Giurgiuleşti, port moldave international sur le Danube maritime
« On nous a fait coiffer des casques de chantier pour piétiner l’herbe rase du terminal international de Giurgiulești, admirer sa belle géométrie de tuyaux jaunes, rouges et bleus enchevêtrés. Pas un bateau n’est à quai, le tirant d’eau est si faible que seule des péniches peuvent accoster. La chargée de communication boitille dans la poussière sur ses chaussures à talons. Un puissant 4×4 nous fait faire le tour du propriétaire, mais les installations portuaires s’arrêtent vite : de l’autre côté du champ, c’est déjà l’Ukraine. Les responsables de Danube Logistics mettent en avant la position « exceptionnelle » du site de Giurgiulești, situé « aux frontières de l’Union Européenne », directement raccordé au réseau de chemin de fer roumain, donc européen, au réseau ukrainien, lui-même relié au réseau russe… L’Union européenne, au vrai, n’est pas loin : de l’autre côté du village, entassement de maisonnettes branlantes entourées de petits potagers, une longue file de voitures attend de pénétrer en Roumanie, soulevant des nuages poussières grises…. »
Laurent Geslin, Jean-Arnaud Dérens, « Giurgiulești International Free Port », Là où se mêlent les eaux, Des Balkans aux Caucase dans l’Europe des confins, La Découverte, Récit de voyage, Paris, 2018
Un accès symbolique ?
Pas tout à fait car ce petit pays aux portes de l’Europe, privé d’accès à la mer Noire pourtant toute proche, a pu y construire avec l’aide de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) dans le début des années 2000, au confluent du Prout (affluent de la rive gauche qui prend sa source dans les Carpates ukrainiennes avec le Danube, plus précisément au mille nautique 72, 2,/km 133, 8 (Giurgiuleşti se trouve dans le périmètre du Danube maritime et les distances se mesurent sur cette partie du fleuve en milles nautiques), sur un territoire de 120 hectares et sans malheureusement se préoccuper des conséquences environnementales, un port équipé d’un terminal pétrolier, d’un terminal pour les cargos transportant des céréales et un troisième pour les autres navires de commerce. Chişinau, la capitale de la Moldavie se trouve à un peu plus de 200 km au Nord. Nous sommes à Giurgiuleşti dans le « raion » (arrondissement) de Cahul, principale ville moldave méridionale. Les actionnaires russes, grecs et azerbaïdjanais y étant majoritaires, le port n’est en fait pas vraiment sous contrôle moldave.
C’est en 1992 que la petite République moldave, privée d’accès à la mer, s’est vu tout d’abord attribuer 340 mètres le long du fleuve puis en 1999, grâce à un échange de territoire avec son voisin ukrainien (il semblerait au dire des Ukrainiens que la Moldavie n’ait pas cédé la totalité du territoire prévu dans l’accord …), cette longueur a pu s’étendre de… 230 m. C’était toutefois beaucoup moins que ce qu’espéraient initialement les autorités moldaves pour leur permettre de développer leur équipement portuaire mais il n’a pas été possible de trouver une solution plus abouti entre les deux pays. L’Ukraine n’avait évidemment aucun intérêt à faciliter à cet endroit la construction d’un port fluvial accessible aux navires de grand tonnage, relié aux grandes cités danubiennes roumaines voisines de Tulcea (Dobrodgée), Galaţi (Moldavie) et Brǎila (Valachie), une nouvelle infrastructure qui pouvait venir concurrencer ses propres villes portuaires de Reni (mille nautique 69) et, plus en aval, d’Izmaïl (mille nautique 49,9), toutes deux sur sur le bras septentrional roumano-ukrainien de Chilia voire d’Odessa sur la mer Noire. Aujourd’hui, du fait de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ce port de Giurgiulesti pourrait jouer dans un proche avenir un rôle capitale dans la reconstruction de son voisin ce que semble souhaiter les responsables de l’Union européenne tout comme les dirigeants roumains intéressés par le rachat de cette structure. Encore faudrait-il savoir à qui appartient le port aujourd’hui. En 2021 la BERD, le plus gros investisseur en Moldavie, a annoncé avoir racheté la totalité du capital de Danube Logistics. Ne faudrait-il pas avant tout privilégier avant tout le reconstruction des infrastructures des ports ukrainiens du Danube de Reni et Izmaïl ?
« Car le village de Giurgiulesti, mille âmes peut-être [3074 habitants, source Wikipedia, année 2020], est situé à la pointe sud de la Moldavie, cette minuscule pointe coincée entre Roumanie et Ukraine et qui effleure le Danube de quelques mètres, permettant à la Moldavie de s’inviter de justesse au club des dix pays riverains du plus européen des fleuves1. Une situation frontalière quelque peu alambiquée que la légende attribue une fois de plus à ce grand tailleur de carte que fut Joseph Staline : en traçant les frontières de la région à grands coups de règle, son trait aurait ripé aux abords de Giurgiulesti…
Reprenons : la confluence du Prut et du Danube marque le début de la rive moldave du grand fleuve. Trois cent mètres plus loin, cette même rive est ukrainienne. Bref, tout pour faire de cette pointe une zone interdite, un nœud de frontières trop compliqué pour être laissé à la curiosité du premier promeneur venu. Mais pourquoi ne pas tenter, avance Olga, inaugurant une longue série d’aphorismes par un très sur « Dans la vie, rien n’est impossible »… Et de descendre à grands pas le dernier kilomètre du Prut vers l’endroit ou il se donne au Danube et meurt. »
Guy Pierre Chomette, Frédéric Sautereau, Lisières d’Europe, De la mer Égée à la mer de Barents, voyage en frontières orientales, Éditions Autrement, collection Frontières, Paris, 2004
Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour août 2024
Notes :
1Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie, Croatie, Serbie, Roumanie, Bulgarie, Moldavie, Ukraine.
Sources :
www.moldavie.fr
Giurgiulesti International Free Port : www.danlog.md
Giurgiulesti International Free Port homepage