Le temple du Walhalla, le temple de la libération et le Danube bavarois entre Ingolstadt, Regensburg et Passau

   Après avoir laissé Ingolstadt, où bat le coeur de la Bavière historique ancienne capitale ducale avec son enceinte fortifiée (bastion) dont on ne sait si elle protégeait plus la ville des envahisseurs que des crues légendaires du fleuve et dans la forteresse de laquelle fut emprisonné pendant la Première Guerre mondiale celui qui n’était à cette époque que le capitaine de Gaulle, on suit le fleuve sur la rive droite et traverse tout d’abord la petite ville de Vohburg et ses quatre tours historiques. Un pont ou le petit bac saisonnier d’Eining permet de changer de rive et de découvrir sur le plateau au nord de Pförring (rive gauche) les ruines de Celeusum, un ancien camp romain fortifié avec des thermes. Les Romains connaissaient bien également les vertus des eaux sulfureuses de Bad Gögging (rive droite). Toujours sur la même rive droite un autre camp fortifié romain, celui d’Abusina, érigé en 80 après J.-C., détruit en 250 par les Alamans puis reconstruit est  le mieux conservé de tous les camps romains de la Bavière. Entre Eining et Weltenburg d’autres vestiges de la présence des Romains ont été conservés sur la rive gauche. Avec les reliefs de l’Altmühltal que le Danube franchit à travers un étroit défilé que les bateliers d’autrefois franchissaient difficilement vers l’amont avec leurs « Zille » au moyen d’ anneaux fixés dans les parois rocheuses. Au pied de la colline Wûrzberg et le Danube, surveillant le fleuve et dont l’architecture se plie au dessin d’un méandre vigoureux se tient l’abbaye bénédictine de Weltenburg sur la rive droite et ses frères brasseurs (quoi d’étonnant quand on sait qu’elle a été fondé par des moines irlandais et écossais !) en amont de Kelheim (rive droite) et à l’entrée du dernier défilé karstique de Souabe qu’affronte le Danube. Les abbayes ou anciennes abbayes sont une constante dans le parcours du Haut-Danube. Elles rappellent combien ces paysages de Bavière sont des terres catholiques.

L’abbaye bénédictine de Weltenburg, photo droits réservés

Sur le Frauenberg voisin de l’abbaye (Montagne des femmes) les Romains ont construit une forteresse à l’époque où le fleuve était une des principales de frontière (Limes) de l’Est de l’empire. L’abbaye, fondée vers 610,est baroquisée au XVIIIe. Son église Saint-Georges est un pur chef d’oeuvre du Rococo bavarois dû au génie artistique et au sens du « theatrum sacrum » des frères Cosmas Damian (1686-1739) et Egid Quirin Asam (1792-1750). Sur le Frauenberg a été également érigée, à l’emplacement des fondations d’un ancien temple romain une première chapelle elle-même reconstruite à l’époque où l’abbaye est rénovée dans le style baroque.
La plus ancienne abbaye de la Bavière joue le rôle d’une gardienne régulièrement inondée des portes d’un Danube quelque peu surpris par le relief karstique qui s’est mis en travers de son chemin.

Saint-Georges dans le choeur de l’église baroque décorée par les peintres, sculpteurs et stucateurs  Cosmas Damian et Egid Quirin Asam, photo © Danube-culture, droits réservés

Au-delà des portes du Jura souabe qui ferme le passage sauf au Danube, s’impose dans le paysage la pompeuse et quelque peu surprenante « Befreiungshalle », Temple de la Libération ou de la délivrance (du calvaire napoléonien) au sommet d’une éminence de la rive gauche. Proche de deux sites celtiques sur le Michelsberg, achevé en 1863 ce monument est la concrétisation du souhait de Louis Ier de Bavière (1786-1868) de faire édifier à cet endroit précis un édifice dédié à la victoire de Leipzig (1813) contre ce qui restait des armées napoléoniennes après la désastreuse campagne de Russie.

