Bref historique des traités, conventions et accords internationaux concernant le Danube et sa navigation

1616 : Premier Traité de Belgrade entre l’Autriche et la Sublime Porte (Empire ottoman). Les Autrichiens obtiennent le droit de naviguer sur le Moyen et le Bas-Danube alors sur le territoire de l’Empire ottoman.

1699 : Traité de Karlowitz (Sremski Karlovci, Serbie) entre la Sainte Ligue (Saint Empire Romain germanique, la Pologne, Venise, La Russie et la principauté de Transylvanie) et l’Empire ottoman. Fin de l’expansion de l’Empire ottoman en Europe.

1739 : Deuxième Traité de Belgrade entre l’Empire d’Autriche et l’Empire ottoman avec la médiation de la France d’une part, L’Empire ottoman et la Russie de l’autre. L’Empire autrichien restitue à l’Empire ottoman Belgrade et la Serbie qu’il détenait depuis la paix de Passarowitz. La Russie renonce à la navigation sur la mer Noire.

Plan de Belgrade Capitale de la Servie dans son Etat Actuel Depuis qu’elle fut cédée aux Turcs Par le Traité de Paix du 1er Septembre 1739,  source, Bibliothèque Nationale de France, Paris

1774 : Traité de Kücük Kayrnaca ou Koutchouk-Kaïnardji (petite source d’eau chaude en turc. Kaïnardji est aujourd’hui situé en Bulgarie septentrionale) entre la Russie et l’Empire ottoman qui favorise la première. La Russie obtient le droit pour ses bateaux de commerce de naviguer sur le Bas-Danube, de franchir librement les détroits des Dardanelles et du Bosphore et de mouiller dans tous les ports de l’Empire ottoman.

Gravure de la fin du XVIIIe illustrant la signature du Traité de Kücük Kayrnaca,  Cabinet de gravures de l’Académie Roumaine, Bucarest 

1797-1799 : Congrès de Rastatt. La France propose officiellement l’internationalisation du Danube mais l’empire d’Autriche s’y oppose farouchement.

1815 : Congrès et Traité de Vienne. Celui-ci octroie pour la première fois au Danube un statut de fleuve international.

Le Congrès de Vienne, gravure d’après l’oeuvre du peintre Jean-Baptiste Isabey (1767-1865)

1829 : Traité d’Andrinople. La Russie annexe le delta du Danube et établit sa souveraineté sur la rive orientale de la mer Noire. La Valachie annexe les ports danubiens de Turnu Magurele, Giurgiu et Brǎila.

1836 : la Russie publie un décret le 7 février lui permettant d’arraisonner les bateaux de commerce étrangers navigant sur le delta du Danube et de les conduire à Odessa pour une inspection et une mise en quarantaine.

1838 : Convention anglo-autrichienne. Le Danube devient un fleuve libre pour la navigation sur tout son parcours.

1840 : Convention de Saint-Pétersbourg entre la Russie et l’Autriche.

1851 : Traité signé par le duché de Bade-Wurtemberg, le royaume de Bavière et l’Autriche-Hongrie pour la liberté de navigation sur le Danube.

1856 : Fin de la guerre de Crimée. Le Traité de Paris met en application les règles stipulées au Congrès de Vienne de 1815. Tentative de création d’une Commission riveraine internationale à la vocation permanente et d’une Commission Européenne du Danube censée être d’une durée limitée, chacune assumant un rôle différent. La première de ces commissions ne vit jamais le jour et les activités de la deuxième lui permettent de s’ancrer dans le temps. Le principe d’internationalisation du fleuve se structure.

Édouard Dubufe (1819-1883 ), le Congrès de Paris, 1856, collection du château de Versailles

1878 : le Traité de San Stefano (banlieue de Constantinople) signé le 3 mars 1878 met fin à la guerre entre la Russie victorieuse et l’Empire ottoman.
« Toutes les forteresses du Danube seront rasées. Il n’y aura plus dorénavant de places fortes sur les rives de ce fleuve, ni de bâtiments de guerre dans les eaux des Principautés roumaines, de Serbie et de Bulgarie sauf les navires stationnaires usuels et les bâtiments légers destinés à la police fluviale et au service des douanes. Les droits, obligations et prérogatives de la Commission internationale du Bas-Danube sont maintenus intacts. (Articles 12.)
« La Sublime Porte (Empire ottoman) prend à sa charge le rétablissement de la navigabilité du bras de Soulina et le dédommagements des particuliers dont les biens auraient souffert du fait de la guerre et de l’interruption de la navigation sur le Danube, en affectant à cette double dépense une somme de cinq cent mille francs sur celles qui lui sont dues par la Commission du Danube. » (articles 13.)

Négociations lors du Traité de San-Stefano

1878 : Congrès et Traité de Berlin (13 juillet). L’Autriche-Hongrie obtient la responsabilité de l’aménagement de la zone des cataractes dans les Portes de Fer. Le bas-Danube est érigée en zone neutre. La Roumanie, nouvellement indépendante, remplace la Turquie parmi les pays siégeant à la Commission Européenne du Danube. Curieusement ce Traité ne mentionne pas l’île turque d’Ada-Kaleh qui reste de ce fait ottomane mais qui est occupée par l’Autriche-Hongrie en 1913 puis cédée à la Roumanie au Traité de Lausanne (1923).

Congrès et Traité de Berlin (13 juillet 1878)

1883 : Traité de Londres. Les compétences de la Commission Européenne du Danube s’étendent désormais des « embouchures » jusqu’à Brǎila.

1919 : Traité de Versailles. (R)établissement de la Commission riveraine internationale comprenant les pays riverains, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie.

Les délégations participant au Traité de Versailles dans la Galerie des glaces

1921 : Paris. La Convention de 1921 confirme la gestion du fleuve par la Commission riveraine internationale rebaptisée à cette occasion Commission internationale du Danube dont les pouvoirs  sont considérablement élargis et dont les membres reçoivent un statut diplomatique. Cette commission possède son propre drapeau, ses propres bateaux et a le droit de prélever des taxes. La Commission Européenne du Danube conserve la gestion du Danube de Galaţi jusqu’à la mer Noire.
« Conformément aux principes posés par le traité de Versailles et aux décisions prises par la Conférence de Paris en juillet 1921, le statut international du Danube a été mis en vigueur le 1er octobre 1922. Le grand fleuve transeuropéen est désormais ouvert à la navigation depuis Ulm, en aval de laquelle il commence à être navigable, jusqu’à son embouchure, sous le contrôle, d’une part de la Commission internationale qui siège à Bratislava et exerce sa juridiction d’Ulm à Brǎila, d’autre part de la Commission Européenne du Danube dont le siège est à Galatz et dont les attributions s’étendent de Galatz à la mer Noire. Les deux organismes sont chargés d’assurer la liberté de la navigation et l’égalité réelle de traitement pour tous les pavillons. »

Le bazar d’Ada-Kaleh en 1912

1923 : Traité de Lausanne (24 juillet 1923). Ada-Kaleh la petite île ottomane des Portes-de-Fer est attribuée à la Roumanie.

1938 : Accords de Sinaïa (Roumanie). Cette conférence octroie à la Roumanie la souveraineté qu’elle réclamait sur le Danube maritime (le Danube accessible aux bateaux de mer). Ce pays créée en conséquence une « Direction du Danube maritime ».

1939 : Traité de Bucarest. Entrée du Reich dans la Commission Européenne du Danube.
La Commission internationale du Danube est supprimée par Hitler cette même année à Vienne. Un Conseil de la Navigation fluviale d’où la France et le Royaume-Uni sont exclues la remplace. L’hégémonie allemande s’établit sur le Danube pendant la seconde guerre mondiale. À la fin de celle-ci, le Danube devient provisoirement russe de Linz jusqu’à la mer Noire. jusqu’à la fin de l’occupation de l’Autriche.

1940 : le décret du roi Charles II de Roumanie du 19 avril 1940 stipule que « les vaisseaux de commerce armés sont obligés de débarquer l’armement et les munitions dans les ports de Sulina et de Baziaş s’ils veulent naviguer sur le Danube  dans les eaux territoriales roumaines.

1945 : Postdam. Proposition du Président américain Harry S. Truman pour un accord international de libre navigation sur le fleuve. L’URSS refuse d’abord d’inscrire la question du Danube dans les négociations de paix, espérant continuer à contrôler le fleuve de Linz jusqu’à son delta puis admet l’insertion d’un article décidant que la « navigation sur le Danube serait libre et ouverte pour les nationaux, vaisseaux de commerce, et marchandises de tous les États, sur un pied d’égalité. »
Le Conseil des ministres des Affaires étrangères décide, le 6 décembre 1946, qu’une conférence sur le Danube sera convoquée six mois après la mise en application des traités de paix et qu’elle réunira des représentants des quatre pays membres du Conseil des ministres des Affaires étrangères de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie, de la Yougoslavie, de la Roumanie, de la Bulgarie et de l’Ukraine soviétique. L’Autriche prendrait part aux conférences suivantes « après que la question du traité autrichien aurait été résolue. »

1948 : la Convention de Belgrade est signée le 18 août 1948 par l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes, la République populaire de Bulgarie, la République de Hongrie, la République Populaire Roumaine, la République tchécoslovaque, la République Populaire d’Ukraine. Elle reconstitue la Commission du Danube. Deux visions de la gestion du fleuve s’opposent alors : la première défend le principe d’internationalisation du fleuve, la deuxième veut confier la gestion du Danube uniquement aux pays riverains. C’est cette deuxième vision, défendue par l’URSS, elle-même riveraine à cette époque, qui s’impose grâce au soutien de ses alliés des démocraties populaires. La France et le Royaume-Uni votent contre, les États-Unis s’abstiennent. L’Allemagne choisit le statut d’observateur. L’Autriche réintègrera la Commission du Danube en 1960.
Le protocole additionnel à la Convention relative au régime de la navigation sur le Danube stipule dans son article III « qu’il est convenu que toutes les obligations de l’ancienne Commission Européenne du Danube concernant le remboursement des crédits qui lui ont été accordés par la Grande-Bretagne, la France, la Russie et d’autres États sont considérés comme éteintes. »

1954 : entrée en vigueur de la nouvelle Commission du Danube. Elle se compose de onze membres (pays riverains) et de deux pays observateurs, la France et les Pays-Bas. Elle siège à Budapest la Commission a son siège à Budapest. Les langues officielles de la Commission du Danube sont l’allemand, le français et le russe.

1994 : Convention de Sofia établissant la Commission Internationale pour la Protection du Danube, l’ICPR (International Commission for the Protection of the Danube River) et la DRPC (Danube River Protection Convention).

