Dessins et gravures de paysages danubiens de 1493 à 1842

   Les voyages et les transports par bateaux de passagers et de diverses marchandises qui commencent à se développer au cours  du XVIIe siècles sur une grande partie du continent européen et ce jusqu’à l’invention du chemin de fer et au-delà, placent les cours d’eau navigables, et en particulier les grands fleuves comme le Rhin, l’Elbe, le Rhône, le Danube… au coeur de la vie économique et sociale et suscitent un vif et durable intérêt de la part de nombreux, dessinateurs, graveurs et peintres européens. Quoi de plus significatif que les rives de ces grands fleuves pour témoigner de l’état d’un paysage ou d’une ville à un moment donné ainsi que de l’évolution de la civilisation européenne ?

  Représentation du fleuve : dessins et gravures de paysages danubiens : de 1493 à 1840
   L’histoire de la cartographie danubienne fera l’objet d’un article spécifique.
Les plus anciennes gravures imprimées où apparaît le Danube, des oeuvres sur bois de la Renaissance représentant des villes riveraines du fleuve, appartiennent aux « Chroniques de Nuremberg » du médecin humaniste allemand Hartmann Schedel (1440-1513). Elles furent publiées chez Anton Koberger (vers 1440-1513) à Nuremberg en 1493. Ces gravures sur bois colorées des peintres Michael Wohlgemut ou Wohlgemuth (1434-1519), maître d’Albrecht Dürer, dont celui-ci fait le portrait vers 1516 et de Wilhem Pleydenwurff (vers 1460-1494) nous montrent les cités d’Ulm, Ratisbonne (Regensburg), Passau, Vienne et Budapest et mettent la plupart du temps le Danube au premier plan.

Ulm, gravure extraite des Chroniques de Nuremberg d’Hartmann Schedel (1440-1513), gravure sur bois coloriée à la main, Nuremberg, 1493

Le dessin « Vue de Sarmingstein sur le Danube » (Strudengau, haut-Danube autrichien), daté de 1511 et dont l’auteur n’est autre que le grand peintre bavarois Albrecht Altdorfer (1480-1538) ), connu pour être le plus illustre des représentants de l’école dite « du Danube », est une oeuvre singulière et l’une des toutes premières représentations du fleuve et de son paysage en dehors d’un contexte urbain qui nous soient parvenues. La vue surplombante du défilé pourrait indiquer que le dessin a été réalisé de mémoire. De son voyage sur le Danube ultérieur (1515) ont également été conservés plusieurs dessins et petits tableaux de paysage qui préfigurent la place de celui-ci et de la nature dans les oeuvres ultérieures du peintre, sans doute impressionné par l’environnement danubien encore intact de la Haute-Autriche. Parmi les autres grands peintres de ce mouvement, Wolf Huber (1485), né  aux pied des montagnes à Feldkirch (Vorarlberg), a également consacré plusieurs dessins au Haut-Danube comme en témoigne cette vue des tourbillons de Grein (Strudengau) daté de 1531,  c’est-dire sensiblement à peu près au même endroit, un peu plus en amont, que l’oeuvre d’Albrecht Altsdorfer.

Sarmingstein sur le haut Danube autrichien (rive gauche mais ici du fait de la vue en aval à droite), encre sur papier, 1511. Albrecht Altdorfer rend compte avec le relief et ces rochers qui se dressent jusqu’au ciel de l’étroitesse du défilé de la Strudengau. Au milieu du fleuve naviguent deux fragiles embarcations qui semblent perdues dans ce décor naturel grandiose.  

Wolf Huber, les tourbillons en aval de Grein, la forteresse de Werfenstein (forteresse des tourbillons selon son étymologie) et l’île de Wörth (Strudengau), plume et encre noire sur papier vergé, 1531, 

Dans la somptueuse « Cosmographie universelle » (Cosmographia Universalis) imprimée en de nombreuses éditions et en plusieurs langues (latin, allemand, français, italien, anglais…) entre 1550 et 1628 de Sebastian Münster (1488-1552), moine cordelier allemand à la fois historien, astronome, cartographe, mathématicien, professeur de théologie et d’hébreu à l’université de Bâle qui s’est converti à la réforme après sa rencontre avec Luther, on découvre également des gravures sur bois des mêmes grandes villes danubiennes (Ulm, Ratisbonne, Vienne, Budapest) ainsi que de Belgrade (Griechisch Weissenburg).

 « Bude, appelée vulgairement Ofen, qui est la royale et principale ville de tout le royaume de Hongrie. » Vue de Bude, de son château et du Danube dont le nom est mentionné en allemand (Tonau) et en latin (Danubius). Gravure sur bois coloriée à la main de Sebastian Münster, Cosmographie Universelle en langue française (Livre III) publiée à Bâle par Henry Pierre en 1552. 

Belgrade (Kriechisch Weissenburg) assiégée avec le Danube (Tonaw), gravure sur bois, Cosmographie Universelle en langue allemande de Sebastian Münster publiée à Bâle par Henry Pierre, 1588

Les six volumes de l’atlas « Civitates Orbis Terrarum » (« Théâtre des Cités du Monde »), du géographe, cartographe et ecclésiastique originaire de Cologne Georg Braun (1541-1622), réalisés en collaboration avec Franz Hogenberg (1535-1590) et publiés à Cologne entre 1572 et 1617, contiennent à leur tour un nombre important de vues du Danube. Le Danube hongrois ou moyen Danube y est représenté en détail d’après les dessins de Georg (ou Joris) Hufnagel (1542-1601) et de son fils Jakob (1573-1630), artistes flamands qui travaillèrent au service de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg (1552-1612), résidèrent à Prague et à Vienne et effectuèrent eux-mêmes de longs voyages dans les parties du royaume de Hongrie conquises et occupées par les Ottomans. D’autres artistes participent à l’élaboration de l’ouvrage comme Simon Novellanus (1538-1590), le peintre et graveur Abraham de Bruyne (1540-1587) ou encore Jacob van Deventer (1500-1575). Le « Théâtre des Cités du Monde » fera également l’objet d’une traduction et publication en allemand (1574) et en français l’année suivante.

Ratisbona (Ratisbonne, Regensburg), dessin de Jacob van Deventer (?), gravure sur cuivre coloriée à la main du « Civitates Orbis Terrarum » publié à Cologne par Georg Braun et Franz Hogenberg entre 1572 et 1618

« Patavia, Passavia, sive Patavium, quondam Boedurum, vulgo » (Passau), gravure sur cuivre coloriée à la main du « Civitates Orbis Terrarum » publiée à Cologne par Georg Braun et Franz Hogenberg, vue de la rive droite de l’Inn (au premier plan avant son confluent avec le Danube), 1581

Linzum Austriae vulgo Lintz (Linz, Haute-Autriche), dessin de  Georg Hufnagel, gravure sur cuivre coloriée à la main du « Civitates Orbis Terrarum » publiée à Cologne par Georg Braun et Franz Hogenberg, 1598

On n’omettra pas non plus les oeuvres de Hieronymus Ortelius Augustanus (1543-1614), en particulier sa « Chronologia oder Historische Beschreibung aller Kriegsempöhrungen und Belagerungen in Ungarn auch in Sibenbürgen von 1395, Nürnberg, 1602 »2, tout comme celles de Philips Galle (1537-1612), dessinateur, graveur et éditeur flamand (1537-1612) qui sont gravées en 1572 et réalisées d’après des dessins de Maarten van Heemskerck (1498-1574), portraitiste et peintre d’histoire. Philips Galle est l’auteur par ailleurs d’une série d’oeuvres représentant les sept merveilles du Monde. Il est également connu pour sa série de divinités de la mer et des fleuves datant de 1586 dans laquelle on trouve un magnifique dieu Danubius et pour sa gravure du siège et de la prise de Raab datant de 1598.

