Le parc du Prater de Vienne

Le parc du Prater de Vienne : entre nature et divertissement

   « Le Prater communique à l’Augarten par deux allées : c’est une forêt magnifique, d’une demi-lieue de long sur un quart de lieue de large, dont les arbres respectés par la cognée, depuis plusieurs siècles, présentent un abri majestueux et sombre où l’on respire toujours le frais. Comme ces arbres sont très- élevés, la terre qu’ils ombragent est couverte d’un tapis de verdure que le soleil ne jaunit jamais. Cette pelouse immense est parsemée de jolis pavillons, de maisonnettes, de cabanes d’une construction très variée. Ce sont des kiosques chinois turcs, indiens, de petites fabriques hollandaises, des chalets suisses, des huttes de sauvages, des masures gothiques. Chacune de ces habitations a une destination particulière : ce sont des cafés, des billards, des restaurateurs, des jeux de bagues, des salles de danse, des joueurs de gobelets, des cirques pour les exercices de chevaux ; les danseurs de corde, les feux d’artifices, tous les plaisirs enfin que réunissent à Paris les boulevards, les Champs-Élysées, le bois de Boulogne et les foires : mais Paris ne possède aucune promenade dans ses environs qui puisse être comparée au Prater par son étendue, la beauté de la végétation et l’extrême variété des sites.
Quoique le Prater soit éloigné de la ville d’un bon quart de lieues, le peuple s’y porte en foule, tous les dimanches et toutes les fêtes, pendant la belle saison ; les gens riches, tous les jours. Quel tableau charmant et animé ! Où le rencontrer ailleurs ? Princes, bourgeois, moines, militaires et grisettes s’y trouvent confondus. On y voit vingt peuples et vingt costumes différents : ce sont des Turcs, des Grecs, des Bohémiens, des Hongrois, des Cosaques, des juifs, les uns coiffés d’un turban, les autres d’un béret ; les Israélites barbus ; les Anabaptistes en lévite brune, et la tête couverte d’un grand chapeau ; les Viennoises de la classe des riches artisans portant une toque d’or de la forme du bonnet phrygien, des corsets d’une riche étoffe, des jupons plissés ; les paysans et les paysannes ayant des bretelles noires sur leur justaucorps. Au milieu de ce bizarre assemblage se promènent les élégants de la ville habillés à la française , mais ayant toujours dans leur mise et dans leur maintien quelque chose de tudesque. Dans les grandes allées du Prater, trois ou quatre files d’équipages circulent lentement au bruit de vingt ou trente orchestres distribués dans la forêt. Ceux qui préfèrent une promenade solitaire s’enfoncent jusqu’au bord du Danube, où la nature agreste et sauvage présente mille aspects enchanteurs qui inspirent le poète et font rêver le philosophe. Mais, dès que le soleil a quitté l’horizon, il faut abandonner le Prater, dont s’emparent en quelques minutes des myriades d’insectes importuns ; cousins, taons, maringouins : l’air en est obscurci ; ils fondent sur les promeneurs comme des nuées, ils les piquent, les dévorent. Un observateur allemand à qui je parlai de ce désagrément, me dit : C’est une police céleste. Sans ces insectes, l’amour ferait au Prater trop de ravage pendant le crépuscule. »
VOYAGE EN AUTRICHE, EN MORAVIE ET EN BAVIÈRE. FAIT A LA SUITE DE L’ARMÉE FRANÇAISE, PENDANT LA CAMPAGNE DE 1809 PAR LE CHEVALIER C. L. CADET DE GASSICOURT, PARIS, 1818
Charles-Louis Cadet de Gassicourt, fils illégitime de Louis XV, est un avocat, pharmacien, écrivain et goguettier français. Il séjourne  à Vienne à la suite des armées napoléoniennes en 1809.

 « Je regrette de ne pouvoir te parler encore que des plaisirs d’hiver de la population viennoise. Le Prater, que je n ‘ai vu que lorsqu’il était dépouillé de sa verdure, n’avait pas perdu pourtant toutes ses beautés ; les jours de neige surtout, il présente un coup d’oeil charmant, et la foule venait de nouveau envahir ses nombreux cafés, ses casinos et ses pavillons élégants, trahis tout d’abord par la nudité de leurs bocages. Les troupes de chevreuils parcourent en liberté ce parc où on les nourrit, et plusieurs bras du Danube coupent en îles les bois et les prairies. À gauche commence le chemin de Vienne à Brünn. À un quart de lieue plus loin coule le Danube (car Vienne n’est pas plus sur le Danube que Strasbourg sur le Rhin). Tels sont les Champs-Élysées de cette capitale… »
Gérard de Nerval (1808-1855), Voyage en Orient, IX, « Introduction, suite du Journal » par M. Gérard de Nerval, à un ami, Vers l’Orient, Troisième édition, revue, corrigée et augmentée, Tome premier, Paris, Charpentier, Librairie-Éditeur, 1851

    « Le Prater est un lieu bas, humide, mal entretenu, où l’on doit se trouver fort bien aux heures les plus chaudes des jours d’été. Je n’ose avancé que les Viennois, qui ont aux environs de leur ville tant de sites charmants, abandonnent le Prater ; il faut cependant, qu’en historien fidèle je dise qu’au moment où j’y arrivais je n’y trouvais personne, pas un promeneur, un cavalier ou un équipage mais treize cerfs et un grand seigneur. Le grand seigneur passait rapidement pour regagner soin hôtel, et les cerfs qui sont en liberté et qui n’en abusent pas, venaient très débonnairement chercher leur pâture au lieu accoutumé. Comme tant d’autres choses, le Prater s’en va : les chemins de fer l’ont tué et l’on ne fait rien pour lui rendre la vie… »
Victor Duruy (1811-1864), Causeries de voyage, De Paris à Bucharest, Première partie. De Paris à Vienne, Librairie de L. Hachette, Paris, 1864

   On se rend au Prater facilement par les moyens de transports ou à bicyclette, seul ou en famille pour jouir de l’atmosphère festive et populaire de ses attractions foraines, de sa légendaire et historique Grande-Roue sans laquelle Vienne ne serait pas Vienne et de ses cafés et restaurants mais aussi pour ses allées ombragées très fréquentées en toutes saisons par les sportifs et les promeneurs et une nature préservée qui s’étend jusqu’au Danube et au quartier de Freudenau, un des ports de la ville. Peut-être certains se souviendront-ils à l’occasion de leur promenade que le Prater fut aussi un haut-lieu des débuts de la démocratie, de la musique, de la chanson mais aussi de tous les genres musicaux et de l’histoire du cinéma viennois. D’autres, amateurs de suspens, préfèreront l’ambiance effervescente des courses hippiques du Wiener Trabennverein et se rendront à l’hippodrome classé monument historique tout proche de la Kriau pour y assister. L’atmosphère plus paisible du golf de Freudenau qui, comme les stades de football, a également empiété sur le Prater d’origine, invite les pratiquants de ce sport à savourer des heures de détente aux lisières de la zone industrielle.

Valentin Janscha (1747-1818), chasse à courre au cerf et au sanglier dans les prairies alluviales danubiennes, vers 1790, collection de l’Albertina, Vienne

Le Prater dans l’histoire et dans les arts

Comme tout bon Viennois Mozart eut l’occasion d’aller se promener dans le grand parc du Prater.
MOZART, Wolfgang Amadeus (1756-1791)
Gehn wir im Prater, gehn wir in d’Hetz (Allons au Prater…)
Canon KV 558 en si bémol majeur (2 septembre 1788)
https://youtu.be/BoL2NUnldDU 

Le Prater est mentionné dans des sources écrites de la Renaissance en l’an 1403. Il occupe alors une superficie bien plus importante que celle d’aujourd’hui et une grande partie des terrains sont des marécages dus à la présence de plusieurs bras Danube. Ces terrains appartiennent à divers monastères et paroisses.
En 1560, l’empereur Maximilien II de Habsbourg (1527-1576), fait clôturer ces bois et ces prés et les transforme en réserve de chasse réservée aux membres de la Maison des Habsbourg. La noblesse n’est autorisée à s’y rendre qu’au mois de mai, et ce bien évidemment « sans pistolet ni chien ».
Peu après son couronnement, le jeune monarque Joseph II (1741-1790), fils aîné de Marie-Thérèse d’Autriche et de François Ier de Habsbourg-Lorraine décide en 1766 d’ouvrir une partie du parc au public sauf la Hirschau qui demeure interdite et est réservée à l’élevage du gibier.

Cerfs en hiver dans le parc du Prater, 1840, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Ce qui n’empêche nullement certains visiteurs de franchir la clôture pour y organiser des rencontres galantes et discrètes ou éventuellement pour s’y battre en duel en toute tranquillité. Cette ouverture au public du Prater fut suivie par un réel engouement des Viennois pour ce nouvel espace accessible et, par beau temps, de longues files de fiacres s’y rendent. Toute la ville ou presque se donne alors rendrez-vous au Prater.
Joseph II fait également bâtir la Lusthaus (La maison du plaisir) par un architecte autrichien d’origine française qu’il apprécie, Isidore Canevale (1730-1786). Le terrain choisi fut celui d’une cabane de chasse, aux abords d’un ancien bras du Danube, le Wiener Wasser qui a été par la suite transformé en plan d’eau.