1998 : Création de  la Commission internationale pour la protection du Danube (ICPDR/IKSD). La Commission internationale pour la protection du Danube (ICPDR) est une organisation internationale composée de 14 États coopérants et de l’Union européenne. L’ICPDR est devenue l’un des organismes internationaux les plus importants et les plus actifs en matière d’expertise de gestion des bassins fluviaux. L’ICPDR s’occupe non seulement du Danube lui-même, mais aussi de l’ensemble du bassin de ce fleuve avec ses affluents et les ressources en eau souterraine. Les membres de l’ICPDR sont l’Allemagne, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Moldavie, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie, la Slovénie, la Tchéquie, l’Union Européenne et l’Ukraine. Le secrétariat de l’ICPDR se trouve à Vienne.

2002 : Vienne. lancement du processus de coopération danubienne dont les objectifs sont « de promouvoir une coopération diversifiée afin de créer un espace de prospérité et de progrès dans la région du Danube. » (déclaration finale de la deuxième conférence intergouvernementale du processus de coopération du Danube, Bucarest, 14 juillet 2004).

De réels progrès ont été récemment accomplis dans le domaine de la coopération internationale danubienne, de la cohésion territoriale régionale et de la mutualisation des ressources mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir… Le Danube demeure sur tout son parcours un miroir de la difficulté des pays riverains et de l’UE à construire une paix juste et durable sur l’ensemble de son bassin. Cela passe aussi par la prise en compte des intérêts non seulement économiques mais aussi des demandes des habitants des deux rives, des minorités du bassin danubien tout comme de reconnaître à sa véritable valeur le patrimoine environnemental fluvial ainsi que de donner une autonomie suffisante et de vrais moyens aux structures qui ont pour mission de le préserver et de le valoriser. Les politiques contradictoires voire incohérentes de l’UE, les positions nationalistes de certains états des rives danubiennes entretiennent encore des incertitudes sur l’avenir du fleuve.

Eric Baude pour Danube-culture, mise à jour octobre 2025, © Danube-culture, droits réservés

Sources :
ARNAUD, Georges,  « La navigation sur le Danube ». In : Annales de Géographie. 1925, t. 34, n°191. pp. 468-470. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1925_num_34_191_8373
D’AUTRICHE, Otto, « L’édification de l’Europe et le rôle du bassin danubien », In Politique Étrangère, N°4, 1952 – 17e année, pp. 245-254
BETHEMONT, Jacques, Les grands fleuves, entre nature et société, Armand Collin, Paris, 2002
DUROSELLE, Jean-Baptiste, KASPI, André, Histoire des relations internationales de 1945 à nos jours, « Le problème du Danube » Tome 2, 15ème édition, Librairie Armand Colin, Paris, 2009
GAUTHEY, Jean-Marie, « La coopération internationale sur le Danube : Géopolitique de l’intégration du fleuve au continent européen »Balkanologie [En ligne], Vol. X, n° 1-2 | 2008, mis en ligne le 09 juin 2008, consulté le 27 février 2022. URL : http://journals.openedition.org/balkanologie/409 ; DOI : https://doi.org/10.4000/balkanologie.409
SOMOGYI, Joseph de, « The Historical Development of the Danubian Problem to the Present », Journal of Central European Affairs, VIII, April 1948
STANCIU, Ştefan, DUTĂ, Alexandru, Traités, conventions et autres documents concernant le régime de la navigation du Danube maritime, Muzeul de istorie, Galaţi, 2009

danubecommission.org
icpdr.org

Ödön Széchenyi (1839-1922) et l’épopée fluviale de la « Sirène »

« Le port voisin du Champ de mars recevra au printemps prochain des steamers de toutes les parties du monde. On en a annoncé des États-Unis, de Suède et d’ailleurs. D’après le « Fremdenblatt » de Vienne, il en viendrait un de Pesth en Hongrie. En effet, le comte Széchényi aurait demandé au Gouvernement français la permission d’utiliser, pour son steamer, le canal du Rhin à la Marne. Il irait de Pe[s]th à Kehlheim, se rendrait par le Ludwigkanal dans le Rhin en passant par le Main, affluent de ce fleuve. De Strasbourg, il se dirigerait vers Nancy, et de là vers le confluent de la Seine et de la Marne… »
La Science pittoresque, 10 janvier 1867

Cet extraordinaire exploit fluvial européen d’Ödön Széchenyi, est pourtant relativement tombé dans l’oubli et ce pour plusieurs raisons : le Le 8 Juin 1867 a lieu à Pest le couronnement de l’Empereur François-Joseph de Habsbourg comme « Roi Apostolique de Hongrie » sous le nom de Ferenc-Josef. Le même jour, contrairement à la tradition qui veut que la reine ne soit couronnée que le lendemain, sa femme Elisabeth devient reine de Hongrie sous le nom d’Erzsébet. Il se peut aussi que le destin et les activités du comte Ödön Széchenyi en tant qu’infatigable organisateur des services d’incendie de Pest, de Hongrie, d’Istanbul (il sera élevé au titre de Pacha par le sultan Abdulaziz) et de ses nombreuses autres activités1, ont peut-être aussi contribué à marginaliser son extraordinaire périple fluvial accompli à l’âge de 28 ans.

 Le comte Ödön Széchenyi (1839-1922), Pacha de l’Empire ottoman et général de la Turquie impériale

Le comte s’est consciencieusement préparé à ce voyage inédit depuis plusieurs années en acquérant non seulement des connaissances scientifiques avec l’aide de ses professeurs de l’université, mais aussi en naviguant, en obtenant son diplôme de capitaine et en effectuant trois allers-retours entre Budapest et Galaţi sur les vapeurs « Hildegard » et « François-Joseph ». Ses connaissances acquises en matière d’ingénierie, d’hydrographie et de navigation lui seront précieuses pour accomplir son périple fluvial de 2 000 kilomètres entre Budapest Paris. Il fait construire un bateau à vapeur avec une coque en fer, longue de 20 mètres, large de 2,33 mètres et d’un tirant d’eau de 0,56 mètre qu’il baptise du nom de « Hableány ». Ce navire à vapeur (chaudière à charbon) et à et à roues à aube, d’une forme lui permettant de naviguer sur des rivières et des canaux étroits, conçu par Adolf Höcher dans le chantier naval de József Hartmann à Újpest et propulsé par un moteur de 8 à 10 chevaux fonctionnant avec une pression de 4 atmosphères sera prêt à naviguer dès le novembre 1866. Le steamer est peint en blanc avec des moulures et des ornements dorés. L’installation intérieure est des plus confortables avec un salon meublé de divans, un piano (Ödön Széchenyi est musicien et compose), une bibliothèque, une chambre à coucher et une cuisine.

Arrivée du steamer Hableány à Paris le 18 mai 1853 

L’aristocrate hongrois écrit dans son journal de l’Hableány  : « J’ai été inspiré par l’idée que, sur les traces bénies de mon bienheureux père, je devrais moi aussi, selon mes maigres talents, favoriser le bien-être matériel de notre pays, mettre notre pays en communication avec les États de l’extrême Ouest de l’Europe par une voie d’eau qui existe déjà, mais qui est peu ou méconnue. Et, pour l’immense développement de notre industrie agricole, ouvrir à nos produits nationaux une voie de transport à la mesure de la demande étrangère qui est gratifiante et s’accroît chaque jour. Pour atteindre cet objectif grand et sacré, n’épargnant ni effort ni dépense, d’une part, et ne tenant pas compte des frayeurs venant de tant de côtés, d’autre part, je me mis à travailler avec une détermination inébranlable aux préparatifs de mon voyage, qui devait être prometteur mais dont la réussite était incertaine. Tout d’abord, on  construisit un bateau d’une taille adaptée aux rivières et canaux les moins profonds et les plus étroits, tant en longueur qu’en profondeur et en largeur… »

Journal de l’Hableány du comte Ödön Széchenyi, publié à Pest en 1867

S’il en est lui-même le capitaine, Alajos Folmann, président du club nautique Egyetértés de Pest en est le timonier. L’équipage modeste de cinq personnes comprend outre les deux hommes, un ingénieur, un mécanicien et un tout jeune cuisinier. Le départ du port d’hiver d’Újpest pour Paris a lieu au début du printemps, le 6 avril 1867.
Le voyage de deux mille kilomètres du « Hableány » va durer 43 jours. Quatre jours de navigation plus tard, le bateau arrive Bratislava le 10 avril, non sans avoir réussi à négocier la montée des eaux du Danube qui inondent la Petite Plaine avec l’aide du remorqueur Orsova. Malgré un incident à Vienne, c’est, deux semaines plus tard, la frontière allemande (Passau, 25 avril). Parvenu à Kelheim en Bavière le 28 avril, le « Hableány » navigue pendant trois jours sur le Ludwigkanal, inauguré en 1845, un ouvrage qui relie le Danube au Rhin via le Main. Celui-ci les conduit à Bamberg puis à Francfort. À Francfort, des hommes avertissent l’équipage que le bateau ne pourra pas naviguer sur le Rhin sans courir de grands dangers et ils lui conseillent de faire appel à un remorqueur. Le comte Széchenyi, plein de confiance dans le courage et la persévérance de ses équipiers et dans l’excellence de son moteur, dédaigne ces conseils et continue sa route (La Petite Presse, 23 mai 1867). Après avoir remonté le Rhin jusqu’à la hauteur de Strasbourg où ils arrivent le 6 mai, le bateau s’engage sur le canal de la Marne au Rhin, achevé en 1853. À Vitry-le-François, ils rejoignent la Marne et se retrouvent sur la Seine à la hauteur de Charenton en amont de Paris. Le 18 mai, Széchenyi et son équipage accostent triomphalement sur les quais de la capitale française, Les Parisiens sont stupéfaits par le vapeur du comte hongrois. Aucun navire battant pavillon hongrois n’a jamais accosté à Paris.

