Galaţi, port danubien de la Moldavie roumaine

Le Danube et la Falaise sur le Danube (rive droite) de Galaţi sur laquelle se tient une grande partie de la ville

« Là-bas dans le port de Galaţi,
Les marchands croulent sous le poids
Des étoffes persanes,
Des fourrures lipovènes.
Rouleaux de soie
Douce comme laine,
Fils de soie brillante,
Drap légers comme un souffle ;
Marchandise féminine
Et toile de Turquie,
Pantoufles légères
Rapportées d’Inde,
Fourrure longue et molle
Bordée de Zibeline. »

Ancienne ballade populaire roumaine, citée dans Galatzi, Petit guide touristique, Éditions Méridiane, Bucarest, 1964

GALACZ, Axiopolis, (Géog.)​​ ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie près du Danube, entre les embouchures du Pruth & du Séret ou Moldawa. M. de Lisle écrit Galasi. (D. J.)
L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Denis Diderot et de Jean Le Rond d’Alembert, vol. VII, p. 427, (1757)

   « Galatz est une petite ville assez florissante, fréquentée principalement par des vaisseaux grecs qui viennent du Bosphore, et retournent chargés des différentes productions de la Moldavie. On construit ici des vaisseaux d’une grandeur considérable ; mais comme le bois qu’on emploie à leur construction est mis en oeuvre avant qu’il soit sec, il se retire ; les jointures s’ouvrent, et le vaisseau coule bas. C’est une des nombreuses causes auxquelles on doit attribuer la grande quantité de débris de vaisseaux qui couvrent continuellement les rives du Pont-Euxin1Du haut d’un rocher qui domine la ville, nous voyons le Danube se déployer devant nous ; plus loin nous découvrions le mont Hémus2, et nous allions même jusqu’à nous imaginer que nous apercevions les murailles blanches de Tomy3, où Ovide fut envoyé en exil, et dont le nom moderne est Baba-Dagh (la capitale des montagnes). Cette ville est située à environ quarante-cinq milles sud-est de Galatz, et fut prise en 1771 par un détachement de l’armée russe de Catherine II, commandée par Romanzoff4. »
Adam Neale (1778-1832), physicien, chroniqueur et écrivain écossais,Voyage en Allemagne, en Pologne, en Moldavie et en Turquie, tome second, Paris, 1818

Notes :
1Ancien nom pour la mer Noire, du grec Pontos Euxeinos, la mer hospitalière
2 Nom donné dans l’Antiquité à un sommet ou à la chaine des Balkans bulgares
3 Tomis ou Tomes est l’ancien nom de Constanţa. Le poète Publius Ovidius Naso (43 av. J.-C.-17 ap. J.-C.), connu sous le nom d’Ovide fut envoyé en exil à Tomes par l’empereur Auguste (63 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) pour une raison inconnue. Il mourut dans cette ville.
4 Le général russe Pierre Alexandre Romanzoff (1730-1800) dit « le Transdanubien », fut la « bête noire » de la « Sublime porte ». C’est l’instigateur du Traité de Küçük Kaynarca (Koutchouk-Kaïnardji) du 21 juillet 1774 entre la Russie et l’Empire Ottoman qui met fin au conflit des années 1768-1774. Ce traité très avantageux à l’impératrice Catherine II de Russie permet notamment à son pays de prendre pied sur les rives du Dniestr et d’avancer vers le delta du Danube que la Russie atteindra quelques années plus tard.

Vue de Galaţi depuis la rive droite, dessin de Jacob Alt (1789-1872), vers 1824

   « Heureusement qu’à côté du vieux Galatz des Turcs, il commence à se bâtir une ville nouvelle, qui datera, comme Braïlof [Brǎila], de la régénération des Principautés. C’est sur la colline qui domine le Danube que s’élèvent déjà quelques maisons qui sentent l’Europe et qui témoignent de ce que pourra devenir Galatz. Cette colline a une belle vue sur la dernière branche des Balkans, qui sépare le Danube de la mer Noire et qui le rejette au Nord ; elle a, à sa gauche, le lac Bratiz [Brateş] et le Pruth, qui sépare la Moldavie de la Bessarabie ; à droite la ligne du Danube et la plaine de Valachie ; à ses pieds le port, et elle ressemble, en petit, à la côte d’Ingouville au Havre. Je souhaite à Galatz d’avoir avec le Havre d’autres ressemblances. »
Saint-Marc Girardin (1801-1873)
Écrivain, homme politique et historien, professeur d’histoire puis de littérature à la Sorbonne, membre de l’Académie française à partir de 1844

   Pour Patrick O’Brien, un voyageur irlandais qui l’a visitée en 1853, Galați était une ville prospère, avec des routes en bon état et assez bien pavées : « dans les rues principales, on trouve de belles boutiques », ajoutait-il, « et il y a partout une agréable apparence d’agitation et de prospérité ».
Patrick O’Brien, Journal of a Residence in the Danubian Principalities in the Autumn and Winter of 1853 (London 1854), 23–24, cité par Constantin Ardeleanu dans son livre « O croazieră de la Viena la Constantinopol, călători, spaţii, imagini, 1830-1860, Humanitas, Bucarest, 2021

Karl Hermann Bitter (1813-1885), le premier commissaire prussien de la Commission, a remarqué « ses toits gris, ses maisons blanches, ses églises avec leurs tours étincelantes au soleil, ses nuages de poussière tourbillonnants, la forêt de mâts le long de son port »ainsi que ses nombreux vauriens et criminels de toutes les nations.De tous les points de vue, Galați était un centre commercial levantin très actif, où l’Orient rencontrait l’Occident.
Karl Hermann Bitter, « Skizzen und Bilder aus den Ländern an den unteren Donau und aus dem europäischen Orient aus den Jahren 1856 bis 1858 », in : Heinz-Peter Mielke, Karl Hermann Bitter. Stationen eines Staatsmannes (Minden 1981) pp. 40, 48, cité par Constantin Ardeleanu dans son livre « O croazieră de la Viena la Constantinopol, călători, spaţii, imagini, 1830-1860, Humanitas, Bucarest, 2021 

La rue Domneascǎ et le centre ville autrefois

   « Galatz est la seconde ville de la Roumanie. Elle renferme, nous a-t-on assuré, 180 000 habitants. Bucharest, capitale de la principauté, n’en compterait pas moins de 250 000. Les ouvrages spéciaux, et notamment Bouillet [Marie-Nicolas Bouillet,1798-1864], n’assignent à Galatz qu’une population de 10 000 âmes. La seule explication qui se puisse donner de cette contradiction, c’est que ces ouvrages ont été écrit avant que ne ce soient réalisés les rapides développements que Galatz doit à sa situation géographique moins encore qu’aux travaux accomplis depuis 1856 par la Commission européenne instituée par le traité de Paris pour l’amélioration des passes du Danube.
   On sait que ce fleuve verse ses eaux dans la mer Noire par trois bouches principales : Kilia, Saint Georges et Soulina.
Assise au sommet de ce triangle qui constitue le delta du Danube, la ville de Galatz se trouve être le point de jonction entre la navigation exclusivement fluviale et la navigation maritime. Elle est ainsi l’entrepôt forcé de tous les produits qui empruntent la voie du Danube pour s’échanger entre les provinces les plus reculées de l’Allemagne, depuis le grand-duché de Bade, et le marché asiatique, en arrière de Constantinople.

Galaţi au XVIIIe siècle, L’illustration

   On a bien essayé de faire échec à ce monopole par l’établissement de deux chemins de fer : l’un qui, partant de Tchernavoda [Cernavoda], sur le Danube, aboutit à Kustendjié, sur la mer Noire ; le second, qui part de Routschouk et se termine au port de Varna. L’une et l’autre de ces voies ont pour but de racheter la courbe accentuée que décrit le Danube en remontant vers Galatz et la Bessarabie, avant de jeter ses eaux dans le Pont-Euxin ; mais cette tentative ne paraît pas devoir réussir. Même dans l’hypothèse, dont la réalisation doit être considérée comme prochaine où ces deux tronçons se trouveront rattachés au réseau général des voies ferrées européennes, les embarras, les retards, les frais de transbordement et la différence du prix du fret entre la voie de fer et la voie d’eau compenseront et au-delà l’avantage qu’on peut se promettre d’une abréviation de parcours relativement insignifiante si l’on considère la distance immense qu’ont à parcourir l’un point extrême à l’autre les marchandises échangées.

Galaţi et le delta du Danube en 1867, carte d’Heinrich Kipert (1818-1899)

   Le port de Galatz a, par suite de cette situation privilégiée, presque exclusivement profité de l’accroissement considérable survenu depuis la guerre de 1856 dans les échanges entre l’Orient et l’Occident. Ce progrès a été singulièrement favorisé, comme je le disais tout à l’heure, par les travaux accomplis depuis la même époque pour l’approfondissement des passes du Danube.
   En effet, avant 1856, la branche la plus accessible du fleuve pouvait à peine recevoir des petits navires ayant moins de quatre mètres de tirant d’eau ; elle peut être aujourd’hui fréquentée par d’énormes bâtiments de six mètres. Alors que jadis les marchandises provenant du cours supérieur du Danube devaient être chargées sur des chalands pour être ultérieurement transbordées sur les navires de mer, on voit aujourd’hui, ancrés devant les quais de Galatz, des vapeurs de commerce du tonnage le plus élevé, battant en général pavillon anglais qui recueillent sans intermédiaire le fret à Galatz même, pour le transporter non plus seulement à Constantinople, mais directement et sans rompre charge dans les ports de la Méditerranée, voire même jusqu’en Angleterre.

Départ du courrier à Galatz en 1933 par le peintre Albert Marquet (1874-1947)

   Cette modification survenue dans les habitudes du commerce est tout à l’avantage du port de Galatz, dont l’activité ne pourra que se développer à l’avenir sous l’influence des travaux entrepris par la Russie en Bessarabie, le long de la branche de Kilia.
   La ville de Galatz occupe d’ailleurs une situation magnifique, que contribuent à embellir les grandes perspectives offertes à cet endroit par le cours majestueux du Danube. Elle ne manque ni de constructions privées assez élégantes, ni de promenades, ni d’églises ou de mosquées relativement riches. L’ensemble toutefois en est sauvage et l’aspect pour ainsi dire inculte. Si la civilisation s’y révèle dans quelques détails, c’est une civilisation à son début et à peine ébauchée. Pas plus que dans une autre ville de l’Orient, il n’y a ici ni édilité ni police organisée, par conséquent ni éclairage ni propreté. Si quelques-unes des rues principales sont empierrées, elles le sont de façon à rendre la marche à pied pénible et la circulation en voiture sinon impraticable, tout au moins très fatigante.
   C’est à Galatz que nous avons dû abandonner la navigation exclusivement fluviale, pénétrés de gratitude pour les attentions dont nous avions été l’objet pendant notre séjour prolongé à bord des magnifiques steamers de la Compagnie impériale et royale1Pour poursuivre jusqu’à Constantinople, nous transbordâmes sur l’Aunis2, appartenant à la Compagnie des Messageries maritimes3. À bord de ce joli paquebot, dont la seule infériorité consiste dans l’insuffisance de son échantillon pour répondre aux exigences d’un trafic toujours croissant, je me trouvais chez moi et pour ainsi dire en pleine famille. Il va de soi que nous n’avons manqué, sur l’Aunis, d’aucun des conforts qu’il soit possible d’obtenir dans le cours d’une traversée maritime.
   La descente de Galatz à la mer par la branche de Sulina n’exige pas moins de huit heures. Dans le cours de ce trajet , que nous avons accompli en compagnie de l’excellent agent des Messageries maritimes M. Malavassi, nous avons passé en revue plusieurs escales d’importance inégale, mais toutes intéressantes, notamment Toulscha et Soulina.
   Cette dernière, l’un des bourgs les plus peuplés de la Dobroutscha, est assise à l’issue même de la branche du Danube à laquelle elle donne son nom. L’aspect en est agréable ; son port, quoique étroit et incommode, n’est pas dénué d’animation. Soulina est, de plus, le siège de l’administration instituée par la Commission internationale pour l’amélioration des passes du Danube, et son principal dépôt.
   Pendant la durée des opérations nécessitées par le débarquement et la mise à bord des marchandises, nous avons pu mettre pied à terre et examiner en détail, sous la conduite d’un médecin français attaché à la Commission [Européenne] du Danube, les formidables travaux de défense élevés par les Russes pour protéger l’entrée de la passe.
   Jusqu’ici nous n’avions vu les Russes qu’à distance ; à partir de Galatz, le contact avec eux est devenu plus direct. Non seulement ils occupent militairement tout le pays qui s’étend sur l’une ou l’autre rive du Danube, en aval de Galatz, mais ils en ont complètement assumé l’administration. Leur police s’exerçait jusque sur notre bord. Il faut dire, pour être juste, que les procédés des agents moscovites, depuis les gouverneurs investis de la plénitude des pouvoirs publics jusqu’au employés d’un ordre inférieur, ne se ressentaient pas trop, nous fut-il assuré, des habitudes, de l’esprit et de l’omnipotence militaires. Si, en Roumanie, simple lieu de passage pour leurs troupes, les Russes gardent l’attitude et la mobilité d’une armée en campagne, en Bulgarie, au contraire, où ils se considèrent comme chez eux, leur prise de possession est complète. Ils s’y conduisent toutefois en gouvernants et en administrateurs plutôt qu’en vainqueurs et en conquérants. L’occupation russe présente d’ailleurs tous les caractères de la permanence. Il n’y avait pas jusqu’aux femmes qu’on apercevait aux bras d’officiers de tous grades, assistant sur le quai à l’arrivée du paquebot, dont les toilettes élégantes et printanières ne témoignassent qu’en quittant les bords glacés de la Néva pour rejoindre leurs maris ou leurs frères sous le ciel de l’Orient, ces dames n’avaient pas conservé l’esprit de retour. En Bulgarie, on se sent aujourd’hui en pleine Russie. Or ce n’est pas la moindre des attractions du voyage que de voir le courant moscovite traverser, sans s’y mêler, le courant ottoman, comme les eaux limoneuses du Rhône traversent, sans se confondre avec eux, les flots azurés du lac de Genève.
   Le 6 juillet (1878 ?), par un temps exceptionnellement splendide, l’Aunis quittait Soulina pour entrer en pleine mer. »

De Paris à Constantinople par le Danube, Esquisses et souvenirs de voyage, Imprimerie D. Jouaust, Paris, 1878

 Notes :
1 Il s’agit de la D.D.S.G., Première Compagnie Impériale et Royale autrichienne  de Navigation à Vapeur sur le Danube, fondée à Vienne en 1829. L’auteur du récit est à bord du vapeur « Tegethoff ».
2 Paquebot en service de 1861 à 1882
Compagnie de navigation française fondée en 1851

« Galatz, grande ville portuaire en plein développement
Hôtels-restaurants : « Hôtel de Paris », service à la française, « Hôtel Müller », « Hôtel du Nord », service à  l’allemande. À l’hôtel du nord il y a des bains en baignoire, des bains de vapeur et des douches. Galatz est le siège de la commission européenne du Danube et de la préfecture roumaine. Les habitants de cette ville sont de différentes nationalités, beaucoup de Grecs et 2000 citoyens appartenant à l’Autriche-Hongrie. La ville est plus élevé que la Mehala, nommée faubourg du port, qui s’étend sur la sur la rive inférieure ; on est en train d’y construire les quais. Les curiosités de  Galatz ne consistent que dans la circulation animée au port car outre la société de navigation à vapeur du Danube, le Loyd austro-hongrois, les messageries maritimes et la compagnie de la navigation russe y ont aussi leurs agences.
Au nord de la ville le lac Bratich, de plus de deux lieues carrés de surface qui offre de pêches considérables. En face de Galatz, sur la rive de la Dobroudscha Boudjouk-Dag. »
Alexandre François Heksch, Guide illustré sur le Danube de Ratisbonne à Souline et indicateur de Constantinople, A. Hartleben, Éditeur, Vienne, Pest, Leipsic, 1883

La statue de Mihai Eminescu (1850-1889) dans le Parc municipal réalisée par l’artiste Frédéric Stork (1872-1942) et solennellement inaugurée en 1911, photo © Danube-culture, droits réservés

« Galatz compte 96 000 habitants, dont de nombreux Allemands et Hongrois, ainsi que des membres de tous les pays naviguant sur le fleuve.
   Celui qui arrive en bateau à Galatz distingue d’abord la ville portuaire (Mahala), qui s’étend avec ses quais le long du Danube. La ville proprement dite se trouve derrière Mahala, une trentaine de 30 m au dessus. Galatz possède un magnifique théâtre (Papadopol), un grand palais administratif nouvellement construit, le palais du Métropolite [siège de l’évêché orthodoxe de Galatz], un lycée, un grand nombre d’hôpitaux civils et militaires et des hospices. C’est également le siège de la Commission européenne du Danube, de l’Inspection générale roumaine de la marine marchande et des ports, d’un commando de marine et d’une cour d’appel. La ville possède des consulats généraux et des consulats de toutes les nations commerçantes dans la région.

Vue du port en 1909, photo collection particulière

  Des centaines de grands cargos maritimes apportent des produits industriels d’outre-mer vers le Danube et descendent le fleuve emmenant des céréales roumaines et bulgares.

Chargement de céréales, collection Archives de la Bibliothèque départementale V.A. Urechia de Galaţi, droits réservés

Le Danube jusqu’à la Mer noire, [guide de voyage], ERSTE K. K. PRIV. DONAU-DAMPFSCHIFFFAHRTGESELLSCHAFT, Wien, 1913 

Deux horaires de liaisons maritimes à partir de et vers Galaţi, par la Lloyd autrichienne (Galaţi-Constantinople) et par la Compagnie de Navigation à Vapeur Russe (Galaţi-Odessa-Nicolaeff) au début du XXe siècle avant la première guerre mondiale (guide de voyage de la D.D.S.G., 1913). La compagnie française Fraissinet assurait alors de son côté un servie régulier entre Marseille et Brǎila via Gênes, Constantinople, Bourgas, Varna, Constanţa, Sulina et Galaţi.  

Pour Ethel Greening Pantazzi, la femme d’un officier canadien, Galatz a un charme particulier ; elle est très différente de toutes les autres villes roumaines, notamment parce qu’elle est la résidence de la Commission européenne du Danube. Les huit commissaires représentent la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, la Turquie, la Russie et la Roumanie et, à l’exception du délégué français, ils ont leurs résidences à Galatz et y restent toute l’année. Ils sont les chefs naturels de leurs colonies, et organisent beaucoup de réceptions, qui ont le charme de l’inattendu, car on y rencontre des gens des quatre coins du monde. En plus de recevoir chez eux, ils donnent, collectivement, des bals et d’autres fêtes chaque printemps et automne dans le palais de la Commission, un grand bâtiment où se tiennent leurs réunions.
Ethel Greening Pantazzi, Roumania in Light & Shadow (Toronto 1921), cité par cité par Constantin Ardeleanu dans son livre O croazieră de la Viena la Constantinopol, călători, spaţii, imagini, 1830-1860, Humanitas, Bucarest, 2021  

« Cette ville est plus que le second port marchand  de la Roumanie, plus qu’un vaste grenier à blé, plus que l’ancienne capitales des Galates, paraît-il, (ainsi Jacques, sous le sol foulé par nous reposent nos pères aventuriers), plus qu’un ensemble heureux de brasseries, de beuglants, de bains occidentaux ou turcs, de cinémas et de maisons closes. C’est, dit-on, un des boulevards de l’Europe. Vivons donc, sans plus de souci qu’ailleurs, aux parapets de ce bastion. »
Pierre Dominique, Les Danubiennes, « Galatz », Éditions Grasset, Paris, 1926

Galaţi, rue du port au début du XXe siècle, collection particulière

« Galatz, ville de 73 000 habitants, est située sur la rive gauche du Danube, entre les embouchures du Sireth et du Pruth, à l’endroit où son cours faisant un coude, prend la direction Ouest-Est. La ville, à l’ouest du port, s’étage sur les hauteurs qui longent le fleuve, et s’étend jusqu’au Jardin Public, tout près de la ville et à L’Est se trouve le lac Brates.
À une distance de 150 kilomètres de Soulina, Galatz a une importance particulière au point de vue commercial car c’est là que s’opère la jonction entre la navigation fluviale et la navigation maritime. C’est à Galatz que les céréales descendues du Danube par chalands sont transbordées sur des vapeurs maritimes. »
Roger Ravard, Le Danube maritime et le port de Galatz,  « Le port de Galatz », thèse pour le doctorat, Librairie moderne de droit et de jurisprudence Ernest Sagot et Cie, Paris 1929

 

« Pour reprendre contact avec la vie civilisée, après sa villégiature dans la Balta, il passa deux jours à Galatz, ville plutôt grecque et turque que roumaine.
Il s’étonnait, à chaque rue, de voir ces enseignes qu’on eût pu croire arrachées des magasins d’Athènes et de Constantinople. Les confiseries notamment, étalaient ces gâteaux roses, vernissés, qui font les délices de Péra.
   Des souvenirs aussi de Russie, aussi. Il retrouvait les calèches d’un bleu noir qui ont l’air de carrosses de gala ; leurs grands chevaux, de la race de ces trotteurs qui filaient, jadis, à une allure de course, sur la perspective Newski.
   Ici, grâce orientale, leurs cochers ventrus, sanglés dans de longues redingotes de velours à ceinture frangée de glands d’or, avaient décoré le harnachement en cuir blanc de leurs bêtes de rubans roses et de fleurs. »
Louis-Charles Royer, Domnica, fille du Danube, « Sur le Danube » Les Éditions de Paris, Paris, 1937     

« Brăila — et sa voisine Galaţi, dont l’Antiquaire [Antiquarius] flétrissait la débauche et la foule de prostituées à chaque coin de rue — sont deux lieux qui conviennent à ses intrigues de bazar. Aujourd’hui les deux villes, et surtout la seconde, sorte de Hambourg du Danube, n’offrent plus à la vue des tapis, mais des chantiers, des grues, un enfer de ferraille — ou du moins ce qui semble tel à ceux qui ont la mémoire courte et oublient les tourments que l’homme devait endurer dans le monde bigarre d’hier. Les deux villes, et surtout Galaţi, sont bien plutôt le symbole de l’ambition d’indépendance de la Roumanie par rapport à l’U.R.S.S., grâce entre autres aux investissements industriels — et le symbole aussi, de la crise économique où l’on a précipité ces ambitieux projets. »
Claudio Magris, Danube, « À la frontière », Éditions Gallimard, Paris, 1986 

L’ancien palais de la navigation de Galaţi de style néo-roumain, construit en 1912-1915 sur les plans de l’architecte Petre Antonescu (1873-1965), photo © Danube-culture droits réservés

