Le Danube ottoman II : Mohács 1526

   Charles de Habsbourg plus connu sous le nom de Charles Quint (1500-1558), qui réunissait sur sa tête les couronnes d’Espagne, des Deux-Siciles, des Pays-Bas et d’Autriche, était considéré comme une menace permanente par la Sublime Porte (Empire ottoman). Une révolte des janissaires turcs avait d’autre part du être réprimée sévèrement. Aussi le sultan Soliman Ier dit « le Magnifique » (1494-1566), dixième sultan de la dynastie ottomane, décide t-il d’attaquer la Hongrie et de mener ses redoutables guerriers au combat en leur faisant miroiter l’espoir d’un butin considérable.

Soliman le Magnifique (1494-1566)

En face des troupes ottomanes , l’armée hongroise réunie par le jeune roi inexpérimenté de Bohême et de Hongrie, Louis II Jagellon (1506-1526), en nombre et en équipement largement inférieure aux Ottomans, subit une de ses plus sanglantes défaites de son histoire face aux troupes de  Soliman et de son « ami » le vizir Ibrahim Pacha (1493-1536) que le sultan fera assassiné dix ans plus tard.

La bataille de Mohács, miniature turque

 La stratégie ottomane avait été soigneusement élaborée avant la bataille : ouvrir les rangs pour laisser pénétrer la cavalerie ennemie, puis l’encercler. Cette stratégie était la bonne. Emportés par leur fougue orgueilleuse, espérant s’emparer du sultan, les chevaliers chrétiens se précipitèrent dans ce piège et se firent rapidement décimés par l’artillerie ottomane. Le jeune Louis II Jagellon et les survivants du massacre, lourdement handicapés par le poids de leurs armures périrent pour la plupart. Le roi se noya dans les marécages des alentours pendant la retraite de ses troupes. Il semblerait que son allié et vassal hongrois de Transylvanie, János Szapolayi (Jean Ier de Hongrie, 1487-1540), ne lui apporta pas toute l’aide et le renfort attendus. Celui-ci, soutenu par Soliman, succédera d’ailleurs à Louis II Jagellon comme roi de Hongrie à la fin de la même année…

Janos Szapolayi (1487-1540)

Cette défaite marque le début de l’occupation de la Hongrie par les Turcs. Pest tombe au main de la Sublime Porte en 1529. Les armées de Soliman le Magnifique ne réussissent toutefois pas à prendre Vienne la même année après un siège qui dure de mai à décembre. Une nouvelle tentative en 1532 se soldera encore une fois par un échec mais le Danube est désormais ottoman de Pest jusqu’à la mer Noire et sert et servira activement pour celui-ci de poumon commerciale, économique et militaire.
Une autre bataille a lieu le 12 août 1687 près de Mohács sur le mont Harsany. Cette fois, les troupes impériales autrichiennes avec à leur tête le duc Charles V de Lorraine (1643-1690), vainqueur des Turcs au siège de Vienne en 1683 avec le roi de Pologne Jean III Sobieski  (1629-1696) et le margrave Louis de Bade-Bade (1655-1707) prennent leur revanche et infligent à la Sublime Porte une défaite décisive. L’expansion turque s’arrête. Cette défaite marque aussi tout comme l’échec du siège Vienne en 1683 et le Traité de Karlowitz (Sremski Karlovci, aujourd’hui en Serbie), signé sur les bords du Danube entre la Sublime Porte et l’empire des Habsbourg en 1699, le début du déclin de l’Empire ottoman et son retrait des rives du fleuve vers l’aval. Le Danube se transformera par la suite en une ligne de défense contre les Habsbourg sur son cours moyen puis, sur la partie basse du cours du fleuve, contre l’Empire russe.

La seconde bataille de Mohács (1687) qui verra le triomphe des armées de l’Empire d’Autriche emmenées par le duc Charles V de Lorraine (1643-1690).   

Un monument pérènise sur la colline de  Törög (turc en hongrois), sur le lieu même de l’affrontement, le souvenir de la première bataille qui préluda à cent cinquante années d’occupation turque de la Hongrie. Une église votive dans le style byzantin a été édifiée sur la place principale de Mohács à l’occasion du 400e anniversaire de l’évènement.

