La lotcă
Les lotcǎ, embarcations traditionnelles du delta du Danube longilignes autrefois en bois, à l’étrave et la poupe relevées et identiques, à la silhouette arrondie, munie d’une voile à livarde1 et/ou à rames pouvant être manoeuvrées également à l’aide d’une perche, parfaitement adaptées à leur contexte spécifique, maniées par tous les temps avec agilité par les populations locales dans les bras, les canaux et les lacs du delta du fleuve ainsi que sur les rives occidentales de la mer Noire (son profil lui permettait notamment de franchir sans problème la barre à l’entrée des bras du delta), ne sont plus aujourd’hui fabriquées qu’en de rares lieux du delta du Danube, en particulier à Tulcea (Dobrogée roumaine) dans l’atelier Geneza S.R.L. du charpentier-menuisier et ancien officier de marine Paul Vasiliu. Paul Vasiliu a désormais transmis son savoir-faire à son ancien apprenti.

Lotcă sur un canal près du village de Letea dans le delta du Danube, photo © Danube-culture, droits réservés
Selon Paul Vasiliu, la lotcǎ dont le nom remonte au XVIIe siècle et à l’arrivée des Lipovènes vieux-croyants orthodoxes persécutés parlant russe ou ukrainien dans le delta, a été le symbole de l’univers des habitants de ces territoires entre ciel et eau. Les Lipovènes s’adaptèrent à leur nouvel environnement et devinrent pour un grand nombre d’entre eux pêcheurs, grands utilisateurs et fabricants de lotcǎ. Seules les rares familles aisées purent se permettre autrefois d’acquérir un charriot, les autres ne possédant qu’une lotcǎ.

Deux lotcă avec leur voile à livarde à l’entrée du port de pêche de Jurilovca sur le lac Razelm (Razim), autrefois un golfe de la mer Noire transformé en liman par le dépôt de sédiments, collection privée
Cette barque en bois de différentes tailles (3 à env. 10 mètres) et à faible tirant d’eau a rendu d’immenses services aux populations du delta et des rives de la mer Noire, démontrant ainsi son utilité quelqu’en soit les époques et les circonstances. C’était un moyen de transport peu onéreux, un moyen d’existence et de survie et un mode transport incomparable par rapport aux barques en fibre de verre, très à la mode de nos jours.
Une lotcǎ, outre son utilisation pour la pêche, pouvait presque transporter toutes sortes de marchandises comme une quarantaine de 40 ruches sur le lac Razelm. Il est comparativement très difficile de transporter dans une barque en fibre de verre ou en plastique du bois ou une récolte de roseau. La lotcǎ raccourcissait aussi le temps qu’il fallait mettre pour se déplacer d’un village à l’autre. Elle permit aussi aux habitants de rester actifs et en bonne santé. La lotcǎ a laissé dans le delta un souvenir inoubliable et a été immortalisée par de nombreux peintres.

Lotcǎ à moteur et gouvernail au port du village de Sfântu Gheorghe, photo © Danube-culture, droits réservés
Désormais largement modifiée pour être motorisée, elle a commencé à être réutilisée comme embarcation pour les touristes. Elle reste aussi indispensable pour la pêche ou les balades en bateau sur les canaux du delta, pour glisser à travers les roseaux et permettre de découvrir son univers fascinant et son environnement naturel exceptionnel.

Lotca en bois hors d’usage à Sulina dont l’arrière à été précédemment réaménagé pour y recevoir un moteur, photo Danube-culture, © droits réservés

Un mode de construction à la fois ancestral, simple et robuste, photo Danube-culture © droits réservés
Pour aider à la transformation du delta en véritable destination écologique sui-generis, la redécouverte de cet art ancestral de la fabrication de barques traditionnelles pourrait devenir une activité régulière et une source de revenus complémentaire pour les quelques rares artisans qui ont su préserver ce savoir-faire. La régénération de la marangozeria est une activité locale représentant un intérêt complémentaire à une logique démarche écotouristique ainsi que la possibilité de découvrir pour les visiteurs les techniques ancestrales de construction de la lotcǎ et qui pourraient même éventuellement y participer.

