István Széchenyi (1791-1860)

István Széchenyi est né à Vienne en 1791, l’année de la mort de Mozart. Entré dans l’armée autrichienne à dix-sept ans, il se bat contre les troupes napoléoniennes à Leipzig, en 1813, ainsi qu’à Tolentino face à Murat en 1815 où celui-ci connait une défaite. De 1815 à 1821, il voyage et étudie les institutions des différents pays européens. Lors d’un nouveau séjour en Angleterre, accompagné de son ami le baron Miklós Wesselényi (1796-1850), il remarque l’importance du commerce et de l’industrie. Pendant un séjour ultérieur en France (1825), c’est le canal du Midi qui attire son attention et l’incite à envisager l’aménagement et à la régulation de la rivière Tisza aux crues redoutables et du Danube. Cette même année, son don de 60 000 florins contribue à la fondation d’une académie hongroise. Il entreprend une politique active de réformes à caractère économique et culturel, pour sortir son pays de l’état arriéré où, selon lui, il se trouve, en particulier dans le domaine agricole. Celle-ci permet d’abolir les travaux de corvée, de développer l’élevage des chevaux et d’encourager la création d’un vrai réseau de communications. Le 24 juin 1830, afin de se rendre compte par lui-même des difficultés de la navigation dans les Portes-de-Fer, l’aristocrate, accompagné par un ami, le comte János Waldstein (1809-1876) et par József Beszédes (1787-1852), un ingénieur hongrois de grande renommée, quitte Pest sur le « Desdemona » un bateau à rames pour un long voyage fluvial de plusieurs semaines sur le bas-Danube.

Remény (Espoir), Annuaire littéraire et artistique édité par Mme Sándorné Vachott en 1861 à Pest. Gusztáv Heckenast (1811-1878), Le comte István Széchenyi debout dans une barque, accompagné de l’un de ses fils, avec le pont des Chaînes en arrière-plan et un bateau à vapeur devant lui, lithographie

La naissance de la Compagnie de navigation sur le Danube (D.D.S.G.), en 1829, est le fruit de ses efforts. Des steamer vont relier Vienne à Buda et, ultérieurement et poursuivre leur route jusqu’à la mer Noire. Il encourage aussi la navigation de bateaux à vapeur sur la Tisza et fait construire le premier pont en dur de la capitale hongroise, le Pont des chaines (Lanchid), un ouvrage suspendu reliant Buda à Pest.

Le pont aux chaines de Budapest

Mais son programme de réformes et son libéralisme modéré sont d’ores et déjà menacés par Lajós Kossuth (1802-1894) et les libéraux extrémistes. Széchenyi craint que le radicalisme ne replonge sa patrie dans le chaos d’où il tente de la tirer et ne manque pas une occasion, à la diète, de les attaquer. Pour lui la Hongrie n’est pas encore prête pour l’indépendance ce qui le brouille avec L. Kossuth. Le prince Batthyany l’intègre dans son premier cabinet hongrois en 1848 mais désespéré par l’évolution de la situation politique de son pays, il tombe malade, doit être interné le 5 septembre 1848 et fait un séjour dans une maison de santé de Vienne. De retour chez lui à Döbling (aujourd’hui XIXe arrondissement de Vienne), Szechenyi met fin à ses jours le 8 avril 1860 après une perquisition de la police politique.

István Szechenyi, De la navigation sur le Danube, version allemande, 1836

   Chef des aristocrates éclairés, figure de proue du parti des réformes, Istvan Széchenyi a joué un rôle essentiel dans le renouveau de son pays. Le compromis austro-hongrois de 1867 consacrera d’ailleurs le triomphe de ses conceptions.

Sources :
Jean BÉRENGER,  SZÉCHENYI ISTVÁN comte (1791-1860) : http://www.universalis.fr/encyclopedie/istvan-szechenyi/

175 Jahre Erste Donau-Dampschiffahrts-Gesellschaft 1829–2004 (en allemand), Regensburg: Arbeitskreis Schiffahrts-Museum Regensburg e.V., 2004,  pp. 1–220.

