Luigi-Ferdinando Marsigli (1658-1730) militaire, savant universel, géographe et naturaliste du Danube

   « Tout le monde sait que monsieur le Comte de Marsigli eut beaucoup de part aux Négociations de la Paix de Carlowitz en 16991. Il fut employé la même année au règlement des limites entre les deux Empires, en qualité de Commissaire Impérial. L’Empereur Léopold2, qui le connaissait personnellement, ne fut point insensible aux grands service que le Compte lui rendit ; & non content de l’honorer des emplois militaires qui convenaient à son mérite et à sa naissance, il entra dans les vues que ce Seigneur formait  pour le progrès des Sciences, & il encouragea les travaux, en prenant sur soi la dépense de l’exécution. Peut-être lui comptait-on cette faveur pour une récompense. C’en était une en effet pour un homme de l’humeur du Comte. C’est ainsi que furent proposées et levées les cartes qui représentent le cours du Danube, depuis Callenberg3, au dessus de Vienne, jusqu’à Giorgio & Rossig (Ruse)4 où la Jantra5 vient se perdre dans ce fleuve. Ce n’est pas qu’il se soit borné à cette seule partie du Danube, car il en donne le cours tout entier, & remonte même jusqu’à sa source, comme le font voir quatre pièces de ce recueil ; mais le sort de ses recherches a eu principalement cette partie pour objet.

Luigi Ferdinando Marsigli (1758-1730)

   Tout conspire à donner une haute idée de l’exactitude de ce travail. Ce n’est point un Géographe sédentaire, qui recueillant dans son cabinet diverses relations faites à la hâte par des voyageurs peu rigides sur le calcul, tâche d’ajuster de son mieux les distances qu’ils marquent sur une appréciation populaire, et hasarde souvent bien des choses dans les sinuosités que fait le cours d’une rivière. C’est un mathématicien habile, & exact jusqu’au scrupule, qui veut tout voir et tout mesurer jusqu’à la dernière précision. C’est en même temps un officier général, qui a sous lui, & à sa disposition, bon nombre de géomètres dont il conduit lui-même les opérations, & à qui il communique et son esprit & prête les lumières, pour former un ouvrage digne de son siècle & de la postérité, & qui réponde à l’idée qu’en a déjà d’avance le souverain qui doit en jouir… »

Bruzen de la Martinière, préface  de LA HONGRIE ET LE DANUBE PAR Mr. Le COMTE DE MARSIGLI, EN XXXI Cartes très fidèlement gravées d’après les Desseins originaux & les Plans levez Sur les lieux par l’Auteur lui-même. Ouvrage où l’on voit la Hongrie, par rapport à ses rivières, à ses Antiquités Romaines & à ses Mines ; & les Sources & Cours du Danube, &c.
A LA HATE, AUX DEPENS DE LA COMPAGNIE, M. CC. XLI

Notes :
1 Traité signé au bord du Danube le 26 janvier 1699 entre l’Empire ottoman et la Sainte Ligue  à  Karlowitz (Sremski Karlovci).  Ce traité marque le début du recul de la Sublime Porte (Empire ottoman)

2 Léopold Ier de Habsbourg (1640-1705),  couronné empereur du Saint Empire germanique en 1658 à Francfort.
3 Kahlenberg aux portes de Vienne appelé autrefois Mont Caetius, Giurgiu (Roumanie, rive gauche) et Ruse (Bulgarie, rive droite)
4 Giurgiu (Roumanie, rive gauche) et Ruse (Bulgarie, rive droite)
Affluent du Danube de la rive droite qui prend sa source en Bulgarie dans le Grand Balkan (appelé autrefois Mont Haemus ou Hémus