Philips Galles, gravure du siège et de la prise de Raab, 1598

Cette liste peut encore être évidemment complétée par de nombreuses autres  dessins, gravures, lithographies et « vedute » des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles comme celles des volumes « Topographia Provinciarum Austriacarum » (1649 et 1656), « Topographia Bavariae » (1644 et 1657) appartenant à la « Topographia Germania » de Matthaeus Merian l’Ancien (1593-1650) et dont les textes sont rédigés par l’écrivain originaire d’Ulm Martin Zeiller (1589-1661). Matthäus Merian grave en particulier dans sa « Topographia Bavariae », une remarquable représentation du célèbre pont de Ratisbonne (Regensburg), un ouvrage construit entre 1135 et 1146, sujet particulièrement prisé par de nombreux artistes et que l’on retrouve au cours du temps dans de nombreux recueils ainsi que des vues des villes bavaroises des deux rives du haut Danube comme Deckendorff (Deggendorf), Ingolstatt (Ingoldstadt), Laugingen (Lauingen, vue d’oiseau), Straubinga (Straubing), Thonavstauff (Donaustauf), Thonauwörth (Donauwörth), Vilsshofen (Vilshofen), Patavium/Passaw (Passau)…

Ingolstadt (Bavière) et le Danube, vue depuis la rive gauche, gravure appartenant au recueil de Matthaeus Merian « Topographia Bavariae » (1644 et 1647)

Patavium/Passaw (Passau) et le confluent de l’Inn et de l’Ilz avec le Danube, gravure appartenant à la première édition du recueil de Matthaeus Merian « Topographia Bavariae », 1644

Quant aux dessins colorés du pragois Wenceslas (Václav) Hollar (1607-1677), l’un des plus grands et prolifiques artistes, en particulier aquafortiste, de son siècle et qui a fait son apprentissage auprès de Matthäus Merian, ils font sans aucun doute partie des plus belles représentations iconographiques du fleuve (Deckendorf ou Deggendorf, vue du château de Püssingen ?, vue sur le château de Neuhaus…, dessins de 1636). V. Hollar était entré au service du comte et diplomate anglais Thomas Howard, comte d’Arundel (1585-1646) en 1633 et il le suit dans ses pérégrinations en Europe.

Vue de Passau, extraite du recueil « Topographia Germania », gravure de Matthaeus Merian, colorée par Wenceslas Hollar, 1640, sources Privatarchiv von Frau Gisa Schäffer-Huber

Le Danube à la hauteur de Deckendorf  (Deggendorf), dessin de Wenceslas (Wenzel) Hollar (1607-1677), 1636

 Vue sur le château de Neuhaus (Haute-Autriche) depuis le Danube, dessin de Wenceslas (Wenzel) Hollar 1636

Linz et le Danube au XVIIe siècle, vue depuis la rive gauche,  gravure de Matthaeus Merian, 1650

On ne peut aussi passer sous silence les travaux soignés de Wilhem Dibich (1571?-1650), de Georg Matthäus Vischer (1628-1696), topographe, cartographe et graveur prolifique né au Tyrol dans une famille modeste et auteur des Archiducatus Austriae Superioris  et inferioris (1669 et 1670) ainsi que d’une Topographia Austriae superioris modernae (1674).

Mauthausen avec son église paroissiale saint-Nicolas dominant  le bourg et le château de Pragstein, vue depuis la rive droite et le Danube, gravure de Georg Matthäus Vischer (1628-1696) appartenant à sa « Topographia Austriae Superioris Modernae », 1674 

Les gravures  datées de1686 concernant le Danube hongrois de J[acobus]? Peeters représentent les villes de Pressburg, Komara ou Komarom avec sa forteresse renommée « imprenable » au centre des affrontements entre Vienne et Constantinople et qui capta l’attention de beaucoup d’artistes, Raab, Strigonium ou Gran (Esztergom), Vicegrad ou Plindenburgh (Visegrád), Waitzen (Vác), Buda, Belgrade…

La forteresse et la ville de Komara (Komorn, Komárom), gravure de Iacobus Peeters, 1686 (?) 

Vicegrad (Visegrád) et (Gross) Marosch (Nagymaros), gravure de Iacobus Peeters, 1686 (?). En bas de la gravure à droite, une caravane de trois chameaux chargés de marchandises.

Waitzen (Vács) avec sa mosquée, l’île de Szentendre et le Danube hongrois à l’époque de l’occupation ottomane, gravure de Iacobus Peters, 1686 (?)

Michael Wening (1645-1718), graveur et éditeur originaire de Nuremberg, employé comme graveur de la cour des Wittelsbach à partir des années 1670, parfois surnommé le « Merian bavarois », privilégiera de son côté plus particulièrement avec sa « Landesbeschreibung » (Description de l’État) en quatre volumes dont le premier paraît en 1701, les trois autres post-mortem en 1721, 1723 et 1726 sous le titre de Historico-Topographica Descriptio avec au total pas moins de 846 gravures,  les représentations des lieux historiques de l’électorat de Bavière (vues des villes de Stadt-am-Hof, Vilshofen, Straubing, Passau…) tout en réalisant également des vues de Linz, Mauthausen, Grein et de l’île de Wörth avec les tourbillons de la Strudengau…).

Vue de Stadtamhof (Ratisbonne), du pont de Pierre et du Danube, gravure de Michael Wening Bavière (1645-1718), vers 1700

Vue de Vilshofen (Bavière), gravure de Michael Wening colorée à la main, 1700 

Les gravures de paysages danubiens de Friedrich Bernhard Werner (1690-1776), originaire de Silésie, sont l’illustration de son périple sur le fleuve, périple qui l’a mené dans les années 1740 depuis la Bavière à Buda Ofen (Budapest) en passant par Passau, Linz, Melk, Dürnstein, Göttweig, Vienne, Possony (Presbourg). On doit encore à ce graveur une vue de Regensburg (Ratisbonne) publiée par Jeremias Wolff (1663-1724) à Augsburg en 1731.

Regenspurg (Regensburg, Ratisbonne), gravure de Friedrich Bernhard Werner (1690-1776) publiée par Jeremias Wolff à Augsburg en 1731

   Le premier ouvrage consacré à la description iconographique d’un voyage sur le fleuve sera imprimé à Augsbourg vers 1782 et porte le titre « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Antoine Christoph Gignoux »), dont on rencontre aussi  le nom orthographié Anthoni Christoph Gignoun. Anton Christoph Géniaux, Anton Christoph Gignoure. Il s’agit d’un personnage original et étonnant, né à Augsbourg (?) en 1720 et où il meurt en 1795, actif dans cette même ville bavaroise comme musicien, contrebassiste, peintre, dessinateur, entrepreneur, fabricant de calicots (sic !)… Réalisé à l’occasion de son voyage d’Augsbourg à Vienne, l’ouvrage est gravé sur cuivre par le peintre, lithographe et éditeur Johann Michael Frey (1750-1813).

