Devín, forteresse médiévale

« Toute la matinée, bien avant que d’atteindre Pressburg, nous voyons à l’horizon monter une épaisse et lourde fumée, c’était un incendie ; la moitié de Theben a brûlé ce jour-là ; c’est vers le coucher du soleil que nous atteignîmes ce lieu, l’un des plus pittoresque de tout le trajet. Au sommet de la montagne, se trouve une ruine, certainement la plus belle de toutes celles du Danube. Rouge, le soleil couchant brillait sur les routes humides des moulins, qui, en raison de leur mouvement, semblaient faites d’or repoussé. Tout ici n’était que verdure et parfums ! Quelle beauté, quelle grandeur dans toute la nature ! La Theben hongroise est un petit îlot tombé du ciel, or voici que toute cette beauté n’était plus que détresse et lamentations, la moitié de la ville était plongée dans l’horreur et les cendres… »
H. C. Andersen, « Sur le Danube », in Le bazar d’un poète, Domaine romantique, José Corti, Paris, 2013

Carte historique : Thèbes, au confluent de la rivière March (Morava) avec le Danube. Copie en noir et blanc de la feuille du (troisième) relevé topographique national de la monarchie austro-hongroise sous François-Joseph. Levé en 1883. Feuille de carte graduée Zone 13 Colonne XVI Section NW (a), partie hongroise (plus tard 4758/1 UNG). Échelle : 1:25.000.

 « Le Danube entre en Hongrie à l’embouchure de la March (Morava), à environ 50 kilomètres de Vienne. Dès la frontière, les ruines pittoresques de l’ancienne  forteresse de Thèbes (Dévénn) apparaissent sur la rive gauche. Elles se dressent sur un rocher calcaire, contrefort rocheux des Carpates du nord-ouest, les fameuses Carpates blanches sur le versant du Kobelberg, au confluent de la rivière avec le Danube. Ce château-fort était autrefois un fier et solide rempart de la région, mais il n’est plus aujourd’hui qu’un motif bienvenu pour le pinceau des peintres. Le rocher sur lequel les ruines de la forteresse se dressent a pris de l’importance en raison d’une grande carrière qui fournit les pierres nécessaires à la construction des ouvrages destinés à maîtriser le cours impétueux du Danube.
Ce bastion a connu bien des déboires avant que les Français ne le fassent sauter à la poudre en 1803. Et ce fut le dernier rôle que le château de Thèbes joua dans l’histoire. Ces montagnes rocheuses abritent également des vestiges bien plus anciens. En effet, des restes d’animaux et de coquillages ont été trouvés dans ses grottes, ce qui prouve que cette montagne était autrefois la rive de la mer d’eau douce qui recouvrait la plaine hongroise. Dans ses éboulis, on a également retrouvé des cendres, des morceaux de bois carbonisés et des gobelets qui, selon certains, seraient d’origine romaine.
Au pied de la montagne du château, au sud, dans une charmante vallée, se trouve le bourg de Thèbes, dont les habitants, depuis les plus anciens, sont de bons viticulteurs et arboriculteurs, et encore plus de bons bateliers. Les bateliers de Thèbes formaient autrefois une corporation particulière, dont les lettres de privilège et autres documents existent encore…
« Le Danube hongrois » (Die ungariche Donau), in Die österreichisch=ungarische Monarchie in Wort und Bild, Ungarn (IV. Band), Druck und Vertrag der kaiserlich-königlichen Hof=und Universitätsbuchhändler, Wien 1896, pp. 17-86

