L’abbaye bénédictine de Melk

Danube Donaustauf
   « L’abbaye bénédictine de Melk domine le paysage environnant avec ses magnifiques bâtiments, l’édifice le plus imposant de tout le cours du Danube, célébré par des chants et des récits depuis sa fondation au XIe siècle. De sa grande terrasse, on découvre toute la majesté du fleuve, dont la large nappe d’eau brillante s’étend de la plaine, bien au-delà de Pöchlarn, jusqu’à l’ombre du défilé en contrebas à travers lequel il se fraye un chemin entre des hauteurs escarpées, dentelées d’énormes rochers et de ruines de forteresses. Il n’y a pas de tronçon plus grandiose et plus romantique du Danube en amont de Vienne que les quelques kilomètres en aval de Melk, car les sommets sont plus hauts et plus audacieux et les rochers plus sauvages que dans n’importe quelle autre gorge. Des ruines d’anciens châteaux-forts de brigands sont perchées sur chaque pinacle vertigineux, des ravins profonds avec des ruisseaux tumultueux marquent les flancs de la montagne, et de grandes parois rocheuses déchiquetées s’élèvent au-dessus des sombres frondaisons, formant souvent des barrières infranchissables le long des pentes les plus vertigineuses. Le courant tourbillonnant nous fit traverser trop rapidement ce tronçon d’une beauté enchanteresse, et lorsque, au coucher du soleil, nous vîmes la grande ruine de Dürrenstein [Dürnstein] dresser ses nobles tours sur le ciel violet, nous choisîmes un campement sur la rive opposée et regardâmes les dernières lueurs dorées du soleil s’éteindre sur ses créneaux brisés… »
Francis Davis Millet, « Melk and the pass below », The Danube from the Black Forest to the Black Sea, 1893

Johann Ziegler (1750-1812), graveur d’après un dessin de Lorenz Janscha, Lorenz, (1749-1812), vers 1810

« Melk, le plus beau sanctuaire danubien, où résidèrent ces Babenberg, premiers dynastes autrichiens de l’an mille avant les Habsbourg… Melk sur son roc, à l’entrée du défilé de la Wachau, avec sa terrasse insolente sur le fleuve, sa cour des Prélats, sa salle des Marbres, sa bibliothèque bénédictine, aussi belle que celle de la Hofburg. »
Paul Morand

Walter Prinzl (1891-1937), l’abbaye de Melk enneigée, 1922


« Et comment dire la beauté de Melk élevant sa façade ocrée au-dessus du Danube, le jeu subtil qui s’y joue entre la droite et la courbe, et comment les surfaces s’y animent en s’incurvant, à croire que c’est dans les eaux mêmes du fleuve que l’architecte est allé puiser ses formes ? »
Philippe Jaccottet

    « Pour voir cette abbaye, il faut fermer les yeux et te laisser frissonner. Remonte jusqu’au lieu dans le temps où elle est semence dans l’esprit d’un seul, de quelques seuls…

   C’est un lieu de vertige.

   À force de traiter les oeuvres d’art comme de la matière et non comme des visions hissées jusqu’à la visibilité, on perd la trace de l’essentiel : le lieu où la vision a germé, a surgi, s’est déployée. C’est à ce lieu qu’il faut s’attarder. C’est celui de notre humanité co-créatrice, la grande pépinière de l’aujourd’hui. Pénétrer jusque dans le coeur de l’homme (des hommes) où germe l’idée créatrice sous la nécessaire poussée du Vivant. Assise, les yeux fermés, à vingt ans, dans l’abbaye de Melk, j’ai touché ce secret. »
Christiane Singer, N’oublie pas les chevaux écumants du passé, Albin Michel, Paris, 2005

Abbaye de Melk, coupole de la basilique, photo Danube-culture © droits réservés


Ici, sur ces hauteurs au pied desquelles le Danube régulé s’est en principe apaisé sauf lors d’inondations exceptionnelles qui ont encore récemment meurtri la jolie petite ville voisine de Melk, l’énergie et la foi du jeune abbé Berthold Ditmayr (1670-1739) conjuguées au génie et à l’inspiration des architectes Jakob Prandtauer (1660-1726) et Franz Muggenast (1680-1741), des peintres Paul Troger (1698-1762), Michael Rottmayer (1654-1730), Johann Josef Bergl (1719-1789), élève de Paul Troger et des artisans talentueux qui les entouraient, ont engendré un miracle d’élégance et de puissance architecturales.

