De Komárom à Esztergom sur la rive droite du Danube (Hongrie)

 « Ce paysage magyar, plein de force mais aussi d’indolence, ce serait donc là déjà l’Orient, souvenir encore frais des steppes de l’Asie, des Huns, des Petchénègues, ou du Croissant ; Cioran célèbre le bassin du Danube en ce qu’il amalgame des peuples bien vivants mais obscurs, ignorant de l’Histoire, c’est-à-dire de cette division en périodes définies en fonction d’une idéologie qui est une invention de l’historiographie occidentale, giron et sève de civilisation non encore dévitalisée, à ses yeux par le rationalisme ou le progrès.
Ce pathos viscéral, qui se proclame à l’abri de toute idéologie, n’est qu’un artifice idéologique. Un arrêt dans une pâtisserie ou une librairie à Budapest apporte un démenti à celui qui pense que, à l’est de l’Autriche, on pénètre déjà confusément dans le sein de l’Asie. Dès l’entrée dans la grande plaine de Hongrie, on pénètre, certes dans une Europe en partie différente, dans un creuset où se mêlent des éléments autres que ceux qui constituent la pâte de l’Occident. La poésie d’Endre Ady (1877-1919), le grand poète hongrois du XXe siècle, est marquée par la sombre angoisse de cette charge séculaire qui, comme on l’a dit, pèse sur les Magyars : celle du choix nécessaire et parfois impossible entre orient et occident… »

Claudio Magris, « Aux portes de l’Asie ? », Danube, L’Arpenteur, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Komorn (Komárno, rive gauche) et  Komárom (Uj-Szöny, rive droite) et le confluent du Vah avec le Danube. Les deux villes d’aujourd’hui, Komárom (Hongrie) et Komárno (Slovaquie) ne faisaient qu’une seule ville hongroise jusqu’en 1920. La forteresse et son impressionnant réseaux de fortifications, édifiées par les armées impériales autrichiennes contre les envahisseurs ottomans était surnommée « La Gibraltar du Danube ». Sur ce plan de la fin du XIXe-début du XXe siècles.  un pont de bateaux traverse le fleuve. On voit aussi 9 bateaux-moulins à proximité de l’île sur le bras gauche ainsi qu’un autre pont de bateaux au-dessus de île sur le Vah en amont de sa confluence avec le Danube.  

Sur la rive droite, de la frontière hongroise à Esztergom 
À l’exception de Komárom (PK  1770), cité portuaire, industrielle et thermale hongroise que le Danube partageait déjà mais qui fut coupée en deux après la première guerre mondiale par le contreversé Traité de Trianon (1920), la partie située sur la rive gauche, bien que majoritairement peuplée d’habitants hongrois devenant tchécoslovaque sous le nom de Komárno puis slovaque lors de la partition récente de la Tchécoslovaquie en 1993, la rive droite demeurant en Hongrie, aucune ville ne se tient directement sur les bords du Danube jusqu’à Esztergom et ce, depuis le début de son parcours slovaco-hongrois, en aval de Bratislava.

La forteresse de Komorn au confluent du Vah avec le Danube dans l’ouvrage « Danubius Pannonico-Mysicus » de Ferdinando Luigi Marsigli, 1726

Les cités hongroises de Moson-Magyaróvár et de Győr se tiennent prudemment éloignées du bras principal du fleuve. La première est traversée par la Lajta (Leitha, 180 km), affluent du Danube qui se jette dans le Mosoni-Duna (Danube-Mosoni), un bras secondaire serpentant à travers la campagne depuis le petit village frontière et base sportive slovaque de Čunovo, porte du canal du même nom. Győr a été édifiée au confluent des rivières Rába et Rábca  avec le Mosoni-Duna. Moins connue que Passau ou Ratisbonne (Regensburg), toutes deux en Bavière, Győr est une ville pleine de charme et d’agrément. Le Mosoni-Duna rejoint, quant à lui, le bras principal du Danube au PK 1793, 90.