« … En suivant l’Armée Impériale, j’ai eu le loisir d’examiner non seulement avec attention, & sans être troublé par la crainte de l’Ennemi, tout ce qui s’offre depuis Vienne jusqu’à l’endroit où la Teisse (Tisza) se jette dans le Danube, mais aussi de rectifier & de fixer au plus juste les distances des Lieux par des Observations Astronomiques. M’tant ensuite avancé jusqu’à Vidin avec la même Armée, & la chance tournant peu de tems après, il ne me fut pas possible de continuer mes Observations avec la même exactitude ; puisque ne trouvant plus dans le reste du Païs les commodités nécessaires, je fus obligé d’aller tantôt par eau, tantôt par terre, en voiture ou a cheval, pour dérober à la hâte, au milieu même des Ennemis, tout ce qui pouvait servir à mon dessein. J’ai été plus embarrassé encore à l’égard du district entre Fillerun ou Filerin, Château situé sur le bord du Danube dans la Haute Servie, & le confluent de la rivière de Jantra ; car m’tant embarqué sur un vaisseau qui alloit à Constantinople, je n’y pu faire que clandestinement mes Observations… »

   Louis Ferdinand MARSIGLI (1658-1730), Comte, Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie, Contenant des Observations géographiques, astronomiques, hydrographiques, historiques et physiques

Luigi-Ferdinando Marsigli est né à Bologne le 10 juillet 1658 dans une famille de praticiens où il est de règle de recevoir une éducation soignée. Sa curiosité insatiable pour toutes sortes de discipline l’accompagnera toute sa vie. Le jeune homme complète sa formation avec quelques-uns des meilleurs savants italiens de l’époque : l’astronome Geminiano Montanari (1633-1687), le mathématicien et philosophe Giovanni Alfonso Borelli (1608-1679) et le médecin-naturaliste Marcelo Malpighi (1628-1694).

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DANUBIUS PANNONICO-MYSICUS (1726), ouvrage monumental contenant des observations géographiques, hydrographiques, astronomiques et physiques sur le Danube et son environnement.

Guerres et conflits en Europe et à ses frontières orientales se succèdent ; empires contre royautés, occident chrétien contre Empire ottoman… Marsigli choisit une carrière militaire singulière. Il se rend et séjourne à l’âge de 21 ans à Constantinople pour espionner les forces militaires de la Grande Porte tout en approfondissant ses connaissances en histoire naturelle qui lui permettent de publier en 1681 un traité sur les eaux du Bosphore.

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Buda, Ofen, Pest et l’île de Csepel en aval, carte publiée par Marsigli dans son ouvrage DANUBIUS PANNONICO-MYSICUS

L’Empire autrichien et sa capitale étant régulièrement sous la menace des armées de la Sublime Porte, L. Marsigli propose en 1682, après avoir servi la République de Venise, et fort de ses connaissances sur les armées ottomanes, ses services à l’empereur Léopold Ier de Hasbourg, roi de Bohême et de Hongrie qui s’empresse de les accepter et lui offre le commandement d’une compagnie d’infanterie. Mais les Turcs le capturent quelques mois plus tard sur les rives de la Rába, affluent hongrois du Danube, et l’emprisonnent. Sa captivité dure neuf mois chez ses premiers geôliers puis il est remis à un pacha ottoman qui veut bien le libérer en contrepartie d’une rançon. Sa famille, informée de sa captivité, réussit à le racheter et à le faire libérer le 25 mars 1684.

L. F. Marsigli retrouve sa place dans l’armée impériale où sa hiérarchie lui confie des travaux de génie civil, de constructions de fortifications, lui demande d’envisager des projets de pont sur le Danube. Il est nommé colonel en 1689 et reçoit également les fonctions de messager auprès du pape pour l’informer des victoires de la Chrétienté sur l’Empire ottoman. Son intérêt à cette époque va au pont romain dit « de Trajan » construit près de Drobeta Turnu-Severin par l’architecte d’origine grecque Appolodore de Damas à l’occasion des campagnes de l’empereur Trajan contre les tributs daces. Marsigli étudie les techniques de construction et envisage même le projet d’édifier un ouvrage sur le Danube à proximité de celui-ci.

