Ştefan Vasili Terente (1895 ou 1896-1927), bandit lipovène légendaire du delta du Danube et de la Balta

 Les Lipovènes ou vieux-croyants, suite à leur départ forcé de Russie où leur refus d’adopter les nouveaux rites orthodoxes imposés par le tsar Pierre-le-Grand (1672-1725) et les haut dignitaires de l’église les exposaient à une sévère répression ainsi que d’autres peuples persécutés comme les Haholi (Cosaques des rives de la Volga et du Dniepr), Russes, Nékrasoviens et Biélorusses, se  réfugièrent et s’installèrent, pour une partie d’entre eux, au début du XVIIIe siècle dans les régions du Boudjak et de la Dobrogée. Ces lieux quasiment inhabités, hostiles mais abondants en nourriture se trouvaient alors aux confins de l’Empire ottoman et étaient convoités par l’Empire russe qui y prendra pied durablement par la suite…

Les projets de Catherine II de Russie au détriment de l’Empire ottoman : en rouge l' »Empire néobyzantin » de Constantin de Russie, en bleu le « Royaume de Dacie » de Potemkine, en jaune les compensations pour l’Empire des Habsbourg et en bleu-vert celles offertes à la République de Venise (sources Wikipedia, domaine public)

 Ces populations s’adaptèrent à leur nouvel environnement en pratiquant bien évidemment la pêche, en particulier celle de l’esturgeon et aussi un peu d’agriculture et d’élevage autour de leurs modestes habitations, assurant ainsi pendant longtemps leur quasi autonomie alimentaire. Indépendants par la force des choses, fiers de leurs traditions séculaires, rebelles, pilleurs d’épave quand l’occasion se présentait, prompts et habiles à défier les autorités quelles qu’elles soient et jusqu’à encore récemment par leur connaissance insurpassable des dédales du delta et de la Balta (plaine alluviale avec de nombreuses îles formée par deux bras du Bas-Danube en amont du delta lui-même), grands buveurs devant l’éternel, certains d’entre eux n’hésitèrent pas à mener ouvertement des actions de provocation tels Ştefan Vasili Terente (1895 ou 1896-1927), né dans le village de Carcaliu, Gheorghe Stroe ou Cocoş. 

Pêche à l’esturgeon dans le delta (1939), photo Odette Arnaud

   La journaliste et voyageuse française Odette Arnaud s’intéressa dans les années trente aux Lipovènes et à leurs traditions, en particulier aux étranges coutumes de castration pratiquées par certains d’entre eux, les « Skoptzi », pratiques abandonnées depuis les années trente. Elle séjourne dans le delta du Danube et en Moldavie en 1934 environ sept années après la mort du « roi de la Balta », Ştefan Vasili Terente (1895 ou 1896-1927) contant  à sa manière romanesque dans un chapitre de son livre « Pêcheurs de rêve » le destin tragique de ce brigand légendaire.
   Odette Arnaud a reçu pour l’organisation de son périple dans le delta l’aide du gouvernement roumain et en particulier du scientifique et précurseur de l’écologie en Roumanie, alors directeur  du Muséum d’Histoire Naturelle, Grigore Antipa (1867-1944) qui oeuvra inlassablement pour une gestion durable des ressources du delta. Appliquant les principes de la géonomie à cette région du Danube, il permit notamment à son pays de devenir le second producteur de caviar au monde. L’abandon de la géonomie par les autorités communistes roumaines dans les années 60, provoqua un effondrement des ressources naturelles du delta dont elle ne s’est avec ses populations, jamais remise.
    « Le roi de cette Balta inviolée s’appelait Vasile Stéphan Terente. Il mourut il y a sept ans. Mais sa vie vaut d’être contée. Elle illustre bien la tradition spéciale des bandits d’honneur. Bientôt la parabole s’emparera de ces évènements. Elle apprendra aux petits Lipovans comment ce paladin pour la tendresse de sa dame rossait les hommes, mais fut rossé par Dieu. Caron2 goûte fort dans les roseaux les vérités édifiantes. Or c’en est une assurément que le Seigneur demeure invincible.