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour octobre 2025

István Széchenyi et les Portes-de-Fer (I)

   Plusieurs événements survenus en 1829 contribuent à revaloriser du rôle du Danube. D’une part la D.D.S.G., chargée de mettre en œuvre la navigation à vapeur sur le Danube, est fondée cette année-là et l’on peut donc s’attendre à voir naviguer des steamers sur le fleuve (de précédentes tentatives de navigation à vapeur n’avaient pas abouties pour des raisons techniques et économiques) et les intérêts nationaux et impériaux poussent pour que les bateaux puissent circuler sur le fleuve jusqu’à la mer Noire. Toutefois de nombreux obstacles s’y opposent dont un est physique, à savoir les rapides des défilés des Portes-de-Fer. D’autres événements viennent modifier considérablement la situation politique. Le Traité d’Andrinople (Edirne) met fin à la guerre russo-turque de 1828-1829. À la suite de la signature de celui-ci, l’Empire ottoman conserve la plus grande partie de ses territoires européens y compris la Serbie dans la région du Bas-Danube mais les Principautés roumaines, Valachie et Moldavie, acquièrent malgré tout une plus grande autonomie. Ces deux principautés sont occupées par les armées du tsar et le delta du Danube passe lui aussi sous domination russe. Cette situation pose un nouveau problème mais un article de ce même traité ouvre le fleuve, la navigation sur la mer Noire ainsi que le détroit les Dardanelles à la navigation internationale.
« Le Pruth continuera à former la limite des deux empires, du point où cette rivière touche le territoire de la Moldavie jusqu’à son confluent avec le Danube. De cet endroit la ligne des frontières suivra le cours du Danube jusqu’à l’embouchure de St. Georges, de sorte qu’en laissant toutes les îles formées par les différents bras de ce fleuve en possession de la Russie, la rive droite en restera comme par le passé à la Porte Ottomane. Il est convenu néanmoins que cette rive droite, à partir du point où le bras de St. Georges se sépare de celui de Soulina, demeurera inhabitée à la distance de deux heures de ce fleuve et qu’il n’y sera formé d’établissement d’aucune espèce, et que de même sur les îles qui resteront en possession de la cour de Russie, à l’exception des quarantaines qui y seront établies, il ne sera permis d’y faire aucun autre établissement, ni fortification. Les bâtiments marchands des deux puissances auront la faculté de naviguer sur le Danube, dans tout son cours, et ceux portant le pavillon Ottoman pourront entrer librement dans les embouchures de Keli et de Soulina, celle de Saint-Georges demeurera commune aux pavillons de guerre et marchands des deux puissances contractantes. Mais les vaisseaux de guerre russes ne pourront, en remontant le Danube, dépasser l’endroit de sa jonction avec le Pruth.
Article III du traité d’Andronople , 2-14 septembre 1829
   « … La Sublime Porte s’engage en outre à veiller soigneusement à ce que le commerce et la navigation de la mer Noire en particulier, ne puissent éprouver aucune entrave de quelque nature que ce soit. A cet effet, elle reconnait et déclare le passage du canal de Constantinople et du détroit des Dardanelles entièrement libre et ouvert aux bâtiments russes sous pavillon marchand, chargés ou sur lest, soit qu’ils viennent de la mer Noire pour entrer dans la Méditerranée, soit que, venant de la Méditerranée, ils veuillent entrer dans la mer Noire. Ces navires, pourvu qu’ils soient des bàtimens marchands, de quelque grandeur et de quelque portée qu’ils puissent être, ne seront exposés à aucun empêchement, ou vexation quelconque ainsi qu’il a été réglé ci-dessus. Les deux cours s’entendront sur les moyens les plus propres à prévenir tout retard dans la délivrance des expéditions nécessaires. En vertu du même principe le passage du canal de Constantinople et du détroit des Dardanelles est déclaré libre et ouvert à tous les bâtiments marchands des Puissances qui se trouvent en état de paix avec la Sublime Porte, soit qu’ils aillent dans les ports russes de la mer Noire, ou qu’ils en viennent chargés ou sur lest, aux mêmes conditions qui sont stipulées pour les navires sous pavillon russe… »
Extrait de l’article VII du même traité
Sources : Frédéric Muhrard, Nouveau recueil général de traités, conventions et autre transactions remarquables …, tome VIII, 1825-1830, Gottingue, 1851
   István Széchenyi, qui sait parfaitement combien il est important que le Danube soit navigable la plus grande partie de sa longueur, décide de descendre le fleuve et lance une initiative originale en 1830. Il fait construire à ses frais à Pest un bateau à rame baptisé « Desdemona ».

