Joseph von Eichendorff et le Danube

Le Danube à la hauteur de Weltenburg (Bavière), gravure d’Adolph Kunike (1777-1838) d’après un dessin de Jakob Alt (1789-1872), Vienne, 1826, collection du Wien Museum   
   Sa nouvelle « Scène de vie d’un propre-à-rien » (« Aus dem Leben eines Taugenichts« ), publiée en 1826, met en scène le fils d’un meunier, un jeune et joyeux « bon-à-rien » que l’on suit dans ses divers vagabondages de Vienne jusqu’en Italie puis d’Italie jusqu’en Autriche au long des chemins, sur le Danube, au hasard des rencontres et de ses humeurs légères et fantaisistes.

Stadt-am-Hof (Regensburg), gravure d’Adolph Kunike d’après Jakob Alt, Vienne, 1826, collection du Wien Museum

   À l’époque ou le héros de sa nouvelle effectue son voyage, la navigation à vapeur est encore balbutiante. C’est pourquoi Eichendorff le fait voyager en coche d’eau (Ulmer Schachtel) comme Mozart lorsque encore enfant, le compositeur descendait en bateau à Vienne avec sa famille. Les conditions pour voyager sur le Danube n’ont pas beaucoup évolué entre 1750 et les années 1820, c’est-dire jusqu’à l’invention de la navigation à vapeur, une véritable révolution sociétale qui entraine un grand engouement pour les voyages fluviaux et l’au-delà oriental. Ce n’est qu’en 1929 que sera créée à Vienne la célèbre D.D.S.G. (Compagnie Autrichienne Royale et Impériale de Navigation à Vapeur sur le Danube). Cette compagnie d’esprit colonialiste se développera rapidement grâce à des fonds importants et proposera une offre conséquente de liaisons sur le fleuve et sur certains de ses affluents avec des bateaux plus ou moins rapides et confortables. Elle assurera la quasi hégémonie du transport des passagers et des marchandises jusqu’à la première guerre mondiale entre Linz, capitale de la Haute-Autriche et la mer Noire. Cette période représente l’apogée de la navigation à vapeur sur le Danube et ses afflents bien qu’il restât encore à plusieurs endroits des passages délicats à aborder pour les bateaux en particulier dans les Portes-de-Fer. Les modifications importantes du lit du fleuve, la destruction d’obstacles à l’explosif, la construction d’un canal et tous les efforts n’engendrèrent pas toutes les satisfactions escomptées et la solution définitive au problème qui, il est vrai, était complexe. La création de la Commission Européenne du Danube sur la proposition du Traité de Paris en 1856 et ses travaux sur le bras et l’embouchure de Sulina, permirent par contre de relier les deux soeurs autrefois ennemies, Vienne et Constantinople via Pressburg, Budapest et Belgrade soit via la mer Noire soit à travers la Dobroudja au départ de Cernavoda.

Le couvent de Säusenstein (rive droite, Basse-Autriche), gravure d’Adolph Kunike d’après Jakob Alt, Vienne, 1826, collection du Wien Museum

   « Lorsque nous arrivâmes sur la rive, tout était déjà prêt pour le départ. Le gros aubergiste, chez qui les passagers du bateau avait passé la nuit, se tenait debout, large et confortable, dans la porte de sa maison qu’il remplissait entièrement, et faisait résonner toutes sortes de plaisanteries et d’expressions en guise d’adieu, tandis qu’une tête de jeune fille sortait de chaque fenêtre et faisait encore un signe amical aux bateliers qui venaient d’emporter les derniers paquets vers le bateau. Un vieux monsieur, vêtu d’une redingote grise et d’un foulard noir, qui voulait lui aussi faire partie du voyage, se tenait sur la rive et parlait avec beaucoup d’empressement à une jeune et mince jeune fille qui, vêtue de longues jambières de cuir et d’une courte veste écarlate, était assise devant lui sur une magnifique anglaise. Il me sembla, à mon grand étonnement, qu’ils me regardaient tous deux de temps en temps et parlaient de moi. – A la fin, le vieux monsieur se mit à rire, le mince jeune homme fit claquer sa cravache et s’élança dans l’air matinal vers le paysage étincelant, rivalisant avec les alouettes au-dessus de lui.
   Pendant ce temps, les étudiants et moi avions puisé dans notre caisse. Le batelier rit et secoua la tête lorsque le joueur de cor lui énuméra l’argent du bac en pièces de cuivre que nous avions réussi à rassembler de toutes nos poches. Mais je poussai un grand cri de joie en voyant tout à coup le Danube devant moi : nous sautâmes à toute vitesse sur le bateau, le batelier donna le signal, et nous descendîmes ainsi entre les montagnes et les prairies dans la plus belle lumière du matin.