Une légende
« Sur un rocher mince et droit comme un obélisque s’élève la tour de la Nonne [ou tour de la Vierge], autrefois reliée au château par un pont-levis et maintenant inaccessible. Voici, d’après une vieille légende, l’origine de son nom. Un des seigneurs de Thèbes, dans une expédition en Carinthie, s’éprit d’une jeune fille noble condamnée au cloître par sa famille. Il l’emmena à Thèbes et se préparait à épouser solennellement, quand un soir, à son retour de la chasse, il apprit par un de ses serviteurs que sa fiancée avait été surprise et enlevée par son oncle, l’abbé d’Isenberg, qui l’emmenait au couvent. Il rassembla à la hâte quelques cavaliers, se mit à la poursuite de l’abbé et, après un court et violent combat, reprit sa fiancée.
Le lendemain, ils attendaient tous deux dans la chapelle du château le prêtre qui devait bénir leur union, quand un serviteur vint leur apprendre que l’abbé d’Isenberg avait surpris, avec une troupe considérable, l’entrée du château. Le sire de Thèbes se retira dans la tour avec sa fiancée et s’y défendit avec courage. Mais ses hommes tombaient l’un après l’autre ; à minuit, l’abbé faisait enfoncer la dernière porte et pénétrait dans la tour. la jeune fille s’était réfugiée avec son fiancé à l’angle du parapet et demanda vainement à son oncle de consentir à leur union. L’abbé se précipita alors sur eux, mais ils avaient disparu soudain, et quand il plongea ses regards dans l’abîme, il ne vit que les flots qui se refermaient avec un bruit sourd sur les deux amants. »
Paul Lancrenon, Trois mille lieues à la pagaie, de la Seine à la Volga, chapitre VIII, « Le Danube, Paris, Librairie Plon, 1898

   Étymologiquement le nom slave de Devín que portent la forteresse et le village au pied de celle-ci, connu depuis le Moyen Âge qui  apparaît pour la première fois dans les Annales de Fulda, chroniques de l’époque carolingienne couvrant la période 715-901 sous le nom de « Dowina », est difficile à expliquer. Devín pourrait éventuellement provenir du substantif slovaque « deva » ou « dievka », signifiant  « jeune fille ». Certains auteurs slovaques émettent l’hypothèse que Devín aurait plutôt pour origine le nom de la déesse slave Deva. Devín aurait été le centre du culte autour de cette déesse. Ce nom aurait peut-être également un lien avec le verbe de la langue slovaque « dívat sa » (regarder). 

Johann Christian Brand (1722-1795), environ de la forteresse de Thèbe (Devín), au confluent de la Morava avec le Danube, huile sur toile, 1752

Des recherches archéologiques ont permis de découvrir que les lieux avaient été colonisés par les hommes dès l’ère néolithique, aux âges du bronze et du fer. Un camp celtique s’installe sur le promontoire par la suite et s’y développe. Un premier poste militaire romain (Divinium), tête de pont de l’importante ville-garnison de Carnuntum (rive droite), est consolidé et s’intègre dans le dispositif de défense du Limes romain contre les agressions des peuples barbares. La forteresse est érigée au VIIe siècle  à la frontière du puissant royaume de Grande Moravie (833-907), premier état slave européen. Ce royaume recouvrait en partie l’actuelle région de Moravie (République tchèque), l’ouest de la Slovaquie, une partie de la Hongrie ainsi que des territoires adjacents. De nouvelles parties complètent les fortifications initiales entre le XIIIe et le XVIe siècle. Après avoir connu plusieurs propriétaires issus de la noblesse, la forteresse est acquise par les Pálffy, une famille aristocratique de Haute-Hongrie en 1635.  Occupée quelques années, la forteresse est peu à peu délaissée. Les armées napoléoniennes la détruisent lors de la campagne d’Autriche de 1809. La tradition du pèlerinage national à la forteresse sera inaugurée par Ľudovít Štúr (1815-1856), une des personnalités éminentes de la Renaissance nationale slovaque au XIXe siècle, et ses compagnons le 24 avril 1836.

Les ruines de la forteresse seront vendus par ses derniers propriétaires pour une somme modeste à l’État tchécoslovaque en 1935.

La forteresse de Devín (Theben) sur son éperon rocheux, au confluent de la Morava avec le Danube, le bâtiment incongru à droite date de l’époque communiste et du « Rideau de fer », photo © Danube-culture, droits réservés

Après l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie (armée roumaine exceptée) de la Tchécoslovaquie en août 1968, quelques Slovaques courageux tentèrent de gagner la rive autrichienne et la liberté en plongeant dans le fleuve depuis les hauteurs de la colline. Le « Rideau de fer », à peine entrouvert, se refermait jusqu’en 1989 sur la dictature communiste qui fit surveiller inlassablement le Danube et la Morava par ses gardes-frontières et ses soldats. Un monument a été érigé en mémoire de celles et ceux qui tentèrent de fuir la République socialiste tchécoslovaque à cet endroit.