L’abbé Berthold Ditmayr, (1670-1739), grand rénovateur de l’abbaye bénédictine de Melk

L’agencement, la forme et la couleur des bâtiments au sommet de la colline qui réalisent la métamorphose architecturale des éléments naturels environnants, la coupole octogonale et les deux clochers jumeaux de la collégiale saint-Pierre et Paul, la grande cour à l’atmosphère solennelle et les cours secondaires, les terrasses, les pavillons latéraux, le couloir impérial, les jardins, l’orangerie, le paysage et les reliefs ondoyants des alentours, le jeu des lumières aux différentes heures du jour et des saisons, tout concoure à une extraordinaire mise en scène qui n’a évidemment rien du hasard et dont la grandeur tout autant qu’une certaine retenue s’avèrent fascinantes et paraissent avoir été volontairement soumises à l’ordre et à la raison. Comme un écho à l’architecture extérieure, la fresque allégorique de Paul Troger, dans la salle de marbre au plafond en trompe-l’oeil, aux hautes et larges fenêtres séparées par des pilastres en stuc imitant le marbre, met en scène la raison guidant l’humanité vers la lumière de la civilisation et de la culture.

La fresque allégorique en trompe l’oeil parfait de Paul Troger dans la salle de marbre, photo Danube-culture, © droits réservés

   Le plafond à la thématique religieuse de l’extraordinaire et conséquente bibliothèque a été également réalisé par ce même peintre. Cette bibliothèque comprend 1800 manuscrits dont le plus ancien, de la main de Bède le vénérable, date du début du IXe siècle.

Fragment de la « Chanson des Nibelungen« , un des trésors conservés dans la bibliothèque de l’abbaye, photo droits réservés

D’importantes copies des commentaires de Saint-Jérôme, des commentaires de la Règle de Saint-Benoît, des copies de l’Écriture sainte, des collections de recueils de formules et des textes juridiques remontent à la première apogée de la vie monastique de l’abbaye (1140-1250). Une grande partie des anciens documents historiques ont toutefois été détruits au cours du grand incendie de 1297, un évènement auquel fait référence l’écrivain italien Umberto Eco dans son livre « Au nom de la Rose ».

La bibliothèque de l’abbaye, photo droits réservés

Les deux tiers des manuscrits datent de la période ultérieure de réforme des monastères au XVe siècle, période au cours de laquelle l’abbaye de Melk est considérée comme un modèle et attire des étudiants et des professeurs de l’université de Vienne. La majorité des textes rédigés et copiés à cette époque sont des livres de piété et des sermonnaires. Les lieux abritent encore 750 incunables, 1700 oeuvres du XVIe siècle, 4500 volumes du XVIIe et 18 000 livres du XVIIIe siècle. La collection de la bibliothèque de l’abbaye bénédictine de Melk se monte en totalité à plus de 100 000 livres.
La collection de la bibliothèque compte également de superbes globes terrestres illustrant l’inextinguible soif de connaissance et de curiosité universelle des bénédictins que les 29 moines de l’abbaye de Melk d’aujourd’hui comme ceux des autres abbayes bénédictines perpétuent.