La forteresse de Greifenstein (rive droite, Basse-Autriche), gravure d’Adolph Kunike, d’après un dessin de Jokob Alt, 1826, collection du Wien Museum

   Les oiseaux battaient la mesure dans la forêt, et des deux côtés les cloches du matin sonnaient de loin dans les villages ; dans les airs, on entendait parfois les alouettes entre elles. Du bateau, un canari se joignait à eux en poussant des cris de joie.
   Il appartenait à une jolie jeune fille qui était aussi sur le coche d’eau. Elle avait la cage tout près d’elle, et de l’autre côté elle tenait sous son bras un joli paquet de linge ; elle était assise tranquillement pour elle-même et regardait avec satisfaction ses nouvelles chaussures de voyage qui sortaient de dessous sa petite jupe, puis l’eau devant elle, et le soleil du matin brillait sur son front blanc, sur lequel elle avait fait une raie très nette. Je me rendis bien compte que les étudiants auraient volontiers entamé une discussion polie avec elle, car ils passaient toujours devant elle, et le joueur de cor se raclait la gorge en même temps et ajustait tantôt son collier, tantôt son trident. Mais ils n’avaient pas vraiment de courage, et la jeune fille baissait les yeux chaque fois qu’ils s’approchaient d’elle.

Ruines du château de Spielberg près d’Enns, gravure d’Adolph Kunike d’après un dessin de Jakob Alt, Vienne, 1826, colllection du Wien Museum

   Mais ils étaient surtout gênés par le vieux monsieur à la redingote grise qui était assis de l’autre côté du bateau et qu’ils prirent tout de suite pour un ecclésiastique. Il avait devant lui un bréviaire dans lequel il lisait, mais entre-temps il regardait souvent la belle couverture du livre, dont la tranche dorée et les nombreuses images saintes multicolores qui y étaient incrustées brillaient magnifiquement dans la lumière du matin. Il remarquait aussi très bien ce qui se passait sur le bateau, et il reconnut bientôt les oiseaux à leurs plumages. Il ne fut pas long à s’adresser en latin à l’un des étudiants, et tous trois s’approchèrent, ôtèrent leurs chapeaux devant lui et lui répondirent de nouveau en latin. Pendant ce temps, je m’étais assis tout à l’avant du bateau, je laissais joyeusement pendre mes jambes au-dessus de l’eau et, tandis que le bateau voguait ainsi et que les vagues bruissaient et écumaient sous moi, je regardais sans cesse au loin, dans l’azur, les tours et les châteaux qui sortaient l’un après l’autre de la verdure de la rive, grandissaient et grandissaient encore puis disparaissaient enfin derrière nous. Si seulement j’avais des ailes aujourd’hui ! pensai-je, et, impatient, je sortis enfin mon cher violon et jouai tous mes plus vieux morceaux, ceux que j’avais appris à la maison et au château de la belle dame.

La colline du Kahlenberg, gravure d’Adolph Kunike d’après Jakob Alt, Vienne, 1826, collection du Wien Museum

   Tout à coup, quelqu’un me frappa sur l’aisselle par derrière. C’était le monsieur spirituel qui avait posé son livre et m’écoutait depuis un moment. Il me dit en riant : »eh, eh, Monsieur le ludi magister, il en oublie de manger et de boire ». Il m’ordonna alors de ranger mon violon pour prendre une collation avec lui, et me conduisit à une petite tonnelle amusante que les bateliers avaient dressée au milieu du bateau avec de jeunes bouleaux et de petits sapins. Il y avait fait mettre une table, et moi, les étudiants et même la jeune fille, nous devions nous asseoir sur les tonneaux et les paquets qui nous entouraient… »
Joseph von Eichendorff (1788-1857), Scène de vie d’un propre-à-rien (Aus dem Leben eines Taugenichts), 1826

Presque cinquante ans auparavant 1781, le philosophe et homme de lettres berlinois des Lumières Friedrich Nicolaï (1733-1811) voyage en bateau sur le Danube et donne une description enthousiaste d’une expérience faite à bord. « Comme le cours  paisible du Danube n’engendrait pas de difficultés aux rameurs, la cuisinière vint se tenir au milieu d’eux et entonna des chants populaires auxquels tout les hommes se joignirent. Au-dessus des montagnes, la pleine lune se leva, ne nous éclairant pas encore mais seulement les sommets, donnant aux couleurs sombres des conifères un aspect magique. La voix de soprano, le chœur qui chantait à la tierce, un trompettiste qui jouait parfois dans le registre grave, l’écho des forêts sombres qui résonnait en sourdine depuis les reliefs environnants, et surtout le ressenti agréable qui nous unissait depuis le début de la soirée, tout cela produisit sur nous un effet que je ne peux ni ne veux décrire, parce que la description ne reflèterait pas la réalité de ces instants merveilleux ».