Histoire de Galaţi : le port, les tilleuls et la Commission Européenne du Danube

   Galați, aujourd’hui 7e ville de Roumanie, important port fluvial et maritime et grand centre industriel, est une ville de la Moldavie roumaine. Elle se trouve à 250 km au nord-est de Bucarest, sur la rive gauche du Danube, un peu en aval de sa soeur et rivale valaque Brǎila (rive droite), ville natale de l’écrivain Panaït Istrati (1884-1935).
La ville s’étend sur 246, 4 km2
.
   Préfecture du Judets du même nom, elle compte environ 290 000 habitants dénommés Galatéens (en roumain Gălățeni).
   La ville actuelle a été construite sur une colline formée de deux terrasses de type hercynien (quaternaire) contournées par le bas-Danube et  par un grand affluent de sa rive gauche, le Siret (624 km) qui se jette dans le fleuve juste en amont de Galați. Elle est délimitée à l’ouest par le lac Cǎtuşa et le lac Brateş1 au nord. Quant au Prut (828 km) deuxième affluent du Danube par la longueur après la Tisza et dernière rivière importante avant le delta, il dessine un peu plus à l’est la frontière avec la Moldavie.
   Cette grande confluence d’eaux douces a créé une zone alluvionnaire ponctuellement inondable, zone sur laquelle on a pourtant édifié la partie basse de la ville après l’avoir plus ou moins bien drainé.
   La fondation de Galaţi remonte à la fin du Néolithique comme des fouilles archéologiques ont pu le confirmer. Au nord-ouest de la ville, sur les rives marécageuse du lac Mǎlina, des fragments de céramique de type Stoicani-Aldeni, des silex et divers outils ont été découverts. La région, habitée durant le Chalcolithique se retrouve aux confins de l’imposant espace scythique (Petite Scythie) puis dans le périmètre oriental européen de l’expansion celte (IIIe siècle avant J.-C.), expansion qui s’étendra jusqu’en Asie mineure. Entretemps, des peuplades géto-daces conquièrent et s’installent durablement sur ces territoires comme sur l’emplacement de la ville (VI-Ve siècles av. J.-C.). Ces peuplades développent une civilisation agricole et ingénieuse, pêchent, pratiquent le commerce de l’or, de l’argent, du sel, du miel, de la laine et établissent la capitale de leur royaume à Sarmizégétuse jusqu’à ce que l’empereur romain Trajan, lassé des attaques et des incursions régulières de ces redoutables guerriers, y mette fin en faisant construire un pont sur le Danube pour aller conquérir le Sud-Ouest de la Dacie (101-106 ap. J.-C.) sur le territoire de laquelle se trouve l’emplacement fondateur de la future ville, auparavant déjà influencée par la civilisation romaine toute proche. Les trésors des tributs daces soumises passent alors aux mains des Romains qui s’empressent également d’exploiter leurs mines d’or et d’argent.
   Dépendante initialement du castrum de Bǎrboşi (forteresse de Tirighina), construite à l’époque de l’empereur Trajan sur un promontoire au-dessus du Siret (rive gauche) d’où les soldats romains avec leur flotte militaire peuvent surveiller les frontière de l’Empire, la nouvelle cité, qui sera habitée en permanence jusqu’au VIe siècle, s’implante, à partir du IIIe siècle, sur la rive gauche du Danube, au sud de l’emplacement actuel de l’église fortifiée Sfanta Precista (Sainte Vierge). Un ensemble de 12 monnaies en argent, éditées entre 613 et 685, découvert dans une tombe byzantine atteste de la présence humaine à cet emplacement. D’autres pièces de monnaie, datant de l’époque ultérieure de l’empereur Michel IV le Paplagonien (1034-1041), y ont été également retrouvées. Dans l’empire byzantin jusqu’au XIVe puis moldave la ville devient un comptoir génois et porte le nom de Caladda. Le Codex Latinus Parisinus de 1395 mentionne Caladda, escale génoise où l’on pouvait mettre les navires en cale sèche. Le quartier de Galați à Constantinople, autre ancienne escale génoise, partage la même origine. Le monde universitaire roumain adhère en majorité à cette origine italienne remontant au XIVe siècle : caladda, mot génois, signifie « cale de mise à l’eau ». Les anciens, Génois, navigateurs et commerçants dans l’âme avaient à l’époque un grand nombre de comptoirs tout autour de la mer Noire et sur le cours du bas-Danube dont, en Roumanie actuelle, San Giorgio (Giurgiu) et Licostomo, ancien port céréalier de l’Empire byzantin, près de Chilia-Vecche, sur la rive sud du bras du même nom.
   Un document signé par le voïvode Etienne II (Ștefan II) de Moldavie datant des années 1445 mentionne Galați comme l’un des ports de la Moldavie avec Reni, Chilia et Cetatea Albǎ (Bilhorod-Dnistrovsky, Ukraine) située sur l’estuaire du Dniestr. En 1484, Reni, Chilia et Cetatea Albǎ tombent aux mains des Ottomans. Galați demeurera provisoirement le seul port de la Moldavie, non seulement pour les échanges internes entre les principautés danubiennes mais aussi pour les nombreux échanges commerciaux avec la Turquie et la Pologne. De nombreux bateaux partent à destination de Constantinople chargés de blé, de bois, de moutons et chevaux, de denrées alimentaires diverses mais aussi de graisses et de cire pour l’éclairage du palais du sultan. Du poisson du Danube ou des lacs avoisinants est expédié vers la Pologne pendant que le pays importe via le port de Galaţi, des tissus et des étoffes en provenance de Venise. Une communauté juive s’implante à Galaţi  à la fin du XVIsiècle et en 1590, un cimetière juif est construit au nord de la ville.
La ville se développe, prospère mais attire les convoitises de peuples voisins, notamment des Tatars, établis dans la région voisine du Boudjak ottoman (Bessarabie).

Galaţi depuis la rive droite, dessin de Jacob Alt, vers 1824

   En 1710 les Tatars pillent Galați après la bataille de Stǎnileşti. L’église Saint-Georges sera saccagée lors de leurs nombreux raids. La Russie qui affronte à cinq reprises l’Empire ottoman y ouvre un consulat dès 1784 ce qui n’empêchera pas la ville d’être incendiée en 1789, pendant la quatrième guerre russo-turque, par les armées du général Mikhaïl Fedotovitch Kamenski (1738-1809). D’autres consulats ouvriront ultérieurement, en 1798 (Empire autrichien), en 1830 (France ? et Angleterre)2, en 1833 (Italie) et en 1838 (Royaume de Prusse). Outre la France et l’Angleterre, très présentes à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle sur le Bas-Danube, près d’une vingtaine de pays auront des représentants diplomatiques (consulats) à Galaţi (Belgique, Danemark, Grêce, Perse, Prusse/Allemagne, Ligue marchande de la Hanse, Sardaigne/Royaume des deux Sicile/Italie, Russie, Turquie, Suède-Norvège, Pays-Bas, Espagne, Suisse, États-Unis). 

Plaque en hommage aux 15 héros de la révolution grecque tués lors d’un affrontement avec les troupes turques de la ville de Galaţi le 21 février 1821, photo © Danube-culture, droits réservés

   Galați devient dans les premières années du XIXe l’une des bases de la Filiki Eteria ou Hétairie des amis, une société hellénistique secrète fondée en Russie à Odessa en 1814 et inspirée des idées des révolutions américaine et française tout en luttant contre le joug ottoman. C’est à Galaţi que se rejoignent en 1821 les révolutionnaires grecs d’Alexandre Ypsilanti (1792-1828) et les pandoures moldaves et valaques de Preda Drugănescu. Vassilios Karavias, chef de l’Hétairie du port et ses partisans repoussent dans le Danube la petite garnison locale ottomane et pillent les biens de riches marchands turcs, arméniens, juifs séfarades, romaniotes, phanariotes, avdétis sous divers prétextes. Les Ottomans reprennent la ville quelques semaines plus tard et la saccagent à leur tour en représailles tout en massacrant une partie de la population. 

Le poète et révolutionnaire bulgare Christo Botev (1848-1876) a  séjourné à Galaţi en 1871-1872 dans cette petite maison de la rue Nicolae Bălcescu (n° 33) autrefois dénommée rue du General Berthelot. En arrière-plan l’église othodoxe bulgare, photo © Danube-culture, droits réservés

   Galaţi, sensible aux idées du « Printemps des peuples » et des révolutionnaires connaît une nouvelle période d’agitation et de revendications dans les années 1848-1856. Les premiers travaux de modernisation la ville, aux ruelles « étroites sales et boueuses », aux maisons basses, insalubres, entassées dans le désordre sur de petits lots de terrain », au bas quartiers souvent inondés, ont enfin commencé. Le développement des activités du port (céréales, bois), du négoce, des importations connaissent un essor considérable grâce notamment au statut avantageux de « Port franc » de Galaţi, (1837- décembre 1882). Son abrogation est vivement contestée par la population locale, soutenue dans sa revendication par Mihaï Kogǎlniceanu. La construction des docks, la naissance d’un tissu industriel (chantiers navals, ateliers de chemin de fer, laminoir, minoterie…) attirent une population et une main d’oeuvre bon marché des environs et font doubler le nombre d’habitants entre 1847 (entre  8000 et 9000) et 1873 (entre 60 000 et 70 000). 

La Commission Européenne du Danube     

   La Commission européenne du Danube, organisme intergouvernemental  institué par les articles 15 et 16 du Traité de Paris du 30 mars 1856, traité donnant au fleuve un statut international pour la navigation, a installé entretemps son siège et ses services comptables à Galaţi, ses services techniques à Sulina et les bureaux de l’Inspection de la Navigation à Tulcea.
La Commission possède en outre à Galaţi 2 magasins à bois et à charbon, une maison d’habitation pour deux membres du personnel subalterne et une usine pour la lumière électrique avec l’outillage nécessaire à son fonctionnement.

    « Personne morale du droit international », elle comprend initialement des délégués d’Autriche-Hongrie, de Prusse, de France, de Grande-Bretagne, de Russie, d’Italie et de Turquie auxquels viendront se joindre en 1878 des représentants roumains, exerce à titre de mandataire, une véritable souveraineté sans avoir à en référer à l’autorité territoriale des Principautés danubiennes puis de la Roumanie (1877), souveraineté qui ne sembla pas acceptable à ce pays et qui engendrera un conflit de compétence entre celui-ci et la C.E.D., celle-ci s’étant vu attribuer en supplément, suite au Traité de Londres (1883), la gestion du secteur du Bas-Danube situé entre Galaţi et Brǎila. Une partie des missions de C.E.D. seront ainsi rétrocédées au cours du temps à la Roumanie puis cet organisme international cessera définitivement ses activités en 1939, sabordée par les autorités nazies.

L’Hôtel d’administration de la Commission Européenne du Danube, qui comprenait les bureaux du Secrétariat général et de la Caisse succursale, ainsi que les locaux nécessaires aux réunions de la Commission. Photo collection Bibliothèque Départementale V.A. Aurechia de Galaţi

Son siège est bombardé durant la première guerre mondiale par l’armée allemande au mépris du statut de neutralité des ouvrages et bâtiments de ladite commission !

Médaille de la Commission Européenne du Danube (collection du Musée d’Histoire de Galaţi, photo © Danube-culture, droits réservés

Galaţi au XXe siècle

   En 1908, l’ingénieur roumain Anghel Saligny (1854-1925), auteur du premier pont ferroviaire sur le Danube roumain situé à Cernavodǎ, reliant la Dobroudja à la Munténie  est chargé de dessiner les plans d’un nouveau port et de ses aménagements qui s’achèveront en 1914.

Notre-Dame de Sion, une institution éducative religieuse de haut niveau tenue par des soeurs françaises fait intimement partie de l’histoire de Galaţi. Le bâtiment a été malheureusement détruit. Photo collection Bibliothèque Départementale V.A. Aurechia de Galaţi. 

   L’année précédente, à la suite d’une sécheresse prolongée, de mauvaises récoltes et à cause d’un système agricole dépassé qui sera aboli en 1921, avait éclaté une révolte de paysans roumains. Les insurgés pénétrèrent dans Galați pour y piller les entrepôts de céréales, mais l’armée s’interpose et tire provoquant des centaines de morts. Ce sombre épisode est interprété différemment selon les historiens : pour les nationalistes, c’est une révolte roumaine contre l’oppression étrangère (le port et les grands domaines étaient administrés par des gestionnaires et des marchands en majorité grecs, arméniens et juifs). Pour d’autres, il s’agit d’une révolte prolétarienne contre les classes dominantes. Pour les Juifs il s’agit évidemment d’un pogrom.
   Entre les deux guerres mondiales, pendant la période de démocratie parlementaire, Galați demeure le siège de la Commission Européenne du Danube dont certaines des activités se sont déjà ralenties pour différentes raisons. Les membres y siègent lors de séances plénières deux fois par an. « Dans l’intervalle de celles-ci, ils sont remplacés par des délégués suppléants chargés de l’administration de la Commission et qui réunissent à cet effet en Comité exécutif deux fois par semaine. Ce comité s’assurent en particulier de l’application des tarifs de péages et de l’avancée des travaux d’amélioration fluviale du [Danube maritime.] »3

Galaţi à la Belle Epoque : l’élégante société de cette époque n’avaient rien à envier à leurs semblables des grandes capitales européennes (Collection Costel Giorgiu)

   La ville s’embellit et connait à nouveau un développement rapide. Puis elle est malheureusement soumise de 1938 à 1989, comme le reste de laRoumanie, à 3 régimes dictatoriaux successifs : carliste, fasciste et communiste. Durant la seconde guerre mondiale, elle est occupée et pillée par les troupes allemandes (fin 1940) puis russes (1945-1958).
https://youtu.be/jxSORt3VX3I
(Galaţi en 1944, en allemand, sous-titré en roumain)

   La ville sera également bombardée par l’aviation anglo-américaine en  juin 1944 et, en août de la même année, par les avions allemands.
   Après les désastres des bombardements Galaţi se reconstruit et subit dans les années 70 un nouveau traumatisme. Une grande partie du centre-ville historique, avec ses superbes monuments, est démolie pour permettre d’édifier, sous la direction de l’architecte Cezar Lazarescu (1923-1986), auteur entres autres réalisations de l’aéroport Otopeni et de la Bibliothèque Nationale à Bucarest, une nouvelle cité avec de grandes barres d’immeubles où seront logés les 50 000 ouvriers de l’un des plus grands complexes industriels et sidérurgiques de Roumanie, implanté à l’ouest de la ville.

Un immense chantier de démolition puis de reconstruction métamorphose Galaţi dans les années 70 pour le meilleur comme pour le pire avec la destruction d’une partie du patrimoine historique.

   La construction inachevée et bâclée engendre de gros problèmes techniques d’isolation, de chauffage, d’adduction d’eau, de gaz, de fonctionnement des ascenseurs. La mauvaise gestion des aciéries et des chantiers navals, difficilement rentables, entraine au cours des années l’accumulation de déficits financiers colossaux. Leurs dirigeants laissent péricliter ces sites industriels après la révolution de 1990 pour finir par les brader en 2001.

À la lisière de Galaţi, les industries sidérurgiques ont dévasté et pollué durablement le paysage, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le complexe sidérurgique est alors racheté par le géant indien Mittal Steel qui l’a depuis cédé. Le nombre d’ouvriers a diminué de manière drastique mais cette aciérie reste encore de nos jours le plus gros site sidérurgique de Roumanie et génère une importante pollution. Elle est souvent appelée par son ancien nom, la Sidex.

Les chantiers navals en 1978, photo Wikipedia

   Les chantiers navals de Galați, liés aux activités portuaires et qui faisaient autrefois la réputation et la fierté de la ville ont décliné puis ont été rachetés en 1999 par le Consortium hollandais Damen Shipyards, un des plus grands constructeurs navals au monde qui possèdent également des unités à Tulcea et Brăila.
https://youtu.be/EDo3ZsVve6s
Des barges, des chalutiers de haute mer sont toujours amarrés au milieu du fleuve et des milliers de wagons et de locomotives, construits sur ces sites ont été abandonnés, rouillant tristement sur les voies de garage des anciennes gares de triage. Galați connait encore un chômage important mais de nouvelles activités économiques ont vu le jour et contribuent à redynamiser la ville.

Notes :
1 sur les rives duquel on cultivait au XVIIIe siècle de la vigne pour élaborer un vin champagnisé fort apprécié !
2 Présence diplomatique  française à Galaţi : Liste des consuls ou agents consulaires en poste à Galaţi de 1838 à 1914, sources : Constantin Ardeleanu, https://cities.blacksea.gr/en/galatz/1-8-2/
Violier, agent consulaire : 1838-1840
Charles Cunningham, vice-consul d’Angleterre (gérant du consulat français…) : 1840-1847
Duclos, agent consulaire : 1847-1852
Gardera, consul : 1852-1855
De Bronsard : 1855-1857
F. Stejert : 1857-1859
E. Bouillot : 1859-1860
L. Vermot : 1860-1863
V. Castaign (gérant) : 1863-1865
D. Grosse (Gorsse) : 1865-1868
H. Boyard : 1868-1873
Alex. Duboul : 1873-1880
Charles d’Haricourt : 1880-1881
Laporte : 1881-1882
Jules Ferndinand Coste : 1882
Gaston Wiet : 1882-1883
Camille Georges de Vaux : 1883-1885
Gaston Wiet : 1885-1900
Joseph Pollio : 1900-1908
Henri André Arnoud : 1908-1914
3 Roger Ravard, Le Danube Maritime et le port de Galaţi, « La Commission Européenne du Danube », Thèse pour le doctorat, Librairie Moderne de Droit et de Jurisprudence, Ernest Sagot et Cie, Paris, 1929

 

À propos du nom de Galaţi

    Les adeptes du protochronisme, courant pseudohistorique très influent en Roumanie (et ailleurs dans le monde sous d’autres régimes totalitaires…) pendant le régime dictatorial de N. Ceauçescu, ont associé le nom de Galați, même s’il n’apparaît pas avant le XIVe siècle, à la racine celtique et indo-européenne [gall-] « étranger » et en ont fait une dérivation de Galates (Gaulois en grec),  une des nombreuses tributs celtes, argumentant que cette région habitée dans l’Antiquité par des Thraces septentrionaux, les Daces, a aussi été colonisée par des tribus celtes au début du IIIe siècle av. J.C. Les partisans de cette hypothèse font même remonter le toponyme de Galați à environ 2300 av. J.C. Selon eux, c’est en cheminant d’Anatolie vers les Alpes que des Proto-Celtes auraient alors émigré et développé en Europe la civilisation dite « de Hallstatt ». Ils associent aussi le nom de Galați à la Table de Peutinger (1265), carte sur laquelle, outre la Galatie au centre de l’Anatolie, figure aussi une Tanasie-Galatie au nord de la Mer Noire. Ils affirment enfin que les Celtes de Galatie seraient le peuple évoqué dans la Bible dans l’Épitres aux Galates. Selon eux des études de généalogie avec des outils modernes de génétique moléculaire viendraient confirmer leur hypothèse.
   D’autres recherches font référence à des étymologies slaves ou coumanes (polovstiennes). Selon l’une d’entre elles, des habitants de la Galicie, des  ukrainiens originaires des Carpates, auraient laissé leur nom à la ville au XIIIe siècle, lorsque la Principauté de Galicie-Volhynie étendit à la Moldavie sa zone d’influence commerciale et politique. C’est une thèse qui a la faveur des milieux historiques russes et ukrainiens. Selon cette hypothèse, le nom de la ville dériverait du mot de la langue coumane galat, racine qui apparaît, également dès le XIIIe siècle, dans d’autres toponymes des environs comme  Gălățui, lac dont le suffixe est d’origine coumane, le suffixe ui signifiant dans cette langue « eau ». Quant aux Serbes, ils revendiquent galac comme origine du nom de la ville.

Un patrimoine architectural (en partie) miraculeusement indemne 

L’ancien Hôtel de ville, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le patrimoine architectural de Galaţi qui a pu traverser miraculeusement indemne les conflits mondiaux et les « aménagements » de la dictature communiste, présente un intérêt exceptionnel comme en témoignent la belle cathédrale orthodoxe du XVIIe siècle, dédiée à Saint Georges, l’église grecque et la magnifique église fortifiée et Sfânta Precista, érigée sur la « Falaise », toute proche du Danube.

Sfânta Precista, église fortifiée, photo © Danube-culture, droits réservés

   Édifiée sous le règne d’Étienne le Grand (1457-1704) puis détruite lors des invasions ottomanes, elle est reconstruite sous le règne du prince de Moldavie Vasile Lupu (Basile le Loup, 1634-1653). Une légende raconte qu’un tunnel y aurait été creusé sous le fleuve à partir de l’église pour rejoindre l’autre rive. 

Icône de l’église fortifiée Sfânta Precista, photo © Danube-culture, droits réservés

   On trouve en ville une remarquable bibliothèque départementale, la bibliothèque V. A. Urechia, hébergée dans l’ancien « Palais de la Commission Européenne du Danube ».

La Bibliothèque Départementale V.A. Urechia, photo © Danube-culture droits réservés

« Dans ce bâtiment a fonctionné entre 1895 et 1948 la Commission Européenne du Danube », photo © Danube-culture, droits réservés

Le joli jardin japonais dans le parc du Musée des Sciences naturelles, photo © Danube-culture, droits réservés

   Galaţi possède un complexe muséal dédié aux sciences naturelles entouré d’un parc au sein duquel se cache un joli petit jardin japonais très apprécié, plusieurs institutions comme le Musée d’histoire de Galaţi « Paul Pǎltǎnea », ouvert en janvier 1939 dans le cadre du 80e anniversaire de l’Union des Principautés roumaines, doté en particulier d’un fonds archéologique antique remarquable, d’une collection ethnographique, d’une bibliothèque, d’objets ayant appartenu à la Commission Européenne du Danube, la Maison Cuza Vodǎ où a habité Alexandru Ioan Cuza, prince souverain progressiste de Moldavie et de Valachie (1859-1862) puis de Roumanie (1862-1866), le Musée des Arts Visuels témoignant de la vitalité et de l’originalité de la peinture roumaine. 

La coupole de la cathédrale orthodoxe, cathédrale archiépiscopale du Bas-Danube depuis 1957 dont la construction commença en 1905 sur les plans des architectes Petre Antonescu (1873-1965) et Štefan Burcuş (1870-1928). Elle fut consacrée le 6 août 1917, endommagée par des tremblements de terres et rénovée, photo © Danube-culture, droits réservés 

   De nombreuses anciennes villas de la fin du XIXe et du premier tiers du XXe siècle sont également à découvrir lors de promenades dans la cité.

On trouve de nombreuses et élégantes villas dans les rues arborées du centre ville, © photo Danube-culture,  droits réservés

   Parfois (souvent) en mauvais état, mal restaurées ou mutilées de diverses façons, témoignages émouvants de la grande époque galatéenne, elles sont malgré tout la plupart du temps classées « Monuments historiques » et concourent à donner à certaines rues arborées de tilleuls un charme nostalgique. Sans doute la ville gagnerait-elle beaucoup à entreprendre elle-même ou à inciter leurs propriétaires actuels à les restaurer. C’est bien de trésors architecturaux qu’il s’agit de préserver car elles témoignent comme d’autres monuments d’une époque « fastueuse » révolue. 

Le charme des villas d’autrefois, photo © Danube-culture, droits réservés

   Une salle de musique récente (le Théâtre National d’opéra et d’opérette Leonard Nae) accueille des manifestions culturelles, des concerts et des représentations lyriques très fréquentés et d’un excellent niveau.
   La bibliothèque française Eugène Ionesco séduit un public francophone et francophile de plus en plus nombreux grâce à un fonds de documents et à des évènements culturels, des rencontres et conférences organisés tout au long de l’année par son entreprenante directrice. 

La tour de télévision de Galaţi à l’extrémité de la « Falaise » domine le Danube et offre une vue exceptionnelle sur la ville et le fleuve, photo © Danube-culture, droits réservés

   Des parcs municipaux bien entretenus et agrémentés de statues, comme le parc Mihai Eminescu, le jardin public, jalonnent la ville.

Promenade de la Falaise, photo © Danube-culture, droits réservés

   Une longue et agréable promenade le long du fleuve avec une collection de sculptures contemporaines imposantes permet aux habitants de flâner, de se restaurer, et aux visiteurs de découvrir « La Falaise ». Une haute tour de télévision datant de l’époque communiste la domine offre une vue imprenable sur la ville et le fleuve. Son restaurant est accessible au public.
   La superbe avenue Domneascǎ avec ses villas élégantes est la plus longue rue bordée de tilleuls d’Europe ce qui donne à la ville, au moment de la floraison, un parfum méridional et une ombre salutaire l’été. Ces arbres font intégralement partie du patrimoine galatéen. Les habitants de Galaţi comme ailleurs en Roumanie, vénèrent les tilleuls, considérés comme un arbre sacré pour les orthodoxes pratiquants. Son bois sert à la fabrication des icônes et ses fleurs ornent souvent les autels des églises.
   Dans le cimetière principal, le carré militaire de soldats français voisine avec des combattants d’autres nationalités témoignant des affrontements meurtriers dans cette partie de l’Europe.

