Histoire de petites et de grandes confluences…
La confluence de l’Inn avec le Danube à Passau (Bavière) au point kilométrique 2225, 20, photo © Danube-culture, droits réservés
« Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez… »
Nicolas Boileau (L’Art poétique, 1674)
Cette citation de Nicolas Boileau (1736-1711, un nom prédestiné !) s’applique aussi pour les fleuves et en particulier pour le Danube qui se hâte lentement vers la mer Noire. Chaque confluence a une forme et un visage uniques qui viennent remettre l’ouvrage du fleuve sur son métier. Ces confluences, ces points d’addition, de passage, d’union, de rassemblement, de transformation, de métamorphose, de confrontation, de rupture, sont aussi parmi les lieux les plus fascinants du parcours fluvial danubien. Leur influence sur la biodiversité est considérable avec toute une panoplie d’éléments naturels comme la géologie du sol, le niveaux des eaux, les reliefs (les pentes d’écoulement), la végétation, également parfois les activités humaines quand confluence (parfois triple) rime avec ville comme c’est le cas pour de nombreuses cités danubiennes.
« Aimer, pour un fleuve, cela consiste précisément à se jeter dans les « bras d’un autre fleuve ». Les confluents sont des lieux de conjonctions amoureuses et les « eaux mêlées » le symbole de l’union absolue. Le fleuve, en effet, possède le privilège de pouvoir s’unir si complètement à sa partenaire aquatique qu’il est ensuite impossible de distinguer les deux conjoints. C’est une aventure de cet ordre qu’Ovide nous décrit dans la belle histoire de la fontaine Aréthuse. »
Jacques Lacarrière , Au coeur des Mythologies, Philippe Lebaud éditeur, 1984
« Passau est au confluent de trois cours d’eau ; la petite Ilz2, surnommée « La perle noire » en provenance du massif de la Forêt Bavaroise, et le grand Inn3 s’y jettent dans le Danube. Mais pourquoi le fleuve formé de leurs eaux mêlées, et qui s’écoule vers la mer Noire, doit-il s’appeler et être le Danube ? Il y a deux siècles Jacob Scheuchzer4, dans son « Hidrographia Helvetiae », page 30, observait que l’Inn à Passau, est plus large et plus profond que le Danube, avec un débit plus fort, et même derrière lui un parcours plus long. Le docteur Metzger et le docteur Preusmann, qui ont mesuré en pieds la largeur et la profondeur des deux cours d’eaux, lui donnent raison. Donc le Danube est un affluent de l’Inn, et Johann Strauss est l’auteur d’une valse intitulée « Le bel Inn bleu » — l’Inn après tout pourrait revendiquer à plus juste titre cette couleur. Ayant décider d’écrire un livre sur le Danube, je ne puis évidemment souscrire à cette théorie, de même qu’un professeur de théologie dans une faculté catholique ne peut nier l’existence de Dieu, objet même de sa science… »
Claudio Magris, « Le beau Danube ou le bel Inn bleu ? », in Danube, Gallimard, Paris, 1988
l’Ablach (41, 3 km, rive droite), l’Ostrach (33, 1 km, rive gauche), le Biberach (le ruisseau des castors, rive gauche), la Schwarzach (22, 1 km, rive gauche), le Kanzach (25, 8 km, droite), la Zwiefalter Aach (8, 9 km, rive gauche), le Hasentalbach (le ruisseau de la vallée des lièvres, rive droite), le Braunsel (1 km, rive gauche), un des plus courts affluents directs du Danube dont 32 sources sont l’origine (!), le Marchbach (rive droite), le Lauter (42, 3 km, rive gauche), le Hühlbach (rive droite), l’Algershofer Bach (rive gauche), le Stehenbach (7, 7 km, rive droite), la Schmiech (25 km, rive gauche à ne pas confondre avec la Schmiecha), le Mühlbach (rive gauche), la Riess (rive droite, 49 km), le Donauriederbach (rive gauche), la Westernach (6, 6 km, rive droite), la Rot (55, 5 km, rive droite), l’Erlbach (8, 8 km, rive gauche), le Kreutwiesenbach (rive droite), la Weihung (29, 9 km, rive droite), le Rötelbach (rive gauche), qui, avec quelques autres affluents encore plus discrets, qui « ressuscitent » miraculeusement en amont d’Ulm (Bade-Wurtemberg) et du confluent avec l’Iller5 (147 km), un Danube parfois bien mal en point après les pertes dans le sous-sol karstique du plateau du Baar (Jura souabe) entre Immendingen et Möhringen, pertes qui profitent entretemps à son « rival » le Rhin6 et à son bassin.