Plaque commémorative inaugurée le 4 juin 1997 quai Branly, au pied de la Tour Eiffel. Association Hongroise de Navigation et de Yachting « Comte Edmond Széchenyi », sources Wikipedia, domaine public

« L’Angleterre n’a qu’une embarcation à vapeur, toutes les autres chaloupes appartiennent à la Suède, à la Belgique et à la France, et sont rassemblées près de la Dahabié égyptienne, contre la berge française. Là se trouvent réunis, le Vauban, le canot des Forges et chantiers de la Méditerranée, qui a remporté l’autre jour le premier prix aux régates internationales, des chaloupes à vapeur, la Sophie, élégante suédoise bien digne du deuxième grand prix, sa sœur la Mathilde, fine, élégante et accorte comme elle, l’Éole de M. Durène, la Mouche, appartenant au prince Napoléon, et la Fille des ondes (Habléany), coquet bateau à aubes de la force de six chevaux, parti de Pesth pour venir, en remontant le Danube et les fleuves de l’Allemagne et de la France, à l’Exposition de Paris… »
Rapport de l’Exposition universelle, Matériel de sauvetage et navigation de plaisance

« Quatre jours plus tard, François-Joseph est couronné roi de Hongrie et, le mercredi 29 mai, jour de signature du Compromis austro-hongrois, l’ambassadeur Richard Klemens von Metternich donne un somptueux bal dans sa résidence de l’Hôtel de Rothelin-Charolais (101 rue de Grenelle). L’orchestre de soixante musiciens est conduit par Johann Strauss (fils), et joue Le Beau Danube bleu pour la première fois à Paris. Les plus hauts personnages sont là, autour de Napoléon III et d’Eugénie, du roi des Belges et d’un véritable parterre de souverains… Puis une valse est dansée par le prince Alfred, duc d’Édimbourg, avec la princesse Eugénie, pendant laquelle le prince de Metternich présente à l’Empereur le comte Edmond Széchenyi, qui vient d’accomplir sur un bateau de 30 mètres de long et de large [sic] le trajet de Pesth à Paris par le Danube, le Rhin, etc. L’Empereur interrogea longtemps le comte sur les incidents de la traversée, puis le voyageur désormais célèbre fut présenté à l’Impératrice. »
La Petite presse, 30 mai 1867

Napoléon III fera une courte croisière sur la Seine à bord du « Hableány » accompagné de son épouse Eugénie et décernera à Ödön Széchenyi la Légion d’honneur en reconnaissance pour sa traversée fluviale du continent européen. Le bateau sera encore récompensé d’une médaille d’or de l’Exposition universelle de Paris.
Le comte hongrois Ödön Széchenyi ne rentra pas à Budapest avec son bateau mais vendit celui-ci à l’écrivain, photographe, caricaturiste et constructeur de ballons français Félix Tournachon dit Nadar (1820-1910), un personnage qui inspirera Jules Verne pour son roman « Cinq semaines en ballon » (1863).2

Félix Nadar (1820-1910), photo domaine public

Le bateau navigue ensuite sous pavillon français sur la Marne pendant la guerre avec la Prusse puis sur le Rhin après avoir été réquisitionné comme butin de guerre. Ses aventures prennent fin brusquement en 1874. Suite à l’explosion de sa chaudière le Hableány sombre. Selon d’autres sources, le bateau aurait été coulé par un boulet prussien alors qu’il naviguait sur la Marne.
Cet exploit d’Ödön Széchenyi a peut-être été l’une des sources d’inspiration de Jules Verne pour son roman « Le pilote du Danube » paru pour la première fois en 1901 et qui a été remanié par son fils Michel Verne (1861-1925) et publié dans sa nouvelle version en 1908 sous le titre « Le beau Danube jaune« . Jules Verne s’inspira toutefois en grande partie du récit de voyage de l’hisrorien et homme politique français Victor Duruy (1811-1894), accompli en 1860, « De Paris à Bucharest » que la revue Le Tour du monde publia de 1861 à 1862, illustré par D. Lancelot.
Une réplique du « Hableány » construite en 2000 navigue sur le Balaton sous le pavillon de la Balaton Cruise Ship Ltd en tant que seul bateau à vapeur à roues à aubes sur ce lac.

Un accident tragique sur le Danube à Budapest
On se souviendra que le « Hableány » était aussi un petit bateau de promenade de conception soviétique qui, par une soirée de printemps pluvieuse, le 29 mai 2019, fut éperonné par le navire de croisière Viking Sigyn un géant de 135 mètres, sous le pont de l’île Marguerite à Budapest. Le Hableány coula très rapidement. Les fortes pluies et les courants entravèrent les efforts de sauvetage. Sur les trente-trois touristes sud-coréens et les deux membres d’équipage présents à bord ce soir-là, seules sept personnes purent être secourues.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour octobre 2025

Polka « Hableány » d’Ödön Széchenyi :
https://youtu.be/keKMzxRU4nU

Notes :
1
Après la mort de son père exilé en Autriche il s’installe à Pest et suit ses traces. Il devient le président du comité pour la création du Théâtre populaire de Buda et est membre actif du comité de l’Association nationale du yachting. Pour attirer plus d’adeptes du yachting il compose des morceaux de musique tels que le quatuor Régate, la polka Hableány (Syrène), et la valse Katinka etc. Il fonde le Groupement commercial et industriel hongrois ainsi que la Première société hongroise de voyageurs.

En 1860 un incendie se déclara à Nagycenk puis à Fertőszentmiklós. 98 maisons furent détruites par le feu. Széchenyi participa à l’extinction du feu et fut très touché par la détresse des gens et par les dégâts considérables.
   En 1862 il est nommé vice-commissaire du gouvernement hongrois et participa l’Exposition Universelle de Londres. Il reçoit une formation de pompiers dans la capitale anglaise. Széchenyi est promu au grade de brigadier, obtient le certificat de pompier. Puis il étudie l’organisation des pompiers et les dispositions du service de sécurité incendie dans différents pays européens.
   En 1863 il élabora le projet de statut du Corps des pompiers bénévoles de Pest et se chargea personnellement de la cueillette de fonds. L’écrivain français Alexandre Dumas qui effectua une visite en Hongrie contribua à ce projet humanitaire et utilitaire. Széchenyi lui offrit une épée de parement. Le service des pompiers bénévoles dont il devint le commandant démarra officiellement en 1870 à Pest. L’Union nationale des pompiers bénévoles fut fondée en 1871.
Ödon Széchenyi étudie les voies fluviales de l’Europe dans la perspective de relier la Mer Noire à l’océan Atlantique.  L’aménagement d’une voie fluviale internationale fut le rêve de son père. Ils sont les premiers à traverser l’Europe par voie fluviale. Napoléon III et l’impératrice Eugénie firent une promenade sur la Seine à bord du vapeur.  L’exploit de la traversée sera répété par une équipe de sportifs hongrois 110 ans plus tard.
En tant que membre du conseil des travaux publics il fut le promoteur de la construction du funiculaire à vapeur de Budavár sur le Mont de château. Inauguré le 2 mars 1870 etdeuxième funiculaire de l’Europe fonctionne jusqu’à 1944. Il est rouvert en juin 1986.
Le chemin de fer à crémaillère de Svábhegy conçu par N. Riggenbach est inauguré le 24 juin 1874 à Buda.
Széchenyi a l’idée de construire des foyers d’ouvrier, de remplacer le tramway à cheval par la voiture à vapeur. Il est aussi le promoteur de la télégraphie privée en Hongrie.
Le sultan ottoman Abdulaziz charge Széchenyi en 1874 de constituer le corps des pompiers d’ Istanbul..En 1878 il est promu colonel par le sultan Abdülhammid II puis en 1880 il accéde au rang de Pacha. En 1899 il est décoré du Grand ruban de l’ordre de l’Osmanie. Il est nommé commandant en chef des régiments de pompiers et du bataillon de marins-pompiers ainsi que général commandant en chef de la de la Turquie impériale.
Ödön Széchenyi est enterré au secteur catholique du cimetière chrétien Feraköy à Istanbul.
2 Un des héros de « De la Terre à la Lune » et d' »Autour de la Lune », romans parus en 1865 et 1869, s’appelle d’ailleurs Michel Ardan, anagramme de Nadar, sources Wikipédia.

Sources :
Dr. Balogh Tamás, Összefoglaló a brit flottaparádékról és az azokkal összefüggõ magyar katonai tradíció múltjáról, lehetséges jövõjérõl
Merci à Dániel Szávost-Vass pour les informations mises à disposition à propos du voyage fluvial de Budapest à Paris du comte Ö. Szechényi sur le site http://dunaiszigetek.blogspot.com  
http://kriegsmarine.hu

Histoire-du-livre.blogspot.com
www.hajoregiszter.hu

Maquette du Hableány, photo droits réservés

Charles Burney sur l’Isar et le Haut-Danube en 1772 (II) : de Passau à Vienne

Charles Burney, DE L’ÉTAT PRÉSENT DE LA MUSIQUE En Allemagne, dans les Pays-Bas et les provinces Unies, ou JOURNAL de Voyages fait dans ces différents Pays avec l’intention d’y recueillir des matériaux pour servir à une histoire générale de la Musique, par Ch. Burney, Professeur de Musique, Tome II, Gênes, J. Grossi, Imprimeur, 1801.

   Le musicologue anglais Charles Burney, parti de Munich sur un radeau passe en Autriche où règne encore l’impératrice Marie-Thérèse (1717-1780) bien que son fils Joseph II (1741-1790) porte déjà le titre d’empereur et poursuit son voyage en aval sur le Danube. Plus il se rapproche de Vienne, moins il supporte les conditions matérielles précaires qu’il a du accepter au départ de Munich. On le sent très impatient d’arriver dans la capitale autrichienne. Sa mauvaise humeur commence dès Linz où les églises sont fermées et où il ne trouve rien de bon à manger bien que cela soit un jour de marché, un vendredi il est vrai et où il ne voit aucune belle boutique. À l’exception du paysage qu’il a tout le loisir d’étudier en détail pendant ses péripéties fluviales et qu’il finit par trouver à l’évidence monotone, seuls quelques échos féminins de plein-chant en amont de Maria-Tafel et d’hymnes à plusieurs voix entendus à la hauteur de Krems suscitent son admiration. Quand aux Allemands il lui semblent « à dire vrai, si on excepte les habitants des grandes villes de commerce ou de celles où résident des Princes-Souverains, encore très rudes et peu cultivés. »

    « Je trouvais ici la douane, dont on m’avait déjà menacé, et dont je m’approchais qu’avec crainte ; mais on n’ouvrit point ma malle et on se contenta d’examiner mon porte-feuille dont les officiers exigèrent l’ouverture. Ma malle était plombée ; j’avais espéré qu’à la faveur de cette précaution, on me laisserait passer sans autre embarras jusqu’à Vienne, où arrivé, je m’attendais à payer pour toute la route.
Jusqu’ici le Danube court entre deux murs de montagnes élevées. Quelquefois il y est si resserré qu’il paraît plus étroit que la Tamise à Mortlake1. Sa pente est assez considérable, pour qu’on n’aperçoive pas l’eau inférieure, à la distance d’un quart de mille, et le bruit qu’elle fait en se brisant contre les rochers, est quelquefois aussi fort que celui d’une cataracte.
En entrant en Autriche, on éprouve une baisse apparente sur la valeur de la monnaie. Une pièce d’argent, qui valait douze creutzers en Bavière, n’en vaut plus que dix ici. Le florin de soixante creutzers, tombe à cinquante ; un ducat de cinq florins, n’en vaut plus que quatre et douze creutzers ; et un souverain de quinze florins, douze à trente creutzers ; un louis d’or qui en valait onze, ne vaut plus que neuf florins, douze creutzers ; et une couronne, deux florins.