Le carré militaire français de Galaţi  dans l’impressionnant et multiconfessionnel cimetière de l’Éternité, près du  Mausolée des héros de la nation (première guerre mondiale) et du monument à la mémoire des héros tombés pendant la révolution de 1989, rappelle l’implication de la France par le passé dans cette partie de l’Europe. Des tombes de soldats, civils roumains et étrangers, prisonniers politiques, représentants de diverses minorités de la ville et du pays, reposent dans une atmosphère qui prête à la réconciliation, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’Université du Bas-Danube, fondée en 1948, obtient le rang d’université en 1974. Galati possède aussi son École Normale ainsi que d’autres institutions éducatives et culturelles, parmi lesquelles les Collèges nationaux Vasile Alecsandri (1821-1890), Costache Negri (1812-1876) et un Lycée de musique Dimitri Cuclin (1885-1978), compositeur, philosophe et poète réputé né à Galaţi.
   Un potentiel de développement touristique au delà des frontières de la Roumanie existe et peut être mis en valeur s’il est accompagné d’une offre d’hébergement et de restauration adaptée ainsi que d’un accueil touristique digne de ce nom. Peut-être serait-il judicieux d’ouvrir enfin un office de tourisme…
   En attendant une association de passionnés permet de découvrir d’une façon originale la ville, son patrimoine connu et méconnu, la diversité de ses paysages, les sites du bord du Danube et bien d’autres lieux intéressants des environs.
www.facebook.com/ciprianvciocan 

   Avec mes grands et chaleureux remerciements à toutes celles et ceux qui m’aide à découvrir et à aimer Galaţi, qui ont pris et prennent de leur précieux temps pour m’aider à m’orienter et à me documenter sur l’histoire de la ville et de ses habitants, que ce soit L. Buriana et ses collègues de la Bibliothèque départementale V.A. Urechia, Dorina Moisa, directrice de la Bibliothèque française E. Ionesco, Adina Susnea, professeure de piano du Lycée de musique, Victor Cilincǎ, écrivain dramaturge et journaliste érudit qui me fait l’honneur de son amitié. 

  Personnalités nées ou liées à Galati

Eugen Bogdan Aburel (1899-1975), médecin, obstétricien et chirurgien
Max Auschnitt (1888-1959), industriel
Remus Azoitei, violoniste, professeur de violon à la Royal Academy of Music de Londres. Remus Azoitei a enregistré avec Eduard Stan pour le label Hänssler l’oeuvre complète pour violon et piano du compositeur roumain George Enescu.
Jean Bart (1874-1933), commandant de marine, écrivain

Jean Bart (1874-1933)

Hristo Botev, poète révolutionnaire bulgare, habitant de Galaţi en 1871-1872
Hortensia Papadat Bengescu (1876-1955), romancière
Ioan Brezeanu (1916-2010), écrivain, philologue, folkloriste, académicien roumain
Paul Bujor (1852-1952), scientifique, chercheur en physiologie animale
Tudor Caranfil (1931), critique de film, réalisateur et historien du cinéma
Alexandru Cernat (1828-1893), militaire, général de l’armée roumaine mort à Nice
Iordan Chimet (1924-2006), écrivain
Victor Cilincǎ (1958), écrivain, historien, journaliste, dramaturge
Costel Constantin (1942), acteur
Ileana Cotrubaș (1939), cantatrice qui fit carrière dans le monde. Elle était particulièrement appréciée pour sa musicalité et sa sensibilité.
Dimitru Cuclin (1885-1978), compositeur, violoniste, musicologue, pédagogue, écrivain, traducteur et philosophe (métaphysique) est une personnalité singulière du monde de la musique roumaine. Il fut l’élève de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum de Paris mais faute d’obtenir une bourse d’études, il doit rentrer précocement en Roumanie. Il enseignera au Conservatoire de Bucarest (premier titulaire de la Chaire d’esthétique et brièvement directeur), est invité aux États-Unis. Considéré comme réactionnaire et idéaliste il est condamné par le régime communiste à deux années de travail forcé dans un camp de prisonniers sur le chantier du Canal de la mer Noire (1950-1952) mais il a la chance d’en réchapper.
Alexandru Ioan Cuza (1820-1873), homme politique, réformateur, diplomate, francophone, gouverneur de Galaţi, colonel de l’armée moldave, souverain des Principautés Unies de Moldavie et de Valachie de 1859 à 1866. Un des pères de la Roumanie moderne.

Alexandru Ioan Cuza (1820-1873)

Laurențiu Darie (1977), musicien
Ion Dongorozzi, écrivain
Nicolae Dunareanu (1881-1973), écrivain, romancier, traducteur
Ludovic Feldman (1893-1987), compositeur
Georges Georgescu (1887-1964), violoncelliste, chef d’orchestre, né à Sulina. Un des plus grands chefs d’orchestre de l’histoire de la musique.
Ştefan Gheorghiu (1926-2010), violoniste et pédagogue. G. Enescu le recommande avec son frère Valentin avec qui il joue en duo pour obtenir une bourse d’étude pour le Conservatoire de Paris où il suit les classes de violon et de contrepoint. Il termine ensuite ses études à Moscou auprès de David Oïstrak. Violon solo de la Philharmonie d’État de Bucarest à partir de 1946. En 1958, il est lauréat avec son frère du premier concours Georg Enesco et enseigne au Conservatoire de Bucarest (1960).
Valentin Gheorghiu (1928), pianiste, compositeur, frère de Ştefan Gheorghiu.
Theodor Grigoriu (1926-2014), un des plus grands compositeurs européens du XXe siècle. Compositeur de musique de films (Codin, Valurile Dunării…)
Grigore Hagiu (1933-1985), écrivain
Dan Hulubei (1899-1964), mathématicien
Iosif Ivanovici (1845-1902), chef de l’harmonie militaire de Galaţi, auteur de la célèbre valse « Les vagues du Danube » et de nombreuses marches
Alexandru Jula (1934-2018), chanteur pop,  nommé citoyen d’honneur de la ville de Galaţi en 2002. Il fut aussi le chanteur préféré de l’ancien dictateur Nicolae Ceaucescu.
Leonard Nae (1886-1928), ténor, surnommé « Le prince de l’opérette roumaine ». Le théâtre musical de Galati porte son nom.
Gheorghe Leonida (1893-1942), sculpteur, auteur de la tête du Christ rédempteur de Rio de Janeiro (1926-1931) qui domine la ville depuis le sommet du mont Corcovado. 

Gheorghe Leonida (1893-1942) et la statue du Christ rédempteur de Rio de Janeiro, photo droits réservés

Constantin Levaditi (1874-1954), savant biologiste
Radu Lupu (1945), pianiste-concertiste roumain d’exception, ancien élève du Conservatoire Tchaïkovsky de Moscou.
Virgil Madgearu (1887-1940), économiste, sociologue, homme politique, ancien ministre des finances
Nicolae Mantu (1871-1957), peintre, reporter de guerre
Mihai Mihail (1977), acteur
Angela Baciu Moise (1970), poète, publiciste, journaliste
Leonard Nae (1886-1928), ténor, surnommé « Le prince de l’opérette roumaine ». Le théâtre musical de Galaţi porte son nom.
Costache Negri (1812-1876), écrivain, politicien et révolutionnaire d’origine moldave
Ioan Nenițescu (1854-1901), poète, académicien roumain
Paul Păltânea (1924-2008), historien, membre de l’Académie Internationale de Généalogie
Tudor Pamfile (1883-1921), folkloriste
Paul et Ecaterina Paşa, premiers fondateurs d’une collection muséale à Galaţi
Samuel Pineles (1843-1928), philanthrope de la communauté juive
Temistocle Popa (1921), compositeur
Ana Porgras (1993), gymnaste
Camil Ressu (1880-1963), peintre, professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Bucarest, président de l’Union des artistes de Roumanie, ancien élève de l’Académie Julian

Camil Ressu, vallée du Siret, huile sur toile, ?

Anghel Saligny (1854-1925), ingénieur en construction, pédagogue, ministre, académicien
Eugen Sârbu (1950), violoniste
Nicolae Spirescu (1921-2009), peintre
Fani Tardini (1823-1908), actrice, le théâtre de Galaţi porte son nom.
Eugen Trancu-Iași (1912-1988), homme politique, avocat, musicologue, collaborateur de Sergiu Celibidache
Vasile Alexandrescu Urechia (1834-1901), historien, homme politique, ministre, écrivain membre fondateur de l’Académie roumaine. La Bibliothèque départementale, ancien siège de la Commission Européenne du Danube, porte son nom.
Victor Vâlcovici, mathématicien
Ion și Alexandru Vladicescu, acteurs

En savoir plus sur Galaţi…

Viaţa Libera
Pour des informations fiables et une actualité complète dans tous les domaines. Un excellent journal animé par des journalistes érudits et passionnés…
https://www.viata-libera.ro

Théâtre Fani Tardini
www.fanitardini.ro

Théâtre Fani Tardini, photo © Danube-culture, droits réservés

Théâtre musical Léonard Nae
Saison de concerts et d’opéras

Théâtre de marionnettes Gulliver
www.teatrul-gulliver.ro

Centre culturel du Bas-Danube (Centrul cultural Dunǎrea de Jos)
www.ccdj.ro

Université du Bas-Danube
www.en.ugal.ro

L’Université du Bas-Danube, fondée en 1974, autrefois palais de justice et siège du Comité régional du Parti Ouvrier Roumain, photo © Danube-culture, droits réservés

Bibliothèque V.A. Urechia

Buste de V. A. Urechia (1834-1901), historien, homme politique, ministre, écrivain membre fondateur de l’Académie roumaine, photo © Danube-culture, droits réservés

  Remarquable bibliothèque, fondée dès 1889 avec un remarquable fonds de livres, d’incunables, de manuscrits anciens et d’iconographie, une politique d’acquisition avisée, une riche documentation sur l’histoire de la ville. Salles de lecture dans un bâtiment historique, ancien siège de la Commission du Danube.
www.bvau.ro

Le hall élégant de la Bibliothèque départementale V.A. Urechia, photo © Danube-culture droits réservés

Bibliothèque française E. Ionesco : une institution francophone unique en Roumanie !
   
Cette structure associative, crée il y a une vingtaine d’année par l’éditeur français Jacques Hesse et Anca Rusescu tient une place active et unique dans le paysage culturel de la ville et possède un des plus beaux fonds de livres et de documents en langue française (et aussi dans d’autres langues étrangères !) de Roumanie (+ de 16 000 documents, un fonds en augmentation permanente). Les lieux sont fréquentés par de nombreux étudiants de diverses facultés, lycéens et publics variés qui trouvent dans le fonds de la bibliothèque des sources indispensables à leurs recherches. Sa directrice se dévoue inlassablement et efficacement pour la faire connaître au-delà des cercles francophones et francophiles, élargir et renouveler les fréquentations (manifestations pour les enfants), diversifier les activités et organise inlassablement de nombreux évènements culturels (expositions, concerts…) tout au long de l’année.
www.bfei.ro 

La Bibliothèque française E. Ionesco, un lieu incontournable de la francophonie roumaine, fondée par l’éditeur Jacques Hesse et Anca Rusescu il y a plus de vingt ans. photo © Danube-culture, droits réservés

Musée d’histoire de Galaţi
Musée « Cuzǎ Voda », Maison des collections, Mémorial « Costache Negri », Mémorial « Hortensia Papadat Bengescu », Mémorial de la commune d’Iveşti, Maison rurale « Ion Avram Dunǎreanu »
www.migl.ro

Le Musée d’Histoire, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Musée « Cuza Vodǎ » (Musée d’Histoire) ancienne maison des parents d’Alexandru Ion Cuza (1820-1873), souverain des Principautés danubiennes moldavo-valaques de 1859 à 1866, photo © Danube-culture, droits réservés

Musée des Arts Visuels
www.mavgl.ro

Musée des Sciences Naturelles
planétarium, jardin botanique, jardin zoologique
www.cmsngl.ro

Site de la ville de Galaţi
www.primariagalati.ro

Bibliographie (sélection)

COMŞA, Pompiliu,  ZANFIR, Ilie, GALAŢI, Travel Guide, Axis Livri, Galaţi, 2012
PĂLTĂNEA, Paul, Galaţi, Oraşul teilor, Galatz, City of Linden trees, PAPERPRINTS S.R.L., Galatz, 2004
XENOPOL, Alexandru Dimitrie, Histoire des Roumains de la Dacie trajane : depuis les origines jusqu’à l’union des Principautés, Ernest Leroux, Paris, 1896
NOUZILLE, Jean, La Moldavie, Histoire tragique d’une région européenne, Ed. Bieler, Huningue, 2004
BREZEANU, Ioan, Galaţi, Biografie spiritualǎ, Personalitǎţi ale culturii, ştiinţei şi artei, Editura Centrului Cultural, « Dunǎrea de Jos », Galaţi, 2008
NEDELCU, Oprea et collectif, Cultura, ştiinţa, şi arta în judeţul Galaţi, Dicţionar bibliografic, Galaţi, 1973
NICA, George, IULAN, Panait, Galatz in vechi carti postal ilustrate, 2018
RAVARD, Roger, Le Danube maritime et le port de Galatz, thèse de doctorat, Librairie moderne de droit et de jurisprudence, Ernest Sagot & Cie, Paris, 1929
STANCIU, Ştefan, STROIA Marian, Oraşu Galaţi, în relatǎrile cǎlǎtorilor strǎini, Editura Biblioteca Bucureştilor, Galaţi, 2004
STOICA, Corneliu, Monumente de for public din Municipiul Galaţi, Axis Libri, Galaţi, 2015

Pour rejoindre l’autre rive (rive droite) et Tulcea
Bac Galati-I.C. Brǎţianu (Navrom), bus depuis le bac pour Tulcea via Issacea.
www.navrom.ro

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour mai 2023  

La « Falaise » depuis le Danube et le bac pour I. C. Brăţianu et la rive droite, un lieu de promenade très fréquenté, photo © Danube-culture, droits réservés

 Parc municipal, photo © Danube-culture, droits réservés

Vue sur le port et les chantiers navals, photo © Danube-culture, droits réservés

Albert Marquet (1875-1947) : voyage à Galaţi et dans le delta du Danube en 1933

« Marquet a beaucoup voyagé. Qui le connaissait peu aurait pu s’en étonner. Discret et ne demandant qu’à passer inaperçu, il paraissait fait pour vivre une vie tranquille, volontiers contemplative, entièrement occupée à peindre et dessiner, isolé, un peu en retrait, derrière une fenêtre soigneusement choisie. Mais non, il était curieux des êtres. Il aimait la rue, son mouvement, tout ce qui décelait la vie. Il était aux aguets de ce qui lui permettait de prendre connaissance des gens que le hasard lui faisait rencontrer. Il se méfiait des paroles trop contrôlées, plus souvent dites pour masquer que pour confier et pensait que des attitudes, des mouvements, des tressaillements de visages moins surveillés livraient davantage de vérité. Quand il eut assez d’argent pour partir à l’étranger, peu lui importa de déambuler dans un pays dont il ignorait la langue. Il n’avait qu’à se promener au hasard des rues pour trouver compagnie, et une compagnie qui ne lui pèserait pas. Elle lui laisserait sa liberté intacte. Ne s’apercevant pas de sa discrète présence elle ne risquerait pas de le contraindre à supporter une curiosité qui se serait refermée sur lui et l’aurait emprisonné. »

Albert Marquet vers 1920

D’Athènes à Galatz

   « Nous devions avoir instinctivement besoin de nous retrouver dans de l’habituel et du connu car nous avions passé le printemps sur les bords du Danube. Un de nos amis diplomate y était envoyé pour quelques semaines et craignant de s’y ennuyer il nous avait incité à le suivre. Tenté par un voyage en Méditerranée, coupé d’escale dont il avait apprécié le charme au cours d’une précédente croisière, Marquet n’hésita pas. Il revit Athènes et le Parthénon, en goûta la mesure et l’équilibre, la couleur du marbre que l’action conjointe du temps et du soleil était arrivée à incorporer à la colline qui le portait. Il s’attarda longuement au musée où des sculptures archaïques offraient leurs jeunes sourires et leurs grâces. Aucun enseignement, aucune contrainte, seulement l’acceptation des conditions de la vie, dans ses limites et ses dimensions. Plus de perfection peut-être dans les oeuvres du grand musée de la ville mais l’émerveillement de l’enfance était passé ; passé ou dépassé ? L’appréciation dépendait de la qualité de son visiteur, de son humeur ou de son émotion. Marquet se sentit plus à l’aise à Athènes qu’en Égypte.

Albert Marquet, les quais de Galatz. Au premier plan deux bateaux portant pavillon de la C.E.D. Le premier aurait pu être celui mis à la disposition du peintre lors de son séjour en 1933.

À Galatz où nous savions devoir rester, nous fûmes logés dans le meilleur hôtel du pays mais quand le lendemain matin Marquet ouvrit sa fenêtre sur une rue étroite, sans caractère, il déclara tout net : « Autant nous installer à Bécon-les-Bruyères. Nous partirons demain. » La Commission du Danube tenait en ce moment séance sous la présidence d’un haut fonctionnaire roumain, et sa femme mise au courant par moi, de la subite décision de Marquet tenta d’arranger les choses. Elle fit tenir un mot à son mari pour l’instruire de l’affaire et lui suggérer un possible accommodement.  Il donna son accord. Alors elle nous informa que la Commission avait sur le Danube un bateau qu’elle mettait à notre disposition. Il ne nous offrait qu’une cabine étroite mais sur le pont, Marquet se trouverait en plein milieu du trafic fluvial. De quoi le séduire et le fixer pour un bout de temps. Le beau Danube bleu : une valse, une chanson. Sous nos yeux s’étalait un large fleuve, grossi par les eaux limoneuses du printemps et sur lesquelles pour la délectation de Marquet s’entrecroisaient des bateaux de tous tonnages et battant divers pavillons. L’animation gagnait les quais où de gros camions mêlés à de légères carrioles  apportaient diverses marchandises que des dockers entassaient dans des entrepôts ou dans des cales béantes. La coulée des eaux lourdes du Danube nous incita à nous laisser emporter par elle jusqu’à l’embouchure et sans quitter notre bateau nous arrivâmes à Sulina. Les mêmes eaux blondes et puissantes, une immense plaine marécageuse et couverte de joncs, livrée à toutes sortes d’oiseaux que le bruit de notre moteur effrayait. Ils s’envolaient avec des cris et un grand bruit d’ailes pour se reposer à nouveau confiants, quelques mètres plus loin. Comme nous exprimions notre surprise et notre ravissement il nous fut dit que si nous souhaitions en voir davantage une voiture serait mise à notre disposition avec un soldat comme guide. « Vous traverserez le delta et dans une heure ou deux vous serez à Vulkov, une Venise verte. Vous n’aurez qu’à louer un bateau pour y circuler. Vous en trouverez facilement, chaque famille a le sien. Pas d’hôtel. Vous logerez chez l’habitant. »
La voiture avait des ressorts grinçants. Elle avança sur une piste sablonneuse ou défoncée en côtoyant d’abord la mer puis traversant une terre à peine émergée des eaux où des oiseaux nageaient, se poursuivaient et criaient, nous aboutîmes à un large bras du fleuve3. Un bateau nous attendait et bientôt, après l’avoir traversé et marché quelque peu, entendu les paroles de bienvenue d’un maire souriant et barbu qui, sans doute, donna des directives à notre soldat, nous fûmes abandonnés, nous et nos valises, dans une pièce blanchie à la chaux. « Nous airons de la chance, dit Marquet, si nous arrivons demain à trouver le Danube. » Pourquoi pas ? J’étais optimiste. Nous étions arrivés à nous faire servir à dîner dans une chambre encombrée d’icônes, de broderies et de dentelles par une fillette loquace qui, en roumain, en russe et par gestes nous fit connaître toute sa famille4. Elle eut aussi recours à quelques photographies.

Valcov (Vylkove) dans les années trente, photo du photographe allemand Kurt Hielscher (1881-1948) 

Le Danube nous le retrouvâmes sans peine. La compagnie de navigation qui nous avait pris en charge envoya un de ses employés à notre recherche et il lui fut facile de nous rejoindre. Nous étions les seuls étrangers dans le pays et nous ne pouvions pas y faire un pas sans être suivis par une nuée d’enfants. Il nous fit prendre place dans sa barque et nous dit sa joie de parler français, sa fierté de constater qu’il pouvait comprendre et être compris dans une langue dont il ne s’était jamais servi depuis qu’il l’avait apprise à l’école. Dans son euphorie il entreprit de nous enseigner le russe et le roumain et comme nous avions plus envie de regarder que d’écouter il se donna beaucoup de mal pour rien.

Albert Marquet, Les quais de Galatz, 1933

Quand vint le moment de quitter Galatz nous n’eûmes pas d’hésitation. Nous regagnerions Vienne en remontant le Danube. Nous n’avions pas envie de nous en séparer brutalement. Nous entreprîmes un long voyage que Marquet illustra d’aquarelles faites vivement du bateau qui côtoyait des rives fuyantes. De petits villages, une église se détachant d’une verte colline, des prés, des paysans, une charrette traînée par un cheval maigre, des bateaux que le nôtre dépassait ou rencontrait, une gorge resserrée entre de vraies montagnes : le récit se poursuivait séduisant et varié. « Pourquoi, demanda un de nos compagnons, un ingénieur roumain, ne prenez-vous pas de photos, et tranquillement dans votre atelier vous feriez vos aquarelles. » Comment faire comprendre à cet homme raisonnable qu’il est plus tentant d’essayer d’appréhender ce qui vous échappe ? »

Marcelle Marquet, Marquet, Voyages, Série Rythmes et Couleurs, Éditions Librex S.A., Lausanne, 1968

Notes : 
1 Sulina,  port (autrefois port franc) et petite ville à l’extrémité du delta sur le bras du Danube du même nom, bras aménagé par la Commission Européenne du Danube pour la navigation maritime. La Commission Européenne du Danube effectua d’importants travaux de canalisation et installa ses services techniques à Sulina qui se développa dans la deuxième moitié du XIXe siècle et connut une économie prospère au début du XXe siècle.
2 Valçov, village de pécheurs lipovènes (Vieux-Croyants orthodoxes) situé sur le bras de Kilia. La petite ville d’aujourd’hui se trouve en Ukraine et porte le nom de Vylkove ou Vilkovo.
3 Le bras de Kilia ou Chilia, bras septentrional du delta du Danube. Une piste relie Sulina (rive gauche) au bras de Kilia (rive droite) qu’il faut franchir pour atteindre Vylkove (rive gauche).
4 A. Marquet et sa femme sont hébergés dans une famille lipovène.

Sources :
MARQUET, Marcelle, Marquet, Voyages, Série Rythmes et Couleurs, Éditions Librex S.A., Lausanne, 1968
MARQUET, Marcelle, Le Danube, voyage de printemps, Mermod, 1954 (32 pages)

Albert Marquet (II) : Le Danube, voyage de printemps à Galatz, Sulina et Vulkov

Albert Marquet met à profit ce voyage fluvial pour réaliser de nombreuses aquarelles et faire des croquis. C’est sa femme qui écrit les textes relatant ce périple. Les réflexions sur le monde du delta que le couple français découvre à l’occasion de leur périple roumain sont à l’image de l’étonnement et du dépaysement que la plupart des voyageurs ont ressenti autrefois en parcourant ce territoire aquatique et sauvage des confins de l’Europe. « Nous y étions un peu perdu et, comme au bout du monde ». Illustrés d’une sélection d’une quinzaine d’aquarelles et de quelques croquis ils seront édités sous la forme d’un carnet en 1954 chez l’éditeur suisse Mermod dans la collection « Carnets de Françoise ».
L’ordre d’insertion des aquarelles dans les textes a été volontairement modifié par rapport  à la publication de 1954.

Le Danube, Voyage de printemps 

   Le beau Danube bleu, ce ne fut pas pour le voir que nous embarquâmes au printemps 1933 et heureusement car nous aurions été déçus. Il n’est bleu que dans la chanson ou peut-être, nous n’y sommes pas allés voir, près de ses sources. De son delta à Vienne, les deux points limite de notre voyage, il roule des eaux limoneuses entre des rives le plus souvent plates et faites surtout des marais et des alluvions qu’il abandonne et renouvelle au gré des crues et des saisons.

 Les entrepôts (de Sulina)

Marquet, entraîné par un amis que ses fonctions appelaient là et qui craignait, sans compagnon éprouvé, de s’y ennuyer, accepta sans hésiter de partir pour Galatz, simplement parce que cette sollicitation tombait au moment où il n’avait pas de projet et qu’un grand fleuve inconnu avec ses promesses de bateaux et de mouvement ne pouvait que le tenter.

 Matinée sur le Danube

Ce fût d’abord une déception. L’hôtel qu’on nous offrit était dans une rue sans caractère et, dès qu’il fût dans la chambre, les fenêtres grandes ouvertes, Marquet, consterné, se trouva devant une façade grise, haut dressée à quelques mètres de lui. Il ne pouvait même pas apercevoir un coin de ciel. Il soupira :
« Autant se fixer à Bécon-les-Bruyères, ça ne vaut pas le voyage », et sur-le-champs décidé :
« Ne défais pas les valises. Je ne resterai pas quarante-huit heures ici. »
Des amis roumains qui avaient été contents de le voir arriver dans leur pays ne l’entendirent pas ainsi :
« Que vous manque-t-il ? Le port, vous avez pu vous en rendre compte, est grand. Les quais sont sillonnés de voitures, de camions, de charrettes, le fleuve de remorqueurs, de barques, de vapeurs, s’il vous faut une installation là, nous vous la trouverons. » Et deux heures plus tard nous étions sur un bateau amarré pour quelques semaines en l’un des points les plus vivants du fleuve. Marquet, à son affaire, se mit au travail.

