Histoire de petites et de grandes confluences…

La confluence de l’Inn avec le Danube à Passau (Bavière) au point kilométrique 2225, 20, objet de contreverses, photo © Danube-culture, droits réservés

« Passau est au confluent de trois cours d’eau ; la petite Ilz2, surnommée « La perle noire » en provenance du massif de la Forêt Bavaroise, et le grand Inn3 s’y jettent dans le Danube. Mais pourquoi le fleuve formé de leurs eaux mêlées, et qui s’écoule vers la mer Noire, doit-il s’appeler et être le Danube ? Il y a deux siècles Jacob Scheuchzer4, dans son « Hidrographia Helvetiae », page 30, observait que l’Inn à Passau, est plus large et plus profond que le Danube, avec un débit plus fort, et même derrière lui un parcours plus long. Le docteur Metzger et le docteur Preusmann, qui ont mesuré en pieds la largeur et la profondeur des deux cours d’eaux, lui donnent raison. Donc le Danube est un affluent de l’Inn, et Johann Strauss est l’auteur d’une valse intitulée « Le bel Inn bleu » — l’Inn après tout pourrait revendiquer à plus juste titre cette couleur. Ayant décider d’écrire un livre sur le Danube, je ne puis évidemment souscrire à cette théorie, de même qu’un professeur de théologie dans une faculté catholique ne peut nier l’existence de Dieu, objet même de sa science… »
Claudio Magris, « Le beau Danube ou le bel Inn bleu ? »,  in Danube, Gallimard, Paris, 1988

Confluence de l’Ilz (40 km) avec le Danube à Passau (rive droite). La fougueuse Inn et la sombre Iltz semblent regretter de mélanger leurs eaux à celles du fleuve, photo © Danube-culture, droits réservés

« Aimer, pour un fleuve, cela consiste précisément à se jeter dans les « bras d’un autre fleuve ». Les confluents sont des lieux de conjonctions amoureuses et les « eaux mêlées » le symbole de l’union absolue. Le fleuve, en effet, possède le privilège de pouvoir s’unir si complètement à sa partenaire aquatique qu’il est ensuite impossible de distinguer les deux conjoints. C’est une aventure de cet ordre qu’Ovide nous décrit dans la belle histoire de la fontaine Aréthuse. »
Jacques Lacarièrre , Au coeur des Mythologies, 

   Un fleuve, une rivière, un cours d’eau renaît de chacune de ses confluences, même de la plus insignifiante d’entre elles en apparence. La preuve en est que sur le Haut-Danube allemand ce sont les confluences successives de petits ruisseaux et rivières comme l’Elta (15, 8 km, rive gauche), le Wulfbach (2, 5 km, rive gauche), la Bära (26, 3 km, rive gauche), le modeste Schmidtenbrunnenbach (rive gauche), le Belzbach (rive droite), la Schmiecha ou Schmeie (41, 4 km, rive gauche), le Lauchert (60, 3 km, rive gauche), l’Ablach (41, 3 km, rive droite), l’Ostrach (33, 1 km, rive gauche), le Biberach (le ruisseau des castors, rive gauche), la Schwarzach (22, 1 km, rive gauche), le Kanzach (25, 8 km, droite), la Zwiefalter Aach (8, 9 km, rive gauche), le Hasentalbach (le ruisseau de la vallée des lièvres, rive droite), le Braunsel (1 km, rive gauche), un des plus courts affluents directs du Danube dont 32 sources sont l’origine (!), le Marchbach (rive droite), le Lauter (42, 3 km, rive gauche), le Hühlbach (rive droite), l’Algershofer Bach (rive gauche), le Stehenbach (7, 7 km, rive droite), la Schmiech (25 km, rive gauche à ne pas confondre avec la Schmiecha), le Mühlbach (rive gauche), la Riess (rive droite, 49 km), le Donauriederbach (rive gauche), la Westernach (6, 6 km, rive droite), la Rot (55, 5 km, rive droite), l’Erlbach (8, 8 km, rive gauche), le Kreutwiesenbach (rive droite), la Weihung (29, 9 km, rive droite), le Rötelbach (rive gauche), qui, avec quelques autres affluents encore plus discrets, « ressuscitent » miraculeusement en amont d’Ulm (Bade-Wurtemberg) et du confluent avec l’Iller5 (147 km, rive droite), un Danube parfois bien mal en point après les pertes dans le sous-sol karstique du plateau du Baar (Jura souabe) entre Immendingen et Möhringen, pertes qui profitent entretemps à son « rival » le Rhin6 et à son bassin voisin.
   C’est aussi de la confluence sur la commune de Donaueschingen de deux petites rivières de la Forêt-Noire, la Breg et la Brigach qu’est issu le Danube.
   « En général, le flux d’eau qui provient d’une confluence garde le même nom que le courant d’eau qui, en amont de la confluence elle-même, a un plus grand débit. Il existe toutefois un certain nombre d’exceptions, par exemple lorsque le cours d’eau qui coule en aval de la confluence prend un nouveau nom tel le fleuve Amazone, qui nait de la confluence de la rivière Ucayali avec le rio Marañón. Il arrive aussi que le cours d’eau d’un débit inférieur garde son nom en aval de la confluence comme dans le cas de la Seine qui, en appliquant la règle de la plus grande étendue, devrait prendre le nom d’Yonne dans la section suivant la confluence avec cette dernière.