Le confluent de la Rábca (à gauche) avec le Danube Mosoni à Győr, photo Danube-culture © droits réservés, 2023

   « Le Danube enfile les villes comme des perles. Győr, qui était en 1956 le centre des revendications les plus dures et imposait des ultimatums à Budapest, plus modérée, et même au gouvernement d’Imre Nagy, considéré comme trop favorable aux communistes, est belle et tranquille, avec ses vieilles rues qui mènent comme une promenade dominicale sur les rives du Danube, avec ses quais et l’eau verte de la Raba qui se jette dans un bras du Danube. Au n° 5 de la Dr Kovacs Utca, de nobles et fières moustaches magyares ornent sur un médaillon le visage de Petöfi1 ; dans l’église des Jésuites les feuillages verts, dorés par le soleil, encadrent les fenêtres et les visages qui un instant se dessinent contre la lumière, avec une beauté plus émouvante que celle des vitraux gothiques. Dans l’Alkotmany Utca, où a séjourné Napoléon, les balconnets ont une allure aristocratique empreinte de calme et de mesure, avec des cariatides et des lions brandissant des sabres…. »
Claudio Magris,  « Tristement Magyar », in Danube, L’Arpenteur, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Notes :
1 Sándor Petőfi, né Sándor Petrovics le 1ᵉʳ janvier 1823 à Kiskőrös et mort le 31 juillet 1849 à Segesvár, est considéré comme le poète inspirateur du nationalisme hongrois.

Le Danube s’enrichit à hauteur de Komárno/Komárom d’un affluent conséquent sur sa rive gauche slovaque, le Váh ou Vág en hongrois (403 km), poursuit ensuite paisiblement son chemin d’ouest en est à travers la plaine hongroise, longe un peu plus loin sur la rive méridionale les petits vignobles d’Ászár-Neszmély qui donnent en particulier un excellent Olaszrizling puis, avant d’atteindre les versants Nord de ses premiers reliefs hongrois, les Monts Gerecse, se prélasse, formant de nombreuses îles jusqu’à Esztergom. En quittant Esztergom, il trouve plus difficilement son chemin entre les Monts Pilis (rive droite) et Börszöny (rive gauche) pour dessiner ensuite avec le « coude du Danube » (en hongrois Dunakanyar) et la citadelle de Visegrád, l’un des plus beaux paysages de son périple à travers le continent européen.

La forteresse royale de Visegrád, en aval d’Esztergom sur la rive droite, photo © Danube-culture, droits réservés

Même si les premiers villages riverains n’ont malheureusement pas, du côté hongrois beaucoup de charme, il vaut mieux rester sur cette rive pour rejoindre Esztergom plutôt que de prendre l’itinéraire par la Slovaquie et de retraverser le Danube à Štúrovo sur le nouveau pont Mária-Valéria plusieurs fois détruit et reconstruit selon les péripéties de l’histoire de l’humanité. L’itinéraire sur la rive slovaque passe par contre, à quelques kilomètres en aval de Komárno, à proximité du camp romain de Kelemantia (IIe-IVe siècles ap. J.-C.), puis des deux petits lacs d’eau thermale de Patince. 

Le pont Mária-Valéria (PK 1718,8), inauguré en 1895, fut détruit en 1919 et 1944. Rares sont les ponts qui enjambent aussi élégamment le fleuve. Pour des raisons politiques il ne sera reconstruit que 53 ans plus tard et remis en service le 11 octobre 2011. Il relie la rive gauche slovaque à la Hongrie (rive droite) et symbolise la réconciliation slovaco-hongroise, photo © Danube-culture, droits réservés

Comme pour Komárno et Komárom, la cité slovaque de Štúrovo (rive gauche) qui s’appelait jusqu’en 1948 Parkan (Párkáný en hongrois) et Esztergom, ne formaient de part et d’autre du fleuve autrefois qu’une seule ville.