 Flotille à Galatz

Il ne resta pas à Galatz tout le temps de son séjour en Roumanie. Quand on vit sur l’eau, il est tentant de prendre un bateau qui navigue et, pour Marquet qui passait ses journées sur le pont, bien tentant de dessiner ce qui défilait sous ses yeux : des verdures, des petites villes groupées autour de leur église ou de leur minaret, des charrettes qu’on devinait grinçantes, des passants, paysans lents et pesants, des soldats fusil à l’épaule dont on imaginait mal qu’ils eussent quelque chose à garder, des nuages qui tout au long des heures dérivaient bas sur l’horizon.

La charrette sous l’orage

    Marquet avait comme à son habitude un carnet, un stylo, des crayons, des pinceaux, un gobelet d’eau, une petite boîte d’aquarelle dans ses poches. Il semblait vraiment faire partie du groupe formé par ses amis et moi, devisant et jouissant du soleil sur la plage arrière du bateau, mais à un moment imprévu, sans qu’aucun de nous ne l’eût pressenti, il s’éloignait d’un pas tranquille et décidé.

Maisons au bord du Danube

Il venait de découvrir un coin isolé, bien placé, nous n’existions plus pour lui, tout à coup et totalement absorbé par le problème auquel toute sa vie il chercha une solution : fixer les rapports éphémères de la lumière et de l’eau et, dans un point ou un trait immobile, emprisonner de la vie en lui laissant de sa palpitation. Un ingénieur qui nous avait été présenté s’effarait. Pourquoi se mettre martel en tête afin de tenter une besogne impossible, saisir ce qui passe si vite que des yeux humains ne sauraient le retenir. Ne serait-il pas plus commode pour Monsieur Marquet de dessiner et de peindre  à son aise dans son atelier en s’aidant de photographies ?

Sur place, il n’a pas tracé une ligne que déjà ce qu’il voulait représenter a disparu. Chacun a ses méthodes et ses préférences, mais comment arriver à faire comprendre à un homme raisonnable que la fuite des choses aide à mieux les connaître, que l’immobilité est un mensonge dont Marquet se refusait à être le complice.

La remontée du Danube

Avant de remonter le Danube, après une courte escale à Sulina, petit port bâti à l’une de ses embouchures, une visite à Vulkov nous fut conseillée, et dans cette bourgade fleurie en cette saison de tous ses cognassiers, coupée d’eau, plutôt faite de jardins que de maisons, notre passage insolite (il n’y avait pas d’hôtel et nous logions chez l’habitant), ameutait à nos trousses les enfants du pays.

Nous errions dans ce village dont nous n’arrivions pas à saisir la forme, sans cesse ramenés à notre point de départ par un canal, un ruisseau, un étang qui arrêtaient notre marche et nous obligeaient à revenir sur nos pas, quand nous fûmes hélés par un jeune homme depuis une heure à notre recherche, envoyé par la compagnie de navigation à laquelle il appartenait afin de nous guider et de nous avertir qu’une cabine était mise à notre disposition sur un de ses bateaux pour assurer notre retour à Galatz. Il nous invita à continuer notre promenade en barque, dans un silence que le chant des oiseaux aurait seul troublé, si notre cicerone n’avait décidé de mettre à profit notre compagnie pour parfaire sa connaissance du français. Comme il était honnête, il voulut partager les avantages de la situation et ne prononça pas un mot sans nous en donner la traduction, d’abord en roumain, sa langue, ensuite en russe, puisque nous étions en Bessarabie. Nous l’écoutions d’une oreille distraite. je crois que Marquet ne l’écoutais pas du tout, il était pris par ce qu’il voyait : des masses de verdure croulant dans les méandres de l’eau, des petits ponts en dos d’âne et dessus, des porteuses d’eau qui cheminaient avec précaution, leurs deux sceaux ruisselants attachés chacun à l’une des extrémités du long fléau en équilibre sur l’épaule. Les bruits soyeux des rames, le clapotement de l’eau, les fuites des insectes, les chants des oiseaux et l’intarissable bavardage du compagnon que nous allions perdre n’arrivaient pas à disperser le silence enveloppant les jardins que nous ne finissions pas de contourner.

Nuages de beau temps

Nous avions l’impression d’errer dans un pays qui commençait d’être, sur des eaux lourdes, molles, limoneuses, visiblement nourricières, charriant en leur sein ce qui deviendrait terre, herbages, taillis, aliment et refuge d’animaux que nous avions entendu ramper, glisser, voleter tout au long du chemin qui nous avait amenés ici. Cet étrange chemin, le sable trempé des plages en fut la meilleure partie. Ailleurs ce n’était qu’une piste caillouteuse, souvent creusée d’ornières profondes qui avaient eu le temps de se solidifier depuis les dernières pluies, et coupées de ponts si haut perchés qu’il nous fallut à plusieurs reprises descendre de voiture afin de permettre à notre mince cheval de les franchir dans un élan où il employait toutes ses forces ramassées. Pendant ce voyage, qui dura quelques heures, nous aurions pu nous croire les seuls habitants du monde : des joncs, des plantes à ras de terre, de l’eau un peut partout, stagnante ou courante, et par-dessus, un ciel immense où paraissaient des nuages qui s’étiraient, se gonflaient, s’amassaient, se dispersaient, fuyaient, revenaient, promettaient, menaçaient, restant, avec la brise qui courait entre les joncs, la seule manifestation tangible de la vie. Une méchante carriole, pour cocher, et nous ne savions pas pourquoi, un soldat, nous deux, notre valise, et nous avancions dans un pays où la présence de l’homme n’était décelable qu’à l’existence d’une piste en mauvais état suivie ce jour-là par nous, que poussait, dans l’idée de notre soldat, une incompréhensible curiosité.
« Vulkov », vous verrez, c’est un pays comme il n’y en a pas deux », et il fallait vraiment que nous n’ayons rien à faire pour qu’une si banale réflexion suffît à nous décider d’y partir.
Nous y étions un peu perdu et, comme au bout du monde. Le fleuve en nous emmenant demain nous en délivrerait. Jamais nulle part nous ne nous étions senti  tellement étrangers et, je ne sais pas pourquoi, sur le point d’être oubliés.

 Iles et collines

Il nous semblait assister aux hésitations d’une ébauche, à moins que ce ne fussent les prémices d’une disparition. Trop d’eau, trop de ciel, et ce pêcheurs en loques, éventrant un esturgeon pour en extraire la masse d’un caviar qui serait, à des lieues d’ici, dégusté dans des restaurants rutilants de lumières, de musiques, de fleurs et de femmes luxueusement parées, manquait de réalité.
Tout ce que nous avions sous les yeux nous apparaissait sans lien avec le reste du monde. Ces enfants rencontrés dans les chemins, ces enfants que nous avions effrayés, intrigués, que raconteraient-ils après notre départ ? Et toute leur vie, la passeraient-ils contre ce bras puissant du Danube qu’aucun pont ne traverse là et dont les eaux profondes et lourdes les maintenaient dans l’isolement ? Des jardins, de petites maisons, des fleurs, des fruits, des poissons, cela constituait un univers bien clos. Leur serait-il suffisant ? Nous le voyions au printemps, épanoui dans des verdures et des floraisons, mais l’hiver quand les vents froids balaient cette immensité à laquelle le rend le dépouillement de ses jardins, à quoi peut-on penser ou rêver dans les petites maisons blanchies à la chaux, ornées de fleurs artificielles et de napperons brodés, placées encore en cette année 1933 sous la protection d’ icônes qu’honoraient de tremblants lampions ?

Nous quittons le port

Le lendemain nous abandonnions Vulkov et alors commença notre remontée vers Vienne. Aux marais succédèrent des prairies, aux joncs, des peupliers et des bouleaux, quelques usines, de vraies villes, parfois un resserrement du fleuve entre des collines, mais partout le Danube restait le maître, apportant aux pays qu’il traverse leur mélancolie ou leur fertilité, leurs façons et leurs raisons de vivre.
Marcelle Marquet, juillet 1954

Danube-culture, mis à jour mars 2023

 L’entrée des Portes-de-Fer

 Les Portes-de-Fer

 Un village en Cracovie (Croatie)

La sortie du port

Édouard Engelhardt : la question des embouchures du Danube, la navigation du fleuve et la commission instituée par le Congrès de Paris

Carte de l’Europe de l’est après le Congrès de Berlin de 1878

   Bien souvent, depuis la guerre de Crimée, on a nié en France, en Angleterre et ailleurs, que les résultats de ce grand effort aient valu les sacrifices qu’il a coûtés ; on l’a représenté comme une entreprise mal conçue et mal conduite, comme une ambitieuse parade, comme une stérile dépense d’hommes et d’argent. De ceux qui parlaient ainsi, les uns obéissaient à des passions politiques, ils n’admettaient pas que le gouvernement impérial eût pu, même une fois, avoir une sage et patriotique pensée ; les autres, philhellènes attardés, s’indignaient que les vainqueurs de Navarin eussent pu s’allier aux Turcs contre leur ancien compagnon d’armes ; d’autres enfin, approuvant l’idée d’une coalition européenne contre la Russie, se plaignaient non moins vivement que l’on n’eût pas su lui faire porter tous ses fruits, que l’on se fût arrêté sans avoir détruit Cronstadt, rendu la Finlande à la Suède, surtout affranchi et reconstitué la Pologne. Si l’on devait rester en route, disaient-ils, n’aurait-il pas mieux valu ne point faire la guerre ? On avait aidé la Russie à découvrir ses propres défauts et à les corriger, on l’humiliait sans l’amoindrir, on lui donnait ainsi à grands frais des leçons qui lui serviraient à mieux prendre ses mesures une autre fois. Parmi ceux même qui sentaient la difficulté de si grands changements, quelques-uns pensaient que l’on avait trop vite abandonné Constantinople, et que, pour prix du service rendu, on aurait dû faire signer au sultan une lettre de change au profit des chrétiens d’Orient. Nous n’avons point à réfuter ici toutes ces objections, toutes ces critiques ; quelques-unes sont spécieuses, et donneraient matière à une longue discussion ; d’autres peuvent contenir une part de vérité. Il est malaisé dans les choses humaines d’établir une exacte proportion entre l’effort et les résultats obtenus, dont l’effet et le contre-coup se prolongent à l’infini. De plus, depuis la guerre d’Orient, la politique des puissances occidentales a eu à Constantinople des caprices, des variations, des incohérences, qui ont parfois compromis une influence et une autorité qu’elles avaient pourtant conquises à grands frais. Nous comprenons donc tous les regrets, nous admettons toutes les réserves ; cependant, nous ne craignons pas de l’affirmer, pour soutenir que la guerre de Crimée n’a point profité à la civilisation, il faut vraiment n’avoir jamais mis le pied en Orient. Quiconque, avant et après la guerre, a visité la Turquie et les régions voisines ne saurait méconnaître l’amélioration notable opérée par cet événement dans le sort des peuples de ces contrées. Sur le Danube, ce sont les Serbes et les Roumains affranchis tout à la fois des ingérences turques et de la protection russe, placés sous la commune garantie de toute l’Europe et rendus maîtres de leurs destinées. Dans l’intérieur même de l’empire, ce sont les hommes d’état turcs forcés de comprendre qu’ils ne sauraient plus se passer du concours moral et financier de l’Occident, ce sont les chrétiens chaque jour plus nombreux dans les hauts emplois, et même dans les provinces, malgré bien des abus encore subsistants, chaque jour mieux protégés contre le fanatisme turc par l’adoucissement des mœurs, par leur richesse croissante, par la facilité des communications, qui leur permet de faire arriver plus vite leurs plaintes à Constantinople. La Porte, dira-t-on, n’a pas encore rempli tous les engagements qu’elle avait pris devant l’Europe ; mais un programme de réformes devant conduire tous les sujets du sultan à l’égalité civile et politique n’est-il pas déjà par lui-même, par cela seul qu’il est publiquement avoué et reconnu, une importante innovation et un gage sérieux de progrès ? Au temps où nous vivons, quand un gouvernement a eu l’imprudence de faire des promesses, il lui est plus difficile qu’on ne le croit de ne pas les tenir ; l’opinion ne cesse de réclamer et de rappeler la dette ; devant cette incessante mise en demeure, si l’on ne veut pas quitter la place et déposer son bilan, on est contraint de donner à-compte sur à-compte, et l’on se trouve en dernier lieu avoir payé plus même que l’on ne devait.

Nous voulons insister aujourd’hui sur un des résultats les moins connus, quoique des plus considérables de la guerre de Crimée ; nous voulons montrer quelles heureuses conséquences a eues pour l’Europe l’attention que les plénipotentiaires réunis dans les conférences de Vienne, puis au congrès de Paris, ont accordée à l’importante question de la navigation du Danube.

Pour achever son œuvre et pour appliquer, en tenant compte de tous les droits et de tous les intérêts, les principes qu’il avait posés, le congrès de Paris, avant de se séparer, avait institué, par les articles 16, 17, 20 et 23 de l’acte de paix, quatre commissions mixtes ; chacune d’elles avait sa tâche et devait travailler, dans la mesure du rôle qui lui avait été assigné, tant à l’affranchissement de la grande voie commerciale dont la Russie avait possédé jusque-là les embouchures qu’à la consolidation des groupes chrétiens qui en occupent les rivages depuis le confluent de la Save et du Danube jusqu’à la mer.

La première de ces délégations du congrès n’a pas été heureuse dans l’accomplissement de sa tâche. Convoqués à Vienne vers la fin de l’année 1856, les représentants des états riverains du Danube avaient terminé au mois de novembre 1857 le règlement de navigation dont ils étaient chargés ; mais cette convention ayant paru contraire à l’esprit des clauses générales adoptées à Paris, les puissances se sont refusées à la ratifier, et elle est restée lettre morte. — Les ingénieurs militaires qui formaient la commission instituée par l’article 17 avaient à fixer le tracé de la frontière russo-moldave en Bessarabie ; ils se sont vus plus d’une fois à la veille de suspendre leurs opérations. Qui ne se souvient de la difficulté de Bolgrad et des menaces du foreign office ? Pourtant ils ont fini par obtenir de la Russie le sacrifice qu’ils réclamaient et par mener leur tâche à bonne fin. — Quant aux commissaires envoyés à Bucharest, ils ont recueilli les vœux des divans ad hoc de Valachie et de Moldavie, et leur enquête a servi de base à la convention de 1858, qui devait être la loi fondamentale et immuable des Principautés-Unies. Cependant on a dû bientôt reconnaître que le moyen terme auquel on s’était arrêté ne contentait personne, qu’il ne répondait qu’imparfaitement aux légitimes aspirations des Roumains. Au veto de l’Europe, ceux-ci ont opposé des faits, et après la double élection princière de 1859, après la fusion des deux administrations centrales, l’union complète des deux provinces sœurs et l’événement qualifié de «coup d’état du 2 mai», les puissances ont été amenées à déclarer que désormais le peuple moldo-valaque, placé sous la suzeraineté de la Porte, pourrait changer librement son régime intérieur.

La quatrième commission, celle qui a été momentanément préposée aux embouchures du Danube, est encore en fonction, quoiqu’on ait, au début, limité sa durée à deux ans. L’œuvre qui lui a été confiée a pris des proportions imprévues ; mûrement préparée, conduite sans bruit et avec persévérance, elle touche à son terme, et tout ignorée qu’elle soit, sinon dans son ensemble, du moins dans ses développements successifs et dans ses différents résultats, elle mérite à plus d’un titre une sérieuse attention. Les ouvrages d’art exécutés pendant une période de plus de treize ans sur le Bas-Danube, exemple unique de collaboration européenne, n’ont pas eu seulement pour effet de faciliter d’une manière permanente l’usage de l’un des plus grands cours d’eau du continent ; ils constituent sous le rapport scientifique une intéressante expérience. Libres de leurs entraves et soumis à une législation conforme aux principes qui régissent les fleuves « conventionnels », la navigation et le commerce sur le Danube maritime ont pris un essor qui rappelle leur antique prospérité. Enfin la commission du Danube exerce dans sa sphère modeste, et en vertu d’une sorte d’investiture temporaire, une véritable souveraineté, privilège sans précédent dans le droit international. C’est à ces divers points de vue qu’à la veille du jour où elle va se dissoudre, nous nous proposons de faire son histoire.

Édouard (Philippe) Engelhart, source Bibliothèque Nationale de France

I)
Quoique la Mer-Noire ait été pendant près de dix-neuf siècles le centre du plus grand commerce qui se soit fait sur l’ancien continent, le bassin inférieur de son principal tributaire est peut-être aujourd’hui la contrée de l’Europe la moins connue, ou celle dont la description géographique est la plus imparfaite. Si les membres du congrès de Paris et de la conférence de 1857 avaient disposé d’une bonne carte topographique des embouchures du Danube, s’ils avaient pu en même temps tenir compte des véritables conditions ethnographiques de ces contrées, les contestations relatives à la possession de Bolgrad (Belgrade) n’auraient point compromis pendant près d’une année une paix glorieuse, et la Roumanie, dont un mince filet d’eau trace la frontière du côté du delta, ne se serait point vue privée, contrairement aux intentions des puissances, de toute communication indépendante avec la mer. Il paraît donc utile, avant d’entreprendre la monographie de la commission européenne, de donner un court aperçu du pays qui devait être le théâtre de son activité.

À partir de l’embouchure du Pruth, son dernier affluent, le Danube, grossi par les eaux d’un bassin de 300,000 milles carrés, coule dans un lit constamment large et profond. À 48 kilomètres en aval de ce point, il se divise en deux branches, dont l’une, la Kilia, dirigée vers l’est-nord-est, absorbe plus de la moitié de son volume, et dont l’autre ne tarde pas à donner naissance à deux bras d’inégale capacité, la Soulina, qui tend vers l’est, et le Saint-George vers le sud-est. La Kilia et le Saint-George forment, avec la plage qui sépare leurs orifices, un triangle ou delta dont la surface est d’environ 2,690 kilomètres carrés, et qui comprend deux grandes îles séparées par la Soulina. Cette plaine alluviale, presque entièrement couverte de roseaux, est unie comme un champ. Les lacs nombreux qui la découpent dans tous les sens communiquent par des rigoles avec les trois émissaires principaux auxquels ils servent, pour ainsi dire, de régulateurs en absorbant une partie des eaux a l’époque des crues et en la dégorgeant à mesure que baisse le niveau du fleuve. La nature a réalisé là, quoique d’une manière incomplète, les travaux dont on a suggéré l’idée en France à la suite des débordements de la Loire et du Rhône. Le sol s’exhausse insensiblement sur plusieurs points, notamment à la bifurcation du Saint-George. En cet endroit privilégié, qualifié de Paradis des cosaques, il est susceptible de culture et donne d’excellents pâturages. Deux bois épais de chênes, d’ormes et de hêtres se rencontrent vers les embouchures ; l’un, qui porte le nom de la région boisée où le Danube prend sa source et que l’on appelle la Forêt-Noire, avoisine la rive gauche du Saint-George, l’autre longe la plage entre la Soulina et la Kilia. Des bouquets de saules bordent de distance en distance les trois bras du fleuve et en marquent de loin les sinuosités ; d’ordinaire plus touffus du côté des eaux moins profondes, ils servent parfois à indiquer les passes dangereuses. Vu de haut, le delta figure ainsi trois grandes avenues convergentes qui se relient entre elles par un réseau de canaux secondaires, et qui s’infléchissent sur leur parcours en méandres plus ou moins tortueux.

Exposée à des inondations périodiques et à toutes les maladies qu’engendre l’humidité, la population qui occupe les deux îles du Danube inférieur est relativement restreinte, et, comme ce territoire est resté longtemps neutralisé, elle représente les nationalités les plus diverses. Cependant les Russes y prédominent, et ils habitent le pays depuis plusieurs générations, tandis qu’en général les Roumains, les Grecs et les Bulgares n’y résident que temporairement. Les colons venus de la Russie se distinguent entre eux par leur origine et par leurs croyances religieuses. Les uns, appelés lipovanes (Lipovènes), sont Moscovites, et leur apparition en Turquie remonte au règne de Pierre le Grand. Le tsar s’étant proclamé chef suprême de l’église orthodoxe, un parti se forma, qui, fidèle à l’autorité déchue, protesta contre cet acte sacrilège du pouvoir temporel. De là la dénomination de vieux croyants, vieux frères, que portent encore aujourd’hui les sectateurs du patriarche de Kiev. Pour échapper aux persécutions, les plus ardents d’entre eux, auxquels s’adjoignit une bande de strélitz révoltés, passèrent la frontière et vinrent se réfugier aux embouchures du Danube. La Porte leur concéda des terres et des pêcheries contre l’obligation de fournir un contingent d’hommes et de chevaux en temps de guerre. Les autres sont Ruthènes et appartiennent aux groupes cosaques des provinces de la Pologne qui, lors du démembrement de ce royaume, tombèrent au pouvoir de la Russie. A cette époque, ils émigrèrent en Turquie sous la conduite des Zaporogues, et obtinrent à des conditions semblables les mêmes immunités que leurs devanciers. Moscovites et Ruthènes ont leur constitution propre, et ne sont en rien assimilés à des raïas. Un grand nombre de ces Slaves expatriés se sont réunis dans les villes et villages qui se rapprochent des rives extérieures du Saint-George et de la Kilia, En négligeant ces agglomérations plus ou moins considérables, telles que Jourilovka, Toultcha, Ismaïl et Kilia, on peut évaluer à 12,000 ou 15,000 âmes la population répartie dans la région du delta. Parmi les établissements qui s’y sont formés, le plus important est la ville de Soulina, située à l’embouchure même de la branche mitoyenne du Danube.

En 1853, aux débuts de la guerre d’Orient, Soulina ne comprenait tout au plus que 1,000 à 1,200 habitans, la plupart Ioniens, Grecs et Maltais. Quelques baraques en planches ou de simples huttes de roseaux élevées sur la plage servaient d’abri à ces aventuriers, dont l’industrie consistait à dépouiller en grand et par association les malheureux capitaines obligés, par suite des obstacles qu’ils rencontraient sur ce point, d’avoir recours à leurs services. Ils rançonnaient la navigation européenne et rappelaient par leur âpreté impitoyable l’avidité du géant des bouches de l’Escaut. Le vol était organisé, et au milieu du désarroi qui avait suivi les premières hostilités sur le Danube, il se pratiquait impunément. L’emploi forcé des allèges pour le passage sur la barre facilitait particulièrement les entreprises de ces pirates. Leurs embarcations avaient d’ordinaire un double fond qui absorbait une grande partie des grains momentanément extraits des bâtiments de mer, et ils restituaient l’excédant lorsqu’ils ne pouvaient échapper avec toute leur cargaison à la vigilance des capitaines. C’est ainsi que plusieurs moulins à vent, dont on voit encore les débris, étaient en pleine activité à l’embouchure, c’est-à-dire sur un lieu désert de la côte, à l’extrémité d’une île marécageuse. Au printemps de l’année 1854, un bâtiment de guerre apparut en vue de Soulina. Il était commandé par le fils de l’amiral Parker. Après avoir fait armer un canot, ce jeune officier en prit lui-même la conduite, et vint débarquer en face d’une ancienne redoute construite vers la pointe de la rive gauche du fleuve. Comme il passait, suivi de quelques hommes, devant cet ouvrage abandonné, un coup tiré à bout portant le frappa mortellement. Les Anglais se vengèrent de cet assassinat en bombardant le village, qui fut réduit en cendres. Peu après cet événement, les bouches du Danube furent déclarées en état de blocus, et l’exportation des céréales des principautés fut interrompue jusqu’au commencement de l’année 1855. A cette époque, par égard pour les droits des neutres, auxquels le traité de Paris allait donner une solennelle consécration, le blocus fut levé, et un mouvement extraordinaire se produisit dans les ports moldo-valaques. Une nouvelle population, composée en majeure partie des mêmes éléments que la précédente, vint s’implanter à Soulina, et bientôt, grâce à l’absence de toute autorité sur la rive droite du fleuve, une bande d’écumeurs de mer s’empara de l’entrée du Danube. L’audace de ces bandits n’eut plus de bornes ; trompant la confiance des capitaines auxquels ils se présentaient comme pilotes lamaneurs, il n’était pas rare qu’ils fissent échouer dans la passe le bâtiment dont ils avaient pris la direction. Livré le plus souvent à ses propres ressources dans l’opération du sauvetage, le capitaine ne tardait pas à se convaincre de l’inutilité de ses efforts, et il abandonnait son navire, dont on faisait aussitôt la curée.