Lorsque la guerre entre la France et l’Autriche (guerre de succession d’Espagne) reprend en 1701, Marsigli, devenu entretemps général, reçoit le commandement, sous les ordres du comte Johann Philipp d’Arco (1752-1704) de la place de Brisach-sur-le-Rhin (Vieux Brisach), assiégée par les armées françaises. Les armées impériales autrichiennes capitulent au bout de treize jours. L’empereur Léopold Ier, fort mécontent, reproche à ces deux militaires d’avoir cédé trop vite et ordonne de décapiter le comte d’Arco. Marsigli a plus de chance, il n’est que déchu de ses fonctions le 4 septembre 1704. Toutes ses tentatives pour amener à la révision de ce jugement se solderont par des échecs. Sa disgrâce lui permet toutefois de se consacrer pleinement à l’histoire naturelle, de parcourir l’Europe, d’étudier en Suisse la géographie des montagnes, de sillonner la France puis de s’installer à Marseille où il se prend de passion pour la biologie marine.

Le pape Clément XI (1649-1721) le rappelle en 1709 pour commander ses troupes. Après un bref séjour en Italie, il revient à Marseille (à noter qu’il s’appelle Marsigli soit Marseille en italien…), reprend ses recherches et fait publier son Histoire physique de la mer à Amsterdam (1715).

De retour dans sa ville natale, Marsigli propose à Bologne ses riches collections d’instruments de physique et d’astronomie, des plans et cartes de génie militaire et des pièces archéologiques. Ce don s’accompagne toutefois d’une condition : les collections doivent être gérées par des savants. Et pour cela, il fonde l’Institut des Sciences et des Arts de Bologne. Cette création est mal reçue par certains et engendre quelques heurts avec la communauté scientifique de l’époque, en particulier avec la prestigieuse Académie des Sciences et l’Académie de Peinture, Sculpture et Architecture de Bologne. Malgré tout  la communauté scientifique se réconcilie et L. Marsigli peut lier les activités du nouvel institut aux deux académies tout en les subordonnant à la vénérable université de Bologne.

Frontispice de le l’ouvrage La Hongrie et le Danube, extrait du Danubius Pannonico-Mysicus (Bibliothèque Nationale de France, domaine public)

En ce début du siècle des Lumières, l’intérêt pour les sciences est général en Europe. Alors que de nombreux États s’affrontent, les communautés scientifiques et artistiques transcendent au contraire les frontières. L.  Marsigli est salué et accueilli dans le cercle de nombreuses sociétés savantes et académies. Il appartient à la Société Royale des Sciences de Montpellier, devient membre associé étranger de l’Académie des Sciences de France (1715) puis membre de la Royal Society de Londres.

Mappa Metallographica, Celebris Fodinae Semnitziensis, Danubius Pannonico-Mysicus, 1726

Marsigli continue de promouvoir les sciences et fonde une imprimerie qui a la charge de publier les travaux des savants de l’Institut de Bologne. Estimant que les collections de cet institut ne sont pas encore suffisamment étoffées, en particulier pour les échantillons de pays lointains, il se rend en Angleterre et en Hollande et acquiert de nouvelles pièces ainsi que des monographies. C’est à l’occasion de sa venue à la Haye qu’est publié en 1726 son ouvrage monumental en 6 volumes sur le Danube DANUBIUS PANNONICO-MYSICUS. Les cartes sont publiées ultérieurement.

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Héron cendré (Ardea cinerea), Danubius Pannonico-Mysicus, 1726

Le savant retourne une nouvelle fois en Provence en 1728, mais une attaque d’apoplexie l’oblige à rentrer à Bologne. Une seconde attaque l’emporte le 1er novembre 1730.

Extrait de l’Éloge de Monsieur le comte Marsigli, (BNF, Archives de l’Académie des sciences, domaine public)

