L’île de Simian Une île riche en vestiges archéologiques, dont un cimetière du IIIe siècle avant notre ère, un habitat dace, des céramiques byzantines, ainsi que des vestiges des peuples migrateurs. L’île abritera un grand ensemble composé du Musée d’Ada Kaleh (la mosquée, quelques vestiges de la cité, des maisons de l’île d’Ada Kaleh transportées et réinstallées ici) ; du Musée d’archéologie (avec des vestiges de la zone des Portes de Fer ; du Musée du Village, aux habitations caractéristiques, des agglomérations situées en bordure du Danube (Dobova, Ogradina, Sviniţa) ; un village turc. Ce complexe sera également doté d’un parc, d’un camping et d’un village de vacances. Craïova—Drobeta-Turnu Severin—Timisoara in Roumanie, Guide Touristique, Éditions Touristiques – Bucarest, 1974
Un projet plus récent du Conseil du Judeţ de Mehedinți envisageait en 2010 de construire sur l’île un port, des hôtels, des cinémas, des restaurants, des campings, une plage, un centre international ouvert à tous les pays riverains du Danube y compris la Turquie en souvenir de la présence ottomane sur le Bas-Danube, un théâtre de plein air ainsi qu’un centre de recherche sur le Danube…
L’objectif de l’étude de faisabilité de ce projet et de la demande de financement adressée à l’UE était de soutenir le développement d’infrastructures et d’équipements touristiques sur l’île, de mettre en valeur son patrimoine (sic !) et de promouvoir son potentiel en tant que destination touristique avec l’obtention de fonds européens de développement régional. Ce projet n’a heureusement pas été mis en oeuvre pour diverses raisons.
Certains vieux habitants du village de Șimian (rive gauche) se souviennent encore de l’époque où une partie des vestiges historiques ont été déplacés d’Ada Kaleh sur l’île de Simian et du moment où les habitations de l’île turque furent détruites à l’explosif par l’armée roumaine avant qu’Ada Kaleh ne disparaisse, engloutie dans les eaux de la retenue de la centrale hydroélectrique comme en témoignent des documentaires de l’’époque.
Île de Simian, inscription turque
Une piscine fut même construite sur l’île de Simian par le régime communiste pour inciter les anciens habitants d’Ada Kaleh à s’y installer et encourager les touristes à la visiter mais sans succès. Comment oublier Ada Kaleh et son atmosphère idyllique d’un temps révolu ?
Le pêcheur et batelier du village de Simian, Daniel Claudiu Ciolănescu, familier du fleuve, n’hésitait pas dans sa jeunesse à traverser le fleuve à la nage pour rejoindre l’île.
Ne serait-il pas judicieux de protéger enfin intégralement ces sublimes îles danubiennes dont certaines, comme Simian, sont régulièrement sous la menace d’aménagements touristiques, de projets incongrus divers (on pense aux îles des environs du Parc National croate de Kopacki Rit et au projet plus libéral que libertaire de Liberland…) au nom de la protection de la biodiversité du fleuve, elle-même déjà bien affectée par de nombreuses réalisations sur ses rives ? Peut-être aussi, comme pour d’autres cours d’eau dans le monde, donner enfin au Danube un statut juridique.
La commune de Șimian (Olténie) d’où l’île tire son nom, malheureusement traversée par l’horrible route E 70 encombrée de camions quand il y a si peu de bateaux sur le fleuve, possède de remarquables trésors patrimoniaux parmi lesquels le monastère de la sainte Trinité de Cerneţi, la « cula » (habitation fortifiée) du héros révolutionnaire roumain Tudor Vladimirescu (1780-1821), la « cula » du pandoure Nistor, toutes deux en cours de restauration et un musée du village. Cerneți fut fondé après que le sultan ottoman Soliman le Magnifique (1494-1566), qui avait écrasé les armées hongroises à la bataille de Mohács, ait ordonné que toutes les pierres de la place forte de Turnu-Severin, construite en grande partie avec les matériaux de l’ancien Castrum romain, soient transportées sur la rive droite afin qu’une forteresse ottomane y soit édifiée. Les habitants de Turnu-Severin, pour se protéger des inondations déménagèrent en retrait du fleuve et fondèrent la cité de Cerneți, (« Cerniți », signifiant les gens endeuillés).
Des centrales hydroélectriques contestées…
Certains projets de barrages ont fait l’objet de vives contestations de la part d’une partie de la communauté scientifique et des habitants en Autriche (Greifenstein, Hainburg…). Le projet de barrage de Bös-Nagymaros en Hongrie, à la hauteur des magnifiques paysages du « Coude du Danube », projet qui devait compléter le dispositif hydroélectrique gigantesque construit en Slovaquie (Gabčikovo I et II), fut abandonné, sous la pression de la population et pour de légitimes raisons environnementales ce qui entraîna un conflit avec la Slovaquie et une démarche de la part de ce pays Slovaquie auprès de la Cour Internationale de Justice de La Haye. https://www.icj-cij.org/fr/affaire/92/resumes https://www.icj-cij.org › node › 101335
Le projet de construction de l’usine hydroélectrique de Hainburg, en aval de Vienne a également été abandonné après une mobilisation de scientifiques comme Konrad Lorenz, prix Nobel, d’écologistes tel Franz Weber et d’une grande partie de la population et dont le retentissement dépassa largement les frontières autrichiennes. La construction du barrage et de l’usine hydroélectrique aurait modifié considérablement l’écosystème des plaines alluviales danubiennes (Donau Auen), un des plus beaux sites naturels de ce type en Europe, site désormais protégé par la création d’un Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes. Un autre projet de centrale hydroélectrique, en aval de Grein dans la vallée sauvage de la Strudengau, ne se concrétisa pas non plus.
Projet de barrage et centrale hydroélectrique de Hainburg (Basse-Autriche), sources ORF
Barrages et usines hydroélectriques sur le Danube (point kilométrique et mise en service)
Construction de la centrale hydroélectrique d’Ybbs-Persenbeug, la première des centrales hydroélectriques construites sur le Danube autrichien, 1956, photo Archives Verbund
Melk (PK 2037, 96), 1982
Altenwörth (PK 1979, 83), 1976
Greifenstein (PK 1949, 18), 85
Nussdorf (Vienne)
La petite centrale hydroélectrique de Nußdorf est une centrale située à l’entrée du canal du Danube (rive droite). La centrale, qui produit environ 28 141 MWh par an, a été mise en service en 2005.
Freudenau (Vienne, PK 1921, 05), 1999 https://www.verbund.com › en-at
Slovaquie : Gabčikovo I (Čunovo) et canal de Gabčikovo, longueur : 38, 45 km (PK 1819, 15, entrée amont), 1982 Gabčikovo II (PK 1821 ou km 8, 30 du canal)
Serbie-Roumanie : Portes-de-Fer/Djerdap I (PK 943), la plus grande usine hydroélectrique en Europe, 1972 Portes-de-Fer/Djerdap II (PK 863, 7), 1983
L’usine électrique roumano-serbe des Portes-de-Fer/Djerdap I (photo Danube-culture, droits réservés)
L’Autriche, avec ses neufs barrages et usines électriques tire +/- 25 % de ses besoins en énergie du Danube, la Slovaquie 10 %, la Serbie 37 % et la Roumanie 27, 6 %.