Cependant ce brigandage ne pouvait durer. Le commandant des troupes autrichiennes dans les principautés envoya à l’embouchure un détachement de 60 soldats. Cette occupation fut un bienfait momentané pour le commerce européen. Déployant une rigueur égale à la perversité dont ses nationaux étaient les premières victimes, le représentant de l’autorité nouvelle fit prompte et sommaire justice au nom de la loi martiale ; la bastonnade fut mise à l’ordre du jour et consciencieusement administrée. Sous ce régime énergique, la discipline fut bien vite rétablie. Toutefois le pouvoir militaire, quelque efficace que fût son action, n’était pas à même de procurer d’une manière durable les garanties de sécurité que réclamait impérieusement la marine marchande. Cette tâche appartenait tant à la puissance territoriale qui venait d’être dûment reconnue qu’à la commission européenne, qui se trouvait temporairement investie d’une partie de ses droits.

Aujourd’hui régénérée, moralisée au contact d’une autorité internationale dont les attributions sont aussi exceptionnelles que l’état du pays dans lequel elle fonctionne, Soulina prend des développements rapides qui semblent la préparer à un rôle important ; elle compte déjà près de 4,000 âmes. Les cabanes éparses qui couvraient la plage et servaient de repaires aux premiers habitants ont fait place à des constructions solides et régulières. De grands bâtiments s’y élèvent pour les différents services de la navigation. Des édifices religieux y représentent déjà les principaux cultes de l’Occident. Siège d’une caïmacamie, la nouvelle ville entretient une garnison permanente. Des agents consulaires y sont accrédités, et la vue de leurs pavillons protecteurs rassure les marins, pour lesquels ces parages étaient autrefois si inhospitaliers.

II)
Dès l’origine des négociations qui ont précédé le congrès de Paris, il avait été convenu entre les puissances alliées que le soin d’appliquer le principe de la liberté de navigation sur le Danube serait confié à deux commissions qui représenteraient, l’une les parties contractantes, c’est-à-dire l’intérêt européen, et l’autre les états dont le fleuve sépare les territoires.
À cette époque, l’Autriche avait surtout en vue de paralyser l’influence qu’assurait à la Russie la possession des bouches de Soulina et de Saint-George, et, tout en provoquant l’intervention étrangère pour atteindre plus sûrement ce but, elle entendait se ménager les bénéfices de son initiative et régler elle-même les conditions de la déchéance de son coriverain. Ces préoccupations inspirèrent sans doute le mémorandum par lequel le plénipotentiaire autrichien invita la conférence de Vienne, le 21 mars 1855, à déterminer la compétence respective des deux commissions internationales. D’après l’arrangement dont cet acte formule les clauses, la commission européenne n’aurait eu qu’à élaborer le plan et le devis des travaux propres à faciliter l’accès des embouchures, et l’exécution de ce projet aurait été abandonnée à la délégation locale appelée à remplir d’une manière exclusive les fonctions prévues par les articles 108 à 116 du traité de Vienne de 1815. Cette combinaison, exposée avec toutes les apparences de la sincérité, était d’autant moins équitable que les puissances occidentales, dont on cherchait ainsi à réduire le rôle, avaient acheté seules, au prix des plus grands sacrifices, les concessions auxquelles la Russie consentait alors à se prêter. Elle donna lieu à de longues discussions, et à la suite des événements qui mirent fin à la guerre de Crimée il fut décidé, d’accord avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, que le mandat exécutif de la commission riveraine serait transféré sans réserve à la commission européenne. Celle-ci fut ainsi chargée de pourvoir par elle-même à la navigabilité du Danube sur le parcours fréquenté par les bâtiments de mer, et à cet effet on lui assigna un terme de deux ans. Les délégués européens se réunirent à Galatz le 4 novembre 1856. Ils purent se rendre compte de prime abord de toutes les difficultés de leur mission et de l’insuffisance du délai prévu par le traité de Paris. À défaut de cartes exactes, de nivellements et de données hydrographiques récentes, l’arpenteur et le géomètre durent précéder l’ingénieur et lui ouvrir la voie dans ces plaines infectes, dont le sol disparaît sous les eaux pendant la saison des crues. Privées des industries les plus élémentaires et de toutes les ressources que comporte l’emploi d’ouvriers étrangers, les deux principales localités du Bas-Danube, Toultcha et Soulina, durent être pourvues d’établissements nombreux, tels que chantiers, ateliers de construction et de réparation, scieries à vapeur, fours à chaux, hôpitaux, etc., et, pour suppléer à la lenteur des communications dans le delta, on dut procéder à la construction d’un télégraphe de 200 kilomètres entre Galatz et les embouchures.

Ces dispositions préliminaires, qui occupèrent une partie de l’année 1857, étaient dictées par le vague pressentiment que l’œuvre commune définie par le congrès nécessiterait des travaux considérables et de longue durée. A ce double titre, elles furent l’objet de vives critiques en Moldo-Valachie. Les résidents étrangers des ports de Galatz et de Braïla les jugèrent superflues en se persuadant que de simples opérations de dragage répondraient suffisamment aux besoins du commerce danubien. Sans partager cette confiance, mais voulant éviter le reproche d’avoir eu recours à des moyens lents et coûteux en négligeant le remède facile et prompt que réclamait la voix publique, la commission résolut d’entreprendre le curage de la passe de Soulina. Elle ne tarda pas à se convaincre, après ses premiers essais, qu’elle se livrait à un véritable travail de Sisyphe, et les plus impatiens durent se rendre à l’évidence.

Cette tentative infructueuse fut une leçon qui ne déplut point sans doute au commissaire de Russie. L’on se rappelle peut-être les plaintes qui, avant la guerre d’Orient, ont défrayé pendant plusieurs années les correspondances diplomatiques. Un dragueur, commandé en Angleterre par le gouvernement russe, apparaissait de mois en mois à l’embouchure du Danube et retournait avarié au port de Nicolaïef. C’était, aux yeux des agents consulaires, une mise en scène destinée à tromper leur vigilance, et, comme ils s’encourageaient mutuellement dans leurs dénonciations, l’un d’entre eux affirma même que les servants de la perfide machine, bien loin de déblayer le chenal, occupaient leurs loisirs à l’obstruer par des sacs remplis de sable.

Les commissaires occidentaux, dont l’envoi sur le Bas-Danube pouvait être considéré comme la consécration officielle de cette méfiance et de ces accusations, devaient en démontrer eux-mêmes toute l’invraisemblance. Cependant, s’ils ne formulèrent pas dans leurs protocoles cette tardive justification, ils ne se félicitèrent pas moins que le délégué de Russie du résultat négatif de leur expérience involontaire. En mettant hors de doute l’insuffisance de procédés purement mécaniques pour écarter les obstacles que renouvellent incessamment d’énormes quantités de matières alluviales charriées par le fleuve, l’échec provoqué par les vœux irréfléchis du commerce local prouvait la nécessité d’ouvrages hydrauliques permanents et l’utilité des préparatifs qui devaient en permettre la prompte exécution dans un pays où tout était à créer. Quelles seraient la nature et l’étendue de ces ouvrages ? à quel système devait-on  recourir ? Ici la commission se trouvait en présence d’un problème technique qui a donné lieu à des applications plus ou moins heureuses, et sur lequel les hommes de l’art sont encore divisés. On sait que les fleuves qui se jettent dans des mers sans marée déposent devant leur orifice une partie des matières meubles qu’ils tiennent en suspension. Ces sédiments, en s’accumulant dans la région côtière où le courant fluvial est ralenti par les eaux de la mer, donnent ordinairement naissance à un col transversal que l’on appelle une barre, et qui entrave l’accès de l’embouchure, lorsqu’il ne la ferme pas complètement à la grande navigation. Les barres changent de position et de forme, elles sont plus ou moins élevées, suivant la force, la direction et la durée des courants et des vents sous l’action desquels elles se produisent.

Le Danube, moins que tout autre, ne pouvait échapper à ces lois naturelles, puisque, avec un débit qui varie de 9,200 à 30,000 mètres cubes d’eau par seconde, il charrie plus de 60 millions de mètres cubes d’alluvions par année, c’est-à-dire qu’en évaluant la masse de ses déjections solidifiées sur une hauteur de 5 mètres, on obtiendrait annuellement une surface d’environ 12 kilomètres carrés. Alimentées par ces apports incessants d’argile et de sable fin, les bosses qui rendent l’abord des côtes du delta si dangereux, et que les navigateurs anciens appelaient στήθη, s’étendent vers le large à plusieurs kilomètres. Les progrès du promontoire danubien avaient déjà frappé l’attention des contemporains de Polybe, qui semblaient craindre que l’Hellespont ne fût un jour comblé comme le lac Mœotide. La tradition populaire veut que sous la domination ottomane, c’est-à-dire à une époque antérieure aux traités qui ont soustrait la plus grande partie du delta à la souveraineté de la Turquie, un pacha eut l’idée d’obliger chaque bâtiment qui sortait du Danube à traîner à l’arrière, en franchissant la barre, une herse fixée à une lourde chaîne. En remuant ainsi le fond vaseux de la passe, on réussissait, dit-on, à y maintenir une profondeur de 12 à 15 pieds. Il serait permis de contester le succès de ce mode d’amélioration, si l’on n’ajoutait, à l’appui de ce récit, qu’une estacade en pilotis serrés s’avançait vers la mer, et prolongeait ainsi sur la barre le courant fluvial. On n’a trouvé aucun vestige de cet ouvrage, dont plus d’un ingénieur met en doute l’existence passée. Quoi qu’il en soit, et si l’œuvre de la herse a jamais produit l’effet qu’on lui attribue, on pourrait difficilement l’expliquer sans la digue qui lui servait d’auxiliaire. Livré à lui-même, après avoir dépassé les rives qui en activaient la vitesse, le courant du fleuve n’a plus assez de force pour imprimer un mouvement de translation marqué aux matières agitées par les herses et par les chaînes. Il arrive souvent, après les crues, que ce courant est presque nul, et l’on constate même parfois, en dehors de la barre, un contre-courant assez sensible. Le curage par la drague n’est efficace que là où le travail des auges est protégé contre la houle soit par une baie plus ou moins fermée, soit par des bancs voisins sur lesquels la vague s’amortit. Les côtes de la mer Baltique offrent notamment cet avantage devant les embouchures de l’Oder et de la Vistule. Dans les rades ouvertes, comme celle du Danube, le dragueur, qui fonctionne presque toujours imparfaitement, est exposé à de fréquentes interruptions ; un ouragan anéantit en quelques heures le travail de plusieurs semaines, et si, voulant proportionner l’effort à l’inertie du fleuve parvenu au terme de sa course, on employait dans un étroit chenal plusieurs machines à la fois, le passage régulier des navires y deviendrait impossible. Un système plus rationnel se présente et semble s’imposer par sa simplicité même au choix des ingénieurs ; il consiste à forcer le fleuve à travailler lui-même au creusement de son lit maritime en portant son courant sur la barre avec toute sa force au moyen de digues parallèles. On tend ainsi à produire entre les rives artificielles une chasse qui doit avoir la même action qu’entre les rives naturelles, et qui conduit dans les profondeurs du large les matières accumulées devant l’embouchure. Cependant les digues longitudinales sont loin de constituer une œuvre parfaite, car elles laissent subsister la cause première de la formation des barres. Le bon sens indique en effet que le banc qui existait devant l’embouchure primitive se reformera tôt ou tard en face de l’orifice nouveau. Le seul remède à cet inconvénient est de prolonger les digues suivant le relèvement du fond. L’encaissement du courant fluvial dans la mer a réussi à l’embouchure de l’Oder, où il a porté de 7 à 18 pieds et même, sur un étroit parcours, à 24 pieds le niveau du chenal. Cette profondeur s’est maintenue à peu près invariable pendant trente-trois ans. Il convient de noter ici, pour ne négliger aucun des éléments de la question qui nous occupe, que l’Oder, avant d’atteindre la mer Baltique, décharge ses eaux dans un grand lac, le Haff, dont il sort purifié de ses alluvions. Le même genre de travail a produit des effets beaucoup moins décisifs sur le cours inférieur de la Vistule et du Rhône. La Vistule, il est vrai, se déverse dans un golfe où l’on remarque deux courants littoraux contraires qui paralysent son écoulement normal, et quant au Rhône, son embouchure principale est exposée à toute la violence du vent régnant, qui, en refoulant les eaux fluviales, active à l’orifice même la formation des ensablements. D’ailleurs peut-on dire que le procédé de la chasse ait été réellement expérimenté dans le golfe du Lion ? Il semble que l’on ait simplement cherché à augmenter le volume de la branche orientale du Rhône en barrant six branches secondaires ; les digues que l’on y a élevées n’ont pas été conduites jusque sur la barre, et l’on devait prévoir les conséquences de ce plan incomplet. La masse liquide étant augmentée, les dépôts ont été plus considérables, et des bancs qui avançaient précédemment de 35 à 45 mètres par année ont atteint en 1857 un développement de plus de 200 mètres. Quoi qu’il en soit, il paraît reconnu que les embouchures du Rhône ne se prêtent pas à l’endiguement par des jetées parallèles.

L’hydrotechnique a essayé un autre mode de correction sur plusieurs grands cours d’eau : on a creusé un nouveau lit indépendant des émissaires naturels, en le faisant déboucher sur un point favorable de la côte. Les Égyptiens sur le Nil, Drusus sur le Rhin, les Vénitiens sur le Po-di-Garo, les Chinois sur le Hoang-ho, Marius sur le Rhône, ont successivement tenté de résoudre par ce moyen le problème de l’amélioration des embouchures ; mais il est évident qu’un lit latéral est sujet aux mêmes détériorations que le cours normal prolongé par des digues parallèles. L’obstacle momentanément tourné ne peut que se reproduire au bout d’un certain temps, une nouvelle barre doit surgir à l’extrémité de la voie artificielle ; dans l’un comme dans l’autre cas, les mêmes causes doivent amener les mêmes effets. L’on peut citer un exemple curieux à l’appui de ce raisonnement. La branche occidentale de la Basse-Vistule décrit, avant d’atteindre Dantzig, un angle saillant dont le sommet, il y a trente ans, n’était séparé de la mer que par une plage de 640 mètres de largeur. Napoléon Ier avait eu l’idée de percer les dunes qui rejetaient le courant vers l’ouest, afin d’ouvrir au fleuve l’issue naturelle dont l’orientation de son lit semblait indiquer la direction. Les circonstances ne permirent pas la réalisation de ce projet, et ce que l’art avait dû négliger, la nature en quelques heures l’accomplit. En 1840, lors de la débâcle du printemps, les glaces amoncelées renversèrent l’étroite barrière qui s’opposait à leur marche, et un nouveau chenal se forma. Il avait dans les premiers temps de 16 à 17 pieds de profondeur ; mais bientôt, lorsque la force des eaux diminua, une barre apparut, et s’exhaussa au point de ne plus offrir qu’un passage de 6 à 7 pieds.

Détruire la cause des atterrissements, c’est-à-dire empêcher le charriage constant des alluvions, telle semblerait être la véritable solution de la difficulté. Les écluses sont destinées à remplir ce but, et ce système a été mis en pratique sur la Vistule, sur l’Èbre et sur le Rhône. Les ingénieurs préposés aux travaux du grand affluent de la Baltique paraissent s’en féliciter, tout en reconnaissant qu’un événement naturel leur a prêté un secours imprévu. Jusqu’en 1840, l’entretien du canal établi en aval de Dantzig était aussi pénible que coûteux, et l’on n’y obtenait qu’une profondeur de 10 pieds. A cette époque, l’irruption du fleuve, dont nous avons fait connaître la cause accidentelle, a eu pour effet de détourner la plus grande partie des sables qui se dirigeaient précédemment dans le canal, et une écluse a pu être construite au point de bifurcation de la nouvelle embouchure.

Le canal à écluse exécuté sur l’Èbre ne peut être mentionné que comme un exemple très insuffisant du genre d’ouvrages dont il s’agit ici ; il est si étroit que les bâtiments de mer ne peuvent s’y engager. Quant à celui du Rhône, il n’est pas encore achevé ; mais l’on peut en prévoir le succès. La baie du Repos, dans laquelle il doit déboucher, est en effet constamment calme ; elle a une assez grande profondeur, et les navires y trouvent un excellent ancrage. Lorsque ces diverses conditions ne peuvent être remplies, un canal à écluse ne remplace utilement une embouchure naturelle qu’autant qu’il est précédé d’un avant-port destiné à en protéger l’entrée, travail ordinairement très dispendieux. D’ailleurs, à part les frais considérables de curage que nécessite l’entretien d’une communication ainsi établie, les écluses elles-mêmes sont une entrave, puisque elles ne permettent le passage qu’à un petit nombre de bâtiments à la fois.

Quelques conclusions générales peuvent être tirées de ce court aperçu. Chaque fleuve a son régime particulier à son embouchure, et les travaux d’amélioration qu’on veut y entreprendre doivent dépendre avant tout de l’étude spéciale de ce régime. De ce que tels ouvrages ont réussi ou échoué dans tel fleuve, il ne s’ensuit pas qu’il en sera de même dans un autre fleuve, à moins que les conditions locales ne soient à peu près identiques. Le canal indépendant des émissaires naturels et les môles longitudinaux ont d’ailleurs en eux-mêmes des avantages et des imperfections. Les considérations théoriques par lesquelles on prétend établir la supériorité du premier procédé sur le second n’ont pas toujours la sanction de l’expérience, et l’on pourrait notamment opposer aux défenseurs de cette thèse le fait suivant. Une commission française, composée d’officiers supérieurs de marine, s’est formellement prononcée, il y a quelques années, en faveur du canal à écluses actuellement en voie d’exécution sur le Bas-Rhône ; elle a rejeté l’idée d’un resserrement du fleuve au moyen de jetées parallèles. Par contre, tous les chefs des stations navales qui se sont succédé sur le Danube ont condamné hautement tout projet de canal aux embouchures, et ils ont exprimé leurs préférences pour les digues longitudinales.

Avant de trancher elle-même une question aussi importante, la commission européenne ne se contenta pas de rechercher les précédents qui pouvaient l’éclairer tant au point de vue théorique qu’au point de vue pratique. Elle crut devoir consulter, indépendamment de son ingénieur en chef, plusieurs experts étrangers que leur notoriété et la spécialité de leurs travaux recommandaient particulièrement à son attention. Le principe de l’endiguement prévalut dans cette enquête internationale, et, en l’adoptant par un vote sommaire, les commissaires en justifièrent ainsi dans leurs rapports individuels l’application aux bouches du Danube. Les vents régnants de la Mer-Noire soufflent du nord et du nord-est, et produisent un courant maritime plus ou moins sensible qui longe la côte du delta et rejette les matières alluviales vers le sud. Ce phénomène est plus apparent devant la Soulina que dans les parages de la Kilia et du Saint-George. Là en effet l’on remarque que la rive droite du côté de la mer est beaucoup plus proéminente que la rive gauche, nourrie qu’elle est par les apports fluviaux qui en prolongent incessamment la saillie. Cette chasse naturelle devra singulièrement favoriser le dégagement du chenal lorsque le courant du fleuve aura été conduit, au moyen de jetées, vers les grands fonds avoisinants. Il n’y aura lieu de prolonger ces jetées que lorsque l’avancement général de la plage du delta aura porté plus au large le courant littoral, éventualité que l’on peut considérer comme lointaine.

La rade étant complètement ouverte et la côte du delta se trouvant placée sous le vent régnant, un canal latéral débouchant sur un point de cette côte serait d’un abord toujours difficile et souvent dangereux, si l’on ne construisait un avant-port suffisamment spacieux ou tout au moins un môle très étendu. Cet appendice indispensable entraînerait une dépense considérable de temps et d’argent. L’inconvénient des écluses serait d’ailleurs une objection bien plus sérieuse, car les navires se présentent aux embouchures du fleuve à des époques périodiques, et souvent plus de cent voiles attendent le vent favorable pour s’engager dans le chenal. L’on substituerait par l’établissement d’un canal une porte étroite à la voie large qui existe aujourd’hui et dont on veut faciliter l’accès au commerce de toutes les nations. La clé du Danube serait réellement entre les mains de son riverain inférieur, privilège qui ne rappellerait que trop le régime dont le congrès de Paris a entendu affranchir la navigation européenne.

Ces arguments ne rencontrèrent de prime abord aucune contradiction, et la solution technique dont ils tendaient à démontrer l’efficacité fut même formellement approuvée par plusieurs cabinets. Cependant l’on n’était point d’accord au sein de la commission européenne sur le choix de l’embouchure que l’on approprierait définitivement à la navigation, et cette scission menaçait d’être de longue durée, Pour gagner du temps, l’on résolut d’exécuter des travaux provisoires à la bouche de Soulina, la seule des trois branches qui fût fréquentée par les bâtiments de mer. Ces travaux devaient consister en deux digues parallèles, composées chacune de deux rangées de pilotis serrés, dont la base, du côté intérieur, serait protégée contre les affouillements par des pierres perdues.

La campagne s’ouvrit le 20 avril 1858. Elle était à peine commencée que l’ordre fut donné à quatre commissaires d’en provoquer la suspension. Un comité spécial d’ingénieurs s’était constitué à Paris sur l’initiative du gouvernement britannique, et avait déclaré que le système du canal devait être préféré. Les membres de la commission européenne, s’inspirant de leur responsabilité et convaincus qu’ils étaient dans la bonne voie, répliquèrent aux objections qui leur étaient si inopinément opposées, et après de longs délais ils obtinrent gain de cause, quoique les quatre gouvernement représentés dans le comité de Paris eussent annoncé d’avance qu’ils ratifieraient la décision des arbitres consultés par eux.

Malgré les difficultés financières qui vinrent périodiquement en arrêter le cours, les travaux furent achevés le 31 juillet 1861, c’est-à-dire six mois avant l’époque que l’ingénieur en chef de la commission avait primitivement fixée. La digue de gauche ou du nord avait une longueur de 4,631 pieds anglais, et se terminait vers le large par un musoir surmonté d’un phare de petite dimension. L’étendue de la digue du sud était de 3,000 pieds. Il avait été employé à la construction de ces deux ouvrages 12,000 pilotis, 68,000 mètres cubes de pierres d’enrochement et 2,200,000 francs. La navigation n’eut pas d’ailleurs à en attendre l’entier développement pour en éprouver les bons effets. Au commencement de l’année 1860, la digue du nord s’avançait à une distance de 3,000 pieds du rivage, tandis que la digue du sud n’avait pas atteint 500 pieds, et ne pouvait dès lors contribuer en rien à diriger le courant fluvial. La profondeur de la passe, qui, au début de la campagne, n’était que de 9 pieds anglais, s’éleva cependant au mois d’avril à 14 pieds, amélioration qui dut être exclusivement attribuée à l’action de la digue du nord. Lorsque la digue du sud fut complétée, on constata un fond de 17 pieds. La moyenne a été de 16 pieds 1/2 à 17 pieds depuis cette époque jusqu’aujourd’hui, c’est-à-dire pendant une période de près de dix ans.