Dans le parc du Prater, 1810, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Le nouveau bâtiment fut surélevé pour éviter les inondations fréquentes et destructrices. Les nombreuses parois vitrées et les portes ont été dessinées afin de permettre à la nature de pénétrer facilement dans le bâtiment. Les murs sont peints avec une couleur verte. On s’y donne rendez-vous, on y discute, mange, joue, on y écoute de la musique, flirte… Cinq allées partant de ce bâtiment sont aménagées et complètent l’allée principale, ce qui permet également à l’empereur de mieux faire surveiller son peuple. La Lusthaus et ses abords abritent une grande fête en 1814 organisée en l’honneur de la victoire sur Napoléon, manifestation à laquelle les soldats autrichiens de retour chez eux sont conviés.
La Lusthaus abrite toujours un excellent restaurant ainsi qu’un espace où sont organisées de nombreuses manifestations culturelles.
www.lusthaus-wien.at

La Lusthaus pavoisée pour les fêtes de 1814, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Les grands cafés du Prater
   Les premiers cafés et restaurants du Prater remontent au XVIIIe siècle. Trois établissements sont érigés dans les années 1786 sur l’allée principale. Le premier propose initialement des concerts de musique classique. Beethoven s’y produit en 1814, Joseph Lanner en 1824. Mal géré ou déficitaire, l’établissement change 21 fois de propriétaire entre 1854 et 1938 et sera détruit par les bombardements alliés en 1945.
Le deuxième café était encore plus vaste et plus chic que le premier. C’est à la valse que sont dédiés les concerts qui s’y dérouleront au XIXe siècle. Johann Strauss junior et ses deux frères le fréquente à plusieurs reprises. À côté du bâtiment principal se trouvent une salle de billard, un buffet, un grand salon avec son propre scène pour un orchestre, quatre autres salons ainsi qu’un un jardin d’hiver. L’établissement subit le même sort que le premier café à la fin de la seconde guerre mondiale.
Le troisième café fonctionne toute l’année. De grandes fêtes y sont également organisées, auxquelles participent des musiciens célèbres. Ce café est transformé en « Singspieltheater » pouvant accueillir jusqu’à 5 000 personnes (1871). L’entrepreneur et impresario Anton Ronacher (1841-1892) rachète le restaurant en 1877 et y fait représenter des opérettes et des spectacles de variétés. Le café est lui aussi touché par les bombardements à la fin de la seconde guerre mondiale et définitivement démoli en 1962 pour laisser la place au « Brunswick Bowling Hall ».

La Schweizerhaus, une institution gastronomique viennoise
« J’étais hier au Prater en compagnie du vice-chancelier, le comte Schönhorn. C’est un parc ravissant  à l’étendue resplendissante. Nous avons jugé bon de quitter la grande allée à cause de la poussière et de nous diriger vers la forêt. Nous nous sommes arrêtés dans une petite auberge qui, d’après mon compagnon, s’appelle « Zur Schweizer Hütte ». Il y a des centaines d’années, un ermite vendait ici du poisson et des champignons aux chasseurs impériaux qui venaient s’y reposer. Les domestiques étaient des Suisses du Sundgau, réputés pour l’excellence et la loyauté de leur conduite, et le nom « SchweizerHütte » aurait été conservé depuis cette époque. Le propriétaire actuel est un homme d’un grand calme qui fait frire habilement des petits poissons à la broche et sert un délicieux jus de sureau que nous avons bu dans deux cruches … »
Lady Worthley Montaigu, 1766
La Schweizerhaus a été construite en 1868 sur l’emplacement de la  « Zur Schweizer Hütte« , un lieu fréquenté initialement par des chasseurs originaires de Suisse (d’où son nom) qui y recevaient l’aristocratie du Saint Empire Romain Germanique. Elle est rachetée en 1920 par un jeune boucher de 19 ans d’origine tchèque, Karl Kolarik (1901-1993). Celui-ci y installe une cuisine qui permet aux clients d’observer la préparation des plats. Le bâtiment est détruit à son tour pendant les bombardements alliés de 1945. La famille Kolarik reprend ses activités en 1947 accueillant sa clientèle dans un ancien wagon de la Grande Roue et dans une cabane en bois de vigneron.  Ce restaurant saisonnier (de mi-mars à fin octobre), une des adresses gastronomiques les plus populaires pour les amateurs de cuisine viennoise et bohémienne copieuse accompagnée de bières légendaires, demeure dans la possession de la même famille depuis 1920.
www.schweizerhaus.at

   Outres de nombreux et  impressionnants feux d’artifice qui sont tirés régulièrement depuis un emplacement spécifique du Haut-Prater, toutes sortes de tentatives et expériences scientifiques, parfois réussies, ont eu lieu dans le cadre du parc. Après le britannique Charles Hyam et l’artificier autrichien Johann Georg Stuwer en 1784, l’aéronaute français Jean-Pierre Blanchard (1753-1809) tente d’effectuer le premier vol libre en ballon depuis l’Autriche mais c’est d’abord un échec. Le public qui a du payer un droit d’entrée, est en colère et l’aéronaute doit être protégé de la foule par la police. Le 6 juillet 1791, il réussit toutefois à s’envoler du Prater jusqu’à Groß-Enzersdorf sur la rive gauche du Danube. Puis c’est au tour de l’horloger et génial inventeur Jakob Degen (1760?-1848) de s’envoler avec une machine volante à ailes mobiles actionnées par ses propres forces le 13 novembre 1808, réussissant le premier vol libre au-dessus du Prater. Huit ans plus tard, en 1816, le même Degen qui a inventé entretemps une hélice mécanique, fait monter un premier hélicoptère (sans pilote) jusqu’à une hauteur de 160 mètres.

Inauguration du Danube régularisé à Vienne, sources l’Illustration

   Les grands travaux de régulation du Danube dans les années 1870 permettent la disparition quasi totale des marécages. À l’occasion de la grande Exposition universelle de Vienne en 1873, une partie des terrains du Prater sont défrichés et de nouveaux chemins sont aménagés pour les promeneurs.

Pavillon de Perse, exposition universelle, 1873, collection du Wien Museum

Les bâtiments construits pour l’Exposition Universelle seront par la suite démolis, à l’exception de quelques-uns d’entre eux qui sont transformés en ateliers et loués à des artistes. Les autres bâtiments seront partiellement détruits par des bombardements en 1945. Le parc du Prater se trouve en zone d’occupation soviétique après la seconde guerre mondiale mais les Russes autorisent les Britanniques à y accéder et à y organiser des courses hippiques.

August Schäffer (1833-1916), En revenant de l’exposition universelle, huile sur toile, 1875, collection de la Galerie Nationale Autrichienne, Vienne

Le quai du Prater (Praterkai) a été aménagé en zone industrielle vers la fin du XIXe siècle. La zone de Freudenau est transformée en port fluvial. Des résidences sont construites le long du canal du Danube, un ancien bras du fleuve aménagé et des villas sont édifiées pour héberger de riches industriels anglais venus en Autriche profiter de la croissance économique. Ces derniers affectionnent particulièrement le Prater, car ils peuvent y pratiquer leurs sports favoris comme le cricket.

L’entrée de « Venedig in Wien », photo de 1895, Collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Le parc d’attractions
Gabor Steiner (1858-1944), directeur de théâtre, impresario et créateur du parc d’attractions Venedig in Wien (Venise à Vienne), inauguré en 1895, fait construire en 1897 la Wiener Riesenrad (Grande Roue de Vienne), un an avant le cinquantième anniversaire du règne de l’empereur François-Joseph de Habsbourg par les ingénieurs britanniques Walter Bassett Bassett (1864–1907) et Harry Hitchins.

La Grande Roue historique en 1897 avec ses trente nacelles, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Elle est fermée durant la premier guerre mondiale, sert comme poste d’observation militaire et faillit être détruite en 1916 mais le coût prohibitif de sa démolition incite le nouveau propriétaire des lieux à y renoncer. Elle brûle à l’occasion des bombardements de la ville en 1944 et sera reconstruite en 1953 en n’intégrant toutefois que 15 des trente nacelles qui équipaient la Grande Roue Viennoise d’origine. Elle est alors restituée aux héritiers d’Édouard Steiner, propriétaire qui en avait été dépossédé en 1938 à l’occasion de la promulgation de lois antisémites lors de l’Anschluss

La discrète église Maria Grün, lieu de de pèlerinage
   À l’opposé du parc d’attraction, presque invisible, la discrète petite église Maria Grün, cachée dans son écrin de verdure près de l’allée d’Aspern et du Danube du Danube fut autrefois un haut-lieu de pèlerinage. Elle a été construite sur les plans de Josef Münster (1869–1946), architecte de la ville de Vienne en 1924 et consacrée le 21 décembre de la même année. Le bâtiment a été endommagé à plusieurs reprises pendant la seconde guerre mondiale par des bombardements qui visaient la zone industrielle et le port voisin de Freudenau. Restaurée par la suite elle fut réouverte au service religieux en 1948. Elle possède un orgue depuis 1985 et a été de nouveau entièrement rénovée en 1989. Maria Grün reste une destination privilégiée de pèlerinage pour les habitants d’origine croate de Vienne et du Burgenland.