Confluence de la Breg avec la Brigach, toutes deux enrichies des nombreuses sources jaillissant du sous-sol karstique dans le parc du château de Donaueschingen (Bade-Wurtemberg et en amont de petits ruisseaux. Combien ce Land allemand porte bien son nom !. De ce confluent modeste naît le Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le lit du fleuve ou de la rivière est en aval de la confluence généralement plus étroit que la somme de la largeur des deux cours d’eau en amont. Cette étroitesse est compensée par une plus grande profondeur du lit et un courant plus rapide.
La confluence entre deux cours d’eau d’une certaine importance a souvent créé les conditions favorables pour la construction de villes fortifiées facilement défendables et, dans le cas des fleuves ou rivières navigables, pu favoriser économiquement et commercialement les opportunités offertes par la navigation fluviale.
   Il peut arriver que, sur des distances plus ou moins grandes en aval d’une confluence, on puisse distinguer les eaux des deux cours d’eau qui se sont joints et ce du fait d’une coloration différente liée à la quantité et aux caractéristiques des sédiments en suspension. Tel est précisément le cas en aval de la confluence de l’Inn avec le Danube. Les deux contributeurs (le tributaire et le distributaire) deviendront peu à peu ou rapidement indiscernables l’un de l’autre en s’écoulant vers l’aval.
   Parmi les différents exemples de villes ayant exploité ce type de situation géographique singulière, on trouve Lyon (confluence Rhône-Saône), Coblence (confluence Rhin-Moselle), Passau (double confluence Danube-Ilz et Danube-Inn), Linarolo (confluence Pô-Tessin), Wuhan (confluence Han-Fleuve Azzurro), Belgrade (confluence Danube-Sava) et bien d’autres.
La confluence entre le Bhagirathi et l’Alaknanda (Inde), qui donne naissance au Gange, est particulièrement spectaculaire.
Certains confluents ont disparu en raison des changements climatiques et de la montée des eaux ou de phénomènes d’envasement comme le Merwede (delta de la Meuse et du Rhin) ou comme le confluent de la Meuse et du Waal qui a été endigué à partir de 1904. »

Confluence du Lech (256 km) avec le Danube à la hauteur du village bavarois de Marxheim, photo © Danube-culture, droits réservés

Rappelons que le Danube compte plus de 300 affluents importants parmi lesquels l’Iller, le Lech, l’Isar, l’Inn, la Wörnitz, l’Altmühl, le Regen, la Traun, l’Enns, la Leitha, la Morava, le Váh, la Rába, la Drava, la Tisza, la Sava, le Jiu, l’Olt, le Siret, le Prout, l’Iskar, le Vit et l’Osum. 34 d’entre eux sont navigables ou ont été navigables…. Son cours, à l’image de la plupart des fleuves terrestres, est en fait une succession de confluences plus ou moins importantes qui participent de sa métamorphose.