Esztergom1, cité royale et archiépiscopale, la « Rome hongroise »    

« Esztergom apparut, silhouette étrange : un cube et une coupole portée sur beaucoup de colonnes. De loin, chacun devine une merveille. Cube où se meut un rythme admirable et que les monts naissants présentent comme une offrande sur cet autel qu’ils lui font… »
Le Corbusier, le voyage d’Orient, 1910-1911, Les Éditions Forces Vives, Paris, 1966

Esztergom en 1911, sources Fortepan

 « Esztergom. C’est ici que Geza, prince des Hongrois venus un siècle plus tôt des steppes russes sous la conduite d’Arpad, établit sa résidence et sa cour en 973 et que naquit son fils, Étienne le Saint, premier roi de Hongrie. Avec ce premier roi chrétien qui christianisera la Hongrie et vainquit les Petchénègues païens, s’acheva le règne des chamans et des divinités errantes des steppes ; à présent la ville est la résidence officielle du Primat de Hongrie. L’énorme cathédrale néoclassique qui trône au-dessus du Danube a la froide et morte monumentalité d’un cénotaphe, et manifeste la glaciale présence d’un pouvoir temporel orgueilleux. À Esztergom, on s’est beaucoup battu : invasions mongoles, sièges et conquêtes des Turcs. C’est ici, en 1594, qu’est tombé Bálint Balassi, un des premiers poètes de la littérature hongroise… »
Claudio Magris, « Un buste impérial dans un dessous d’escalier », in Danube, L’Arpenteur, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Esztergom avec ses minarets en 1664. La ville est alors sous domination turque. Important point de traversée du fleuve par bac dès l’Antiquité, le passage est doté d’un pont de bateaux (1762-1842) puis d’un pont-volant comme il en exista un à Presbourg (Bratislava) et de nouveau d’un pont de bateaux démontable. Détruit en 1848, reconstruit en 1862, il est remplacé par le premier pont Maria Valeria en 1895.  

Ce sont d’abord des tributs celtes qui s’installèrent à cet endroit suivies des romains, très présents un peu partout sur les rives de ce fleuve stratégique pour les frontières de l’empire. Le camp et la colonie romaine de Solva Mansio accueillit l’empereur Marc-Aurèle qui y aurait écrit, en grec, pendant la campagne du Danube (172-173), vers la fin de sa vie, quelques-une de ses célèbres Pensées.

Marc-Aurèle (121-180 après J.-C.), empereur romain et philosophe, photo © Danube-culture, droits réservés

La ville devient au Xe siècle la résidence du Grand-Prince de Hongrie Geza Árpád (vers 945-997) et capitale du royaume pendant son règne (972-997). Son fils, Vajk, se fait baptiser sous le nom d’István Ier (Étienne, vers 975-1038) puis, soutenu par le pape Sylvestre, couronner roi en l’an mille ou mille et un. Il règne jusqu’en 1038 et fait de son royaume l’un des piliers de la civilisation et de la chrétienté occidentales. Esztergom est alors à son apogée. Elle reçoit, sous le règne de Bela III (vers 1148-1196) de nombreux visiteurs prestigieux mais pas toujours bien intentionnés sur le chemin des croisades. À la suite du départ du roi Béla IV (1206-1270) et de sa cour d’Esztergom en raison des premières invasions mongoles du XIIIe siècle. Ils trouvent refuge d’abord en Autriche puis en Damaltie. l’archevêque prend possession du palais royal et maintient le pouvoir ecclésiastique dans la ville avec un haut niveau de  culture. Esztergom n’échappera pas toutefois pas aux invasions mongoles puis devra subir, comme une grande partie de la Hongrie, l’occupation turque pendant de longues années.

Esztergom, miniature ottomane, 1543

Esztergom se tient sur deux collines et au pied de celles-ci : la colline du château (Vár-hegy) et la colline de saint-Thomas (Szent Tamás-hegy). Une île verdoyante, Primás-sziget (île du Primat), formée par le kis Duna (petit Danube) et ses promenades ombragées (quartier de Viziváros, la ville d’eau) jouxte le centre historique, la magnifique place Széchenyi, l’hôtel de ville, de nombreux bâtiments d’époques successives à l’architecture remarquable et les nouveaux et anciens établissements thermaux.

La place Széchenyi, la fontaine baroque et l’Hôtel de ville d’Esztergom, photo © Danube-culture, droits réservés

Au pied de l’imposante basilique saint-Adalbert et du palais royal, construits sur Vár-hegy, se tient, tout proche du fleuve, le palais archiépiscopal (Prímasí palota) abritant un magnifique musée de peinture (Keresztény Múzeum) fondé par le cardinal archevêque János Simor (1813-1891) et enrichi de donations successives.