Le Danube à la hauteur d’Obermühl (Haute-Autriche), gravure d’après Jakob Alt (1789-1872) extraite du « Voyage du Danube » de Ludwig Bechstein (1801-1860), 1824

Nous fîmes plus de huit lieues2 entre nos deux montagnes, et l’on s’arrêta à une misérable place la nuit, qui ne nous fournit aucune sorte de rafraîchissement, malgré l’espoir que j’avais conçu, de pourvoir moi-même à mes provisions pour les deux jours suivants qui étaient vendredi et samedi, que je savais que les Autrichiens catholiques observaient très strictement comme jours maigres. J’étais parvenu enfin à boucher les fentes de ma cabane avec des éclats de bois et avec du foin. Je mis un bouton à la porte, je m’accommodais avec ma sale couverture, et me fis une paire de mouchettes avec deux copeaux de sapin ; mais l’essentiel manquait ; tout cela n’était que pour garantir l’extérieur, et j’avais besoin de réconforter l’intérieur. Le dernier morceau de mes provisions froides avait été gâté tellement par les mouches, que tout affamé que j’étais, je le jetais cependant dans le Danube. mon pain même, ma dernière ressource, était en miettes, et il ne restait pour toute nourriture, que du Pumpernich3, mais si noir et si aigre qu’il dégoutait également à la vue et au goût.
Vendredi matin, 28 août. La rivière continue de courir entre des pays toujours couverts de bois sauvages et romantiques. Quand on ne fait que les traverser, ils offrent un aspect charmant et gai à un étranger, mais ils ne produisent, à ceux qui les habitent, que du bois à brûler. On ne voit, pendant cinquante mille, pas un champs de blé ou une prairie. Les moutons, les boeufs, les veaux et les cochons, sont des animaux étrangers à ce pays. Je demandais ce qu’il y avait derrière ces montagnes ; on me répondit, de grandes forêts. À Axa4, le pays s’ouvre un peu.

Aschach (rive droite), gravure d’après Jakob Alt, extraite du « Voyage du Danube » de Ludwig Bechstein , 1824

Quel immense amas d’eau on trouve ici ! Rivière sur rivière qui se jette dans le Danube, que ces crues rendent en même temps plus profond que large. Mais aussi il y a quelques petites rivières qui se détachent d’elle-mêmes de ce fleuve, et forment des îlots dans le milieu, ou sur les flancs de ce monde aquatique. Avant d’arriver à Lintz, cependant, on retrouve un pays plat, marécageux, qui laisse apercevoir dans le lointain, de hautes montagnes couvertes de bois.

Linz et son pont depuis la rive gauche (Urhahr) gravure d’Adolf Kunike d’après Jakob Alt, 1824

Lintz
L’approche de cette ville par eau, offre une vue très belle. De chaque côté du Danube, il y a une route, au pied de hautes montagnes et de rochers couverts de bois dont la rivière est encore bordée. Le château qui se présente à une certaine distance (Ottensheim), et les maisons et couvents assis sur le sommet de quelqu’une de ces hautes collines, former un beau tableau. Il y a un pont sur le Danube supporté par vingt arches bien larges. La ville est bâtie, partie sur le sommet, et partie sur les revers de hautes montagnes et dans une situation semblable à celle de Passau. Comme il était midi lorsque j’arrivais, les églises étaient fermées ; cependant j’obtins la permission d’entre dans l’Église Cathédrale où je trouvais un grand orgue.
Il y a une certaine apparence de piété que je n’avais pas vu auparavant dans les pays catholiques les plus bigots. Dans le voisinage de chaque ville que j’ai rencontré le long du Danube, il y a de petites chapelles éloignées à 20 ou 30 verges5 de distance les unes des autres. On en trouve quelquefois sur les pentes de ces montagnes et dans des endroits trop étroits pour un homme à pied6 ; et il n’y a pas pas une seule maison dans Lintz qui n’ait sa Vierge ou quelque Saint peint ou sculpté sur la muraille.
Je courus la ville pendant à peu près deux heures. C’était un jour de marché. On n’y vendait que des bagatelles et rien à manger, peut-être parce que c’était vendredi, que du pain, du fromages détestable, de mauvaises pommes, des poires et des prunes ; et en marchandises, que des rubans de fils, des babioles d’enfants, des livres d’Église ordinaires, et des images communes de Vierge ou de Saint. On ne voit pas dans cette ville une belle boutique, quoiqu’il y ait plusieurs belles maisons. On y retrouvent le bord des toits qui s’avancent sur la rue, et les clochers mourant en poire, dans le style bavarois, et qui paraissent être encore de mode ici.

La forteresse de Spielberg, gravure d’Adolf Kunike d’après Jakob Alt, 1824

Spielbourg7 n’est plus que la carcasse d’un vieux château bâti sur une petite ile. C’est là qu’on rencontre la première des deux chutes d’eau du Danube qu’on dit être su dangereuses. Je n’y ai rien remarqué de formidable que le bruit.
Enns est une grande ville en vue sur la rive droite ; nous y arrivâmes à travers un vilain pays, en marchant jusqu’à la nuit. La rivière ici est si large qu’on voit à peine ses bords. Quelquefois elle brise et se divise en des petits courants formés par des îles. Le radeau s’arrêta à une chaumière sur la rive gauche de la rivière, et où les passagers mirent pied à terre et passèrent la nuit. Je restais dans ma cabane, où, je crois, que je fus beaucoup mieux couché qu’aucun d’eux ; mais pour des provisions, nous étions tous sur le même pied, assez mal. Pierre alla à travers les rochers jusqu’à un village voisin pour me procurer une demi douzaine d’oeufs, qu’il m’apporta avec une espèce de triomphe. Mais hélas ! Deux de ces oeufs se trouvèrent vides, et un troisième avait un poulet en dedans ; et comme c’était jour de jeune, je ne pouvais pas en conscience, le manger.
Samedi, nous nous levâmes à cinq heures ; mais nous nous arrêtâmes, après avoir fait trois ou quatre milles, à cause d’un brouillard affreux, qui rendait la navigation dangereuse, à travers tant de rochers, de bas-fonds et îles. Lorsqu’il fut dispersé, nous atteignîmes Strudel8, lieu situé dans un pays plus sauvage qu’aucun de ceux que j’ai vu en passant les Alpes.

Passage des tourbillons (Wirbel) de la Strudengau et l’île de Wörth, gravure d’après Jakob Alt (1789-1872) extraite du « Voyage du Danube » de Ludwig Bechstein (1801-1860)

C’est ici qu’est la fameuse cascade, ce gouffre, que les Allemands craignent tant, qu’ils disent que c’est l’habitation du diable. Cependant, ils en avaient tant parlé que tout cela me parût moins terrible que je ne me l’étais imaginé. Le courant de l’eau, sous le pont de Londres, est pire ; seulement la chasse de l’eau n’est pas produite avec autant de bruit. Tout le monde se mit à prier et se signer dévotement ; mais quoique ce soit, surtout dans l’hiver, un passage très dangereux pour un bateau, et que le radeau plongea dans l’eau, sa capacité couvrait cependant une assez grande superficie, pour qu’il n’y eut pas à craindre qu’il enfonçât ou chavirât.

Ybbs sur le Danube au début du XIXe siècle

 Nous arrivâmes à Ips9, jolie petite ville, qui a une belle caserne toute neuve. C’est près d’ici justement que le pays s’ouvre et commence à être beau. C’est aussi dans ces environs, qu’on fait le vin d’Autriche, qui est un vin blanc, joli, agréable, mais léger.
À Melk, sur la droite du Danube, il y a un magnifique couvent de Bénédictines10, si spacieux, qu’il semble occuper les deux tiers de la ville ; l’architecture en est belle et moderne. Toute la rive gauche est couverte de vigne. La moisson était entièrement faite dans les environ ; il est vrai, qu’il y a peu d’apparence d’agriculture dans ce pays presque désert. Je crois avoir déjà remarqué, que la quantité de bois et de forêts non exploitées qui se trouvent dans les différentes parties de l’Allemagne, indiquent un peuple encore brut et demi sauvage ; et à dire vrai, si on excepte les habitants des grandes villes de commerce ou de celles où résident des Princes-Souverains, les Allemands semblent encore très rudes et peu cultivés.

Stein, gravure d’après Jakob Alt (1789-1872) extraite du « Voyage du Danube » de Ludwig Bechstein (1801-1860)

Le pays devint de plus en plus sauvage jusqu’à Stein11. Les rochers étaient souvent si hauts de chaque côté de la rivière qu’ils nous dérobaient le soleil à deux ou trois heures après-midi. À Stein, il y a un pont de bois de 25 ou 26 arches très larges, qui conduit à Krems où les Jésuites ont un riche Collège très bien situé sur une éminence. Il a plus l’aspect d’un palais royal qu’aucun bâtiment dont nous puissions nous glorifier en Angleterre. Stein est sur la gauche, et Krems sur la droite du Danube en suivant son cours. Ici notre train mit à l’ancre, quoiqu’il ne fut que cinq heures.  Il est vrai qu’il ne s’était pas arrêté de toute la journée, excepté le matin de bonne heure, à cause du brouillard. Nous étions encore à peu près à cinquante milles de Vienne ; et le coquin de Flosmeistre12, le conducteur de rivière, nous assurait à Munich que nous y serions certainement rendu le samedi soir .
À Krems, il y a un grand orgue dans l’église des Jésuites. Là et dans toute la route jusqu’à Vienne, on entend le peuple dans les maisons publiques, et les laboureurs leur travail, se divertir en chantant en deux parties, et quelquefois d’avantage. Près d’Yps il y avait un grand nombre de femmes Bohémiennes que nous appellerions chez nous diseuses de bonne aventure, qui allaient en pèlerinage à Ste Marie Tafel13 qui est une église placée sur le sommet d’une très haute montagne faisant face à la ville d’Yps de l’autre côté du Danube. Personne n’a pu m’expliquer d’où vient qu’on l’appelait ainsi. Il est probable qu’elle a pris cette dénomination de la forme de la montagne sur laquelle est placée et qui ressemble à une table. Ces femmes cependant ne chantaient point en parties comme les Autrichiens, mais en plein chant comme les pèlerins que j’avais entendu en Italie et qui allaient à Assise. La voix se propageait jusqu’à plusieurs milles de distance sur la rivière par l’effet du courant et du vent qui la portaient sur la surface sans aucune interruption.
Tout ce que j’ai recueilli sur la Musique durant cette semaine, qu’à peine mérite t-il que j’en fasse mémoire. Je dois cependant ajouter à ce que j’ai dit sur le penchant pour la Musique que j’ai trouvé chez les Autrichiens, qu’à Stein qui est situé vis-à-vis Krems, j’entendis plusieurs chants et des hymnes exécutés très bien en quatre parties. De dire qui étaient les chanteurs, je n’ai pu le savoir parce que j’étais sur l’eau ; mais ce fut une circonstance heureuse pour moi de me trouver par hasard de manière à entendre une exécution musicale aussi parfaite, qu’elle aurait pu l’être si elle eût été préparé à dessein. C’était une femme qui chantait la partie du dessus ; non seulement la mélodie était exprimée avec simplicité mais l’harmonie portait toutes les illusions des sons enflés et diminués, ce qui produisait sur moi l’effet de chants qui s’approchent ou qui s’éloignent ; et les acteurs semblaient s’entendre si bien entre eux, et ce qu’ils chantaient, ils l’exécutaient parfaitement, que chaque corde avait cette espèce d’égalité dans toute les parties de son échelle qu’on peut donner au même nombre de note qu’on peut sur le renflement d’un orgue. On voyait les soldats dans cette ville et toute la jeunesse qui se promenaient le long de l’eau, aller presque toujours chantant, et jamais en moins de deux parties.
Il n’est pas aisé de rendre raison de cette facilité de chanter en différentes parties, qu’à le peuple d’un pays plus que celui d’un autre. Cela provient-il de ce que dans les pays catholiques romains, on entend plus fréquemment chanter en parties dans les églises ? je n’en sais rien ; mais ce que je sais très bien, c’est tout ce qu’il en coûte en Angleterre, de peines et de soins au maître et à l’écolier pour qu’un jeune élève soit en état d’exécuter avec assurance une deuxième partie dans la mélodie la plus simple qu’on puisse imaginer. Je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu les chanteurs de ballades dans les rues de Londres ou dans nos villes de province, essayer de chanter en deux différentes parties.
Dimanche 30 août. Ce jour fut perdu pour moi, n’ayant pu arriver à Vienne avec notre radeau, comme on nous l’avait fait espérer. Un officier qui était à bord, s’entremit avec moi pour nous procurer une voiture de terre mais inutilement. Comme nos approchions de Vienne, le pays nous parût être moins agreste : il y a des vignes sur les revers des collines, et de grandes îles, et en grand nombre, sur le Danube.
Tulln14 est une petite ville fortifiée. Elle a une belle église et un beau couvent, lesquels réunis à une belle douane, constituent tout ce qu’on trouve ordinairement de plus remarquable en Autriche.
À Korneubourg15, il y a une forte citadelle sur le sommet d’une colline extrêmement élevée, qui commande la rivière et la ville.
Nusdorf16 est un village à trois milles de Vienne qui n’a de remarquable qu’une église et la douane. On me mit vraiment hors de moi, quand on me dit, que comme c’était dimanche, le train ne pouvait, pour rien au monde, entrer de suite à Vienne. Il n’était pas plus de cinq heures, et c’était le septième jour de mon séjour dans mon étable, où, à la vérité, j’aurais pu devenir gras si j’avais eu de quoi manger ; mais ce n’était pas le cas. La faim aussi bien que la perte de mon temps, me rendait très impatient de relâcher ; et après avoir perdu heure à tacher de me procurer une voiture de poste, je trouvai un misérable bateau pour me porter, moi et mon domestique jusqu’à Vienne