Notes :
1CONFLUENCE, nom féminin

Étymologie : xve siècle. Emprunté du bas latin confluentia, « afflux », de confluere, « confluer, affluer ». Le fait de confluer. La confluence de deux rivières, de deux glaciers. Par analogie, la confluence de plusieurs colonnes de manifestants. Fig. La confluence de deux courants de pensée. Sources : Dictionnaire de l’Académie française, neuvième édition
https://dictionnaire-academie.fr/article/A9C3533
2 Die Ilz (40, 3 km)

3 Der Inn (517 km)
4 1672-1733, médecin philosophe, naturaliste et professeur de physique suisse
5 datée de 1717
6 Un des multiples hydronymes aux origines celtes (Ilara, saint). Les fleuves étaient avec les sources, les fontaines, l’eau en général sacrés pour ce peuple de l’Antiquité. « G. W. Leibniz affirmait : « Et je dis en passant que les noms des rivieres, estant ordinairement venus de la plus grande antiquité connue, marquent le mieux le vieux langage et les anciens habitans, c’est pourquoy ils meriteroient une recherche particulière ».Cité par Udolph Jürgen, Bodé Gérard dans son article « Les hydronymes paléoeuropéens et la question de l’origine des Celtes. ». In: Nouvelle revue d’onomastique, n°52, 2010. pp. 85-121.
www.persee.fr/doc/onoma_0755-7752_2010_num_52_1_1535

Sources :
www.aquaportail.com/definition-5569-confluent.html

Confluence de la Morava ou March tchéco-austro-slovaque (358 km) avec le Danube (rive gauche) au PK , photo © Danube-culture, droits réservés

Voir également sur le site l’article sur les principaux affluents du Danube :
danube-culture.org/principaux-affs-du-danube

Eric Baude, Danube-culture, © droits réservés, juillet 2022

Le temple du Walhalla, le temple de la libération et le Danube bavarois entre Ingolstadt, Regensburg et Passau

   Après avoir laissé Ingolstadt, où bat le coeur de la Bavière historique ancienne capitale ducale avec son enceinte fortifiée (bastion) dont on ne sait si elle protégeait plus la ville des envahisseurs que des crues légendaires du fleuve et dans la forteresse de laquelle fut emprisonné pendant la Première Guerre mondiale celui qui n’était à cette époque que le capitaine de Gaulle, on suit le fleuve sur la rive droite et traverse tout d’abord la petite ville de Vohburg et ses quatre tours historiques. Un pont ou le petit bac saisonnier d’Eining permet de changer de rive et de découvrir sur le plateau au nord de Pförring (rive gauche) les ruines de Celeusum, un ancien camp romain fortifié avec des thermes. Les Romains connaissaient bien également les vertus des eaux sulfureuses de Bad Gögging (rive droite). Toujours sur la même rive droite un autre camp fortifié romain, celui d’Abusina, érigé en 80 après J.-C., détruit en 250 par les Alamans puis reconstruit est  le mieux conservé de tous les camps romains de la Bavière. Entre Eining et Weltenburg d’autres vestiges de la présence des Romains ont été conservés sur la rive gauche. Avec les reliefs de l’Altmühltal que le Danube franchit à travers un étroit défilé que les bateliers d’autrefois franchissaient difficilement vers l’amont avec leurs « Zille » au moyen d’ anneaux fixés dans les parois rocheuses. Au pied de la colline Wûrzberg et le Danube, surveillant le fleuve et dont l’architecture se plie au dessin d’un méandre vigoureux se tient l’abbaye bénédictine de Weltenburg sur la rive droite et ses frères brasseurs (quoi d’étonnant quand on sait qu’elle a été fondé par des moines irlandais et écossais !) en amont de Kelheim (rive droite) et à l’entrée du dernier défilé karstique de Souabe qu’affronte le Danube. Les abbayes ou anciennes abbayes sont une constante dans le parcours du Haut-Danube. Elles rappellent combien ces paysages de Bavière sont des terres catholiques.