Campement dans les roseaux, photo Odette Arnaud

   Je tiens les faits de la bouche même de ceux qui couraient les fourrés au temps du malandrin. Ils vivent encore dans les parages de Carcaliu3. Mais ils vieillissent. L’un deux fut maire de deux cents cases et de plus d’hectares de marécages. Il me reçut à l’ombre de sa canna au milieu du hameau et nous nous assîmes sur des pierres branlantes dans une nuée de moustiques. Une ample provision de « Rakiu4 » d’un beau vert absinthe échauffait ses propos. À voir sa barbiche on imaginait qu’elle était rongée par les rats depuis les nuits d’embuscade. Un poignard glissé dans la botte droite, attestait une témérité passé. Le conteur ne manquait pas de couleur, mais plutôt de logique, et ses compagnons réfrénaient ses digressions avec peine.
   Je traduis son récit tel que je l’ai compris.
Térente était un brave homme — avant que le malheur ne s’abattit sur lui. Il possédait une bonne barque, une forte carrure qui lui permettait de travailler mieux que les voisins, une femme belle et appliquée qui lui donnait quatre garçons. Aussi perdit-il la raison quand la douce petite mourut soudain près de Sfântu-Gheorghe. Dans un laps très bref, ses quatre fils en bas âge se noyèrent….

À l’aube, les femmes voilées quittent les îles et repartent vers le large, photo Odette Arnaud

  Alors il se mit en branle avec sa vodka et ses armes. Cela présageait le pire. Car, n’est-ce pas, le sort qui étrille ainsi un Lipovan risque de lui suggérer d’étriller autrui. Térente adopta cette façon de détourner sa haine. La première fois ce fut sur un ingénieur de l’État porteur de trois cent mille lei, la paie des fonctionnaires du poste de Măçin5. Il le laissait nu, décontenancé, mais indemne. C’était un avertissement. Ses compatriotes n’eurent garde de le négliger. Seuls les étrangers, aux passages inopinés, furent détroussés lestement. Aucun n’y échappait. Alors les militaires décidèrent de faire un tour de son côté. Mais nul ne savait où il se terrait. Car le coquin se déplaçait dans les sables plus vite qu’une équille. Et les Lipovans ne manifestaient pas le moindre désir de le trahir.

À Vâlcov (Vylkovo, Ukraine), les églises pesantes ressemblent à des radeaux flottants, photo Odette Arnaud

   Peu après il parut que le voleur déraillait. Il s’en prenait aux jupons. Il enlevait deux jeunes juives fort riches de Braïla. Huit jours après les jolies personnes à peine décoiffées, regagnaient le domicile de leurs parents. Elles ne tarissaient pas de louanges. «Et si beau, ma chère, et si généreux ! Un vrai galant homme !» Alors maintes demoiselles de la ville se promenèrent en forêt à la recherche d’une rencontre. Le mauvais garnement les dédaigna.
   Hélas son existence se compliquait. Le gaillard eut l’envie de revoir ses parents à Carcaliu. Il y abordait une nuit que des copains montaient la garde. Mais les gendarmes rodaient, et la mort est toujours prête à accueillir un client. Elle reçut le brigadier que tuait Térente dans un éclair. Le meurtrier sautait dans le lagune et de six mois on n’entendit rien. Les petites expéditions de l’autorité se heurtaient encore à la nature et aux bandes qui protégeaient ouvertement le criminel.  Guérilla bruyante et vaine.
   Nul ne sait comment il advint que Térente, à son deuxième retour, tira sur un Lipovan, sans le manquer. Erreur ? Légitime défense ? Peu importe. Les moujiks se révoltèrent. Térente fratricide mourrait. Et, foi de Saint-Nicolas, cela ne trainerait pas. Ils mirent tant d’ardeur à battre la campagne à coups de rames sous la conduite de la police que le scélérat se trouvait promptement ligoté et assez balafré.
   Dans la prison il compta ses fidèles. Il en restait deux.
   Mais ceux-là étaient en veine de sacrifice. Ils frappèrent chez le vieux Térente.
   — Votre fils implore votre pardon. Il jure sur les Saintes Icônes de consacrer sa vie à racheter sa faute. Vendez vodka et vigne pour son évasion et il prendra soin de votre vieillesse.