Pour des informations complémentaires concernant les barrages : www.structurae.info/ouvrages/barrages
Centrales nucléaires :
5 centrales nucléaires bordent le fleuve dont 3 sont en activité :
La seule centrale nucléaire autrichienne a été construite au bord du fleuve à Zwentendorf, en amont de Vienne (PK 1976). Elle n’a jamais été mise en service suite à un référendum dont le résultat a été défavorable au projet. Elle sert aujourd’hui de centre de formation et de recherche en énergie solaire. Une troisième centrale nucléaire (la deuxième en activité) se trouve désormais en Hongrie à Paks (PK 1526).
La Bulgarie possède une seule centrale nucléaire, tristement célèbre pour ses problèmes de sécurité à Kozloduj (rive droite, PK 696). Quatre des 6 réacteurs ont déjà été arrêté à la suite de nombreux incidents. Ce pays a abandonné en 2012 le projet de construire une deuxième centrale nucléaire sur le Danube à Belene (PK 576) et semblerait vouloir désormais privilégier l’énergie éolienne.
Quant à la Roumanie elle a fait construire une centrale nucléaire au bord du canal Danube-mer Noire au sud de Cernovodǎ. Deux réacteurs sont en fonctionnement, deux autres en projet. L’origine du projet remonte à la période communiste.
Centrale nucléaire de Cernavoda en Roumanie, au bord du canal de la mer Noire (photo source wikipedia)
La centrale nucléaire autrichienne de Zwentendorf/Danube : un fantôme pour le présent
« Toute activité dans le domaine du nucléaire fut interdite à l’Autriche jusqu’en 1955. Celle-ci ne retrouva son indépendance que lors de la ratification du Traité d’État entre ce pays et les quatre puissances alliées occupantes (USA, Union soviétique, Royaume-Uni et France) le 26 octobre de cette même année.
La volonté de construire une centrale nucléaire en Autriche au bord du Danube date de l’époque du chancelier socialiste Bruno Kreisky (1911-1990). Celui-ci met en place au début des années soixante-dix avec le soutien presque unanime du monde économique et politique autrichien, un programme qui fait appel à l’atome et doit permettre à son pays de diminuer sa dépendance énergétique. L’emplacement de Zwentendorf (rive droite), en amont de Vienne, est choisi pour être la première des trois centrales sur la liste. Les travaux démarrent en 1972 pour une prévision de mise en marche en 1977. Mais certains évènements font que la centrale nucléaire ne fonctionnera jamais…
Zwentendorf est un village situé légèrement en retrait du Danube ; sur la place il y a un SPAR et quelques devantures fermées dont un café, visage typique et trop connu de ces lieux qui ont une forte activité puis qui l’ont perdu. mais ici nulle tristesse, la journée est belle et douce, le printemps est éclos, les merles chantent leur joie.
Nous empruntons les bords du Danube, nous avions déjà aperçu la centrale d’assez loin, un bloc parallélépipédique flanqué d’une grande cheminée.
Par cette magnifique journée, les cycle-randonneurs sont nombreux, la piste passe entre les berges herbeuses et les grilles peu défensives de la centrale. De toute évidence, tous ces retraités sur leurs vélos à assistance électrique ont pris un jour le dessus sur l’atome, certains s’arrêtent, jettent un oeil sur les panneaux d’information. Nous sommes au pied de cet énorme bloc de béton, flanqué à sa gauche d’un petit bâtiment administratif et centre d’information, où nous attend notre hôte.
Stefan Zach a le titre de « responsable de l’information et de la communication ». Il nous dira qu’il se charge aussi de la tonte des pelouses, on aura tendance à le croire malgré ce petit sourire moqueur qui ne le quittera pas tout au long de la visite.
Celle-ci est comme un hommage à un fantôme célébré par un amant ironique, amateur de cimetières par ailleurs. « Vous allez voir un lieu vraiment étrange » nous dit-il avant de nous raconter cette histoire moderne : l’Autriche a développé au début des années 70 un programme plutôt modeste d’implantation de centrales nucléaires ; la construction de la première d’entre elles à Zwentendorf, avec une réacteur et deux turbines de 700 mégawatts, a été démarrée en 1972 et achevée en 1976 ; il n’y avait plus qu’a tourner le bouton mais les nombreuses protestations, de plus en plus populaires, poussées par le parti « Verts » ont obligé le chancelier Kreisky à proposer un référendum. Parfaitement sûr de sa victoire, il engage son propre avenir politique sur le résultat. Alors qu’il pensait disposer de l’appui de la droite, sa manoeuvre incite celle-ci à l’opportunisme en appelant à voter pour l’arrêt du programme. Avec 30 000 voix d’écart seulement l’Autriche décide d’abandonner son programme de centrales nucléaires qui sera principalement remplacé par des centrales à charbon ou a gaz. La petite histoire retiendra que Kreisky ne quitta pas son poste… Un an plus tard, la population lui accordera à nouveau une large victoire à des élections politiques. Stefan, qui se présente comme un « écologiste romantique de droite », tirera sa conclusion : « une démocratie directe comme la nôtre, construit d’abord et demande après. »
Il fut décidé de garder la centrale comme si elle allait fonctionner le jour d’après. Les politiques trouveraient sans doute une solution pour changer les choses… C’est ainsi que deux cents personnes continuèrent à venir quotidiennement, payés à ne rien faire, de 1978 à 1985. 7ans d’ennui.
A place of permanent failures (Un lieu d’échecs permanents)
Stéphane nous rappelle toutes les tentatives mises en oeuvre pour faire vivre ce lieu : transformation en centrale à gaz, parc d’énergie solaire, parc de découvertes aventure, tournage d’un film d’aventures, projet d’aménagement architectural par Hundertwasser… le projet le plus fou présenté par un certain dUo Proksch fut un cimetière vertical. Toutes ces tentatives échouèrent.
Nous allons découvrir au cours de la visite elle-même à proximité du réacteur, la répétition d’une troupe de théâtre. La metteur en scène tenait préalablement la charcuterie du village avant qu’elle ne ferme. la malédiction évoquée par Stefan va-t-elle se réaliser ?
Nous sommes vite transportés dans un James Bond des années 70, qui ressemble aussi à un jeu de playmobil. Tous les équipements ont été conservés comme au dernier jour ou plutôt au premier jour qui ne fut pas, tout est impeccable.
Pourquoi la société EVN conserve-t-elle ce lieu qui lui coûte un demi-million par an ? « On ne sait jamais, ça peut servir un jour. » Stefan est en train d’éluder, cela coûterait certainement très cher de le démanteler et le foncier est magnifique, là coule un fleuve majestueux.
Il a été confié à Hunderwasser le soin de donner aux installations d’énergie d’EVN une image plus proche des aspirations d’aujourd’hui, ludique, propres, durables.
Antonio Chiriaco, Carnets du Danube (mai et juin 2022), carnet réalisé à l’occasion d’une exposition à Vincennes, du 11 au 18 septembre 2023, retraçant un voyage sur les rives du Danube en mai et juin 2022 avec Maurice Botbol.
Centrale hydro-électrique d’Altenwörth, PK 1979, 83, Basse-Autriche, photo droits réservés
Il n’y aura donc pas pour le moment du moins, de centrale nucléaire autrichienne, ni au bord du Danube ni ailleurs contrairement à certains autres pays que le fleuve traverse. L’Allemagne a toutefois fermé sa dernière centrale nucléaire en activité au bord du fleuve à Gundremmingen (Bavière) fin 2021. La Hongrie en possède une à Paks (rive droite 4 réacteurs) en aval à 100 km de Budapest (des travaux pour la construction de deux nouveaux réacteurs de conception russe ont commencé en 2022 pour une mise en service en 2029/2030), la Bulgarie une à Kozlodouï (rive droite, deux réacteurs en activité), la Roumanie une à Cernavodǎ (rive droite) en Dobrogée, au bord du canal de la mer Noire (deux réacteurs). Deux autres réacteurs sont en projet.
