Ovide, poète de l’Antiquité romaine exilé entre Danube et mer Noire

Ovide en exil par le peintre

Ion Theodorescu-Sion (1882-1939), Ovide en exil à Tomis, 1915

Auguste restera inflexible tout comme son successeur Tibère et jamais Ovide ne retournera à Rome ni en Ausonie (Italie) malgré ses supplications. Il mourra d’ennui, d’amertume et de nostalgie dans ces contrées au climat rude et chaque jour menacées par les barbares dont les Sarmates et les Gètes, très proches, de l’autre côté du Danube et dont il apprendra malgré tout le dialecte :
 » Sarmatico cogor plurima more loqui.
Et pudet et fateor, iam desuetudine longa
vix subeunt ipsi uerba latina mihi… »
« Je suis souvent forcé de parler en Sarmate.
J’ai honte et je l’avoue : à ne plus m’en servir,
j’ai peine moi-même à retrouver les mots latins… »
« La vie à Tomes » (V, VII)
Il écrira pendant son exil définitif les cycles des Tristes en l’an 8-14 après Jésus-Christ puis les Pontiques et les Halieutiques (12-16 ap. Jésus-Christ).

Ion Theodorescu-Sion (1882-1939), Ovide à Tomis, huile sur carton, 1927

« L’hiver à Tomes »
Si quelqu’un se souvient encore d’Ovide l’exilé
et que mon nom sans moi subsiste dans la ville,
qu’il sache que je vis au milieu des Barbares,
sous des étoiles que la mer ne baigne jamais,
Autour sont les Sarmates1, race farouche, et les Besses2, et les Gètes3

qui ne méritent point que je donne leur nom.

Tant que les vents sont tièdes, le Danube est notre rempart :
son cours nous garantit contre leurs incursions ;
mais lorsque la saison mauvaise a montré son hideux visage,
que le gel a changé la terre en marbre blanc,
quand s’abattent sous l’Ourse4 et la bise et la neige,
le pôle frissonnant chasse alors ses nations.
La neige, une fois sur le sol, résiste au soleil et aux pluies :
la bise la durcit et la rend permanente.
Ainsi, une autre tombe avant que la première n’ait fondu
et dans l’ombre d’endroits elle reste deux ans.
Lorsque se déchaîne l’Aquilon5, telle est sa violence
qu’il renverse les hautes tours, emporte les toitures.

Des peaux et des braies rapiécées protègent mal les gens du froid ;
de tout leur corps on ne voit plus que leur visage.
Qu’ils bougent, l’on entend le bruit de leurs cheveux où pendent des glaçons ;
leur barbe prise par le gel éclate de blancheur.
Le vin se maintient dur, gardant la forme de la cruche ;
au lieu de le verser, on le donne en morceaux.
Que dire des ruisseaux, qu’enchaîne et condense le froid,
du lac qu’on doit forer pour en tirer une eau friable ?
Le Danube lui-même, aussi large pourtant que le Nil,
lui qui se jette dans la mer par de nombreuses embouchures,
il voit les vents durer et glacer ses flots azurés
et roule vers la mer des ondes invisibles.
Là où voguaient des nefs, l’on va maintenant à pied ferme
et le pas des chevaux heurte les eaux gelées.
Grâce à ces ponts nouveaux, sous lesquels l’onde coule,
le boeuf sarmate tire son chariot barbare.

J’ai même vu l’immense mer arrêtée sous la glace,
ses flots sans mouvement sous l’écorce glissante.
C’est peu de l’avoir vu : j’ai foulé cette mer durcie,
mon pied, sans se mouiller, pressa la surface des eaux.
Si telle avait jadis été la mer pour toi, Léandre6,
l’on n’accuserait point ce détroit de ta mort.