Le monument aux victimes de la dictature communiste lors de leur tentative d’évasion, photo droits réservés

La forteresse, monument historique national tchécoslovaque depuis 1961 puis slovaque depuis le 1er janvier 1993, appartient désormais au Musée municipal de Bratislava. Aménagée avec ses caves en musée elle sert également de lieu d’exposition et pour diverses manifestations et reconstitutions. Surnommée parfois la « Troie slovaque », elle demeure un symbole des débuts de la nation slovaque.

Le confluent de la Morava (March) avec le Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

Eric Baude pour Danube-culture, mise à jour novembre 2024, © droits réservés

Pratique
www.muzeum.bratislava.sk

La forteresse est ouverte au public sur la période d’avril à novembre tous les jours à l’exception des lundis de 10h00 à 17h00 et les samedis et dimanches de 10h00 à 19h00 (en avril, octobre et novembre de 10h00 à 17h00).

Comment s’y rendre ?
On peut accéder au site depuis Bratislava en voiture (direction Karlova Ves et Devín), en transport en commun (bus N° 29 depuis l’arrêt de bus situé sous le Nouveau Pont (Nový most), en bateau, à vélo ou à pied.

Le départ des excursions en bateau à lieu deux fois par jour depuis un embarcadère proche du centre ville, Fajnorovo nabřezie, (2 quai Fajnorovo).

Du 25 avril au 21 Mai et du 29 août au 17 septembre le bateau part exceptionnellement du port de Bratislava à 11h 00 et 14h 30. Les vélos sont acceptés à bord des bateaux.
LOD, compagnie de navigation slovaque : www.lod.sk
Cette compagnie assure également des liaisons avec Vienne (sous réserve)

Les amateurs de promenades peuvent revenir à Bratislava par un agréable itinéraire de deux heures à travers la campagne environnante de Devín. Cet itinéraire traverse également la réserve naturelle de Devínska Kobyla à la biodiversité remarquable. Il débute au niveau de Devín et s’achève à Sandberg colline fossilifère, dans le quartier Dubravka de Bratislava. De superbes points de vue sur Devín, le Danube, Bratislava et l’Autriche jalonnent cette belle promenade.

La « Devínska Kobyla » ou « Thebener Kogel », sommet avancé des Petites Carpates (514 m) qui domine la forteresse de Devín, forme avec la colline du Braunsberg (346 m) sur la rive droite un défilé du nom de « Porta Hungarica » reliant les Carpates aux Alpes et dans lequel s’écoule le Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

Rome et le Danube

« Établie sur le Rhin après la conquête des Gaules, complétée depuis 83 après J.-C. par l’organisation défensives des Champs Décumates1 qui couvrait le Main, le Neckar et le Jura souabe protégés par le limes2, la frontière de l’Empire romain s’établie beaucoup plus tard sur le Danube qui n’a été atteint qu’à la fin du règne d’Auguste.

Le « Limes » du Neckar, du Main et du Jura souabe

Cette frontière danubienne a toujours constitué le point à problème de la défense romaine : la conquête de la Pannonie a permis de contrôler la ligne de la Sava3 ainsi que la vieille route de l’ambre allant d’Aquilée (Aquileia, province d’Udine, Italie) sur l’Adriatique à Carnuntum, en aval de Vienne sur la rive droite du Danube et qui se poursuivait  jusqu’en Allemagne du Nord. Le soulèvement dalmate et l’échec des campagnes de Germanie ont empêché Rome de porter la frontière au-delà, faute d’effectifs qui ont toujours fait défaut par la suite. Le front du Danube moyen et inférieur est resté ainsi sous la menace constante des incursions des Daces et d’autres peuples frontaliers qui refusaient une coexistence acceptée au contraire par les Germains transrhénans plus ou moins romanisés.