« Les femmes de l’île chantent des chansons traditionnelles. Elles essaient de chanter dans des tonalités plus élevées en faisant vibrer leurs voix cristallines […]. Les pêcheurs fredonnent des airs de récitatifs qu’ils terminent par des fins de phrases aiguës. […]. Puis le soir vient et Ada kaleh s’élève doucement à travers la phosphorescence de l’eau. »
Tout comme l’ancienne et proche cité roumaine d’Orşova et les îles Poreci, érigée à l’emplacement de la colonie romaine de Tierna et qui marquait la fin de la voie trajane, prouesse technique et humaine taillée dans les rochers le long du fleuve par les armées romaines, la minuscule mais singulière île danubienne d’Ada Kaleh (1,7 km de long sur 500 m de large) fut recouverte en 1970 par les eaux d’un lac artificiel, conséquence de la construction du premier des deux imposants barrages/centrales hydroélectriques roumano-serbe des Portes-de-Fer, Djerdap I.
Cette île en forme de croissant au milieu du grand fleuve, formée par les sédiments d’un affluent de la rive gauche roumaine, la rivière Cerna, fut submergée par la volonté des dictateurs roumains Gheorghe Gheorghiu-Dej (1901-1965) et Nicolae Ceauşescu ( 1918-1989) qui ne voyaient dans cette île « exotique » qu’un désuet et encombrant souvenir de la longue domination ottomane sur les principautés danubiennes de Moldavie et de Valachie. L’histoire de cette île remonte jusqu’à l’antiquité et à la mythologie grecque. Elle portait avant l’arrivée des turcs sur l’île au XIVe siècle encore, semble-t-il, son nom grec d’origine, Erythia. Hérodote la mentionne sous le nom de Cyraunis. Les chevaliers teutoniques la baptisèrent Saan. L’île répondit aussi aux noms de Ducepratum, l’île ville Ata / Ada, l’Ile forteresse, Ada-Kale, Ada-i-Kebir, l’île d’Orsova, la Nouvelle Orsova, Karolina, Neu Orsova… Les Serbes la mentionnent sous le nom d’Oršovostrvo, les Hongrois la nomment Uj-Orsova sziget et les Roumains continuent à l’appeler de son nom turc Ada Kaleh (l’île fortifiée).
La vieille Orsova, la Nouvelle Orsova et les récifs en aval, dessin du XVIIIe siècle
Certains archéologues supposent que l’empereur Trajan lors de la guerre daco-romaine de 101-102, aurait traverser le Danube avec ses légions juste à l’endroit où se trouvait l’île, après avoir fait construire un pont de bateaux qui s’appuyait sur celle-ci. L’existence d’un canal de navigation pourrait confirmer qu’Ada Kaleh, de par sa position stratégique pour la défense de l’accès au canal, devait être déjà peuplée durant les Ier et IIe siècles après J.-C.1
Pour l’archéologue serbe Vladimir Kondic, la forteresse romaine de Ducepratum ou Ducis pratum, utilisée du IVe au VIe siècle, aurait été construite sur l’île-même.2 « Une légende populaire de la région des Portes-de-Fer raconte qu’Hercule a séparé des rochers au lieu dit « Babakaï » ouvrant de ce fait les gorges du fleuve qui s’écoule vers la mer Noire. Les Valaques croient à un être surnaturel qu’ils appellent Dzuna, terme ressemblant beaucoup au mot Danube. Dzuna habite dans les profondeurs des eaux, sort de l’eau pour se laisser porter par le vent quand il souffle et on entend alors la musique de flûtes. Vue de la falaise, l’île d’Ada Kaleh ressemblait énormément par sa forme à un dragon dont la tête plongeait dans les profondeurs de Danube. Et selon de nombreuses croyances populaires de la région des Portes-de-Fer, on croit que la carpe, à partir d’un certain âge acquiert des ailes et sort de l’eau pour se transformer en dragon, d’où probablement la légende d’un combat mystique entre le héros populaire serbe Baba Novak et un terrible dragon de la région des Portes-de-Fer. Baba Novak coupa la tête du dragon qui dégringola de la colline et laissa des traces de sang formant la rivière Cerna sur la rive gauche confluant avec le grand fleuve près de l’île Saan-Ada Kale. L’origine du mot Saan renvoie au mot sang en latin et roumain, d’où une légende racontant que l’île aurait été créée soit à partir de la tête en sang du dragon, soit à partir de gouttes de ce sang versé à l’endroit où la rivière Cerna se jette dans le Danube. »5 L’île est mentionnée sur une carte autrichienne de 1716 sous le nom de Carolaina.
Plan de l’île d’Orsova, Nicolas de Sparr : Atlas du Cours du Danube avec les plans, vues et perspectives des villes, châteaux et abbayes qui se trouvent le long du cours de ce fleuve depuis Ulm jusqu’à Widdin dessiné sur les lieux, fait en MDCCLI.TM (1751), collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche de Vienne
Les avantages de l’emplacement stratégique de l’île permettant de contrôler la navigation sur le fleuve à un endroit où la largeur de celui-ci est restreinte en raison du relief traversé, sont remarqués par les armées de l’empire des Habsbourg qui, après avoir repoussé les Turcs au XVIIe siècle, la dote d’un solide dispositif de fortifications afin de se prémunir contre de nouvelles menaces ottomanes, transformant peu à peu l’île à chacune de leurs occupations, en une sorte de « Gibraltar » de l’occident en Europe orientale. Mais en 1739, suite au Traité de Belgrade entre l’Autriche et l’Empire ottoman, négocié avec l’aide de la France, l’île est rendue à la Sublime Porte ainsi que la Serbie et Belgrade. Elle sera difficilement reconquise par l’Empire autrichien en 1790 lors d’une nouvelle guerre austro-turque et demeurera par la suite ottomane jusqu’en 1918.
Ada Kaleh (Neu Orsova) sur la carte de Pasetti
Elle fut étonnement (volontairement ?) un des « oublis » des négociations du Congrès de Berlin (1878). Occupée de force par les armées austro-hongroises au moment de la Première guerre mondiale, Ada Kaleh devient officiellement un territoire roumain suite au Traité de Lausanne (1923). Les autorités du royaume de Roumanie laissent la jouissance de l’île à la population turque insulaire tout en lui donnant un statut fiscal avantageux, statut qui encourage la contrebande de diverses marchandises.
Elles la dotent en même temps de nouvelles infrastructures, construisent une école officiant en roumain et en turc, une église orthodoxe, une mosquée, une mairie, un bureau de poste, une bibliothèque, un cinéma, des fabriques de cigarettes, de loukoums, de nougats, des ateliers de couture et y installent même une station de radio !
Intérieur de la mosquée
La réputation grandissante de l’île lui permet d’attirer alors de nombreux visiteurs6 au nombre desquels le roi Carol II de Roumanie, des dignitaires du régime communiste et des curistes de la station thermale proche de Băile Herculane (Herkulesbad, les Bains d’Hercule). On raconte aussi que des tunnels auraient été creusés et remis en service par des trafiquants de marchandises sous le fleuve depuis l’île vers la rive droite yougoslave7. Les habitants y vivent de la fabrication de tapis, de la transformation du tabac, de la fabrication du sucre oriental rakat, d’autres produits non imposés, du tourisme et profitent sans doute aussi de diverses contrebandes.