Lotca avec sa voile, revue russe Vsemirnaya Illyustratiya (Illustration Universelle), Saint-Péterbourg, 1877

Publicité du Service Maritime Roumain (1897), peinture d’Arthur Garguromin Verona (1868-1946), domaine public
Notes :
1 Une voile à livarde est une voile aurique (assujettie au mât par un de ses côtés) sans corne, mais établie par un espar en diagonale (sorte de tangon). Son extrémité supérieure maintient le coin supérieur arrière de la voile (le pic) et son extrémité inférieure est saisie sur le mât par un cordage dont on peut ajuster la tension pour régler le creux de la voile. La livarde permet d’établir une grande surface de voilure sur un mât court.
Sources : François-Xavier Ricardou, www.bateaux.com

Quatre lotcǎ et deux imposants moulins-bateaux sur le bas Danube, photo archives du Musée National du Paysan Roumain, Bucarest, Collection Iosif Berman, Din viața pescarilor (B-5640)
La canotcǎ : entre tradition et innovation
Dans l’objectif de renouveler ce savoir-faire et de le transformer en une activité contemporaine, le célèbre champion de canoë Ivan Patzaïchin (1949-2021), originaire du village de Mila 23 dans le delta du Danube (bras de Sulina) et de la communauté lipovène, soucieux d’un développement d’un écotourisme respectueux, a apporté son soutien financier à la construction d’un nouveau modèle d’embarcation. Ce modèle, baptisé canotcǎ est un compromis entre la lotcǎ traditionnelle et le canoë. La forme, la couleur et le matériau sont issus de la conception de la lotcǎ, la souplesse, l’agilité et la vitesse sont les propriétés du canoë. Le matériau offre à la canotcǎ tout à la fois un poids réduit et une haute résistance. L’authenticité de la canotcǎ est due au choix du bois, peu utilisé de nos jours dans la fabrication des barques en usage dans le delta, le bois étant désormais remplacé par de la fibre de verre.

La canotcǎ se trouve au carrefour de plusieurs centres d’intérêts. C’est une embarcation également facile à manœuvrer, même éventuellement par les touristes désireux d’admirer le paysage lors de promenades sur les canaux et adaptée à l’activité des pêcheurs locaux. Comme autrefois la lotcǎ fût l’emblème des populations lipovènes danubiennes, la canotcǎ pourrait à son tour devenir un nouveau symbole du delta du Danube.

Canotca dans l’atelier de Paul Vasiliu, Tulcea, photo © Danube-culture, droits réservés
Notes :
1Les pécheurs d’esturgeon utilisaient sur la mer de préférence une embarcation de taille plus importante la « Bolozane ».
2 Voir l’article de Frédéric Beaumont, « Les Lipovènes du delta du Danube », Balkanologie [En ligne], Vol. X, n° 1-2 | mai 2008 http://journals.openedition.org/balkanologie/394
Eric Baude, © Danube-culture, droits réservés, mis à jour octobre 2025
Remerciements à Paul Vasiliu pour son chaleureux accueil et à Luminiţa Grădinaru pour son aide à la traduction.
Sources :
Eugen Bejan (coordonator), Dicționar Enciclopedic de Marină, Ed. Societății Scriitorilor Militari, Bucarest, 2006
Ghid de ecotourism pentru pescari profesionişti, Asociatia Ivan Patzaichin – Mila 23
www.ecodeltadunarii.ro
www.rowmania.ro
www.rri.ro/fr_fr/la_revitalisation_du_delta_du_danube-24369

Lotcǎ à Vâlcov (aujourd’hui Vylkove ou Vylkovo, Ukraine) sur le canal de Belgaroschi. La petite petite ville a été fondée en 1746 sur le bras de Chilia par des réfugiés lipovènes.

Lotcǎ de pêcheurs lipovènes avec sa voile à la livarde, photo droits réservés