Même à Valcov, les enfants sont toujours nus et ruisselants, photo Odette Arnaud

   Ainsi Térente regagnait la piste des canards. Il se souciait d’éviter les indiscrétions. Autant dire qu’il n’existait plus, sauf pour ses vieux qu’il nourrissait avec une générosité de pélican.
Cela durait encore au Carême. Mais les cloches de Pâques lui percèrent le tympan. Il souffrit éperdument, dans son grand silence intérieur, de ces explosions de douleur puis d’allégresse. La grande voix de la bête humaine se réveillait. La nuitée Quasimodo achevait ce désordre. Le pope célébrait l’office dans l’église de Carcaliu, sous les guirlandes de papier découpé. Sa jeune épouse négligeait le culte des saints rutilants, et elle préparait au presbytère un festin de poisson. Devant ce vagabond supplicié défilèrent en sarabande les promesses des agapes et celles de la femme. Alors en lui une rage sadique tonna comme un volcan. Elle fut cause qu’il dévasta la maison, puis l’hôtesse.
   Cette horreur détruisait l’ordre souverain. Dieu s’en mêla. Car l’injure atteignait l’un de ses prophètes. Et ce fut le Très-Haut qui fit mourrir Térente par l’intermédiaire d’un fusil quelconque et d’une révolution dans la Balta.
   — Dieu l’a maudit, me répétèrent les judas qui l’avaient livré.
     Je l’ai maudit, achevait son père qui fut le premier à dénoncer son ultime cachette aux régiments mobilisés.
   De Carcaliu à Brăila, dans la mousse torride qui se hérisse de nombreuses forêts, je recueillis bien d’autres détails sur les fortes têtes sauvages. Car l’étuve du Danube me donnait l’envie d’écouter plutôt que de courir… »

Le cimetière dans les roseaux du couvent de Petro-Pavlosk, photo Odette Arnaud

Jancu Stroe
   « C’est un bandit retraité ! Dame ! Il est centenaire. Aujourd’hui il pêche le hareng sur le rivage de Măcin. Là même où il commit ses pires coups. Les gendarmes et les hommes l’oublièrent. Et il faut arroser ses souvenirs d’un bon litre de rakiu — du jaune, à son idée — si l’on entendre autre chose que des grognements d’ours. Sale caractère jusqu’à ce jour ! Mais il a le sens de l’hospitalité. Car il allumait devant moi un grand feu pour chasser les moustiques. Il ne put nous offrir que des troncs de saules pour dossier.
   Son père était Roumain. Sa mère Lipovane. Il tenait d’elle sa secrète ressemblance avec les garçons qui multipliaient les raisons de troubler les retraites des oiseaux.
   Dès l’âge de quinze ans, son sang bouillait à la vue d’une jolie fille. La sempiternelle ardeur de ce pays de phosphore ! Mais que diable ! Un soir de printemps, quand il mit pied à terre, la situation était difficile. Sa Dulcinée lui avouait ses fiançailles avec un autre. Il ne protesta pas, mais peu après il endommageait le promis. Ensuite, il se défilait avec la belle sans souci des cris. Toutefois, au bout d’un temps, il lui parut impossible de la supporter. Alors il la semait, où ça se trouvait, comme un paquet. Mais la délaissée ne se plaignait jamais. Elle soupirait même après lui.
  Quant à Jancu Stroe, il se spécialisait dans les rapts. Chaque frimousse bien tournée avait une chance de lui plaire. Il surgissait entre les eaux d’un canal ou bien au milieu d’une foule. Et il se servait. Sans phrases. parfois un peu brutalement. En avant ! La compagne se sentait toujours l’envie d’affronter le romanesque. Lorsqu’il avait trop présumé de son appétit, et bien ! il ne le dissimulait pas. Il changeait de quartier et de partenaire. Mille et trois ? Peut-être. Mais la préférée ? Ma question l’embarrasse. Les exploits d’amour s’embrouillent dans sa cervelle de mécréant . Mes soupçons se portèrent sur une ronde petite personne qu’il enlevait le jour de ses noces à la barbe du marié, comme elle entrait à l’église. La partie n’était pas gagnée. Il fallut encore fuir devant l’insistance du bafoué qui chambardait toutes les tanières par des battues monstres. Mais je ne puis démêler si Jancu Stroe aimait la femme ou bien la peine qu’elle lui occasionnait. Pour lui aussi — qui sait — le sentiment redoublait dan la persécution.