Boite de lokoums « La favorite du sultan » d’Ada Kaleh
Il ne reste qu’un peu moins d’un demi-siècle avant sa disparition définitive, rayée de la carte par la dictature communiste. Mais qui sait si Ada Kaleh dont le minaret de la mosquée réapparaît parfois en période de basses-eaux du Danube, comme pour rappeler sa présence silencieuse sous les eaux assagies par la construction du barrage, ne redeviendra pas un jour ce qu’elle fut autrefois ?
Ada Kaleh, photo Rudolf Koller, 1931, collection Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne
Informés du projet mégalomane les habitants turcs commencent à déserter « l’île sublime » bien avant le début des travaux du barrage. Certains choisissent de repartir en Turquie, d’autres s’installent dans la région de la Dobroudja, à Constanţa qui a conservé un quartier turc ou à Bucarest, attendant vainement la réalisation de la promesse du gouvernement roumain d’être rapatriés avec le patrimoine d’Ada Kaleh sur l’île toute proche en aval de Şimian (PK 927). Mais le projet de second barrage en aval, près de Gogoşu, (PK 877) qui commence dès 1973 et dont le lac de retenu aurait du à son tour noyé cette terre d’accueil, décourage les habitants de s’y installer. Il reste encore aujourd’hui sur cette petite île abandonnée, au milieu d’une végétation abondante, des ruines de ce nouveau paradis turc perdu. Des villages voisins serbes et roumains des bords du fleuve, Berchorova, Eșelnița, Jupalnic, Dubova, Tufari, Opradena, l’ancienne Orşova, d’autres îles des environs d’Ada Kaleh, des sites archéologiques remarquables, subissent le même sort.
Quelques monuments et maisons furent malgré tout reconstruits sur l’île de Simian mais l’architecture et l’ambiance insulaire ottomane unique des petits cafés, des ruelles pittoresques, de la mosquée à la décoration élégante, des bazars turcs d’Ada Kaleh, de ses ruelles pittoresques et de ses jardins parfumés, disparurent dans les flots de la nouvelle retenue.
Le bazar d’Ada Kaleh en 1912
« Je me souviens encore de l’odeur du tableau Ada Kaleh quand je sautais de mon lit. L’île verte avec son minaret jaune pâle […] et la femme turque peinte au premier plan lévitait sur les profondeurs vert Nil du Danube […] Ma chambre était pleine jusqu’au plafond de cette odeur d’huile de lin et quand j’ouvrais la fenêtre, je le voyais littérairement se déverser et couler en cascades le long des cinq étages de façade rugueuse de notre immeuble en préfabriqué… » Mircea. Cărtărescu, « Ada-Kaleh, Ada-Kaleh », Fata de la marginea vieţii, povestiri alese, Humanitas, Bucarest, 2014
Notes : 1 Srdjan Adamovicz, « Ada Kaleh histoire et légende d’une Atlantide danubienne » https://doi.org/10.4000/cher.13140 2 idem 3 idem 4 idem 5 Cartarescu Mircea « Ada Kaleh, Ada Kaleh (Vallée du Danube/Roumanie) », dans Last andLost, Atlas d’une Europe fantôme, sous la direction de Katharina Raabe et Monika Sznajderman. Traduit du roumain par Laure Hinckel, Éditions Noir sur Blanc 2007, p. 155-173, cité par Srdjan Adamovicz, dans « Ada Kaleh histoire et légende d’une Atlantide danubienne », opus citatum. 6 Voir l’article L’expérience de l’Orient : le tourisme sur l’île danubienne submergée d’Ada Kaleh (1878-1918, 1ère partie) 7 Tunnels sous le Danube : un secret non résolu. L’infatigable voyageur M.T. Romano raconte que, dans l’entre-deux-guerres, on pouvait encore voir des traces des tunnels depuis les rives du Danube du côté serbe. Il affirmait que, selon les habitants, une autre galerie communiquait avec la rive roumaine et concluait que de tels travaux avaient dû soulever de nombreuses difficultés. Les murs de la forteresse, d’une épaisseur maximale de 25 mètres, avaient résisté, en 1737, pendant 69 jours, aux deux sièges turcs. En 1810, les drapeaux russes sont hissés brièvement sur l’île par le bataillon dirigé par Tudor Vladimirescu.
Documentaires : The Turkish Enclave of Ada Kaleh, documentaire de Franck Hofman, Paul Tutsek et Ingrid Schramme pour la Deutsche Welle (en langue anglaise) https://youtu.be/pNOLbkE4524 Le dernier printemps d’Adah Kaleh (1968) et Adah Kaleh, le Sérail disparu (en roumain) npdjerdap.org
Amand Helm, photographe, Ada-Kaleh et Fort Élisabeth (Portes-de-Fer)
Né à Teplice au nord des Pays de Bohême, territoire tchèque appartenant alors à l’Empire des Habsbourg, Amand Helm ouvre son premier studio de photographie sur la place Venceslas à Prague puis dès le milieu des années 1860, travaille à Vienne et en Basse-Autriche, photographiant parfois des projets de construction de lignes et ouvrages de chemins de fer, comme celui du prince héritier Rodolphe de Habsbourg. En 1868-1869, il prend des clichés de quelques-uns des sites les plus remarquables le long du Danube, de ses sources au delta, photos à partir desquelles il élabore son « Donau-Album ». Les paysages danubiens s’apparentent à des peintures vedutistes et témoignent presque des derniers moments d’une nature et de paysages anciens, avant les premiers bouleversements de la révolution industrielle, révolution qui débute tardivement en Europe centrale.
L’histoire de la provenance de la photo, qui a appartenu au géographe français Élisée Reclus (1830-1905) et qu’il a offerteà la Bibliothèque nationale de France en 1886, connaît toutefois un autre rebondissement. Contraint à l’exil par son activisme pendant la Commune de Paris, E. Reclus rédige pendant son séjour en Suisse, sa monumentale Nouvelle Géographie Universelle en 19 volumes. Elle sera publiée par la Librairie Hachette. Le troisième volume, publié en 1878, est consacré à l’Europe centrale, Autriche-Hongrie, Allemagne.
Ada-Kaleh et Fort Élisabeth, gravure colorée, vers 1830
Fort Élisabeth a été construit en 1736 sur la rive droite du Danube, non loin de l’actuelle Tekija qui appartient à la commune de Kladovo (Serbie). Cette rivedroite serbe du Danube était également sous la domination des Habsbourg après la paix de Passarowitz (1718), selon l’historien Miloš Petrović. Les travaux de construction ont été dirigés par Johann Andreas von Hamilton (1679-1738), un militaire d’origine écossaise au service de l’Autriche, commandant en chef et gouverneur militaire du Banat, successeur du comte lorrain Claude Florimond de Mercy. L’éponyme n’était autre que l’épouse du roi Charles III de Hongrie, la mère de la reine Marie-Thérèse, la princesse Élisabeth Krisztina de Brunswick-Wolfenbuettel, considérée comme la plus belle femme de son temps. Ce fort faisait partie d’un ensemble de fortifications édifiées sur l’île d’Ada-Kaleh dans le but de contrôler la frontière du Danube et les navires qui l’empruntaient. L’ouvrage comportait plusieurs niveaux. La partie centrale se trouvait au niveau du Danube avec une tour de guet construite sur la colline escarpée la surplombant. Selon certaines légendes, un tunnel sous-marin la reliait à Ada-Kaleh. Dans la réalité un pont temporaire en bois reliait les fortifications insulaires à celles de la rive droite. Fort Élisabeth continua d’exister et de s’étendre après son transfert des mains autrichiennes aux Ottomans. Il fut encore régulièrement représenté sur les cartes du Bas-Danube, plus récemment sur la section du « Second Military Survey » (1858). Bien que la région autour du fort, ait été intégrée à la Principauté de Serbie en 1833, Fort Élisabeth resta curieusement sous administration directe de l’Empire ottoman, quelque 500 soldats turcs y étant stationnés jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Fort Élisabeth a été démoli par l’État serbe nouvellement indépendant dès 1868 à la demande des Turcs. Les ruines ont été exploitées par la population, puis les restes détruits dans la construction d’une route le long du fleuve. Les ruines des parties inférieures ont été submergées en même temps que l’île voisine d’Ada-Kaleh, au moment de la construction de la centrale électrique Djerdap I. Le niveau du Danube a été rehaussé d’environ 30 mètres sur ce tronçon et la route côtière elle-même inondée a été reconstruite au-dessus, creusant des entailles indélébiles sur les flancs des montagnes qui s’élèvent à l’arrière-plan.