 Sources/bibliographie (extrait) :
MARSIGLI, Comte de, LA HONGRIE ET LE DANUBE PAR Mr. Le COMTE DE MARSIGLI, EN XXXI, Cartes très fidèlement gravées d’après les Desseins originaux & les Plans levez Sur les lieux par l’Auteur lui-même. Ouvrage où l’on voit la Hongrie, par rapport à ses rivières, à ses Antiquités Romaines & à ses Mines ; & les Sources & Cours du Danube, &c., Avec une Préface sur l’excellence & l’usage de ces cartes, PAR Mr. Bruzen de la Martinière
A LA HATE, AUX DEPENS DE LA COMPAGNIE, M. CC. XLI
MARSIGLI  (1658-1730), Louis Ferdinand, Comte de, Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie, Contenant des Observations géographiques, astronomiques, hydrographiques, historiques et physiques ; par  Mr. Le Comte Louis Ferd. de Marsigli, Membre de la Société Royale de Londres, & des Académies de Paris & de Montpellier ; Traduite du latin., [6 tomes], A La Haye, Chez Jean Swart, 1744
MARSIGLI, Luigi Ferdinando, Danubius Pannonico-Mysicus, Tomus I., A Duna Magyarországi és Szerbiai szakasza, Deák, Antal András, A Duna Fölfedezése, Vízügyi Múzeum, Levéltar és Könyvgyűjtemény, [Budapest], 2004
MARSIGLI, Luigi Ferdinando, L’État Militaire De L’Empire Ottoman., Edité par Pierre Gosse, Jean Neaulme, De Hondt & Moetjens., The Hague, 1732
QUINCY, L.D.C.H., Mémoires sur la Vie de Mr. le Comte de Marsigli, De l’Académie Royale des Sciences de Paris & Montpellier, De la Société Royale de Londres, & Fondateur de l’Institut de Boulogne, par Mr. L.D.C.H. de Quincy, IV Parthie, Chez Conrad Ohell & Comp., a Zuric, XVIIXI
STOYE, John, Marsigli’s Europe, 1680-1730: The life of Luigi Ferdinando Marsigli, Soldier and Virtuoso, Yale University Press, New Haven, 1994

Eric Baude, Danube-culture, mise à jour 12 février 2020, droits réservés

Des poissons (silures et esturgeons) du Danube par le comte Louis Ferdinand Marsigli (1744)

DES POISSONS DU DANUBE
____________________________

CHAPITRE IV.


DU
SILURUS,

OU

GLANIS,

NOMMÉ

BISE

PAR 
QUELQUES AUTEURS FRANÇOIS
.

Le poisson que Rondelet1 & Gesner2 appellent Silure, porte chez Aldrovandre3 le nom de Glanis4, le même par lequel Aristote l’a désigné. Les Allemans lui donnent celui de Schaiden, les Raciens5 le nomment Comƅ, Somb6, & les Hongrois Ifardseha7. Ce Poisson parvient à une grandeur considérable, qu’il y en a qui pèsent jusqu’à deux cens livres8, de seize onces la livre. Sa longueur est quelquefois d’une toise9 et demi, & la grosseur de son ventre approche de la grosseur de deux personnes corpulentes. Il a le corps assez long, la tête grande, le ventre gros, la peau unie, lisse et glissante. Le fond en est généralement brun, mais plus obscur dans les uns que les autres. On en voit qui tiennent du jaune, mais dans la plûpart, ce fond site sur le vert, & ils ont tous la peau un peu bigarrée par des traits & des tâches, plus claires les unes que les autres. Il est tout blanc sous le ventre.