L’escalier de la bibliothèque, photo Danube-culture, droits réservés

La musique à l’abbaye de Melk

   La fondation de l’abbaye bénédictine de Melk en 1089 se situe dans le cadre du «groupe de réforme» des couvents bénédictins de Hirsau (Bade-Wurtemberg, Allemagne) et d’Admont (Styrie, Autriche). Il se concrétise par l’installation sur les lieux de moines venant de l’abbaye bénédictine de Lambach (Haute-Autriche). Des fragments de « Consuetudines monasticae » décrivant les activités quotidiennes des moines de Melk, datant du milieu du XIIe siècle, illustrent les nombreux efforts de réforme et à quel point ils furent également imités par certains autres couvents dans leur vie monastique.
Les premiers témoignages de la pratique musicale de l’abbaye sont, pour presque tout le Moyen-Age, en premier lieux ceux qui concernent la liturgie sacrée. La seule exception est une une ballade française à deux voix sans texte qui a été inscrite en 1415/30 sur le premier feuillet du fameux codex 391 des annales de Melk, en marge du chant marial de l’abbaye, et qui a donné lieu à de nombreuses hypothèses. Sont conservés de la première période, jusqu’à la fin du XIIe siècle un calendrier/nécrologique, la dite « Chanson de Marie de Melk » (Codex 391), un pontifical (recueil de cérémonie, Codex 591), un « Liber Ordinarius » appartenant aux « Consuetudines monasticae » (Codex 1977), un lectionnaire (livre liturgique, Codex 820) et un homiliaire (recueil d’homélies). On trouve également de nombreux autres fragments musicaux. Suivent chronologiquement un « Antiphonale Missarum » (Codex 709) et un Graduel (recueil de chants grégoriens, Codex 1792).
La tradition va s’améliorer avec les nouvelles pratiques introduites par la première réforme de Melk. À l’époque, les actes des visites mais aussi de nombreux traités, dénoncent des abus, ce qui nous permet d’en apprendre un peu plus sur la pratique musicale réelle. L’image  positive  de cette pratique musicale que nous transmettent les prescriptions consignées dans les « Consuetudines », en premier lieu les « Sublacenses/Mellicenses » puis, à partir des années 1460, les « Mellicenses » elles-mêmes, est cependant bien plus précise. Elle indique une forme de régression à certains égards notamment en ce qui concerne l’utilisation des instruments de musique et la place de la polyphonie dans la liturgie. Il est vrai que l’organisation musicale de l’office avait alors pour unique but de soutenir la force d’expression de la parole, l’attention ne se portant pas uniquement sur la psalmodie (psaumes) ou sur le respect des pauses centrales. Dans les règles concernant les visites, il est spécifié que les mélodies ne doivent pas être « more Italorum saltatice necnon modum choreizantium ». (On peut toutefois se demander s’il ne s’agit pas ici de préciser que celles-ci doivent être simplement d’un rythme paisible ; si tel est le cas, il ne faut pas alors attribuer au terme « chorea » le sens du latin antique).
S   i le Moyen-Âge concerne en premier lieu des témoignages musicaux et liturgiques au sein du monastère, la situation évoluera au cours de l’époque suivante. Au XVIe siècle, le contexte de crise de Melk ressemble à l’atmosphère de nombreux autres monastères. Cette crise, dépassant le cadre de la vie spirituelle, naît de la montée du protestantisme. Elle pousse de nombreux moines à quitter le monastère, lcette croyance leur paraissant ouvrir de nouvelles perspectives. Il ne faut toutefois pas voir cet exode uniquement de manière unilatérale ou comme une opportunité intéressante de pouvoir se marier car de nombreux moines s’étaient intimement familiarisés avec les idées de Martin Luther. Malgré tous les efforts de réforme de la pratique liturgique catholique, les résultats resteront