On peut simplement résumer brièvement l’importance de cette photographie exceptionnelle d’Amand Helm comme étant probablement l’un des premiers clichés d’Ada-Kaleh telle qu’elle fut autrefois et la dernière et unique photographie connue de Fort Élisabeth.
Notes : 1 « Le progrès a aujourd’hui immergé l’ensemble de ce paysage. Un voyageur assis à ma vieille table sur l’embarcadère d’Orşova serait obligé de l’envisager à travers un gros disque de verre monté sur charnière de cuivre ; ce dernier encadrerait une perspective de boue et de vase. Le spectateur serait en effet chaussé de plomb, coiffé d’un casque de scaphandrier et relié par cent pieds de tubes à oxygène à un bateau ancré dix-huit brasses plus haut. Parcourant un ou deux milles vers l’aval, il se traînerait péniblement jusqu’à l’île détrempée, au milieu des maisons turques noyées ; vers l’amont il trébucherait entre les herbes et les éboulis jonchant la route du comte Széchenyi pour discerner de l’autre côté du gouffre obscur les vestiges de Trajan ; et tout autour, au-dessus et en-dessous, l’abîme sombre baillerait, les rapides où se précipitaient naguère les courants, où les cataractes frémissaient d’une rive à l’autre, où les échos zigzaguaient le long des vertigineuses crevasses, étant engloutis dans le silence du déluge. Alors, peut-être, un rayon hésitant dévoilerait l’épave éventrée d’un village ; puis un autre, et encore un autre, tous avalés par la boue. Il pourrait s’épuiser à arpenter bien des jours ces lugubres parages, car la Roumanie et la Yougoslavie ont bâti l’un des plus gros barrages de béton et l’une des plus grosses usines hydroélectriques du monde entier, en travers des Portes de Fer. Cent trente milles du Danube se sont transformés en une vaste mare, qui a gonflé et totalement défiguré le cours du fleuve. Elle a supprimé les canyons, changé les escarpements vertigineux en douces collines, gravi la belle vallée de la Cerna presque jusqu’aux Bains d’Hercule. Des milliers d’habitants, à Orşova et dans les hameaux du bord de l’eau, ont du être déracinés et transplantés ailleurs. Les insulaires d’Ada-Kaleh ont été déplacés sur une autre île en aval, et leur vieille terre a disparu sous la surface comme si elle n’avait jamais existé. Espérons que l’énergie engendrée par le barrage a répandu le bien-être sur l’une et l’autre rive, en éclairant plus brillamment que jamais les villes roumaines et yougoslaves, car, sauf du point de vue économique, les dommages causés sont irréparables. Peut-être, avec le temps et l’amnésie, les gens oublieront-ils l’étendue de leur perte. D’autres ont fait mal, ou pis ; mais il est patent qu’on n’a jamais vu nulle part aussi complète destruction des souvenirs historiques, de la beauté naturelle et de la vie sauvage. Mes pensées vont à mon ami d’Autriche, cet érudit qui songeait aux milliers de milles encore libres que les poissons pouvaient parcourir depuis la Krim Tartarie jusqu’à la Forêt-Noire, dans les deux sens ; en quels termes, en 1934, avait-il déploré le barrage hydroélectrique prévu à Persenbeug, en Haute-Autriche : « Tout va disparaître ! Ils feront du fleuve le plus capricieux d’Europe un égout municipal. Tous ces poissons de l’Orient ! Ils ne reviendront jamais. Jamais, jamais, jamais ! Ce nouveau lac informe a supprimé tout danger pour la navigation, et le scaphandrier ne trouverait que l’orbite vide de la mosquée : on l’a déplacée pierre par pierre pour la reconstruire sur le nouveau site des Turcs, et je crois qu’on a soumis l’église principale au même traitement. Ces louables efforts pour se faire pardonner une gigantesque spoliation ont ravi à ces eaux hantées leur dernier vestige de mystère. Aucun risque qu’un voyageur imaginatif ou trop romantique croit entendre l’appel à la prière sorti des profondeurs ; il ne connaîtra pas les illusoires vibrations des cloches noyées comme à Ys, autour de la cathédrale engloutie : ou bien dans la légendaire ville de Kitège, près de la moyenne Volga, non loin de Nijni-Novgorod. Poètes et conteurs disent qu’elle disparu dans la terre lors de l’invasion de Batu Khan. Par la suite, elle fut avalé par un lac et certains élus peuvent parfois percevoir le chant des cloches. Mais pas ici : mythes, voix perdues, histoire et ouï-dire ont tous été vaincus, en ne laissant qu’une vallée d’ombres. On a suivi à la lettre le conseil goethéen : « Bewahre Dich von Raüber und Ritter und Gespentergeschichten », et tout s’est enfui… »
Patrick Leigh Fermor, « La rançon du progrès ou « Quelques réflexions à la table d’un café, entre le Kazan et les Portes de Fer », in Dans la nuit et le vent, À pied de Londres à Constantinople (1933-1935), traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve, Éditions Nevicata, Bruxelles, 2016
Patrick Leigh Fermor : « quelques réflexions à la table d’un café, entre le Kazan et les Portes-de-Fer »
D’impressionnants et nombreux bateaux de croisière franchissent désormais cette succession de défilés assagis grâce au lac de retenu de la centrale hydro-électrique qui remonte loin, très loin et dont l’influence se fait sentir jusqu’à 150 km en amont. Ces défilés furent aussi, avant de devenir territoires roumains (rive gauche) et serbes (rive droite). pendant plusieurs siècles, des lieux d’affrontements entre l’Empire ottoman et le Saint Empire romain germanique dont faisaient partie le royaume de Hongrie et l’archiduché d’Autriche.