Le roi dace Décébale, dessin du début du XXe siècle d’après les bas-reliefs de la colonne trajane de Rome, photo, domaine public

À partir de 86 après J.-C., ces hostilités permanentes menées par le roi dace Décébale qui réussit à anéantir une armée romaine et risquait de devenir l’âme de coalitions dangereuses sur une frontière difficile à défendre en raison du redent constitué par le coude du Danube vers le sud, déterminèrent l’empereur Trajan à la conquête de la Dacie qui nécessita les deux « guerres daces » (101-102 et 105-106). Les épisodes de cette difficile conquête au cours desquels a été construit le pont de pierre5 de Drobeta Turnu-Severin [dit « Pont de Trajan« ] dans les Portes-de-Fer sont retracés à Rome par les bas-reliefs de la colonne Trajan.

Détail de la colonne de Trajan: l’armée romaine traversant sur un pont le Danube, 113 ap. J.-C.

MARSIGLI  (1658-1730), Louis Ferdinand, Comte de, Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie, A La Haye, Chez Jean Swart, 1744

Le pont romain dit  » de Trajan » sur le Danube, reconstitution

La poussée barbare persista cependant et, à la faveur de l’anarchie militaire régnant à Rome, aboutit à l’effondrement du limes et aux catastrophes du IIIe siècle où Alamans et Goths ravagent l’Italie, les provinces danubiennes et la Grèce, et après lesquelles une frontière sûre ne put être établie qu’au prix de l’abandon de la Dacie et des Champs Décumates, ainsi que d’une pénétration pacifique mais dense de Germains installés dans l’Empire au titre de « fédérés », colons et militaires.

L’Empire romain en 117 après J.-C., droits réservés

Durant toute la période romaine, le Danube a vécu de la vie du limes [env. 5000 km à l’apogée de l’Empire], à la fois frontière jalonnée de camps militaires puis, à partir du IIIe siècle, défendue par des forteresses échelonnées en profondeur servant de point d’appui à de puissantes forces d’intervention, zone d’échanges de tous ordres avec le monde barbare et rocade militaire le long de laquelle se déplaçaient les troupes en opération et qu’empruntaient les transports destinés à leur ravitaillement. C’était une monde original, isolé des régions intérieures souvent moins peuplées, auquel une administration dense, une forte occupation militaire et des brassages incessants de population assuraient une profonde unité, formant une zone de développement économique continue des bouches du Rhin à celles du Danube, le long de laquelle se sont propagées les religions d’origine orientale, culte de Mithra et christianisme notamment.

Le Limes le long du Danube et ses forteresses chargées de défendre les frontières de l’empire ainsi que les provinces romaines entre 106 et 271/275 

Sur le Danube lui-même, Rome s’est manifestée dès le règne d’Auguste tout d’abord par la présence dans le delta d’une flottille chargée de la surveillance des côtes puis sur toute la longueur du fleuve pour appuyer et permettre le transport des troupes d’intervention. Sur le Danube inférieur, elle a été stationnée à Noviodunum, près de l’actuelle ville roumaine d’Isaccea en Dobroudja et à Aegyssus (Tulcea), d’autres unités étant réparties le long des postes du limes, notamment à l’embouchure du Siret (affluent du Bas-Danube, rive gauche) pour assurer le service de la douane romaine dont les points de passage étaient fortifiés. Le noeud de la défense était le camp de Troesmis, ancienne place forte géto-dace sur le bras du Bas-Danube de Mǎcin (Dobroudja) dont dépendaient les camps d’Axiopolis (Cernavoda), de Capidava, gué important sur le Bas-Danube, de Carcium, (Harşova). Tropaeum Trojani (Adamclisi), où subsiste le trophée dédié aux morts des guerres daces, était également siège d’une garnison.