Les travaux de Soulina furent inaugurés publiquement par la commission européenne le 3 septembre 1861. Au banquet qui eut lieu à cette occasion, le commandant de la station navale française, le capitaine de vaisseau Halligon, se faisant l’interprète de ses collègues étrangers, adressa aux commissaires les paroles suivantes : « Il est dans la vie d’un marin, déjà si pleine d’émotions, un moment terrible ; c’est celui où, après avoir usé toutes ses forces dans une lutte contre la mer, son implacable ennemie, il se voit contraint à céder devant elle et à chercher un refuge contre sa fureur. Ce refuge, messieurs, si rare dans la Mer-Noire, introuvable de Constantinople à Odessa, vous venez de nous l’ouvrir ici même. Il y a quelques jours à peine, par une mer déchaînée, un paquebot français se présentait devant la passe. Son vaillant capitaine jette les yeux sur le phare ; il aperçoit le n° 17 (ce bienheureux 17 que nos canons ont salué, je vous le jure, avec joie aujourd’hui), et sans hésitation il donne entre les digues et franchit sans difficulté cette barre sur laquelle, il y a quelques mois à peine, il se serait infailliblement perdu. Oui, messieurs, bien des fois votre nom et celui de votre honorable ingénieur seront bénis par de pauvres marins qui auront trouvé dans Soulina un refuge assuré, et même, après les si justes éloges que le commerce du monde entier vient de vous accorder par l’organe de ses représentants consulaires, je suis bien convaincu que ces bénédictions ne seront pas la moins douce de vos récompenses. »

En même temps que disparaissait à l’embouchure l’obstacle principal contre lequel on avait vainement lutté jusqu’alors, le cours intérieur de la Soulina était l’objet des différentes améliorations locales que commande l’état d’un fleuve abandonné à lui-même. Il n’y a pas lieu de les énumérer ici.

La commission arrivait ainsi au terme de la première période de son activité. Il devenait urgent, dans ces circonstances, de déterminer l’embouchure qui serait définitivement ouverte à la navigation. Après de longues délibérations, dans lesquelles les gouvernements eurent plus d’une fois à intervenir, l’on se décidait à renoncer au Saint-George, qui avait eu les plus ardents défenseurs, et il fut convenu que l’on procéderait à la transformation des digues de Soulina en ouvrages permanents. A cet effet, on commença en 1857 à consolider la digue du nord au moyen de blocs de béton1, et quant à la digue du sud, qui s’était partiellement incorporée à la terre ferme, on jugea opportun de la prolonger de 500 pieds et de fortifier simplement ses enrochements sur une distance de 1,600 pieds. Enfin, sur le parcours du fleuve, on ouvrit une tranchée destinée à supprimer une double courbe, et l’on projeta une série de corrections qui devront porter le niveau fluvial à une hauteur minimum de 15 pieds.

Tous ces travaux complémentaires occuperont l’année 1870 ; il n’y a pas à douter qu’ils ne soient menés à bonne fin, et l’on peut dès maintenant constater le plein succès de l’œuvre technique entreprise aux embouchures du Danube sous les auspices des gouvernements signataires du traité de Paris. Les délégués européens, dont on ne contestera pas l’énergique persévérance, ont trouvé dans l’accomplissement de leur mandat commun les plus utiles collaborateurs. Parmi les nombreux agents qu’ils ont associés dès le principe à leur mission, il convient de citer comme les plus distingués l’ingénieur anglais sir Charles Hartley et le secrétaire français, M. Edmond Mohler.

III)
Lorsque la commission européenne vint se constituer à Galatz, la Russie n’avait point encore abandonné le delta du Danube, quoiqu’elle eût renoncé depuis plus de huit mois à la possession de ce territoire. Cependant le port même de Soulina avait été évacué peu après la guerre, et, comme nous l’avons vu, l’Autriche, qui avait envahi les principautés moldo-valaques, s’était provisoirement emparée de la seule embouchure accessible à la navigation maritime. En présence de cette double occupation de fait, la Turquie s’était abstenue de toute intervention, n’osant d’ailleurs trancher elle-même une question de souveraineté que le traité de Paris avait laissée en suspens. A défaut d’une autorité légale, le pouvoir militaire déployait toutes ses rigueurs ; l’arbitraire le disputait souvent au désordre, et le commerce était privé des garanties les plus élémentaires de sécurité ; car si les difficultés naturelles que présentait l’embouchure favorisaient les déprédations des aventuriers qui peuplaient Soulina, l’absence d’une police efficace sur le parcours intérieur du fleuve permettait les actes de baraterie les plus éhontés : vols, naufrages, assassinats, étaient des incidents ordinaires, et ils restaient souvent impunis, faute, d’un contrôle sérieux et d’une : répression intelligente.

Les commissaires ne pouvaient entreprendre leurs travaux au milieu d’une pareille confusion. Sur leurs représentations, les gouvernements leur reconnurent le droit de réglementer la navigation sur le Danube maritime, et un arrangement direct avec la Turquie, à laquelle le delta venait d’être formellement cédé, plaça dans une certaine mesure les autorités territoriales sous leur dépendance. Dès lors, tout en poursuivant sa tâche technique, la commission européenne procéda graduellement à une réforme générale du régime de la navigation danubienne, et à cet effet édicta une série de lois qui, dûment coordonnées et réunies plus tard en un seul instrument, furent l’objet d’une convention signée le 2 novembre 1865. Cet acte spécial ne se prête pas à l’analyse ; mais il mérite d’être mentionné ici comme un élément important du droit public moderne relatif aux fleuves internationaux. Il doit d’ailleurs être considéré comme le complément des améliorations que nous avons brièvement décrites, et dont il nous reste à indiquer en traits généraux, mais avec toute la précision que comporte une pareille étude, les résultats économiques.

Quelques chiffres puisés dans des recueils officiels feront comprendre de prime abord la valeur de l’œuvre accomplie, tout en mettant en lumière les nombreux intérêts qui s’y rattachent. Les digues construites à Soulina ont eu pour effet d’élever à une moyenne de 16 1/2 à 17 pieds la profondeur de l’embouchure, qui variait précédemment entre 8 et 10 pieds. Dans le cours du fleuve, le chenal, qui n’offrait en certains endroits que 8 pieds, se maintient aujourd’hui à un niveau minimum de 12 pieds. Grâce à ces changements, les bâtiments de mer ne sont plus d’ordinaire dans la nécessité de recourir aux allèges, et ils réalisent sous ce rapport une économie que des calculs consciencieux permettent de fixer à 26 centimes par hectolitre2. En multipliant par ce facteur 8,400,000 hectolitres, qui représentent la moyenne des quantités de céréales exportées par le Bas-Danube pendant les années 1865 à 1868, on constate que les ouvrages successivement exécutés par la commission européenne ont diminué les frais de navigation sur le parcours maritime du fleuve d’une somme annuelle de plus de 2 millions de francs, Ce bénéfice, qui sera beaucoup plus considérable lorsque, dans un avenir prochain, le bras de Soulina aura partout une profondeur constante de 15 pieds au moins, ne parait pas contestable, et tout au plus peut-on en discuter la répartition entre les divers agents auxquels il est acquis. Sous ce rapport, le producteur moldo-valaque est le plus favorisé, sans qu’il semble se douter d’un privilège dont il jouit à titre gratuit. L’excédant des récoltes qu’il peut livrer à l’étranger n’est pas en effet assez important pour influencer d’une manière sensible les prix courants dans les grands centres de consommation. La Roumanie subit nécessairement les fluctuations des principaux marchés de France et d’Angleterre, auxquels elle envoie son contingent, et où se déversent les grains de la Russie, de l’Allemagne septentrionale, de l’Égypte et de l’Amérique du Nord. Le propriétaire doit ainsi s’accommoder des conditions que lui fait le négociant aux lieux d’origine, et celui-ci peut lui offrir un prix d’autant plus élevé que la marchandise se trouve moins grevée par les frais d’expédition. Il n’est pas hors de propos de noter ici que les principautés n’ont pris aucune part aux dépenses qui leur ont assuré un débouché facile sur la mer, et qu’en se décidant à l’entreprise féconde dont les Roumains profitent le plus, les états garants de leurs droits politiques n’ont mis aucun prix à leur libéralité.

L’avantage de l’agriculteur se concilie d’ailleurs avec celui du négociant qui traite avec lui. L’un gagne sans doute plus que l’autre à l’abaissement des taxes diverses que supporte l’instrument de transport, et cette différence s’explique par la concurrence qui s’établit dans les ports d’exportation. Cependant la rivalité dans la demande a ses limites, et il est raisonnable de supposer qu’en général l’acquéreur se réserve une partie de la rémunération qui résulte d’un tarif de navigation réduit. Le commerce proprement dit est intéressé à bien d’autres titres aux innovations successives dues à l’activité des commissaires européens. L’emploi forcé des allèges, de même que l’absence de toute police fluviale, ne lui était pas moins nuisible qu’aux armateurs, car les cargaisons qu’il livrait momentanément à ces embarcations d’emprunt étaient l’objet d’une rapine organisée, et arrivaient ordinairement à l’embouchure diminuées de 7 à 8 pour 100. Le blé confié aux allèges était exposé à d’autres dangers : ou il était mouillé par l’embrun lors de son transbordement en rade, ou il s’échauffait dans le port, tandis que les bâtiments qui devaient le recevoir attendaient en mer pendant des semaines et des mois un temps propice pour le rechargement. Le négociant est aujourd’hui à l’abri de tous ces préjudices par l’effet du contrôle sévère qui préside aux opérations accidentelles d’alléges, comme aussi et surtout par suite de l’augmentation de profondeur, qui permet aux plus grands navires de compléter leur cargaison dans le port même de Soulina.

La perte de temps que le manque d’allégés occasionnait fréquemment à la navigation, qui était pour l’armateur la cause d’un surcroît de frais notable, devenait parfois désastreuse pour le négociant exportateur. Au mois d’août 1855, deux bâtiments furent chargés pour l’Angleterre par une maison de Galatz, et partirent de ce port à cinq jours d’intervalle. Le premier arrivait à destination au mois de novembre suivant, et la vente de sa cargaison produisit un bénéfice de 20,000 francs. Le second fut retenu quatre mois à Soulina et n’atteignit l’Angleterre qu’au mois de juin 1856. Le prix des grains avait baissé, et la marchandise ne put être écoulée qu’avec une perte de 87,000 francs.

Le nombre croissant des bateaux à vapeur de grand échantillon a du reste contribué à la rapidité des opérations commerciales. En 1861, il n’est sorti du fleuve, à part les paquebots périodiques des compagnies postales, que 57 steamers jaugeant 17,324 tonneaux. En 1868, on en comptait déjà 334 d’une capacité totale de 145,687 tonneaux. La portée moyenne de ces bâtiments étant de plus de 400 tonneaux, ils n’auraient pu entrer dans le Danube avant la construction des digues de Soulina. L’on peut ajouter enfin que la facilité avec laquelle les navires prennent aujourd’hui la mer permet à l’expéditeur de disposer plus tôt de la valeur de sa marchandise et de faire ainsi un emploi plus fréquent et plus utile de ses capitaux. Si le profit du négociant n’est pas moins certain que celui du producteur aux pays d’origine, peut-on affirmer que l’armateur participe également aux bienfaits du régime inauguré par la commission européenne ? Il convient de relever ici que, si les navires sont exposés à moins de frais depuis que le secours de l’allège leur est inutile, les conditions de leur affrètement sont devenues relativement moins avantageuses, c’est-à-dire que le nolis a baissé depuis 1861 dans une proportion plus considérable3. Il semblerait résulter de cette comparaison que, loin d’avoir gagné aux améliorations réalisées à l’embouchure, la navigation proprement dite y aurait perdu. Une pareille conclusion ne serait cependant pas justifiée, et l’on n’est point réduit pour la combattre à objecter que les armateurs n’enverraient pas leurs bâtiments dans le Danube, s’ils n’y trouvaient pas leur compte. Déjà les données qui précèdent signalent quelques-unes des réformes qui profitent aussi bien aux armateurs qu’aux négocians exportateurs. Les expéditions ne dépendent plus en général des allèges, elles en sont plus régulières et plus promptes. Indépendamment des charges diverses dont il est ainsi exempt, le navire peut fournir une plus grande somme de travail utile en accomplissant dans l’année de plus fréquentes intercourses. Celui qui l’exploite évalue désormais avec une exactitude suffisante les dépenses de chaque campagne ; il ne se livre plus, comme autrefois, à une entreprise essentiellement aléatoire4. Il lui est permis désormais d’augmenter son tonnage, tout en réduisant ainsi ses frais généraux5. Enfin il trouve le plus souvent un fret pour les voyages d’arrivée, qui s’effectuent ordinairement sur lest, précieuse compensation qu’il doit en grande partie à la commission européenne, dont les travaux ont contribué au développement du commerce et de l’industrie dans les contrées danubiennes. Ici se présente un dernier et important progrès dont l’armateur plus que tout autre doit se féliciter. Les sinistres étaient nombreux et presque toujours inévitables. On l’a dit, à l’époque où la profondeur de l’embouchure dépassait rarement 10 pieds, la plupart des navires qui venaient charger dans les ports de Moldo-Valachie étaient obligés de s’alléger d’une partie et quelquefois de la totalité de leur cargaison pour gagner la mer, et durant le temps nécessaire pour reprendre leur marchandise ils restaient exposés à toutes les éventualités atmosphériques sur une rade complètement ouverte et en vue d’une côte basse située sous le vent. Les tempêtes de la Mer-Noire viennent ordinairement du nord et du nord-est ; elles sont soudaines, et le baromètre de Soulina n’en annonce point l’approche. Elles portent sur une plage qui n’offrait précédemment aucun point accessible, et dans de pareilles circonstances le navire surpris par l’ouragan ne pouvait se relever pour tenir la haute mer ; il était condamné au naufrage, et ses allèges avaient souvent le même sort. Le 6 novembre 1855, 30 bâtiments étaient ancrés devant Soulina avec une soixantaine d’allégés ; un violent coup de. vent les jeta tous à la côte, près de 300 hommes périrent dans ce désastre. Il est à remarquer que l’exportation de la récolte de Moldo-Valachie a lieu particulièrement durant les mois de septembre et d’octobre, qui sont ordinairement orageux. Aujourd’hui Soulina est sans contredit le meilleur port de la côte occidentale de la Mer-Noire ; les naufrages y sont plus rares6, et, grâce aux secours que la commission y a organisés, l’on n’aperçoit plus dans la rade foraine ces carcasses de navires et ces mâts désemparés qui lui donnaient de loin l’aspect sinistre d’un cimetière mouvant.

Cependant la Mer-Noire est toujours inhospitalière, et, quelque assuré qu’il soit d’un nouveau refuge contre ces surprises, le navigateur méditerranéen ne quitte pas sans appréhension les rives tutélaires du détroit de Constantinople. Ne pourrait-on du moins, avant sa traversée, l’avertir des dangers prochains en lui signalant de loin les signes précurseurs des ouragans ? N’a-t-on pas constaté que la terrible tempête du 14 novembre 1854, qui a causé tant de ravages parmi les flottes anglo-françaises, avait mis trois jours pour traverser l’Europe de l’ouest à l’est ? Une station météorologique avait été fondée à Soulina en 1857 ; ne pouvait-elle contribuer à prévenir de pareils accidents en se reliant avec les diverses stations centrales du continent ? Ces questions furent posées au sein de la commission européenne, et après avoir consulté les directeurs des observatoires de Londres, de Paris, de Vienne et de Saint-Pétersbourg, l’on se décidait à provoquer l’organisation, sur les côtes de la Mer-Noire, d’un système de communications télégraphiques analogue à celui qui existe entre les grands ports des principaux états maritimes, et qui a pour but d’annoncer aux navigateurs, deux ou trois jours à l’avance, les résultats probables des variations atmosphériques. Les commissaires ne se sont point dissimulé les difficultés que devait rencontrer dans ces parages lointains l’exécution d’un pareil projet, il appartenait d’ailleurs aux gouvernements intéressés de les résoudre, et il est permis de croire qu’un jour viendra où, grâce à leur sollicitude, le Pont-Euxin, devenu moins redoutable, ne mentira plus à son nom.

IV)
Aux conférences de Vienne de 1855, lorsque les délibérations furent portées sur le second point des préliminaires de paix, le plénipotentiaire d’Autriche suggéra plusieurs dispositions qui devaient, selon lui, assurer d’une manière efficace la liberté de la navigation du Danube. La Russie, nous l’avons dit, était à cette époque son principal objectif, et, comme il lui supposait des vues contraires à l’affranchissement du fleuve, il réclama en faveur de la commission riveraine, dont l’activité devait alors s’exercer sur le delta et sur ses embouchures, les attributions les plus étendues. Cette commission devait agir en syndicat européen. L’emploi de ce terme inusité dans le langage diplomatique avait aux yeux du plénipotentiaire impérial une grande portée, et l’intention qu’il y rattachait n’a point échappé de prime abord à la clairvoyance du prince Gortchakof ; la souveraineté même de son gouvernement était mise en question. Comme conséquence des privilèges qui auraient été concédés à la commission riveraine en sa qualité de syndicat, le delta du Danube devait être neutralisé, et la Russie n’aurait conservé que la juridiction sur ses propres sujets. A défaut de cette importante restriction, les commissaires auraient joui, dans l’acception la plus large, des bénéfices de l’exterritorialité.

Lorsque la Russie abandonna complètement le delta, l’Autriche, dont le but était dépassé, revint d’autant plus facilement sur ses premières exigences que les puissances occidentales, ainsi que nous l’avons mentionné, avaient jugé bon de substituer leur action sur le Bas-Danube à celle des états riverains. Cependant l’expérience prouva bientôt qu’en isolant le delta de tout contact avec la Russie, on n’avait point écarté les obstacles qui en entravaient l’amélioration. Nous ne relaterons point ici les circonstances qui amenèrent peu à peu la majorité des parties contractantes à revendiquer en faveur de leurs commissaires la plupart des immunités qui, dans le principe, devaient garantir leur indépendance vis-à-vis de la Russie.

D’après les actes du congrès de Vienne de 1815, les commissions préposées aux fleuves « conventionnels » se composent exclusivement de mandataires des états riverains. Purement délibératives, elles ont à discuter et à « recommander » les dispositions qu’elles jugent nécessaires dans l’intérêt de la navigation commune. Ces dispositions ne sont obligatoires qu’autant qu’elles ont été ratifiées par tous les gouvernements associés, et ce sont les autorités locales qui poursuivent à l’exécution. Le droit de surveillance générale et de contrôle qui appartient, à la délégation des puissances limitrophes n’a pas ordinairement d’autre sanction que celle qui résulte de la faculté de correspondre avec les différons pouvoirs provinciaux, et de leur adresser des représentations. Cette délégation ne peut promulguer directement ni lois ni ordonnances.

Il n’en est pas ainsi pour la commission danubienne, et c’est là un des premiers traits qui la distinguent des autres commissions fluviales. Formée en majorité d’agents étrangers, elle est à la fois délibérative et exécutive. Comme corps délibérant, il n’est aucune question touchant la marine marchande sur le Bas-Danube dont l’examen lui soit interdit. Elle élabore les règlements de police et de navigation, les tarifs et les plans des ouvrages dont elle reconnaît l’opportunité ; une fois votés, ces projets deviennent obligatoires, et la publication en est faite par la commission elle-même et en son propre nom. Elle s’est adjoint, pour l’assister dans cette tâche spéciale, un secrétaire-général, un ingénieur en chef et plusieurs autres employés dont les gouvernements lui ont laissé le choix, et qu’elle révoque librement. Comme autorité exécutive, les puissances lui ont reconnu une partie des droits d’une administration souveraine, en lui confiant l’application de ses propres règlements, de ses tarifs et de ses plans d’amélioration fluviale. A cet effet, elle a sous ses ordres immédiats un nombreux personnel de différentes spécialités, et notamment 1 inspecteur-général, 4 sous-inspecteurs, 1 capitaine de port et 1 percepteur des taxes de navigation. Ces derniers agents ont un caractère public et prêtent serment entre les mains des commissaires. Des bâtiments de guerre stationnés aux embouchures concourent à l’action commune des délégués européens en contraignant les navires de leur nationalité à l’observation des règlements émanant de la commission. Celle-ci participe, même dans son étroit ressort, aux fonctions des trois pouvoirs qui représentent un état ; non-seulement elle prépare et promulgue des lois qui régissent les marines de toutes les nations, et dont elle surveille et assure elle-même l’exécution, mais elle poursuit encore les infractions commises à ces lois. Elle a en effet, comme tribunal supérieur, le droit d’annuler, de réformer ou de confirmer les sentences prononcées au nom du sultan par l’inspecteur-général du Bas-Danube et par le capitaine du port de Soulina en leur qualité de juges de première instance. Ses arrêts sont définitifs, et la France a même admis le principe qu’ils pourraient être valables en pays étranger.

À certains égards, la commission a quelques-uns des attributs d’un gouvernement autonome. Elle traite parfois sans intermédiaires avec les états voisins. Un arrangement est intervenu entre elle et la Turquie pour régler ses rapports avec les autorités locales. Elle a passé deux conventions télégraphiques avec l’administration roumaine en conférant dans cette circonstance ses pleins pouvoirs à l’un de ses membres, et des négociations directes ont été engagées à Bucharest au sujet de l’application d’un règlement de police dans les eaux moldo-valaques. Elle a ses revenus publics, qui s’élèvent en moyenne à 900,000 francs par année, et dont elle détermine l’emploi par un budget officiellement publié dans chaque état. Elle contracte des emprunts, soit avec des établissements financiers, soit au moyen d’obligations qu’elle émet sur place. Les sommes qu’elle a ainsi successivement réalisées forment un capital d’environ 8 millions de francs. Elle dispose pour ses travaux de terrains de plus de 150,000 mètres de superficie ; les immeubles dont elle est propriétaire, tant à Toultcha qu’à Soulina, peuvent être évalués à 1 million de francs. Elle possède 3 bateaux à vapeur et de nombreux chalands de remorque. Ces bâtimens portent un pavillon spécial reconnu par la plupart des puissances signataires du traité de Paris et notamment par la France. Leurs papiers de bord sont délivrés par la commission. N’étant justiciable d’aucun tribunal local, la commission européenne a recours à l’arbitrage en cas de contestation entre elle et des particuliers. L’article 3 de l’arrangement stipulé avec la Turquie disposait « que les consuls établis sur le Bas-Danube ne pourraient s’immiscer ni dans les affaires qui se rattachent directement à l’exécution des règlements publics émanant de la commission, ni dans les rapports de celle-ci avec ses employés. Des réserves seront faites à cet égard dans les exequatur délivrés par la Sublime-Porte auxdits agents consulaires. » L’on n’a pu toutefois s’entendre sur l’application de cette clause, quoiqu’elle ait été unanimement approuvée.

Toutes ces prérogatives, contraires au droit commun et qui tendent à constituer un véritable état dans l’état, peuvent paraître exorbitantes, si l’on n’en cherche l’origine que dans les énonciations générales du traité de Paris. En se plaçant à ce point de vue étroit, l’on s’étonne sans doute de la transformation qu’a subie la commission déléguée sur le Bas-Danube en 1856 ; mais, si l’on prend en considération les circonstances exceptionnelles où les agents européens ont dû accomplir leur mandat, l’on se convaincra que l’indépendance à laquelle ils ont aspiré dès leur début était légitime et nécessaire. Ils ont d’ailleurs mérité la confiance de leurs commettants, et les privilèges dont ils jouissent depuis plus de douze ans ont essentiellement concouru au succès de leurs travaux.

Le congrès international récemment réuni au Caire a exprimé le vœu que le canal de Suez fût neutralisé. Quelques publicistes sont allés plus loin en réclamant pour la compagnie qui a présidé au percement de l’isthme une autonomie analogue à celle dont jouissait autrefois la compagnie anglaise des Indes ; comme celle-ci, elle aurait son territoire propre, ses finances spéciales et ses lois. Il ne nous appartient pas d’examiner ici la portée pratique de cette idée ; mais, si les circonstances en justifiaient un jour l’adoption, peut-être trouverait-on dans les faits que nous venons de relater quelques précédents dignes d’attention.

Nous ne pouvons terminer cet exposé sans mentionner une dernière et importante disposition à laquelle est subordonné l’entretien des ouvrages comme le développement des réformes administratives qui constituent l’œuvre du congrès de Paris. Il paraît urgent d’écarter les difficultés politiques qui ont empêché depuis 1857 la convocation de la commission riveraine du Danube. La commission européenne, à la veille de se dissoudre, doit d’autant plus se préoccuper de sa succession qu’elle laissera des dettes payables à longues échéances.