décevants dans la deuxième moitié de ce siècle. Les divers rapports, (procès-verbaux de visite, examens réalisés dans le cadre de la Contre Réforme), montrent tout d’abord une absence de progrès en ce qui concerne la qualité des chanteurs et la prestation musicale durant les offices. Même à l’époque où le monastère de Melk sera dirigé par l’abbé Ulrich Perntaz (1564-1587), il semblerait qu’il y ait eu lieu de se plaindre du niveau de la pratique de la musique. D’où la nécessité de réunir les fonctions de chantre et d’abbé dans les années 1570. L’amélioration de la situation générale du catholicisme liée au mouvement de la contre-réforme et du statut spirituel de l’abbaye de Melk, se répercuta également sur la qualité de la pratique musicale. Il devint au court du temps de plus en plus courant que les « pueri » (élèves et jeunes chanteurs) de Melk participent non seulement à la liturgie mais qu’ils soient également invités à participer aux fêtes, réceptions, cérémonies de la cour impériale de Vienne et d’autres personnalités et qu’ils se produisent à ces occasions accompagnés d’instruments, en général à la grande satisfaction de leurs auditeurs. Des « pueri » du couvent de Melk seront par la suite engagés dans la chapelle musicale impériale de la cour. À la fin du XVIe siècle et surtout au XVIIe siècle, la culture de la musique et des arts du spectacle, souvent intimement liées, fait l’objet de comptes-rendus détaillés, en particulier lorsque les représentations ont lieu devant l’empereur ou des membres de sa famille. Les lettres de remerciements adressées à l’abbé de Melk, illustrent la satisfaction  de la cour pour la prestations des « pueri » de l’abbaye.
Dès la fin du XVIIe siècle, et surtout à partir du XVIIIe siècle, de nouvelles impulsions se confirment non seulement dans le domaine spirituel, comme par exemple la surveillance plus stricte du respect des heures de prière du chœur par les moines, mais aussi dans le domaine musical. On en viendrait presque à douter qu’à cause des nombreux travaux de rénovation et de construction des nouveaux bâtiments devant entraîner une grande agitation à l’abbaye, que les éphémérides du prieur aient pu enregistrer malgré tout un « status vivendi » donnant, à de rares exceptions près, l’image d’une institution religieuse qui fonctionnait bien. Une fois de plus, c’est le prieur, et non l’abbé qui nous a légué ces éphémérides. De nombreuses recherches menées sur place, permettent également d’avoir accès à des documents d’une grande fiabilité dans ce domaine y compris dans celui de la pratique musicale.
Le 18 juillet 1701 marque l’entrée de l’abbaye bénédictine de Melk dans une nouvelle ère. À l’occasion de la consécration de Berthold Dietmayr (1670-1739) comme abbé de l’abbaye, Johann Joseph Fux (1660-1741), compose son opéra « Neo-Exoriens Phosphorous, id est neo-electus et infulatus praesul Mellicensis, », une  oeuvre entièrement dans le style du drame scolaire jésuite. La représentation n’est pas seulement dirigée par Johann Joseph Fux, qui avait été nommé maître de chapelle de la cour impériale de Vienne par Léopold Ier mais aussi interprétée par des musiciens et des chanteurs de la cour témoignant ainsi des liens étroits à cette époque entre les Habsbourg et l’abbaye de Melk et en particulier des relations intimes que l’abbé Berthold Dietmayr entretenait avec le milieu viennois. Cet évènement ne doit pas être considéré uniquement comme un signe du goût du faste qu’on attribuait volontiers à l’abbé Dietmayr mais également comme son souci de prendre soin de la liturgie et de la place de la musique au sein de celle-ci. Une préoccupation encore confirmée par le fait qu’il nomma un «Instructor in cantu chorali»  aux côtés du Regenschori de l’abbaye.