L’église Maria Grün, photo droits réservés

Le Prater et le cinéma
   La plupart des toutes premières projections et spectacles cinématographiques ont lieu à Vienne en 1896 dans le cadre du parc d’attractions « Venise à Vienne » ouvert en 1895. Mais ce n’est qu’au tout début du XXe siècle que sont construites au Prater des petites salles de cinémas indépendantes. Gustav Münstedt diffuse des films dans une  salle adjacente de sa « Prater Hütte » à partir de 1904 puis dans la grande salle. 5 cinémas jouissent d’une situation de monopole jusqu’en 1920, année où est inauguré la salle de cinéma du cirque Busch dans les anciens locaux de celui-ci. Toutes les salles  à l’exception du Lustspieltheater seront détruites en 1945 par les bombardements alliés.

Le Prater dans le patrimoine littéraire, cinématographique et musical : une source d’inspiration féconde
   Le Prater et les prairies alluviales danubiennes, ces « espaces du bonheur pas cher », cadres d’idylles ou d’intrigues, champs géographique d’expérimentation de tous les possibles, du bonheur le plus pur mais aussi le plus kitsch, cultivé à merveille par les classes populaires ou du désespoir le plus profond et d’expression de frustrations, de déviations, apparaissent régulièrement dans les romans, romans policiers, nouvelles, pièces de théâtre, récits et poèmes d’auteurs autrichiens et étrangers. Quelques-uns d’entre eux sont traduits en français parmi lesquels La Ronde, Le sous-lieutenant Gustel d’Arthur Schnitzler (1862-1931), La nuit fantastique, L’amour d’Erika Ewald de Stefan Zweig (1881-1942), Le Flambeau dans l’oreille – Histoire d’une vie 1921-1931 d’Elias Canetti (1905-1994), Un autre Kratki-Baschik (récit) d’Heimito von Doderer (1896-1966), Ashantee de Peter Altenberg  (1859-1919), Histoire d’une fille de Vienne racontée par elle-même de Josephine Mutzenbacher (1906), roman érotique attribué postérieurement à Felix Salten (1869-1945), Le Tabac Tresniek de Robert Seethaler (1966).
Quant à Ödon von Horváth (1901-1938), auteur qualifié de « dégénéré » par les Nazis et dont ils brûleront les livres en 1933, il fait de ces prairies alluviales précisément l’un des cadres de sa pièce Légendes de la forêt viennoise (Geschichten aus dem Wienerwald, 1931) dans lequel les protagonistes, petits-bourgeois et commerçants de Josefstadt, déshabillés brutalement de leur verni comportemental et social superficiel, sont livrés à leurs attirances pulsionnelles. Là encore le kitsch s’invite et triomphe au milieu de cette farce tragicomique danubienne cruelle. Horváth emmène dans un épilogue pathétique ses personnes au paroxysme de leurs trivialité jusque dans le décor naturel et romantique de la Wachau, à Dürnstein, un des lieux favoris d’excursion des Viennois par bateau. Revenant comme des refrains tout au long de la pièce, les valses de Strauss qui « symbolisent la gaieté et l’insouciance, ainsi que le rayonnement culturel de Vienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle, relèvent désormais d’un âge d’or idéalisé et entrent en collision avec les comportements triviaux des petits-bourgeois horvathiens : Le Beau Danube bleu est joué par l’orchestre du bar « Maxim »  pour servir de toile de fond au numéro de « trois filles à moitié nues, les jambes prises dans une queue de poissons » qui sont supposer figurer « les sirènes du Danube ». La valse est réduite à l’état d’ornement dans un tableau de mauvais goût : à l’esthétique se substitue le pornographique. »1
Dans La pianiste d’Elfriede Jelinek « l’interdit social tissé par sa mère ne laisse chez Erika qu’une soupape, la rupture clandestine des digues, l’irruption des pulsion »2. Là encore le Prater sert de cadre au voyeurisme et à l’assouvissement des pulsions de son héroïne. « Elle part en chasse dans les « gorges goulues » de prairies désertes, dans cette steppe incertaine où « le paysage s’étend à perte de vue jusqu’à des pays étrangers (la Slovaquie et la Hongrie), jusqu’au Danube, au port pétrolier de Lobau [rive gauche, un territoire de prairies alluviales conquis par la ville industrielle au XXe siècle], au port de Freudenau. [port d’hiver et port commercial de Vienne, sur la rive droite, au-delà du Prater vers l’aval]. Le port aux grains de Albern. La jungle à l’entour du port de Albern. Puis l’Eau-Bleue et le cimetières des Sans-Noms [Namenslos Friedhof]. (Pierre Burleaud, idem, p. 169). Comme le souligne P. Burleaud, l’élément liquide « joue là son rôle métaphorique: écoulement, inondation, vagues et flots. »3
Le Prater, autrefois haut-lieu de fêtes mais aussi de prostitution et ses éléments naturels n’exorcise t-il pas le besoin de liberté d’habitants d’un pays tourmenté par son passé récent et qui n’a gardé de son ancien et immense territoire s’étendant auparavant jusqu’à la mer Adriatique, qu’une partie d’un fleuve symbole emportant avec lui des souvenirs de grandeur déchue.

Quelques films mettant en scène le Prater :
Merry-go-round (Erich von Stroheim, 1923)
Pratermizzi (Gustav Ucicky, 1927)
Prater (Willy Schmidt-Gentner, 1936)
WiennerinnenSchrei nach Liebe (Kurt Steinwendner, 1952)
Im Prater blüh’n wieder die Bäume (Hans Wolff, 1958)
Lo Strangolatore di Vienna (Guido Zurli, 1971)
Exit… nur kein Panik (Franz Novotny, 1980)
Malambo (Milan Dor, 1984)
The living Daylights (John Glen, 1987)
Der Prater – Eine wilde Geschichte, documentaire (Manfred Corrine, 2008)
Der Räuber (Benjamin Heisenberg, 2010)
Der Prater, documentaires en trois parties (Peter Grundei, Roswitha Vaughan, Ronald Vaughan, 2016)
Mein Prater, reportage pour la télévision (Franz Gruber, Andreas Dorner, 2017)
G’schichten aus dem Wiener Prater, documentaire  (Thomas Rilk, musique Ernst Molden, 2017)

Quant à la Grande-Roue emblématique, elle figure aussi dans de nombreux films de cinéastes ayant pris pour cadre Vienne et son patrimoine culturel comme Le Troisième Homme de Carol Reed (1949), d’après le scénario et le roman de Graham Greene et Tuer n’est pas jouer (1987) de John Glen qui fut lui-même assistant monteur pour le Le Troisième Homme.

En littérature… (langue allemande) et en musique

« Im Prater blühn’ wieder die Bäume » (« Au Prater les arbres refleurissent »), chanson viennoise de Robert Stolz (1880-1975)
https://youtu.be/g4ibJ7FLMHs
Altenberg, Peter, Ashantee, Berlin, S. Fischer, 1897
Altenberg, Peter, « Blumen–Korso », in Wie ich es sehe, Prosaskizzen, Berlin, S. Fischer, 1898
Altenberg, Peter, « Bäume im Prater/ Große Prater–Schaukel/ Café de L’opéra (im Prater)/Newsky Roussotine–Truppe », in Was der Tag mir zuträgt, Fünfundfünfzig neue Studien, Berlin, S. Fischer, 1901
Altenberg, Peter, « Sonnenuntergang im Prater », in Märchen des Lebens, Berlin, S. Fischer, 1908
Altenberg, Peter, Extrakte des Lebens, Gesammelte Skizzen 1898–1919, Hg. von Werner J. Schweiger. Wien und Frankfurt, Löcker/S. Fischer, 1987
Amanshauser, Gerhard, Als Barbar im Prater, Autobiographie einer Jugend, Salzburg–Wien–Frankfurt, Residenz, 2001
Amon, Michael, Wehe den Besiegten, Wien, echomedia, 2013 (= Wiener Trilogie der Vergeblichkeiten 2)

Andersen, Hans Christian, « Nur ein Geiger », in Gesammelte Werke Bd. 9, 10 und 11, Leipzig, Karl Lord, 1847
Artmann, H.C., « blauboad 1/brodaschbiagelgalerie », in gedichteaus bradensee. Salzburg, O. Müller, 1958
Artmann, H.C., Wenn du in den Prater kommst, Berlin, Volk und Welt, 1988
Auernheimer, Raoul, Laurenz Hallers Praterfahrt, Berlin, S. Fischer, 1913
Bartl, Fritz, Freudenau 1943, Ein wienerisches Epos in Spielszenen, Wien, Rido, 1945
Bartl, Fritz, Der Wurstelprater, Ein wienerisches Epos, Wien, Titan, 1946
Bartl, Hans, Der Eifersüchtige im Wurstelprater, Posse mit Gesang, Wien, C. Fritz, 1885
Bayer, Karl, Ein Engagement im Prater, Gelegenheitsstück mit Gesang, [UA 21.April 1862]
Bayer, Karl, Der/Ein Praterscheiber, Singspiel mit Gesang. Musik Karl Kleiber, Handschrift [UA 31. Mai 1862]
Bayer, Karl, Der 1. Mai oder Die Wettfahrer im Prater, Musik arl Kleiber, [UA 1. Mai 1862]
Bayer, Karl, Ein Praterwurstel, Musik Karl Kleiber, [UA 6. Juli 1862]
Bayer [Karl?] Die schönen Praterwirthstöchter, Posse mit Gesang. Handschrift. [k.A.]. Blank (?) Die Praterhirschen, Scherz mit Gesang, Handschrift. [k.A.]
Blissett, Fanny, Jesuitenwiese, Ein leicht revolutionärer Poproman, Wien, Zaglossus, 2014
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Le Prater en musique
   « Le Prater est un contrepoint de Vienne, c’est le plus ancien parc d’attractions d’Europe, et c’est une immense salle de décompression, une salle d’illusion, une salle de promesses dans laquelle on peut laisser le quotidien de la ville derrière soi. La définition du Viennois ne peut se passer du Prater, le Prater fait partie de lui-même. »
Zusana Zapke, historienne de la musique, Wien-Museum magazine, mars 2020