Éd. Engelhardt, « La Question des embouchures du Danube, la navigation du fleuve et la commission instituée par le congrès de Paris »  La Revue Des Deux Mondes, T. 88, 1870

Édouard Engelhardt
Diplomate, (C) (★ Rothau, alors département des Vosges, 16. 5. 1828 † Nice 1916).
Fils de Philippe- Hyacinthe Engelhardt, négociant et maire de Rothau puis notaire à Schirmeck, et d’Adelaïde-Joséphine Grauss. Études à la faculté de Droit de Strasbourg. En poste à Mayence, Anvers et Londres (1850-1864), il devint membre de la Commission internationale qui réglementa la navigation sur le Danube. Consul général de France à Belgrade, Serbie, de 1867 à 1874, puis ministre plénipotentiaire de 2e classe. Admis à la retraite après les conférences de Berlin qui établirent les bases du régime applicable au Congo (1885). Palmes académiques. Commandeur de la Légion d’honneur.Auteur de nombreux travaux d’économie politique, entre autres : Du régime conventionnel des fleuves internationaux, 1879 ; La tribu des bateliers de Strasbourg et les collèges de nautes gallo-romains, 1888 ; Histoire du droit fluvial constitutionnel, 1889.
État civil de Rothau ; Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, 1893, p. 534 ; Jouve ; Dictionnaire biographique des Vosges, Paris, 1897 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 1, 1909, p. 442.
Sources : Arnold Kienztler,  Fédération des Société d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace, 1986

Bibliographie (sources Bibliothèque Nationale de France) :

Thèse pour la licence,… soutenue… le jeudi 13 décembre 1849 :
Les « Canabenses » et l’origine de Strasbourg (« Argentoratum, Troesmis »), par Éd. Engelhardt
La Tribu des bateliers de Strasbourg et les collèges de nautes gallo : romains, par Éd. Engelhardt
Une chasse à l’aurochs dans les Vosges au IVe siècle, avec description de la campagne de Strasbourg et de la vallée de la Bruche à cette époque, par Éd. Engelhardt
Études sur les embouchures du Danube, par Éd. Engelhardt, Galaţi, 1862
La question des embouchures du Danube, la navigation du fleuve et la commission instituée par le congrès de Paris, Revue des Deux Mondes, tome 88, 1870
Du Régime conventionnel des fleuves internationaux, études et projet de règlement général, précédés d’une introduction historique, par Éd. Engelhardt,… 1879
La Turquie et le Tanzimat, ou Histoire des réformes dans l’Empire ottoman, depuis 1826 jusqu’à nos jours (1882)
Le droit d’intervention et la Turquie, 1880
L’Angleterre et la Russie, à propos de la question arménienne par M. Éd. Engelhardt, 1883
Rapport adressé au ministre des affaires étrangères par M. Ed. Engelhardt, ministre plénipotentiaire délégué à Berlin pour la conférence africaine, 1885
Les protectorats anciens et modernes, 1886
Étude sur la déclaration de la conférence de Berlin, relative aux occupations africaines, suivie d’un projet de déclaration générale sur les occupations en pays sauvages, par M. Éd. Engelhardt, 1887
Histoire du droit fluvial conventionnel, précédée d’une Étude sur le régime de la navigation intérieure aux temps de Rome et au moyen âge, par Éd. Engelhardt, 1889
Troisième mémoire sur la traite maritime, 1894
Les Protectorats romains, étude historique et juridique comparative, par Éd. Engelhardt, 1895
Les Protectorats anciens et modernes, étude historique et juridique, par Éd. Engelhardt, 1896
De l’Animalité et de son droit, par Édouard Engelhardt, 1900
La Question maçédonienne, état actuel, solution, par Édouard Engelhardt, 1906
La Question macédonienne, sphères d’influence, solution…, 1906
L’homme et les bêtes selon les religions, les philosophies, les sciences naturelles et le droit, 1907
Les Portes de fer, étude politique, technique et commerciale., [Signé : Éd. Engelhardt.]
Notes de l’auteur :
1) Ce travail est terminé aujourd’hui.
2) Un navire de 400 tonneaux payait autrefois, pour frais d’allégé, de phare et de pilotage, 3,821 francs. Il n’acquitte plus aujourd’hui en moyenne que 1,605 fr., soit 2,126 francs de moins. Un navire de 400 tonneaux porte à peu près 8,140 hectolitres.
3) Il y a une différence en moins de 1 shilling 1/2 par quarter.
4) Le prix du remorquage sur la barre variait précédemment de 100 à 1,200 francs par navire, et les frais d’allégé de 90 à 1,000 francs par 1,000 kilos de Constantinople.
5) Des bâtiments de 400 tonneaux apparaissaient rarement dans le Danube ; on en voit aujourd’hui de plus de 1,000 tonneaux.
6) Pendant les six années antérieures aux travaux, on a compté 128 naufrages, soit 21 par an. Pendant les huit années subséquentes, il n’y en a eu que 59, soit 8 par an.

Peintres du Danube : Nicolae Spirescu (1921-2009)

Nicolae Spirescu, linogravure, 1963
« Je me retrouve dans la paix du Danube, du Delta. Son silence est une initiation à un dialogue avec moi-même, avec ce qui m’entoure, et ce qui m’entoure devient couleur ».    

Paysagiste remarquable, graveur inspiré, Nicolae Spirescu aime sa ville et sa région d’adoption. Elles lui révèlent des trésors insoupçonnées, des mystères et des miracles qu’il reflète dans sa peinture. L’artiste transforme la campagne danubienne des environs en images d’une beauté sublime et grave aussi des scènes réalistes de son environnement.
Nicolae Spirescu enseignera dans plusieurs établissements de Galaţi. Il fonde en 1951, avec Nicolae Mantu, Lola Schmierer-Roth, Ion Bârjoveanu, Elena Hanagic, Lelia Oprișan, Constanța Grigoriu et Gheorghe Levcovici, le premier cercle d’artistes de la ville à partir duquel se développera plus tard la section locale de l’Union des artistes roumains. En 1952, il est nommé assistant honoraire à l’Institut des Arts Plastiques de Bucarest.

J.A. Steriadi

J.A. Steriadi (1880-1956), bateaux dans le port de Brăila, huile sur toile, 1909

Son attachement à Galaţi s’exprime par sa généreuse donation à celle-ci de tableaux en 1990, donation portant le nom de « Collection Eminesciana »  dont les oeuvres ornent les murs de la salle de lecture « Mihai Eminescu » de la bibliothèque départementale V. A. Urechia.
Le peintre qui est lauréat de nombreuses récompenses tant en Roumanie qu’en Italie est nommé « citoyen d’honneur de Galaţi ». Le magazine « Dunărea de Jos » a institué un prix en son honneur. Décerné chaque année celui-ci récompense des contributions exceptionnelles au développement et à la promotion des beaux-arts dans la ville.

Nicolae Spirescu, Pêcheurs, linogravure, 1961

Nicolae Spirescu reste un nom de référence dans l’histoire des beaux-arts roumains apportant le même état d’esprit qu’il exprimait dans ses propos : « Moi, le peintre de mes propres silences, j’entends, dans le tumulte de mes années, l’agitation des eaux. Si vous avez de la peine prêtez l’oreille au murmure des eaux, et vous obtiendrez à la guérison, car il en est du ciel comme de la terre… ».
Ses œuvres se trouvent dans des musées et des collections privées en Roumanie, en Autriche, en Angleterre, au Canada, en Suisse, en France, en Grèce, en Israël, en Italie, en Allemagne, en Suède, aux États-Unis et en Russie.

Sources :
Albumul Nicolae Spirescu-Pictura-Grafica, Alma Print (2008)

Eric Baude pour Danube-culture, septembre 2022, © droits réservés

François Maspero : Coucher de soleil sur le delta (Balkans Transit)

« Notre bateau descendait très lentement le fleuve. Ce n’était pas une croisière, les deux ou trois cents passagers avaient une destination bien précise et étaient attendus par une foule à chaque gare fluviale. Des hommes serrés sur des bancs de la plage arrière parlaient fort en renouvelant sans fin leurs bouteilles de bière, des femmes en fichus de couleurs s’entassaient dans les coursives et dans l’entrepont, souvent accroupies sur le sol à côté d’amoncellement de valises et de paniers ficelés. Et, partout, on butait sur les bouteilles vides, on piétinait les épluchures noires recrachées des graines de tournesol et de citrouille.
Après Galati et le confluent du Prut qui remonte vers la Moldavie, le fleuve atteint parfois plusieurs kilomètres de large. En face de nous, l’Ukraine. Les hauts arbres masquant le pays, toujours des miradors, puis soudain, un immense port sans vie apparente, et des dizaine et des dizaine de cargos rouillés, enchaînés en file, proue pointées vers l’amont, qui ne reprendront jamais leur route. À Tulcea, le Danube se sépare en plusieurs bras pour gagner la mer : l’un va vers le nord et Izmaïl, le grand port ukrainien. Notre bateau a pris celui de Sulina qui fut longtemps l’axe le plus fréquenté, avant le percement du grand canal Danube-mer Noire débouchant à Constanza, commencé sous la terreur stalinienne, abandonné puis repris sous Ceauşescu avec des moyens plus modernes et sans prisonniers politiques.

Le Danube à Tulcea, photo © Danube-culture, droits réservés

À partir de Tulcea, l’estuaire se fait si marécageux qu’il n’y a plus de route, et notre bateau devenait définitivement le seul moyen de transport en commun. De temps à autre, une vedette bricolée filait avec quelques touristes ou des cadres pressés. La chaleur, la bière, le bercement du fleuve ont fait taire les conversations. Des tentacules aquatiques s’enfonçaient dans la végétation. Quelques villages aux maisons basses. Parfois, très rarement, un cargo turc ou ukrainien remontant au ralenti.
Debout sur une sorte de grosse bouée en plein milieu du canal, un homme en combinaison orange régulait à grand geste la circulation inexistante : un cargo naufragé barrait la plus grande partie du passage. Naufrage mystérieux d’une cargaison non moins (officiellement) mystérieuse qui venait dit-on, d’Odessa et faisait route pour Belgrade… L’épave était là depuis trois ans, et les travaux de dégagement ne faisaient que commencer.
Vols d’échassiers, hérons immobiles sur la berge, conciliabules de pélicans bavards (enfin supposés tels, car à cette distance…), quelques canots à rames qui traversaient vers une destinations inconnue, toujours masqués par les rideaux d’arbres… Cinq heures après avoir quitté Tulcea, le bateau était maintenant presque vide. Dans la réverbération du soleil couchant, eau grise et ciel se confondaient. Se sont dessinés enfin une tour, une grue, quelques immeubles du genre HLM : Sulina, bourgade du bout du fleuve. Et plus loin encore, une ligne sombre : la mer Noire.

Ambiance nocturne des quais de Sulina, photo © Danube-culture, droits réservés

« La Commission européenne instituée par le Traité de Paris du 30 mars 1856 pour améliorer la navigabilité des embouchures du Danube a construit ces digues et ce phare achevés en novembre 1870. Les Puissances signataires du Traité ayant été représentées successivement par … » suit la liste des noms des mandataires de « l’Autriche-Hongrie, la France, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Confédération d’Allemagne, la Sardaigne et l’Italie, la Turquie ». Cette plaque apposée sur une maison carrée en pierre grise qui abrite encore la capitainerie du port ne pourrait mieux évoquer le sort des peuples de la région et légitimer leur sentiment d’avoir été constamment dépossédés de leur histoire. On y trouve en effet deux absents. La Russie — elle venait de perdre la guerre de Crimée et donc de dire temporairement adieu à ses visées sur l’au-delà du fleuve — et surtout cette Roumanie qui n’était encore ici, en 1856, que la Valachie : la seule population présente sur ces confins n’a pas eu à participer aux décisions des cours européennes qui l’intéressaient au premier chef…
Pendant les trois jours que nous avons vécu à Sulina, seuls sont passés sur le fleuve deux cargos qui ont accosté pour les formalités de douane. Des autorités vaguement galonnées montaient à bord pour en redescendre un peu plus plus tard, un peu titubantes. Un planton était mis en faction devant la passerelle. Les marins contemplaient mélancoliquement du pont l’unique quai déserté, c’est-à-dire la berge surélevée, les maisons basses, les quelques tavernes fermées, les rues où passaient plus de chiens que d’enfants, les magasins vides, le marché où l’on ne trouvait que quelques blocs de fromage blanc, des pommes de terre rachitiques et ridées de l’automne précédent. Au troisième jour, les rares passants nous saluaient dans la rue comme de vieilles connaissances. Nous étions les seuls clients de l’hôtel moderne dont la chaufferie solaire n’était déjà plus qu’un tas de tuyaux crevés ; nous avions dû refuser trois chambres car il y manquait toujours quelque chose, la moustiquaire, l’eau au robinet ou l’éclairage. Le soir, une boite de nuit tonitruait en couvrant le chant des grenouilles pour attirer la jeunesse locale, mais où était la jeunesse locale ? Sur les pontons pourris amarrés dans des bras morts où logeaient des Tsiganes au milieu des rats crevés ?
Au-delà s’étendait un no man’s land de dunes, de canaux et d’étendues d’eau croupie, de poutrelle et de blocs de béton dont on ne comprenait pas la destination première. Et au-delà, encore, la mer, qui plus que Noire méritait le nom de Morte, tant le battement mécanique de ses vagues huileuses et sombres imitait maladroitement la respiration marine. « Beach ! » nous ont crié des jeunes filles. Elles ont disparu derrière des ronciers et nous ne les avons pas revues. Nous avons traversés le cimetière des Lipovènes. Qui sont les Lipovènes ? Une secte de Vieux Croyants persécutés en Russie et venus peupler ce rivage il y a cents ans. Mais encore ? La sage théorie de Klavdij selon laquelle, en voyage, on ne peut prétendre tout savoir et tout apprendre, qu’il faut laisser leur part d’autonomie et de mystère aux histoires que l’on croise, avait décidément du bon — surtout pour nous voyageurs à bout de souffle, qui avions l’impression d’être arrivés sur la fin d’un monde.
Des coques de bateaux échoués émergeaient des champs qui masquaient les eaux. Le soir tombait, c’était l’heure où la lumière qui s’enfuit exalte la passion photographique de Klavdij. Une proue noire se dressant très haut, nue, lui a fait oublier le temps, l’endroit, toute autre repère que cette forme enfoncée comme un coin géant dans le ciel, solitaire, lyrique, incarnant à la fois la désolation infinie et la pérennité du passage des hommes. Il l’a photographié longuement, puis a sauté d’une épave échouée en pleine terre à l’autre avec une frénésie qui lui a fait négliger ce que, moi, j’apercevais au loin : au sud, d’une haute tour de radiophare, nous parvenaient de soudains miroitements ; au nord se dessinaient, j’en étais certain, les tourelles et les mâts gris de bateaux de guerre accostés au ras de l’horizon, et il en émanait d’identiques éclairs rapides : il n’y avait pas de doute, nous étions observés, uniques humains sur ce Finistère. J’ai fini par repérer la silhouette d’un homme, non, de plusieurs, qui nous suivaient à la jumelle. Pour la première fois, j’ai senti monter une sourde angoisse et j’ai fini par la faire, un petit peu, partager à Klavdij, l’arrachant à un sentiment de plénitude dans son travail qu’il avait rarement vécu avec autant d’intensité depuis le début du voyage.
Au bout d’un canal impossible à traverser, c’était enfin la jonction du fleuve et de la mer. En face, très loin, la côte ukrainienne. Du haut d’un mirador, un homme en civil, armé, nous a hélés avant de descendre. D’autres, boueux et hirsutes, sont sortis d’une cabane, se sont approchés, nous ont tendu la main qui ne tenait pas une bouteille de bière : « Ostarojno ! Granitsa ! Opasnïe ! — Attention, frontière, dangereux ! » presque mot pour mot et dans la même langue les paroles que nous avions entendues, il y avait plus d’un mois, au soir de notre arrivée dans le port de Durrës… Étaient-ils gardes frontières, roumains ou ukrainiens, étaient-ils pêcheurs ou contrebandiers, lipovènes ou tsiganes ? L’homme à la Kalachnikov a insisté pour nous ramener en barque à Sulina. Nous avons refusé avec l’obstination du désespoir, pour rebrousser chemin vers l’ouest. Longtemps, sans oser nous retourner, nous avons senti leurs regards nous suivre. Peut-être étions-nous arrivés ici aux bords d’une Europe, encore une autre qui s’affirmait d’emblée, celle-là, abruptement inconnue. »

François Maspero, Klavdij Sluban, Balkans —Transit, « Coucher de soleil sur le delta », Éditions du Seuil, Paris, 1997

Gallacz (Galaţi) la Grecque moldave à la fin du XVIIIe siècle dans l’ « Antiquarius des Donaustromes »

Vue de Galaţi avec ses églises grecques et sa falaise depuis la rive droite, gravure d’après un dessin de Jakob Alt (1789-1872), vers 1824, collection particulière
   « Si elle ne se distingue pas vraiment par sa taille ni par l’originalité de son architecture, c’est par contre la place commerciale la plus célèbre du Danube turc. Entourée de médiocres remparts la ville abrite sept églises grecques dont trois sont assez grandes. Elles sont construites en pierre avec des tours surmontées de cloches et au sommet desquelles se tient une croix. Ces églises sont tournées, selon l’ancien usage, vers l’Orient. Leur intérieur est sombre et recouvert de fresques médiocres. Leurs missels sont imprimés en lettres grecques ou vénitiennes. Trois monastères orthodoxes grecs avec dans chacun d’eux seulement deux moines vivant dans la pauvreté plus sévère dépendent de ces églises.
Il y avait autrefois à Gallacz également une église catholique dont on trouve encore de nos jours quelques ruines mais elle a été démolie sur ordre du prince de Moldavie. Il n’y a aucun espoir de la voir être reconstruite. La communauté catholique n’a donc ni église ni prêtres dans la ville. Pour le reste les maisons sont toutes en mauvais état. On y voit par contre beaucoup de boutiques et d’échoppes où l’on ne trouve généralement que des babioles. Il y a aussi d’immenses entrepôts de céréales qui sont en grande partie à destination de Constantinople. Les citadins de Gallacz, dont la plupart sont de religion grecque orthodoxe, sont tous commerçants. Ils jouissent de plus de liberté que les habitants des autres villes de ce pays. Mais la luxure est extrême à Gallacz. On voit dans tous les endroits des maisons de débauche, pleines de femmes de mauvaise vie. Elles s’exposent allègrement, au grand scandale des honnêtes gens et c’est une honte pour le christianisme. »

Johann Hermann Dielhem3 (1702-1784), Antiquarius des Donaustromes ou une description détaillée de ce célèbre fleuve, de son origine et de sa progression jusqu’à ce qu’il se jette finalement dans la mer Noire ; et de toutes les forteresses, villes, places de foire, villages, monastères et affluents  ; décrit avec précision jusqu’à l’année 1784 écoulée. Porté et mis en lumière pour être utile aux voyageurs et autres amateurs. Avec deux cartes géographiques, Francfort/Main, 1785, chez les frères von Düren, publié à titre posthume.

Notes :
1La principauté de Moldavie, fondée en 1359 devient, tout en conservant son autonomie, vassale de l’Empire ottoman de 1538 à 1806, date à laquelle elle est envahie par les troupes russes puis en partie annexée à la Russie en 1812 (Traité de Bucarest entre l’Empire ottoman et la Russie).
2 Sereth ou Siret, affluent de la rive gauche du Danube d’une longueur de 726 km qui prend sa source dans les Carpates ukrainiennes et se jette dans le Danube peu avant Galati au PK 155, 05. À ne pas confondre avec la rivièreSeret (Сере́т en russe et en ukrainien) un affluent du Dniestr de 248 km. 

3 Johann Hermann Dielhem (1702-1784), géographe, hydrologue, auteur de plusieurs ouvrages concernant les fleuves allemands  et leurs affluents :
-Denkwürdiger und nützlicher Rheinischer Antiquarius, welcher die Wichtigsten und angenehmsten geograph- histor- und politischen Merkwürdigkeiten des ganzen Rheinstroms, Von seinem Ursprung an samt allen seinen Zuflüssen, bis er sich endlich nach und nach wieder verlieret, darstellet. Nebst einer kurzen Beschreibung der vornehmsten Städte in Holland. Von einem eifrigen Nachforscher In Historischen Dingen, Frankfurt am Main, 1739. Dass. 2. Aufl. Frankfurt am Main, 1744 und dritte Auflage mit Nennung des vollen Verfassernamens Frankfurt am Main und Leipzig, 1776

-Antiquarius der Neckar- Main- Mosel- und Lahnströme, oder ausführliche Beschreibung dieser vier in den Rheinstrom einfallenden Flüssen. … nebst einem Anhang vom Saarflus. … als der zweyte Band zum Rheinischen Antiquario …Frankfurt am Main 1740. 2. verbesserte und vermehrte Aufl., mit Nennung des vollen Verfassernamens, Frankfurt am Main, 1781
-Allgemeines Hydrographisches Lexicon aller Ströme und Flüsse In Ober- und Nieder-Deutschland, worinnen in alphabetischer Ordnung mehr als 1000. Haupt- und bey 2500. Zuflüsse nach ihren Namen, Ursprunge, Lauf und Ausfluße nicht nur ausführlich und mit Fleiß beschrieben; sondern auch zugleich die nöthigsten und wichtigsten geographischen Merkwürdigkeiten von den Namen der Städte, Schlösser, Festungen, Klöster, Flecken, Dörfern, die an denselben liegen, kürzlich und angenehm aufrichtig erzählet werden von einem Nach-forscher In Historischen Dingen, Frankfurt am Main, 1743
-Allgemeines hydrographisches Wörter-Buch aller Ströme und Flüsse in Ober- und Nieder-Deutschland nach alphabetischer Ordnung herausgegeben von Johann Hermann Dielhelm. Frankfurt und Leipzig, 1768
-Antiquarius des Donau-Stroms oder Ausführliche Beschreibung dieses berühmten Stroms, von seinem Ursprung und Fortlauf: bis er sich endlich in das schwarze Meer ergießet; nebst allen daran liegenden Festungen, Städten, Marktflecken, Dörfern, Klöstern und heineinfal-lenden Flüssen; bis ins verflossene 1784. Jahr accurat beschrieben; Zum Nutzen der Reisenden und andern Liebhabern zusammen getragen und ans Licht gestellet; … Johann Hermann Dielhelm. Frankfurt am Main, 1785

Le Royaume de Hongrie où se trouvent la Transilvanie, la Moldavie, la Valaquie, L’Esclavonie, la Bosnie, la Servie et la Bulgarie, Es.c, chez Chiquet à Paris, 1719. Concernant les Bouches du Danube, « Strabon lui en donne cinq, Ptolémée six, Ovide sept et les Modernes deux. » Sur cette carte on remarque une île au large de la bouche septentrionale du Danube qui apparaît sous le nom d' »île Gezirenuar ». La Dobrogée est appelée « île Tatarkispole ».  