Alors, le dauphin ne peut plus bondir contre les vents :
l’hiver cruel comprime ses efforts.
Quoique Borée7 mugisse en agitant ses ailes,
pas un remous sur le gouffre enfermé.
la glace, comme marbre, assiège les poupes dressées,
la rame est impuissante à fendre l’eau durcie.
J’ai vu des poissons, raidis comme enchaînés dans la glace,
une partie d’entre eux vivaient encore.
Quand le cruel Borée, dans l’excès de sa violence,
coagule la mer ou bien les eaux du fleuve en crue,
aussitôt, à travers le Danube aplani par l’aquilon,
accourt le Barbare ennemi, sur son coursier rapide,
puissant par sa monture et par ses traits volants au loin,
et il dévaste largement les campagnes voisines…

Tristes, III, X 

Notes :
1 tribu scythique redoutée de la steppe pontique d’origine iranienne qui fut en conflit avec l’Empire romain
2 tribu thrace des Balkans
3 peuple vivant  dans l’espace carpato-danubien-pontique, parfois assimilé aux Daces par des historiens de l’Antiquité.
4 Une des plus grandes constellations célestes. Chez Ovide, Callisto était fille de Lycaon, roi d’ Arcadie. Zeus aperçut la jeune vierge comme elle chassait en compagnie d’ Artémie et s’en éprit ; il la séduisit en prenant l’apparence de Diane elle-même. Héra, jalouse, la changea en ourse après qu’elle eut donné naissance à un fils, Arcas. L’enfant grandit dans l’ignorance de sa mère, et un jour qu’il participait à une chasse, la déesse dirigea Callisto vers l’endroit où il se trouvait, dans l’espoir qu’elle soit transpercée de ses flèches. Mais Zeus enleva l’ourse et la plaça parmi les étoiles où Arcas la rejoignit, sous les noms de Grande Ourse et Petite Ourse.
5 vent du nord
6 Léandre, amoureux d’Héro, prêtresse d’Aphrodite à Sestros qui habite sur la rive européenne de l’Hellespont, traverse le détroit à la nage guidé par une lampe qu’Héro allume en haut de la tour où elle vit. Mais lors d’un orage, la lampe s’éteint et Léandre s’égare dans les ténèbres. Lorsque la mer rejette son corps le lendemain, Héro se suicide en se jetant du haut de sa tour. Ovide a imaginé dans une de ses oeuvres (Héroïdes) une lettre écrite par Léandre et la réponse d’haro.
7 autre vent du nord

William Turner (1775-1851), Ovide chassé de Rome, huile sur toile, 1838. Cette œuvre traite de l’exil de Rome d’Ovide, reconstitué ici sous la forme d’une variété de temples, d’arcs de triomphe et de statues datant de différentes périodes de l’histoire de la ville. Turner laisse planer l’ambiguïté sur la présence d’Ovide dans l’image : il pourrait s’agir du personnage arrêté au premier plan, ou bien il pourrait être tout simplement absent, déjà banni ou décédé (une tombe en bas à gauche porte son nom complet). Avec la scène brumeuse et le soleil couchant sur l’eau (le Tibre ?) le peintre évoque le sentiment d’un dernier adieu à Rome et à son âge d’or. Sources : The Metropolitan Museum of Art. 

Ovide en quelques dates :
43 avant J.-C. – Naissance de Publius Ovidius à Sulmona (Abruzzes)
25-20 avant J.-C. – Voyage en Grèce sur les lieux de l’Iliade. Il fréquente déjà le cercle littéraire de Messala auquel appartiennent Horace, Tibulle, Virgile…
23-14 avant J.-C. – Cinq livres des Amours que le poète réduira à trois.
20-15 avant J.-C. – quinze premières Héroïdes, lettres supposées écrites par les grandes héroïnes de la mythologie grecque qu’il complètent par six autres lettres.
13-18 avant J.-C. – Médée, tragédie perdue
2-1 avant J.-C. – Deux premiers livres de l’Art d’aimer, un troisième suit deux ans après.
7-8 après J.-C. – Les Métamorphoses, deux cents cinquante six fables de la mythologie grecque et romaine. Inachevées
8 après J.-C. Exilé à Tomis en Mésie, au frontière de l’Empire. Parti d’Italie par bateau en décembre et ayant laissé sa troisième épouse à Rome,  il arrive en mars sur les lieux après avoir peut-être terminer son voyage à pied à travers la Thrace jusqu’à Tomis. Selon l’historien Jérôme Carcopino, Ovide aurait fait escale à l’île d’Elbe.
Hiver 8-9 après J.-C. – Premier livre des Tristes
9 après J. -C. – Deuxième livre
9-10 après J.-C. – Troisième livre
10-11 après J.-C. – Quatrième livre
11-12 après J.-C. – Cinquième livre
14 après J.-C. – mort de l’empereur Auguste auquel succède Tibère. Ovide reste en exil.
12-16 après J.-C. – Pontiques, Halieuthiques
15-16 après J.-C. – suite des Pontiques
17 après J.-C. – mort d’Ovide  à Tomis.