   Le Prater est une histoire à lui tout seul dans l’histoire de la musique de Vienne. Dans ce parc, ses établissements gastronomiques et ses lieux de distraction se sont croisés, se croisent et parfois se mélangent les amateurs de la valse, du foxtrot, du jazz, de la chanson viennoise (Wienerlieder), de la « Schrammelmusik » et du Singspiel si populaires, de l’opérette, de la musique pop, aujourd’hui du rap et hip hop…. Tout y est concentré, y compris toutes les formes de musique innovantes et les plus expérimentales. L’histoire de la valse s’est aussi déroulée dans le parc du Prater avec les fils Strauss, Joseph Lanner et des compositeurs locaux. D’autres musiciens ont dédié à celui-ci quelques-unes de leur oeuvres comme Ralph Benatzky, Emmerich Kálmán, Franz Lehar Edmund Eysler, Robert Stolz avec sa célèbre chanson et musique de film « Im Prater blühn wieder die Bäume » (« Au Prater les arbres refleurissent ») composée en 1916. Aucun parc au monde n’a engendré un tel élan musical !

 Vienne, ses faubourgs, le Prater et le Danube…

   « Un petit bras du Danube sépare la Léopoldstadt ou ville de Léopold, de Vienne propre. On y trouve quelques rues larges et droites, le superbe jardin Augarten et le bois charmant dit le Prater. Le faubourg et le joli quartier de Jaegerzeil, semblable aux anciens boulevards de Paris, sont situés sur une île au nord de la ville. Tous les autres s’étendent sur une ligne demi-circulaire qui va de sud-est à nord-ouest.
   Les deux faubourgs de Weissgoerber et d’Erberg, peuplés de grands manufacturiers, s’étendent le long du Danube à l’est de la ville ; entre ces faubourgs est le palais d’été du comte Razumowsky avec un jardin anglais, vis-à-vis le Prater. Les points de vue sont si bien pris, que le prince de Ligne a dit du possesseur de ce lieu charmant : « Il a su faire entrer tout le Prater  dans son jardin… »
   « L’Augarten, dont Joseph II ouvrit l’entrée au peuple, offre un coup d’oeil imposant par la magnificence un peu monotone, à la vérité, de ses grandes allées d’arbres, bien couvertes et bien alignées. Devant un vaste édifice qu’on trouve à l’entrée, et qui, sous de grandes galeries très bien décorées, présente au peuple de Vienne un grand nombre des restaurateurs, est une place circulaire, environnée de hauts marronniers où l’on trouve toute sorte de rafraîchissements. Les allées de l’Augarten conduisent à un cours, le long duquel règne une agréable prairie. Cette partie du jardin est environnée d’une terrasse au pied de laquelle coule le Danube. De ce point élevé, l’oeil parcourt des bois et des habitations champêtres, une foule de hameaux et de villages semés dans de riants vallons. Des groupes de collines couronnées de bocages, contrastent avec de vastes prairies où paissent de nombreux troupeaux. Cette scène d’enchantement est terminée par la vue de Brigitt. Cette forêt, qui forme la partie sauvage et romantique du jardin, s’étend à une lieue, et est traversée, dans toute sa longueur, par le Danube dont les bords offrent de délicieuses promenades. À l’entrée de ce bois, sur l’une des rives du fleuve, nombre de maisonnettes procurent au peuple qui s’y promène en foule, les jours de fêtes surtout, les plaisirs de la bonne chère, assortis à l’aisance plus ou moins grande de ces diverses classes.
   Les cabanes sont également répandues dans les prairies et sur le rivage du fleuve. Les instruments qui se font entendent dans toutes les parties du bois ajoutent à la gaité qu’inspire la table.
   En traversant le Danube qui sépare cette partie de la forêt, on trouve sur la partie opposée où ce fleuve se divise en plusieurs branches, un grand nombre d’île, les unes ombragées par des bois épais, d’autres couvertes de bocages riants ou de prairies émaillées. Toutes sont animées par le chant de divers oiseaux et par les bondissements des cerfs, des daims, des chevreuils. À l’extrémité de la forêt disparait entièrement le Danube pour faire place à à un charmant hameau composé de petites maisons à un seul étage, agréablement construites et peintes en dehors.
   Malgré la réunion de tant d’agréments dans le jardin d’Augarten et dans ses dépendances, il est moins varié que le Prater. C’est un vaste pré, couvert de forêts que partage une belle allée d’une lieue de long. Sur l’un des côtés, le seul qui soit fréquenté, cette forêt présente l’aspect d’un village, par un grand nombre de maisonnettes et de cabanes ajustées dans les bois. Ce sont des cafés turcs, chinois, italiens, anglais ; ce sont des salles de bal, de billard : tout cela est peint et décoré de mille manières. Sous l’ombrage se mêlent, avec une agréable confusion, princes, militaires, bourgeois, moines, grisettes : la cour elle-même vient s’y populariser. Les jolies femmes ne s’y montrent qu’au soleil couchant. Outre les cabanes consacrées au plaisir de la gourmandise, une infinité de tables sont répandues ça et là dans le bois, et l’on y sert toutes sortes de rafraîchissements. Les sons du cor, de la flûte, et d’autres instruments à vent se font entendre dans toutes les parties du bois.
   Pendant qu’on s’y livre à la joie des milliers de voitures de toute espèce qui rivalisent de rapidité dans leur course, des chevaux barbes, anglais, espagnols, traversent en tout sens la grande allée par laquelle on entre dans le bois, et qui aboutit à un pavillon, le but de ces courses. On retrouve là le Danube, et sur ses bords, un cours planté d’arbres.
   Pour ajouter au charme de cette promenade, on y donne, dans diverses occasions, de superbes feux d’artifice ; un bel amphithéâtre particulier est consacré à ce divertissement. Chaque allée des avenus de la forêt offre des perspectives ingénieusement ménagées, telles que la vue des hameaux, de quelques parties de la ville, du fleuve et de la montagne.
Ajoutons que cinq cents cerfs, très peu timides, tantôt se promènent à côté des voitures, et tantôt s’enfuient en bondissant à travers les bois.
   Certes, ce Prater est bien autre chose que le pitoyable bois de Boulogne ou les monotones Champs-Élysées de Paris… »
Conrad Malte-Brun, ANNALES DES VOYAGES, DE LA GÉOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE, 1810

   « Le Prater est, pour les Viennois, ce que sont les Champs-Élysées pour les Parisiens, Hyde-Park pour les Anglais. C’est là que la fashion, noble et bourgeoise, se plaît dans la belle saison, à parader, soit à cheval soit en voiture, dans tout l’éclat de toilettes qui empruntent à nos modes leur élégance et leur caprice. Le Prater est à deux cents pas du faubourg du Jaegerzeil, situé sur la même île que le Leopoldstadt et le superbe jardin d‘Augarten. De magnifiques prairies, des faisanderies bien boisées se rencontrent là, ensemble. Du temps de Joseph II, les daims, les sangliers y vivaient de compagnie. Les accroissements considérables de ce parc sont dus particulièrement à ce monarque. Je ne sais quel courtisan voulait qu’il en interdit l’entrée au peuple pour que les grands seigneurs n’y trouvassent que leurs pairs. « Eh mon dieu ! répliqua le prince, il me faudrait donc, pour ne rencontrer que les miens, aller, vivant, m’enfermer dans les caveaux des Capucins. » Il fit détourner un bras du Danube qui séparait le faubourg du Parc. Hors de Jaegerzeil quatre grandes avenues conduisent au Prater : deux à gauche sont peu fréquentées, la troisième, qui aboutit au château d’où partent, dans les fêtes, les feux d’artifice, l’est beaucoup. C’est là que des guinguettes de formes gracieuses, construites en bois et dont le seuil offre plusieurs tables, invitent les promeneurs à se reposer. On y joue, on y boit, on y mange à l’ombre de majestueux arbres, sous les rameaux desquels l’artisan et le petit bourgeois oublient leurs soucis et rêvent quelquefois le bonheur. La quatrième est livrée à la haute aristocratie ; les piétons y trouvent, comme aux Tuileries, des chaises pour se reposer, des cafés, en plus grand nombre et peut-être aussi plus élégants, pour s’y rafraîchir et jouir de la vue des équipages armoriés, des brillantes cavalcades qui, à certains jours, se pressent en ce lieu. C’est en avril, mai, septembre et octobre, et surtout le lundi de Pâques que le Prater est envahi par la foule opulente et titrée. C’est là que les princes, les courtisans, les riches seigneurs luttent de magnificence ; c’est là que les jeunes dandys appartenant au beau monde, viennent déployer toute leur science hippique et faire admirer les allures superbes de leurs destriers dont la généalogie n’est pas moins noble que la leur.
   Le lundi de Pâques est pour le Prater ce qu’étaient, pour les Champs-Élysées, les jours de Long-Champs, quand nous avions encore un Long-Champs… »
Le Danube illustré, Édition française revue par H.-L. Sazérac., H. Mandeville, Libraire-Éditeur, Paris, 1849, pp. 12-13

