Le delta du Danube : le bras central de Sulina (Roumanie)

Le phare de la Commission Européenne du Danube à Sulina qui a fait l’objet d’une rénovation
« Depuis l’intérieur du pays, il n’existe aucune route pour rejoindre Sulina, en Roumanie. Juste un fleuve et la mer. Il faut quelques heures de vapor pour apercevoir le phare qui guidait le trafic des bateaux. L’ancien port est comme une île entourée de terres. Située sur les bords de la mer Noire, la petite ville se souvient avec nostalgie de la Communauté [Commission] Européenne du Danube qui a fait sa fortune. »
« Dans le delta », revue Bouts du monde n°11, juillet/août/septembre 2012
Le bras central de Sulina concentrait autrefois une partie importante de la navigation. Son aménagement a été réalisé aux XIXe et début du XXe siècles par les ingénieurs de la Commission Européenne du Danube (1856-1939) pour permettre aux grosses unités de mer d’y naviguer sans difficulté. Un canal d’une longueur de 64 km et large de 150 m a été creusé dans des conditions parfois difficiles.Le cimetière de Sulina en témoigne. Son chenal est d’une profondeur de 7 m 50.
Après les villages de Vulturu, Maliuc, Gorgova, Flamanda et le bourg de Crişan on arrive enfin à Sulina (Km 0, rive droite). C’est tout proche du vieux phare, construit entre 1838 et 18411 que le point kilométrique zéro du fleuve est atteint. Mais comme le Danube continue inlassablement à charrier de nombreux alluvions (plus de 80 millions de tonnes) et gagne sur la mer une quarantaine de mètres chaque année, le point zéro se situe désormais à l’intérieur des terres. Quant au phare il domine aujourd’hui… la place du marché de Sulina et le square où se trouve la statue du chef d’orchestre George Georgescu, né dans la petite cité.
Déjà fréquentée par les Byzantins, Sulina possède une longue tradition portuaire. Ce sont les génois, habiles navigateurs et marchands hors pairs, grands concurrents des Vénitiens, qui s’y installent par la suite. Encore simple village de pêcheurs, pirates et autres écumeurs des mers au début du XIXe puis miraculeusement port de la Commission Européenne du Danube, l’économie de cette petite ville est d’abord tournée vers le fleuve avec ses chantiers navals et ses usines de transformation du poisson. Aujourd’hui Sulina n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été au temps de la Commission Européenne du Danube. Les immeubles du temps du communisme, les constructions plus récentes pour accueillir les touristes, le délabrement des bâtiments anciens l’ont enlaidie considérablement. Rien ne semble pouvoir arrêter la laideur de s’étendre. Mais les vacanciers semblent s’en moquer, la plage est proche et immense même si la mer est plus marron que noire.
Notes :
1 La construction de ce phare est attribuée par erreur à la Commission Européenne du Danube mais il fut en réalité construit sur les plans de l’architecte anglais Charles Ackroyd, architecte en chef du département de la mer Noire et sous la direction de l’amiral russe Mikhail Petrovich Lazarev entre 1838 et 1841 et mis en service en 1845 selon l’écrivain et historien de Galaţi Tudoșe Tatu, donc bien avant que ne s’installe et ne commence ses gigantesques travaux d’aménagement cette même Commission Européenne du Danube, instaurée par le Traité de Paris de 1856. Ces travaux sont d’ailleurs mentionnés dans le Journal d’Odessa, une publication en langue française, Nr. 92 du 18/30.11.1841.
Le livre de Tudose Tatu sur le vieux phare de Sulina rétablit un certains nombre de vérités et rassemble de passionnantes archives comme en particulier celles écrites par Voisin-Bey alias François Voisin (1821-1918) qui fut le directeur des travaux du canal de Suez (1865-1870), président des délégations françaises aux différents congrès de navigation qui eurent lieu en Europe de 1886 à 1890 et inspecteur général des Ponts et Chaussées mais aussi des articles de presse de l’époque en français, russe ou anglais… Ce phare était à l’origine une initiative française qui fut soutenue par l’Empire ottoman tout en ayant été construit par l’amirauté russe selon les plans d’un architecte anglais ! Il fut administré successivement par la Russie, par l’Empire ottoman, loué à la France pour enfin revenir à la Commission Européenne du Danube.
Sources :
Tudose Tatu « Farul bătrân de Sulina – Adevărul dezvăluit », Editura Sinteze Galaţi, 2012
Sulina (Soulina) par Édouard Engelhart
« Parmi les établissements qui s’y sont formés, le plus important est la ville de Soulina, située à l’embouchure même de la branche mitoyenne du Danube.