Adolphe Lévesque, baron d’Avril, «Galatz, Quelques divertissements qui ne sont pas à mon goût»,

 La vie culturelle à Galaţi : quelques divertissements qui ne sont pas à mon goût (IV)
   « Il est arrivé à Galatz une troupe française ambulante. Ravel, du Palais-Royal, en est le leader1. On jouait le Fils de Giboyer2. J’ai pris la chose en triste au point de vue moral ; c’est peu de pervertir et d’abêtir Paris ; on s’attaque aux Daces ! Hier, à cette représentation, le rire du public me faisait mal.
   C’était le carnaval grec. J’ai vu passer une mascarade peu gaie : quelques palicares3 avec des masques. C’est singulier de revêtir son costume national pour  une mascarade. Il y avait aussi des femmes, mais sans  le moindre  déguisement : jupe d’indienne, casaquin4 foncé, plus un masque ; trois musiciens. Le cortège entrait dans toutes les portes, précédé d’un petit pavillon grec et romain, en haut d’un mât. Le plus souvent on les renvoyait sans leur rien donner. Il y avait aussi une sorte de loustic en costume de folie-diable-arlequin-polichinelle. Sa principale plaisanterie était de monter dans les fiacres vides et de s’y étaler. Tout cela n’était pas amusant.
   Je suis allé encore une fois au théâtre : on jouait Un mari dans du coton5 (c’est simplement commun), et le Supplice d’une Femme6. Toutes les jeunes filles de Galatz y étaient. Voilà notre enseignement en Orient ! Un jour, dans une autre ville, j’aperçois une bibliothèque musicale avec des titres en écriture allemande qui me font présager plus de sérieux. Quelle désillusion ! Je lis Parisen Leben musik von J. Offenbach — Die Prinzessin von Trapezunt – Die schöne Helena — Die Grossherzogin von Gerolstein7.
   Pendant mes voyages, je suis poursuivi de ces rencontres : à Prague, Giroflé Girofla8, à Nuremberg, Le postillon de Longjumeau9, à Vienne, Toto10 ; mais c’était chez des peuples sérieux.
Au milieu de ces réflexions, et en rentrant par une belle nuit sans lune, j’admire l’éclat brillant des étoiles : le fond de la voûte céleste en reçoit une vague transparence dont la profondeur infinie contraste avec le noir mat de la basse ville parsemée de lanternes. »

Adolphe Lévesque, baron d’Avril, Galatz, « Quelques divertissements qui ne sont pas à mon goût », in De Paris à l’île des serpents à travers la Roumanie, la Hongrie et les bouches du Danube par Cyrille, auteur du voyage sentimental dans les pays slaves, Paris, Ernest Leroux Éditeurs, 1876
Notes :
1 Pierre-Alfred Ravel (1811-1881), acteur et directeur du Théâtre du Palais-Royal et du  Gymnase Dramatique
2 Comédie anticléricale d’Émile Augier (1820-1889), créée à la Comédie Française en 1862
3 Soldats grecs de la guerre d’Indépendance
4 Type de corsage ajusté au buste
5 Vaudeville en un acte (1862) de Lambert Thiboust (1827-1867)
6 Drame en 3 actes (1865) d’Émile de Girardin (1806-1881)
 7 Jacques Offenbach (1819-1880) ) : La Vie Parisienne, opéra bouffe, 1866 suivi d’une 2e version en 1873, La Princesse de Trébizonde, opéra bouffe, livret de Charles Nuitter et Étienne Tréfeu, créé en juillet 1869 en deux actes, suivi d’une seconde version en trois actes en décembre 1869, La Belle Hélène, opéra bouffe, livret d’H. Meilhac et L. Halévy, 1864, La Grande Duchesse de Gérolstein,  livret d’H. Meilhac et L. Halévy, 1867
8 Opérette (1874) du compositeur français Charles Lecoq (1832-1918) sur un livret de Albert Vanloo et Eugène Leterrier
9 Opéra comique (1836) du compositeur français Adolphe-Charles Adam (1803-1856)  sur un livret d’sur un livret d Adolphe de Leuven et Léon Levy-Brunswick
10 Le château à Toto (1868) de Jacques Offenbach sur un livret d’H. Meilhac et L. Halévy 

Eric Baude, © Danube-culture, juillet 2021
Cet article est publié dans le cadre des recherches à propos de la présence française sur le Danube.

Galatz (Galaţi) et le Danube en 1868 vus par le baron d’Avril, diplomate français et délégué à la C.E.D.

I. GALATZ [1868]

   « Galatz est tout entier sur la gauche du Danube. La ville basse s’étend le long du fleuve à une petite élévation. Ce premier plateau se termine brusquement à l’est par un léger escarpement au bas duquel il y a quelques rues et des magasins, puis le grand lac Bratish2, à  une  très petite  distance. Au  couchant, une nouvelle élévation de sol, longue et régulière, aboutit à un grand plateau. J’imagine que le lac Bratish venait autrefois jusque-là, d’autant que, sur sa rive orientale, on aperçoit la même ligne élevée. Au couchant le premier plateau commence tout près du Danube. Aussitôt gravie cette petite montée, on entre dans les deux rues commerçantes, Strada mare [Grande rue] et Strada Braşovenilor, c’est-à-dire [la rue] des marchands de Cronstadt3. Les maisons sont en pierres. Ce sont des rez-de-chaussée à apparence de comptoirs fortifiés, avec un étage au-dessus. Beaucoup de boutiques sont fermées le samedi, et les autres le dimanche. Les voies aristocratiques et consulaires sont la rue Michail Bravul4 et la Strada domnesca5, toutes les deux sur le premier plateau et à peu près parallèles au lac Bratish. La Strada domnesca est plus droite et plus large. L’autre a directement la vue du lac et du fleuve, qui est splendide, surtout au clair d’une lune éblouissante et froide. Sortant le soir de l’une de ces maisons, j’ai cru que la cour était couverte de neige. Il y a de très jolies maisons avec de larges cours, des jardins. Quelques masures s’y entremêlent. Ce n’est pas plus mal ; à quoi bon parquer les misérables dans un quartier séparé ?

Strada Domneascǎ au début du XXe siècle, photo collection Bibliothèque V. A. Urechia, Galaţi 

Dans ces deux rues habitent les délégués à la Commission Européenne du Danube6 et les consuls7. Plus le pays est petit, plus le mât du consul est haut et l’uniforme éblouissant. Les États qui n’entretiennent pas de consuls-fonctionnaires, ont des agents plus riches, parce qu’ils choisissent des négociants, chrétiens ou israélites. Le malheureux fonctionnaire, rétribué avec parcimonie sur un budget mesquin, ne peut rivaliser. En suivant la rue de Michel-le-Brave du sud au nord, vous laissez à gauche la maison où réside la reine du Bas-Danube, la Commission Européenne. Nous en reparlerons.

Le siège de la Commission Européenne du Danube, photo collection Bibliothèque V. A. Urechia, Galaţi

Plus loin, à droite, est l’hôtel hospitalier de M. Rodocanachi8, un Grec.Voici la maison du prince Couza9, où sa mère a demeuré jusqu’à sa mort ; elle est occupée aujourd’hui par le consul anglais. À une double rampe aboutit la rue de Cérès, qui vient du bas du port. Plus loin est un jardin public dont les arbres sont encore tout petits10. En continuant, on sortirait dans la campagne. Du jardin public et de toutes les maisons situées du même côté, on jouit de la vue, sur le lac Bratish, la basse ville, le cours sinueux du Danube, et au delà sur les montagnes de la Dobrudja11, pittoresques, alors couvertes de neige.

La maison du prince A. I. Couza (1820-1873) aménagée en musée, photo Danube-culture, © droits réservés

Du jardin public, rentrons en ville par la Strada Domnească, entre deux rangées de jolies maisons espacées par des jardins et des cours. Si vous regardez à droite, vous voyez la ligne élevée qui borne la ville de côté de l’ouest. À la hauteur de la rue du Vautour12, il y a précisément sur la hauteur une grande église blanche aux toits de couleur. La rue 1 est droite et large.Vous arrivez au sommet, d’où la vụe sur le lac et sur le fleuve est encore plus belle. L’église, vue de près, n’a plus rien de remarquable.

Port de Galaţi au début du XXe siècle, photo collection Bibliothèque V. A. Urechia, Galaţi

Appuyez toujours à gauche, descendant peu à peu la pente que vous avez gravie, vous parviendrez à l’endroit où la ville rejoint le Danube par le petit plateau. Descendez encore et vous voilà dans la rue du port, d’abord entre deux rangs de maisons, mais bientôt vous n’avez plus des maisons qu’à gauche et le fleuve à droite. La rue du Port a des magasins bien appropriés, et le « shipchandler »13 inévitable. On voit surtout des figures grecques, et l’on entend parler le grec. Bientôt s’élève une nouvelle construction à droite, entre vous et le fleuve ; c’est la bourse, qui appartient aux négociants. Au centre, une grande salle où l’on fait des affaires ; à l’entour de petites chambres, où l’on perd au jeu ce que l’on a gagné aux affaires.

La bourse de Galaţi au début du XXe siècle, photo collection Bibliothèque V.A. Urechia, Galaţi

Le côté pittoresque de la population ne laisse rien à désirer. Voici un vieux mendiant à tout crin, maigre et fier, il croque une pomme, assis par terre. À côté de lui, est venu pour lui tenir compagnie, s’asseoir  sur  le  même  siège d’Adam, une  jeune femme du peuple, pas mendiante du tout. Elle fait la conversation avec le vieux, en fumant une cigarette.

Voici deux dames dans un fiacre ; elles s’arrêtent. Elles ne sont ni jolies ni laides, ni vieilles ni jeunes, ni communes ni distinguées ; ce sont des dames entre le zist et le zest14 ; elles regardent gravement un numéro de la Mode illustrée que leur montre un juif « croitor »15 de dame (tailleur pour dames).

À l’odeur, je m’aperçois que je suis dans le quartier juif16. Les hommes sont affreux et sales. La préoccupation du lucre leur donne une physionomie presque repoussante. Les femmes sont généralement propres, sans coquetterie. Leur physionomie, qui est plutôt distinguée, respire le calme de la vie de famille, très honorée chez les Israélites : elles ne sont pas belles toutes, tant s’en faut ; mais elles ont le prestige d’une certaine « respectability ». Chrétienne ou juive, voici une autre femme qui est franchement vieille et franchement laide : montée sur une échelle, elle badigeonne tranquillement une maison en jaune criard…

II. LE DANUBE

   Après la bourse, le fleuve  reparaît  sur  un long  espace vide où l’on aurait dû planter des arbres. Au quai sont les bâtiments de guerre. Chacune des sept puissances signataires du traité de Paris17 peut en entretenir deux, en tout quatorze. Peu à peu le nombre a diminué. La plupart des pavillons ont disparu. La France, l’Autriche, l’Angleterre, la Russie restent seules. Encore l’hiver la Russie et l’Angleterre s’en vont-elles. La France seule a les deux bâtiments réglementaires18. C’est le bon endroit pour contempler le fleuve. Il est gelé avec une très mince couche de neige. On le passe à pied ou en chariot.
C’est étrange et triste.

L’hiver a été exceptionnellement froid et long. Aujourd’hui 23 février 1868, 14° au-dessous de zéro. Sur les bords, la glace a environ 1 mètre d’épaisseur. Vers le milieu , il n’y a plus qu’un pied, probablement parce que le courant est plus rapide. On remarque aussi vers le milieu que le dessous s’amollit. C’est sans doute parce que le haut Danube et les affluents apportent des courants plus chauds. Le Danube est très-haut et une inondation prévue. La municipalité a averti les gens d’en bas de prendre leurs précautions, attendu que l’autorité ne leur portera aucun secours.On croyait que les hautes eaux feraient éclater la couche solide, mais pas du tout. La couche a été soulevée et l’eau a regelé sur les bords. Quand la débâcle commence par en bas, la glace s’écoule paisiblement. Quand elle commence par en haut, il descend des glaçons énormes qui s’accumulent les uns sur les autres et peuvent briser les bâtiments ou les soulever et les jeter sur la rive. Les navires de guerre ont garni leurs proues de petites estacades. Ils sont solidement amarrés par de fortes chaînes et assujettis à de grosses poutres.

Le grand espace où sont les bâtiments de guerre est un quai construit par le commerce, qui n’en profite guère19. Vient ensuite un corps de garde, puis les établissements de la compagnie Russe, de la compagnie Danubienne20, du Lloyd austro-hongrois et des Messageries françaises21.

Adolphe Lévesque, baron d’Avril, De Paris à l’île des serpents à travers la Roumanie, la Hongrie et les bouches du Danube par Cyrille, auteur du voyage sentimental dans les pays slaves, Paris, Ernest Leroux Éditeurs, 1876

Notes :
1 Il publie, parfois sous le pseudonyme de Cyrille, plusieurs ouvrages relatifs à l’Orient, donne une traduction nouvelle de la Chanson de Roland et collabore également à la Revue d’Orient, à la Revue des Deux Mondes…
Adolphe Lévesque se marie 1857, à Paris, avec Marie Odobesco, née en Roumanie. Six enfants naissent de cette union. Le fils aîné, Louis, embrassera également la carrière de diplomate.
Adolphe Lévesque donne au Département (Ministère des Affaires Étrangères) sa bibliothèque, dont la plupart des ouvrages sont consacrés à l’Europe orientale et au Moyen-Orient. Cette bibliothèque contient plus de 1 850 titres regroupant non seulement des ouvrages, des mélanges mais également un grand nombre de dossiers de presse reliés. Ces ouvrages sont inscrits à l’inventaire en juillet 1925 et mai 1938. 
Sources : Ministère des Affaires Étrangères.
L’extrait cité dans cet article date de 1868.
2 Le lac Brateş, lac lagunaire peu profond de 2400 hectares, autrefois beaucoup plus étendu et très poissonneux, est situé dans la zone de confluence du Prut avec le Danube.
3 Braşov (Kronstadt en allemand ou Brassó en hongrois), grande ville multiculturelle de Transyvanie, centre industriel et touristique
4 Mihai Viteazul, Michel Ier le Brave (1558-1601), prince de Valachie, Moldavie et Transylvanie (1558-1601), s’est en particulier distingué en affrontant les armées de l’Empire Ottoman et en les repoussant au-delà du Danube. Héros national roumain.
5 La rue Domnească est une des principales rues de Galaţi.
6 La Commission Européenne du Danube est une commission internationale qui a été fondée en   vertu de l’article 16 Traité de Paris du 30 mars 1856, organisé à l’initiative de Napoléon III, pour s’occuper initialement de l’amélioration et de la gestion de la navigation aux embouchures du Danube, initialement d’Isaccea à la mer Noire ainsi qu’aux parties maritimes avoisinantes celles-ci, territoire alors dans l’empire ottoman. La Roumanie, fondée en 1878 sera admise à faire partie de la C.E.D. à partir de cette année là. Les pays membre de la C.E.D. représentés par des délégués sont l’Autriche, la France, La Grande-Bretagne, la Prusse, la Russie, la Sardaigne et la Turquie. Le secrétaire général de la C.E.D. siège à Galaţi, des services administratifs et techniques à Sulina, Issacea et Tulcea.
7 Les pays qui  possèdent un consulat à Galaţi ou un représentant consulaire à cette époque sont le Royaume-Uni, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne (?), la France, la Grèce, la Hollande, l’Italie, la Prusse, la Russie, la Suède-Norvège, l’ empire ottoman et les USA. Certains des délégués de la C.E.D. font également fonction de consuls.
8 Vraisemblablement Theodoros Rodocanachis (1797-1882), membre d’une famille de grands commerçants grecs.
9 Le prince Alexandru Ioan Cuza (1820-1873), grande personnalité de la renaissance culturelle roumaine, prince de Moldavie, de Valachie puis de Roumanie (1862-1866), francophone, soutenu par Napoléon III, réformateur, il est renversé par une coalition contre nature en 1866 et doit finir sa vie en exil. Il meurt à Heidelberg âgé de 53 ans.
10 Le Jardin public de Galaţi (Grădina Publică) qui donne sur la strada Domnească et la strada Vasile Alecsandri été inauguré en 1846.
11 La Dobrudja ou Dobrogea
12 La strada vultur est perpendiculaire à la strada Domnească
13 Marchand d’accastillage
14 Cette expression française qui remonte à la première moitié du XVIIIe siècle, a d’abord été appliquée dès 1718 aux noms de choses et bien plus tard vers 1835 aux personnes. Le zeste ou zest à l’origine, c’est-à-dire avant le XVIIe siècle se définissait comme étant l’écorce superficielle de l’orange et au sens figuré un objet de peu de valeur. Quant au zist, ce serait l’enveloppe blanche au-dessous du zeste ce qui donnerait à notre expression le sens de l’indécision, une chose incertaine car la limite entre le zest et le zist est relativement incertaine. Ici l’expression est utilisée dans le sens d’un âge incertain ou entre deux âges. (Sources…)
15 Tailleur en langue roumaine
16 On est vraiment surpris par les propos antisémites d’Adolphe Lévesque, baron d’Avril, diplomate français et délégué à la C.E.D.
Important carrefour commercial depuis le XVIIe siècle, la ville fut le théâtre d’actes de violence  et de vandalisme en 1868 après que fut lancée à l’encontre de certains habitants appartenant à la communauté juive de la ville, une accusation de meurtre rituel. Cette  communauté qui s’était implantée à la fin du XVIe siècle dans la ville, participait activement à sa vie économique. Outre 1868, la communauté juive a été persécutée sous divers prétextes et à de nombreuses reprises (1796, 1812,1842, 1846, 1859, 1867, 1893, 1940-1945). De 14 500 habitants en 1894, la communauté juive passa à 450 habitants en 1969.
L’imposante synagogue dite « des artisans » est l’unique rescapée des vingt-neuf synagogues que comptait la ville dans les années 1930. Construite en 1875, elle fut inaugurée à nouveau en 2014. Bien que l’émigration ait provoqué une quasi-disparition de cette communauté, il reste aujourd’hui, en dehors de cette synagogue, un restaurant cacher et un cimetière juif.
Sources : jguideeurope.org
17 Le « Traité de Paris » met fin à la guerre de Crimée (1853-1856). Il proclame l’intégrité de l’empire ottoman,  instaure la neutralité de la mer Noire et institue la première commission européenne du Danube. Les pays signataires sont l’Empire d’Autriche, la France, le Royaume de Piémont-Sardaigne, le Royaume-Uni, la Prusse, la Russie et l’Empire ottoman.

18 Cette station a été, depuis la guerre de 1870, réunie à celle de Constantinople (note de l’auteur).
19 Cet espace a été plus tard rendu au commerce (note de l’auteur).
20 La compagnie impérial et royal de navigation à vapeur sur le Danube autrement dit la D.D.S.G., compagnie autrichienne de navigation fluviale et maritime.
21 La compagnie des Messageries Maritimes fondée à Marseille desservira Constantinople et la mer Noire (Odessa…) dès 1855. Ses bateaux feront escale également à Sulina, Tulcea, Galaţi et Brăila.  Cette compagnie assurait également le transport du courrier auprès des bureaux de poste français de Galaţi, Brǎila, ouverts en 1857 et fermés en janvier 1875 et ceux de Sulina et Tulcea, ouverts en novembre 1857 et fermés en avril 1879.
Sources : messageries-maritimes.org 
https://semeuse25cbleu.net/usages-hors-de-france/bureaux-de-poste-francais-a-letranger

Le Yacht royal « Libertatea » (« Nahlin »)

Le « Libertatea » à quai à Galaţi dans les années 1970, hôtel-restaurant sur le Danube !

   Ce magnifique bateau a été construit en 1930 selon les plans de G.L. Watson & Co. (Glasgow) par les chantiers navals écossais John Brown & Co. pour la femme la plus riche de Grande-Bretagne de l’époque, Lady Annie Henriette Yule, héritière de sir David Yule. Baptisé du nom de « Nahlin », bénéficiant d’équipements techniques novateurs et performants et d’une décoration intérieure des plus raffinées, il fut considéré comme le plus beau yacht de son époque. Le bateau qui va naviguer sur les océans et les mers du monde entier héberge des membres de la famille royale britannique à partir de 1934 parmi lesquels le roi Édouard  VIII qui invite à bord sa maitresse sulfureuse Wallis Simpson, une relation qui l’aurait obliger à renoncer au trône d’Angleterre pour l’épouser.
Le « Nahlin » est ensuite racheté en 1937 par le gouvernement roumain rebaptisé « Luceafărul », (« Lumière du soir ») et offert au roi Carol II. Le navire remonte le Danube et vient mouiller régulièrement à Galaţi. Le roi et sa famille y accueille de nombreuses personnalités à bord et le bateau sert aussi pour différentes négociations politiques. Après l’abdication du roi , le bateau devient la propriété du Ministère de la culture roumain. Le « Nahlin » tombe ensuite aux mains du régime communiste après la Seconde Guerre mondiale. Commence une sombre période. Rebaptisé « East » et plus tard « Freedom » il reste malgré tout un des navires les plus prestigieux de la flotte roumaine jusque dans les années cinquante. Il est ensuite transformé en musée et hôtel-restaurant puis uniquement en restaurant restant amarré aux quais de Galaţi et laissé dans un état de plus en plus déplorable. Difficile de reconnaître l’ancien yacht royal même si les habitants de Galaţi le considèrent comme l’un des symboles les prestigieux de la ville. La société SC Regal SA Galaţi acquiert le yacht pour une somme dérisoire et dans des conditions mystérieuses après la révolution de 1989 et le changement de régime. Du fait de cette acquisitions plus ou moins légale la propriété du « Libertatea » fait l’objet de plusieurs litiges entre le Ministère de la Culture roumain et la SC Regal SA Galaţi. En 1998 la Commission Nationale des Musées et des Collections de Roumanie intègre le yacht dans la catégorie « Patrimoine et trésors culturels nationaux ». La SC Regal SA Galaţi conteste cette classification devant les tribunaux. Elle perd son procès. Entretemps elle réussit malgré tout à vendre le navire aux enchères en 1999 pour la somme ridicule de 265 000 $. L’acquéreur, trop heureux de son achat, est  un courtier britannique renommé, Nicholas Edmiston. La vente fait scandale en Roumanie. La directrice de la société SC Regal Galaţi, Elena Trandafir, s’excuse et déclare tardivement que, bien que le navire ait déjà été vendu, le nouveau propriétaire doit se conformer à la législation roumaine concernant les biens patrimoniaux. Le ministère de la Culture fait lui-même l’objet d’une enquête publique. Sa plainte pénale contre SC Regal Galaţi est rejetée par le bureau du procureur. Nous sommes dans une période post-communiste et en plein feuilleton romanesque ! En septembre 1999, ce même ministère de la Culture délivre curieusement un permis « d’exportation temporaire »au nouveau propriétaire du navire sous le prétexte que le bateau ne peut être correctement restauré qu’en Grande-Bretagne. Le départ du navire du pays est l’occasion de débats houleux y compris au parlement roumain. La tempête médiatique se calme peu à peu après que le ministère de la Culture assure que le navire conservera son pavillon roumain et rentrera en Roumanie en août 2000. Le bateau n’est depuis jamais revenu naviguer dans les eaux roumaine ni sur le Danube maritime…
Après son départ de Galaţi et son transfert par cargo en Angleterre le yacht est immédiatement rebaptisé de son nom de baptême « Nahlin » et hisse les couleurs britanniques. Il commence à être restauré selon ses plans d’origine à Devonport, Plymouth et Liverpool puis par les chantiers navals allemands de Rendburg et plus tard à Hambourg. Le bateau rénové avec un soin extrême retourne à la navigation en 2010 avec Glasgow comme port d’attache. Diverses sources affirment que la restauration aurait coûté la modeste somme d’environ 35 millions de dollars. Le « Nahlin » est estimé quant à lui à 45 millions de dollars. Il appartient aujourd’hui à l’industriel britannique Sir James Dyson, qui l’a lui-même acheté à Sir Anthony Bamford, président de JCB. Il fait partie des trois derniers grands yachts à vapeur construit en Grande-Bretagne.

Le « Nahlin », photo © Stekruerbe, droits réservés

Le « Nahlin » mesure 91,4 m de long, 10,98 m de largeur au fort. Son tirant d’eau est de 4,42 m. Le bateau est équipé d’un système de propulsion de 4 moteurs de 2 200 CV, chacun fournissant 1 619 kilowatts ; la puissance totale du bateau est donc de 8 800 ch ou 6 475 kW. sa vitesse maximale de 17 noeuds. L’intérieur d’origine était divisé en six cabines avec salle de bains privative pour les invités, un gymnase, un salon pour  les femmes avec vue sur la mer sur trois côtés et une bibliothèque.

On ne peut que regretter avec les habitants de Galaţi et des villes roumaines du Danube que ce magnifique yacht ait quitté définitivement les eaux danubiennes et celles de la mer Noire mais il faut reconnaître que c’est grâce à la ténacité et au savoir-faire britannique et des chantiers navals allemands que le navire a été sauvé d’une démolition probable.Tant de magnifiques navires d’autrefois qui croisaient sur le Danube en y transportant des passagers prestigieux ou anonyme d’un pays ou d’un empire à l’autre ont eu ce tragique destin. Que sont également devenus les navires et les embarcations de la Commission Européenne du Danube comme par exemple le yacht « Prince Ferdinand de Roumanie », le canot automobile en bois de pin « Principele Mihai », les bateaux-pilotes l' »Hirondelle«  et »E. Magnussen« , stationnés à Sulina, les chaloupes à vapeur « Flora », « Mouette », « Angelus », ou encore ses bateaux de sauvetage en bois d’acajou construits en Angleterre ? Le Danube est un grand cimetière de bateaux.

Le « Nahlin » (« Libertatea ») reviendra-t-il un jour s’amarrer aux quais de la Falaise ou du port de Galaţi ?

Sources :
Ovidiu Amălinei, Viaţa Libera, Galaţi
Reginald Crabtree, Royal yachts of Europe : from the seventeenth to twentieth century, David & Charles publisher, London, 1975

Eric Baude, © Danube-culture, mai 2021

Le yacht « Libertatea » à quai sur la « Faleza » de Galaţi en 1980 devant l’église fortifiée de Sfânta Precista, sources Bibliothèque V.A. Urrechia, Galaţi

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