Aschach (rive droite, Haute-Autriche), gravure extraite du recueil du « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Anton Christoph Gignoux »), imprimé à Augsbourg par Johann Michael Frey en 1781  

L’ancienne forteresse et la place de foire de Spitz (rive gauche), le hameau d’Arnsdorf et l’église paroissiale saint-Rupert rive droite, ici sur la gauche), vue de l’aval. Au second plan, sur la rive gauche, le légendaire mur du diable (Teufelsmauer). Gravure extraite du recueil « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Antoine Christoph Gignoux »), imprimées à Augsbourg par Johann Michael Frey en 1781 

Greifenstein (rive droite), gravure extraite du recueil du « Hundert malerische Ansichten der Donau von Anton Christoph Gignoux » (« Cent vues pittoresques du Danube d’Anton Christoph Gignoux »), imprimé à Augsbourg par Johann Michael Frey en 1781  

Cet ouvrage iconographique est reçu de part sa nouveauté avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme. Il sera réédité à plusieurs reprises chez le célèbre éditeur viennois Artaria (Carlo Artaria), connu aussi pour ses éditions d’oeuvres de J. Haydn, W.A. Mozart, L. van Beethoven…. Les représentations du Danube de Georg Laminit (1775-1848), publiées quelque temps plus tard, sont précisément toutes des reproductions d’après les gravures d’Anton Christoph Gignoux.
Parmi les plus belles « vedute » imprimées de la fin du XVIIIe et du début XIXe siècle, on trouve les gravures magnifiquement colorées publiées une nouvelle fois par Artaria à Vienne, pour lesquelles Carl Schütz (1745-1800), Johann Ziegler (1749-1802), Laurenz Janscha (1683-1752), Karel Postl (1769-1818), Friedrich Ferdinand Runk (1764-1834) et d’autres artistes ont travaillé. Les paysages le long du Danube, de Passau à Belgrade ont été représentés de manière particulièrement détaillée. Quelques-une de ces feuilles font sans aucun doute partie des plus belles vues du Danube que l’on puisse trouver dans le domaine de la gravure.
L’une des œuvres les plus populaires et les plus impressionnantes du début du XIXe siècle consacrées exclusivement au Danube et à ses paysages est sans aucun doute le grand album de lithographies du dessinateur et éditeur  austro-allemand installé à Vienne, Adoph Friedrich Kunike (1777-1838), intitulé « Zwey hundert vier und sechzig Donau-Ansichten nach dem Laufe des Donaustromes von seinem Ursprung bis zu seinem Ausflusse in das Schwarze Meer. Nach der Natur und auf Stein gezeichnet von Jacob Alt. Von Belgrad bis zur Mündung ins schwarze Meer nach der Natur aufgenommen von Ludwig Ermini. Von mehreren Künstlern lithographirt. Zum Schlusse des Werkes folgt ein erklärender Text von Franz Sartori. Iter (und) 2ter Teil ». (« 264 vues du Danube d’après le cours du fleuve depuis sa source jusqu’à son embouchure dans la mer Noire. Dessiné d’après nature et sur pierre par Jacob Alt. De Belgrade jusqu’à l’embouchure de la mer Noire, d’après nature, par Ludwig Ermini. Lithographié par plusieurs artistes. L’ouvrage se termine par un texte explicatif de Franz Sartori. Ière (et) 2ème partie.« ).

Légende : Le Leopolsberg, dessin de Jakob Alt, lithographie d’Adolf Kunike

Légende : Presbourg (Bratislava), dessin de J. Alt, lithographie d’A. Kunike

   Adolf Friedrich Kunike qui possédait un important atelier de lithographie dans la capitale autrichienne, a publié de nombreux ouvrages de ce type. La publication des 264 vues du Danube est réalisée en trois étapes : 1820, 1824 et 1826. Aucun village, château, ruine de château, monastère n’a été oublié tout au long du parcours européen du grand fleuve, de ses sources jusqu’à la mer Noire. 48 gravures sont consacrées au Danube du sud de l’Allemagne, 77 à la Basse et à la Haute-Autriche, 32 à l’actuelle Hongrie et 107 aux pays du Bas-Danube, soit, d’amont en aval, l’actuelle Croatie, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie et l’Ukraine. Les nombreuses mosquées et minarets figurant sur les illustration du bas Danube, témoignent de l’importance encore à cette époque de la zone d’influence ottomane.

Widdin, dessin de L. Erminy, gravure de F. Wolf

Légende : La forteresse de Widdin (Empire ottoman), vue n°2, dessin de L. Ermini, lithographie de F. Wolf

Légende : La ville et la forteresse de Nikopolis, vue n°1, dessin de Ludwig Ermini 

   La Bulgarie était alors intégrée à l’Empire ottoman tous comme les deux principautés roumaines bien qu’autonomes de Moldavie et de Valachie. Les lithographies du Danube de Donaueschingen à Belgrade ont été réalisées pour la plupart d’après des dessins du peintre allemand Jakob Alt (1789-1872) qui a lui-même parcouru le Danube dans les années 1819/1820 et a composé de nombreuses aquarelles. Les représentations du Bas-Danube ont été dessinés par Ludwig Erminy (ou Ermini), manifestement d’après ses propres impressions de voyage et  lithographiées par différents graveurs.

Légende : Valachie, la pêche à l’esturgeon près du village de Tufeschty (Tufesti), dessin de L. Ermini, lithographie d’A. von Saar

Légende : L’embouchure du Danube dans la mer Noire près de Sulinam (Sulina), Bulgarie, dessin de L. Ermini, lithographie d’A. von Saar

Jakob Alt travaille en parallèle à un autre voyage sur le Danube pour le bureau lithographique de Mansfeld & Co. Le « Voyage pittoresque sur le Danube de la source à Belgrade » est un album de 71 lithographies dédiées aux paysages des rives de ce fleuve. Jakob Alt se consacrera encore un peu plus tard à nouveau aux paysages du Danube et dessinera les modèles d’une troisième série de vues du Danube, cette fois pour la maison d’édition Josef Hermann à Vienne « Malerische Donaureise von Engelhartzell bis Wien, lithographiert von Franz Xaver Sandmann » (« Voyage pittoresque sur le Danube d’Engelhartzell à Vienne », lithographié par Franz Xaver Sandmann). Cet album sera encore suivi de « Malerische Donaureise von Wien bis Ofen und Pest » (« Voyage pittoresque sur le Danube de Vienne à Ofen et Pest »).

Waitzen, Vács, dessin d’après nature de J. Alt, lithographie de F. X. Sandmann

Le même lithographe franco-allemand Franz Xaver Sandmann (1805-1856) élabore vers 1840 une autre série de vues sur le Danube pour l’éditeur d’art viennois L. T. Neumann, intitulée « Voyage sur le Danube de Linz à Vienne » comprenant 32 lithographies teintées.
Un magnifique ouvrage en anglais de vues (27 lithographies) du Danube hongrois d’après des oeuvres du peintre paysagiste britannique Georg Edwards Herings (1805-1879) « Sketches on the Danube in Hungary and Transylvannia », est publié entretemps à Londres en 1838  par Thomas McLean. L’ouvrage, dédié au comte Szechenyi ( ), fait suite à un voyage de G. E. Herings dans cette région de l’Europe en 1835.

 

George Edwards Herings, vue sur le Danube depuis la porte de Marie-Thérèse du château de Bratislava, Sketches on the Danube, in Hungary and Transylvania, lithographies de  James Baker Pyne, London, Thomas McLean and the author, 1838.