La présence romaine en Mésie, Dacie, Thrace et Scythie 

En amont, Durustorum (Silistra, Bulgarie), Novae (Shvistov, Bulgarie), Oecus, Ratiaria, Bononia (Vidin, Bulgarie), Sexaginta Prista (Ruse), Drobeta (Turnu Severin), Viminacum (Kostelac en Serbie, à l’est du confluent de la Morava), Singidunum, (Belgrade), Cibalae (au sud de la Drava), Intercisa (Dunapentele sur le Danube hongrois), Aquincum (Budapest), Brigetio (près de Komarom), Carnuntum (sur la rive droite en aval de Vienne) dont le site a été ensuite abandonné, Vindobona (Vienne), Comagenae (Tulln), Mautern (Flaviae), Aelium Cetium (Sankt Pölten), Lauriacum (Enns), Lentia (Linz), Castra Batava (Passau) et Castra Regina (Regensburg6) étaient également, de même qu’Augusta Vindelicum (Augsbourg), située plus au sud, des villes issues des camps du limes, eux-mêmes souvent établies sur d’anciens habitats celtiques ou plus anciens.

Arc de triomphe de Carnuntum, photo By C.Stadler/Bwag – Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=35764294

Le Danube était longé sur sa rive gauche jusqu’en Forêt-Noire par une route où aboutissaient des voies en provenance de l’intérieur, d’Andrinopole, de Serdica (Sofia) et, au delà, de Byzance et de Thessalonique, — de Naïssus (Niš) et de la côte dalmate —, enfin d’Italie par les cols alpins ; dans les défilés des Portes-de-Fer, on voyait avant sa submersion par la retenue des ouvrages hydroélectriques, la route taillée dans la roche par Trajan dont le souvenir est perpétué par l’inscription rupestre dite  « Tabula Trajan ».

Table de Trajan, photo © Danube-culture, droits réservés

Malgré leur importance et leur étendue révélées par l’archéologie, les cités danubiennes, situées dans des zones où les opérations militaires n’ont guère cessé, paraissent avoir connu un développement moindre qu’ailleurs notamment dans les cités rhénanes, plus précoces, fondées dans des contrées moins rudes et où commandaient des princes de la maison impériale. En l’absence de colonies, l’urbanisation s’est limitée aux grands axes de sorte que les peuples autochtones ont conservé leur encadrement régional et constitué des entités ethniques relativement résistantes aux influences urbaines et à l’assimilation. En Dacie, l’importance de l’occupation militaire et de la colonisation jointe à des contacts anciens et prolongés ont assuré une profonde romanisation qui a subsisté jusqu’à nos jours ; l’ouverture de routes a permis l’exploitation intensive des mines de fer, de cuivre, et surtout d’or dont l’Empire avait grand besoin pour régler le déficit de son commerce extérieur et couvrir les frais des grands travaux publics. Cet essor économique entretenait sur le Danube et ses affluents, la Sava  en particulier, une navigation marchande active, aux mains de corporations de nautes connues par les inscriptions (nautae universi Danubii de Axiopolis).

Stèle représentant une embarcation romaine sur le Danube, Musée romain de Carnuntum

Au cours des IIe et IIIe siècles, grâce à l’importance des marchés militaires et barbares, cet axe économique danubien, prolongé aussi bien vers la Germanie que vers l’Asie mineure, l’a progressivement emporté sur les itinéraires méditerranéens convergeant sur Rome qui cesse d’être le centre du commerce européen ; l’essor des villes danubiennes contraste avec la stagnation de celles du sud-ouest de la Pannonie ; les villes de la mer Noire, en relation directe avec la Dacie, entretiennent vers l’Asie mineure un trafic animé par la présence tout le long du fleuve de marchands orientaux qui s’accentuera sous le Bas-Empire et durant les siècles suivants. Le déplacement des réseaux commerciaux s’est prolongé par un déplacement des pouvoirs politiques vers les frontières de plus en plus menacées qui a donné à la Pannonie et à l’Illyricum7 un poids toujours plus décisif dans l’Empire et affirmé l’importance de Byzance, de même que sur le Rhin et la Moselle Cologne et Trêves prenaient le pas sur les villes de l’intérieur et sur Rome. »
 Jean Ritter,  Le Danube, P.U.F., Paris, 1976