   Passons sur ses prouesses confondues.
   Mais ne croyez pas que Jancu Stroe hésite quand il évoque Térente. Un Térente boueux et insolent qui mendiait un gîte et lançait son poing dans le ventre de l’hôte qui ne versait pas à boire. Un Térente qui malgré la rossée se comportait en grand seigneur et payait d’un couteau neuf car les lei lui manquaient. Le voici : rouillé depuis longtemps. Nulle part le prestige de cet énergumène ne se ressent mieux qu’entre cette végétation où la nuit quintuple les fantômes, devant ce colosse chenu qui reconnait l’avoir servi humblement maintes fois.  Il est mort. Quelle erreur ! Ses défroques servent d’enseignes à la racaille des hautes herbes et son coeur reste mêlé aux forces du delta !
   À travers les confidences de Jancu Stroe, je perçois une rancoeur. Il déteste un certain Cocosh. Une sorte de petit frère jumeau. C’était un rival — non un maître — mais prêt à la bataille, capable de nuire dans cette course à la tendresse et mal disposé à se laisser distancer. La fâcheuse concurrence durait peu. Des mâles exaspérés expédièrent Cocosh ad patres, une nuit qu’il n’y prenait garde. Mortelle bousculade !
J’eus un aperçu de ce que cela signifie de féroce entêtement.
   Pendant mon séjour, Gherghishan — ni Roumain, ni Lipovan, un sans-patrie — tenait la Balta en amont de Carcaliu.  Il « kidnappait » les pêcheurs. Il ligotait à un arbre sa capture, nue sous le soleil. Quand la rançon tardait, il entaillait la peau et y glissait du sel. Les atrocités se répétaient, car il n’est pas facile de trouver vingt mille lei dans les bauges des Russes. Déjà six marins étaient morts de ses passe-temps.
   Un jour, de bon matin, ce fut une levée de rames. Les gens de l’ouest se joignaient à ceux de l’est. Ils purent ainsi traquer en rang serré. Travail pénible dans un terrain aussi difficile. Parfois un homme glissait à l’eau. Sa place se bouchait aussitôt. Ailleurs une jambe cassait prise dans une racine invisible. Quelqu’un parait le coup. Et cette chasse continuait son bruit de roue de moulin. Le mutisme des révoltés donnait à penser le sort qui attendait l’ennemi s’il se trouvait là. Aucune fuite n’était possible pour lui.  On l’encerclait. Midi sonnait. Mais la canicule ne mordait pas sur ces peaux velues, ni la faim, ni les moustiques qui cependant se faufilaient jusque dans mes bottes. Le même train se soutenait encore jusqu’à la tombée de la nuit. Alors la jacquerie de débanda pour reprendre quelques jours plus tard. Mais Gherghishan courait encore trois mois après.
   Je dois reconnaître que je traversais sans accident, et presque sans m’en apercevoir, une forêt des environs de Tulcea, où, la veille il rançonnait un médecin. Cela ne signifie pas que je doute de l’authenticité de ce Fantomas. Je n’en veux que le témoignage des victimes, les estafilades, l’argent versé, et aussi l’incapacité où je me trouvais de décider mon escorte — des civils pour lors — à m’accompagner au monastère de Nifon, près de son nouveau repère, dans les montagnes de Dobroudja.
Mais cette rocambole m’épargnait toujours… »  