Maquette du Desdemona

Le comte fait également construire un autre bateau de taille plus modeste pour accompagner le « Desdemona » et le baptise du prénom de « Juliette ». Les deux embarcations sont peintes en noir et jaune. Même si elles ne naviguent pas directement pour le compte de l’État, ces couleurs sont celles de l’Empire des Habsbourg. István Széchenyi choisit d’être accompagné dans son périple fluvial par un ami, le comte János Waldstein (1809-1876) et par József Beszédes (1787-1852), un ingénieur hongrois de grande renommée.

Friedrich von Amerling (1803-1887), Autriche : János Waldstein (1809-1876), huile sur toile, 1833

La situation a un petit côté singulier pour I. Széchenyi car J. Beszédes n’appartient pas à la noblesse alors que le comte est membre de la haute aristocratie hongroise. Selon ses propres mots, c’est la première fois qu’il doit manger à la même table qu’une personne qui n’est pas de son rang. De plus, d’après les notes de son journal, le comte ne semble pas vraiment apprécier la personnalité de l’ingénieur qui l’accompagne.

József Beszédes (1787-1852)

Le périple fluvial commence le 24 juin 1830. István Széchenyi écrit dans son journal à propos du départ :
« Tôt le matin du 24 juin, j’ai commencé mon voyage vers la mer Noire à bord d’un bateau construit à Pest, un navire qui aurait pu être utilisé par nos ancêtres. Je vous écris actuellement depuis Földvár. Nous sommes 11 à bord. Moi-même, le comte János Waldstein, un ingénieur bavard (sic!), un cuisinier, trois serviteurs et quatre marins. Le bateau et la petite embarcation m’a coûté 500 florins et j’ai dépensé 100 florins de provisions. J’ai emporté avec moi 1 000 ducats en espèces et 10 000 florins en lettres de crédit. Le temps est magnifique… Il n’y a presque pas de vent, sinon nous n’avancerions pas. Nous pouvons parcourir deux milles terrestres en trois heures avec deux grandes rames. Le plus lent des bateaux à vapeur parcourrait la même distance en à peine une heure. Le fleuve est excellent… il est partout assez profond.
Je veux être de retour à Pest le 2 septembre. Que j’y parvienne ou non dépendra de la volonté du du Tout-Puissant… »
Le voyage en Orient du comte István Széchenyi et de János Waldstein en 1830

August Theodor Schoefft (1909-1888), Hongrie : le comte István Széchenyi dans les Portes-de-Fer, huile sur toile, 1836

   Le périple a un double objectif : d’une part, évaluer les difficultés techniques de la navigation ce qui est la tâche de J. Beszédes, et d’autre part, étudier les opportunités politiques d’ouverture du fleuve à la navigation impériale, ce dont I. Széchenyi se charge. Le bateau descendra jusqu’à Galaţi que l’équipage rejoint en 24 jours réalisant un véritable exploit. Le comte poursuivra ensuite sa route jusqu’à Constantinople par voie de terre d’où il rentrera difficilement à Budapest. Il n’y arrivera que le 19 octobre car il contractera le paludisme puis sera mis en quarantaine en raison d’une épidémie de choléra.
  Le comte István Széchenyi publie son premier article sur la navigation sur le Danube le 20 août 1834 dans le journal Társalkodó. Les observations et les propositions qui seront faites par István Széchenyi et József Beszédes permettront d’effectuer des travaux à partir de 1835 et d’améliorer la navigation sur le Bas-Danube dans les années ultérieures. I. Szechenyi naviguera à de nombreuses reprises sur le Bas-Danube en bateau à vapeur en tant que Commissaire royal. Il raconte qu’une fois, en raison du faible niveau de l’eau dans le passage des Portes-de-Fer, il a dû attendre pendant des heures, voire des jours, sur un bateau à vapeur, et qu’il n’a pu quitter le bateau échoué entre les récifs qu’à l’aide d’un autre engin flottant. Ses initiatives en faveur de l’amélioration de la navigation auront aussi un effet positif pour l’économie de la capitale de la Hongrie.
Eric Baude pour  Danube-culture, © droits réservés, mis à jour octobre 2025