Vue de Buda, de Pest et du Danube depuis le mont Gellert, dessin gravure d’Antal Fülöp Richter d’après un dessin d’András Petrich (1745-1842), 1818

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mai 2023

Notes :
1  « La veduta est un paysage historiquement objectif, décrit avec précision et reconnaissable. C’est là que naît une attitude constante chez tous les véritables védutistes: une fidélité absolue à la perception optique de la réalité, dans ses traits les plus communs comme dans ses aspects les plus extraordinaires et les plus célèbres. Le peintre sort de son atelier et descend dans la rue, sinon avec son chevalet tout au moins avec son carnet de croquis qu’il remplit rapidement d’esquisses saisies sur le vif. Ce matériel constitue son patrimoine visuel, son vocabulaire d’images qu’il utilisera au fur et à mesure pour ses tableaux, pour ses vedute. » Le genre de la veduta apparu dans la peinture flamande dès le XVIe, déclinera à la fin du XVIIIe siècle.
2 « Description historique de toutes les guerres et sièges en Hongrie, y compris en Transylvanie, depuis 1395 »

Sources : 
NEBEHAY, Ingo, WAGNER, Robert, Bibliographie altösterreichischer  Ansichtenwerke aus fünf Jahrhunderten, 5 Bde., Graz 1981-1984
OPPL, Ferdinand (1950), Wien im Bild, Historischer Karten : die Entwicklung der Stadt bis in der Mitte des 19. Jahrhunderts, 2. ergänzte Auflage, österreichische Nationalbibliothek, Wien, Böhlau Verlag, 2004
WAGNER, Robert, Gedruckte Donau Ansichten von 1493 bis 1900, mit einer Bibliographischen übersicht der wichtigsten Donau Ansichtenwerke, in: Beiträge zum II. Veduten-Colloquium in Lüneburg, 7. – 9. X. 1983, III. Veduten-Colloquium in Regensburg, 3. – 6. X. 1985 ; hrsg. von Angelika Marsch u. Eckhard Jäger, Lüneburg, 2001 . – S. 125-134

L’Abbaye de Melk et le Danube depuis la rive gauche, gravure sur cuivre colorée à la main d’E. Willmann, 1842.

Vue sur Budapest et le Danube, gravure colorée à la main, 1840

Albert Marquet (1875-1947) : voyage à Galaţi et dans le delta du Danube en 1933

« Marquet a beaucoup voyagé. Qui le connaissait peu aurait pu s’en étonner. Discret et ne demandant qu’à passer inaperçu, il paraissait fait pour vivre une vie tranquille, volontiers contemplative, entièrement occupée à peindre et dessiner, isolé, un peu en retrait, derrière une fenêtre soigneusement choisie. Mais non, il était curieux des êtres. Il aimait la rue, son mouvement, tout ce qui décelait la vie. Il était aux aguets de ce qui lui permettait de prendre connaissance des gens que le hasard lui faisait rencontrer. Il se méfiait des paroles trop contrôlées, plus souvent dites pour masquer que pour confier et pensait que des attitudes, des mouvements, des tressaillements de visages moins surveillés livraient davantage de vérité. Quand il eut assez d’argent pour partir à l’étranger, peu lui importa de déambuler dans un pays dont il ignorait la langue. Il n’avait qu’à se promener au hasard des rues pour trouver compagnie, et une compagnie qui ne lui pèserait pas. Elle lui laisserait sa liberté intacte. Ne s’apercevant pas de sa discrète présence elle ne risquerait pas de le contraindre à supporter une curiosité qui se serait refermée sur lui et l’aurait emprisonné. »

Albert Marquet vers 1920

D’Athènes à Galatz

   « Nous devions avoir instinctivement besoin de nous retrouver dans de l’habituel et du connu car nous avions passé le printemps sur les bords du Danube. Un de nos amis diplomate y était envoyé pour quelques semaines et craignant de s’y ennuyer il nous avait incité à le suivre. Tenté par un voyage en Méditerranée, coupé d’escale dont il avait apprécié le charme au cours d’une précédente croisière, Marquet n’hésita pas. Il revit Athènes et le Parthénon, en goûta la mesure et l’équilibre, la couleur du marbre que l’action conjointe du temps et du soleil était arrivée à incorporer à la colline qui le portait. Il s’attarda longuement au musée où des sculptures archaïques offraient leurs jeunes sourires et leurs grâces. Aucun enseignement, aucune contrainte, seulement l’acceptation des conditions de la vie, dans ses limites et ses dimensions. Plus de perfection peut-être dans les oeuvres du grand musée de la ville mais l’émerveillement de l’enfance était passé ; passé ou dépassé ? L’appréciation dépendait de la qualité de son visiteur, de son humeur ou de son émotion. Marquet se sentit plus à l’aise à Athènes qu’en Égypte.

Albert Marquet, les quais de Galatz. Au premier plan deux bateaux portant pavillon de la C.E.D. Le premier aurait pu être celui mis à la disposition du peintre lors de son séjour en 1933.

À Galatz où nous savions devoir rester, nous fûmes logés dans le meilleur hôtel du pays mais quand le lendemain matin Marquet ouvrit sa fenêtre sur une rue étroite, sans caractère, il déclara tout net : « Autant nous installer à Bécon-les-Bruyères. Nous partirons demain. » La Commission du Danube tenait en ce moment séance sous la présidence d’un haut fonctionnaire roumain, et sa femme mise au courant par moi, de la subite décision de Marquet tenta d’arranger les choses. Elle fit tenir un mot à son mari pour l’instruire de l’affaire et lui suggérer un possible accommodement.  Il donna son accord. Alors elle nous informa que la Commission avait sur le Danube un bateau qu’elle mettait à notre disposition. Il ne nous offrait qu’une cabine étroite mais sur le pont, Marquet se trouverait en plein milieu du trafic fluvial. De quoi le séduire et le fixer pour un bout de temps. Le beau Danube bleu : une valse, une chanson. Sous nos yeux s’étalait un large fleuve, grossi par les eaux limoneuses du printemps et sur lesquelles pour la délectation de Marquet s’entrecroisaient des bateaux de tous tonnages et battant divers pavillons. L’animation gagnait les quais où de gros camions mêlés à de légères carrioles  apportaient diverses marchandises que des dockers entassaient dans des entrepôts ou dans des cales béantes. La coulée des eaux lourdes du Danube nous incita à nous laisser emporter par elle jusqu’à l’embouchure et sans quitter notre bateau nous arrivâmes à Sulina. Les mêmes eaux blondes et puissantes, une immense plaine marécageuse et couverte de joncs, livrée à toutes sortes d’oiseaux que le bruit de notre moteur effrayait. Ils s’envolaient avec des cris et un grand bruit d’ailes pour se reposer à nouveau confiants, quelques mètres plus loin. Comme nous exprimions notre surprise et notre ravissement il nous fut dit que si nous souhaitions en voir davantage une voiture serait mise à notre disposition avec un soldat comme guide. « Vous traverserez le delta et dans une heure ou deux vous serez à Vulkov, une Venise verte. Vous n’aurez qu’à louer un bateau pour y circuler. Vous en trouverez facilement, chaque famille a le sien. Pas d’hôtel. Vous logerez chez l’habitant. »
La voiture avait des ressorts grinçants. Elle avança sur une piste sablonneuse ou défoncée en côtoyant d’abord la mer puis traversant une terre à peine émergée des eaux où des oiseaux nageaient, se poursuivaient et criaient, nous aboutîmes à un large bras du fleuve3. Un bateau nous attendait et bientôt, après l’avoir traversé et marché quelque peu, entendu les paroles de bienvenue d’un maire souriant et barbu qui, sans doute, donna des directives à notre soldat, nous fûmes abandonnés, nous et nos valises, dans une pièce blanchie à la chaux. « Nous airons de la chance, dit Marquet, si nous arrivons demain à trouver le Danube. » Pourquoi pas ? J’étais optimiste. Nous étions arrivés à nous faire servir à dîner dans une chambre encombrée d’icônes, de broderies et de dentelles par une fillette loquace qui, en roumain, en russe et par gestes nous fit connaître toute sa famille4. Elle eut aussi recours à quelques photographies.