Odette Arnaud, Pêcheurs de rêve, « Bandits d’honneur », Collection « La Vie d’aujourd’hui », Éditions de la Nouvelle Revue Critique (6e édition), Paris 1936
De la même auteure :
La Nouvelle Roumanie…, Collection « La Vie d’aujourd’hui »
Éditions de la Nouvelle Revue critique, Paris, 1938

Bibliographie :
Alexandru, Ionel Ștefan și Alexandru, Milica, Terente – regele bălților, Editura Dunărea, Brăila, 2003
Vlad Nica, Terente, regele bălților, thèse de doctorat
https://ro.wikipedia.org/wiki/Terente

La vie mouvementée de Ştefan Vasili Terente a alimenté de nombreuses légendes, des chansons et une littérature populaire, la publication de romans-feuilletons dans les journaux comme celui de Sylvia Bernescu (1924) et a fait plus récemment l’objet d’un film kitsch et à l’esthétique contestable réalisé en 1995 par le cinéaste roumain Andrei Blaier (1933-2011) « Terente, le roi de la Balta » d’après un scénario du romancier, nouvelliste et dramaturge Fănuș Neagu (1932-2011) auteur d’Histoire de la route de Brăila (1989).

Gavril Pătru dans le rôle de Terente

Synopsis du film : 
Terente, matelot engagé sur un navire militaire, entre en conflit avec ses supérieurs. Pendant un certain temps, il se cache à Braila, soutenu par Lonescu Bazil, un journaliste réputé.
Finalement arrêté, Terente est condamné à la prison, mais parvient à s’échapper avec l’aide du même journaliste, qui a également recruté plusieurs prostituées du célèbre établissement « La Tanti Elvira ».
De retour dans son village natal de Carcaliu, Terente, renié par ses parents, parvient à rassembler une importante somme d’argent grâce à une série d’attaques et à former un groupe d’hommes de main avec lesquels il reprend le bateau pour se venger de ceux qui l’ont trahi. Il reste ensuite un moment en ville pour régler ses comptes  avec un officier pédéraste qui l’avait forcé à avoir des relations sexuelles avec lui.
Pendant tout ce temps, il bénéficie du soutien de Bazil lonescu, dont il ne comprend pas vraiment les raisons de son aide. Ce dernier le suit également dans ses pérégrinations dans les marais que Terente connaît depuis son enfance où il se cache avec sa bande. De là il part pour ses campagnes de pillage contre les riches et les institutions corrompues. Le brigand est accompagné en permanence, entre autres, d’un terroriste soviétique envoyé en mission spéciale en Roumanie, qui a réussi à infiltrer le gang et finit par être démasqué.
Après plusieurs passages à tabac, vols, enlèvements de jeunes filles et orgies qui effraient les habitants de Brăila mais en fascinent aussi certains, créant une aura de légende autour du brigand (une atmosphère copieusement entretenue par le journaliste Bazil qui bénéficie de tous les secrets des opérations de Terente), les autorités entament une campagne de grande envergure pour capturer la bande. Mais leurs efforts échouent lamentablement, dans la Balta dont Terente connaît  tous les recoins. Le plus grand banquier et l’avocat le plus réputé de la ville, dont les filles ont été enlevées ,proposent une récompense élevée pour la capture de Terente et la libération de leurs filles. Les escapades de Trente avec meurtres et démonstrations d’invincibilité, se poursuivent, malgré l’intensification des recherches jusqu’à ce que Terente soit trahi, également pour de l’argent, par l’homme qu’il considérait comme son ami, le journaliste Bazil lonescu. Entouré d’une armée de gendarmes, Terente, attiré dans un piège pour voir son enfant, fruit de son amour pour la seule femme qu’il ait jamais aimée, tombe sous une grêle de balles (Andrei Blaier).

Pour approfondir la question lipovène : 
Frédéric Beaumont, « Les Lipovènes du delta du Danube », Balkanologie [En ligne], Vol. X, n° 1-2 | mai 2008, mis en ligne le 02 avril 2008, consulté le 20 mars 2019. URL : http://journals.openedition.org/balkanologie/394
Olexandre Prygarine, « LES « VIEUX-CROYANTS » (LIPOVANE) DU DELTA DU DANUBE », Presses Universitaires de France | « Ethnologie française » 2004/2 Vol. 34 | pages 259 à 266

Notes :
La partie maritime du delta a été peuplée par l’homme dès le néolithique moyen. La Culture dite « de Hamangia » s’est développée au cinquième millénaire avant notre ère sur la côte ouest de la mer Noire. Son nom provient du site de Baia-Hamangia, découvert en 1952 sur les rives du lac Goloviţa, au sud du delta.
2 Caron ou Charon est dans la mythologie grecque le pilote de la barque des enfers qui,  sur les marais de l’Achéron et contre rétribution, fait traverser les âmes des morts ayant reçu une sépulture.
3 Village du delta situé sur le bras de Mǎçin (Vieux-Danube)
4 Eau-de-vie de fruits très populaire dans les Balkans
5 Petite ville en amont du delta sur le bras danubien (Vieux-Danube) du même nom.

Le delta du Danube, les Varègues et la lotcă

Suite aux expéditions de ces guerriers, commerçants et marchands, sont fondées dans les régions orientales du continent européen, souvent au bord des grands fleuves, de petites cités fortifiées qui prospèrent grâce aux échanges commerciaux. À ceux-ci se joignent des échanges culturels incontestables. Les églises en bois qui apparaissent dans ces régions roumaines postérieurement à la christianisation des tribus vikings, aux alentours des VIIIe-Xe siècles, sont un des exemples de la rencontre et du mélange des traditions scandinaves avec les coutumes des peuples slaves de l’Europe orientale. Ces influences culturelles réciproques existaient déjà auparavant, à l’époque de la présence de tributs celtiques et daces au bord de la mer Noire.

Routes terrestres, fluviales et maritimes des Vikings : celle de la Volga est en rouge, celle des Varègues en violet (source Wikipedia)