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour avril 2025, © droits réservés

Le Beau Danube Jaune, un roman humoristique épicurien

   « Pendant les quatre jours que la barge mit à descendre le fleuve jusqu’à Orsava [Orşova], elle navigua sur un lit très capricieux dans ses détours, dont la direction générale se maintenait vers l’est, servant à gauche de limite aux Confins Militaires. Elle passa devant la ville de Semendria, autrefois capitale de la Serbie, et dont la forteresse (est) campée sur un promontoire qui barre une partie du Danube, et que défendent toute une couronne de tours et un donjon. En cet endroit, le grand fleuve rachète merveilleusement la sauvagerie ou l’infertilité des campagnes qui le bordent en amont. Partout des arbres fruitiers en plein rapport, des vergers enrichis de diverses sortes de plants, des vignobles luxuriants qui se succèdent jusqu’à l’embouchure de la Morava. Cette rivière arrive au fleuve par une vallée superbe, une des plus belles de la Serbie. À l’embouchure se montraient un certain nombre de bateaux, les uns qui la descendaient, les autres qui se préparaient à la remonter avec des remorqueurs ou des attelages.
Après Semendria, ce fut Basiach [Baziaş], où s’arrêtait alors le chemin de fer de Vienne à Orsava et qui allait être prolongé prochainement jusqu’à cette ville, puis Columbacz [Golubac], avec ses magnifiques ruines, puis des cavernes à légendes, entre autres celle dans laquelle Saint-Georges aurait déposé le corps du dragon tué de ses propres mains. De toutes parts, à chaque coudée du fleuve, et on ne perd l’un que pour retrouver l’autre, se dressaient des promontoires coupés à pic et contre lesquels le courant précipite ses eaux écumantes. Au-dessus, se massent des bois épais, s’étageant jusqu’aux montagnes qui sont plus élevées sur la rive turque que sur la rive hongroise.
Un touriste se fût certainement maintes fois arrêté pour contempler de plus près et plus longuement les merveilles que le fleuve offre alors aux yeux. Il se serait fait mettre à terre au défilé des Cazan, l’un des plus remarquables du parcours ; il aurait suivi le chemin de halage, afin d’examiner cette fameuse table de Trajan, ce rocher où est encore gravée l’inscription qui rappelle la campagne du célèbre empereur romain… »
Jules Verne, Le Beau Danube Jaune, « De Belgrade aux Portes-de-Fer », chapitre XIII

Le fils de l’écrivain et écrivain lui-même Michel Verne (1861-1925), toutefois moins talentueux que son père et qui s’attribuera même la paternité de certains écrits de son père ou les réécrira pour les publier sous son nom, utilisera le manuscrit du Beau Danube Jaune, pour rédiger en 1908 une œuvre à l’ambiance bien différente, voire opposée, un roman policier sérieux et sombre à qui il donnera le titre de Le Pilote du Danube, conservant évidemment dans le titre même de son livre la mention du Danube.

Olivier Dumas nous conseille d’oublier Le Pilote du Danube de Michel Verne et de lire Le Beau Danube Jaune de Jules Verne comme une œuvre inédite, fantaisiste et humoristique.

Jules Verne aimait alterner dans sa démarche d’écrivain, un roman sérieux et un roman léger.

Date de création du Beau Danube Jaune : 1880 ou 1895 ?
   La date d’écriture d’environ 1880, attribuée par certains pour la rédaction du roman Le Beau Danube Jaune provient d’une justification de l’éditeur Hetzel fils pour le changement de titre :
« Le roman (…) a été écrit dans un premier jet, mais en entier, suivant la méthode de l’auteur, vers l’année 1880. »
Cette date semble indiquer selon Olivier Dumas que ce roman était comme un clin d’oeil à la suite de la valse du Beau Danube bleu, de Johann Strauss Junior (1825-1899), composition qui fit fureur à cette époque dans toute l’Europe et au-delà. Cette suite de valses avait été composée à Vienne en 1866 et créée à Paris dans sa version orchestrale à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1867. On notera que l’écrivain et le compositeur sont contemporains : Johann Strauss Jr. nait en 1825 et meurt en 1899, Jules Verne est né en 1828 et mourra en 1905.

Johann Strauss, « Sur le Beau Danube Bleu »

   Lorsqu’on examine attentivement les pages manuscrites du roman, l’écriture de Jules Verne semble en fait correspondre à une période plus tardive. Elle ressemble à celles des derniers romans, En Magellonie (1897-1898) et Le Volcan d’or (1899). L’écriture des oeuvres des années 1880 diffère nettement de celle de la période tardive, avec des lettres plus petites, fermes et rondes. Sans toutefois pouvoir préciser avec certitude l’année de la naissance du Beau Danube Jaune, on peut ainsi formellement rejeter la date, avancée sans réelles preuves, de 1880 et proposer plutôt celle ultérieure de 1895. On retrouve en effet dans Le Beau Danube Jaune les mystérieuses lettres « XKZ », reprises, en 1898, dans un autre livre de Jules Verne Le Testament d’un excentrique (1897 ).

Dieudonné Lancelot, Pont sur le Danube, « De Paris à Bucarest », revue Le Tour du Monde

À propos du texte…
   Le texte du Beau Danube Jaune souffre d’un manque évident de révisions. Jules Verne l’a écrit en parallèle avec d’autres romans, et oublie souvent de revenir à son texte, aux dates et aux épisodes précédents. Et plutôt que de le compléter immédiatement, il le parsème de nombreux « ? » pour attirer son attention lors de la correction. De plus, les informations qu’il ignore comme les distances, le nombre d’habitants des villes fréquentées par ses personnages, sont laissées en blanc pour être complétées ultérieurement.