La Befreiungshalle (Temple de la Libération), inaugurée le 18 octobre 1863, photo © Danube-culture, droits réservés

En forme de polygone de 18 côtés soulignés par 18 pilastres sur chaque sommet desquels se tient une korè (sculpture) symbolisant les 18 peuples ayant participé à la libération de l’Allemagne du joug napoléonien. Au dessus des korès, un péristyle de 48 colonnes (3 x 18 colonnes) puis à nouveau au dessus du péristyle 18 autres pilastres surmontés de trophées. L’illusion réussie d’un monument en marbre, alors qu’il est en brique, contrairement au Walhalla, est due au crépi et à la peinture qui prend soin d’imiter des blocs de marbre. Un escalier de 84 marches conduit à l’entrée monumentale qui débouche sur une salle intérieure toute de véritable marbre cette fois, haute de 49 mètres et surmontée d’une coupole. Au sol se trouve l’inscription : « Puissent les Allemands ne jamais oublier ce qui a rendu nécessaire le combat pour la libération et par quoi ils ont vaincu. »

Deux des 34 victoires posant tendrement leurs mains sur le bouclier de bronze symbolisant la victoire de Waterloo du 18 juin 1815… Photo © Danube-culture, droits réservés

18 niches placées sur un socle décorent la partie inférieure de la salle avec 34 statues victorieuses toutes différentes les unes des autres qui se donnent la main ou brandissent des boucliers de bronze. Des plaques avec les noms des généraux et des forteresses conquises dominent les niches. La seule source de lumière naturelle avec le portail d’entrée est une lanterne en verre au sommet de la coupole.

La coupole en caissons de la Befreiungshalle et la lanterne à son sommet, photo © Danube-culture, droits réservés

Un escalier part sol et permet d’accéder au péristyle intérieur et à la balustrade extérieure d’où la vue exceptionnelle s’ouvre sur la vallée du Danube et les environs. Le monument, construit sur les plans de l’architecte Friedrich Wilhem von Gärtner (1791-1847) puis achevé par Leo von Klenze (1784-1864), fut inauguré à l’occasion du cinquantième anniversaire de la bataille des Nations et de la victoire de la coalition alliée à Leipzig, le 18 octobre 1863.

Kelheim qui se trouve au pied de l’édifice, était connue au temps de la navigation d’avant l’invention de la vapeur pour son port sur le Danube d’où partaient autrefois, avant que la portion amont entre Ulm et Kelheim ne s’ouvre au trafic fluvial, les bateaux (« Kelheimer ») transportant diverses marchandises vers les grandes villes de l’aval possède un intéressant patrimoine historique du début de l’ère industrielle, une  autre initiative du même entreprenant Louis Ier de Bavière répondant au nom de Ludwig Kanal (Canal du roi Louis). Kelheim marque également  l’entrée (ou la sortie…) du nouveau canal Rhin-Main-Danube (ancien confluent de la rivière Altmühl avec le Danube).

Le canal Louis en juin 1916 lors de la visite d’Albert III de Bavière, photo d’archives

Le fleuve continue à serpenter dans un relief s’apaisant peu à peu puis rejoint Ratisbonne (Regensburg). L’ambiance de l’ancienne « Radasbona » celte ou « Castra Regina » romaine (les historiens ne mentionnent pas moins de soixante-dix noms différents pour Regensburg !) contraste et allège joyeusement le souvenir de la « Befreiungshalle ».

Le vieux pont de pierre légendaire de Regensburg (Ratisbonne), photo © Danube-culture, droits réservés 

Ratisbonne qui s’enorgueillit d’avoir accueilli Saint Emmeran, Charlemagne (vers 742-814, adepte de la natation dans le Danube), les croisades, Frédéric Barberousse (1122-1190), Charles Quint (1500-1558), son fils illégitime Don Juan d’Autriche qui y est né, le peintre Albrecht Altdorfer (vers 1480-1538), maître de l’École dite « du Danube », Johannes Kepler (1571-1630), brillant mais infortuné astronome, les empereurs Napoléon Ier, Guillaume Ier de Hohenzollern (1797-1888), François-Joseph de Habsbourg (1830-1916) et les princes de Thurn und Taxis (ils y sont établis depuis 1748), plus récemment le cardinal Joseph Ratzinger devenu pape sous le nom de Benoît XVI (2005), eut les honneurs de la diète impériale du Saint Empire Romain Germanique de 1663 à 1806 mais subit aussi des épidémies de peste, les désastres de la guerre de Trente ans et autres conflits.

Statue de Don Juan d’Autriche (1547?-1578), fils illégitime de Charles Quint et de Barbara Blomberg, copie du monument érigé à Messine à la gloire du vainqueur de la flotte turc à la bataille navale de Lépante (1571), photo © Danube-culture, droits réservés

Son vieux pont « mémoire » de seize arches datant du XIIe siècle (1135-1146), le « Steinerne Brücke », le pont le plus ancien encore en place sur le Danube, véritable talisman de Ratisbonne, long de 330 m, doté de son propre sceau (aujourd’hui celui de l’université) et qui n’a jamais été détruit, illustre l’importance de la cité dans l’histoire des échanges et du commerce en Europe et au-delà. Ratisbonne est aujourd’hui une vieille dame alerte classée au patrimoine mondiale de l’Unesco (2006) pleine de charme et d’entrain et le Danube n’y est évidemment pas étranger. Située au au point le plus septentrional du cours du fleuve, elle n’en témoigne pas moins d’un art de vivre quasi méridional.