La basilique saint Adalbert du Danube, photo droits réservés

 « Très loin là-bas, sur l’autre rive, j’apercevais ma destination ; elle n’avait cessé de grandir à ma vue depuis le premier regard du matin. Une falaise se détachait au-dessus d’un long coude du fleuve, couronnée par une temple blanc qui ressemblait à Saint-Pierre de Rome. Un cercle de piliers aériens soulevait un dôme scintillant dans le ciel. C’était dramatique, mystérieux, aussi inattendu qu’un mirage et un point de repère sans équivalent dans ce désert liquide et solide. La basilique d’Esztergom, je le savais, était la cathédrale métropolite de toute la Hongrie, le plus grand édifice religieux du royaume et le siège de l’archevêché du cardinal-prince-archevêque : en d’autres termes, l’équivalent hongrois de Reims, Canterbury, Tolède, Armagh et la vieille Cracovie. Cette basilique, si spectaculaire et splendide qu’elle soit, n’est pas ancienne : rare sont les endroits de cette région qui n’aient pas subi les ravages des Tartares et des Turcs ; après la reconquête, tout fut à recommencer. Mais la ville — la Strigonium latine ou la Gran allemande — est l’une des plus ancienne du pays. Depuis la naissance et le couronnement du premier roi apostolique de la Hongrie chrétienne — le descendant des conquérants Arpád, saint Étienne lui-même — à Esztergom, l’histoire n’avait cessé de s’y accumuler et de s’y entrelacer au mythe. La basilique était la seule bâtisse visible depuis mon sentier. Les monastères, les églises, les palais et les bibliothèques qui sertissent la petite ville escarpée gisaient dans un repli de terrain. La grande masse, avec ses deux clochers symétriques à coupoles, son cercle de piliers et son vaste dôme nacré, planait au-dessus de l’eau, des bois et des fougères comme soutenue, telle la cité céleste dans un tableau, par un battement d’ailes infatigables. »

Patrick Leigh Fermor, Dans la nuit et le vent, à pied de Londres à Constantinople, « Le temps des offrandes, Les marches de Hongrie », traduction de Guillaume Villeneuve, Éditions Nevicata, Bruxelles, 2016

   Il ne subsiste de la toute première basilique construite par le roi Étienne Ier et détruite pendant les guerres contre l’empire ottoman que la chapelle Renaissance en marbre rouge (Bakócz-kápolna) édifiée à la demande du cardinal Thomas Bakóz (1442-1521) et décorée par des sculpteurs toscans. Celle-ci fut démontée pierre par pierre au début du XIXe siècle puis réinsérée dans le nouveau bâtiment. La basilique néo-classique dont l’édification commença en 1822, peu de temps après le rétablissement d’Estzergom comme archevêché, dura cinquante ans. Elle impose désormais sa présence depuis le haut de sa colline à la ville et aux environs. Elle semble même vouloir défier le Danube qui coule à ses pieds. Beethoven proposa en 1823 d’y donner sa propre Missa Solemnis pour sa consécration mais celle-ci n’eut lieu qu’en 1856 et c’est Franz Liszt qui dirigera sa Graner Messe (Messe de Gran) lors de cette cérémonie.
La crypte abrite les tombeaux des cardinaux hongrois depuis le cardinal archiduc Ambrus Károly (1785-1809). Le trésor constitue la plus riche collection d’objets religieux de toute la Hongrie. Il comprend une croix de cristal du IXe siècle provenant de Metz, le calice baroque de l’impératrice Marie-Thérèse et la croix du calvaire du roi Mathias en or incrusté d’émail datant du XVe siècle ainsi que de nombreuses autres pièces hongroises, byzantines et italiennes.