La colonne de Trajan à Rome, érigé en 113 apr. J.-C., photo droits réservés

La colonne de Trajan
La colonne de Trajan érigée en 113 de notre ère et source inestimable d’informations se trouve à Rome. Il s’agit d’un monument commémoratif décoré de reliefs illustrant les deux campagnes militaires victorieuses de l’empereur Trajan (53-117) contre les redoutables tributs daces. La colonne mesure 38 m de haut et se compose de 19 tambours de marbre blanc italien. Elle repose sur une base de huit blocs et est surmontée d’un piédestal de deux blocs. À l’origine, une statue en bronze de Trajan de 4,8 m se trouvait sur le piédestal supérieur, mais elle fut remplacée par une statue de saint-Pierre en 1588. Selon toute vraisemblance, la colonne fut conçue par Apollodore de Damas  à qui l’on doit également la réalisation du pont dit « de Trajan » pour commémorer les deux campagnes de 101-102 et 105-106 de notre ère. À la mort de Trajan en 117, ses cendres furent enterrées dans les fondations de la colonne.
La perspective irrégulière et la présence de plus de 2 600 personnages sculptés en bas-relief en spirale autour de la colonne constituent un récit vivant de 200 m de long et présentant 155 scènes clés. Trajan apparaît dans de nombreuses situations diverses telles que la conduite de l’armée, le jugement des prisonniers et la tenue de conseils de guerre. Les deux campagnes, à partir de la base, sont organisées dans une chronologie approximative des principaux événements, chacune d’entre elles étant séparée par une scène avec un bouclier et des trophées.
La plupart des scènes individuelles de la colonne se suivent mais elles sont parfois séparées par un élément du paysage, comme des rochers, des arbres ou même des bâtiments qui indiquent un changement de scène narrative. Les personnages sont généralement aux deux tiers de leur taille réelle et la perspective est obtenue en représentant les scènes comme si elles étaient inclinées vers le spectateur, les personnages de l’arrière-plan étant ainsi représentés au-dessus de ceux du premier plan. À l’origine, les reliefs étaient peints en couleur et des traces de cette peinture ont été conservées jusqu’au XVIIIe siècle. Érigée dans le Forum de Trajan, la sculpture de la colonne aurait été beaucoup plus visible depuis les deux bibliothèques – l’une grecque et l’autre latine – qui se trouvaient à l’origine de chaque côté de la colonne. Elle repose sur un piédestal qui porte également une sculpture en relief, représentant cette fois des armes et des armures daces capturées ainsi que quatre aigles impériaux portant des guirlandes de victoire. La base se compose également d’une longue inscription sur le côté sud-est qui utilise des lettres capitales de 10 cm de haut pour indiquer que le monument a été dédié à Trajan par le Sénat et le peuple de Rome (SPQR) en 113 de notre ère. La colonne servait en fait de plate-forme d’observation. Une porte dans le piédestal donne accès à un escalier intérieur en spirale qui grimpe à l’intérieur de la colonne pour permettre l’accès au piédestal de la plate-forme supérieure. L’escalier est entièrement sculpté dans la pierre massive et est éclairé par 40 petites fenêtres placées dans la colonne à intervalles réguliers. À l’origine, la plate-forme d’observation était équipée d’un rail métallique et pouvait accueillir jusqu’à 15 personnes qui pouvaient admirer les bâtiments s’étendant aux alentours.

Danube-culture, mis à jour septembre 2024, © droits réservés
Notes :
1 Jacques Ancel, Peuples et Nations des Balkans, 2eme édition, Éditions du CTHS, Paris, 1995, cité par Guillaume Durand, dans Carpates et Danube, Une géographie historique de la Roumanie, Editura Istros, Muzeul Brǎilei, 2012, p. 26   
2
Champs Décumates : territoire situé entre la rive droite du Rhin et le cours supérieur du Danube. Ce territoire fut annexé à l’Empire romain au 1er siècle après J.-C. sous la dynastie des Flaviens.