Dieudonné Lancelot, Budapest, « De Paris à Bucarest », revue Le Tour du Monde

Quelques mots sur les sources du Beau Danube Jaune
   Tout comme pour son roman de la même période En Magellonie (1897-1898, publié seulement en 1987), Jules Verne puise les sources de son roman Le Beau Danube Jaune dans une revue française alors très à la mode, Le Tour du Monde. L’historien, écrivain et homme politique français, Victor Duruy (1811-1894), y a relaté dans les années 1861 et 1862, son voyage effectué en 1860, voyage qu’il a intitulé De Paris à Bucarest. Les illustrations de cette publication ont été réalisées par l’illustrateur, graveur et lithographe Dieudonné Auguste Lancelot (1823-1895), accompagnateur de Victor Duruy pendant son périple. Mais V. Duruy, empêché de part sa nomination de nouveau ministre de l’Instruction Publique en 1863, va interrompre la relation de son voyage et La revue Le Tour du Monde confiera à Dieudonné Lancelot, le soin de terminer à sa place le récit. Celui-ci reprend en 1865 et en 1866.
   Toutes les descriptions touristiques du roman de Jules Verne sont issues de la relation du voyage de V. Duruy-D. Lancelot mais Jules Verne les transforme selon sa fantaisie.

Dieudonné Lancelot, Belgrade, « De Paris à Bucarest », revue Le Tour du Monde

   On peut citer comme exemple un extrait de la description de Belgrade. Lancelot décrit de la façon suivante l’arrivée dans la ville : « La ville qui étalait en amphithéâtre adouci ses maisons à l’européenne que surmonte le clocher d’une église. Au sommet, (…), des jardins et une mosquée surmontée de deux minarets à pointe aigües. À gauche, le sol redescendait assez rapidement portant comme une seconde ville cachée par des arbres fruitiers au milieu desquels s’élançaient de grands cyprès isolés. »
Quant à Jules Verne, alias son héros Ilia Krusch, il voit « apparaître une cité disposée en amphithéâtre sur une colline, avec ses maisons à l’européenne, ses clochers auxquels le soleil mettait une aigrette de flamme, et les deux minarets d’une mosquée, qui ne jurait pas trop dans le voisinage des églises. Un peu sur la gauche, au milieu d’une corbeille d’arbres fruitiers d’où s’élançaient des cyprès de haute taille, il y avait apparence d’une seconde ville plus moderne… » (ch. XII)

Dieudonné Lancelot, radeau sur le Danube, « De Paris à Bucarest », revue Le Tour du Monde

Les détails géographiques du Beau Danube Jaune viennent également du récit de Victor Duruy-Dieudonné Lancelot mais, encore une fois, l’écrivain les adapte à sa guise. Sur la Carte du bassin oriental du Danube, figure la ville hongroise de Racz (Rácz-Becse, aujourd’hui Bečej, en Vojvodine serbe). Elle se trouve sur les rives de la Theiss/Tisza. Dans Le Beau Danube Jaune, Jules Verne précise à plusieurs reprises que son héros, Ilia Krusch, est natif de Racz Becse. Dans un autre de ses livres, Le secret de William Storitz (vers 1898), la ville de Racz se déplace sur la rive droite du Danube, en aval de Vukovar, aujourd’hui en Croatie. Pourquoi, Jules Verne s’amuse-t-il à glorifier cette petite ville inconnue dont Dieudonné Lancelot ne cite même pas le nom dans son récit ? La question n’a pour le moment pas trouvé de réponse !

Dieudonné Lancelot, Moulins sur le Danube, « De Paris à Bucarest », revue Le Tour du Monde 

Le thème du Beau Danube Jaune

   Le Beau Danube Jaune relate simplement un voyage sur le Danube, depuis pratiquement sa source jusqu’à la mer Noire en passant par le bras septentrional de Kilia :

« Les embouchures du Danube sont multiples, et son delta est couvert d’une sorte de réseau hydrographique. Les deux principales sont séparées par la grande île de Leti [Letea], un triangle dont le sommet est à la bifurcation des deux bouches. Celle qui limite l’île au sud est la plus importante, et, de préférence, les bâtiments la suivent pour atteindre la mer Noire [en fait le bras de Sulina dont il est probable que Jules Verne connaissait la présence de la Commission Européenne du Danube, instituée en 1856 et qui y avait déjà commencé ses travaux d’aménagement pour faciliter la navigation].
La bouche qui limite l’île au nord, moins fréquentée, prend le nom de Kilia, qui est celui d’une petite ville forte bâtie sur sa rive gauche [Kilia est une ville industrielle et portuaire située désormais en Ukraine dans l’Oblast d’Odessa. Les Roumains l’appellent Chilia Nouǎ par opposition à la petite ville de Chilia Veche sur la rive droite].
C’est ce bras que le chaland devait prendre pour arriver à destination, et, dans la matinée du lendemain, servi par un courant assez rapide, il en longeait la rive droite, de manière à passer loin de Kilia… »
(Le beau Danube Jaune, chapitre XVI, « De Galatz à la mer Noire », p. 161)