   De tous les Poissons du Danube, c’est celui qui a la tête la plus grosse. Il a le crâne large, spacieux, fort aplati par dessus, gros & étroit à son son origine, mais plus large & allant en diminuant vers la bouche. Le reste du corps a moins de grosseur à proportion. Le devant de la tête ne s’allonge point, mais paroît comprimé ou tronqué, & sans museau. Sa bouche, placée tout à l’extrémité, est très-grande & fort fenduë, la mâchoire inférieure s’avançant un peu plus que la supérieure, & étant garnies l’une & l’autre de plusieurs rangs de petites dents fortes & très pointuës. En mesurant l’ouverture de sa bouche, on trouve, qu’elle égale dans sa circonférence le tiers de la longueur du corps. Il a les yeux petits, & placés vers le sommet. Au dessus des coins de la bouche, lui sortent du crânes deux longues barbes minces, qui vont toujours en diminuant. Elles sont dures & roides à leur origines, mais plus cartilagineuses & plus flexibles, à mesure qu’elles s’en éloignent. Ces barbes sont couvertes d’une peau semblable à celle du corps, & il peut les étendre en avant, ou recourber en arrière. Il en a encore quatre autres au menton, ou sous la gueule, mais elles sont petites, blanches, flasques & charnues.
   Son ventre n’occupe pas beaucoup d’espace en longueur, mais en revanche il s’étend par les côtés, & pend en dessous comme un sac. Le dos, qui est plus large vers la tête, se rétrécit peu à peu vers la queuë.
 Celle-ci est grosse, & sa surface supérieure procède du dos en ligne droite ; elle est plus large par dessous, où elle avance un peu sous le ventre, & va en diminuant, & en s’inclinant vers extrémité.
   Les nageoires sont au nombre de six, de même joueur que le reste du corps ; deux s’en trouvent près des ouïes, deux autres, semblables à celles de la Carpe, du Nasus & du Chabot ou Meunier, sont placées au défaut du ventre ; on en voit aussi une petite sur le dos, à quelques distances de la tête ; & la sixième, qui a peu de largeur, est molle et flasque, & s’étend sous le ventre, depuis l’endroit où la grosseur du corps commence à diminuer, jusqu’à l’extrémité de la queuë. Aldrovandre, dans la description qu’il a donné de ce Poisson, doute si cette nageoire se continue tout le long de la queue ; mais je puis assurer, qu’ayant été à porter d’examiner un grand nombre de Poissons de cette espèce, même dans les lieux où ils sont fort communs, j’ai toujours trouvé qu’elle s’étendoit jusqu’au bout de la queuë, & qu’elle s’y tenoit.
   Le Silure aime les fleuves tranquilles & profonds, qui coule dans un lit d’argile & bourbeux.


Il est vorace & fait du ravage permis les autres poissons.
   Sa chair est blanche, tendre, succulente, & il n’a point d’arrêtes, que celle qui règne le long du dos, depuis la tête jusqu’à la queuë.
   Il a beaucoup de graisse, même en partie avec la chair, & attachée en partie aux intestins. Sa queue sur-tout est très grasse, & à-peu-près du goût de l’Anguille, mais moins visqueuse ; ce qui fait qu’on la préfère à tout le reste, comme le plus friand morceau, lorsqu’elle est frite. Les Raciens de la religion Grecque exposent ordinairement ce poissons au grand air pour le sécher, & ils se servent des morceaux les plus gras, pour assaisonner leurs légumes &leurs choux. Le Silure qu’on prend dans la Teisse10 est gras, qu’on ne presque pas le manger sans dégoût.
Ses oeufs sont d’un jaune clair, en petite quantité, mous & petits. Son estomac approche par sa structure de celui des quadrupèdes, étant fort solide, nerveux & traversé par quantité de veines.
 Il fraye au mois de juin, près des bords, dans des lieux fangeux & argileux.

Notes :
1 Guillaume Rondelet (1507-1566), médecin et naturaliste français célèbre pour un ouvrage sur les poissons et pour avoir été le premier à utiliser une nomenclature scientifique binominale.
2 Conrad Gessner (1516-1565) naturaliste suisse, médecin, zoologue (Historiae animalium, 1555) philologue, ornithologue, botaniste, paléontologue, fondateur de la recherche bibliographique en Europe (Biliotheca Universalis, 1545)
3 Ulisse Aldrovandi (1522-1605), grand savant de la Renaissance italienne né à Bologne.
4 Silurus glanis
5 La Rascie, en serbe : Рашка, Raška, nommée d’après la rivière Raška est l’une des plus importante principautés serbes du Moyen-Âge. Établie à la fin du XIe siècle c’est à partir de celle-ci que sera constitué le royaume de Serbie puis l’Empire serbe. Au XIVe siècle la principauté du knèze Lazar Hrebeljanović est désignée par les Hongrois comme le royaume de Rascie. (sources Wikipedia)

6 Som en serbe
7 Ifardseha ? En langue hongroise silure se dit harcsa (poisson-chat)
8 Une livre = 489, 5 grammes
9 Une toise = 1, 949 m
10 Tisza, un des principaux affluents du Danube de la rive gauche

CHAPITRE I
DE DIVERSES ESPECES
D’ANTACÉES.
PREMIERE ESPECE
D’ANTACÉES,
OU
POISSON DONT ON FAIT LA COLLE.