« À Vienne, le dimanche qui suit la pleine lune du mois de juillet de chaque année, ainsi que le jour d’après, est un véritable jour de fête, si tant est qu’une fête ait jamais mérité ce nom. Le peuple en est le visiteur et l’acteur tout en un ; et si des gens du monde s’y rendent, ce ne peut être qu’en leur qualité de membre du peuple. Il n’y a là aucune possibilité de se distinguer ; du moins en était-il ainsi il y a quelques années encore.
Ce jour-là, la Brigittenau, reliée à l’Augarten, à la Leopoldstadt et au Prater par une suite ininterrompue de distractions, fête sa kermesse. Entre deux Sainte-Brigitte, le peuple des ouvriers compte ses bonnes journées. Longtemps attendue, la fête des saturnales finit par arriver. Alors la bonne et paisible ville est saisie par le tumulte. Une marée humaine remplit les rues. Bruits de pas, murmures de gens en train de converser que vient traverser ici où là une exclamation bruyante. Les différences sociales ont disparu ; civils et soldats se côtoient  dans ce mouvement. Aux portes de la ville, la poussée s’accroît. Après avoir gagné, perdu, puis regagné du terrain, on parvient enfin péniblement à s’extraire. Mais le pont du Danube offre de nouvelles difficultés. Victorieux là encore, deux flots qui se croisent l’un au-dessus de l’autre, le vieux Danube et la houle toujours plus grosse du peuple, le Danube coulant vers son ancien lit tandis que le flot du peuple, échappé à l’étranglement du pont, se déverse tel un vaste lac mugissant, submergeant tout sur son passage. Un nouvel arrivant trouverait ces signes inquiétants. Mais il n’y a là que joyeuse effervescence, plaisir déchaîné.
Déjà, entre la ville et le pont, des charrettes d’osier se sont avancées pour les véritables hiérophantes de la fête que sont les enfants des domestiques et des ouvriers. Surchargées, elles n’en fendent pas moins au grand galop la marée humaine qui s’entrouvre juste devant elle pour se refermer aussitôt après, insouciante et indemne. Car il existe à Vienne une alliance tacite entre les voitures et les hommes : ne pas écraser, même en pleine course, et ne pas se faire écraser, même si l’on ne fait pas attention le moindre du monde… »
Franz Grillparzer, Le musicien des rues, Éditions Jacqueline Chambon, Paris, 2000, traduction de Jacques Lajarrige, publié en allemand dans l’Almanach Iris en 1848  

« Le Prater, qui vit les chasses des prince au Moyen-Âge et fut ouvert dès 1766 au public, a été un parc admirable, et le reste, parce qu’il est très vaste, en ses parties préservées : il a vu défiler toutes les étoiles de Vienne et passer plus d’une fois, dans l’hiver 1930, un promeneur qui était Robert Musil. Mais on y a construit un stade, un hippodrome, les encombrants bâtiments de la Foire de Vienne (au-delà desquels on accède à des terrains vagues et à des fabriques qui longent le Canal du Danube, où quelques chalands, portant parfois des noms russes, sont à l’ancre). Et le « Wurstlprater », le Prater de la Grande-Roue, le célèbre Lunapark, n’a été reconstruit après la guerre que très partiellement et de façon, dit-on, trop organisée. Il est vrai qu’un dimanche d’avant-printemps n’y offre pas un spectacle très gai. Il y avait là quelques rares touristes, des soldats, des amoureux, des familles, un public clairsemé ; des garçons tournaient sur les tournantes pistes de « karting », l’air hébété; à côté de stands de tir presque vides, des Hongrois (vrais ou faux émigrés de 1956 ou revenants de l’Empire) vendaient des spécialités de leur pays. Dans le soir qui tombait, du haut de rochers de carton anfractueux, de souples squelettes invitaient la clientèle à un voyage au pays de l’horreur ; un manège tournoyait encore, dont les sièges étaient des vases de nuit de fer blanc bosselé. Dans le coin des enfants, près d’un petit train immobile et vide, qu’était censé conduire un mannequin de cire emprunté à une vitrine de mode, une réplique minuscule de la Grande-Roue s’élevait, emportant lentement dans les airs, mue ç bras d’homme ou peu s’en faut, un seul couple de clients assis face à face dans une nacelle ; un gros homme au visage jaune et bouffi, vêtu de noir, impassible (peut-être un fripier comme on en croise encore dans la Judengasse ?) et une petite fille. Ils ont dû faire deux fois, trois fois leur tour dérisoire ; quand la nacelle était au sommet de sa course, elle ne s’élevait guère plus haut que les arbustes voisins. Ils ne disaient mot. La petite fille n’eut pas un sourire… »
Philippe Jaccottet, Autriche, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1966

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour mars 2023 © Danube-culture, droits réservés

Notes :
1 Florence Baillet, « Des pièces populaires sous la République de Weimar (1930-1933), Circularités et ritournelles »  in Ödön von Horvath, Voix allemandes, Belin, Paris, 2008, p. 132.
2 Pierre Burleaud, « L’idylle des prairies perverties » in Danube-Rhapsodie, Images, Mythes et représentation d’un fleuve européen, Grasset, 2001, p. 168
3 Pierre Burleaud, idem  p. 169

Sources :
Begleitende Broschüre zur Sonderausstellung « LiteraTOUR durch 250 Jahre Prater » vom 24.10.2016 bis Ende Februar 2017, für den Inhalt verantwortlich: Mag. arch. Georg Friedler, Textzusammenstellung Dr. Gertraud Rothlauf, Ausgabe, 1/2016, Bezirksmuseum Leopoldstadt, Wien
BURLEAUD, Pierre, Danube-Rhapsodie, Images, Mythes et représentation d’un fleuve européen, Grasset, Paris, 2001
DEWALD Christian, LOEBENSTEIN, Christian, SCHWARZ, Werner Michael, Wien in Film, Stadtbilder aus 100 Jahren, Wien Museum, Czernin Verlag, Vienne 2010
DEWALD, Christian, LOEBENSTEIN, Michael, Prater, Kino, Welt. Der Wiener Prater und die Geschichte des Kinos, Verlag Filmarchiv Austria, Wien, 2005

GRILLPARZER, Franz, Le musicien des rues, Éditions Jacqueline Chambon, Paris, 2000, traduction de Jacques Lajarrige, publié en allemand dans l’Almanach Iris en 1848
JACCOTTET, Philippe, Autriche, L’Atlas des Voyages, Éditions Rencontre, Lausanne, 1966,

MALTE-BRUN, Conrad, ANNALES DES VOYAGES, DE LA GÉOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE ; OU COLLECTION des Voyages nouveaux les plus estimés, traduits de toutes les langues européennes ; Des Relations originales inédites, communiquées par des Voyageurs Français et Etrangers ; Et des Mémoires Historiques sur l’origine, la Langue, les Moeurs et les Arts des Peuples, ainsi que le Climat, les Productions et le Commerce des Pays jusqu’ici peu ou mal connus ; ACCOMPAGNÉES D’un Bulletin où l’on annonce toutes les Découvertes, Recherches et Entreprises qui tendent à accélérer les progrès des Sciences Historiques, spécialement de la Géographie, et où l’on donne des nouvelles des Voyageurs et des extraits de leur Correspondance.Avec des Cartes et des Planches gravées en taille-douce, PUBLIÉES PAR M. MALTE-BRUN, Correspondant de l’Académie Italienne, de la Société d’Émulation de l’Île-de-France, et de plusieurs autres Sociétés savantes et littéraires, Seconde Édition, revue et corrigée.TOME HUITIÈME., À PARIS, Chez F. Buisson, Libraire-Editeur, rue Gilles-Coeur, n° 10., 1810
ÖHLINGER, Walter (Herausgegeben), Die Pläne der K.K. Haupt- und Residenzstadt Wien von Carl Graf Vasquez, Edition Winlker-Hermaden, Schleinbach, 2011

Wiener Prater, Wikipedia
www.bezirksmuseum.at
www.wienmuseum.at

Prater, 1888, Atelier Hans Neumann, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Vienne et le Danube

« Vienne, Capitale de toute l’Autriche, & célèbre par la résidence qu’y ont fait depuis longtems les Empereurs. Elle tire son nom du Wien ou Widn, ruisseau qui coule à l’Occident de ses murs. Selon mes propres Observations (car je ne rapporterai que celles que j’ai faites moi-même), elle est au 48. degré & 14 minutes de Latitude. »
Louis Ferdinand Marsigli (1658-1730), Comte de, Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie, Contenant des Observations géographiques, astronomiques, hydrographiques, historiques et physiques ; par  Mr. Le Comte Louis Ferd. de Marsigli, Membre de la Société Royale de Londres, & des Académies de Paris & de Montpellier ; Traduite du latin., [6 tomes], A La Haye, Chez Jean Swart, 1744

« Vienne est située dans une plaine, au milieu de plusieurs collines pittoresques. Le Danube, qui la traverse et l’entoure, se partage en diverses branches qui forment des îles très agréables ; mais le fleuve perd lui-même de sa dignité dans tous ces détours ; et il ne produit pas l’impression que promet son antique renommée. Vienne est une ville assez petite, mais environnée de faubourg très spacieux ; on prétend que la ville, renfermée dans les fortifications, n’est pas plus grande qu’elle ne l’était quand Richard Cœur de Lion fut mit en prison non loin de ses portes. »
Baronne Germaine de Staël, De l’Allemagne, Londres, 1813, Charpentier, Paris, 1839, préfacé par Xavier Marmier