Le palais royal, photo © Danube-culture, droits réservés

Voisin de la basilique sur la même colline, le palais royal médiéval date du règne de Bela III (fin XIIe siècle). Recouvert de terre par les turcs, ce n’est qu’à partir des année trente que le site fut redécouvert par des fouilles archéologiques et en partie restauré. La salle des (quatre) Vertus (XVe siècle) est décorée de fresques attribuées à un artiste florentin et sa voûte ornée des signes du zodiaque. La chapelle royale, plus ancienne remonte au XIe-XIIe siècles et serait l’oeuvre de maîtres et d’artistes normands et bourguignons.

Bálint Balassi (1554-1594) militaire et l’un des premiers poètes hongrois

Bálint Balassi (1554-1594) militaire et l’un des premiers poètes hongrois

Esztergom est la ville d’adoption de Bálint Balassi (1554-1594), poète hongrois de langues hongroise, slovaque et turque, considéré comme étant à l’origine de la poésie lyrique hongroise moderne. Elle est également la ville natale du peintre et sculpteur Béla Vörös (1899-1983), disciple de Rodin dont la devise était « La base de mon art est l’expression plastique du sentiment de l’humain ». Bela Vörös qui s’installa à Paris après avoir étudié à Budapest a exposé tout au long de sa vie aux côtés de peintres tels que Léger, Matisse, Picasso. Ses œuvres se trouvent au Musée Bálint Balassi d’Esztergom, au Musée des Beaux-Arts de Budapest, à la Galerie Nationale de Budapest, au Musée de Pécs et au Musée Poulain à Vernon.

Collectivité locale d’Esztergom : www.esztergom.hu
Basilique saint Adalbert : www.bazilika-esztergom.hu
Palais royal (Varmuzeum) : www.varmuzeum.ini.hu
Musée chrétien ou palais épiscopal (Keresztény Múzeum) : www.keresztenymuzeum.hu
Musée Bálint Balassi : www.balassimuzeum.hu
Musée du Danube : www.dunamuzeum.hu
   Un espace didactique, interactif et accueillant dans un bâtiment de caractère qui mérite une visite attentive d’autant que ce musée a ouvert une nouvelle salle au public présentant de remarquables documents illustrant la relation des hommes avec le fleuve et plus généralement l’eau (cartes, gravures maquettes, outils, ustensiles variés de pêcheurs, de chercheurs d’or…).
Avec le Danube mais peut-être plus encore avec la Tisza et son bassin, principal cours d’eau de l’Alföld qui prend sa source dans les Carpates orientales, traverse le pays du nord-est au sud et forme de nombreux méandres en raison du peu de relief avant de se jeter dans le Danube en Serbie aux environs de Belgrade, les Hongrois ont du faire face à la menace permanente de redoutables inondations. Leurs ingénieurs ont su développé au cours des siècles un savoir-faire dans le domaine de l’hydrologie, de la prévention et de la gestion des risques que ce musée illustre par des maquettes et une remarquable documentation iconographique complémentaire. Où l’on découvre aussi que les loisirs aquatiques sont l’une des plus anciennes traditions hongroises. Esztergom est ainsi doublement une ville d’eau grâce à ses sources d’eau chaude, ses établissements thermaux et au Danube.

Notes :
« Il existe plusieurs hypothèses sur l’étymologie d’Esztergom, dont la première occurrence remonte à 1079. Une première piste renvoie au mot «Isztergam» comme association de deux toponymes : Iszter ou Ister, Danube chez les anciens grecs) et Gam, la rivière Garam). D’autres rattachent le gom (gomb, gömb, gumó : « courbe ») au site d’Esztergom, sur le Coude diu Danube (Dunakanyar en hongrois). Une deuxième piste renvoie au mot « Iszterograd », qui renverrait également à la confluence avec la rivière Garam (üsztürü signifiant ici « rameau », « confluent »). Une troisième hypothèse tire les origines du toponyme de deux mots turco-bulgares : estrogin kupe (« armure en cuir ») et strgun (« tanneur »), ce qui s’expliquerait par la présence d’une corporation de tanneurs durant le Moyen-Âge. Il existe enfin une hypothèse slave : sztregomj (« ce sur quoi l’on fait attention »), sources Wikipedia, https://fr.wikipedia.org › wiki › Esztergom  