3 Le Limes : frontière entre l’empire romain et le monde barbare, à savoir les peuples ne parlant ni grec ni latin. Le limes danubien reposait sur des fortifications reliées entre elle par une voie qui suivait le Danube. Une flotte de bateaux répartie dans plusieurs ports fluviaux venait compléter le dispositif de défense.
4 Affluent de la rive droite du Danube qui conflue avec celui-ci à la hauteur de Belgrade
5 En réalité un peu en amont de Bratislava et du confluent de la Morava avec le Danube sur la rive droite
6 et de bois
7 Ratisbonne (Bavière)
8 Illyrie : Province romaine située sur la rive orientale de l’Adriatique correspondant à peu près à l’Ouest de la Croatie, de la Slovénie, de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro de l’Albanie et du Kosovo actuels

Sources :
RITTER, Jean, Le Danube, P.U.F., Paris, 1976
MARSIGLI (1658-1730), Louis Ferdinand, Comte de, Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie, Contenant des Observations géographiques, astronomiques, hydrographiques, historiques et physiques ; par  Mr. Le Comte Louis Ferd. de Marsigli, Membre de la Société Royale de Londres, & des Académies de Paris & de Montpellier ; Traduite du latin., [6 tomes], A La Haye, Chez Jean Swart, 1744
DURAND, Guillaume, Carpates et Danube, Une géographie historique de la Roumanie, Editura Istros, Muzeul Brǎilei, 2012
Le Danube romain en Autriche :
www.danube-limes.at
https://www.worldhistory.org › trans › fr › 1-12029 › colonne-de-trajan

Saint-Séverin, apôtre de la frontière danubienne au cinquième siècle

Vue de la tour ouest (IVe /V siècle) en fer à cheval des anciennes fortifications de Favianis
Photo © C.Stadler/Bwag – Eigenes Werk, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=48968124

   Venant d’Orient selon son biographe Eugippe, il s’installe à Favianis (Mautern, rive gauche, Basse-Autriche) vers 453 à un moment difficile où les structures administratives du Bas-Empire commencent à se désintégrer dans ces régions frontalières, laissant leurs habitants affronter le chaos des grandes invasions « barbares » (Alamans, Ruges, Hérules…) de la deuxième moitié du Ve siècle, « barbares » avec lesquels saint-Séverin arrive pourtant à négocier, qu’il soigne également et parfois conseille. Il y fondera un monastère.

Saint-Séverin du Norique (410 ?-482)

   Ce tableau appartient à la cathédrale saint-Étienne de Passau. Les deux premières lignes de la légende sont en latin : « Un don apostolique est un esprit qui voit l’avenir. Que d’exploits le père Severinus a-t-il accomplis ! Les deux lignes suivantes sont en allemand gothique : « Par sa sagesse, son érudition et ses miracles, il s’est montré apostolique. C’est pourquoi il convient d’honorer hautement le saint père Severinus ». La forteresse en feu représentée sur le tableau pourrait être celle de Hainburg/Danube ou de Salzbourg.

Sources :
SAGHY, Marianne, Le saint de la frontière barbare : Séverin de Norique, in BOZOKY, Edina (dir.) : Les saints face aux barbares au haut Moyen Âge : Réalités et légendes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017
http://books.openedition.org/pur/153045
roemermuseum@mautern-donau.gv.at
https://www.kirchen-am-fluss.at

Danube-culture, mis à jour décembre 2023 

La chapelle de sainte-Marguerite se trouve au sud de la vieille ville de Mautern, directement contre le mur d’enceinte. Les parties les plus anciennes du bâtiment datent probablement des IXe et Xe siècles, Une partie des remparts de l’époque romaine ayant servi à sa construction. Un nouvel édifice de style roman tardif a été érigé au début du XIVe siècle. Sur les murs nord et ouest de la nef se trouvent des fresques du martyre de saint-Laurent datant du premier quart du XIVe siècle. L’ensemble des décors du choeur, datant des environs de 1300, représente les sept dons du saint-Esprit, la vie de sainte-Marguerite, l’Annonciation, la Nativité, l’Adoration des Mages et au sommet de la voute  l’Agneau du Christ et la Trinité. L’inscription « EX QVIBUS VNVM ERAT FAVIANIS »  date de la première moitié du XIIe siècle. Photo droits réservés

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