« Dans un cercle formé par les Alpes nordiques, au milieu d’une plaine charmante où les montagnes abaissent doucement leurs sommets sur les bords d’un fleuve majestueux qui se divise en plusieurs bras pour  mieux embellir la campagne, est située la ville célèbre dont nous avons fait connaître, dans le chapitre précédent, les différentes révolutions. Sa situation et ses édifices présentent en quelque sortes  l’image du pays et du gouvernement dont elle est la capitale. En voyant les lignes prolongées de ses fortifications, et l’espace qui la sépare de ses faubourgs, on on peut juger qu’elle est le siège d’une cour militaire. En visitant le palais de ses souverains, dont l’extrême simplicité ne diffère pas de l’habitation d’un particulier, on se figure que ce gouvernement doit être paternel  et économe. En admirant la multitude des beaux édifices, particulièrement des grands palais qui ornent ses places et ses remparts, on conçoit qu’une noblesse riche, magnifique et éclairée y fait son séjour. Enfin la propreté de ses rues, le bon goût de la plupart de ses édifices, les établissements particuliers  de tout genre qui en font partie, les promenades admirables qui les entourent, montrent que les bourgeois et le peuple de cette ville doivent jouir de l’aisance et du bien-être. Toutes ces conditions sont en effet remplies, et il n’est peut-être pas de lieu en Europe où l’on trouve plus l’aspect du bonheur, et où il existe plus réellement. Vienne diffère en cela des autres villes de l’Europe, qu’elle est uniquement habitée par une population de choix. Tout ce qui appartient aux métiers pénibles, aux fabriques répandant une mauvaise odeur, ou même aux travaux quelconques de main d’oeuvre grossière, est reléguée dans les faubourgs, qui sont une véritable dépendance et en quelque sorte les ateliers de la ville. Ainsi rien n’obstrue la circulation des rues où n’en dépare la propreté, et les édifices comme les habitants présentent partout l’aspect de la recherche et du goût. »
Comte Alexandre de Laborde, Voyage pittoresque en Autriche, Tome II, Paris, Imprimerie de P. Didot l’Ainé, 1821, p. 17 (Janska del, Piringer sculpt)

« La ville doit être savourée comme un souper exquis, lentement, avec contemplation, petit à petit ; en effet, il faut être devenu soi-même un peu viennois pour que toute la richesse de son contenu et les délices de son environnement deviennent notre propriété personnelle. »
Adalbert Stifter

« Lorsqu’en 1848 François-Joseph prend la couronne impériale, Vienne est encore une ville fermée, entourée par une double enceinte. Les plus anciennes fortifications, qui remontent au XIIIe siècle, s’accolent en fer à cheval au canal du Danube. Elles enserrent la vieille cité avec ses rues étroites, ses palais et ses églises, avec la Hofburg et la cathédrale saint-Étienne. C’est là que se trouve le centre de l’animation, le centre des affaires et de la vie mondaine. Une seconde enceinte qui date du début du siècle est sensiblement concentrique à la première, quoiqu’elle forme une légère pointe remontant la vallée de la Wien. Dans l’intervalle s’étend la ville moderne du XVIIIe et du XIXe siècle. Telle quelle, Vienne n’a encore qu’une superficie de 7 233 ha. En dehors de la seconde enceinte, c’est la campagne. Çà et là, quelques maisons s’étagent dans les vignes. Cependant de l’autre côté du Donaukanal s’étend une petite agglomération déjà compacte entre le Prater et le château impérial de l’Augarten : c’est la Leopoldstadt, la cité juive, d’où à peine arrivés des ghettos de l’Orient sortiront les maîtres du commerce autrichien. Ensuite, des prairies, des espaces couverts de roseaux. Les habitations ne se risquent pas plus avant vers le Danube. C’est que le Danube vagabonde encore en liberté ; il se partage, à la hauteur de Vienne, en une multitude de bras au cours indécis dont le tracé change à chaque inondation. Le fleuve a éloigné l’homme, et, de la même manière, il faut, sur l’autre rive, aller à une certaine distance dans le Marchfeld pour trouver les premiers villages d’Aspern et de Kagran. »

Brouillet René. « L’évolution d’une grande cité et les problèmes actuels de l’urbanisme. L’héritage du passé et l’oeuvre présente de la municipalité viennoise », in : Annales de Géographie, t. 43, n°246, 1934. pp. 610-626
Résistant, diplomate, ambassadeur en Autriche (1961-1963) puis au Vatican, René Brouillet (1909-1992) fut également membre du Conseil constitutionnel et premier directeur de cabinet du Général de Gaulle premier président de la Ve République.

.   « Mélange (prononcé mélannche), ce mot qui désigne le café viennois à la crème, c’était, en ce fin-de-siècle, le mot-clef de la ville entière ; galimafrée de races où déjà la germanique disparaissait sous la cohue slave, turque, juive, ruthène, croate, serbe, roumaine, galicienne ou dalmate. Et les Autrichiens, jusque-là souffre-douleur des plaisanteries bismarkiennes, commençaient à devenir les arlequins d’une sorte de Mardi Gras oriental, dont la capitale constituait le décor permanent.
Ce carnaval durait d’un bout de l’année à l’autre, à peine interrompu par une deuil de Cour, par une bronchite de l’Empereur, ou par l’écho, dans une des casemates voûtées où était tapie la plus vieille administration du monde, de quelque coup de feu mettant fin à la fin carrière d’un haut fonctionnaire surpris en flagrant délit d’espionnage au profit du tzar.
   Habitée par cent peuples, Vienne 1900 ne se divisait qu’en deux univers : les admis au Palais, les hoffähig, et les exclus. »
Paul Morand, « Vienne 1895 », Fin de siècle, L’imaginaire Gallimard, Paris, 1963

   « On lit sur un panneau de signalisation à l’entrée de Nußdorf, un quartier périphérique de Vienne au bord du Danube : « Dernière métropole danubienne, avant d’arriver à Budapest ». Seul un Viennois peut avoir écrit cette phrase. Le viennois est en effet méchant, il est fâché contre tout, bien évidemment la plupart du temps avec lui-même et la haine est par conséquence sa vertu préférée. Mais si il y a quelque chose que le Viennois déteste encore plus que lui-même et les autres habitants de sa ville défigurée par les cacas de pigeons c’est l’eau. Il n’y a rien que le Viennois abhorre plus que l’eau ! »
Andreas Dusl, « Wien am Inn », Ein etymologischer Essay, Das Wiener Donaubuch, Ein Führer durch Alltag und Geschichte am Strom, Édition S, Wien, 1987

   Le Danube avec ses inondations répétitives a fait payer jusqu’à un passé récent à la capitale autrichienne et à sa population des quartiers riverains un lourd tribut en vies humaines. D’autres grandes et petites villes des rives du Danube ont connu les mêmes catastrophes. C’est que le fleuve et ses humeurs capricieuses ont mis du temps à être maîtrisées.
C’est une des raisons, avec la volonté d’améliorer la navigation et par conséquence de faciliter le transport des marchandises et des passagers, pour laquelle son cours a été sévèrement détourné, rectifié, canalisé, éloigné d’une ville dont la périphérie s’étend aujourd’hui de part et d’autre d’un cours d’eau anthropisé et qui ne ressemble plus guère à celui d’il y a moins de deux siècles.

Un grand évènement de l’histoire du Danube viennois en forme de revanche contre le fleuve : l’inauguration du Danube canalisé en 1875

Il faut d’abord rappeler que le Danube est endigué sur la presque totalité de son parcours autrichien et ne retrouve provisoirement sa liberté qu’en aval de Vienne et ce jusqu’à Bratislava. La partie exclusivement autrichienne de ce tronçon naturel faillit pourtant, elle aussi disparaître dans les années soixante-dix du XXe siècle, avec le projet de construction d’une gigantesque centrale hydroélectrique à la hauteur de la petite cité médiévale de Hainburg (rive droite, PK 1884). Ce projet, soutenu à l’époque par l’ensemble de la classe politique et du monde économique fut heureusement abandonné après la mobilisation de scientifiques, de la population et des écologistes. Un fleuve « sauvage » et d’une indéniable beauté, irrigue encore entre les deux capitales distantes d’environ 60 km, le magnifique territoire du Parc Naturel des Prairies Alluviales Danubiennes, situé en grande partie sur sa rive gauche, depuis les faubourgs de Vienne et le port pétrolier de la Lobau jusqu’au confluent de la March (Morava) avec le Danube, confluent situé à la frontière austro-slovaque et aux pieds des ruines de la forteresse médiévale de Devín.