Sources :
Ovide, Les Tristes, traduit du latin par Dominique Poirel, Orphée, La Différence, Paris, 1989
Ovide, Les Tristes, texte établi et traduit par J. André (Collection des Universités de France, publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), Les Belles Lettres, Paris, 1968
Ovide, Les Tristes, Les Pontiques, Ibis, Le Noyer, Halieuthiques, traduction nouvelle d’Émile Ripert, Librairie classique Garnier, Paris, 1937

Eugène Delacroix (1798-1963) Ovide chez les Scythes, 1859, National Gallery London

« Tout ce qu’il y a dans Ovide de délicatesse et de fertilité a passé dans la peinture de Delacroix ; et, comme l’exil a donné au brillant poète la tristesse qui lui manquait, la mélancolie a revêtu de son vernis enchanteur le plantureux paysage du peintre …
Si triste qu’il soit, le poète des élégances n’est pas insensible à cette grâce barbare, au charme de cette hospitalité rustique. Tout ce qu’il y a dans Ovide de délicatesse et de fertilité a passé dans la peinture de Delacroix […].
L’artiste qui a produit cela peut se dire un homme heureux, et heureux aussi se dira celui qui pourra tous les jours en rassasier son regard. L’esprit s’y enfonce avec une lente et gourmande volupté, comme dans le ciel, dans l’horizon de la mer, dans des yeux pleins de pensée, dans une tendance féconde et grosse de rêverie. »
Charles Baudelaire, curiosités esthétiques, Paris 1868

L’exil d’Ovide et le delta du Danube
« À quel endroit du Danube faut-il conclure cette croisière imaginaire ? C’est ici, juste avant que le Danube rencontre la mer Noire que s’expriment toute la force et la grandeur de son delta. Le Danube semble sortir de son lit, alors que sa surface est presque aussi grande que la mer vers laquelle il se dirige. Ce débordement du Danube, qui n’est pas encore maîtrisé, a créé tout un réseau de bras latéraux, de nouveaux univers aquatiques, d’enclos naturels inaccessibles, de marais et de marécages, qui sont devenus des réserves pour la flore et la faune qui se sentent encore à ces endroits à l’abri de la main de l’homme. Mais l’homme ne fut seulement impitoyable envers les animaux et la flore. Sur cette côte de la mer Noire qui s’est alliée au Danube, tout en conservant sa teinte grisâtre, sa rudesse et son inhospitalité, l’Empire romain a créé des lieux dignes de la vengeance d’un César. L’empereur Auguste a exilé le poète Ovide à Tomi ou Tomis. De là, il n’est jamais revenu à Rome, bien qu’il ait supplié son juge sévère de faire preuve de clémence et de lui pardonner ses frasques poétiques.
Avant de partir en exil dans ce lieu reculé de la côte de la mer Noire, Ovide a décrit sa dernière nuit à Rome, sachant qu’il quittait aussi une civilisation supérieure, tout le monde de l’érotisme qui lui était cher, où il régnait en poète incontestable :

« Cum subit ille tristis noctis imago,
qua mihi supremum tempus in urbe fuit,
cum repeto noctem, qua toi mihi cara reliqui,
labitur ex coulis nunc quoique gutta meis. »

« Quand me revient le souvenir de cette nuit cruelle,
de ces derniers moments que j’ai vécus à Rome,
quand je ma rappelle, avec tout ce que j’ai quitté,
alors, comme aujourd’hui, mes yeux sont plein de larmes ».
Les Tristes I, III

