme il eut tôt fait d’en lier les morceaux ensemble

1565
avec une courroie de bouclier ! C’était un étroit galon. Il descendit le fleuve en direction d’une forêt. Là, il trouva son seigneur debout sur le rivage. Maint homme de belle prestance vint alors à sa rencontre.

1566
Les valeureux et courageux chevaliers le saluèrent et lui firent un bel accueil. Ils virent alors dans la barque fumer le sang qui avait couler de la blessure  que le guerrier avait fait au passeur. Les héros assaillirent Hagen de questions.

1567
Lorsqu’il vit le sang chaud ruisseler dans la barque, le roi Gunther dit aussitôt : « Dites-moi donc Hagen, où est le passeur ?  Je crains que votre vaillance et votre force lui aient ôté la vie. »

1568
Hagen mentit : « J’ai trouvé la barque près d’un saule sauvage. Je l’ai détaché de ma main. Aujourd’hui, je n’ai vu ici aucun passeur. Il n’est arriver malheur à personne par ma faute.

1569
Le seigneur Gernot, du pays burgonde dit : « J’ai grand’ peur qu’aujourd’hui, plus d’un de nos compagnons très chers ne trouvent la mort puisque nous n’avons à disposition aucun batelier qui nous fasse traverser le fleuve. J’en suis très triste. »

1570
Hagen cria très fort : « Hommes d’armes, déposez dans l’herbe les harnais des chevaux. Il me souvient que j’étais le meilleur passeur qu’on pût trouver sur le Rhin. Je me fais fort de vous faire passer dans le pays de Gelpfrat. »

1571
Pour leur faire traverser au plus vite le fleuve, ils fouaillèrent les chevaux, qui se mirent tout aussitôt à nager, si bien que le fort courant ne heur enleva aucune bête. Il n’y en eut que quelques-unes que la fatigue fit dériver au loin.

1572
Puisqu’ils ne pouvaient renoncer au voyage, les guerriers portèrent dans la barque leur or et aussi leurs vêtements. Hagen commandait à tous : il mena sur l’autre rive, dans le pays inconnu, grand nombre de puissants guerriers.

1573
Tout d’abord, il fit traverser le fleuve à mille nobles chevaliers, puis à ses propres guerriers. Mais il y en avait encore bien plus. Ce sont neuf mille hommes d’armes qu’il transporta sur l’autre rive. Ce jour-là, le bras du héros de Tronege ne resta pas oisif.

1574
Tandis qu’il les amenait tous sains et saufs sur l’autre rive, le brave, vaillant et courageux, songeait aux étranges paroles que lui avaient dites les farouches ondines. Cela faillit coûter la vie au chapelain du roi.

1575
Hagen trouva le prêtre près des bagages renfermant les objets du culte. De sa main, il s’appuyait sur le reliquaire. Mais cela ne lui servit de rien. Quand Hagen le vit, l’infortuné prêtre de Dieu dut souffrir un grand tourment.

1576
Hagen le fit promptement passer par-dessus bord. Ils furent nombreux à s’écrier :  « Sauvez-le, seigneur, sauvez-le ! » Le jeune Giselher se mit en colère. Mais Hagen ne voulut pas renoncer à son projet.

1577
Le seigneur Gernot, du pays des Burgondes, dit : « À quoi nous sert donc, Hagen, la mort du chapelain ? Si un autre que vous faisait cela, vous en seriez fâché. Pourquoi en voulez-vous au prêtre ? »

1578
Le prêtre faisait l’impossible pour se maintenir sur l’eau. Il espérait pouvoir s’en sortir si quelqu’un lui venait en aide. Mais cela ne put être, car le vigoureux Hagen était fort en colère et le repoussait toujours au fond de l’eau, ce que personne n’approuva.

1579
Lorsqu’il se rendit compte que personne ne venait l’aider, le pauvre prêtre fit péniblement demi-tour pour regagner l’autre rive. Bien qu’il ne sût pas nager, la main de Dieu le secourut, en sorte qu’il revint sain et sauf sur la terre ferme.

1580
Le pauvre prêtre se mit debout et secoua ses vêtements. Par là Hagen reconnut que le sort prédit par les farouches ondines était inéluctable. Il pensa en lui-même : « Ces braves sont voués à la mort. »

1581
Lorsqu’ils eurent déchargés le bateau et emportés tout ce que les vassaux des trois rois y avaient accumulé, Hagen le réduisit en morceaux qu’il jeta dans le fleuve. Les hardis et valeureux guerriers en furent très étonnés.