De nombreux bras morts et des anciens canaux inachevés irriguent le Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes, photo © Danube-culture, droits réservés

On peut comprendre que la capitale impériale n’ait jamais fait vraiment confiance au grand fleuve. Elle s’en est prudemment éloignée ou plutôt ses responsables et ses urbanistes se sont obstinés à éloigner le coeur de la ville du fleuve par de gigantesques travaux d’aménagement, en particulier au début des années soixante-dix du XIXe siècle, époque où Vienne connut quelques-unes des inondations les plus catastrophiques de son histoire alors qu’elle préparait activement les festivités de l’exposition universelle de 1873.
Désormais, seul un Danube au cours principal canalisé, un fleuve rectiligne parcouru toute l’année par d’impressionnants bateaux de croisière et doté de ports de plaisance bétonnés d’une laideur absolue, un fleuve producteur d’énergie et apte au transport fluvial, traversé par des ponts, ferroviaires, routiers et autoroutiers, fleurtant avec les hautes tours du nouveau quartier de Kaisermühlen sur la rive gauche qui semblent vouloir symboliser la réconciliation de la ville avec un ersatz de fleuve, borde de nos jours la capitale autrichienne. L’île artificielle du Danube (Donauisel) et le Vieux Danube (Die Alte Donau), transformés en un vaste et agréable espace de détente, de loisirs où les Viennois se donnent rendez-vous tout au long de l’année pour se promener et se baigner, font évidemment pâle figure face aux somptueux paysages amont de la Strudengau et de la séduisante Wachau, cette dernière ayant été classée au patrimoine mondial de l’Unesco et accueillant de nombreux touristes.

Un rare petit oasis de poésie sur la rive droite du fleuve viennois, en amont de la centrale hydroélectrique de Freudenau et de la pagode de la paix : le Musée des bateaux de Vienne, photo © Danube-culture, droits réservés    

Il manque un fleuve au coeur de la capitale autrichienne…
Vienne et ses habitants, comme la plupart des citadins, semblent pourtant apprécier pourtant la présence du fleuve et celle de la nature mais sous une forme domestiquée, apaisée, organisée, apprivoisée. Le visiteur qui découvre la ville pour la première fois ne peut être que surpris et dérouté lorsqu’il cherche le fleuve sur un plan du centre ville. C’est d’abord le Canal du Danube (Donaukanal) qu’il aperçoit, en fait un ancien bras aménagé en promenade, bordé de bâtiments historiques et contemporains, de pistes cyclables, de murs tagués, de cafés en tous genres, de petits jardins alternatifs, d’une gare fluviale, d’embarcadères dont un décoré par Friedrich Hundertwasser, d’un bateau piscine (une institution aujourd’hui fermée définitivement), d’un ancien observatoire astronomique mais aussi de routes et d’autoroutes, de sites industriels, du réseau du métro (U-Bahn) et à son extrémité aval d’une ribambelle colorée de petites cabanes de pêcheurs qui contrastent avec un paysage environnant où les urbanistes n’ont guère fait preuve de goût ni d’imagination. C’est dans ce canal du Danube que se jette en plein centre-ville, la Vienne (Die Wien), cette jolie petite rivière qui descendait autrefois joyeusement des collines boisées des environs de la capitale, de la « Forêt viennoise » (Wienerwald) et qui lui a généreusement légué son nom. (Combien la toponymie est redevable aux cours d’eau !). Entièrement canalisée, la Vienne conflue dans le Donaukanal à la hauteur de l’observatoire astronomique (Urania) construit en 1910 par un élève d’Otto Wagner, Max Fabiani (1865-1962), inauguré par l’incontournable empereur d’Autriche François-Joseph de Habsbourg. Il abrite désormais une excellente salle de cinéma ainsi qu’un café.

L’immeuble Urania domine le confluent de la Wien avec le Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

Bras principal du fleuve au Moyen-Âge, longtemps fréquenté et animé par des bateliers, des pêcheurs, des marchands et de nombreuses autres corporations puis devenu secondaire, dénommé « Petit Danube », ce canal a été aménagé en même temps que le cours principal pendant les années 1870-1874.

L’autre Danube est ailleurs !
Mais où se trouve le « vrai » Danube ? De nombreux indices de sa présence sont certes visibles pour le visiteur attentif mais le fleuve lui-même est parfaitement invisible au coeur de la ville. Il faut se rendre sur l’île du Danube, sur la rive gauche, au port de Freudenau et dans certains des quartiers périphériques industriels et encore populaires qui voisinent ainsi sur la rive droite avec lui pour le rencontrer. Même du Prater, ouvert au public par l’empereur Joseph II de Habsbourg en 1766 et qui fut depuis régulièrement et sous divers prétextes amputé d’une partie de son territoire initial, on ne l’aperçoit guère sauf si l’on choisit de faire un tour de la célèbre grande roue ou des manèges plus récents dont les nacelles illuminées montent et descendent à une vitesse vertigineuse au dessus des arbres du parc.

Le parc du  Prater (à gauche) et Vienne en 1830 ; un Danube au cours encore sinueux, une multitude d’îles, le quartier de Leopoldstadt sur la rive gauche du bras aménagé (Donaukanal) et le confluent de la Vienne avec le celui-ci. Carte réalisée par l’architecte, cartographe et officier autrichien Carl Vasquez- Pinas von Löwentahl (1798-1861) 

Le ou les Danube ?
En fait le Danube à Vienne se conjugue au pluriel :
Le Danube (Die Donau) lui même ou bras principal (navigation de croisière, transport fluvial, installations portuaires (Freudenau), promenades, pistes cyclables, lieux de loisirs…

Le Nouveau Danube (Die neue Donau) loisirs nautiques, baignades, plages, pistes cyclables, promenades…), séparé du Danube par l’île artificielle du Danube (Donauinsel) avec une réplique de phare, qui commence en amont de Vienne au PK 1938,10 et finit en aval au PK 1915,8 à la hauteur du Parc National de la Lobau et du port pétrolier.

La trilogie danubienne viennoise actuelle : le Danube et son tracé rectiligne, le Nouveau Danube, tout autant rectiligne, à droite du fleuve séparé de celui-ci par l’île du Danube longiligne (Donauinsel), le bras mort du Vieux Danube en forme d’arc-de-cercle avec ses deux îles propices aux baignades. Quant au canal du Danube, il serpente dans la ville (à gauche) et longe le Prater, photo Wikipedia, domaine public

Le bras mort du Vieux Danube (Die Alte Donau) offre de nombreuses possibilités de loisirs nautiques, baignades, pêche, plages, parc aquatique, promenades, bars et restaurants au bord de l’eau. Avec ses deux îles, Großer Gänselhäufel et Kleine Gänsehäufel, il est l’un des espaces préférés des Viennois pendant la belle saison !

Vue du « Petit Danube » avant sa transformation en canal et du pont Ferdinand, 1828, peinture de C. L. Hoffmeister, collection Musée de la Ville de Vienne

Un ersatz de fleuve sauvage…
Le grand fleuve impérial d’autrefois, découpé à l’image de l’Empire autrichien, réduit comme une peau de chagrin qui s’identifiait intimement à celui-ci, aménagé, rectifié, méconnaissable, ne serait-il plus qu’une succession de mythes, de souvenirs et d’images littéraires éloignées de la réalité, un arrière-plan de cinéma, un décor de théâtre et de festivals, une suite de valses désuètes, des îles et des plages artificielles, des bases de loisirs aquatiques, des quais tristes et bétonnés, des installations portuaires en périphérie, des succession d’entrepôts, d’usines hydroélectriques aux écluses gigantesques, des autoroutes, des ponts, un Parc National (rive gauche) en partie piégé par l’extension de la ville vers le nord-est, dans un environnement urbain où subsistent des souvenirs de nature sauvage ponctuées de monuments des guerres napoléoniennes, un court canal abandonné et des bras morts au bord desquels des enfants viennois en « classe verte » visitent des expositions sur la biodiversité et tentent de se réconcilier avec celle-ci, un réseau de pistes cyclables, de chemins ou d’allées très (trop) fréquentées, un espace naturiste (FKK) et un port avec des installations pétrolières gourmandes en eau menaçant les prairies alluviales voisines ? Le Danube ne servirait-il plus que de faire-valoir à un tourisme fluvial pour des visiteurs et des touristes pressés de tout croire avoir vu et de rejoindre  satisfaits on ne sait quel ailleurs ?
Que reste t-il du Danube d’autrefois à Vienne ? Rien ou si peu ! Ce qu’on admire ou déteste plus rarement désormais ce n’est plus qu’une pâle figure du magnifique fleuve sauvage d’autrefois au cours sinueux, aux somptueux méandres qui faisaient l’apologie de la courbe ! Il ne reste plus du fleuve que le nom, qu’un Danube urbain domestiqué, apprivoisé, tenu en laisse par la main prométhéenne et intéressée de l’homme. Allez voir la tristesse de la « Donau Marina » et vous ne pourrez qu’acquiescer à ces propos !
Amoureux du Danube, passez votre chemin, inutile de vous arrêter à Vienne !

Rive droite : un Danube fonctionnel aménagé et urbanisé à outrance, ici le port où accostent de nombreux bateaux de croisière, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Danube viennois est le moins romantique des Danube autrichiens. Même à Linz où l’on aime par dessus-tout construire des ponts, celui-ci a meilleure allure, à l’exception des rives conquises par le port industriel et les industries métallurgiques de la rive droite qui font la richesse de la ville…
Le Danube viennois peut se contempler à la rigueur d’en haut des 484 m du Kalhenberg, des 425 m du Léopoldsberg ou des 542 m du Hermannskogel. Mais sur les quais monotones et bétonnés, le Danube n’est plus qu’un cours d’eau ordinaire. Oubliés les paysages harmonieux en amont de la capitale et le Danube des belles Strudengau, Nibelungengau ou de l’harmonieuse Wachau.