Hébergement :
Szent Kristóf Panzió : www.szentkristofpanzio.com
Agréable, bien tenue proche de la basilique mais un peu en dehors du centre ville et à proximité de la route principale qui peut être bruyante.
Chalet Vaskapu (Porte-de-Fer) : www.vaskapuesztergom.hu
Gastronomie :
Szalma Csárda : www.szalmacsarda.hu
Auberge traditionnelle proche du Danube, joli cadre, bonne gastronomie

Eric Baude, Danube-culture, © droits réservés, mise à jour octobre 2023

À propos de la Messe de Gran de Franz Liszt…

« De retour à Weimar, Liszt commença à concentrer son esprit sur l’un des évènements les plus importants de sa carrière. Après d’innombrables sursis, la grande basilique de Gran, en Hongrie, était presque terminée, et les Hongrois firent savoir qu’ils avaient fixé au 31 août la consécration de la plus grande de leurs cathédrales. Sollicité par le cardinal Johann von Szitowski de composer une oeuvre pour cette célébration, Liszt avait répondu à cet appel : la Messe de Gran était en fait déjà dans ses cartons depuis au moins un an, attendant d’être créée1, et Liszt, au fil de sa correspondance, en avait  parlé à un certain nombre d’amis intimes. Le 2 juin 1855, par exemple, il dit à Antal Augusz qu’il avait « composé la messe en neuf semaines, plein d’enthousiasme et d’amour. » À son ami Carl Gille il écrivit :

Johann_Baptist_Scitovsky_Litho

Le cardinal Johann von Szitowski, commanditaire de la Messe dite de Gran

« Soyez assuré, mon cher ami, que je n’ai pas composé mon ouvrage comme on pourrait endosser un vêtement d’église au lieu d’un pardessus, mais qu’il a jailli de mon coeur avec toute la ferveur de ma foi, telle que je l’ai éprouvée depuis mon enfance. Genitum, non factum [engendrée, non point créée], je puis vraiment dire que je l’ai plus priée cette messe que je ne l’ai composée. »2
Liszt mit le meilleur de lui-même dans la Messe de Gran. De l’aveu général, c’est l’un de ses chefs d’oeuvres. Elle constitua, en outre, la raison d’être d’un retour au pays natal, après huit ans d’absence. Depuis la guerre d’Indépendance, la Hongrie ne semblait plus être qu’un vaste cimetière, où reposaient les cendres de son identité nationale, et ce fut avec des sentiments mêlés que Liszt se prépara à ce long voyage. Il quitta Weimar le 7 août, en compagnie d’Eduard Grosse, le tromboniste et bibliothécaire de l’orchestre***, et arriva à Prague le lendemain. Le pianiste Dreyshock l’accueillit sur le quai de la gare, puis vinrent se joindre à eux les compositeurs tchèques Jan Kittl et August Ambros, deux amis que Liszt n’avait pas revu depuis son dernier passage à Prague, dix ans auparavant. Au cours du dîner qui suivit, on agita l’idée d’une « Semaine Wagner » à Prague, sur le modèle de celles organisées à Weimar, et Liszt promit, à son retour, de repasser par Prague. Le 9 août il était à Vienne. Il y débarqua à cinq heures du matin, après un éprouvant voyage de treize heures, y resta juste assez pour entrevoir son cousin Eduard, puis repartit à six heures le lendemain en direction de Gran. Il arriva dans la vieille cité dans l’après-midi du 10 août, et fut reçu en audience par le cardinal Szitowski, qui se rappelait fort bien leur précédente rencontre, dix ans auparavant. « Son Éminence me traite avec bonté » dit-il à Carolyne. Après avoir inspecté la nouvelle basilique et s’être assuré que tout était prêt pour les répétitions générales deux semaines plus tard (« L’acoustique de la cathédrale me semble excellente, et l’orgue est parfait »), Liszt poursuivit son chemin vers Pest. Il arriva dans la ville des Mayars le 11 août, un retour qui l’emplit de nostalgie. Il avait foulé le sol hongrois pour la dernière fois durant l’été de 1848, juste avant la guerre d’indépendance. Bien qu’il sût que l’on avait réuni à son intention un comité d’accueil, il voulut savourer seul les premiers instants de retrouvailles, et prit délibérément un train qui partait très tôt et qui le mena à cinq heures du matin en gare de Pest. Pendant un quart d’heure, il longea les rives du Danube, perdu dans ses souvenirs hongrois3, puis gagna à pied son hôtel (« La reine d’Angleterre ») et prit la même chambre que celle qu’il avait déjà occupée en 1846, avec un grand balcon et une vue panoramique sur le fleuve.