« Le progrès a aujourd’hui immergé l’ensemble de ce paysage. Un voyageur assis à ma vieille table sur l’embarcadère d’Orşova serait obligé de l’envisager à travers un gros disque de verre monté sur charnière de cuivre ; ce dernier encadrerait une perspective de boue et de vase. Le spectateur serait en effet chaussé de plomb, coiffé d’un casque de scaphandrier et relié par cent pieds de tubes à oxygène à un bateau ancré dix-huit brasses plus haut. Parcourant un ou deux milles vers l’aval, il se traînerait péniblement jusqu’à l’île détrempée, au milieu des maisons turques noyées ; vers l’amont il trébucherait entre les herbes et les éboulis jonchant la route du comte Széchenyi pour discerner de l’autre côté du gouffre obscur les vestiges de Trajan ; et tout autour, au-dessus et en-dessous, l’abîme sombre baillerait, les rapides où se précipitaient naguère les courants, où les cataractes frémissaient d’une rive à l’autre, où les échos zigzaguaient le long des vertigineuses crevasses, étant engloutis dans le silence du déluge. Alors, peut-être, un rayon hésitant dévoilerait l’épave éventrée d’un village ; puis un autre, et encore un autre, tous avalés par la boue. Il pourrait s’épuiser à arpenter bien des jours ces lugubres parages, car la Roumanie et la Yougoslavie ont bâti l’un des plus gros barrages de béton et l’une des plus grosses usines hydroélectriques du monde entier, en travers des Portes de Fer. Cent trente milles du Danube se sont transformés en une vaste mare, qui a gonflé et totalement défiguré le cours du fleuve. Elle a supprimé les canyons, changé les escarpements vertigineux en douces collines, gravi la belle vallée de la Cerna presque jusqu’aux Bains d’Hercule. Des milliers d’habitants, à Orşova et dans les hameaux du bord de l’eau, ont du être déracinés et transplantés ailleurs. Les insulaires d’Ada Kaleh ont été déplacés sur une autre île en aval, et leur vieille terre a disparu sous la surface comme si elle n’avait jamais existé. Espérons que l’énergie engendrée par le barrage a répandu le bien-être sur l’une et l’autre rive, en éclairant plus brillamment que jamais les villes roumaines et yougoslaves, car, sauf du point de vue économique, les dommages causés sont irréparables. Peut-être, avec le temps et l’amnésie, les gens oublieront-ils l’étendue de leur perte.
D’autres ont fait mal, ou pis ; mais il est patent qu’on n’a jamais vu nulle part aussi complète destruction des souvenirs historiques, de la beauté naturelle et de la vie sauvage. Mes pensées vont à mon ami d’Autriche, cet érudit qui songeait aux milliers de milles encore libres que les poissons pouvaient parcourir depuis la Krim Tartarie jusqu’à la Forêt-Noire, dans les deux sens ; en quels termes, en 1934, avait-il déploré le barrage hydroélectrique prévu à Persenbeug, en Haute-Autriche : « Tout va disparaître ! Ils feront du fleuve le plus capricieux d’Europe un égout municipal. Tous ces poissons de l’Orient ! Ils ne reviendront jamais. Jamais, jamais, jamais !
Ce nouveau lac informe a supprimé tout danger pour la navigation, et le scaphandrier ne trouverait que l’orbite vide de la mosquée : on l’a déplacée pierre par pierre pour la reconstruire sur le nouveau site des Turcs, et je crois qu’on a soumis l’église principale au même traitement. Ces louables efforts pour se faire pardonner une gigantesque spoliation ont ravi à ces eaux hantées leur dernier vestige de mystère. Aucun risque qu’un voyageur imaginatif ou trop romantique croit entendre l’appel à la prière sorti des profondeurs ; il ne connaîtra pas les illusoires vibrations des cloches noyées comme à Ys, autour de la cathédrale engloutie : ou bien dans la légendaire ville de Kitège, près de la moyenne Volga, non loin de Nijni-Novgorod. Poètes et conteurs disent qu’elle disparu dans la terre lors de l’invasion de Batu Khan. Par la suite, elle fut avalé par un lac et certains élus peuvent parfois percevoir le chant des cloches. Mais pas ici : mythes, voix perdues, histoire et ouï-dire ont tous été vaincus, en ne laissant qu’une vallée d’ombres. On a suivi à la lettre le conseil goethéen : « Bewahre Dich von Raüber und Ritter und Gespentergeschichten », et tout s’est enfui… »
Patrick Leigh Fermor, « La rançon du progrès ou « Quelques réflexions à la table d’un café, entre le Kazan et les Portes de Fer », in Dans la nuit et le vent, À pied de Londres à Constantinople (1933-1935), traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve, Éditions Nevicata, Bruxelles, 2016
Le chenal navigable à la hauteur du passage des Portes-de-Fer après la Seconde Guerre mondiale (PK 951-944)
Des pilotes locaux avertis et audacieux, furent sollicités pendant longtemps pour traverser ce défilé. Puis de nombreux travaux d’aménagements (dynamitage des rochers dans le lit du fleuve, construction du canal de Sip et d’une voie de chemin de fer pour tracter les bateaux vers l’amont…) furent entrepris au XIXe siècle, améliorant en partie la navigation sans toutefois réussir à la sécuriser entièrement. Ce n’est que depuis que le barrage de Djerdap I avec son immense lac de retenue a été construit et mis en eau (1972) que celle-ci peut se fait désormais sans encombre.
Le schéma reproduit ci-dessous indique l’étroit chenal qui devait être emprunté après la deuxième guerre mondiale par les bateaux au niveau du défilé des Portes- de-Fer entre les PK 951 et 944.
La navigation sur le Danube dans les Portes-de-Fer : sur la gauche du schéma l’extrémité aval de l’île d’Adah-Kaleh (chenal à babord), noyée désormais dans les eaux de la retenue du barrage de Djerdap I. C’est en aval de cette île que commençait autrefois les difficultés de navigation et le délicat passage de Sip (PK 947-944 env.).
Kanalstrecke : chenal navigable
Fahrlinie bei Normalwasser mit Ausweichstellen und Kehren : trajectoire à suivre lors d’un débit moyen avec aire de stationnement et de demi-tour
Befahrbare : Zone bei Hochwasser : limite du chenal de navigation par hautes eaux
Bojen (alle bojen rot und weiß) : toutes les balises de navigation rouges et blanches
949 : point kilométrique
Damm : digue
Treidelbahn : chemin de fer de halage (Canal de Sip)
Felsen : rochers dans le lit du fleuve
Sand-u. Schotteruntiefen : bancs de sable et de graviers affleurant.
Sources : Hans G. Prager, « Die Katarakte » in Was weißt du vom Donaustrom ?, FRANCKH’SCHE VERLAGSHANDLUNG, STUTTGART, 1962
Le canal de Sip permettait d’éviter le banc rocheux de Prigada au milieu du fleuve. Les puissantes locomotives à vapeur de la voie de chemin de fer vinrent par la suite en aide aux remorqueurs pour haler les convois dans ce passage parmi les plus difficiles de tout le Danube.
Le roi Alexandre Ier de Serbie (1876-1903) et son épouse la reine Draga (1861 ?-1903) lors de l’inauguration du canal de Sip
En raison d’erreur de calculs et malgré l’ampleur des travaux, il s’avéra que ce canal long de 2133 m, large de 73 m et profond de 3, 90 m (3 m par période de basses-eaux), ne permettait pas de régler définitivement le problème de la navigation à cet endroit.
Le vapeur Ferenc József (François-Joseph) de la compagnie hongroise de navigation M.F.T.R. dans le canal de Sip lors de l’inauguration, le 27 septembre 1896, photohttp://orsova.xhost.ro/_sgg/f10000.htm
Un fort courant imprévu pouvant atteindre une vitesse de 18 km/heure s’engouffrait entre les digues. Aussi il fut nécessaire, dès 1899, de faire appel à un puissant remorqueur à vapeur, le Vaskapu (Portes-de-Fer), construit spécifiquement à cet effet et qui tirait les convois vers l’amont à l’aide d’un câble s’enroulant sur un treuil.