Sources :
CLOT, André, Soliman le Magnifique, Fayard, Paris, 1983  
GEORGEON, François, VATIN, Nicolas et VEINSTEIN, Gilles (sous la direction de), Dictionnaire de l’Empire ottoman, XVe-XXe, Fayard, Paris, 2015
MANTRAM, Robert, (sous la direction de), Histoire le l’Empire ottoman, Fayard, Paris, 2003
SOLNON, Jean-François, L’Empire ottoman et l’Europe, Perrin, Paris, 2017  

TURNBULL, Stephen, Ottoman Empire 1326-1699, Osprey Essential Histories 062, 2003, e-Library 2005

 Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour mai 2024 

Mohács (Hongrie)

« Le Danube se divise en deux bras juste au-dessus de Bátaszék : le plus grand bras divise la Trans-Hongrie, un champ plat, le plus petit baigne Bátaszék et Mohács, et les deux se rejoignent en dessous de Mohács, formant une île. »
Écrit en 1528 par István Brodarics, Récit véridique de la bataille des Hongrois contre les Turcs à Mohács, Magvető Kiadó, Budapest, 1983

« Immédiatement au-dessous de Baja le fleuve se sépare de nouveau, et forme la Nagymargitsziget (grande île Marguerite), c’est-à-dire l’île nommée : île de Mohács ; ensuite vient à droite Bátta avec les restes d’une ancienne abbaye ; derrière il y a d’assez hautes montagnes plantées de vignes, et après, à droite est Dunaszekcső, bourg avec un bon restaurant communal et une place d’embarquement pour les vins pour Báttaszék.
Alors le peu de coteaux plantés de vigne disparaît et sur le rivage plat à droite suit le bourg de Mohács, d’à peu près 15 000 habitants, station principale du chemin de fer de Mohács à Fünfkirchen (Pecs) et Bude et par cela en communication avec le chemin de fer de Alföld-Fiume, Fünfkirchen-Barcs et Fünfkirchen-Budapest et avec le chemin de fer du sud. C’est la place la plus importante pour l’embarquement des charbons de pierre…
Dans les environs de Mohács on cultive beaucoup de blé et surtout le maïs, comme la vigne… »

Alexandre François Heksch, Guide illustré sur le Danube de Ratisonne à Souline et indicateur de Constantinople, A. Hartleben, Éditeur, Vienne. Pest. Leisic., 1883

Le nom tire son origine du slave Mъchačь, Mocháč : mъchъ (mousse, le mot hongrois moha est un emprunt au slave + le suffixe slave -ačь, comme le slovaque Mochnáč ou le tchèque Macháč).
Les premiers habitants de cette région connue dans l’histoire furent les Pannonii (Pannoniens d’où le terme de Pannonie pour la plaine pannonienne), un groupe de tribus indo-européennes apparentées aux Illyriens. À partir du IVe siècle avant J.C., elle est envahie par diverses tribus celtiques nomades. On sait peu de choses sur la Pannonie jusqu’en 35 av. J.-.C., lorsque ses habitants, alliés des Dalmatiens, sont attaqués par les armées de l’empereur Auguste (63 av.-14 ap. J.-C.). La Pannonie n’est définitivement soumise par les Romains qu’en 9 avant J.-C., date à laquelle elle est incorporée à l’Illyricum dont le territoire s’étendait jusqu’au Danube. L’Illyricum est scindée ultérieurement en deux provinces, la Pannonie au nord et la Damaltie au sud. La Pannonie est divisée en deux provinces sous l’empereur Trajan, la Pannonie supérieur avec sa capitale sur la rive droite du Danube Carnuntum et la Pannonie inférieure (capitales Aquincum et Sirmium) puis en quatre entité sous l’empereur Marc-Aurèle. Au sud de Mohács, sur le site du village Kölkeden avait été construite une importante forteresse du limes du nom d’Altinum. Les Avars prendront possession de la région à la chute de l’Empire romain et se heurteront à Byzance tout en établissant un empire qui disparaîtra à la fin du VIIIe siècle à cause des conquêtes de Charlemagne et de son fils Pépin d’Italie.
Mohacs avec le comté de Baranya appartiennent dès le Moyen-âge au royaume de Hongrie.