Ce même thème thème est repris au début du Secret de William Storitz (également « révisé » par Michel Verne et publié dans cette version en 1910 puis dans sa version originale en 1985 par la Société Jules Verne)  : Henry Vidal, 33 ans, ingénieur de la Compagnie du Nord des chemins de fer, descend le fleuve sur une plus courte distance, de Vienne à Ragz, à bord du vapeur de la D.D.S.G. Mathias Corvin :

   « Le dampfschiff [bateau à roue à aube] descendait rapidement, battant de ses larges roues les eaux jaunâtres du beau fleuve, car elles paraissent plutôt teintes d’ocre que d’outre-mer, quoi qu’en dise la légende. De nombreux bateaux le croisaient, leurs voiles tendues à la brise, transportant les produits de la campagne qui s’étend à perte de vue sur les deux rives. On passe également près de ces immenses radeaux, ces trains de bois formés d’une forêt tout entière, où sont établis des villages flottants, bâtis au départ, détruits à l’arrivée, et qui rappellent les prodigieuses jangadas brésiliennes de l’Amazone. Puis, les îles succèdent aux îles, capricieusement semées, grandes ou petites, la plupart émergeant à peine, et si basses parfois, qu’une crue de quelques pouces les eût submergées. Le regard se réjouissait à les voir si verdoyantes, si fraîches,avec leurs lignes de saules, de peupliers, de trembles, leurs humides herbages piqués de fleurs aux couleurs vives… »
(Le Secret de William Storitz chapitre II, p. 16)

   Le Beau Danube Jaune est d’abord conçu comme une paisible promenade fluviale et l’écrivain en profite pour décrire avec complaisance les diverses curiosités touristiques rencontrées en chemin. La qualité de grand pêcheur d’Ilia Krusch, permet d’exposer avec bonheur et humour toutes les finesses de ce noble sport. Le roman prend d’ailleurs parfois même des allures de manuel de la pêche à la ligne. Mais le ton sérieux n’est qu’une feinte de l’écrivain. Pourrait-il en être autrement quand l’auteur appelle son héros Krusch, si proche de « cruche » comme nom de son principal personnage, un personnage qu’on perçoit comme éminemment sympathique mais à l’évidence un peu benêt.

Dieudonné Lancelot, Bateaux sur le Danube hongrois, « De Paris à Bucarest », revue Le Tour du Monde

   Jules Verne insère discrètement dans son roman une intrigue sous la forme d’un trafic de contrebande sur le fleuve ce qui permet à la police de soupçonner le brave pêcheur et de l’emprisonner. L’innocent serait-il coupable ? Deux partis se forment, les Kruschistes et les antikruschistes. Les lecteurs des 1900, auront sans doute fait le rapprochement avec l’affaire Dreyfus.

Le Beau Danube Jaune, fantaisie humoristique et roman épicurien
   Le Beau Danube Jaune est à la fois une fantaisie humoristique et un roman épicurien si l’on en juge par l’importance accordée aux boissons et aux mets. Il commence par une pantagruélique orgie à la bière et aux liqueurs. Les héros, quant à eux, s’offrent chaque matin un petit coup d’eau-de-vie, et un verre de bon vin à l’occasion, une habitude courante dans le milieu des bateliers et des pêcheurs mais pas seulement. Il est en effet connu que la présence de l’eau donne aussi soif et donc l’envie de boire ! Quand I. Krusch fait des courses en ville, il achète, pour améliorer l’ordinaire culinaire, fruit de la pêche, des tripes et même des escargots (ch. IV), sans oublier naturellement de fumer une bonne pipe.

Dieudonné Lancelot, Pêcheurs hongrois fumant la pipe,  « De Paris à Bucarest », revue le Tour du Monde

Le Pilote du Danube : Les transformations radicales et maladroites (?) de Michel Verne ou quand le fleuve s’assombrit.
   Michel Verne n’a pas du tout apprécié la bonhomie paisible, épicurienne railleuse et souriante de l’œuvre de son père. D’un roman léger et ironique, il décide d’en faire une œuvre sombre et totalement dépourvue de l’humour cher à son père.