Ödön Széchenyi (1839-1922) et l’épopée fluviale de la « Sirène »

« Le port voisin du Champ de mars recevra au printemps prochain des steamers de toutes les parties du monde. On en a annoncé des États-Unis, de Suède et d’ailleurs. D’après le « Fremdenblatt » de Vienne, il en viendrait un de Pesth en Hongrie. En effet, le comte Széchényi aurait demandé au Gouvernement français la permission d’utiliser, pour son steamer, le canal du Rhin à la Marne. Il irait de Pe[s]th à Kehlheim, se rendrait par le Ludwigkanal dans le Rhin en passant par le Main, affluent de ce fleuve. De Strasbourg, il se dirigerait vers Nancy, et de là vers le confluent de la Seine et de la Marne… »
La Science pittoresque, 10 janvier 1867

Cet extraordinaire exploit fluvial européen d’Ödön Széchenyi, est pourtant relativement tombé dans l’oubli et ce pour plusieurs raisons : le Le 8 Juin 1867 a lieu à Pest le couronnement de l’Empereur François-Joseph de Habsbourg comme « Roi Apostolique de Hongrie » sous le nom de Ferenc-Josef. Le même jour, contrairement à la tradition qui veut que la reine ne soit couronnée que le lendemain, sa femme Elisabeth devient reine de Hongrie sous le nom d’Erzsébet. Il se peut aussi que le destin et les activités du comte Ödön Széchenyi en tant qu’infatigable organisateur des services d’incendie de Pest, de Hongrie, d’Istanbul (il sera élevé au titre de Pacha par le sultan Abdulaziz) et de ses nombreuses autres activités1, ont peut-être aussi contribué à marginaliser son extraordinaire périple fluvial accompli à l’âge de 28 ans.

 Le comte Ödön Széchenyi (1839-1922), Pacha de l’Empire ottoman et général de la Turquie impériale

Le comte s’est consciencieusement préparé à ce voyage inédit depuis plusieurs années en acquérant non seulement des connaissances scientifiques avec l’aide de ses professeurs de l’université, mais aussi en naviguant, en obtenant son diplôme de capitaine et en effectuant trois allers-retours entre Budapest et Galaţi sur les vapeurs « Hildegard » et « François-Joseph ». Ses connaissances acquises en matière d’ingénierie, d’hydrographie et de navigation lui seront précieuses pour accomplir son périple fluvial de 2 000 kilomètres entre Budapest Paris. Il fait construire un bateau à vapeur avec une coque en fer, longue de 20 mètres, large de 2,33 mètres et d’un tirant d’eau de 0,56 mètre qu’il baptise du nom de « Hableány ». Ce navire à vapeur (chaudière à charbon) et à et à roues à aube, d’une forme lui permettant de naviguer sur des rivières et des canaux étroits, conçu par Adolf Höcher dans le chantier naval de József Hartmann à Újpest et propulsé par un moteur de 8 à 10 chevaux fonctionnant avec une pression de 4 atmosphères sera prêt à naviguer dès le novembre 1866. Le steamer est peint en blanc avec des moulures et des ornements dorés. L’installation intérieure est des plus confortables avec un salon meublé de divans, un piano (Ödön Széchenyi est musicien et compose), une bibliothèque, une chambre à coucher et une cuisine.