   Gesner, Aldrovande* & Willoughby ✝︎ le nomme Huso, les Allemans Hausen/ Haufen, les HongroisWysahal & les Rasciens [?] Moruna. Ce Poisson (Planche X. Fig. I.) a de la longueur passablement, & beaucoup de ventre, mais il n’a point d’os, excepté ceux de la tête,& de tous les Poissons du Danube, c’est celui qui a les plus grandes nageoires. Ceux qu’on prend communément dans ce Fleuve ont deux toises de longueur, & pèsent cinq à six-cens livres : il s’en est même vendu à Vienne qui en pesaient neuf-cens ; mais on n’en a jamais pris au-dessous du poids de quinze livres, & les Pêcheurs assurent, qu’on en voit rarement de si petits. Ce Poisson a la peau lisse et unie, d’un cendré obscur sur le dos, mais celle qui e couvre les bosses est blanchâtre, ainsi que le dessous du ventre.

Il a le dessus de la tête presque aplati, fort large & inégal par des
redentures en relie, qui s’y étendent en longueur. Son crâne est d’os, mais il devient cartilagineux peu-à-peu vers le devant, où il forme une espèce de trompe ou de museau blanchâtre, gros, long & qui se termine en pointe émoussée. Il a les yeux à fleur de tête, mais petits à proportion du corps, & les narines placées devant les yeux. Il n’a point de dents à la partie inférieure de la bouche, qui est vis-à-vis ou à la hauteur des yeux, & qu’il ouvre par le moyen de deux cartilages cilindriques, courbés presque en demi-cercle, qui, dans un Poisson de quatre-cens livres, sont environ de la grosseur d’un petit doigt. Ces cartilages tiennent à la partie inférieure de la bouche par une chair flasque & musculeuse ; de sorte que la bouche s’ouvre par le relâchement de ces muscles, & se ferme par leur contraction. Le devant de la bouche est garni de quelques barbillons de chair. Les ouïes ne sont pas exactement couvertes.
   Il a le ventre & le dos unis, si ce n’est que ce dernier se resserre un peu vers le sommet, & forme une espèce de tranchant, sur lequel il y a plusieurs boucles ou bosses cartilagineuses. Les flancs sont enflés, & marqués d’un bout à l’autre  d’une raye en ligne convexe. L’épine du dos est un gros cartilage solide, & tout d’une pièce, percé depuis la nuque jusqu’à la nageoire de la queuë.
   On compte à ce Poisson sept nageoires, à savoir deux proches des ouïes, deux autres vers la fin du ventre, une derrière l’anus, & une sur le dos, plus large qu’aucune des précédentes, & qui occupe tout l’espace opposé à celui qui se trouve entre les dernières nageoires du ventre & celles de l’anus. Enfin la nageoire de la queuë, qui est la septième, est fourchuë, mais la branche supérieure se trouve plus longue de moitié que l’inférieure. Elles sont toutes rougeâtres, & composées d’arrêtes fortes, qui vont toujours en diminuant, & deviennent cartilagineuses vers les extrémités.
   Il se retire pendant l’Hyver dans de profondes cavernes, d’où il est chassé par les glaçons, qui s’entassent quelquefois vers le Printems dans le Danubede sorte qu’ils remplissent toute la capacité de son lit, & il lui arrive souvent d’être blessé par le choc des glaces, & d’en avoir même tout le museau brisé ; mais toutes les glaces étant parties, & de nouvelles eaux remplissant le Fleuve, il remonte vers sa surface pour frayer. Les Pêcheurs assurent, que ce Poisson, ainsi que tous les autres genres d’Antacées, viennent de la Mer Noire, & qu’on connoient ceux qui sont nouvellement entrés dans le Fleuve, par la couleur, qui devient plus sombre, à mesure du séjour qu’ils y font. Ces gens-là ajoutent, que lorsque le Printems est variable, ils passent dans la Mer, mais qu’ils retournent au mois de Juillet, & que, vers l’Automne, ils remontent le Fleuve, pour y chercher & prendre des quartiers d’Hyver.  De-là vient, que le Poisson dont il s’agit ne se prend que vers le Printems et l’Automne ; car l’opinion commune est, qu’il ne s’en trouve point dans le Danube pendant l’Eté, & en Hyver il n’a rien à craindre des filets, parce qu’il se tient en retraite au fonds des eaux.