Illustration de Georges Roux pour Le pilote du Danube, 1908

   Il amplifie considérablement la partie policière initiale de l’œuvre au détriment des descriptions touristiques, des exploits de pêche et des fantaisies gastronomiques des deux héros, Krusch et Jaeger.
Dans Le Pilote du Danube, le simple trafic initial de contrebande du Beau Danube Jaune se transforme en meurtres, rapines et trafic d’armes. Ilia Krusch se nomme Brusch, rajeunit, devient coupable et d’emblée suspect avec le port de ridicules lunettes noires pour cacher ses yeux bleus ; déguisement et maquillage, à l’image des récents exploits d’Arsène Lupin et autres personnages des romans policiers de l’époque.
Décidément, si déjà En Magellonie différait nettement des Naufragés du Jonathan, les deux Danube du père et du fils n’ont plus qu’un seul point commun : le début et le lieu de l’action c’est-à-dire le fleuve. Ce ne sont plus seulement quelques variantes à relever, mais une œuvre initiale inédite du père entièrement refondue par le fils.
   L’une des modifications de Michel Verne faillit d’ailleurs lui coûter cher, puisqu’il n’échappa que de justesse à un procès en diffamation. Michel Verne a en effet donné maladroitement à l’un de ses personnages, un bandit de son invention, le nom d’un Hongrois, Jackel Semo qu’il a rencontré au cours d’un voyage à Belgrade. Ce dernier le découvrant, s’insurge de cette qualification de malhonnêteté qui le décrit dans le roman, devinant que l’œuvre parue n’est pas de la main de Jules Verne, comme l’écrit son avocat : « L’ouvrage paraît ainsi être l’œuvre du fils qui a connu personnellement Monsieur Jackel Semo et non celle de Jules Verne lui-même. »
   L’éditeur Hetzel fils remplace alors le nom de Jackel Semo par celui Yacoub Ogul aux tonalités turques et obtiendra prudemment l’étouffement de l’affaire.
Pour la petite histoire les avocats des deux parties de cette affaire deviendront célèbres : René Cassin, défenseur de Jackel Semo, sera l’illustre rédacteur de la « Déclaration des Droits de l’homme » et recevra le Prix Nobel de la Paix, et Raymond Poincaré, défenseur de Michel Verne, grand orateur politique, deviendra quant à lui Président de la République.
L’humour du Beau Danube Jaune
   Cette œuvre tardive n’a pas la puissance créatrice des grands romans de la maturité de l’écrivain ; elle appartient aux œuvres mineures, souvent humoristiques, des oeuvres qu’il ne convient pas, pour autant, de négliger. Peut-être, Jules Verne est-il plus vivant et plus moderne dans ces romans légers et ironiques, comme Le Rayon Vert (publié en 1882), Une Ville flottante (1871) ou L’École des Robinsons (1882  que dans ses oeuvres sérieuses..
On distingue deux sources d’humour dans Le Beau Danube Jaune : « l’apothéose de la pêche à la ligne » et le personnage naïf d’Ilia Krusch, « qui ne comprend rien à rien » du début à la fin, mais incarne, en digne « Lauréat de la Ligne Danubienne », toute la sagesse philosophique de l’authentique pêcheur à la ligne. Cet homme simple et bon suscite la sympathie. « Ce Hongrois échappé du paisible village de Quiquendone (allusion à la nouvelle de J. Verne Une fantaisie du docteur Ox, 1874), est une des plus comiques personnalités inventées par la plume ironique de Jules Verne ».
L’écrivain peut conclure en souriant ce roman à la gloire de la pêche à la ligne et du Danube : « Et après ce récit, qui oserait se moquer cet homme sage, prudent, philosophe qu’est en tout temps et en tout pays le pêcheur à la ligne ? »

Dieudonné Lancelot, Les Portes-de-Fer, « De Paris à Bucarest », revue le Tour du Monde

À propos de la symbolique de l’œuvre
   À l’exception de La chasse au météore (1901) où pourtant la ville est « baignée des eaux claires du fleuve Potomac » , des fleuves s’écoulent dans tous les romans posthumes de Jules Verne. Dans Le Beau Danube Jaune, la descente du Danube se fait de sa source jusqu’à son delta en terminant par le bras de Chilia qui donne son prénom au héros : Ilia K. de K/ilia.
   Pendant le périple sur le beau Danube jaune, un spectateur-passager, observe attentivement le spectacle. Ce personnage passif, M. Jaeger, n’est-il pas l’écrivain lui-même qui, avant sa mort, accumule ces dernières visions, en « collectionneur ou chasseur » d’images ? (Jaeger = chasseur en allemand).
   Le brave Krusch, lucide pour une fois, soupçonne Jaeger de cette activité littéraire :
   « M. Jaeger ne s’ennuyait pas un instant. Il s’intéressait de plus en plus à ce qu’il voyait, surtout en ce qui concernait la navigation fluviale. Ilia Krusch se demandait même s’il ne préparait pas quelque travail sur ce sujet, où seraient traitées toutes les questions relatives à la batellerie (…), et n’était-ce pas, en somme, le but de son voyage ?… »
   Et, comme Ilia Krusch le pressentait à cet égard : « Il y a quelque chose comme cela, répondit-il en souriant. » (ch. XIV)
Jules Verne aurait-il eu l’intention d’écrire un roman mettant en scène la batellerie danubienne ?
Et, à la légitime inquiétude de Jules Verne sur une éventuelle lassitude du lecteur, Jaeger répond avec bonhomie et justesse, car le sympathique Krusch mérite d’être accompagné : »J’aime à penser que je n’aurai pas perdu mon temps.— Alors, il ne vous paraît pas trop long ?— Oh, monsieur Krusch, en votre compagnie… en votre compagnie !… » (ch. XIV)
   Après l’Amazone et l’Orénoque, cette paisible descente au rythme du Danube permet à l’auteur de jouir largement via son personnage de Jaeger, de la contemplations des séduisants paysages fluviaux danubiens, de boire et de fumer voluptueusement sa pipe dans la barque du plus calme et du plus sympathique et épicurien de ses personnages romanesques, une sorte de philosophe voltairien, comme Jules Verne se plaît à en décrire, frère du digne juge Proth, de son roman La Chasse au météore.