Valcov (Vylkove) dans les années trente, photo du photographe allemand Kurt Hielscher (1881-1948) 

Le Danube nous le retrouvâmes sans peine. La compagnie de navigation qui nous avait pris en charge envoya un de ses employés à notre recherche et il lui fut facile de nous rejoindre. Nous étions les seuls étrangers dans le pays et nous ne pouvions pas y faire un pas sans être suivis par une nuée d’enfants. Il nous fit prendre place dans sa barque et nous dit sa joie de parler français, sa fierté de constater qu’il pouvait comprendre et être compris dans une langue dont il ne s’était jamais servi depuis qu’il l’avait apprise à l’école. Dans son euphorie il entreprit de nous enseigner le russe et le roumain et comme nous avions plus envie de regarder que d’écouter il se donna beaucoup de mal pour rien.

Albert Marquet, Les quais de Galatz, 1933

Quand vint le moment de quitter Galatz nous n’eûmes pas d’hésitation. Nous regagnerions Vienne en remontant le Danube. Nous n’avions pas envie de nous en séparer brutalement. Nous entreprîmes un long voyage que Marquet illustra d’aquarelles faites vivement du bateau qui côtoyait des rives fuyantes. De petits villages, une église se détachant d’une verte colline, des prés, des paysans, une charrette traînée par un cheval maigre, des bateaux que le nôtre dépassait ou rencontrait, une gorge resserrée entre de vraies montagnes : le récit se poursuivait séduisant et varié. « Pourquoi, demanda un de nos compagnons, un ingénieur roumain, ne prenez-vous pas de photos, et tranquillement dans votre atelier vous feriez vos aquarelles. » Comment faire comprendre à cet homme raisonnable qu’il est plus tentant d’essayer d’appréhender ce qui vous échappe ? »

Marcelle Marquet, Marquet, Voyages, Série Rythmes et Couleurs, Éditions Librex S.A., Lausanne, 1968

Notes : 
1 Sulina,  port (autrefois port franc) et petite ville à l’extrémité du delta sur le bras du Danube du même nom, bras aménagé par la Commission Européenne du Danube pour la navigation maritime. La Commission Européenne du Danube effectua d’importants travaux de canalisation et installa ses services techniques à Sulina qui se développa dans la deuxième moitié du XIXe siècle et connut une économie prospère au début du XXe siècle.
2 Valçov, village de pécheurs lipovènes (Vieux-Croyants orthodoxes) situé sur le bras de Kilia. La petite ville d’aujourd’hui se trouve en Ukraine et porte le nom de Vylkove ou Vilkovo.
3 Le bras de Kilia ou Chilia, bras septentrional du delta du Danube. Une piste relie Sulina (rive gauche) au bras de Kilia (rive droite) qu’il faut franchir pour atteindre Vylkove (rive gauche).
4 A. Marquet et sa femme sont hébergés dans une famille lipovène.

Sources :
MARQUET, Marcelle, Marquet, Voyages, Série Rythmes et Couleurs, Éditions Librex S.A., Lausanne, 1968
MARQUET, Marcelle, Le Danube, voyage de printemps, Mermod, 1954 (32 pages)

Albert Marquet (II) : Le Danube, voyage de printemps à Galatz, Sulina et Vulkov

Albert Marquet met à profit ce voyage fluvial pour réaliser de nombreuses aquarelles et faire des croquis. C’est sa femme qui écrit les textes relatant ce périple. Les réflexions sur le monde du delta que le couple français découvre à l’occasion de leur périple roumain sont à l’image de l’étonnement et du dépaysement que la plupart des voyageurs ont ressenti autrefois en parcourant ce territoire aquatique et sauvage des confins de l’Europe. « Nous y étions un peu perdu et, comme au bout du monde ». Illustrés d’une sélection d’une quinzaine d’aquarelles et de quelques croquis ils seront édités sous la forme d’un carnet en 1954 chez l’éditeur suisse Mermod dans la collection « Carnets de Françoise ».
L’ordre d’insertion des aquarelles dans les textes a été volontairement modifié par rapport  à la publication de 1954.

Le Danube, Voyage de printemps 

   Le beau Danube bleu, ce ne fut pas pour le voir que nous embarquâmes au printemps 1933 et heureusement car nous aurions été déçus. Il n’est bleu que dans la chanson ou peut-être, nous n’y sommes pas allés voir, près de ses sources. De son delta à Vienne, les deux points limite de notre voyage, il roule des eaux limoneuses entre des rives le plus souvent plates et faites surtout des marais et des alluvions qu’il abandonne et renouvelle au gré des crues et des saisons.

 Les entrepôts (de Sulina)

Marquet, entraîné par un amis que ses fonctions appelaient là et qui craignait, sans compagnon éprouvé, de s’y ennuyer, accepta sans hésiter de partir pour Galatz, simplement parce que cette sollicitation tombait au moment où il n’avait pas de projet et qu’un grand fleuve inconnu avec ses promesses de bateaux et de mouvement ne pouvait que le tenter.

 Matinée sur le Danube

Ce fût d’abord une déception. L’hôtel qu’on nous offrit était dans une rue sans caractère et, dès qu’il fût dans la chambre, les fenêtres grandes ouvertes, Marquet, consterné, se trouva devant une façade grise, haut dressée à quelques mètres de lui. Il ne pouvait même pas apercevoir un coin de ciel. Il soupira :
« Autant se fixer à Bécon-les-Bruyères, ça ne vaut pas le voyage », et sur-le-champs décidé :
« Ne défais pas les valises. Je ne resterai pas quarante-huit heures ici. »
Des amis roumains qui avaient été contents de le voir arriver dans leur pays ne l’entendirent pas ainsi :
« Que vous manque-t-il ? Le port, vous avez pu vous en rendre compte, est grand. Les quais sont sillonnés de voitures, de camions, de charrettes, le fleuve de remorqueurs, de barques, de vapeurs, s’il vous faut une installation là, nous vous la trouverons. » Et deux heures plus tard nous étions sur un bateau amarré pour quelques semaines en l’un des points les plus vivants du fleuve. Marquet, à son affaire, se mit au travail.

 Flotille à Galatz

Il ne resta pas à Galatz tout le temps de son séjour en Roumanie. Quand on vit sur l’eau, il est tentant de prendre un bateau qui navigue et, pour Marquet qui passait ses journées sur le pont, bien tentant de dessiner ce qui défilait sous ses yeux : des verdures, des petites villes groupées autour de leur église ou de leur minaret, des charrettes qu’on devinait grinçantes, des passants, paysans lents et pesants, des soldats fusil à l’épaule dont on imaginait mal qu’ils eussent quelque chose à garder, des nuages qui tout au long des heures dérivaient bas sur l’horizon.

La charrette sous l’orage

    Marquet avait comme à son habitude un carnet, un stylo, des crayons, des pinceaux, un gobelet d’eau, une petite boîte d’aquarelle dans ses poches. Il semblait vraiment faire partie du groupe formé par ses amis et moi, devisant et jouissant du soleil sur la plage arrière du bateau, mais à un moment imprévu, sans qu’aucun de nous ne l’eût pressenti, il s’éloignait d’un pas tranquille et décidé.

Maisons au bord du Danube

Il venait de découvrir un coin isolé, bien placé, nous n’existions plus pour lui, tout à coup et totalement absorbé par le problème auquel toute sa vie il chercha une solution : fixer les rapports éphémères de la lumière et de l’eau et, dans un point ou un trait immobile, emprisonner de la vie en lui laissant de sa palpitation. Un ingénieur qui nous avait été présenté s’effarait. Pourquoi se mettre martel en tête afin de tenter une besogne impossible, saisir ce qui passe si vite que des yeux humains ne sauraient le retenir. Ne serait-il pas plus commode pour Monsieur Marquet de dessiner et de peindre  à son aise dans son atelier en s’aidant de photographies ?