Il se trompait, comme beaucoup d’autres écrivains qui n’avaient pas compris que la proximité d’un homme de pouvoir comportait des dangers et qu’une parole imprudente pouvait détruire l’illusion de sa propre intangibilité et conduire le malheureux à l’exil ou à la mort.
Son exil sur les rives du Pont a enrichi la littérature européenne d’un recueil de vaines lamentations d’un homme qui se noie dans la nature et la solitude à l’extrémité de l’Empire romain, Les « Tristes ». C’est également dans sa prison de Maribor, pendant la Première Guerre mondiale, qu’Ivo Andrić (1892-1975) prix Nobel de littérature en 1961) a écrit ses poèmes lyriques nostalgiques, auxquels il a donné le titre « Ex Ponto ». Ovide, qui souffrait, avait réussi à faire du lointain Pont-Euxin danubien un exemple de l’issue d’un combat entre un poète et un homme.
Le destin d’Ovide n’a heureusement pas effrayé de nombreux auteurs qui s’étaient engagés consciemment dans ce combat inégal et qui sont partis volontairement en exil. Beaucoup d’entre eux ont sombré dans les eaux troubles de leur désespoir. De nombreux Serbes du Banat ont également été déportés, après le conflit yougoslave avec le Komintern en 1948, dans les terres désolées et austères du Baragan, près du delta du fleuve. Dans cet ostracisme loin d’être anodin, les Serbes étaient classés parmi les peuples condamnés à disparaître dans cette région perdue, située non loin de l’une des l’embouchure du Danube dans la mer Noire, à Sulina. Comme si cette région du Baragan était fatalement destinée à voir disparaître des peuples enfermés dans cette « cage » naturelle. Les Circassiens y ont été amenés par bateaux depuis la Russie tsariste, et abandonnés à leur inéluctable disparition. Le même sort a été réservé aux Tatares. Il s’agissait de morts sans témoins, une méthode utilisée par tous les systèmes répressifs connus dans l’histoire et à laquelle la nature a prêtée, involontairement main-forte !

Dejan Medaković (1922-2008)

Dejan Medaković (Дејан Медаковић, 1922-2008)

Dejan Medaković est un historien de l’ancienne Yougoslavie né à Zagreb, spécialiste de l’histoire de l’art, membre de l’Académie serbe des Sciences et des Arts et, de 1999 à 2003, président de cette institution. Il a orienté ses recherches dans de nombreux domaines de l’histoire de l’art et de la critique d’art, de l’art serbe médiéval jusqu’à la peinture contemporaine, même si ses domaines d’expertise concernaient d’abord l’art serbe baroque et les conditions culturelles au XVIIIe siècle, ainsi que l’art serbe du XIXe siècle. Il est l’auteur de plusieurs monographies et études en rapport avec le patrimoine culturel de l’église orthodoxe serbes (monastères de Hilandar ou Chilandar et de Savina). Parmi ses œuvres figurent également Les Chroniques des Serbes de Trieste, parues en 1987, Les Serbes à Vienne, Les Serbes à Zagreb, Les Images de Belgrade dans les gravures anciennes et Thèmes serbes choisis.
Outre ses ouvrages scientifiques, Dejan Medaković a également publié cinq recueils de poésies et un cycle autobiographique en prose intitulé Efemeris.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour septembre 2024

Les Grecs, les Perses et les Macédoniens sur le delta du Danube

« Alors que l’Antiquité aborde la seconde moitié du VIIe siècle avant notre ère, les Grecs originaires de Milet, la fameuse cité maritime du littoral asiatique de la mer Égée, dirigent leurs navires vers les bouches de l’Istros [Danube] et fondent Istria, au sud, dans le voisinage du cinquième bras.

Spiridon Ion Cepleanu — Travail personnel, according with H.E.Stier (dir.), « Westermann Grosser Atlas zur Weltgeschichte », 1985, ISBN 3-14-100919-8, p. 39 Colonisation grecque antique en Mer Noire

Bientôt se créeront d’autres colonies côtières, ainsi Tomis [ou Tomes], la future Constanţa, et puis, sur le fleuve même, au moment où il se divise, un port [Aegyssos] qui, vingt siècles plus tard, s’appellera Tulcea.