Dieudonné Lancelot, Maisons à Routschouk (Ruse), « De Paris à Bucarest », revue le Tour du Monde, 1867

   Jules Verne semble avoir été fasciné par les fleuves et en particulier par le Danube. Il aurait été aussi impressionné par les Portes-de-Fer et les environs de Berzasca lors d’une visite des lieux dans les années 1880 avec sa chérie Luiza Miller/Müller. Malheureusement aucune source fiable ne peut confirmer l’hypothèse de cette visite mais elle a été développée par l’écrivain Simion Săveanu dans son livre Sur les traces de Jules Verne en Roumanie, (Albatros,1980). Selon Simion Săveanu, Jules Verne aurait rencontré Luiza (Louise) Müller, originaire de Transylvanie, plus précisément de Homorod (département de Brașov) entre 1882 et 1884, et un lien étroit (voire intime) se serait noué entre eux. À son instigation, Jules Verne se serait rendu incognito en compagnie de sa belle sur le Danube jusqu’à Giurgiu (rive gauche, Valachie), puis en train jusqu’à Bucarest, Brașov et enfin Homorod. Il aurait parcouru la région pendant plusieurs semaines et visité le château de Colț (dans le village de Suseni, judets de Hunedoara), qui lui aurait inspiré son célèbre roman Un château dans les Carpates.

L’écrivain a écrit vers la fin de sa vie, cinq romans dont les scénarios se situent géographiquement ou en partie dans le bassin du Danube : Kéraban-le-têtu (1882), Mathias Sandorf (1885), Le château dans les Carpathes (1892), Le secret de Wilhelm Storitz (1898) et Le beau Danube jaune (1901).

Jules Verne, Kéraban-le-Têtu, illustration de 

Le Tour-du-Monde
La Revue Le Tour du monde, nouveau journal des voyages est un hebdomadaire français publié à partir de janvier 1860. Il porta aussi le nom de Le Tour du monde, journal des voyages et des voyageurs (1895-1914). Ce magazine encourageait l’expansionnisme européen par des récits de voyage de haute qualité littéraire mis en images par quelques-uns des plus remarquables illustrateurs et xylographes de leur époque.

Danube-culture, décembre 2024

Xavier Marmier : Du Danube au Caucase

Le premier séjour de Xavier Marmier à l’étranger se déroule en Allemagne à Leipzig (1831). Ce séjour lui permet d’apprendre l’allemand, d’écrire des articles pour différentes revues (Revue germanique, Revue des Deux Mondes, Revue de Paris). Il rédige pratiquement seul la plus grande partie des numéros de la Nouvelle Revue germanique, traduit des auteurs allemands tout en publiant des livres de critique littéraire. En 1835, l’écrivain s’embarque sur la corvette « La Recherche » à destination de l’Islande afin d’y étudier la langue et la littérature de ce pays. Ses Lettres sur l’Islande paraissent en 1837. Suivent Langue et littérature islandaises et Histoire de l’Islande depuis sa découverte jusqu’à nos jours. Toujours à bord de « La Recherche », il se joint à de nouvelles expéditions, dont il est le rapporteur officiel et découvre le Danemark (îles Féroé), la Suède, la Norvège, la Laponie et le Spitzberg. Au début de l’année 1839, il est nommé professeur de littérature étrangère à la Faculté des Lettres de Rennes. Une demande de congé sans solde de quelques mois pour pouvoir partir à nouveau avec « La Recherche » lui est refusée. Il démissionne ce qui lui permet d’aller explorer les environs du Pôle Nord. Le gouvernement le nomme à son retour bibliothécaire au Ministère de l’Instruction Publique (1840-1846).

Xavier Marmier (1808-1892) par Truchelut, source Bibliothèque Nationale de France

Sa grande passion des voyages le reprend peu après. On le retrouve en Hollande, Finlande, Russie et en Pologne. Il se rend aussi en Égypte en 1845 en passant par le Tyrol, la Hongrie, la Serbie, la Valachie, la Bulgarie, la Turquie, la Syrie et la Palestine, visite l’Algérie en 1846 et prend après son périple le poste de conservateur de la bibliothèque sainte-Geneviève de Paris en retournant toutefois en Russie l’année suivante. Le 9 septembre 1848, il part en Amérique du Nord, visite La Havane, l’Argentine et l’Uruguay et regagne la France en août 1850. Il entreprendra en 1852 encore un voyage au Monténégro en passant par l’Allemagne, la Suisse et l’Italie.
De ses nombreux voyages, Xavier Marmier rapporte des écrits sur l’histoire, la géographie, la littérature ou encore les traditions de peuples méconnus. Il consigne dans des carnets ses impressions de voyage afin d’agrémenter des récits destinés à instruire. En 1859 et en 1861, deux de ses romans, Les Fiancés du Spitzberg et Gazida, sont couronnés par l’Académie française. Ses travaux sur les littératures étrangères et ses écrits lui valent d’être élu au sein de celle-ci le 19 mai 1870.
Le 11 octobre 1892, Xavier Marmier décède à Paris. Toute la presse le salue et lui rend hommage. Avant de mourir il prend soin de lèguer à sa ville natale de Pontarlier sa bibliothèque personnelle d’environ 6 000 ouvrages.
La personnalité de Xavier Marmier est assez contradictoire ; autant l’écrivain-voyageur est charmant, sociable, autant l’homme est doctrinaire et sectaire. Catholique intégriste et royaliste convaincu, il est farouchement anti-républicain. Ses entreprises politiques se solderont par des échecs électoraux sans lendemain.