Charles Burney, DE L’ÉTAT PRÉSENT DE LA MUSIQUE, En Allemagne, dans les Pays-Bas et les provinces Unies, ou JOURNAL de Voyages fait dans ces différents Pays avec l’intention d’y recueillir des matériaux pour servir à une histoire générale de la Musique, par Ch. Burney, Professeur de Musique, Tome II, Gênes, J. Grossi, Imprimeur, 1801.

Notes :
1  District du borough londonien de Richmond upon Thames
2 Une lieue vaut ici probablement 4, 828 032 km
3Pain de seigle rustique.
4 Aschach, Haute-Autriche, village, place de marchés et de foires sur la rive droite, à un peu plus d’une vingtaine de kilomètres de Linz.
5 Une verge = 91, 44 cm soit une enjambée moyenne.
6 Ces chapelles n’ont pas un espace nécessaire pour contenir des hommes et un prêtre ; il n’y en a que ce qu’il en faut pour un crucifix et une image de la Vierge. Notes de l’auteur.
7 Spielberg, forteresse médiévale imposante et cloître du XIIe siècle construits par les évêques de Passau sur une île près de la rive droite à l’origine. Avec la régulation du Danube, les ruines de la forteresse se trouvent désormais sur la commune de Langenstein (rive gauche) à environ 1 km du fleuve.
8
Struden en Strudengau (rive gauche), Haute-Autriche, petit village en aval de Grein où étaient situés autrefois des tourbillons (Strudel) célèbres redoutés qui nécessitaient pour les traverser l’aide d’un pilote local. Il est probable qu’au moment où Burney les traverse, au mois d’août, le Danube soit en période basses-eaux d’où ses réflexions à leur sujet. 
9 Ybbs, rive gauche, Basse-Autriche.
10 En réalité un couvent de moines bénédictins.
11 Krems-Stein, Basse-Autriche, ville de la rive gauche, à la sortie de la Wachau. Le deuxième pont en bois du Danube autrichien après celui de Vienne (1439), construit en 1463 se trouvait à la hauteur de Stein.
12 Floßmeister, conducteur de radeau.
13 Basilique mineure baroque au-dessus du fleuve (rive gauche) et haut-lieu de pèlerinage de Basse-Autriche avec Mariazell. On s’y rendait autrefois également en bateau.
14 Petite ville de Basse-Autriche sur la rive droite aux origines romaines, située à une quarantaine de kilomètres de Vienne.
15 Korneuburg, Basse-Autriche, sur la rive gauche en face de Klosterneuburg. Il s’agit de la forteresse du Bisamberg.
16  Littéralement « Le village des noix ou le village où pousse les noyers », village de vignerons de la rive droite au pied du Kahlenberg, à l’entrée du canal du Danube aujourd’hui intégré à Vienne (XIXe arrondissement).

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour août 2025

Le canal de Bystroye (delta du Danube, territoire ukrainien) : une réalisation aux conséquences environnementales préoccupantes.

Sa réalisation fut contestée activement mais sans résultat par le gouvernement roumain et  les organisations environnementales ukrainiennes et roumaines. Elle s’ajouta au contentieux frontalier entre la Roumanie et l’Ukraine, héritage des différents frontaliers historiques précédents roumano-russes et roumano-sviétiques. Ce différent frontalier qui s’étendait sur des îles de la mer Noire et des perspectives d’exploitation de gisements sous-marins a été en grande partie résolu suite à un arrêt de la Cour International de Justice de La Haye en février 2009. Aujourd’hui seul subsiste un contentieux à propos de l’îlot Maican sur le Bras de Chilia du Danube et du golfe de Musura entre l’embouchure de ce même bras et celle du bras de Sulina.

Les territoires maritime faisant l’objet d’un litige entre la Roumanie et l’Ukraine, carte de Spiridon Manoliu, 2010, domaine public.

Outre le fait que le canal de Prorva, suite à un défaut d’entretien, devint impraticable pour les bateaux de commerce et fut fermé à la navigation en 1997, fermeture qui privait l’Ukraine d’un accès danubien à la mer Noire sur son territoire, la raison officielle principale invoquée par le gouvernement ukrainien pour la construction de ce canal a été de permettre aux bateaux de ce pays d’économiser le paiement d’importantes taxes de passage à la Roumanie, au cas où sa frontière de facto avec la Roumanie, qui passe au sud du talweg2 de Chilia, serait ramenée sur la frontière de jure c’est-à-dire sur le thalweg conformément au Traité de Paris de 1947. Mais cette situation ne risque toutefois plus, en principe, de se reproduire depuis la signature le 2 juin 1997 du traité roumano-ukrainien de Constanza, traité signé sous l’égide de l’OTAN ainsi que depuis l’arrêt rendu le 3 février 2009 par la Cour Internationale de Justice de la Haye. Cet arrêt répartit en effet la zone maritime de chacun des deux pays au large de l’embouchure. Le traité roumano-ukrainien et l’arrêt de la Cours Internationale de Justice de La Haye ont entériné la frontière de facto.

Le Delta et le canal de Bystroe

Le delta du Danube, les bras de Sfântu Gheorghe, de Sulina (Roumanie), du Vieil Istanbul, le canal de Prorva et le canal de Bystroe (Bystre) en Ukraine qui part du bras de Chilia et rejoint la mer Noire en traversant la réserve de biosphère.

Plusieurs associations de protection de l’environnement de Roumanie, d’Ukraine et de l’étranger s’inquiétèrent des importants travaux de dragage, de la construction de digues nécessaires à la réalisation de ce canal, du rejet des alluvions prélevés dans une zone située entre cinq et dix kilomètres au large du delta et des possibles désastreuses conséquences environnementales, hydrologiques et halieutiques de ce projet. Elles protestèrent également contre l’absence totale de concertation du gouvernement ukrainien. Elles soulignèrent les risques importants pour les milieux naturels spécifiques du delta (le canal traverse notamment la réserve de biosphère du delta), pour les territoires de nidification d’oiseaux rares de la région tout comme pour les zones de reproduction de poissons migrateurs. Selon elles, le volume d’eau déversée dans ce canal pourrait aussi à terme menacer l’écosystème du liman Sasyk, isolé auparavant du littoral par un cordon sableux et importante frayère des aloses pontiques et de plusieurs espèces d’esturgeons et de mulets. L’Union européenne demanda également en 2004 au gouvernement ukrainien de surseoir à la construction du canal de Bystroye mais les autorités du pays, après avoir repoussé de quelques semaines la date de l’inauguration des travaux, confirmèrent leur décision de les entreprendre et de mener le projet à son terme. Le canal fut inauguré le 14 mai 2007.

Les limans Sasyk ou Kunduk, Shagani et Alibey sur une carte du XIXème siècle

Les liman Sasyk ou Kunduk, Shagani et Alibey sur une carte du XIXe siècle

Notes :
1 Le liman est une lagune ou un lac marécageux plus ou moins salin, isolé de la mer par un cordon littoral barrant partiellement le delta, l’estuaire ou l’embouchure d’un fleuve. Les liman du Danube servaient autrefois de réserve de pêche pour les populations locales comme les Lipovènes. Le Liman Sasyk porte également les noms de  Bolshoy Sasik ou Sasyk (russe), Inlet Cunduc, Lacul Conduc (roumain), Liman Kundu ou Kunduk (turc), Liman Sasik ou Sasyk (ukrainien), Ozero Kunbuk, Ozero Kundak, Ozero Sasik ou Sasyk.
2 Le talweg ou thalweg correspond au fond d’une vallée, ici le chenal navigable du bras de Chilia.