   Il y a diverses matières  le prendre. Quelquefois, lorsqu’il nage à fleur d’eau, on le tire à coup de fusil chargé à bale, ou bien, si l’on peut l’approcher, on le perce d’un javelot ou d’une pique. Dès qu’il se sent blessé, il tombe en foiblesse & se retourne sur le dos, de sorte qu’il paroît le ventre en-haut : alors les Pêcheurs accourent en diligence, lui passent une corde par la gueule & par l’une des ouïes, & au bout de cette corde ils attachent un gros bâton par le milieu, afin qu’elle ne s’échappe point, après quoi ils attachent l’autre bout à une barque, & gagnent ainsi le rivage, tirant le Poisson après eux. Mais on le prend plus communément dans des filets d’un extrême longueur, qui ne sont faits que de simple fil, à grosses mailles, & dont chaque bout tient à une barque. On enveloppe de cette façon l’endroit où l’on a apperçu ce Poisson, qui, donnant du museau contre le filet, recule aussitôt, parce qu’il n’en peut pas souffrir le chatouillement. Les Pêcheurs resserrant leurs filets peu-à-peu, & le Poisson les rencontrant, & se sentant chatouillé par-tout, il se trouve obligé à se retirer vers le bord ; mais lorsqu’il s’apperçoit du peu de profondeur de l’eau, & qu’il n’y en a plus assez pour nager, il s’élance, soit de peur ou de rage , sur le rivage, où il tombe sur le dos. Alors les Pêcheurs se pressent pour lui passer au plus vite une corde, de la manière qu’il est dit ci-dessus, & ayant remis le Poisson dans l’eau, ils l’attachent à un pieu, enfoncé dans la terre, pour le garder en vie, de la même façon qu’on attache les barques, pour les empêcher d’être emportées par le courant. Il arrive très souvent pendant cette opération, à des Pêcheurs étourdis ou peu expérimentés, qui s’approchent inconsidérément de ce Poisson, quelque part que ce puisse être, pendant qu’il s’ébat sur le rivage, d’être renversés dans le Fleuve d’un coup de queuë : mais dès qu’ils remarquent qu’il s’apprivoise ou se radoucit un peu, ils le chatouillent au ventre, ce qui fait qu’il se couche sur le dos, & leur donne occasion de lui passer la corde , comme nous l’avons dit.
   Ce Poisson se nourrit de limon & de fange. L’opinion de ceux qui croyent qu’il dévore d’autres Poissons, vient de ce qu’on en trouve quelquefois dans son estomac, lorsqu’on l’ouvre ; mais cela n’arrive que par pur accident : car il ne leur donne point la chasse, mais lorsqu’il se promène dans les grandes eaux avec la gueule toujours ouverte, suivant sa coutume, ils y entrent aveuglément et d’eux-mêmes.
   Sa chair est blanche, & d’aussi bon goût que celle du veau.  On l’apprête de la même façon, & ceux qui n’en ont jamais mangé, la prennent bonnement pour telle. On fait des arrêtes des nageoires une gelée, semblable à celle des pieds de veau.
   Il y en a qui ont trois doigts de graisse blanche sur le dos.
   Ses oeufs sont ronds, d’un bleu qui tire sur le noir, enveloppés d’une membrane cendrée, & en si grande quantité, qu’ils sont le tiers du poids de tout le Poisson. Tous ses intestins sont en dehors d’un noir bleuâtre. Le dedans du ventricule, qui ne ressemble pas mal à un sac oblong, est blanc & ridé, & ce viscère communique par un conduit avec la vessie. Celle-ci est revêtue intérieurement d’une tunique blanche, qu’on blesse aisément, étant humide, & qui se déchire, même quand on la touche légèrement, mais cette tunique si délicate s’endurcit au soleil ou au feu, & prend plus de consistance, de sorte qu’on peut la séparer de la vessie. On ne se sert pour cela que des doigts, après quoi on achève de la dessécher, & c’est-là ce quoi nomme en allemand Hausen=  Blatter /Hausen-Blatter, ou Hausen=Blasen / Hausen-Blasen, en latin Ichthyocolla. On la coupe par petits morceaux, & étant réduite en mucilage par infusion, on s’en sert pour nettoyer les Vins. On en fait aussi, avec du Vin, de belles gelées, qui servent aux plus somptueux repas.  Dans le Tome VI. de cet Ouvrage, qui contient nos Observations mêlées, on trouvera la situation & l’arrangement des intestins de ce Poisson exactement dessinés.
   Il fraye au Printems, & dépose ses oeufs dans la Mer. Quoiqu’il en jette aussi dans le Danube, où on les trouve souvent en très grande quantité, ces derniers ne sont point féconds, & les Pêcheurs croyent, qu’ils sont la plupart dévorés par les E[s]turgeons.