L’Iller est un puissant affluent de la rive droite du Danube qui prend sa source dans les alpes allemandes à 783 m d’altitude et dont profite largement le Danube puisque que son débit est supérieur au sien. Curieusement la même histoire se répète un peu plus en aval à Passau avec l’Inn dont le débit est aussi plus important que celui du Danube.
« En général, le flux d’eau qui provient d’une confluence garde le même nom que le courant d’eau qui, en amont de la confluence elle-même, a un plus grand débit. Il existe toutefois un certain nombre d’exceptions, par exemple lorsque le cours d’eau qui coule en aval de la confluence prend un nouveau nom tel le fleuve Amazone, qui nait de la confluence de la rivière Ucayali avec le rio Marañón. Il arrive aussi que le cours d’eau d’un débit inférieur garde son nom en aval de la confluence comme dans le cas de la Seine qui, en appliquant la règle de la plus grande étendue, devrait prendre le nom d’Yonne dans la section suivant la confluence avec cette dernière. Le lit du fleuve ou de la rivière est en aval de la confluence généralement plus étroit que la somme de la largeur des deux cours d’eau en amont. Cette étroitesse est compensée par une plus grande profondeur du lit et un courant plus rapide.
Jacques Bethemont, Les grands fleuves. Entre nature et société, Paris, Armand Colin, 1999
Rappelons que le Danube compte plus de 300 affluents importants parmi lesquels l’Iller, le Lech, l’Isar, l’Inn, la Wörnitz, l’Altmühl, le Regen, la Traun, l’Enns, la Leitha, la Morava, le Váh, la Rába, la Drava, la Tisza, la Sava, le Jiu, l’Olt, le Siret, le Prout, l’Iskar, le Vit et l’Osum. 34 d’entre eux sont navigables ou ont été navigables…. Son cours, à l’image de la plupart des fleuves terrestres, est en fait une succession de confluences plus ou moins importantes qui participent de sa métamorphose.
Notes :
1Conflunence, nom féminin
Étymologie : xve siècle. Emprunté du bas latin confluentia, « afflux », de confluere, « confluer, affluer ». Le fait de confluer. La confluence de deux rivières, de deux glaciers. Par analogie, la confluence de plusieurs colonnes de manifestants. Fig. La confluence de deux courants de pensée. Sources : Dictionnaire de l’Académie française, neuvième édition
https://dictionnaire-academie.fr/article/A9C3533
2 Die Ilz (40, 3 km)
3 Der Inn (517 km)
4 1672-1733, médecin philosophe, naturaliste et professeur de physique suisse
5 datée de 1717
6 Un des multiples hydronymes aux origines celtes (Ilara, saint). Les fleuves étaient avec les sources, les fontaines, l’eau en général sacrés pour ce peuple de l’Antiquité. « G. W. Leibniz affirmait : « Et je dis en passant que les noms des rivieres, estant ordinairement venus de la plus grande antiquité connue, marquent le mieux le vieux langage et les anciens habitans, c’est pourquoy ils meriteroient une recherche particulière ». Cité par Jürgen Udolph et Gérard Bodé dans l’article « Les hydronymes paléoeuropéens et la question de l’origine des Celtes. ». In: Nouvelle revue d’onomastique, n°52, 2010. pp. 85-121.
www.persee.fr/doc/onoma_0755-7752_2010_num_52_1_1535
Sources :
www.aquaportail.com/definition-5569-confluent.html
Voir également sur le site l’article sur les principaux affluents du Danube :
danube-culture.org/principaux-affs-du-danube