Eric Baude, © Danube-culture, mis à jour mai 2025

En coche d’eau sur le haut-Danube au XVIIIe siècle…

  « L’embarcation qui va nous transporter en aval du Danube a environ cent vingt pieds de long. Elle est complètement plate, sans voile ni mât et construite en bois de sapin. Il y a une sorte de grosse cabane au milieu de celle-ci. Au lieu d’un grand gouvernail, on voit deux longues rames à l’avant et deux autres à l’arrière, qui sont maniées par six à huit membres d’équipage. Un jeune apprenti peut très bien s’engager comme rameur et se rendre ainsi à Vienne sans payer quoi que ce soit. Le maître d’équipage est l’un des vingt-quatre patrons bateliers de Ratisbonne. Chaque dimanche, on tire au sort lequel d’entre eux conduira le coche d’eau vers Vienne. Celui-ci ne doit pas seulement être d’une grande habilité à la manoeuvre comme le prouve son statut de patron batelier, mais il doit aussi être marié, car on estime qu’un père de famille est plus consciencieux et plus prudent qu’un célibataire. Il n’est effectivement pas facile de mener à bon port ce type d’embarcation à travers les nombreux bas-fonds, les îles, les ponts, les moulins-bateaux et les autres obstacles qui jalonnent le fleuve.
Les bateliers sont vraiment des gens à part, des hommes dotés d’une grande force physique, rudes, sauvages mais  toujours proches de la nature dans le meilleur sens du terme, habiles, dévoués corps et âme à l’eau et fiers de leur métier. Ils sont d’ailleurs si fiers d’être bateliers qu’on peut qualifier leur corporation de véritable dynastie. Celui qui, en tant qu’habitant de l’île de Wöhrd [île de Wörth], se rend impopulaire auprès d’eux d’une manière ou d’une autre, peut au mieux faire son baluchon et quitter les lieux. On raconte qu’un des bateliers de Ratisbonne nommé Gottlieb Naimer, attrapait ses ennemis par le col de la chemise, les maintenait au-dessus du Danube avec ses bras d’ours et menaçait de les y jeter s’ils ne quittaient pas l’île de Wöhrd au plus vite. Il aurait aussi, en d’autres occasions, sauvé plus de vingt personnes de la noyade.
    Toujours parmi ces bateliers de Ratisbonne, un des plus originaux était un membre de la famille Hörndl, surnommé « Hörndl le noir » car son visage et ses mains étaient entièrement brûlés par le soleil. D’après les propos d’un certain Hoffmeister (intendant) distingué qui voulait l’avoir comme maître d’équipage supplémentaire, celui-ci était une brute indomptable qui se moquaient des bonnes manières. Son injonction à la traditionnelle prière au moment du départ en tant que responsable du radeau, était plus qu’impérative : « Tust’s die Hat runter und bet’s, sonst kimm’ i euch ! » (Enlèves donc ton chapeau et prie sinon gare à toi !). Malgré les nombreux dangers afférents à la navigation, tous ces bateliers téméraires du Danube, pour autant que l’on sache, sont morts dans leur lit .

Une zille (Kehlheimer) passant devant le rocher du Jochenstein sur le Haut-Danube, gravure de William Henry Bartlett (1809-1854), 1844

   Ces voyages en radeau sont à chaque fois une sacrée aventure ! Chaque départ a quelque chose à la fois de « remarquable et de solennel », comme le décrit un voyageur en 1792. Une foule bigarrée de promeneurs et de badauds se donne rendez-vous pour assisterSà ce spectacle. Deux jeunes bateliers inspectent le bateau pour s’assurer que sa construction et son aménagement répondent aux exigences du long voyage, deux autres vérifient également l’embarcation à leur tour encore une ois avant de détacher les amarres du poteau sur la rive. Deux coups de canon donnent le signal du départ. Le maître d’équipage, qui surveille tout le monde, enlève son chapeau et récite à haute voix le « Notre Père ». Tous sans exception, voyageurs et spectateurs se joignent à la prière afin que Dieu et les éléments soient miséricordieux envers l’embarcation et la protègent ainsi que ses passagers tout au long du voyage.
Il faut un peu plus tard le premier jour aux passagers se préparer à passer une première nuit à environ vingt-cinq kilomètres en aval de Ratisbonne. Et si quelqu’un n’a pas prévu de sac de couchage ou s’il l’a oublié, il peut  soit rester sur l’embarcation , soit se réfugier dans quelque ferme-auberge qui ne sont pas du tout aménagées pour les voyageurs. En général, le coche d’eau ordinaire arrive à Vienne en dix jours. Si le patron batelier raccourcit les temps de repos, évite la soi-disante « Fête du vent » et si le coche d’eau n’est pas trop longtemps retenu par la douane autrichienne, on peut espérer arriver à destination dès le sixième jour. Ceux qui peuvent s’offrir un petit coche d’eau privé, font le voyage en deux fois moins de temps.
Siegfried Färber (1910), Die Donau in Bayern und Österreich, Landschaft und Kultur, Verlag Joseph Haber, Regensburg, 1963

Voyage en « ordinari »
   Les « ordinari » ou coche d’eau sont apparus à la toute fin du XVIIe siècle. Ce sont des embarcations qui naviguent régulièrement. Ils partent à des dates précises et selon un horaire défini. De tels « ordinari » existeront de Regensburg (Ratisbonne) à Vienne à partir le 24 mars 1696. « Tous les dimanches à midi, un « Kellheimer » de 128 pieds  part de Regensburg, parfois il en part même parfois plusieurs. Une grande cabane en bois d’environ 10 pieds de haut au milieu occupe le pont. Devant et sur le toit il y a des échafaudages, et sur ces échafaudages, une galerie plate sur laquelle se tiennent les rameurs. À l’intérieur, la cabane est divisée en deux pièces. L’une d’elles est entièrement remplie de marchandises. L’autre est également encombrée d’objets de sorte qu’il ne reste qu’un tout petit espace pour les passagers où se trouvent une table et quelques bancs…. » (descriptions d’un voyageur sur un « ordinari » en 1784).
Ces bateaux partis le dimanche arrivent le vendredi suivant à Vienne. Le prix du billet de Ratisbonne à Vienne avec une place dans la cabane coûte entre 5 et 6 florins. Le transport du quintal de marchandise se négocie, sans les frais de péage,  aux alentours de 1 à 2 florins en monnaie impériale.

De tels itinéraires fluviaux sur des « ordinari » sont décrits à maintes reprises. Certains passagers en parlent avec humour et ressentiment, comme l’écrivain, poète et homme politique prussien Ernst Moritz Arndt (1769-1860) qui, en 1798, voyage de Ratisbonne à Vienne et paie cinq florins pour la meilleure place « qui n’est certes pas vraiment la meilleure » et qui cite deux emplacements où se tenir sur le coche d’eau, « celui  à l’arrière étant aussi « bon » que la place à l’avant ! Là, soit on reste debout, soit  on s’assoie, soit on est couché les uns sur les autres, comme le hasard le veut et l’humeur de chacun. Heureusement qu’on a une capote pour nous protéger du soleil quand il ne pleut pas, sinon la chaleur et les odeurs rendraient le voyage insupportable  !  » Un autre voyageur raconte qu’il est préférable de « s’assurer, contre un bon pourboire une place  à la proue du bateau pour éviter de sentir les mauvaises odeurs et le bruit et les cris des autres passagers !.
Il y a aussi des témoignages heureusement plus positifs comme celui du juriste et professeur Friedrich August Schmelzer qui descend le Danube en 1789 de Ratisbonne à Vienne sur un « ordinari » en compagnie d’un colonel anglais, d’un secrétaire de la légation suédois, d’un enseignant hongrois revenant d’Iéna et d’un étudiant en théologie originaire de Hambourg. Cette fois le voyage en cette aimable compagnie est décrit comme très confortable et agréable et F. A. Schmelzer se sent bien dans la « petite pièce pourvu de tables, de bancs et d’un service à café… »

Sources :
Siegfried Färber (1910), extrait de Die Donau in Bayern und Österreich, Landschaft und Kultur, Verlag Joseph Haber, Regensburg, 1963
Andreas Aberle, N, in Gotts Nam ! Schiffahrt auf Donau und Inn, Salzach und Traum, Rosenheimer Verlagshaus Alfred Förgl, 1974
Traduction et adaptation en français Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour mai 2025

Navigation danubienne d’autrefois : le train de bateaux

 Friedrich Gauermann (1807-1862), Un équipage de halage sur le Danube, huile sur bois, 1848

   Si la descente vers l’aval (Naufahrt) s’effectuait relativement facilement, à l’exception de conditions météo défavorables (brouillards, tempêtes, vents contraires, inondations…) et de certains passages délicats comme le franchissement des rapides de la Strudengau (Strudel, Wirbel), en aval de Grein et pour lesquels il était indispensable de faire appel à des pilotes locaux, il n’en était pas de même pour la remontée (Gegenwart ou Gegentrieb) du Danube, une remontée qui demandait en raison du courant, de la configuration des rives ou d’autres obstacles comme des éperons rocheux au sein même du lit du fleuve ou des bancs de sable, une force de traction et un équipement considérables que seuls des équipages de chevaux, menés par des hommes expérimentés, pouvaient assumer.

Un train de bateaux au pied du Kahlenberg (Vienne) , gravure coloriée, 1841

   De tels équipages ne pouvaient avancer que très lentement, effectuant de vingt à trente kilomètres par jour, de l’aube jusqu’à la nuit. À titre d’exemple, le trajet en amont de Vienne à Linz pouvait durer de 14 à 25 jours, de Linz à Passau de 6 à 8 jours, de Passau jusqu’à Regensburg, de 9 jusqu’à 15 jours ou encore de 10 à 12 semaines de Pressburg (Bratislava) à Rosenheim sur l’Inn avec de nombreux changements de rives à l’occasion desquels il était nécessaire de transporter les chevaux d’un bord du fleuve à l’autre. La Strudengau, en aval de Linz, avec sa mauvaise réputation pour les embarcations qui descendaient le Danube en raison de ces deux zones de rapides, s’avérait également difficile pour les convois de bateaux remontant le fleuve et leurs équipages. Il est bien évident que dans ces conditions, il était extrêmement extrêmement rare que des voyageurs s’aventurent à remonter le fleuve sur un train de bateaux, ce type de navigation étant réservés aux marchandises.