Mohács, détail de la « Tabula Hungariae » du diacre Lazare, 1528

   La forteresse de Mohács et le Danube pendant la période ottomane, peinture de Maximilian Brandstetter, 1608. Cette forteresse, connue sous le nom de « Párkán(y) » en turc (nom hongrois de Šturovo, commune aujourd’hui sur la rive gauche désormais slovaque), était l’une des plus petites construction défensive érigées par les Ottomans le long du Danube, de la région de Serem à Esztergom. Les journaux de voyageurs et d’émissaires des XVIe et XVIIe siècles contiennent de nombreuses informations sur cette petite garnison militaire. Les bateaux sur le Danube sont à la fois des embarcations civiles de type et militaires (tschaïques, embarcations légères et profilées avec leurs rangées de rameurs pour manoeuvrer rapidement et pouvoir remonter sans difficulté le fleuve).   

Pendant l’occupation turque la ville est la préfecture du Sandjak de Mohács. Selon le récit publié dans le « Livre des voyages » (Seyâhatnâme) d’Evliya Çelebi (1611-1682) qui visite Mohács en 1663, la forteresse se dresse au bord du Danube, avec quatre bastions et des canons aux angles. Outre la cinquantaine de logements pour les soldats, la construction se compose également d’une salle de guerre, de deux greniers et d’une mosquée décorée de mosaïques. La Porte de l’eau donne sur le Danube sur lequel flottent des bateaux-moulins, tandis que la Porte de la ville est gardée par une tour forteresse armée de canons. Les douves sont alimentées par les eaux du Danube. Les 300 maisons de « Miháds » (Mohács) possèdent des toits de chaume , seuls le palais du pacha, une auberge et la mosquée sont recouverts couverts de tuiles. Il y a également une médersa, un monastère et deux écoles primaires. Le village à deux portes était entouré d’un mur d’enceinte rempli de terre et les douves ont également été inondées par les eaux du Danube.1
   Après avoir été reconquise sur la Grande Porte par les Habsbourg-Lorraine en 1687 et être retournée dans le Royaume de Hongrie au sein du Saint Empire Romain germanique, Mohács et la Baranya voient arriver, la plupart du temps par bateau, des colons appelés « Souabes du Danube » (Donauschwaben) bien qu’ils ne soient pas obligatoirement originaires de la Souabe qui s’installent après avoir reçu des autorités des terres à défricher et à cultiver.

Mohács en 1778

Neu-Mohács et le Vieux  Mohács intérieur, délimités par le fossé de Büdös, sur le premier relevé militaire (1783)

Ces colons invités à repeupler et à mettre en valeur ces territoires reconquis auront à coeur de préserver leur langue et leur culture jusqu’au milieu du XXe siècle et la seconde guerre mondiale dont les conséquences seront dramatiques pour eux. Ils seront expulsés de leurs terres vers l’Autriche et l’Allemagne par les gouvernements communistes qui les accusent d’avoir collaborer avec les nazis et en profitent également pour confisquer leurs biens.
Entre 1918 et 1921, la ville est occupée par les Serbes et, en 1921, elle fait partie de l’éphémère République serbo-hongroise de Baranya-Baja. La frontière hongroise est redessinée par le Traité (controversé) de Trianon, désastreux pour la Hongrie et les géographes la feront passer désormais un peu au sud de Mohács.
En raison de la culture des céréales dans les environs, on trouvait autrefois, tout comme dans la cité voisine en amont de Baja sur la rive gauche, devant la ville, un nombre impressionnant de bateaux-moulins en activité. Puis vint le temps de la navigation à vapeur et de l’exploitation des mines de charbon voisines de Fünfkirchen (Pecs) par la D.D.S.G., charbon que les bateaux chargeaient au port après qu’il ait été transporté par train jusqu’à Mohács. Les navires remontaient leur précieuse marchandise vers Budapest et Vienne.

Femmes de Mohács lavant du linge au bord du Danube, photo Lőrincze Judit, Fortepan, 1958

Une importante minorité juive vécut à Mohács au cours de l’histoire. Persécutée par l’administration hongroise au nom de vieilles rancunes aussi injustes que tenaces pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fut internée dans deux ghettos puis déportée à Pecs et Auschwitz.
Des colons et croates s’installèrent également à Mohács au cours des siècles précédents.