Une première voie ferrée, longue de 1800 m, est construite le long du canal en 1916 pendant la première guerre mondiale par les armées d’occupation allemandes et exploitée jusqu’en 1918 puis démontée par ces mêmes armées pendant leur retraite en 1918. Elle est ensuite réinstallée par le gouvernement serbe et étendue à une longueur de 2 630 m après la fin du conflit (les sources diffèrent sur la longueur totale de la voie ferrée). Onze locomotives roulant sur une voie à écartement standard servent alors à haler les convois vers l’amont dans le canal en appui de remorqueurs. Aux locomotives est attelé un wagon plateforme avec un « tambour » sur lequel s’enroule ou se déroule suivant la manoeuvre un câble de halage actionné par un opérateur. Ce système de traction est ensuite exploité par la compagnie de bateaux à vapeur autrichienne D. D. S. G. dans les années trente.
Traduction de la légende : Alter Schiffahrtsweg : ancienne route fluviale, T-T (Treidelbahn) voie du chemin de fer de halage, D (Dampfer) : remorqueur, LW (Lokomotive und Treidelwagen) : locomotive et wagon de halage, S1 S2 (Schlepper ?) : barges, H (Heizhaus und Werkstätte) : chaufferie et ateliers, K (Wohnhaus und Kommandant) : logement et commandant, sources iconographique Wikipedia
Pendant la construction du canal de Sip (1890-1896)
Le canal de Sip futun passage hautement stratégique pour le régime nazi pendant la seconde guerre mondiale. Une grande partie des exportations de pétrole roumain vers l’Allemagne remontait le Danube et transitait par les Portes-de-Fer.
Après le coup d’État du mois de mars 1941 qui renversa la régence et le gouvernement pro-allemand yougoslave, signataire du pacte tripartite, les armées de ce pays, face à une menace imminente d’invasion allemande, préparèrent activement le blocage du canal de Sip. Elles prévoyaient de couler des péniches tirées par un remorqueur remplies de béton ainsi que de détruire la voie ferrée et les autres installations. Mais Hitler décida d’anticiper l’invasion du royaume de Yougoslavie. Des soldats allemands, déguisés en civil traversèrent le Danube. Leur objectif était de détourner l’attention des militaires yougoslaves préposés à la garde du canal avec l’organisation d’une fête dans la commune de Kladovo dont le maire était un indicateur du régime nazi. Les militairesyougoslaves furent pris au piège et massacrés. Les soldats allemands désamorcèrent ensuite les explosifs. Le remorqueur yougoslave se mit malgré tout en route mais face aux tirs allemands, dut abandonner prématurément les péniches qu’il tractait et les coula sans qu’elles obstruent l’entrée du canal et empêchent les bateaux d’y pénétrer. Le chemin de fer du canal fut remis en service après la seconde guerre mondiale et exploité par la Yougoslavie jusqu’en 1969.
Les capitaines des bateaux remontant le Danube transmettaient leurs instructions au commandant du chemin de fer et aux mécaniciens des locomotives. Ceux qui refusaient de faire appel à leur service étaient rares et se voyaient menacer de ne pas être rembourser d’éventuels dommages ou perte de cargaison en cas d’accident par les compagnies d’assurance. Épilogue de cette aventure technique étonnante la mise en eau en 1969, six mois plus tôt que prévu, de la retenue de la centrale hydroélectrique de Djerdap I (PK 943) mit un terme définitif aux activités du canal de Sip et du halage par locomotives et remorqueurs associés. Les digues, la voie ferrée, les installations et deux des magnifiques locomotives des Chemins de Fer yougoslaves, construites par les usines berlinoises Borsig en 1930, disparurent définitivement au fond de l’eau sans que personne ne songea à sauver ces superbes machines à vapeur de la noyade.
« Sur la photo (document Guy Matignon) la locomotive est ornée de l’étoile rouge, nous sommes sur la rive droite du Danube, en Yougoslavie (Serbie). Rien ne nous indique à quoi sert la seconde voie. Aucune ligne ferroviaire utilisait ce bref tronçon qui n’était de toutes façons pas raccordé au reste du réseau yougoslave.
Hypothèse : La locomotive ne travaille que dans un seul sens, de l’aval vers l’amont. La section équipée ne mesure que trois kilomètres, là où c’est nécessaire. Il n’y a pas de dispositif de retournement aux extrémités et de toutes façons il n’y a évidemment pas besoin de traction en descendant le courant. Donc les machines refoulent haut-le-pied en utilisant la seconde voie pour croiser les autres locomotives. Au loin, en avant des deux bateaux, on devine deux objets sur la voie. Serait-ce deux autres équipages de remorquage ? On remarquera sur la locomotive des écrans pare-fumée qui permettent de penser que ce matériel étaitsans doute initialement ou également destiné à un autre usage car ces écrans n’ont d’intérêt qu’au delà d’une certaine vitesse, inimaginable en traction de bateaux. Selon la liste des locomotives employées pour le halage des bateaux dans le canal de Sip, plusieurs types de machines, des loco-tender comme les lourdes locomotives 150 équipées de ces écrans pare-fumée ont été en service de halage dans les Portes-de-Fer. »
Sources : « Sipska lokomotiva i locovi na Dunavu », www.kulturakladovo.rs Краљевина Југославија у Међународној дунавској комисији, каталог изложбе, Архив Југославије, Београд, 2016, Јелена Ђуришић (Kingdom of Yugoslavia in the International Danube Commission, exhibition catalogue by Jelena Đurišić) Archive of Yugoslavia, Belgrade, 2016 Zimmermann, Maurice, La navigation du Danube et le canal des Portes de Fer, In: Annales de Géographie, t. 8, n°40, 1899. pp. 375-376 https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1899_num_8_40_6132
Et les îles Poreci disparurent sous les eaux du lac de retenue de la centrale hydroélectrique des Portes-de-Fer…
La petite cité de Donji Milanovac (Serbie, rive droite, PK 991), avant la construction du barrage des Portes-de-Fer Djerdap I, photo droits réservés
C’est dans le village insulaire de Poreci qu’est né Baba (Starina) Novak (Старина Новак, vers 1521-1601), général de l’armée du prince Mihai Viteazul (Michel Ier le Brave, 1558-1601) et qui mena avec son frère Radu et son fils Gruia, une lutte farouche contre l’occupant ottoman.
Baba (Starisa) Novak (vers 1521-1601)
Baba (Starina) Novak était un Haïdouk (brigand et rebelle) serbe. Il s’illustra dans les guerres et révoltes contre l’Empire occupant ottoman et est considéré comme un héros national par les Serbes ainsi que par les Roumains.
Né aux alentours de 1530, descendant d’une famille du Timok, il étudie au monastère orthodoxe de Poreč et parle couramment le serbe, le vieux slavon, le roumain et le grec. Il commence sa vie de haïdouk dès son plus jeune âge après avoir été emprisonné et sévèrement battu par les Ottomans qui lui cassent toutes ses dents d’où son surnom de Stanisa Novak (Vieux Novak). Il quitte son village insulaire et se réfugie dans les forêts de la vallée de Timok où il apprend rapidement le maniement des armes auprès d’un « harambaša » (commandant des haïdouks), constituant ensuite sa propre bande et commençant ses combats contre l’occupant turc. Sa forte et courageuse personnalité et ses prouesses de combattant entrainent le ralliement de nombreux hommes à sa cause.