Sur place, il n’a pas tracé une ligne que déjà ce qu’il voulait représenter a disparu. Chacun a ses méthodes et ses préférences, mais comment arriver à faire comprendre à un homme raisonnable que la fuite des choses aide à mieux les connaître, que l’immobilité est un mensonge dont Marquet se refusait à être le complice.

La remontée du Danube

Avant de remonter le Danube, après une courte escale à Sulina, petit port bâti à l’une de ses embouchures, une visite à Vulkov nous fut conseillée, et dans cette bourgade fleurie en cette saison de tous ses cognassiers, coupée d’eau, plutôt faite de jardins que de maisons, notre passage insolite (il n’y avait pas d’hôtel et nous logions chez l’habitant), ameutait à nos trousses les enfants du pays.

Nous errions dans ce village dont nous n’arrivions pas à saisir la forme, sans cesse ramenés à notre point de départ par un canal, un ruisseau, un étang qui arrêtaient notre marche et nous obligeaient à revenir sur nos pas, quand nous fûmes hélés par un jeune homme depuis une heure à notre recherche, envoyé par la compagnie de navigation à laquelle il appartenait afin de nous guider et de nous avertir qu’une cabine était mise à notre disposition sur un de ses bateaux pour assurer notre retour à Galatz. Il nous invita à continuer notre promenade en barque, dans un silence que le chant des oiseaux aurait seul troublé, si notre cicerone n’avait décidé de mettre à profit notre compagnie pour parfaire sa connaissance du français. Comme il était honnête, il voulut partager les avantages de la situation et ne prononça pas un mot sans nous en donner la traduction, d’abord en roumain, sa langue, ensuite en russe, puisque nous étions en Bessarabie. Nous l’écoutions d’une oreille distraite. je crois que Marquet ne l’écoutais pas du tout, il était pris par ce qu’il voyait : des masses de verdure croulant dans les méandres de l’eau, des petits ponts en dos d’âne et dessus, des porteuses d’eau qui cheminaient avec précaution, leurs deux sceaux ruisselants attachés chacun à l’une des extrémités du long fléau en équilibre sur l’épaule. Les bruits soyeux des rames, le clapotement de l’eau, les fuites des insectes, les chants des oiseaux et l’intarissable bavardage du compagnon que nous allions perdre n’arrivaient pas à disperser le silence enveloppant les jardins que nous ne finissions pas de contourner.

Nuages de beau temps

Nous avions l’impression d’errer dans un pays qui commençait d’être, sur des eaux lourdes, molles, limoneuses, visiblement nourricières, charriant en leur sein ce qui deviendrait terre, herbages, taillis, aliment et refuge d’animaux que nous avions entendu ramper, glisser, voleter tout au long du chemin qui nous avait amenés ici. Cet étrange chemin, le sable trempé des plages en fut la meilleure partie. Ailleurs ce n’était qu’une piste caillouteuse, souvent creusée d’ornières profondes qui avaient eu le temps de se solidifier depuis les dernières pluies, et coupées de ponts si haut perchés qu’il nous fallut à plusieurs reprises descendre de voiture afin de permettre à notre mince cheval de les franchir dans un élan où il employait toutes ses forces ramassées. Pendant ce voyage, qui dura quelques heures, nous aurions pu nous croire les seuls habitants du monde : des joncs, des plantes à ras de terre, de l’eau un peut partout, stagnante ou courante, et par-dessus, un ciel immense où paraissaient des nuages qui s’étiraient, se gonflaient, s’amassaient, se dispersaient, fuyaient, revenaient, promettaient, menaçaient, restant, avec la brise qui courait entre les joncs, la seule manifestation tangible de la vie. Une méchante carriole, pour cocher, et nous ne savions pas pourquoi, un soldat, nous deux, notre valise, et nous avancions dans un pays où la présence de l’homme n’était décelable qu’à l’existence d’une piste en mauvais état suivie ce jour-là par nous, que poussait, dans l’idée de notre soldat, une incompréhensible curiosité.
« Vulkov », vous verrez, c’est un pays comme il n’y en a pas deux », et il fallait vraiment que nous n’ayons rien à faire pour qu’une si banale réflexion suffît à nous décider d’y partir.
Nous y étions un peu perdu et, comme au bout du monde. Le fleuve en nous emmenant demain nous en délivrerait. Jamais nulle part nous ne nous étions senti  tellement étrangers et, je ne sais pas pourquoi, sur le point d’être oubliés.

 Iles et collines

Il nous semblait assister aux hésitations d’une ébauche, à moins que ce ne fussent les prémices d’une disparition. Trop d’eau, trop de ciel, et ce pêcheurs en loques, éventrant un esturgeon pour en extraire la masse d’un caviar qui serait, à des lieues d’ici, dégusté dans des restaurants rutilants de lumières, de musiques, de fleurs et de femmes luxueusement parées, manquait de réalité.
Tout ce que nous avions sous les yeux nous apparaissait sans lien avec le reste du monde. Ces enfants rencontrés dans les chemins, ces enfants que nous avions effrayés, intrigués, que raconteraient-ils après notre départ ? Et toute leur vie, la passeraient-ils contre ce bras puissant du Danube qu’aucun pont ne traverse là et dont les eaux profondes et lourdes les maintenaient dans l’isolement ? Des jardins, de petites maisons, des fleurs, des fruits, des poissons, cela constituait un univers bien clos. Leur serait-il suffisant ? Nous le voyions au printemps, épanoui dans des verdures et des floraisons, mais l’hiver quand les vents froids balaient cette immensité à laquelle le rend le dépouillement de ses jardins, à quoi peut-on penser ou rêver dans les petites maisons blanchies à la chaux, ornées de fleurs artificielles et de napperons brodés, placées encore en cette année 1933 sous la protection d’ icônes qu’honoraient de tremblants lampions ?

Nous quittons le port

Le lendemain nous abandonnions Vulkov et alors commença notre remontée vers Vienne. Aux marais succédèrent des prairies, aux joncs, des peupliers et des bouleaux, quelques usines, de vraies villes, parfois un resserrement du fleuve entre des collines, mais partout le Danube restait le maître, apportant aux pays qu’il traverse leur mélancolie ou leur fertilité, leurs façons et leurs raisons de vivre.
Marcelle Marquet, juillet 1954

Danube-culture, mis à jour mars 2023

 L’entrée des Portes-de-Fer

 Les Portes-de-Fer

 Un village en Cracovie (Croatie)

La sortie du port

  István Szőnyi (1894-1960), peintre post-impressioniste du Danube et « Juste parmi les Nations »

István Szőnyi, barque et Danube, 1935 

Né dans une famille catholique d’origine allemande à Újpest en 1894, István Szőnyi fréquente tout d’abord l’école indépendante de l’Académie Hongroise des Beaux-Arts de Budapest à partir de 1911 puis l’école de formation des professeurs d’art (1913).

István Szőnyi, autoportrait, 1920

   Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale il sert dans l’armée austro-hongroise en tant que lieutenant et devient l’élève des peintres hongrois Károly Ferenczy (1862-1917)1 d’abord dans le cadre de l’école de Nagybánya2 où il se trouve pendant le conflit et ensuite dans sa classe à l’Académie Hongroise des Beaux-Arts de Budapest et d’István Réti (1872-1945). En raison de sa participation aux manifestations de la République soviétique hongroise et de son appartenance à un groupe d’étudiants demandant des réformes à l’Académie des Beaux-Arts, il en est exclu en 1920. Lors de ses premiers voyages en Europe (Vienne et Berlin), il fait la connaissance de grands maîtres européens de la peinture. 