Arrivée du steamer Hableány à Paris le 18 mai 1853 

L’aristocrate hongrois écrit dans son journal de l’Hableány  : « J’ai été inspiré par l’idée que, sur les traces bénies de mon bienheureux père, je devrais moi aussi, selon mes maigres talents, favoriser le bien-être matériel de notre pays, mettre notre pays en communication avec les États de l’extrême Ouest de l’Europe par une voie d’eau qui existe déjà, mais qui est peu ou méconnue. Et, pour l’immense développement de notre industrie agricole, ouvrir à nos produits nationaux une voie de transport à la mesure de la demande étrangère qui est gratifiante et s’accroît chaque jour. Pour atteindre cet objectif grand et sacré, n’épargnant ni effort ni dépense, d’une part, et ne tenant pas compte des frayeurs venant de tant de côtés, d’autre part, je me mis à travailler avec une détermination inébranlable aux préparatifs de mon voyage, qui devait être prometteur mais dont la réussite était incertaine. Tout d’abord, on  construisit un bateau d’une taille adaptée aux rivières et canaux les moins profonds et les plus étroits, tant en longueur qu’en profondeur et en largeur… »

Journal de l’Hableány du comte Ödön Széchenyi, publié à Pest en 1867

S’il en est lui-même le capitaine, Alajos Folmann, président du club nautique Egyetértés de Pest en est le timonier. L’équipage modeste de cinq personnes comprend outre les deux hommes, un ingénieur, un mécanicien et un tout jeune cuisinier. Le départ du port d’hiver d’Újpest pour Paris a lieu au début du printemps, le 6 avril 1867.
Le voyage de deux mille kilomètres du « Hableány » va durer 43 jours. Quatre jours de navigation plus tard, le bateau arrive Bratislava le 10 avril, non sans avoir réussi à négocier la montée des eaux du Danube qui inondent la Petite Plaine avec l’aide du remorqueur Orsova. Malgré un incident à Vienne, c’est, deux semaines plus tard, la frontière allemande (Passau, 25 avril). Parvenu à Kelheim en Bavière le 28 avril, le « Hableány » navigue pendant trois jours sur le Ludwigkanal, inauguré en 1845, un ouvrage qui relie le Danube au Rhin via le Main. Celui-ci les conduit à Bamberg puis à Francfort. À Francfort, des hommes avertissent l’équipage que le bateau ne pourra pas naviguer sur le Rhin sans courir de grands dangers et ils lui conseillent de faire appel à un remorqueur. Le comte Széchenyi, plein de confiance dans le courage et la persévérance de ses équipiers et dans l’excellence de son moteur, dédaigne ces conseils et continue sa route (La Petite Presse, 23 mai 1867). Après avoir remonté le Rhin jusqu’à la hauteur de Strasbourg où ils arrivent le 6 mai, le bateau s’engage sur le canal de la Marne au Rhin, achevé en 1853. À Vitry-le-François, ils rejoignent la Marne et se retrouvent sur la Seine à la hauteur de Charenton en amont de Paris. Le 18 mai, Széchenyi et son équipage accostent triomphalement sur les quais de la capitale française, Les Parisiens sont stupéfaits par le vapeur du comte hongrois. Aucun navire battant pavillon hongrois n’a jamais accosté à Paris.

Plaque commémorative inaugurée le 4 juin 1997 quai Branly, au pied de la Tour Eiffel. Association Hongroise de Navigation et de Yachting « Comte Edmond Széchenyi », sources Wikipedia, domaine public

« L’Angleterre n’a qu’une embarcation à vapeur, toutes les autres chaloupes appartiennent à la Suède, à la Belgique et à la France, et sont rassemblées près de la Dahabié égyptienne, contre la berge française. Là se trouvent réunis, le Vauban, le canot des Forges et chantiers de la Méditerranée, qui a remporté l’autre jour le premier prix aux régates internationales, des chaloupes à vapeur, la Sophie, élégante suédoise bien digne du deuxième grand prix, sa sœur la Mathilde, fine, élégante et accorte comme elle, l’Éole de M. Durène, la Mouche, appartenant au prince Napoléon, et la Fille des ondes (Habléany), coquet bateau à aubes de la force de six chevaux, parti de Pesth pour venir, en remontant le Danube et les fleuves de l’Allemagne et de la France, à l’Exposition de Paris… »
Rapport de l’Exposition universelle, Matériel de sauvetage et navigation de plaisance