Du Danube au Caucase…

« Quelques mots d’abord pour ceux qui, ayant la bonté de nous suivre dans cette exploration, voudraient en fixer exactement le point de départ. C’est dans les collines ombreuses de la forêt Noire qu’il faut chercher la source du Danube. Quoique ces collines soient peu élevées et que nul glacier ne les couronne, il en découle une quantité de ruisseaux qui, en cheminant obscurément de côté et d’autre, comme de pauvres prolétaires, en viennent peu à peu à gagner du terrain et finissent, comme de laborieux, honnêtes industriels, par conquérir une assez belle place dans le monde. Telle goutte d’eau qui tombe inaperçue de la toiture en bois de quelque charbonnier de la forêt Noire va par le Neckar et le Rhin se joindre aux vagues de la mer du Nord, et telle autre sera par le Danube emportée dans la mer Noire comme un grain de sable que le Simoun1 enlève dans un de ses tourbillons, comme une chétive existence que le flot du temps engloutit dans l’océan de l’humanité.
La vraie source du Danube n’a cependant pas encore été découverte. Comme celle du Nil, elle repose au sein de ses montagnes de la Lune, elle échappe à la curiosité sous un voile mystérieux ; mais on est convenu de l’accepter telle qu’elle se présente dans le limpide filet d’eau qui jaillit entre l’église et le palais de Donaueschingen. Le maître de ce domaine, le prince de Furstenberg, glorieux de posséder cet Hercule des fleuves à son berceau, a décoré son trésor d’une oeuvre d’art, d’un groupe en pierre, qui représente le Danube sous les traits d’une belle femme2 assise entre deux enfants, symbole de ses deux principaux affluents. C’est donc de Donaueschingen que l’on commence à suivre le cours du Danube. C’est là qu’il prend son nom. C’est de là que, de toutes parts lui arrivent ses tributaires. Trente-six mille petits cours d’eau et cent rivières ou ruisseaux se joignent à lui comme des soldats à leur général ou des vassaux à leur suzerain. C’est, par cette quantité prodigieuse d’affluents, le plus riche des fleuves de l’Europe. C’est, par son cours de sept cents lieues, le plus long de tous ceux qui existent dans les deux hémisphères, après le Volga, l’Euphrate, et après les immenses amas d’eau de l’Amérique3. À Ulm, à soixante lieues de son étroit bassin de Donaueschingen, il est déjà navigable. À Vienne, il a trois mille cinquante pieds de largeur ; à Galacz [Galaţi], quinze mille ; et, quand il arrive au terme de sa route, il envahit, il scinde un énorme terrain, il se jette dans la mer Noire par sept embouchures4.

Xavier Marmier, Du Danube au Caucase, Voyages et littérature, « Traditions du Danube », Garnier Frères Éditeurs, Paris, 1854

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour décembre 2024

Notes :
Simoun, vent chaud, sec et violent qui souffle sur les côtes orientales de la Méditerranée, dans le Sahara, en Palestine et en Syrie.
2 Le nom de Danube, en allemand Donau, est féminin. Il vient probablement de dan, dwon (bas), et au, qui, dans les langues Scandinaves, signifie rivière, comme on peut le remarquer dans les désignations suédoises d’Umea, Pitea., qu’on prononce Umeo, etc.
3 Cours du Mississippi, en y comprenant le Missouri, 3 610 milles anglais ; des Amazones, 3 130 ; du Volga, 2 100 ; de l’Euphrate, 1860 ; du Danube, 1850 ; du Rhin, 830 ; de la Seine, 510 ; du Rhône, 430 ; de la Tamise, 240.
4 De là les vers de l’illustre orientaliste M. de Hammer : « Danube, Danube, je voudrais chanter ce qui m’a ravi dans ton aspect, ce que je sais de tes voyages, oh ! noble femme à sept bouches, à sept langues, comme celles qui sont adorés par les disciples de Brahms. »

Joseph_von_Hammer-Purgstall._Benedetti_(um_1857)

Joseph von Hammer-Purgstall (1774-1856), diplomate autrichien, écrivain, historien, orientaliste, helléniste, traducteur et remarquable connaisseur de l’Empire ottoman

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