Carl_Ehrenberg_Franz_Liszt_1868

Franz Liszt par le peintre Carl Emil Theodor Ehrenberg (1878-1962), 1868

Dans les heures qui suivirent son arrivée à Pest, le bruit se répandit comme une trainée de poudre que Liszt était de retour en Hongrie. Il fut assailli par un flot de visiteurs — Augusz, Festetics et Edmund Singer, entre autres — ce dernier arrivant à l’hôtel dans tous ses états parce que le comité d’accueil qu’il avait si laborieusement réuni en l’honneur de Liszt ne savait plus du tout où il en était. Partout où Liszt se rendait, il était reçu comme un souverain. Les gens l’applaudissaient au restaurant et l’accueillaient au théâtre par de sonores « Eljen ! ». mais le principal objet de sa présence à Pest était, bien entendu, la supervision des répétitions préliminaires de la Messe. Faute de salle de concert adéquate, on se rabattit sur le hall de cérémonie du Musée national où l’on autorisa le public à assister aux répétitions moyennant un ticket d’entrée. « Ils applaudirent énormément après chaque morceau » écrivit Liszt, « et, à la fin, je fus rappelé trois fois. » Entretemps, Alexandre Winterberger, qui devait tenir l’orgue le jour de la création de la Messe, était arrivé à Pest. Liszt et lui se rendirent à Gran à plusieurs reprises pour essayer l’orgue et prendre contact avec les musiciens locaux qui devaient renforcer le gros du contingent venu de Pest. Le dernier de ces voyages préliminaires eut lieu le 28 août, et Liszt ne put s’empêcher de méditer sur le rôle qu’avait joué cette date dans sa vie — la mort de son père, l’anniversaire de Goethe, la création de Lohengrin à Weimar, le jour de la saint-Augustin. Et, cette fois, le hasard voulut qu’il fit la connaissance de son cousin, Alois Hennig, qui était jésuite, et qu’il écouta célébrer une messe basse dans une petite église de Gran. Ce minuscule évènement semblait préfigurer un peu de son propre avenir.

 La basilique saint-Adalbert vue du Danube

Le vendredi 29 août Liszt embarque pour Gran, par la voie du Danube, avec une centaine de musiciens, à bord du vapeur « Marianna ». Il y eut, ce soir-là, une dernière répétition générale, après quoi des centaines de dignitaires de tout l’empire austro-hongrois commencèrent à affluer vers Gran. Le 30, en fin d’après-midi, la vieille cité fut ébranlée par une salve de cent un coups de canon, annonçant l’arrivée de l’empereur François-Joseph, accompagné de son haut état-major. Ils furent accueillis par le cardinal Szitowski et ses évêques en tenue d’apparat. On n’avait rien vu de tel en Hongrie depuis la révolution de 1848, et Liszt n’eut pas tort de se voir, au milieu d’une aussi brillante assemblée, comme une partie de l’orgueil national. Le lendemain, 31 août, était un dimanche. À sept heures trente du matin, un bruit de canonnade annonça le début des cérémonies. En présence d’une foule nombreuse, le cardinal Szitowski procéda en personne à la consécration de la nouvelle église. La Messe de Gran ne fut donnée qu’à treize heures trente. Plus de quatre mille personnes s’entassaient alors dans la vaste cathédrale. Tous les regards étaient rivés sur Liszt tandis qu’il guidait les choeurs et l’orchestre au milieu des complexités de sa musique. Nombre de gens furent émus aux larmes par ce mariage de splendeur acoustique et visuelle. L’un des compatriotes de Liszt devait remarquer plus tard : « Cette musique est si religieuse qu’elle convertirait Satan lui-même ! »4. Le lundi 1er septembre, Liszt regagna Pest comme à l’aller par bateau et assista le même soir à un dîner offert par le cardinal Szitowski….
   La Messe de Gran devait être redonnée le 4 septembre. Le jour de l’évènement, l’église paroissiale de Pest était bondée ; choristes et musiciens connaissaient désormais à fond la partition et donnèrent la meilleure exécution que Liszt eût jamais entendue jusqu’alors. Comme il le dit lui-même : « [Ils] s’élevèrent corps et âmes à la hauteur de ma contemplation des mystères sacrés de la messe… »