Halage sur le Danube, collection Musée de la navigation de Spitz/Donau

Friedrich Gauermann (1807-1862), Chevaux de halage près d’une auberge, huile sur toile, vers 1855.     F. Gauermann a peint ici la pause d’un équipage de halage (Hohenauer) dans une auberge au bord du Danube. Le chaland chargé est amarré à la rive devant l’auberge. Les chevaux portent leur harnais de halage avec l’arc en bois caractéristique qui entoure leur arrière-train et qui servait à fixer la corde pour haler le bateau. Le départ semble imminent. Alors que plusieurs hommes sont encore assis sous l’auvent de l’auberge et boivent, deux des cavaliers sont déjà prêts à repartir. Un troisième tente avec difficulté de monter son cheval effrayé par un chien aboyant. Le groupe de quatre chevaux constitue à l’évidence le motif central du tableau. En arrière-plan, à gauche la ruine de Haustein près du village de Sankt Nikola en Strudengau, qui  fut détruite avant 1862 dans le cadre de la régularisation du Danube, collection Landessammlungen Niederösterreich, sources : W. Krug, Friedrich Gauermann 1807-1862, 2001

   Les « Zille » ou autres embarcations, y compris sur le Moyen et le Bas-Danube ottoman, furent tout d’abord tirées ou halées à partir du XIVe siècle par des prisonniers de guerre ou des condamnés auxquels se substituèrent par la suite des équipages de chevaux et ce jusque bien après l’invention de la navigation à vapeur. Ces trains de bateaux étaient encore nombreux au milieu du XIXe siècle : 136 équipages ont été encore comptabilisés en Haute-Autriche dans le petit village de Struden (rive gauche), en aval de Grein dans les années 1860, 11 en 1870, 84 en 1880, 31 en 1890 et 1 seulement en 1900). Ces convois pouvant atteindre une longueur totale de 400 à 500 mètres, portaient le nom, sur le Haut-Danube, de « Hohenhau » et son maître d’équipage qui pilotait les manoeuvres difficiles depuis la tête de l’équipage, celui de « Hohenauer » ou de « Vorreiter ». Les hommes qui exerçaient ce métier éprouvant et épuisant physiquement et qui les obligeaient à demeurer plusieurs mois hors de leur maison, à dormir dans des conditions souvent précaires et à risquer leur vie presque quotidiennement, ont été décrits comme des êtres frustres et brutaux. Le passage d’un tel train de bateaux à la remonte et de l’équipage d’hommes et de chevaux qui le halaient, ne pouvait passer inaperçu et a engendré plusieurs légendes comme celle du train de bateaux fantôme.

Stefan Simony (1860-1950), Équipage de halage, huile sur bois, 1884

Traversée sur l’autre rive des chevaux de halage, collection du Musée de la navigation de Spitz/Donau

Dans la région de Wachau ou en Strudengau là où les rochers affleurant à la surface de l’eau, les tourbillons, les rives particulièrement escarpées rendaient autrefois le halage des lourdes embarcations vers l’amont pénible et dangereux, certains habitants entendaient certaines nuits d’hiver particulièrement sombres ou les jours de grand vent et de tempête, des hurlements sinistres, des claquements secs de fouets et le bruit énorme des sabots et des hennissements de chevaux. Ils savaient qu’il s’agit du passage du train de bateaux fantôme conduit par le « Hohenauer », condamné avec ses hommes pour avoir lancer des imprécations, appeler à l’aide le diable, s’être soulés et avoir été cruels envers leurs bêtes, à remonter éternellement le fleuve et à lutter contre le courant jusqu’à ce que le lit du Danube deviennent aussi sec que le sommet du mont Jauerling (sommet de 960 m situé en Wachau sur la rive gauche). Pour expier leurs fautes, le « Hohenauer »et son équipage devaient faire avancer leur convoi uniquement dans l’obscurité la plus noire. Les villageois des bords du Danube pouvaient ainsi,  durant un long moment ces nuits-là, écouter les voix lugubres des haleurs maudits proférer les mêmes injures qu’autrefois, leurs rires sauvages se mêlant aux plaintes incessantes des chevaux effrayés, épuisés et des claquements de fouets qui leur répondent.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour mai 2025

              Johann Adam Klein (1792-1875), scène de halage sur l’Inn, huile sur toile, 1863

Dès ses premiers voyages sur le Danube dans les années 1820, J. A. Klein artiste peintre et graveur originaire de Nuremberg, a été fasciné par les attelages de chevaux halant des bateaux sur le haut-Danube et ses affluents et en a fait le sujet de certains de ses tableaux (« Donau-Schiffszug bei Dürnstein », 1827). Les Zillen, Kehlheimer ou Gamsen, étaient utilisées en Wachau et sur le haut-Danube pour le transport vers l’aval de marchandises et matériaux divers destinés en particulier à Vienne mais pouvaient également accueillir des voyageurs (uniquement dans le sens de la descente). Si les bateaux descendaient vers l’aval avec la force du courant et pouvaient même parfois sur certains tronçons du fleuve hisser une voile par vent favorable, ils devaient être haler vers l’amont par des attelages de chevaux plus ou moins nombreux suivant le nombre d’embarcations, leurs chargements et la force du courant. Pour le peintre J. A. Klein, passionné par les chevaux, leurs corps musclés et tendus par l’effort immense étaient un spectacle saisissant qu’il a immortalisé dans plusieurs de ses tableaux et de ses dessins. Cette toile représente une scène aux tonalités dramatiques le long de l’Inn, un cours d’eau fougueux, affluent du Danube, dans laquelle onze chevaux dont la plupart la plupart sont montés par un cavalier, halent péniblement depuis un chemin caillouteux en bordure de la rivière, deux bateaux (Gamsen de l’Inn) lourdement chargés. Au second plan, un batelier tente d’empêcher les embarcations de trop se rapprocher de la rive à l’aide d’une rame ou d’une perche. Klein a accordé une attention toute particulière à la reproduction fidèle des détails des harnais spécifiques des puissants chevaux de halage et des costumes des membres de l’équipage (Hohenauer) qui les montent et pour certains, les fouettent généreusement.

Srefan Simony (1860-1950 ), halage en Wachau à la hauteur de Dürnstein  aquarelle, 1886

Le MS « Stadt Wien » ancien vapeur à roues à aube de la D.D.S.G.

Navigation de plaisance sur le Danube : autorités de référence, cartes, sites d’informations, ports de plaisance…

Autorités de référence pour la navigation sur le Danube

Pour naviguer sur le Danube il faut avoir sur le bateau un certains nombres de pièces officielles (permis de navigation international, certificat radio…) qui vous seront demandées et que vous devrez présenter aux autorités du territoire sur lequel vous entrerez. Mieux vaut prévoir d’avoir les pièces nécessaires en plusieurs exemplaires. N’oubliez pas également une pièce d’identité.  

Sources Commission du Danube

Allemagne
De Kelheim jusqu’à la frontière autrichienne :
Wasser – und Schifffahrtsamt Regensburg (Office de l’eau et de la navigation de Regensburg)/ Postfach 101019, 93010, Regensburg
Tel. : 0941/810 90
wsa-regensburg@wsv-bund.de

Autriche
Ministère Fédéral pour la Circulation, l’Innovation et les Technologies, Direction de la Navigation
Radetzkystrasse 2, A-1030 Wien
Tel. : 0043/1/711 62 65 59 03
w2@bmvit.at
www.bmvit.gv.at

Via Donau, Österreischiche Wasserstraßen-Geselleschaft (Société des Voies Navigables Autrichiennes)
Via Donau assure la gestion des écluses et l’entretien du chenal pour la navigation sur le parcours autrichien.
Donau-City-Straße 1 A-1220 Wien
Tel. : 0043/50/43/21 10 00
office@via-donau.org
www.via-donau.org
Via Donau a également mis en place un remarquable système d’informations pour la navigation sur le fleuve : consultation indispensable avant et pendant la croisière sur le Danube autrichien.

www.doris.bmvit.gv.at (allemand-anglais)

Slovaquie
Autorité de référence pour la navigation sur le Danube slovaque :
Agence d’État de la Navigation de Bratislava
Pristavna, n°10, 821 09 Bratislava, Slovaquie
info@sps.sk

Hongrie
Közlekedesi Föfülgelyet (Bureau de la navigation)
Cedex 102, H 1389 Budapest 63
office@nkh.gov.hu

Croatie
Ministarstvo Pomorstva, Prometa I Veza (Ministère pour la Navigation, la Circulation et les Communications)
Prisavlje 14, HR – 10000 Zagreb
info@mmpi.hr

Serbie
Plovput, Direkcije za vodne puteve (Département pour la Navigation Commerciale)
Francuska 9, RS-11000 Belgrade
Tel. : 00381/11/302 98 00
www.plovput.rs
www.dunav-info.org

Bulgarie
Ministère des Transports et des Communications, Administration maritime
Pristanishtna ul. Ruse 20, BG – 7000 Ruse
Tel. : 00359/02/930 0910
bma@marad.bg
www.marad.bg

Roumanie
Capitainerie du port de Galaţi
Tel. : 00/40/236 46 06 44
www.portgalati.com

Cartes nautiques

www.verberght.be

Wassersport – Wanderkarte Österreich (5), Karte 2 Donau, Passau-Bratislava (1/75 000), Jübermann-Kartographie u. Verlag, 2006, Uelzen, Allemagne
www.juebermann.de
Pour le Danube autrichien uniquement

Un excellent matériel cartographique complémentaire avec de nombreux détails, le kilométrage, les barrages, la vitesse des courants mais plutôt à destinations des canoéistes et kayakistes. En langue allemande.

Autres sites d’information sur le Danube et la navigation

Commission du Danube, Budapest
www.danubecommission.org

Forum d’information sur le Danube (en allemand)
Forum allemand donau-boote

Automobile club allemand, brochure sur le Danube (en allemand)
www.adac.de

Cercle bavarois de bateaux de plaisance
www.bmyv.de

Cercle autrichien de bateaux de plaisance, de sports et d’excursions en mer
www.msvoe.at

 Journée internationale du Danube qui a lieu conjointement dans tous les pays traversés par le fleuve
www.danubeday.org

Guides nautiques 

Commission du Danube, Indicateur kilométrique du Danube, Éditeur Commission du Danube, Budapest, 2010.
Ce document (doc. CD/SES 73/8) est publié en vertu du point I.3 du Plan de travail de la Commission du Danube pour la période du 29 mai 2009 jusqu’à la Soixante-quatorzième session, adopté par la Soixante-douzième session de la Commission du Danube (doc. CD/SES 72/20).
Disponible à la Commission du Danube (sous réserve). Publication réalisée dans les trois langues de la Commission du Danube (allemand, russe et français). Il faut de préférence se procurer les mises à jour auprès de la Commission du Danube quand elles sont disponibles…
www.danubecommission.org

Melanie Haselhorst, Kenneth Dittmann, Die Donau, Von Kelheim zum Schwarzen Meer, (en allemand), Edition Maritim, Führer für Binnengewässer,  deuxième édition, Hambourg, 2019 
Un ouvrage (en allemand) détaillé et mis à jour pour s’informer des conditions de navigation sur le Danube. Informations touristiques et culturelles complémentaires.

Die Donau, Handbuch für die sportschifffahrt (en allemand), ouvrage collectif, Freytag & Berndt, Reisebuchhandlung, Wien, Autriche
Carnets de navigation sur le Danube allemand, autrichien, slovaque et hongrois très précis, complété et mis régulièrement à jour (en allemand).
www.freytagberndt.at

Rod Heik, The Danube : A River Guide (en anglais), 1991

Guido Egidio Cattaneo,The Danube Delta, Nautical Information (en anglais), Edizioni il Frangete, Verona, 2010
www.portolanodanubio.it
Des informations détaillées et très complètes pour naviguer dans le delta du Danube. Version en langue française disponible en pdf.