« Quatre jours plus tard, François-Joseph est couronné roi de Hongrie et, le mercredi 29 mai, jour de signature du Compromis austro-hongrois, l’ambassadeur Richard Klemens von Metternich donne un somptueux bal dans sa résidence de l’Hôtel de Rothelin-Charolais (101 rue de Grenelle). L’orchestre de soixante musiciens est conduit par Johann Strauss (fils), et joue Le Beau Danube bleu pour la première fois à Paris. Les plus hauts personnages sont là, autour de Napoléon III et d’Eugénie, du roi des Belges et d’un véritable parterre de souverains… Puis une valse est dansée par le prince Alfred, duc d’Édimbourg, avec la princesse Eugénie, pendant laquelle le prince de Metternich présente à l’Empereur le comte Edmond Széchenyi, qui vient d’accomplir sur un bateau de 30 mètres de long et de large [sic] le trajet de Pesth à Paris par le Danube, le Rhin, etc. L’Empereur interrogea longtemps le comte sur les incidents de la traversée, puis le voyageur désormais célèbre fut présenté à l’Impératrice. »
La Petite presse, 30 mai 1867

Napoléon III fera une courte croisière sur la Seine à bord du « Hableány » accompagné de son épouse Eugénie et décernera à Ödön Széchenyi la Légion d’honneur en reconnaissance pour sa traversée fluviale du continent européen. Le bateau sera encore récompensé d’une médaille d’or de l’Exposition universelle de Paris.
Le comte hongrois Ödön Széchenyi ne rentra pas à Budapest avec son bateau mais vendit celui-ci à l’écrivain, photographe, caricaturiste et constructeur de ballons français Félix Tournachon dit Nadar (1820-1910), un personnage qui inspirera Jules Verne pour son roman « Cinq semaines en ballon » (1863).2

Félix Nadar (1820-1910), photo domaine public

Le bateau navigue ensuite sous pavillon français sur la Marne pendant la guerre avec la Prusse puis sur le Rhin après avoir été réquisitionné comme butin de guerre. Ses aventures prennent fin brusquement en 1874. Suite à l’explosion de sa chaudière le Hableány sombre. Selon d’autres sources, le bateau aurait été coulé par un boulet prussien alors qu’il naviguait sur la Marne.
Cet exploit d’Ödön Széchenyi a peut-être été l’une des sources d’inspiration de Jules Verne pour son roman « Le pilote du Danube » paru pour la première fois en 1901 et qui a été remanié par son fils Michel Verne (1861-1925) et publié dans sa nouvelle version en 1908 sous le titre « Le beau Danube jaune« . Jules Verne s’inspira toutefois en grande partie du récit de voyage de l’hisrorien et homme politique français Victor Duruy (1811-1894), accompli en 1860, « De Paris à Bucharest » que la revue Le Tour du monde publia de 1861 à 1862, illustré par D. Lancelot.
Une réplique du « Hableány » construite en 2000 navigue sur le Balaton sous le pavillon de la Balaton Cruise Ship Ltd en tant que seul bateau à vapeur à roues à aubes sur ce lac.

Un accident tragique sur le Danube à Budapest
On se souviendra que le « Hableány » était aussi un petit bateau de promenade de conception soviétique qui, par une soirée de printemps pluvieuse, le 29 mai 2019, fut éperonné par le navire de croisière Viking Sigyn un géant de 135 mètres, sous le pont de l’île Marguerite à Budapest. Le Hableány coula très rapidement. Les fortes pluies et les courants entravèrent les efforts de sauvetage. Sur les trente-trois touristes sud-coréens et les deux membres d’équipage présents à bord ce soir-là, seules sept personnes purent être secourues.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour octobre 2025

Polka « Hableány » d’Ödön Széchenyi :
https://youtu.be/keKMzxRU4nU

Notes :
1
Après la mort de son père exilé en Autriche il s’installe à Pest et suit ses traces. Il devient le président du comité pour la création du Théâtre populaire de Buda et est membre actif du comité de l’Association nationale du yachting. Pour attirer plus d’adeptes du yachting il compose des morceaux de musique tels que le quatuor Régate, la polka Hableány (Syrène), et la valse Katinka etc. Il fonde le Groupement commercial et industriel hongrois ainsi que la Première société hongroise de voyageurs.