Istria, photo droits réservés

Principale source de richesses de ces cités — outre l’artisanat — le commerce, qui véhicule les premiers éléments de la civilisation méditerranéenne dans cette aire « carpato-istro-pontique », qu’habite la grande famille des Thraces. Le vin et l’huile grecque, les magnifiques vases peints de Milet et de Chios, de Rhodes et de Samos, de Corinthe et d’Athènes, les armes et les objets de parure en or finement ciselé sont échangés contre le grain et le miel, l’or et les esclaves, et aussi le poisson de l’Istros généreux, qui sera frappé sur les premières drachmes… Mais, puisque tel est le destin du Fleuve depuis que les hommes ont abordé sur ses rives, la région du delta connaîtra des heures moins pacifiques. Étendant son empire, le roi des Perses, Darius Ier [vers 522-vers 486 av. J.-C.], y poursuivra les Scythes, redoutables cavaliers et guerriers de souche iranienne, et traversera l’Istros, en 514 av. J.-C., sur un pont flottant fait de roseau. Deux siècles plus tard, en 335 av. J.-C., Alexandre le Grand [356-323 av. J.-C.] accomplit, fidèle à sa légende, un nouvel exploit militaire. Il réussit, de nuit, un débarquement éclair sur une île du fleuve où s’étaient repliées les Triballes, tribu thrace. Ses adversaires désemparés se réfugièrent dans une ville proche qu’Alexandre mit à sac.1

Alexandre le Grand sur son cheval Bucéphale, détail de la mosaïque romaine de Pompéi représentant la bataille d’Issos, musée national archéologique de Naples.

À l’active flotte des Grecs commerçants qui ne s’égare jamais dans le labyrinthe deltaïque et remonte la route ouverte de l’Istros et de certains de ses affluents, vont succéder, au fil de l’histoire, les trirèmes à trois rangées de rames superposées des Romains, les élégantes nefs byzantines, les caravelles génoises aux voiles triangulaires, les grandes galères à deux ponts de la sérénissime république de Venise, les orgueilleux vaisseaux de la Sublime Porte, les légers caïques cosaques, à voile ou à rames, pareils à des croissants de lune posés sur l’eau. Illustres ancêtres des remorqueurs et des péniches, des pousseurs, des barges et des chalands, des navires de haute mer et des tankers… De l’Istros au Danube, vingt-cinq siècles de navigation ! »
Bernard Pierre, Le Roman du Danube, « Delta blond et mer Noire », Plon, 1987

Notes :
1
 Auparavant, En 339 av. J.-C. Philippe II de Macédoine (vers 382-336 av. J.-C.) et père d’Alexandre le Grand, a remporté, à proximité du Danube, une victoire décisive sur les Scythes qui scelle le déclin de royaume des Scythes.
Quant à son fils, il profite de sa présence sur le Danube pour vaincre également les Gètes et rencontrer, selon l’historien et géographe grec Strabon (vers 60-vers 20 av. J.-C.), une ambassade celte :

 « Quand Alexandre eut vaincu les Gètes et rasé leur ville, sur le Danube, il lui vint des ambassades de tous côtés et entre autres des Gaulois, qui sont (dit-il) de « grands hommes ». Alexandre leur demande ce qu’ils craignaient le plus au monde, en s’attendant à ce que ces gens disent qu’ils ne craignaient rien plus que lui : mais il fut détrompé car il avait affaire à des gens qui ne s’estimaient pas moins que lui ; ils lui dirent que la chose de ce monde qu’ils craignaient le plus était que le ciel ne tombât sur eux, ce qui signifiait qu’ils ne craignaient rien. »
Strabon, 
Commentaires historiques

Carte de l’Europe avec le fleuve Ister selon Strabon

Hérodote, l’Ister et les fleuves de Scythie

Né vers 484 av. J.-C. à Halicarnasse en Carie, à l’emplacement de la ville actuelle de Bodrum en Turquie, mort aux alentours de 420 av. J.-C. à Thourioi, colonie grec de l’Italie du Sud, Hérodote (en grec ancien Ἡρόδοτος / Hêródotos, « donné par Héra ») est un extraordinaire et fascinant conteur qui parfois s’amuse à inventer des histoires et des anecdotes plus ou moins exactes mais un conteur » ça ne s’interrompt pas » comme l’écrit J. Lacarrière dans l’introduction de son livre En cheminant avec Hérodote. Considéré comme le premier historien de l’humanité, Hérodote a été surnommé le « Père de l’histoire » par Cicéron.