Notes :
1Dès juillet 1855, Liszt avait envoyé à Szitowski la réduction pour piano de la Messe de Gran ; à l’époque il s’attendait chaque jour à apprendre que la basilique était terminée et que l’on escomptait sa présence en Hongrie. Tout avait commencé dix ans auparavant, en 1846, le jour où Liszt avait fait la connaissance de Monseigneur Szitowski (qui était alors évêque) lors d’une visite à Fünfkirchen. En deux mots, Szitowski avait demandé à Liszt d’écrire une messe pour célébrer la fin des travaux de restauration de sa cathédrale. Szitowski fut ensuite transféré à Gran, et élevé au rang de cardinal ; mais il n’oublia pas ni Liszt ni la commande, et le résultat fut la Messe de Gran.
2 Liszt avait dix-huit mois auparavant, employé une phrase presque indentique dans une lettre à Wagner : « Je l’ai priée plus que composée. »
3Grosse accompagna Liszt tout au long de son voyage en Hongrie, faisant office de copiste et de factotum. Il joua également le solo de trombone lors de la création de la Messe de Gran. Edmund Singer, le violoniste hongrois que Liszt avait nommé premier violon l’année précédente, se rendit aussi en Hongrie, à la demande de Liszt, pour occuper le poste de premier violon solo lors de chacune des répétitions et exécutions de la Messe.
4 Il raconta en détail à Carolyne l’impression ressentie à revoir les Magyars, leur costume, leur vêtement, leur nourriture, et s’affirma à nouveau comme un des leurs. « Rien ailleurs ne remplace ces choses et cette physionomie de la race, quand elles se rattachent aux souvenirs de l’enfance, et qu’on a conservé intacte cette tonalité du coeur qui est le sentiment de la patrie… Aussi mon coeur se mit à pleurer dès la frontière, en apercevant un de ces tableaux si simples d’un berger accroupi nonchalamment « sous la garde de ses moutons et de ses boeufs » — car c’est lui qui avait l’air d’être gardé par ses bêtes ! »…
5 D’après Liszt, l’exécution dura environ quarante-cinq minutes « montre en main » — ce qui correspond d’ailleurs à la durée habituelle de la Messe de Gran. Derrière cette remarque apparemment anodine se profile l’ombre d’une intrigue. Un mois avant qu’il ne prît le chemin de la Hongrie, la presse viennoise avait publié, à propos de la Messe de Gran quelques informations peu encourageantes — par exemple qu’elle durait plus de trois heures, qu’elle exigeait sept cent chanteurs, que c’était un exemple cacophonique de la musique de l’avenir, et qu’elle serait en conséquence difficile à répéter et entrainerait un coût de production exorbitant. Qui était à l’origine de ces rumeurs? Tout désigne le comte Leo Festetics, ancien ami de Liszt, qui, pour des raisons qui demeurent obscures, favorisait la « candidature » d’une messe spécialement composée par le Kapellmeister de Gran, Carl Seiler, et avait vainement essayé de convaincre le cardinal Szitowski de renoncer à l’oeuvre de Liszt le jour de la dédicace de la cathédrale… Lorsque Festetics comprit qu’il avait perdu la partie, il s’empressa de renouer avec Liszt, qui fit tout son possible pour se montrer amical à l’égard de son vieux compatriote et l’invita même à diner en tête-à-tête. Mais le mal était fait.

 

Sources :
Alan Walker, Franz Liszt, « Les années de maturité, 1853-1857. Vienne, Gran et Aix-la-Chapelle, 1856-1857 », Librairie Artheme Fayard, Paris, 1989

Danube-culture, mis à jour juillet 2023

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