Istvan Szőnyi, Famille au bord de l’eau, huile sur canevas, 1926, collection privée

    István Szőnyi organise la première exposition collective de peinture au Musée Ernst de Budapest en 1920.2 Son deuxième mariage3 avec Melinda Bartóky (1896-1967) est une étape décisive dans sa vie et dans son oeuvre tout comme son installation au bord du Danube à Zebegényi (Dunakanyar) en 1924 dans l’ancienne ferme que son beau-père, József Bartóky (1865-1928) avait achetée en 1905 pour en faire sa résidence d’été. Deux enfants naîtront de ce mariage, Zsuzsa (1924-2014) qui s’enfuira de Hongrie pour l’Italie en 1949 et deux années plus tard, Péter qui mourra d’une méningite à l’âge de 18 ans.

István Szőnyi, Lumière au-dessus de l’eau, 1935

Le peintre reçoit en 1929 une bourse du gouvernement pour séjourner à l’Académie hongroise de Rome mais, préférant les paysages du coude du Danube à ceux de l’Italie, il rentre en Hongrie au bout de quelques mois. Il obtient le poste de professeur à l’Académie hongroise des Beaux-Arts en 1937 tout en participant à la vie artistique en tant que membre du cercle artistique Gresham. C’est à cette époque qu’éclaircissant sa palette de couleurs il réalise ses tableaux les plus radieux. La géographie poétique du fleuve, les paysages danubiens et le mode de vie de la population locale parmi lesquels les pêcheurs, ont exercé une grande influence sur son travail artistique l’imprégnant intimement de leur présence, de leur rythme et de leur tonalité.

István Szőnyi, Zebegény, aquarelle sur papier, collection privée

   Il s’occupe à partir des années quarante d’une école libre à Zebegény, commence également à peindre à l’aquarelle et utilisant principalement la technique de la gouache. De nombreux artistes hongrois de la nouvelle génération sont influencés par son style. Le peintre et sa famille cachent et fournissent de faux papiers à de nombreux Juifs ainsi qu’à des personnes persécutées pendant la Seconde Guerre mondiale ce qui lui vaudra de recevoir avec les siens le titre de « Juste parmi les Nations » en 1984. Les intenses bombardements de Budapest détruisent son appartement, son atelier et une grande partie de ses peintures. Sa fille l’invite à Rome en 1959-1959, séjour à l’occasion duquel le peintre est impressionné par le ciel bleu de Fiumicino. István Szőnyi  meurt en 1960 dans sa maison de Zebegény qui sera transformée en musée à partir de 1967.

István Szőnyi, Nus, gravure à l’eau-forte, 1960

Notes :
1 Le musée Károly Ferenczy (FERENCZY MÚZEUMI CENTRUM), Kossuth Lajos u. 5,, 2000 Szentendre, est consacré aux oeuvres des artistes de la famille Ferenczy.
https://www.femuz.hu

2 Baia Mare, aujourd’hui en Roumanie chef -lieu du Judeţ du Maramureş
3 Ce musée abrite désormais le Centre de photographie contemporaine Robert Capa, https://capacenter.hu/en
4 Le peintre perd sa première femme peu après la naissance de sa fille.

Danube-culture, © droits réservés, mis à jour janvier 2023

Le musée Istvan Szőnyi à Zebegény, photo © Danube-culture, droits réservés

Musée Istvan Szőnyi, Bartóky út 7.  2627 Zebegény
https://szonyimuzeum.hu

Peintres du Danube : Emil Jakob Schindler (1842-1892), peintre de la lumière et de ses reflets

Emil Jakob Schindler, blanchisseuse sur la rive du Danube, huile sur bois, 1868

   E. J. Schindler fait la connaissance lors d’un séjour à Milan du peintre paysagiste allemand Albert Zimmermann (1808-1888), professeur à l’Académie de Milan puis à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne où son disciple le suit en 1859. Zimmermann ne tarde pas à discerner son talent. Il l’emmène avec lui dans les montagnes de Bavière, à Ramsau dans le massif du Dachstein… C’est dans ces paysages alpins que s’éveille la profonde sensibilité de Schindler pour la forêt et les éléments de la nature. Après la démission de Zimmermann, le jeune artiste se perfectionne en étudiant la peinture paysagiste néerlandaise du XVIIe siècle, la peinture de l’École de Barbizon et tombe sous le charme de Charles-François Daubigny (1817-1878), qui expose à Vienne au début des années 70. Le peintre qui fait face à des difficultés financières se rend avec l’aide de son mécène en Dalmatie en 1874 puis  aux Pays-Bas en 1875 en compagnie de la peintre viennoise Tina Blau-Lang (1845-1916) avec laquelle il partage un atelier pour les mois d’été dans l’un des bâtiments du Prater de l’Exposition universelle (1873). Malade, sa situation financière ne s’améliorera qu’à partir de 1881 grâce à l’obtention du Reichel-Preis décerné par l’Académie des Beaux-Arts.

E. J. Schindler, scène du Prater, 1872, collection privée

Schindler visite à Munich la première exposition internationale d’art y découvrant des peintures de Gustave Courbet, Camille Corot (1791-1975)  et s’installe dans le parc du Prater en 1869 où l’atmosphère matinale des prairies et forêts alluviales sous la brume est pour lui une puissante source d’inspiration, à l’image de ce que Ville-d’Avray a représenté pour Camille Corot à la fin de sa vie. Il participe à l’Exposition de Vienne en 1873. Il passe ensuite les mois d’été de 1881 à 1884 en compagnie de sa famille et de son élève Karl Moll (1861-1945) à Bad Goisern (Haute-Autriche) puis, à partir de 1885, s’installe comme locataire au château de Plankenberg, une propriété d’une des branches de la famille Liechstenstein située près de Neulengbach (Basse-Autriche).

E. J. Schindler, Lune montante sur les prairies alluviales du Prater, huile sur toile, 1877, collection de la galerie du Belvédère de Vienne

Une petite colonie d’artistes se forme autour de lui avec ses élèves Carl Moll qui épousera trois années après la mort du peintre la veuve d’E. J. Schindler, la cantatrice d’origine allemande et mère d’Alma Mahler ( ), Anna Sofie Bergen (1857–1938), Olga Wisinger-Florian (1844-1926), Marie Egner (1850-1940), Eduard Zetsche (1844-1927) et Theodor Hörmann von Hörbach (1840-1895). Les lieux semblent avoir fait une forte impression sur sa fille Alma alors enfant : « Le château était pour moi plein d’horreur, de légendes et de beauté. On disait qu’un fantôme rôdait, nous, les enfants, en avions peur des nuits entières. Au milieu du grand escalier, un autel trônait dans une petite chapelle, et mon père y trouva une madone en bois et des chandeliers baroques dorés. L’autel était entouré de fleurs et n’était bien sûr jamais utilisé ; il n’était là que pour la beauté ».

E. J. Schindler, Chasse au canard dans le Prater, huile sur toile, 1884, collection de la galerie du Belvédère de Vienne

   En 1887/88, il retourne en Dalmatie, visite Corfou et participe avec quatre de ses tableaux (achevés en 1889) à l’aménagement du nouveau Musée d’Histoire Naturelle de la capital impériale. Nommé membre d’honneur de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne en 1888 (le peintre n’obtiendra curieusement jamais de poste de professeur dans cette même Académie des Beaux-Arts !), il reçoit deux ans plus tard la médaille d’or de l’État impérial austro-hongrois. Une exposition au Künstlerhaus de Vienne présente pour la première fois un grand nombre de ses peintures.