Les Varègues1, (c’est ainsi que les Slaves et les Byzantins appelaient les Vikings originaires principalement de Suède mais aussi de Norvège, Danemark et Finlande voire d’Islande, qui voyagèrent à l’est de l’Europe entre le IXe et le XIe siècles, s’y installèrent pour une partie d’entre eux et fondèrent et gouvernèrent l’État médiéval de la Rus, IXe-XIIe siècles2), se sont aventurés jusqu’aux rives de la Mer Noire, dans le delta du Danube et bien au-delà.
Quelques traces de leur présence sont attestées d’un point de vue archéologique comme à Nufăru sur la rive droite du bras danubien de Sfântu Gheorghe (Saint-Georges). Ce village de pécheurs pourrait même, selon certaines sources hypothétiques, avoir été brièvement l’ancienne capitale de la Rus de Kiev sous le nom de Pereyaslavets et d’où proviendrait Prislav, son ancien nom jusqu’en 1968. On trouve près de Murfatlar, aujourd’hui célèbre pour ses vignobles, dans une grotte calcaire, aux côtés d’inscriptions en grec ancien, en écritures cyrillique, glagolitique et en vieux-turc (alphabet de l’Orkhon), une représentation  d’un bateau varègue, représentation qui  pourrait toutefois avoir été réalisée par des moines locaux lors de l’invasion ultérieure de l’empire bulgare. Des indices de la présence des Varègue ont également été découverts dans les fondations de l’ancienne forteresse byzantine. 

Aux origines de la lotcă

Photo © Danube-culture, droits réservés

   Quant à la construction des lotcă, ces embarcations traditionnelles du delta du Danube utilisées pour la pêche, le transport et d’autres usages, elle s’inspire et reprend, d’une manière évidemment moins élaborée, la technique ancestrale de construction des bateaux des peuples scandinaves.

Photo droits réservés

   Les lotcă vont toutefois n’en conserver que la forme initiale avec les planches de la coque en emboîtement mais sans superposition comme c’est le cas pour les embarcations Vikings. La terminologie de la construction d’une lotcă traditionnelle utilise encore le terme de « varangues » pour désigner les pièces renforçant le fond de la barque3.
La lotcă du delta du Danube est en sorte une copie danubienne réduite et simplifiée des bateaux des peuples scandinaves mais remarquablement bien adaptée aux canaux, aux bras du fleuve et aux spécificités de la navigation dans son delta.

Notes :
1Le terme de Varègues, uniquement a été également donné à des troupes de mercenaires probablement d’origine scandinave au service du basileus, l’empereur de Constantinople.
2 Une princesse de la première dynastie de la Rus de Kiev (riourikide) épousera Henri Ier (1008-1060) et deviendra reine de France sous le nom d’Anne de Kiev.
3Une varangue est une des pièces de charpente d’un bateau, servant, dans les fonds, de liaison transversale entre la quille et les membrures. Des anguillers sont pratiqués au pied des varangues pour faciliter l’écoulement d’eau le long de la quille (source Wikipedia)

En complément :
FLORIN PINTESCU, Présences de l’élément Viking dans l’espace de la romanité orientale en contexte méditerranéen, Studia Antiqua et Archaeologica, VIII, Iaşi, 2001
PAUL STEPHENSON, Byzantium’s Balkan Frontier : A Political Study of the Nothern Balkans, 900-1204, Cambridge University Press, Cambridge, 2000
REGIS BOYER, JOHN HAYWOOD, MARTINE SELVADJIAN, Atlas des Vikings. 789-1100. De l’Islande à Byzance: les routes du commerce et de la guerreAutrement, Paris, 1995
REGIS BOYER, Les Vikings. Histoire et civilisations, Plon, Paris 1992
REGIS BOYERLa Vie quotidienne des Vikings, Hachette, Paris 1992

Danube-culture © droits réservés, mis à jour septembre 2023

Les vignobles danubiens ; des terroirs d’exception !

Les somptueux vignobles de la Wachau autrichienne et leurs voisins de la vallée de la rivière Krems (Kremstal, rive gauche), du Kamp (Kamptal), de la Traisen (Traisental, rive droite) ou des coteaux adoucis de Wagram (rive gauche), pour ne citer que ceux-ci, sont emblématique des magnifiques vins blancs qui sont élaborés sur les terroirs danubiens autrichiens. Le niveau de qualité de ces vins danubiens est toutefois, comme partout, contrasté et va des vins les plus extraordinaires des meilleurs terroirs et parcelles aux plus simples des breuvages (vins rouges) n’apaisant guère (et encore !) que la soif.

Spitz/Danube (rive gauche) et ses vignobles au coeur de la Wachau, une région classée au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses paysages viticoles ancestraux, photo © Danube-culture, droits réservés

Quand à Vienne, unique capitale européenne à avoir préserver un vignoble conséquent, elle s’enorgueillit aussi à juste titre de ses nombreuses charmantes et joyeuses auberges et caveaux de vignerons avec cours, jardins, les « Heuriger » et parfois vue sur la ville. Ici l’on vous sert un gouleyant, traditionnel et joyeux vin blanc de production tout-à-fait locale, le « Gemischter Satz » qui peut être élaboré avec 20 différents cépages, parfois biologique (voir l’article sur les vins de Vienne sur ce site).