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Hérodote (vers 484-vers 420)

Au temps d’Hérodote, la mer Noire s’appelait le Pont-Euxin, le Danube l’Ister et le Pô l’Eridan.

Les fleuves de Scythie

   « Le Pont-Euxin vers lequel Darius se dirigeait avec son armée, contient les peuples les plus ignorants. Qu’on les prenne en groupe ou séparément, l’intelligence n’est pas leur fort, exception faite pour les Scythes et pour un homme du nom d’Anacharsis. Pour assurer leur sécurité, les Scythes ont inventé un astucieux stratagème, le seul qu’on puisse mettre à leur crédit, et ils ont admirablement résolu cette question primordiale puisque, en fait, aucun envahisseur ne peut leur échapper ni, à l’inverse, leur mettre la main dessus. Un peuple errant qui vit sans murailles et sans villes, un peuple de cavaliers et d’archers qui transportent avec eux leurs maisons, en somme un peuple nomade vivant uniquement de ses troupeaux et habitant sur des charriots n’est-il pas pratiquement insaisissable et invincible ? Il faut dire que le pays se prête à ce genre de vie et que les fleuves sont leurs meilleurs alliés. La Scythie est une vaste plaine où sources et herbages abondent, sillonnée de fleuves aussi nombreux que les canaux d’Égypte. Ces fleuves, les voici, les principaux du moins, c’est-dire ceux qui sont navigables à partir de leur embouchure : ce sont l’Ister (le Danube), le Tyras (Dniestr), L’Hypanis (le Boug), le Borysthène (Le Dniepr), le Panticapé (le Psel ?), l’Hypakyris (?), le Gerros et le Tanaïs (le Don).

L’Ister, le plus grand fleuve connu, a un débit égal, été comme hiver. C’est le plus occidental des fleuves de Scythie, et le plus important si l’on en juge par le nombre de ses affluents. Ces affluents sont : le Porata (que les Grecs appellent Pyréta), le Tarante (?), l’Arare (?), le Naparis (?) et l’Ordesse (?), tous coulant à travers la Scythie. Le Porata est le plus important des cinq et le plus à l’est.

Hérodote carte du monde (Figuier 1884)

La carte du monde vu par Hérodote (Jules Figuier, 1884)

L’Ister prend naissance chez les Celtes, qui sont, avec les Cynètes2, les derniers habitants de l’Europe, vers l’ouest, et traverse toute l’Europe avant d’obliquer vers la Scythie. Ce sont ses nombreux affluents, plus que son débit propre, qui font de l’Ister un fleuve si important. Réduit à son seul débit, il est largement supplanté par le Nil qui ne reçoit aucun affluent. Si l’Ister a un débit aussi égal, été comme hiver, je crois que la raison en est la suivante : son débit normal, à peu de choses près, est son débit d’hiver, car il neige beaucoup dans ces pays et il pleut très peu. L’été, toute cette neige se met à fondre et à grossir le fleuve ; à quoi s’ajoutent les pluies torrentielles et continuelles, l’été étant là-bas la saison des pluies. En somme les pertes d’eau dues à l’évaporation sont compensées par la fonte des neiges et l’apport des pluies, si bien que l’équilibre est rétabli et que l’Ister conserve un débit très régulier. »

Jacques Lacarrière, Méditerranées, « En cheminant avec Hérodote, Les fleuves de Scythie », Collection Bouquins, Robert Laffont, Paris, 2013

Notes :
1 Les Scythes sont un peuple de la Russie du sud, appartenant à la branche indo-iranienne du groupe indo-européen. Leur civilisation, nomade ou semi-sédentaire, se caractérise par l’usage du fer et du cheval, et par une division sociale tripartite (agricole, guerrière, religieuse).
2 Les Cynètes sont un peu peuple pré-romain non celte présent dans la péninsule ibérique sur les territoires actuels de l’Algarve et de l’Alentejo. Hérodote pensait que le Danube prenait sa source chez les Celtes près de la ville de  » Pyrène « .

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