L’abbaye bénédictine de Weltenburg, photo droits réservés

Sur le Frauenberg voisin de l’abbaye (Montagne des femmes) les Romains ont construit une forteresse à l’époque où le fleuve était une des principales de frontière (Limes) de l’Est de l’empire. L’abbaye, fondée vers 610,est baroquisée au XVIIIe. Son église Saint-Georges est un pur chef d’oeuvre du Rococo bavarois dû au génie artistique et au sens du « theatrum sacrum » des frères Cosmas Damian (1686-1739) et Egid Quirin Asam (1792-1750). Sur le Frauenberg a été également érigée, à l’emplacement des fondations d’un ancien temple romain une première chapelle elle-même reconstruite à l’époque où l’abbaye est rénovée dans le style baroque.
La plus ancienne abbaye de la Bavière joue le rôle d’une gardienne régulièrement inondée des portes d’un Danube quelque peu surpris par le relief karstique qui s’est mis en travers de son chemin.

Saint-Georges dans le choeur de l’église baroque décorée par les peintres, sculpteurs et stucateurs  Cosmas Damian et Egid Quirin Asam, photo © Danube-culture, droits réservés

Au-delà des portes du Jura souabe qui ferme le passage sauf au Danube, s’impose dans le paysage la pompeuse et quelque peu surprenante « Befreiungshalle », Temple de la Libération ou de la délivrance (du calvaire napoléonien) au sommet d’une éminence de la rive gauche. Proche de deux sites celtiques sur le Michelsberg, achevé en 1863 ce monument est la concrétisation du souhait de Louis Ier de Bavière (1786-1868) de faire édifier à cet endroit précis un édifice dédié à la victoire de Leipzig (1813) contre ce qui restait des armées napoléoniennes après la désastreuse campagne de Russie.

La Befreiungshalle (Temple de la Libération), inaugurée le 18 octobre 1863, photo © Danube-culture, droits réservés

En forme de polygone de 18 côtés soulignés par 18 pilastres sur chaque sommet desquels se tient une korè (sculpture) symbolisant les 18 peuples ayant participé à la libération de l’Allemagne du joug napoléonien. Au dessus des korès, un péristyle de 48 colonnes (3 x 18 colonnes) puis à nouveau au dessus du péristyle 18 autres pilastres surmontés de trophées. L’illusion réussie d’un monument en marbre, alors qu’il est en brique, contrairement au Walhalla, est due au crépi et à la peinture qui prend soin d’imiter des blocs de marbre. Un escalier de 84 marches conduit à l’entrée monumentale qui débouche sur une salle intérieure toute de véritable marbre cette fois, haute de 49 mètres et surmontée d’une coupole. Au sol se trouve l’inscription : « Puissent les Allemands ne jamais oublier ce qui a rendu nécessaire le combat pour la libération et par quoi ils ont vaincu. »

Deux des 34 victoires posant tendrement leurs mains sur le bouclier de bronze symbolisant la victoire de Waterloo du 18 juin 1815… Photo © Danube-culture, droits réservés

18 niches placées sur un socle décorent la partie inférieure de la salle avec 34 statues victorieuses toutes différentes les unes des autres qui se donnent la main ou brandissent des boucliers de bronze. Des plaques avec les noms des généraux et des forteresses conquises dominent les niches. La seule source de lumière naturelle avec le portail d’entrée est une lanterne en verre au sommet de la coupole.

La coupole en caissons de la Befreiungshalle et la lanterne à son sommet, photo © Danube-culture, droits réservés

Un escalier part sol et permet d’accéder au péristyle intérieur et à la balustrade extérieure d’où la vue exceptionnelle s’ouvre sur la vallée du Danube et les environs. Le monument, construit sur les plans de l’architecte Friedrich Wilhem von Gärtner (1791-1847) puis achevé par Leo von Klenze (1784-1864), fut inauguré à l’occasion du cinquantième anniversaire de la bataille des Nations et de la victoire de la coalition alliée à Leipzig, le 18 octobre 1863.