Monuments historiques, musées, évènements, environnement…
Hôtel-de-ville de Mohács

L’imposant Hôtel-de-ville de Mohács aux influences architecturales ottomanes, sans doute pour mieux s’émanciper du passé, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Mercure de Mohács, photo © Danube-culture, droits réservés

Cinéma Kossuth (expositions…)
Patrimoines religieux et industriel

Patrimoine religieux, photo © Danube-culture, droits réservés

Un patrimoine industriel restauré avec soin, photo © Danube-culture, droits réservés

   Mohács est aussi la ville ville natale du peintre surréaliste et ami d’André Breton, Endre Roszda (1913-1999)
https://www.rozsda.com

Endre Rozdan

Endre Roszda, autoportrait

Atelier du sculpteur de masques en bois d’Antal Eglert (Kigyá utca 7)
Le Mémorial de (des) la bataille(s) de (Emlékpark) se trouve à 6 km environ au sud de Mohács près de Sátorhely. Le monument au roi hongrois Lajos (Louis II) a été érigé à l’occasion de la célébration du 450e anniversaire de la bataille de 1526 à l’endroit où le souverain s’est noyé.
Les bateliers, pêcheurs et meuniers de Mohács organisaient autrefois une fête, la « Wassergehenden » en lien avec le Danube qui tomba peu à peu dans l’oubli au fil du temps. Le Centre culturel remit cette coutume au goût du jour en 1989. Évènement populaire, la « Wassergehenden » a lieu désormais le 1er mai avec une procession de bateaux, un concours de soupe de poisson, tradition perpétuée également à Baja et ailleurs le long du fleuve, des concerts et un feux d’artifice.
   De Mohács  il est très facile (et recommandé !) de se rendre dans le Parc National Duna-Drava ou encore dans celui de Gemenc qui abrite entre autres oiseaux une population de cigognes noires, de réaliser des excursions en bateau, de louer des bicyclettes ou de profiter des thermes locaux.

L’élégant bac de Mohács-Ujmohács se fait discret dans le paysage, photo © Danube-culture, droits réservés

Au port de Mohács, photo © Danube-culture, droits réservés

Un peu plus au sud (PK 1425, 5), sur la rive gauche et en Serbie dont le territoire commence au PK 1433, se trouve l’entrée du canal Danube-Tisza, une réalisation longue de 123 km et achevée en 1801 sous le nom de « canal François » qui permit de drainer des territoires marécageux et de faciliter les communications et le transport des marchandises.
La ville n’est malheureusement plus accessible par la ligne de chemin de fer Villány-Mohács, qui a été achevée en 1857 entre Mohács et Pécs et qui en faisait la deuxième ligne de chemin de fer de Hongrie.
Le port frontalier de Mohács, le seul port frontalier fluvial de l’Union européenne, a été inauguré en octobre 2007. Il possède un littoral de 340 mètres de long et une voie d’évitement.
Un plan routier  prévoit la construction d’un pont ce qui à la vue du traffic qui franchit le Danube par le bac, n’apparaît pas comme une priorité. Longue vie au bac de Mohács !

 L’évènement culturel majeur de la ville : le carnaval des Busó 
   Ce carnaval a lieu chaque année au mois de février et accueille de nombreux touristes. Il a été classé en 2009 au Patrimoine mondial immatériel de l’Unesco.

Carnaval des Busó : quand les esprits naviguent sur le Danube,  photo droits réservés, 

   Le carnaval des Busó est une manifestation traditionnelle populaire de six jours qui célèbre la proche fin de l’hiver. Les Busó sont des personnages (selon la tradition des hommes déguisés) portant des manteaux de laine grossiers et le visage recouvert de masques en bois aux grimaces effrayantes et ornés de cornes. Un concours de costumes pour les enfants, une exposition de masques et d’autres objets artisanaux, la venue de plus de 500 Busó dans des barques sur le Danube pour un défilé dans la ville accompagné de chars fantastiques tirés par des chevaux ou motorisés, la mise à feu d’un cercueil symbolisant l’hiver, un feu de joie sur la place principale ainsi que des festins et de la musique à travers la ville sont au programme.

Des Busó jusque dans le hall de l’Hôtel-de-ville, photo © Danube-culture, droits réservés

   L’origine de cette tradition populaire qui appartenait initialement à la minorité croate de Mohács, est devenue au fil du temps une marque de la ville tout entière. Elle symbolise une commémoration des grands événements de son histoire. Bien plus qu’une manifestation à caractère uniquement  social, le carnaval des Busó est une expression à la fois d’un groupe social, de la ville et de la nation hongroise toute entière qui aime ainsi exorciser ses vieux démons et les évènements tragiques de l’histoire de  la nation hongroise.