En amont du vieux pont de pierre, sur le Danube une réplique de Kelheimer motorisée, photo © Danube-culture, droits réservés

En continuant à descendre le fleuve, sur un promontoire de la rive gauche escarpée, à la hauteur de Donaustauf se tient une autre réalisation architecturale due à ce même roi  que bavarois bâtisseur et patriote (oncle de « Sissi » et de François-Joseph), tout aussi pompeuse que la « Befreiungshalle » en amont, le « Walhalla » ou temple de l’honneur construit entre 1830 et 1841 sur les plans de l’architecte officiel du monarque, Leo von Klenze (1784-1864). Le nom donné au monument fait référence au séjour des morts de la mythologie germanique.

Le Walhalla depuis la rive gauche du Danube, photo © Kerstin Dittmann, droits réservés

En style néodorique, entièrement en marbre le temple, accessible depuis le Danube par un sentier et un escalier de 358 marches n’est pas sans une certaine ressemblance avec le Parthénon.

L’intérieur du Walhalla en marbre polychrome, photo © Danube-culture, droits réservés

L’architecte y a convoqué cariatides, Walkyries, Victoires et autres symboles dans l’intention peut-être de de rompre l’ennui des 131 héros et héroïnes (13 seulement…) germaniques parmi lesquelles les peintres flamands Jan van Eyck (1390-1441) et Peter Paul Rubens (1577-1640), saint Nicolas de Flüe (1417-1487), le philosophe hollandais Erasme (1466/69 ?-1536), les compositeurs autrichiens Joseph Haydn (1732-1809), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Franz Schubert (1797-1828) et Anton Bruckner (1824-1896) qui, figés avec la statue de Louis Ier de Bavière pour la postérité, se regardent (ou s’ignorent…) dans une ambiance solennelle et un silence qui seraient pétrifiants, s’ils n’étaient interrompus par les exclamations et les bruits de pas des visiteurs.

Un médiocre buste de Mozart… photo © Danube-culture, droits réservés

Aux 131 bustes s’ajoutent 64 plaques commémoratives. De nouvelles personnalités de langue allemande sont régulièrement accueillies sur la décision du conseil des ministres du Land de Bavière.

William  Turner, le Danube et le temple du Walhalla

Après ce passage par la mythologie germanique, l’élégante tour chinoise du jardin princier de Donaustauf, en contrebas du « Walhalla », engendre une des plus rafraîchissantes et étonnantes surprises du Danube bavarois.

La tour chinoise de Donaustauf (Bavière), photo © Danube-culture, droits réservés

Les coteaux danubiens ont changé de physionomie et les premières vignes (Bach/Donau) ont fait leur apparition, indice d’une direction méridionale prise par le fleuve et d’une exposition favorable dans une Bavière plus connue pour ses brasseurs que ses vignerons. Miracle danubien !

Straubing, gravure de Michael Wening (1645-1718)

C’est à Straubing (rive droite), ex place forte romaine, trésor médiéval et Renaissance que se joua le destin, à l’âge de vingt-cinq ans, de la douce, belle mais roturière Agnès Bernauer (1410-1435). Elle eut le malheur de faire chavirer le coeur du duc Albert III de Bavière (1401-1460) mais pas celui de son cruel père Ernest (1373-1438). Soucieux de s’en tenir scrupuleusement à la suprême raison d’État  celui-ci organisa avec un juge à sa solde le procès pour sorcellerie de sa belle-fille et la fit noyer dans le Danube.

Tableau d’un peintre inconnu d’Augsbourg du XVIIIe d’après un modèle du XVIe siècle

Mais le fleuve et ses eaux rédemptrices et protectrices des innocents prirent le parti de la belle Agnès et le supplice fut difficile à exécuter. Le duc Ernest, pris de remord ou admiratif de la fidélité d’Agnès pour son amour, lui fit ériger en 1436 une chapelle (cimetière Sankt Peter) puis se retira de la vie publique peu de temps après. Le hasard fit naître à Straubing un personnage au destin plus heureux que celui de la belle Agnès, le premier « papageno » de la Flûte enchantée de Mozart, acteur et directeur de théâtre, Emanuel Shikaneder (1751-1812).