La « Biblioteca Mellicensis » du père bénédictin Martin Kropff

   Dans sa « Bibliotheca Mellicensis Sev Vitae, Et Scripta Inde A Sexcentis Et Eo Amplivs Annis Benedictinorvm Mellicensivm », datée de 1747, le père bénédictin et bibliothécaire de Melk, Martin Kropff, n’a pas seulement répertorié les principaux moines du monastère depuis sa fondation, mais aussi les (rares) musiciens qu’il connaissait. Si le « status vitae monasticae » était conforme aux règles de l’ordre bénédictin et fidèle aux diverses «Consuetudines», la pratique de la musique ne posait généralement pas de problème. La formation des musiciens et des chanteurs en premier lieu, était d’ailleurs considérée comme une préparation à la liturgie. Le fait que le monastère ait eu d’autres missions à accomplir dans ce domaine, en raison des visites impériales ou d’autres souverains, visites alors nombreuses, attira de grands musiciens et artistes à l’abbaye. Il était aussi courant que l’on consacre trop d’effort à l’exécution de ces missions.
À la fin du XVIIe, au XVIIIe et particulièrement au début du XIXe siècle, un grand nombre de musiciens furent actifs à Melk, non seulement en tant que moines mais aussi comme enseignants invités, soit parce qu’ils avaient été sollicités par l’abbaye, soit parce qu’ils désiraient faire de la musique avec des moines de Melk. Citons parmi les moines musiciens les pères A. Baumgartner, L. Thonhauser, P. Utz et C. Fröhlich. Le père Robert Kimmerling (1737-1799), élève de Joseph Haydn, enseigna à P. M. Paradeiser, P. R. Helm, A. Müller, G. Mayer, C. Andorfer et Maximilien Stadler.

Maximilian Stadler (1748-1833) vers 1830

   Parmi les musiciens invités, on rencontre Wolfgang Amadeus Mozart qui séjourna deux fois à l’abbaye en 1767 et 1768, ainsi que Johann Georg Albrechtsberger (1736-1809) qui, en tant qu’organiste de l’abbaye avant d’être nommé organiste de la cathédrale saint-Étienne de Vienne, y joua des œuvres de Johann Joseph Fux, Antonio Caldara, Giovanni Baptiste Pergolesi, Carl Heinrich Graun et Georg Friedrich Händel. De nombreuses et fastueuses fêtes pour diverses circonstances comme les anniversaires des élections abbatiales, eurent lieu dans cette période. Pour toutes ces occasions, on faisait appel à la musique, un art qui connut son apogée à Melk au XVIIIe siècle, avant que les réformes drastiques de l’empereur Joseph II n’entraînent de profonds bouleversements dans la vie monastique. L’élève de J. G. Albrechtsberger, F. Schneider, composa toutefois dans ce contexte défavorable, une messe à l’occasion des fêtes du sept-centième anniversaire du monastère. L’établissement scolaire religieux fut ensuite transféré dans la ville voisine de Sankt Pölten et l’abbaye fermée. Seuls quelques « puer » demeurèrent sur place.
Le monastère rouvrit ses portes en 1811 sous la responsabilité de l’abbé Anton Reyberger (1810-18). Les pères F. Mainoli        († 1849), Robert Stipa (1781-1850), F. Schneider et P. A. Krieg, furent responsables de la musique. Le fonds du père Robert Stipa (1785-1850), qui a copié des cadences de manuscrits de Ludwig van Beethoven et dont la collection de plusieurs centaines de compositions et a été conservé presque intégralement, est un des trésors des archives musicales de l’abbaye.
À l’époque du Biedermeier, les « chambres impériales » furent réaménagées, mais les visites des souverains s’estompèrent. La musique  garda malgré tout son importance lors des cérémonies profanes et religieuses. Un grand nombre d’instruments du XVIIIe et du XIXe siècles qui ont pu être conservés, en témoignent comme par exemple une viole de gambe de G. Aman, un piano girafe du facteur viennois Heinrich Janssen datant de la première moitié du XIXe siècle ou un pianoforte d’un autre facteur viennois de l’époque Biedermeier, Conrad Graf (1782-1851).
Outre le souci prioritaire de rendre la liturgie particulièrement solennelle, les anniversaires, les fêtes patronymiques, les jubilés d’abbés, parfois de prieurs, comptaient bien sûr, comme à l’époque précédente, parmi les occasions pour lesquelles on composait spécialement de la musique. Citons par exemple une cantate interprétée par le lycée du couvent en hommage au 50e anniversaire de l’ordination de l’abbé Marian Zwinger (1819-37). Les programmes de ce que l’on appelait alors les « Abendmusiken » de l’abbaye sont tout aussi intéressants.
Le XXe siècle a vu s’épanouir une vie musicale correspondant aux évolutions historiques. A. Triftiger, le père Brandstetter et bien d’autres moines se sont efforcés de manière particulièrement active, d’ancrer encore plus profondément la musique dans la vie de l’établissement scolaire de l’abbaye, notamment depuis l’admission des filles au lycée et dans différentes chorales. Les multiples représentations et évènements musicaux qui ont lieu aujourd’hui témoignent du statut élevé que la musique conserve à Melk, en premier lieu pour le culte, mais aussi pour des représentations profanes.
La collection des archives musicales, dirigées par le père Ludwig Wenzl, est riche d’environ 12 000 cotes, dont près 4 000 manuscrits ainsi que des documents musicaux imprimés, de la littérature spécialisée, des écrits théoriques sur la musique et plus de 150 instruments de musique des époques Baroque, Classique, Romantique.
L’abbaye accueille depuis quelques années l’un des principaux festivals de musique baroque d’Autriche, les « Internationale Barocktage Stift Melk » et les « Sommerorgel Konzert ».