Monument  du centre ville en hommage aux  dont on se demande s’ils ne sont pas présents dans la ville toute l’année, photo © Danube-culture, droits réservés

   Il permet à chacun de s’exprimer au sein de la communauté. Les créations artistiques qui appartiennent à cette manifestation sont préservées par des groupes autonomes de Busó provenant de tout milieu culturel qui  transmettent les techniques de sculpture de masques et les célébrations rituelles aux générations suivantes afin qu’elles se perpétuent.

Notes :
1 Evlia Çselebi, Turkish world travels in Hungary 1660-1664. Turkish historians III, 1904, Académie hongroise des sciences, Budapest

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, août 2023

   Endre Roszdan, Plein poids dans le rêve, 1960, Musée d’art moderne André Malraux — MuMa Le Havre. « J’éclaire des objets et des hommes, réveille des dormeurs, éveille les morts, je les fais parler d’événements qu’ils n’avaient peut-être jamais vécus, je capte des sons, je tisse des fils multicolores pour les attraper et j’écoute leurs appels, je saute ici et là, pinceau en main, occupé à vite fixer le passé. »

Endre Rozda (1913-1999)

Endre Rozda, Autoportrait à la pipe (1932) 
   Témoignant d’un talent précoce (il peint dès l’enfance sur les murs de la maison familiale !) le jeune artiste va étudier à l’école de Vilmos Aba-Novák (1894-1941) à Budapest, rencontre à l’occasion d’un concert le compositeur Béla Bartók (1881-1945), un musicien fasciné par la musique populaire et le Danube auquel il dédie l’une de ses oeuvres de jeunesse A Duna folyása (le cours du Danube, version pour piano de 1891, pour violon et piano de 1894. L’oeuvre novatrice de Bartók (la Sonate pour deux pianos et percussion) qu’entend Endre Rozda durant cette soirée musicale, exerce une profonde influence sur son évolution créatrice précoce : « Bartók n’était rien d’autre qu’un nom pour moi. Je ne le connaissais pas. […] Puis Bartók a interprété avec sa femme une œuvre personnelle en création mondiale la « Sonate pour deux pianos et percussion », qui est à mon avis l’une des œuvres les plus importantes du vingtième siècle. Je m’étais assis à un endroit d’où je pouvais voir les mains de Bartók. J’étais ébloui. Je n’avais jamais pensé à ce que la musique aurait pu être au-delà de Bach, de Mozart, au-delà de Moussorgski. J’étais absolument ivre de cette musique. […] J’ai compris à ce moment-là que je n’étais pas le contemporain de moi-même ».

Endre Rozda, « Amour sacré, Amour profane », 1947 (sources www.rozda.com, droits réservés)

Endre Rozda expose pour la première fois seul dans la capitale hongroise en 1936 et émigre à Paris (1938) où il poursuit ses études à l’École du Louvre et se lie d’amitié avec des artistes du mouvement surréaliste. Revenu malgré lui à Budapest en 1943, il vit dans la clandestinité sous la menace d’une arrestation (sa mère est déportée en 1944) jouant un rôle essentiel dans la fondation en 1945 de « l’École Européenne », un groupe d’artistes hongrois qui doit se dissoudre (1948) sous la pression du régime communiste allergique au surréalisme et à l’art abstrait. Le peintre survit en illustrant des livres et revient à Paris après la déroute de la révolution de 1956. Sa première exposition (1957) à la galerie Furstenberg lui ouvre en grand les portes de la notoriété. Son oeuvre illustrant les questions fondamentales de l’existence dans un langage propre et intimement liée au temps, s’affranchira du surréalisme, ne cessant de se métamorphoser et de se densifier pour rejoindre dans une dernière période de son cheminement l’univers de l’abstraction lyrique.
« À ceux qui regarderont mes toiles, je voudrais seulement demander de faire comme l’enfant que je fus, de donner assez de temps à la contemplation des images que je leur propose pour trouver le sentier qui y mène et permet de s’y promener. »Endre Rozda.
Son ami André Breton a écrit à propos de la peinture d’Endre Rozda : « Voici le haut exemple de ce qu’il fallait cacher si l’on voulait subsister, mais aussi de ce qu’il fallait arracher de nécessité intérieure à la pire des contraintes. Ici se mesurent les forces de la mort et de l’amour ; la plus irrésistible échappée se cherche de toutes parts sous le magma des feuilles virées au noir et des ailes détruites, afin que la nature et l’esprit se rénovent par le plus luxueux des sacrifices, celui que pour naître exige le printemps. »

Danube-culture, septembre 2021

Pour en savoir plus…
www.rozda.com
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