Tableaux des niveaux d’eau minimaux et maximaux autorisés pour la navigation 

En descendant le fleuve de Kelheim à la mer Noire

Danube allemand
Oberndorf, PK 2397, 38 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 1, 70 m
Hauteur d’eau maximale : 4, 80 m

Regensburg-Schwabelweis, PK 2376, 49 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 2, 92 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 20 m

Pfatter, PK 2350, 69  (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 3, 10 m
Hauteur d’eau maximale : 6, 00 m

Pfelling, PK 2305, 53 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 2, 90 m
Hauteur d’eau maximale : 6, 20 m

Hofkirchen, km 2256, 86  (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 2, 07 m
Hauteur d’eau maximale : 4, 80 m

Passau-Donau, PK 2226, 70 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 4, 14 m
Hauteur d’eau maximale : 7; 80 m

Danube autrichien
Wilhering, PK 2144, 31 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 2, 40 m
Hauteur d’eau maximale : 7, 16 m

Mauthausen, PK 2110, 98 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 3, 80 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 47 m

Ybbs, PK 2058, 79 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 1, 90 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 24 m

Kienstock, PK 2015, 21 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 1, 77 m
Hauteur d’eau maximale : 6, 24 m

Korneuburg, PK 1941, 46 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 1, 96 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 37 m

Wildungsmauer, PK 1894, 72 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 1, 73 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 76 m

 Si le niveau de l’eau est supérieur de 90 cm à la hauteur d’eau maximale la navigation est dans tous les cas interdite sur le Danube autrichien.

Danube slovaque
Bratislava, PK 1868, 75 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 2, 53 m
Hauteur d’eau maximale : 6, 42 m

Medvědov, PK 1806, 40 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 1, 00 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 45 m

Danube hongrois
Komárom, PK 1768, 30 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 0, 60 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 90 m

Esztergom, PK 1718, 60 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 0, 38 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 36 m

Budapest, PK 1646, 50 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 0, 80 m
Hauteur maximale : 6, 68 m

Bezdan, PK 1425, 50 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 0, 51 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 96 m

Danube serbe
Apatin, PK 1401, 30 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 1, 05 m
Hauteur d’eau maximale : 6, 65 m

Danube croate
Vukovar, PK 1333, 10 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 0, 73 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 70 m

Danube serbe
Novi Sad, PK 1255, 10 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 0, 80 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 99 m

Zemun – Belgrade, PK 1173, 00 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 2, 23 m
Hauteur d’eau maximale : 6, 36 m

Danube roumain
Calafat, PK 795, 00 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 0, 50 m
Hauteur d’eau maximale : 7, 02 m

Danube bulgare
Lom, PK 743, 00 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 1, 74 m
Hauteur d’eau maximale : 7, 95 m

Danube roumain
Bechet, PK 679, 00 (rive gauche)
Hauteur minimale : 0, 42 m
Hauteur maximale : 6, 83 m

Danube bulgare
Ruse, PK 495, 60 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 1, 07 m
Hauteur d’eau maximale : 7, 83 m

Danube roumain
Giurgiu, km 493, 00 (rive gauche)
Hauteur d’eau minimale : 0, 44 m
Hauteur d’eau maximale : 7, 07 m

Danube bulgare
Silistra, PK 375, 00 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 0, 86 m
Hauteur d’eau maximale : 7, 17 m

Danube roumain
Cernavodǎ, PK 300, 00 (rive droite)
Hauteur d’eau minimale : 0, 35 m
Hauteur d’eau maximale : 6, 04 m

Galaţi, PK 150 (rive gauche)
Hauteur minimale : 0, 52 m
Hauteur d’eau maximale : 5, 53 m

Danube-culture, mise à jour octobre 2023

Charles Auguste Hartley, « The father of the Danube »

Le bras de Sulina et la mer Noire en 1861, vue du ciel, dessin de Charles Auguste Hartley alors ingénieur en chef de la Commission européenne du Danube pour les travaux d’amélioration de la navigation dans le delta

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Après avoir servi au sein d’une unité spécialisée anglo-turque pendant la guerre de Crimée (1853-1856), qui oppose la Russie à l’Empire ottoman allié à l’Angleterre, au royaume de Piémont-Sardaigne et à la France, Charles-Auguste Hartley devient, suite au Traité de Paris (1856), ingénieur en chef de la Commission Européenne du Danube et supervise l’aménagement du delta pour en faciliter l’accès à la navigation. C’est la raison pour laquelle on lui attribue le surnom  de « Father of the Danube ».

Sulina, construction de digueIl est anobli en 1862 par la reine Victoria et sera nommé « Knight Commander of the order of St Michael and St George » en 1884.

Inauguration du nv port de Sulina

Inauguration du nouveau canal et du nouveau port de Sulina

Sir Charles Augustus Hartley collabora également à l’aménagement du delta du Mississippi ainsi qu’à la construction du Canal de Suez. Il fut membre Fellow de la Royal Geographical Society et membre de l’Institute of Civil Engineers.

Cet article fera prochainement l’objet d’un complément d’information

Danube-culture, mis à jour décembre 2024

Le rocher de Jochenstein et l’abbaye d’Engelszell

   Le rocher de Jochenstein (longueur 42 m, largeur 15 m, surface 0,045 ha, point culminant 290 m) est un élément rocheux, autrefois redouté des bateliers, qui émerge dans le lit du fleuve sur le territoire allemand au PK 2202, 72 à proximité de la frontière avec  l’Autriche. Il s’élève à une hauteur de +/- 9 mètres au dessus du niveau de l’eau et se trouve à une distance de 78 m de la rive gauche et de 187 m de la rive droite.

Le Rocher de Jochenstein, gravure sur cuivre, 1810

   Ce rocher est une résurgence d’une veine de quartz du vieux massif de la Forêt Bavaroise qui s’étend le long du sillon danubien et traverse la Basse-Bavière. Il appartient, tout comme la rive septentrionale et le côté gauche du talweg du fleuve à cette hauteur, au territoire du village de Gottsdorf (communauté de communes d’Untergriesbach).

Jochenstein

Le rocher de Jochenstein avant la construction du barrage, photo de Robert Baller, 1920, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

   Un oratoire et une statue en pierre de saint Jean Népomucène, protecteur des bateliers, datant du XVIIIe siècle se tiennent au sommet du rocher. 

Saint Jean Népomucène sur le rocher de Jochenstein, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le nom de Jochenstein pourrait être lié à une ancienne coutume païenne du culte de saint Jean qui se concrétisait sous la forme de libation aux solstices d’été et d’hiver. Une tradition d’introniser les nouveaux bateliers sur le rocher de Jochenstein lors de la saint Jean fut ensuite instaurée, tradition qui perdura jusqu’au XXe siècle !
   Le Jochenstein a donné son nom au village allemand qui lui fait face sur la rive gauche (commune de Gottsdorf), à la centrale hydroélectrique austro-allemande, édifiée entre 1952 et 1955 tout comme aux ruines médiévales du Vieux et du Nouveau Jochentein sur la même rive.

Centrale hydroélectrique austro-allemande de Jochenstein, photo © Danube-culture, droits réservés

   Sur la rive droite se trouve en aval la commune d’Engelhartszell (PK 2201) avec sa superbe abbaye trappiste baroque ainsi que l’église de l’assomption de la Vierge Marie, lieu de pèlerinage.

Si la Loire a ses châteaux, le Danube a ses abbayes…

   L’abbaye d’Engelszell (rive droite, Haute-Autriche), ancien et unique monastère trappiste d’Autriche, fondée en 1293, a derrière elle un passé compliqué voire tragique. Elle est fermée une première fois en 1786 sur ordre de l’empereur Joseph II de Habsbourg et ses trésors dispersés. L’orgue, installé en 1768-1770, est alors déménagé à la vieille cathédrale de Linz où il est joué par Anton Bruckner après avoir subi des modifications. L’abbaye ne reprend vie qu’en 1925 grâce à un petit groupe de moines qui s’y installe mais elle est à nouveau fermée en 1939 par la Gestapo, suite à l’annexion de l’Autriche par le régime nazi au printemps de l’année précédente. Les moines sont expulsés. Cinq frères sont déportés dans un camp de concentration. Quatre n’en reviendront pas. 23 moines retournent à Engelszell après la fin de la Seconde Guerre mondiale et redonnent vie à l’abbaye. La communauté monastique se réduit drastiquement au fil du temps. Trop âgés et trop peu nombreux les moines quittent l’abbaye en 2023. Des bâtiments annexes servent aujourd’hui de centre de soins et diverses activités commerciales (bière et liqueur) et culturelles permettent aux lieux de continuer à vivre.
Sa splendide église abbatiale, avec son clocher de 76 mètres de haut, est l’une des monuments religieux rococo les plus purs d’Autriche d’un point de vue stylistique. Édifiée de 1754 à 1764 elle a été décorée par Johann Georg Üblher (1703-1763), Joseph Deutschmann (1717-1787) et Bartolomeo Altomonte (1694-1783) qui travailla également à l’abbaye de Saint-Florian. La nouvelle fresque du plafond de la nef centrale qui a remplacé l’originale endommagée a été réalisée en 1956 par le peintre haut-autrichien Fritz Fröhlich (1910-2001). Un nouvel orgue datant du XVIIe a été installé en 1996.

Mythologie populaire danubienne

   De nombreuses légendes se sont brodées au fil du temps autour de ces lieux comme celle du diable qui aurait voulu afin de punir le village voisin d’Engelhartszell pour on ne sait quel méfait, noyer celui-ci en le submergeant d’un mur d’eau et en laissant tomber un énorme rocher dans le lit du Danube. Ou encore celle, parmi les plus connues de la mythologie populaire danubienne, de la nymphe Isa.

La nymphe en chêne Isa avec son socle en granit, du sculpteur Michael Lauss (1955), sur la rive gauche, veille depuis 2013 sur les bateaux et fait le bonheur des cyclotouristes qui longent le fleuve , photo © Danube-culture, droits réservés

La nymphe de Jochenstein

   Une légende raconte qu’un magnifique palais se trouverait au pied du Jochenstein dans lequel règne une nymphe du nom d’Isa, soeur danubienne de la Loreley rhénane. Lorsque la brume s’étend au-dessus de l’eau, Isa émerge de son royaume pour protéger et guider les bateaux mais certains disent aussi que par les nuits de pleine lune, elle s’en prend aux bateliers et les  envoûtent. Malheur à celui parmi les bateliers et les pêcheurs qui se laisseraient séduire par son chant ou tenteraient de la rejoindre. Il serait emprisonné dans son palais pour l’éternité. Une statue, placée sur la rive gauche, symbolise cette légende danubienne.

Photo © Danube-culture, droits réservés

   Quant à la frontière austro-allemande actuelle qui court à la hauteur du barrage de Jochenstein entre la Bavière et la région du Mühlviertel autrichienne (Land de Haute-Autriche), elle remonte à 1765 et à un traité conclu entre l’Évêché de Passau et l’Empire autrichien. 

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour novembre 2024 

www.stift-engelszell.at

Saint-Jean Népomucène photo © Danube-culture, droits réservés

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