Le plus petit vignoble viennois, place Schwarzenberg, dont les vins sont vendus au profit d’oeuvres caritatives, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Danube est peut-être aujourd’hui, avec le Rhône, la Loire, l’estuaire de la Gironde, le Neckar, la Moselle et le Rhin, l’un des cours d’eau les plus propices à la culture de la vigne du continent européen. Comme pour le sel et d’autres matières (bois, fer, céréales…), on a longtemps acheminé par bateaux sur ce fleuve, avec en particulier les fameuses « Zille », grandes barques en bois à fond plat parfaitement adaptées à la délicate navigation danubienne, depuis les régions de production, d’importantes quantités de barriques de vin vers les capitales et les grandes villes qui jalonnent son parcours, telles Vienne, Bratislava, Budapest, Belgrade et au delà...

Photo droits réservés

Les vignobles du Haut et Moyen-Danube
   Bien que la vigne soit cultivée en Allemagne dans quelques villages bavarois des bords du fleuve comme à Bach/Danube (rive gauche), entre Ratisbonne et Wörth, c’est en Autriche que le fleuve rencontre ses premières grandes régions viticoles : les régions de la Wachau, Kremstal, Wagram, Kamptal, Donauland, Vienne et ses collines, Petronell-Carnuntum (rive droite), la région des thermes (Thermenland, au sud de Vienne) et enfin la région orientale aux frontières de la Hongrie du nord du Burgenland (rive droite), plate et chaude, plaine et terroir féconds pour les vins de cépage Blaufränkisch, Zweigelt, Pinot noir, Carbernet-Sauvignon… mais aussi de grands vins blancs y compris de vendange tardive (Eiswein), plus particulièrement sur les reliefs autour du Neusiedlersee, grand lac peu profond, vestige de l’antique et immense mer panonnienne. La Styrie, la Carinthie méridionale et le Tyrol du sud, aux frontières de l’Italie, se joignent avec bonheur aux territoires viticoles danubiens.
Le niveau moyen de qualité de l’ensemble de la production autrichienne qui s’étend sur 50 000 ha de vignes est l’un des plus élevés d’Europe.

L’Abbaye de Göttweig comme celles de Melk et de Klosterneuburg, possède ses propres vignobles, photo © Danube-culture, droits réservés

C’est incontestablement dans la région de la Wachau, entre l’abbaye de Melk et l’abbaye de Göttweig, que s’élaborent les vins blancs secs les plus réputés de ce pays voire d’Europe. On aurait désormais tort de négliger malgré tout les vins des régions voisines de Wagram, Kamptal (rive gauche),Traisental le vignoble de Carnuntum (rive droite), en aval de Vienne, et celui du « Thermenland » avec ses jolis villages, au sud de la capitale, qui réservent de belles surprises à l’amateur oenophile éclairé.

Slovaquie méridionale et Hongrie danubienne (Moyen-Danube)
   Le vignoble slovaque (vins blancs) se tient sur la rive gauche (nord) du Danube et borde ses affluents. La production vinicole slovaque a beaucoup progressé depuis quelques années grâce à des vignerons entreprenants et soucieux de qualité. De l’autre côté, sur la rive hongroise se tiennent sur la rive droite les vignobles de la région de l’abbaye de Pannonhalma, au sud de Győr, puis apparaissent les premiers reliefs hongrois et l’excellent petit vignoble d’Ázsár-Nezmély. L’origine de ce vieux vignoble remonte à l’époque romaine. Un bon ensoleillement et une arrière-saison, souvent chaude, permettent de produire en majorité des vins rouges, plutôt légers et quelques vins blancs de qualité. Le Danube baigne ensuite sur la rive droite plusieurs grandes régions viticoles hongroises, de Budapest (district d’Etyek-Buda) jusqu’à la frontière méridionale avec la Croatie danubienne qui n’est pas non plus avares de divins breuvages (vignoble croate septentrional des régions de Baranja et d’Ilok). Ces paysages viticoles ont été façonnés par l’homme avec l’aide du fleuve et de ses affluents dont la Drava (Slavonie croate). Parmi les meilleurs vins rouges hongrois, on peut recommander ceux  des régions de  Szekszard, Tolna, Villány, Pecs… D’autres vignobles s’épanouissent aussi sur la rive gauche entre Danube et Tisza (vignobles de Kunság, Congrád, Hajós-Baja…).
Les vins hongrois danubiens offrent de belles émotions tant en rouge qu’en blanc voire rosé et méritent une redécouverte et une reconnaissance plus largement partagée comme celle que connait le légendaire Tokaji Aszú, l’un des vins doux les plus raffinés au monde et qui est désormais inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. La surface viticole compte en totalité 65 000 hectares cultivés par 32 000 vignerons. Quelques cépages :  Bikáver, Blauburger, Cabernet Franc, Kadarka, Pinot Noir, Zweigelt, Turán, Kékfrankos, Merlot,  Portugieser… (rouges), Chardonnay, Cirfandli, Irsai Olivér, Hárslevelü, Olaszrisling, Sauvignon blanc, kéknyelü, Kövidinka, Sárgamuskotály, Tramini Zenit, Szürkebarát, Zöldveltelini…(vins blancs).