E. J. Schindler portrait

Portrait d’E. J. Schindler

   Ses premières études de la nature font référence au réalisme de Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865). Sa peinture qualifiée d’impressionnisme d’ambiance se situe délibérément à l’opposé de la peinture alpine académique «officielle» héroïsée, romantisée, grandiloquente et figée de l’époque. Sa volonté est d’abord de fixer l’essence des choses et non pas de se contenter de refléter leur apparence réelle et vide de sens. Il parvient à rendre et à transmettre dans ses oeuvres une impression globale du motif, de l’instant de la journée, de l’atmosphère, de la lumière et des conditions météorologiques qui sont presque comme exacerbé dans l’environnement du fleuve. Son influence sur la peinture viennoise de paysages s’est prolongée jusqu’au XXe siècle.

E. J. Schindler, huile sur carton, 1892, collection privée

Dans ses oeuvres de peintre paysagiste, E.J. Schindler transmet une manière très personnelle de vivre et de ressentir la présence de la nature, sans imposer sa technique picturale à ses élèves. Ses motifs préférés ont été les plaines alluviales du Danube, le parc du Prater avec ses arbres immenses et ses pièces d’eau, la Forêt viennoise, la région de la Wachau…
Le peintre décède en 1892 à l’âge de cinquante ans lors d’un séjour de convalescence en Allemagne sur l’île de Sylt (Frises du nord) et est inhumé au Zentralfriedhof (cimetière central) de Vienne comme tant d’autres personnalités artistiques autrichiennes.

E. J. Schindler par Edmund Hellmer (1895), Stadtpark  (parc municipal) de Vienne, photo droits réservés

À l’initiative de Carl Moll, un monument en marbre dédié au peintre est réalisé en 1895 par un de ses proches, Edmund Hellmer (1850-1935) et installé dans le parc municipal de Vienne. C’est à ce même sculpteur autrichien, auteur également du tombeau d’E. J. Schindler au cimetière central de Vienne que l’on doit encore le monument dédié à Johann Strauss dans le même parc municipal de la ville et qui attire tant d’admirateurs du compositeur.

Galerie autrichienne du Belvédère
www.belvedere.at/en/museum

Eric Baude pour Danube-culture, octobre 2022, © droits réservés

Emil Jakob Schindler, débarcadère des bateaux à vapeur sur le Danube près de Kaisermühlen, galerie du Belvédère, Vienne, vers 1872

Peintres du Danube : Nicolae Spirescu (1921-2009)

Nicolae Spirescu, linogravure, 1963
« Je me retrouve dans la paix du Danube, du Delta. Son silence est une initiation à un dialogue avec moi-même, avec ce qui m’entoure, et ce qui m’entoure devient couleur ».    

Paysagiste remarquable, graveur inspiré, Nicolae Spirescu aime sa ville et sa région d’adoption. Elles lui révèlent des trésors insoupçonnées, des mystères et des miracles qu’il reflète dans sa peinture. L’artiste transforme la campagne danubienne des environs en images d’une beauté sublime et grave aussi des scènes réalistes de son environnement.
Nicolae Spirescu enseignera dans plusieurs établissements de Galaţi. Il fonde en 1951, avec Nicolae Mantu, Lola Schmierer-Roth, Ion Bârjoveanu, Elena Hanagic, Lelia Oprișan, Constanța Grigoriu et Gheorghe Levcovici, le premier cercle d’artistes de la ville à partir duquel se développera plus tard la section locale de l’Union des artistes roumains. En 1952, il est nommé assistant honoraire à l’Institut des Arts Plastiques de Bucarest.

J.A. Steriadi

J.A. Steriadi (1880-1956), bateaux dans le port de Brăila, huile sur toile, 1909

Son attachement à Galaţi s’exprime par sa généreuse donation à celle-ci de tableaux en 1990, donation portant le nom de « Collection Eminesciana »  dont les oeuvres ornent les murs de la salle de lecture « Mihai Eminescu » de la bibliothèque départementale V. A. Urechia.
Le peintre qui est lauréat de nombreuses récompenses tant en Roumanie qu’en Italie est nommé « citoyen d’honneur de Galaţi ». Le magazine « Dunărea de Jos » a institué un prix en son honneur. Décerné chaque année celui-ci récompense des contributions exceptionnelles au développement et à la promotion des beaux-arts dans la ville.

Nicolae Spirescu, Pêcheurs, linogravure, 1961

Nicolae Spirescu reste un nom de référence dans l’histoire des beaux-arts roumains apportant le même état d’esprit qu’il exprimait dans ses propos : « Moi, le peintre de mes propres silences, j’entends, dans le tumulte de mes années, l’agitation des eaux. Si vous avez de la peine prêtez l’oreille au murmure des eaux, et vous obtiendrez à la guérison, car il en est du ciel comme de la terre… ».
Ses œuvres se trouvent dans des musées et des collections privées en Roumanie, en Autriche, en Angleterre, au Canada, en Suisse, en France, en Grèce, en Israël, en Italie, en Allemagne, en Suède, aux États-Unis et en Russie.

Sources :
Albumul Nicolae Spirescu-Pictura-Grafica, Alma Print (2008)

Eric Baude pour Danube-culture, septembre 2022, © droits réservés

Peintres du Danube : Nicolae Dărăscu (1883-1959)

Nicolae Darascu, bateaux à Valcov
Nicolae Dărăscu, Bateaux sur le Danube à Vălcov (Vylkove, en ukrainien Вилкове, autrefois en Roumanie, aujourd’hui sur le territoire aujourd’hui ukrainien du delta du Danube) huile sur toile, 1924

Nicolae Dărăscu étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts de Bucarest entre 1902 et 1906, dans la classe de George Demetrescu Mirea (1852-1934). Après en avoir été lauréat et avoir reçu une bourse pour l’Académie Julian à Paris qu’il souhaitait fréquenter en tant qu’admirateur de ses prédécesseurs Nicolae Grigorescu (1838-1907) et Ştefan Luchian (1868-1916) où le jeune artiste va suivre d’abord les cours de Jean-Paul Laurens (1838-1921) puis à partir de en 1907, de Luc-Olivier Merson (1846-1920) à l’École des beaux-arts.

 Bateau à voile dans le delta, huile sur toile, 1914, une des nombreuses « marines » de Nicolae Dărăscu

Il voyage dans le sud de la France (Toulon et Saint-Tropez, 1908), à Venise (1909), en Roumanie (à Vlaici, comté d’Olt, 1913, et dans le sud de la Dobroudja et au bord de la mer Noire, à Balcic en 1919, principale résidence d’été de la reine Marie de Roumanie (1875-1938) entretenant des contacts permanents avec des artistes d’autres cultures, visitant les grands musées d’art européens et élargissant ses horizons pour découvrir et tenter de nouvelles formes d’expression artistique. Contrairement à nombre de ses contemporains, N. Dărăscu peint rarement des intérieurs ou des natures mortes.

N. Darascu maison avec tilleul à Balcik 1933

Nicolae Dărăscu, Maison avec tilleul à Balcic (Balčik, aujourd’hui en Bulgarie appartint à la Roumanie qui avait annexé la Dobroudja du sud de 1913 à 1916 puis de 1918 à 1940) huile sur toile, 1933

En 1917, N. Dărăscu fonde en compagnie des peintres de sa génération, Camil Ressu (1880-1962), Ștefan Dimitrescu (1886-1933), Iosif Iser (1881-1958), Marius Bunescu (1881-1971) et les sculpteurs Dimitrie Paciurea (1873 ou 1875-1932), Cornel Medrea (1888-1964), Ion Jalea (1887-1983) et Oscar Han (1891-1976), l’association Arta Română à Iaşi.
N. Dărăscu a été également professeur à l’Académie des beaux-arts de Bucarest entre 1936 et 1950.

Sources : 
Radu Ionescu, Vasile Florea
Nicolae Dărăscu, Editura Meridiane, București, 1987
https://ro.wikipedia.org/wiki/Nicolae_Dărăscu

Danube-culture © droits réservés, août 2022

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