Kelheim qui se trouve au pied de l’édifice, était connue au temps de la navigation d’avant l’invention de la vapeur pour son port sur le Danube d’où partaient autrefois, avant que la portion amont entre Ulm et Kelheim ne s’ouvre au trafic fluvial, les bateaux (« Kelheimer ») transportant diverses marchandises vers les grandes villes de l’aval possède un intéressant patrimoine historique du début de l’ère industrielle, une  autre initiative du même entreprenant Louis Ier de Bavière répondant au nom de Ludwig Kanal (Canal du roi Louis). Kelheim marque également  l’entrée (ou la sortie…) du nouveau canal Rhin-Main-Danube (ancien confluent de la rivière Altmühl avec le Danube).

Le canal Louis en juin 1916 lors de la visite d’Albert III de Bavière, photo d’archives

Le fleuve continue à serpenter dans un relief s’apaisant peu à peu puis rejoint Ratisbonne (Regensburg). L’ambiance de l’ancienne « Radasbona » celte ou « Castra Regina » romaine (les historiens ne mentionnent pas moins de soixante-dix noms différents pour Regensburg !) contraste et allège joyeusement le souvenir de la « Befreiungshalle ».

Le vieux pont de pierre légendaire de Regensburg (Ratisbonne), photo © Danube-culture, droits réservés 

Ratisbonne qui s’enorgueillit d’avoir accueilli Saint Emmeran, Charlemagne (vers 742-814, adepte de la natation dans le Danube), les croisades, Frédéric Barberousse (1122-1190), Charles Quint (1500-1558), son fils illégitime Don Juan d’Autriche qui y est né, le peintre Albrecht Altdorfer (vers 1480-1538), maître de l’École dite « du Danube », Johannes Kepler (1571-1630), brillant mais infortuné astronome, les empereurs Napoléon Ier, Guillaume Ier de Hohenzollern (1797-1888), François-Joseph de Habsbourg (1830-1916) et les princes de Thurn und Taxis (ils y sont établis depuis 1748), plus récemment le cardinal Joseph Ratzinger devenu pape sous le nom de Benoît XVI (2005), eut les honneurs de la diète impériale du Saint Empire Romain Germanique de 1663 à 1806 mais subit aussi des épidémies de peste, les désastres de la guerre de Trente ans et autres conflits.

Statue de Don Juan d’Autriche (1547?-1578), fils illégitime de Charles Quint et de Barbara Blomberg, copie du monument érigé à Messine à la gloire du vainqueur de la flotte turc à la bataille navale de Lépante (1571), photo © Danube-culture, droits réservés

Son vieux pont « mémoire » de seize arches datant du XIIe siècle (1135-1146), le « Steinerne Brücke », le pont le plus ancien encore en place sur le Danube, véritable talisman de Ratisbonne, long de 330 m, doté de son propre sceau (aujourd’hui celui de l’université) et qui n’a jamais été détruit, illustre l’importance de la cité dans l’histoire des échanges et du commerce en Europe et au-delà. Ratisbonne est aujourd’hui une vieille dame alerte classée au patrimoine mondiale de l’Unesco (2006) pleine de charme et d’entrain et le Danube n’y est évidemment pas étranger. Située au au point le plus septentrional du cours du fleuve, elle n’en témoigne pas moins d’un art de vivre quasi méridional.

En amont du vieux pont de pierre, sur le Danube une réplique de Kelheimer motorisée, photo © Danube-culture, droits réservés

En continuant à descendre le fleuve, sur un promontoire de la rive gauche escarpée, à la hauteur de Donaustauf se tient une autre réalisation architecturale due à ce même roi  que bavarois bâtisseur et patriote (oncle de « Sissi » et de François-Joseph), tout aussi pompeuse que la « Befreiungshalle » en amont, le « Walhalla » ou temple de l’honneur construit entre 1830 et 1841 sur les plans de l’architecte officiel du monarque, Leo von Klenze (1784-1864). Le nom donné au monument fait référence au séjour des morts de la mythologie germanique.

Le Walhalla depuis la rive gauche du Danube, photo © Kerstin Dittmann, droits réservés

En style néodorique, entièrement en marbre le temple, accessible depuis le Danube par un sentier et un escalier de 358 marches n’est pas sans une certaine ressemblance avec le Parthénon.