Les vignobles serbes, croates, roumains et bulgares du Bas-Danube : le renouveau d’un savoir faire ancestral
   Dans les Balkans danubiens, l’amateur de découvertes sera tout à la joie de rencontrer des vins et des cépages parfois inconnus qui sortent encore relativement peu de leur zone de production comme celles du Banat serbo-roumain, de Vojvodine et de Fruška Gora en Serbie septentrionale, de Ruse, Pleven, Veliki Tarnovo et Vidin en Bulgarie (rive droite), des collines de l’Olténie (Dealu Mare) et de la Drobrogea en Roumanie. Malmenés par la période communiste, peu avide en élaboration de vins de qualité, ces vignobles apportent de bonnes (et moins bonnes) surprises qui illustrent l’hétérogénéité actuelle de la production mais il est évident que la qualité progresse rapidement. À noter que des vignerons français et italiens se sont, depuis quelques temps, installés sur les terroirs serbes et roumains danubiens et les versants septentrionaux de la Dobrogea roumaine. Leur présence influence les méthodes de vinification. Les vins élaborés ces dernières années, parfois de façon biologique, suscitent de plus en plus nombreux commentaires élogieux et de belles perspectives dans l’avenir. Certains vins serbes et roumains (et hongrois) se retrouvent dans les caves et sur les tables de grands restaurants fraçais !
Les conditions climatiques de la prochaine décennie seront déterminantes pour l’avenir des vignobles du Bas-Danube.

Le « Bermet », un vin serbe d’anthologie inclassable et à l’élaboration secrète, toujours cultivé en Vojvodine à Sremski Karlovci (rive droite), sur les bords du Danube, au pied de la belle Fruška Gora, photo © Danube-culture droits ré,servés

Mentionnons parmi les cépages cultivés le long du fleuve, outre les Riesling d’origine allemande et les transfuges français comme les Cabernet, Merlot et Pinot pour les rouges, le Sauvignon et le Chardonnay pour les blancs, les excellents Grüner Veltliner autrichiens (blanc), les Frankovka (rouge) ou l’Ezerjo slovaque, le Kadarka et  l’Olazriesling hongrois.

Photo © Danube-culture, droits réservés

En Croatie continentale on pourra déguster des vins de cépages Graševina et Traminer, en Serbie on découvrira un vieux cépage local traditionnel, le Procupac. Si l’on a beaucoup et sans doute un peu trop planté de Cabernet et de Merlot en Bulgarie danubienne, le pays possède aussi des cépages locaux intéressants comme le Mavrud, le Melnik (rouge), le Dimiat ou le Rkatsiteli (blanc).
La Roumanie est également riche en variétés locales et trésors insoupçonnés. Vignerons et oenologues valorisent de mieux en mieux les cépages Feteasca Neagra et Babeasca Neagra (rouge), les Feteasca Alba, Feteasca Regala, Cramposia (blanc). Là aussi souvent le meilleur comme le plus médiocre se côtoient encore mais la transition fait progresser la qualité. De beaux vins blancs aux raisins sucrés et ensoleillés sont produits à partir des variétés Grasa et Tamioasa jusque dans le delta du Danube.
La Moldavie peut aussi revendiquer des vins dignes d’être appréciés par les connaisseurs. Quant aux villages ukrainiens du delta, leurs habitants produisent un vin sympathique et de consommation uniquement locale .

Sources :
Sur les vins roumains et le réchauffement climatique :
Irimia, L.M., Patriche, C.V. & Roșca, B. Theor Appl Climatol (2018) 133: 1. Climate change impact on climate suitability for wine production in Romania
https://doi.org/10.1007/s00704-017-2156-z

 Sur les vins autrichiens :
www.vinea-wachau.at
www.kremstal-wein.at
www.wienerwein.at
www.oesterreichischwein.at

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour juillet 2023

Retour en haut de page