1582
« Pourquoi faites-vous cela, mon frère ? demanda Dancwart. Comment traverserons-nous le fleuve lorsque, du pays des Huns, nous reviendrons dans le pays rhénan ? » Hagen leur fit, depuis, comprendre  qu’il n’y aurait pas de retour.

1583
Le héros de Tronege dit : « Je le fais dans cette intention : s’il se trouve dans ce voyage quelque lâche parmi nous qui, par couardise, voudrait nous quitter et s’enfuir, il trouvera dans ces flots une mort honteuse. »

1585
Leurs chevaux étaient prêts, et les bêtes de somme bien chargées. Ils n’avaient, au cours de ce voyage, subi aucune perte qui les mît en difficulté, mis à part le chapelain. Celui-ci dut regagner la rive à pied la rive du Rhin.

Sources :
La Chanson des Nibelungen, La Plainte
, « Aventure XXV, Comment les seigneurs se rendirent tous chez les Huns », traduit du moyen-haut-allemand par Danielle Buschinger et Jean-Marc Pastré, nrf, L’aube des peuples, Gallimard, Paris, 2001
ANDERSEN, Peter, « La Chanson des Nibelungen, l’Iliade allemande« , La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2019. Consulté le 10/03/2020. URL: http://cle.ens-lyon.fr/allemand/litterature/mouvements-et-genres-litteraires/la-chanson-des-nibelungen-l-iliade-allemande

Nibelungen, Linz, photo © Danube-culture, droits réservés

Grigore Antipa (1867-1944), scientifique éclairé et précurseur de la protection du delta du Danube

« Le Danube est sans aucun doute la plus importante des richesses naturelles de notre pays ; même si l’on ne prend en considération que l’aspect d’artère mondiale de navigation et de commerce. Maîtres de ses bouches, qui sont la porte de l’Europe vers l’Orient et la porte de l’Orient vers l’Europe; maîtres de 36 % de la superficie de son bassin total ; maîtres d’environ de la moitié de sa longueur navigable, y compris toutes les rivières qui coulent du Nord s’y jettent ; en tant que maîtres de tout cela nous sommes soumis en même temps, en tant que peuple, à la plus dure épreuve, parce que nous nous devons montrer que nous sommes capables, compétents, de remplir le rôle mondial dicté par cette situation géographique, tellement favorable mais qui implique tant de responsabilités. »

Grigore Antipa, Dunǎrea româneascǎ, The Romanian Danube, Le Danube roumain, Agenţia de Presǎ AGERPRES, Bucureşti, 2011

Grigore Antipa a été déclaré inapte au service militaire à cause de sa taille (il mesurait 1,53 m) et de son obésité. En tant que Directeur des pêcheries de l’État, Grigore Antipa a mené une lutte acharnée contre tous ceux qui voulaient s’emparer des bassins appartenant à l’État roumain et des territoires du delta du Danube pour les exploiter. Au début du XXe siècle, il s’est battu en justice contre le maire de Tulcea, avocat de profession. Ce dernier, ainsi qu’un certain nombre de pêcheurs et d’escrocs, voulaient s’approprier les biens de l’État dans le delta du Danube. « Je suis personnellement informé que de nombreux autres avocats de Tulcea attendent l’issue de son procès, afin d’entamer d’autres démarches judiciaires avec des revendications encore plus importantes. Ainsi, après avoir vu qu’ils ne pouvaient pas s’emparer le delta du Danube dans sa totalité, ils cherchent maintenant à se l’accaparer par « petits morceaux », se plaint Grogore Antipa dans une lettre adressée au Premier ministre en septembre 1901. Dans ce domaine, en plus de trois autres initiatives législatives, Grigore Antipa a apporté des contributions scientifiques novatrices dans le domaine de la pisciculture, encore pertinente de nos jours. Le scientifique était un véritable visionnaire et a permis de créer une pisciculture moderne, productive et respectueuse de l’environnement en Roumanie. En 1894, il publie son premier ouvrage d’hydrobiologie Le lac Razim. L’état actuel de ses pêcheries et les moyens de les améliorer. Dans le cadre de ses travaux, il a également envisagé la construction de canaux reliés au Danube. En 1895 paraît un autre ouvrage Études sur les pêcheries en Roumanie, aboutissement de trois années de travail et d’observation.

Danube-culture, © droits réservés, mis à jour  janvier 2022

Muséum National d’Histoire Naturelle de Bucarest
https://www.bucarest.fr/musee-national-histoire-naturelle

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