La petite ville de Deggendorf est aux lisières de la forêt de Bavière (« Bayerischer Wald »). Le fleuve, depuis longtemps haut-lieu de navigation sur ce parcours, a la sagesse de contourner ce massif par le sud en se dirigeant tranquillement vers Passau la sublime, là où les eaux du Danube se mélangent à celles fougueuses de l’Inn et aux noirs reflets de l’Ilz.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour avril 2022

Kasparus Karsen (1810-1896), vue de Passau sur le Danube, 1858,  huile sur toile

 Note :
1  « Kelheimer » est le nom spécifique pour le plus grand modèle de «Zille», nom générique pour une embarcation typique de diverses tailles mais de même construction qui a navigué sur le Danube et ses affluents jusqu’après l’invention des bateaux vapeur. Elle est encore construite de nos jours.  C’est à Kelheim que furent construites ces grandes « Zille » qui pouvaient atteindre une longueur de 30 mètres. Elles permettaient de convoyer, en train de bateaux  ou en embarcation unique, jusqu’à deux tonnes de différentes marchandises (vin, sel, matériaux de construction…). Les « Kelheimer » étaient difficiles,  de par leur dimension, à haler vers l’ amont. Les équipages   pouvaient mettre à certains endroits du cours du fleuve en raison de son débit et de la morphologie des rives un temps considérable pour effectuer les manoeuvres et nécessitaient  parfois la force de soixante chevaux reliés aux bateaux par un système de cordages. 

La colline du Natternberg, un morceau du Vésuve selon une légende bavaroise.

    Modeste par sa hauteur (383 mètres), elle est peuplée par les hommes dès l’âge de pierre et couronnée d’une forteresse imposante au Moyen-Âge dont il ne reste plus qu’une petite partie des bâtiments initiaux et des remparts.
D’après une légende le Natternberg dont la roche est d’origine volcanique (gneiss) serait un morceau du Vésuve apporté par Méphisto fortement irrité par la piété des habitants de la petite ville danubienne voisine de Deggendorf. Son intention était de laisser choir dans le Danube ce morceau de volcan pour provoquer une inondation et les noyer définitivement. Pourquoi un morceau de volcan si éloigné, la légende ne le dit pas. Toujours est-il qu’il revenait avec son énorme morceau de rocher et se préparait à le lâcher dans le Danube à hauteur de Deggendorf quand la cloche de l’abbaye bénédictine voisine de Metten sur l’autre rive, une des plus anciennes abbayes de Bavière fondée en 766, se mit à sonner l’angélus. Le diable effrayé par le son de la cloche laissa choir promptement son énorme morceau de Vésuve sur la plaine au lieu de le lancer dans le Danube et s’enfuit.
   On cultiva la vigne sur le versant sud du Natternberg depuis le Moyen-âge jusqu’en 1963. Le vin qu’on y produisait était appelé « Natternberger Teufelskralle » (la griffe du diable) et était de qualité médiocre. Il avait la réputation d’être particulièrement acide ce qui lui valut aussi d’acquérir le surnom de « Natternberger Essig-Riesling » (Riesling vinaigré de Natternberg) !
La colline du Natternberg a failli être « coiffée » en 2009 d’une imposante statue du Christ de 55 mètres de haut réalisée par le sculpteur Ludwig Valentin Angerer (Angerer der Ältere, 1938) mais une majorité de la population s’opposa au projet lors d’un referendum.
À propos du château-fort :
   Le château-fort est mentionné pour la première fois en 1145. Il appartient à un certain Hartwig, ministériel des comtes de Bogen. Les ducs de Bavière en héritent en 1242 lorsque cette dynastie s’éteint. Le duc Henri III de Basse-Bavière dit « le Natternberger » grandit dans la forteresse sous la tutelle du futur empereur du Saint Empire romain germanique Louis de Bavière. À partir de 1331, il possède un duché partiellement indépendant dont le centre est Deggendorf, mais il s’implique dans des querelles judiciaires permanentes avec ses cousins de Basse-Bavière. Henri III meurt en 1333 et le duché est à nouveau dissous. Le château-fort est vendue à Peter Ecker von Eck, ancien capitaine de l’empereur Louis de Bavière. En conflit avec les Wittelsbach sa propriété est assiégée avec succès en 1337. À partir de cette époque, Natternberg perd de de son importance. Elle est en grande partie détruite pendant la guerre de Trente Ans et la guerre de Succession d’Autriche. En 1802, la famille des Preysing von Moos en prennent possession. La forteresse passe ensuite dans les mains de nombreux autres propriétaires tout en demeurant habitée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Il ne reste de l’imposante forteresse initiale que quelques vestiges qui ont été rénovés à la fin des années 90.
Eric Baude, décembre 2021  © Danube-culture, droits réservés
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