En 1853, aux débuts de la guerre d’Orient, Soulina ne comprenait tout au plus que 1,000 à 1,200 habitants, la plupart Ioniens, Grecs et Maltais. Quelques baraques en planches ou de simples huttes de roseaux élevées sur la plage servaient d’abri à ces aventuriers, dont l’industrie consistait à dépouiller en grand et par association les malheureux capitaines obligés, par suite des obstacles qu’ils rencontraient sur ce point, d’avoir recours à leurs services. Ils rançonnaient la navigation européenne et rappelaient par leur âpreté impitoyable l’avidité du géant des bouches de l’Escaut. Le vol était organisé, et au milieu du désarroi qui avait suivi les premières hostilités sur le Danube, il se pratiquait impunément. L’emploi forcé des allèges pour le passage sur la barre facilitait particulièrement les entreprises de ces pirates. Leurs embarcations avaient d’ordinaire un double fond qui absorbait une grande partie des grains momentanément extraits des bâtiments de mer, et ils restituaient l’excédant lorsqu’ils ne pouvaient échapper avec toute leur cargaison à la vigilance des capitaines. C’est ainsi que plusieurs moulins à vent, dont on voit encore les débris, étaient en pleine activité à l’embouchure, c’est-à-dire sur un lieu désert de la côte, à l’extrémité d’une île marécageuse.
Au printemps de l’année 1854, un bâtiment de guerre apparut en vue de Soulina. Il était commandé par le fils de l’amiral Parker. Après avoir fait armer un canot, ce jeune officier en prit lui-même la conduite, et vint débarquer en face d’une ancienne redoute construite vers la pointe de la rive gauche du fleuve. Comme il passait, suivi de quelques hommes, devant cet ouvrage abandonné, un coup tiré à bout portant le frappa mortellement. Les Anglais se vengèrent de cet assassinat en bombardant le village, qui fut réduit en cendres. Peu après cet événement, les bouches du Danube furent déclarées en état de blocus, et l’exportation des céréales des principautés fut interrompue jusqu’au commencement de l’année 1855. A cette époque, par égard pour les droits des neutres, auxquels le traité de Paris allait donner une solennelle consécration, le blocus fut levé, et un mouvement extraordinaire se produisit dans les ports moldo-valaques. Une nouvelle population, composée en majeure partie des mêmes éléments que la précédente, vint s’implanter à Soulina, et bientôt, grâce à l’absence de toute autorité sur la rive droite du fleuve, une bande d’écumeurs de mer s’empara de l’entrée du Danube. L’audace de ces bandits n’eut plus de bornes ; trompant la confiance des capitaines auxquels ils se présentaient comme pilotes lamaneurs, il n’était pas rare qu’ils fissent échouer dans la passe le bâtiment dont ils avaient pris la direction. Livré le plus souvent à ses propres ressources dans l’opération du sauvetage, le capitaine ne tardait pas à se convaincre de l’inutilité de ses efforts, et il abandonnait son navire, dont on faisait aussitôt la curée.
Cependant ce brigandage ne pouvait durer. Le commandant des troupes autrichiennes dans les principautés envoya à l’embouchure un détachement de 60 soldats. Cette occupation fut un bienfait momentané pour le commerce européen. Déployant une rigueur égale à la perversité dont ses nationaux étaient les premières victimes, le représentant de l’autorité nouvelle fit prompte et sommaire justice au nom de la loi martiale ; la bastonnade fut mise à l’ordre du jour et consciencieusement administrée. Sous ce régime énergique, la discipline fut bien vite rétablie. Toutefois le pouvoir militaire, quelque efficace que fût son action, n’était pas à même de procurer d’une manière durable les garanties de sécurité que réclamait impérieusement la marine marchande. Cette tâche appartenait tant à la puissance territoriale qui venait d’être dûment reconnue qu’à la commission européenne, qui se trouvait temporairement investie d’une partie de ses droits.
Aujourd’hui régénérée, moralisée au contact d’une autorité internationale dont les attributions sont aussi exceptionnelles que l’état du pays dans lequel elle fonctionne, Soulina prend des développements rapides qui semblent la préparer à un rôle important ; elle compte déjà près de 4,000 âmes. Les cabanes éparses qui couvraient la plage et servaient de repaires aux premiers habitants ont fait place à des constructions solides et régulières. De grands bâtiments s’y élèvent pour les différents services de la navigation. Des édifices religieux y représentent déjà les principaux cultes de l’Occident. Siège d’une « caïmacamie » [administration provisoire en attendant la réorganisation des principautés danubiennes], la nouvelle ville entretient une garnison permanente. Des agents consulaires y sont accrédités, et la vue de leurs pavillons protecteurs rassure les marins, pour lesquels ces parages étaient autrefois si inhospitaliers. »
Édouard Engelhart, « Les embouchures du Danube et la Commission instituée par le Congrès de Paris, » Revue de Deux Mondes, t. XL, no. LXXXVIII, July – August 1870, pp. 93–117.
Danube-culture © droits réservés