   [ ? Les Ichthyographes François n’ont pas encore trouvé de nom propre à donner à ces Poissons de Rivière, appelés par les Anciens Atacei, ou simplement Magni. Belon & Rondelet se sont contentés, en parlant du premier Poisson de cette espèce, dont on fait la Colle, de rapporter les noms que divers Peuples lui donnent, sans rien déterminer touchant celui qu’on peut lui donner en François. Le sçavant Abbé Furetière, ainsi que Mrs. Basnage de Beauval & Brutel de la Rivière, qui ont revû, corrigé & augmenté son Dictionnaire, ont simplement fait la description de ce Poisson, à l’Article Colle de Poisson, sans lui donner de nom. Toutes ces raisons m’ont déterminé suivre ce que Rondelet dit Part. II de son Histoire des Poissons, pag. I34 ; c’est-à-dire à comprendre toutes les espèces, appelées Huso par l’Auteur, sous le nom d’Entachées, qui a aussi été employé par Aldrovande, puisque ce nom convient non seulement  à tous Poissons fort grands & de merveilleuses & non accoutumées staturedesquels on fait des saleures, comme s’explique Rondelet, à l’endroit cité, mais aussi généralement à toutes les espèces d’E [s]turgeons.]

* Livre IV. Chap. 9.      ✝︎ Livre IV. Chap. 24                     

QUATRIEME ANTACÉE,
OU
E[S]TURGEON
DE LA
SECONDE ESPECE.

Cette espèce d’E[s]turgeon (Planche XI. Fig. 2) a la peau plus noirâtre que le précédent. Les osselets qui lui garnissent le dos sont aussi plus longs, plus pointus & plus crochus, & son museau, qui est plus long, se redresse d’avantage.

Il se trouve aux cataractes du Danube, dans la Mer Noire, & dans celle de Marmora ; cependant les Pêcheurs assurent, que ni eux, ni personne avant eux, n’en ont jamais pris dans le détroit qui joint ces deux Mers, quoiqu’il n’y aît que ce seul passage de l’une à l’autre. cette singularité leur donne lieu de croire, que ce Poisson remonte de la Mer Noire jusqu’aux cataractes du Danube, & que de-là il passe dans la Mer de Marmora, par des conduits & des canaux souterreins.

Sources :
MARSIGLI  (1658-1730), Louis Ferdinand, Comte de, Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie : Contenant des Observations géographiques, astronomiques, hydrographiques, historiques et physiques ; par  Mr. Le Comte Louis Ferd. de Marsigli, Membre de la Société Royale de Londres, & des Académies de Paris & de Montpellier ; Traduite du latin., TOME QUATRIÈME [6 tomes], A La Haye, Chez Jean Swart, 1744

Danube-culture, février  2020

 

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