Les orgues et les cloches de l’abbaye

   L’abbaye de Melk ne possède pas moins de cinq orgues dans ses murs : le grand orgue de la collégiale saint-Pierre et Paul, l’orgue de la sacristie d’été, l’orgue de la salle Koloman, l’orgue de la chapelle bénédictine et le petit orgue positif, datant de la première moitié du XVIIIe siècle, à l’origine destiné à la chapelle de sainte-Marie de l’Assomption et désormais installé dans la collégiale où il est joué à l’occasion des vêpres dominicales.
Du grand orgue d’origine de la collégiale, réalisé par le facteur viennois Gottfried Sonnholz (1695-1781) qui a également construit des orgues pour les couvents de Klosterneuburg, Mariazell, à la Karlskirche de Vienne et pour de nombreux autres édifices religieux, il ne reste plus que la façade datant de 1731/32, l’instrument et son mécanisme ayant été transformés radicalement en 1929. En 1970, Gregor Hradetzky de Krems a installé un nouvel instrument à sommiers coulissants possédant 3.553 tuyaux répartis sur 45 registres et trois claviers et pédale. Cet instrument a été révisé en 2005 par Alexander Schuke et Bernhard Althaus. L’ensemble de la tuyauterie a été réharmonisé. L’orgue a été également doté d’un dispositif de composition électronique. Les quatre autres instruments sont dus aux facteurs d’orgues Reil, Hradetzky, Riedl et Ullmann.

Grandes orgues de la collégiale de Melk, photo Danube-culture, © droits réservés

Après l’incendie de l’abbaye en 1738, l’abbé Berthold Dietmayr conclut un contrat avec le fondeur de cloches viennois Andreas Klein pour l’acquisition de nouvelles cloches. En 1739, les deux tours de la collégiale furent terminées et les nouvelles cloches coulées. Ces cloches qui en avaient vu d’autres, ont faillirent être fondues pendant la Seconde Guerre mondiale pour être utilisées comme matériel de guerre.
La grande cloche du carillon est également la plus grosse de Basse-Autriche (7.840 kg, Ø 236 cm, tonalité : fa – 2). Il s’agit de la cloche « saint-Pierre-et-Paul »,  surnommée « Vesperin ». Elle est installée dans la tour nord et est sonnée lors des grandes fêtes de l’abbaye. Dans la tour sud se trouve la cloche de la Trinité ou « Angstglocke » (4.300 kg, Ø 178 cm, tonalité si + – 0). Une deuxième cloche, la cloche des sept douleurs, dite « cloche Ave Maria » (2.450 kg, Ø 152 cm, tonalité ré/1-3) est également située dans la tour sud. Cette cloche sonne tous les jours à 7 heures, à 12 heures et à 19 heures. La troisième cloche de la tour sud est la cloche Koloman (1.235 kg, Ø 118 cm, tonalité fa/1+3).