Les deux îles Poreci englouties par la mise en eau de la retenue de la centrale hydroélectrique des Portes-de-Fer Djerdap I, source Dunai szigetek
Baba (Starina) Novak est mentionné en 1595 comme appartenant aux armées du prince valaque Mihai Viteazul (Michel le Brave) qu’il rejoint dans la région du Banat, recevant le grade de capitaine avec 2 000 haïdouks serbes sous ses ordres. Ses troupes participent à la prise de Călugăreni, libèrent les villes de Târgoviște, Bucarest et Giurgiu sur la rive gauche du Danube en octobre de la même année et sont présentes au siège Sofia ce qui leur vaut une grande réputation après que Baba (Starisa) Novak et ses 700 soldats trompent les Turcs en changeant d’itinéraire à travers les Balkans, réussissant à les attaquer par surprise en ne laissant derrière eux que huit soldats et en capturant de vastes quantités de bétail et de provisions. En 1598, ses troupes qui réunissent des Serbes mais aussi quelques Bulgares, se joignent aux soldats de Michel le Brave et, constituant une armée de 16 000 hommes, libèrent Plevna, Rahovo, Vratsa, Vidin et Florentin. Les Serbes et les Bulgares des villes reconquises fêtent avec les haïdouks leur victoire par immense festin. En 1599, une armée de plus de 50 000 hommes sous le commandement de Bordj Mako rejoint les troupes deBaba (Starina) Novak à Ploiești et reprend Sibiu aux Ottomans. En 1600, avec ses troupes, déployées dans le Banat, ils conquièrent toutes les terres au sud et se joignent également aux soulèvements de Mirăslău et des villes voisines. Baba (Starina) Novak accompagne en décembre de l’année suivante Michel le Brave à Vienne pour obtenir le pardon de l’empereur.
Voulant reprendre les forteresses de Lugos et de Caránsebes, il en est empêché et accusé de trahison par son ancien allié Giorgio Basta (1544-1607), général d’origine italo-albanaise, futur gouverneur de la Transylvanie au service de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg et livré aux autorités hongroises à Cluj (Kolozsvár), où il est condamné au bûcher et brûlé le cinq février 1601. Des Tsiganes sont chargés de préparer les bûchers de Baba (Starina) Novak, de deux capitaines des armées de Michel le Brave, Joan Celeste et Savi Armašulu, et de quelques prêtres saxons. Michel le Brave qui n’était pas informé de ces actes, l’apprend lors de son passage à Cluj au début du mois d’août 1601 et rend hommage à Baba (Starisa) Novak sur le lieu même de son exécution. Son meurtre par des mercenaires wallons, ordonné par Giorgio Basta qui soupçonne Michel le Brave de trahison et de vouloir négocier avec les Ottomans, aura lieu près de Câmpia Turzii quelques jours plus tard.
Baba (Starina) Novak est vénéré comme un héros dans la poésie épique serbe.
Le monastère orthodoxe de Sfânta Ana à Orşova (Portes-de-Fer)
Ce monastère, construit entre 1936 et 1939, domine la ville et la baie d’Orşova (km 954, rive gauche) ainsi que le cours du Danube depuis le sommet de la Colline Moşului, littéralement « La Colline du vieillard ». La vue s’étend aussi sur les monts Mehedinţi appartenant au massif des Carpates, les Portes-de-Fer, le défilé du Cazan et les reliefs serbes balkaniques de la rive droite du fleuve.
C’est en 1916, pendant la 1ère Guerre Mondiale, que l’histoire de ce monastère trouve son origine. Le front se trouve alors dans cette région des Carpates et passe sur la Colline du vieillard. Pamfil Şeicaru (1894-1980) qui deviendra l’un des plus grands chroniqueurs et journalistes du milieu du XXe siècle, se bat avec les troupes de son pays contre les armées austro-hongroises. Il stationne sur cette colline qui surplombe la ville et le fleuve avec un compagnon d’arme, Petre Gavanescu. Les deux soldats auront la chance de sortir miraculeusement indemnes de l’explosion d’un obus à proximité pendant la bataille. En reconnaissance pour Dieu qui lui a sauvé la vie, Pamfil Şeicaru promet de faire construire un monastère sur ces lieux.
Pamfil Şeicaru (1894-1980), photo droits réservés
Son souhait ne sera exaucé que bien plus tard, en 1936. Le monastère est réquisitionné dix ans plus tard, en 1946, par le pouvoir communiste qui le transforme en restaurant et aménage les cellules des nonnes en chambres à louer ! Ce même régime communiste venait de condamner à mort en 1945 le journaliste roumain qui s’était enfui à l’étranger. Le monastère retrouve sa vocation religieuse en 1990, après la chute du régime du dictateur communiste N. Ceauşescu puis est rénové.
L’agencement des bâtiments est forme de « U » avec une église en bois typique de l’architecture roumaine orthodoxe et les cellules des moniales tout autour. On peut y admirer des iconostases, des fresques de grande valeur et jouir d’une vue exceptionnelle sur le paysage des Portes-de-Fer. Un verger et une petite vigne complètent les jardins.
Un musée est consacré au sein du monastère à Pamfil Şeicaru, à l’origine de la construction de ce monastère orthodoxe.
Le Monastère de Mraconia, gardien des « chaudrons danubiens »
Le monastère du ‘Lieu caché »
Un premier monastère orthodoxe fût construit aux XIIIe-XIVe siècles sur l’emplacement actuel de la petite commune roumaine de Dubova (Km 970, rive gauche), à une quinzaine de kilomètres d’Orşova, dans un lieu presque inaccessible, en contrebas de la route actuelle, d’où son nom de monastère de Mraconia ou monastère du « Lieu caché ». Il est placé sous la protection du prophète Élie. Le chroniqueur et protopope orthodoxe roumain Nicolae Stoica de Haţeg (1751-1833) raconte dans une chronique de 1829, que, par peur des Turcs et en particulier après la bataille de Varna et la prise en 1453 de Constantinople par les Ottomans, les moines du monastère de Mraconia cherchèrent refuge à Orşova. En 1523, le lieu de culte passe sous la juridiction de l’Evêché de Vârset, à l’initiative de Nicola Gârlisteanu, gouverneur militaire de la région de frontière Caransebeş-Lugoj. Faute d’un entretien véritable, les bâtiments s’altèrent au fil du temps. Il est pourtant toujours habité par des moines en 1788 mais subit de graves endommagements pendant le conflit austro-turc du fait de sa situation inconfortable aux frontières militaires de l’Empire autrichien et aux premiers postes des affrontements. En 1823, le sceau du monastère, portant une intéressante inscription en vieux-slavon est retrouvé dans les ruines. Une icône de la Vierge y est également découverte en 1853. Elle est exposée à Vienne, grâce à l’intervention d’un peintre bavarois.
Le monastère est reconstruit en 1931, l’église achevée en 1947. Suite aux travaux de construction du barrage, les bâtiments sont définitivement détruits en 1967 par le régime communiste et les ruines de ce lieu de culte disparaissent sous la surface des eaux du nouveau lac de retenue du premier barrage des Portes-de-Fer. On peut apercevoir leur sommet affleurer à la surface du fleuve pendant certaines périodes de basses eaux.
Ce monastère traversa ainsi toutes les vicissitudes de l’histoire de cette région de l’Europe, depuis les pillages des envahisseurs, les conflits entre les empires, le paiement de lourds tributs aux occupants jusqu’à son engloutissement, comme sa proche voisine insulaire turque d’Adah Kaleh et la vieille ville d’Orşova.
L’archevêché d’Olténie prit en 1995 la décision de reconstruire le monastère à proximité des anciens bâtiments. Celui-ci se situe sur l’emplacement de l’ancien point d’observation et de guidage des bateaux naviguant sur le Danube (PK 965,5). Le paysage des Portes-de-Fer s’est métamorphosé par la main de l’homme.