L’intérieur du Walhalla en marbre polychrome, photo © Danube-culture, droits réservés

L’architecte y a convoqué cariatides, Walkyries, Victoires et autres symboles dans l’intention peut-être de de rompre l’ennui des 131 héros et héroïnes (13 seulement…) germaniques parmi lesquelles les peintres flamands Jan van Eyck (1390-1441) et Peter Paul Rubens (1577-1640), saint Nicolas de Flüe (1417-1487), le philosophe hollandais Erasme (1466/69 ?-1536), les compositeurs autrichiens Joseph Haydn (1732-1809), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Franz Schubert (1797-1828) et Anton Bruckner (1824-1896) qui, figés avec la statue de Louis Ier de Bavière pour la postérité, se regardent (ou s’ignorent…) dans une ambiance solennelle et un silence qui seraient pétrifiants, s’ils n’étaient interrompus par les exclamations et les bruits de pas des visiteurs.

Un médiocre buste de Mozart… photo © Danube-culture, droits réservés

Aux 131 bustes s’ajoutent 64 plaques commémoratives. De nouvelles personnalités de langue allemande sont régulièrement accueillies sur la décision du conseil des ministres du Land de Bavière.

William  Turner, le Danube et le temple du Walhalla

Après ce passage par la mythologie germanique, l’élégante tour chinoise du jardin princier de Donaustauf, en contrebas du « Walhalla », engendre une des plus rafraîchissantes et étonnantes surprises du Danube bavarois.

La tour chinoise de Donaustauf (Bavière), photo © Danube-culture, droits réservés

Les coteaux danubiens ont changé de physionomie et les premières vignes (Bach/Donau) ont fait leur apparition, indice d’une direction méridionale prise par le fleuve et d’une exposition favorable dans une Bavière plus connue pour ses brasseurs que ses vignerons. Miracle danubien !

Straubing, gravure de Michael Wening (1645-1718)

C’est à Straubing (rive droite), ex place forte romaine, trésor médiéval et Renaissance que se joua le destin, à l’âge de vingt-cinq ans, de la douce, belle mais roturière Agnès Bernauer (1410-1435). Elle eut le malheur de faire chavirer le coeur du duc Albert III de Bavière (1401-1460) mais pas celui de son cruel père Ernest (1373-1438). Soucieux de s’en tenir scrupuleusement à la suprême raison d’État  celui-ci organisa avec un juge à sa solde le procès pour sorcellerie de sa belle-fille et la fit noyer dans le Danube.

Tableau d’un peintre inconnu d’Augsbourg du XVIIIe d’après un modèle du XVIe siècle

Mais le fleuve et ses eaux rédemptrices et protectrices des innocents prirent le parti de la belle Agnès et le supplice fut difficile à exécuter. Le duc Ernest, pris de remord ou admiratif de la fidélité d’Agnès pour son amour, lui fit ériger en 1436 une chapelle (cimetière Sankt Peter) puis se retira de la vie publique peu de temps après. Le hasard fit naître à Straubing un personnage au destin plus heureux que celui de la belle Agnès, le premier « papageno » de la Flûte enchantée de Mozart, acteur et directeur de théâtre, Emanuel Shikaneder (1751-1812).

La petite ville de Deggendorf est aux lisières de la forêt de Bavière (« Bayerischer Wald »). Le fleuve, depuis longtemps haut-lieu de navigation sur ce parcours, a la sagesse de contourner ce massif par le sud en se dirigeant tranquillement vers Passau la sublime, là où les eaux du Danube se mélangent à celles fougueuses de l’Inn et aux noirs reflets de l’Ilz.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour avril 2022

Kasparus Karsen (1810-1896), vue de Passau sur le Danube, 1858,  huile sur toile

 Note :
1  « Kelheimer » est le nom spécifique pour le plus grand modèle de «Zille», nom générique pour une embarcation typique de diverses tailles mais de même construction qui a navigué sur le Danube et ses affluents jusqu’après l’invention des bateaux vapeur. Elle est encore construite de nos jours.  C’est à Kelheim que furent construites ces grandes « Zille » qui pouvaient atteindre une longueur de 30 mètres. Elles permettaient de convoyer, en train de bateaux  ou en embarcation unique, jusqu’à deux tonnes de différentes marchandises (vin, sel, matériaux de construction…). Les « Kelheimer » étaient difficiles,  de par leur dimension, à haler vers l’ amont. Les équipages   pouvaient mettre à certains endroits du cours du fleuve en raison de son débit et de la morphologie des rives un temps considérable pour effectuer les manoeuvres et nécessitaient  parfois la force de soixante chevaux reliés aux bateaux par un système de cordages. 