Photo droits réservés

La cloche de saint-Benoît (575 kg, Ø 96 cm, tonalité la/1+3) se trouve également dans la tour sud. Toutes les cloches sont sonnées lors des vêpres la veille et le soir d’une grande fête et avant une messe pontificale lors des grandes fêtes. Le dimanche, la cloche des sept-Douleurs, la cloche de saint-Coloman et la cloche de saint-Benoît sont utilisées pour l’appel à la messe. Une petite cloche de chœur (170 kg, Ø 65 cm, tonalité ré dièse/2+2) est suspendue dans une petite tourelle sur le toit de l’église, au-dessus du maître-autel. Elle est sonnée tous les matins pour la messe conventuelle (cinq minutes avant sept heures, car la messe quotidienne commence à sept heures).

   La partie de l’article consacré à la musique à l’abbaye de Melk a été traduite, adaptée et complétée en français à partir de l’article de Meta Niederkorn : « Melk », in : Oesterreichisches Musiklexikon online, begr. von Rudolf Flotzinger, hg. von Barbara Boisits par Eric Baude pour Danube-culture.
https://dx.doi.org/10.1553/0x0001d956
https://www.stiftmelk.at

Autres sources musicologiques :
« Bericht über den Musikzustand des löbl. Stiftes Mölk » in alter und neuer Zeit in MusAu 3 (1982); [Kat.] 900 Jahre Benediktiner in M. Jubiläumsausstellung, 1989
J. F. Angerer (Hg.), Breviarium caeremoniarum Monasterii Mellicensis, 1987
J. F. Angerer, Lat. und dt. Gesänge aus der Zeit der M.er Reform, 1979
K. Hallinger
in [Fs.] H. de Boor, 1971
K. Hallinger in Untersuchungen zu Kloster und Stift, 1980
E. Höchtl, Die adiastematisch notierten Fragmente aus den Hss. der Stiftsbibliothek M., Diss. Wien, 1991
M. Ch. Nequette, Music in the manuscripts at the Stiftsbibliothek of abbey M., 1983
M. Niederkorn-Bruck, Die M.er Reform im Spiegel der Visitationen, 1994
Ch. Glaßner, Inventar der Hss. des Benediktinerstiftes M., 1990
Ch. Glaßner/A. Haidinger, Die Anfänge der M.er Bibliothek, 1996
I. F. Keiblinger, « Gesch. des Benedictinerstiftes M. » in Niederösterreich, seiner Besitzungen und Umgebungen. Bd. 1: Gesch. des Stiftes 21868
F. W. Riedel in Unsere Heimat 36 (1965); MGG 6 (1997)
R. Flotzinger in G. Fornari (Hg.), [Fs.] A. Dunning 2002; Chorbll. 6/1 (1950), 20

Luigi Kasimir (1881-1962), Le quai des Nibelungen à Melk, l’abbaye bénédictine et le Danube, eau-forte colorée, vers 1920

Sources générales/ bibliographie :
Jaccottet, Philippe, « En descendant le Danube », in Autriche, L’Atlas des voyages, Éditions Rencontre, Lausanne, 1966
Morand, Paul, « Le Danube », Entre Rhin et Danube, Transboréal, Paris, 2011
Schmeller-Kitt, Adelheid, Klöster in Österreich,  Wolfgang Weidlich Verlag, Frankfurt/Main, 1983
Singer, Christiane, N’oublie pas les chevaux écumants du passé, Albin Michel, Paris, 2005 
Die Wachau, Niederösterreichische Kulturwege, NÖ Landesarchiv und NÖ Institut für Landeskunde, Sankt Pölten
Stifte und Klöster, Niederösterreichische Kulturwege, NÖ Landesarchiv und NÖ Institut für Landeskunde, Sankt Pölten
https://de.wikipedia.org › wiki › Stift_Melk
www.stiftmelk.at
Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour septembre 2024

Amand Helm (1831-1893), l’abbaye de Melk, Donau Album, 1868

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