En 1860 un incendie se déclara à Nagycenk puis à Fertőszentmiklós. 98 maisons furent détruites par le feu. Széchenyi participa à l’extinction du feu et fut très touché par la détresse des gens et par les dégâts considérables.
   En 1862 il est nommé vice-commissaire du gouvernement hongrois et participa l’Exposition Universelle de Londres. Il reçoit une formation de pompiers dans la capitale anglaise. Széchenyi est promu au grade de brigadier, obtient le certificat de pompier. Puis il étudie l’organisation des pompiers et les dispositions du service de sécurité incendie dans différents pays européens.
   En 1863 il élabora le projet de statut du Corps des pompiers bénévoles de Pest et se chargea personnellement de la cueillette de fonds. L’écrivain français Alexandre Dumas qui effectua une visite en Hongrie contribua à ce projet humanitaire et utilitaire. Széchenyi lui offrit une épée de parement. Le service des pompiers bénévoles dont il devint le commandant démarra officiellement en 1870 à Pest. L’Union nationale des pompiers bénévoles fut fondée en 1871.
Ödon Széchenyi étudie les voies fluviales de l’Europe dans la perspective de relier la Mer Noire à l’océan Atlantique.  L’aménagement d’une voie fluviale internationale fut le rêve de son père. Ils sont les premiers à traverser l’Europe par voie fluviale. Napoléon III et l’impératrice Eugénie firent une promenade sur la Seine à bord du vapeur.  L’exploit de la traversée sera répété par une équipe de sportifs hongrois 110 ans plus tard.
En tant que membre du conseil des travaux publics il fut le promoteur de la construction du funiculaire à vapeur de Budavár sur le Mont de château. Inauguré le 2 mars 1870 etdeuxième funiculaire de l’Europe fonctionne jusqu’à 1944. Il est rouvert en juin 1986.
Le chemin de fer à crémaillère de Svábhegy conçu par N. Riggenbach est inauguré le 24 juin 1874 à Buda.
Széchenyi a l’idée de construire des foyers d’ouvrier, de remplacer le tramway à cheval par la voiture à vapeur. Il est aussi le promoteur de la télégraphie privée en Hongrie.
Le sultan ottoman Abdulaziz charge Széchenyi en 1874 de constituer le corps des pompiers d’ Istanbul..En 1878 il est promu colonel par le sultan Abdülhammid II puis en 1880 il accéde au rang de Pacha. En 1899 il est décoré du Grand ruban de l’ordre de l’Osmanie. Il est nommé commandant en chef des régiments de pompiers et du bataillon de marins-pompiers ainsi que général commandant en chef de la de la Turquie impériale.
Ödön Széchenyi est enterré au secteur catholique du cimetière chrétien Feraköy à Istanbul.
2 Un des héros de « De la Terre à la Lune » et d' »Autour de la Lune », romans parus en 1865 et 1869, s’appelle d’ailleurs Michel Ardan, anagramme de Nadar, sources Wikipédia.

Sources :
Dr. Balogh Tamás, Összefoglaló a brit flottaparádékról és az azokkal összefüggõ magyar katonai tradíció múltjáról, lehetséges jövõjérõl
Merci à Dániel Szávost-Vass pour les informations mises à disposition à propos du voyage fluvial de Budapest à Paris du comte Ö. Szechényi sur le site http://dunaiszigetek.blogspot.com  
http://kriegsmarine.hu

Histoire-du-livre.blogspot.com
www.hajoregiszter.hu

Maquette du Hableány, photo droits réservés

Retour en haut de page