Un Danube facétieux : des pertes et une capture au profit du bassin du Rhin

Pertes d'Immendingen

« Ici s’enfonce sous terre le Danube environ 155 jours par an » photo Wikipedia

   Avant même de recevoir les eaux d’un premier affluent important, les deux tiers des eaux du jeune Danube s’engouffrent brusquement à la hauteur de la commune d’Immendingen dans plusieurs failles du sous-sol karstique du Jura souabe.

Le Danube en aval d’Immendingen (BadeWurtemberg) avant ses pertes, photo © Danube-culture, droits réservés

Pertes d'Immendingen, aval

Le Danube après ses pertes d’Immendingen, photo © Danube-culture, droits réservés

   Elles réapparaissent tout aussi soudainement à Aach (Bade Wurtemberg) dans la région volcanique du Hegau sous la forme d’une résurgence au débit conséquent (10 000 l/seconde), à une distance de 12 kilomètres, une soixantaine d’heures plus tard, via un réseau souterrain. 

La résurgence des eaux danubiennes à Aach dans le Hegau considérée comme la source de la Radolfzeller Aach, affluent indirect du Rhin, photo Wikipedia

Schéma du parcours souterrain des eaux captées lors des pertes du Danube, sources Wikipedia

Cette résurgence appelée « Achtopf » et considérée comme une source alimente les eaux d’un affluent indirect du Rhin, la Radolfzeller Aach (32 km) qui vient confluer indirectement avec celui-ci en se jetant à la hauteur de Rudolfzell dans le lac de Constance par lequel le Rhin transite. Les deux tiers de cette source proviennent des pertes du Danube.

Les eaux du Danube transitent ainsi « clandestinement » par ce réseau souterrain pour aller rejoindre le bassin voisin du Rhin, illustrant, après celui des pertes, un étonnant phénomène de capture.

La confluence de l’Aach dans le Bodensee (cac de Constance), photo droits réservés

   Le lit du Danube, asséché sur plusieurs kilomètres au-delà des pertes d’Immendingen en période d’étiage, période pouvant durer entre 155 et 200 jours par an, est réalimenté à la hauteur de Tuttlingen-Möhringen par les eaux du Krähenbach puis par celles de l’Elta à Tuttlingen, deux ruisseaux de la rive gauche. Une autre perte dans le même sous-sol karstique, à proximité de Friedingen, en aval de Tuttlingen, conduit par un réseau similaire à la même résurgence.
Ces pertes et cette capture par le bassin voisin du Rhin ont engendré autrefois une querelle entre les habitants d’Immendingen-Tuttlingen et ceux d’Hegau puis un procès entre les États de Bade et de Wurtemberg, aujourd’hui réunis dans un Land commun.
« Avec un colorant, on a établi que ce passage du Danube au bassin du Rhin dure environ soixante heures. Personne ne reprochera aux habitants de la région d’Immendingen-Tuttlingen d’avoir cherché à contenir dans certaines limites, avec des barrages et des conduites, cette « perte du Danube ». À Hegau, en revanche, on a émis des protestations, et, en 1927, on en vint même à un procès entre les États de Bade et de Wurtemberg. Aujourd’hui, deux galeries assurent à la vallée du Danube une quantité d’eau minimale d’eau ; mais au cours des étés secs, le lit de la rivière présente encore l’aspect d’un désert de pierre à peine mouillé. »
Hans Peter Treichler, Georg Stärk, Le Danube, Éditions Mondo SA, Lausanne, 1983

Voir également sur ce même site :

Le réseau hydrographique du Haut-Danube

Eric Baude, mars 2018, droits réservés, révisé novembre 2021

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