Les nouveaux quartiers de la rive gauche (Kaisermülhen) et au premier plan l’île du Danube avec sa réplique de phare. Malgré l’audace de certains buildings, bien peu de poésie, de convivialité et d’originalité dans les aménagements ! Photo © Danube-culture, droits réservés

Un bac pour changer de rive et d’atmosphère ?
On peut encore traverser le Danube avec un dernier bac accessible aux voitures à la périphérie amont de Vienne, de Klosterneuburg (rive droite) à Korneuburg ancienne cité de chantiers navals. La petite route qui y mène depuis la petite cité Klosterneuburg circule dans un environnement de résidences secondaires parfois croquignolesques, haut perchées sur des pilotis, inondations obligent !
Le bac à fil est évidemment aussi très apprécié des cyclistes et autres randonneurs qui sillonnent inlassablement les bords aménagés du fleuve en particulier le weekend.


Lectures viennoises…

 Cette liste n’est évidemment pas exhaustive tant les littératures viennoises et sur Vienne sont abondantes.

Vienne sous Napoléon…
« La ville de Vienne est située sur la rive droite du Danube, fleuve immense dont un faible bras passe dans cette cité, le grand bras se trouvant à plus d’une demi-lieue au-delà. Le Danube forme sur ce dernier point une grande quantité d’îles, réunies par une longue série de ponts… »
Mémoires du Général baron de Marbot (1772-1854), Plon, Paris, 1891

« Vienne (était) entourée d’un puissant mur, de construction régulière et moderne, de fossés profonds et d’un chemin couvert, mais sans ouvrage avancé. Il y a un glacis ouvert, et les faubourgs sont construits à la distance requise par les règlements militaires. Ces derniers sont très étendus, et, depuis l’invasion des Turcs (!), entourés de retranchements, couverts d’ouvrages en maçonnerie. L’ensemble constitue une espèce de camp retranché, fermé par de solides portes… »
Anne Jean Marie René Savary (1774-1833), Mémoires du duc de Rovigo pour servir à l’histoire de l’empereur Napoléon,  Bossange et Charles Béchet, 1829

Au Prater
« Le Prater, que je n’ai vu que lorsqu’il était dépouillé de sa verdure, n’avait pas perdu pour autant toute ses beautés ; les jours de neige surtout, il présente un coup d’oeil charmant, et la foule venait de nouveau envahir ses nombreux cafés, ses casinos et ses pavillons élégants, trahis tout d’abord par la nudité de leurs bocages. Les troupes de chevreuils parcourent en liberté ce parc où on les nourrit, et plusieurs bras du Danube coupent les îles, les bois et les prairies. À gauche commence le chemin de Vienne à Brünn. À un quart d’heure de lieue plus loin coule le Danube (car Vienne n’est pas plus sur le Danube que Strasbourg sur le Rhin). Tels sont les Champs-Élysées de cette capitale. »
Gérard de Nerval (1808-1855), Vienne, Récit, Éditions Magellan, Paris, 2010.
G. de Nerval séjourne à Vienne du 19 novembre 1839 au 1er mars 1840. Il a trente ans. Il arpente la ville, son centre, ses parcs dont le fameux parc du Prater, va au spectacle, fait des rencontres et s’aperçoit qu’on le surveille dans ses moindre allées et venues !

« Le Danube était un fleuve gris, plat et boueux qui traversait très loin de là le second Bezirk1, la zone russe où gisait le Prater écrasé, désolé, envahi d’herbes folles au-dessus duquel la Grande Roue tournait lentement parmi les fondations des manèges de chevaux de bois, semblables à des meules abandonnées, de la ferraille rouillée de tanks détruits que personne n’avait déblayés et d’herbes brûlées par le gel aux endroits où la couche de neige était mince. »
Note :
1 Bezirk, arrondissement de Vienne
Graham Greene, Le Troisième Homme, Éditions Robert Laffon, Paris, 1950

« Vivre et laisser vivre, telle est la sagesse de Vienne, tolérance libérale qui peut tourner à l’indifférence cynique, comme disait Alfred Polgar à « Mourir et laisser mourir. »Le cimetière Biedermeier de Sankt Marx est complètement à l’abandon. Sur les tombes dévorées de rouilles, les ornements de fer partent en morceaux et les inscriptions s’effacent, l’adjectif « éternels » accompagnant le mot « regrets » se dissout dans l’oubli. C’est une forêt d’anges sans tête, avec une végétation envahissante qui recouvre les sépulcres, des stèles prises dans la jungle : un ange au flambeau renversé et portant la main à la tête en signe de douleur indique la tombe où on avait enseveli Mozart : les chrysanthèmes qu’une main a déposé sur ce modeste cénotaphe sont tout frais… »

Mais où sont les bains de Diane d’antan ? 
« Cette énorme bâtisse longeant le canal du Danube, au n° 95 de l’obere Donaustrasse, est le siège d’I.B.M. Une plaque, à l’entrée principale, rappelle que c’est à cet endroit, dans les locaux des bains de Diane, qui aujourd’hui n’existent plus, que Johann Strauss (fils) a exécuté pour la première fois, le 15 février 1867, Le beau Danube bleu.

Les Bains de Diane au bord du bras du Danube transformé ultérieurement en canal, gravure de l’époque

Les bains de Diane étaient certainement plus attrayants que cette espèce de grosse boite, mais les calculatrices et les cerveaux électroniques installés à présent dans cet ancien temple de l’éphémère, dans lequel toute une civilisation demandait à la légèreté d’écarter la tragédie ne troublent pas le tournoiement de cette valse qui, comme l’a génialement vu Stanley Kubrik dans 2001 Odyssée de l’espace, exprime l’unisson du rythme et du souffle des mondes… »
Claudio Magris, « Odyssée de l’espace », in Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Quelques lecture en français sur Vienne et le Danube

ALTENBERG, Peter, Nouvelles esquisses viennoises, Éditions Actes Sud, Arles, 1994

BORSI, Franco et GODOLI, Ezio, Vienne, architecture 1900, Éditions Flammarion, Paris, 1985

BURLEAUD, Pierre, Danube-Rhapsodie, Images, Mythes et représentation d’un fleuve européen, Grasset, 2001

CANETTI, Elias, Écrits autobiographiques, Éditions Albin Michel, Paris, 1998

GREENE, Graham, Le Troisième Homme, Éditions Robert Laffont, Paris, 1950

JANIK, A. et TOULMIN, S., Wittgenstein, Vienne et la modernité, Perspectives critiques, Éditions PUF, Paris, 1981

JELINEK, Elfrida, La Pianiste, Éditions J. Chambon, Paris, 1989

JESENSKA, Milena, Vivre, Éditions Lieu commun, Paris ?, 1985

KAFKA, Franz, Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, Paris, 1976
L’écrivain est mort dans un sanatorium à la périphérie de Vienne.

KRAUS, Karl, Dits et contredits, Éditions Champs libres, Paris, 1975

LADINIG, Gernot (Die AlteDonau, Mensche in Wasser, Perspektiven einer Wiener Landschaft, Verlag Bohmann, Vienne, ? (en allemand)

LANDER, X. Y., Vienne, Collection Points Plan Planète, Éditions du Seuil, Paris, 1989

LERNET-HOLENIA, Alexander, Le comte Luna, Christian Bourgeois éditeur, Paris, 1994

LEMAIRE, Gérard-Georges (textes choisis et présentés par), Le goût de Vienne, Éditions du Mercure de France, Paris, 2003

MAGRIS, Claudio, Le Mythe et l’empire dans la littérature autrichienne moderne, Éditions de L’Arpenteur, Paris, 1991

MAGRIS, Claudio, Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

MUSIL, Robert, L’homme sans qualités, Éditions du Seuil, Paris, 1957

POLGAR, Alfred, Théorie des cafés, Tome 2, Éditions Eric Koehler/Éditions de l’IMEC, Paris, 1997

ROTH, Joseph, Conte de la 1002e nuit, Éditions Robert Lafont, Paris, 1956

ROTH, Joseph, La crypte des capucins, Éditions du Seuil, Paris, 1983

SCHORSKE, Carl E., Vienne fin de siècle, politique et culture, Éditions du Seuil, Paris, 1983

SEETHALER, Robert, Le tabac Tresniek, Folio Gallimard, 2016

VON DODERER, Heimito, Les Démons, L’Étrangère, Gallimard, Paris, 1965

WORTHLEY MONTAGU, Lady, Lettres d’ailleurs, Éditions José Corti, Paris, 1997

ZWEIG, Stefan, Pays, villes, paysages, écrits de voyage, Éditions Belfond, Paris, 1996

Eric Baude pour Danube-culture, mise à jour mars 2022, © droits réservés

Peintres du Danube : Emil Jakob Schindler (1842-1892), peintre de la lumière et de ses reflets

Emil Jakob Schindler, blanchisseuse sur la rive du Danube, huile sur bois, 1868

   E. J. Schindler fait la connaissance lors d’un séjour à Milan du peintre paysagiste allemand Albert Zimmermann (1808-1888), professeur à l’Académie de Milan puis à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne où son disciple le suit en 1859. Zimmermann ne tarde pas à discerner son talent. Il l’emmène avec lui dans les montagnes de Bavière, à Ramsau dans le massif du Dachstein… C’est dans ces paysages alpins que s’éveille la profonde sensibilité de Schindler pour la forêt et les éléments de la nature. Après la démission de Zimmermann, le jeune artiste se perfectionne en étudiant la peinture paysagiste néerlandaise du XVIIe siècle, la peinture de l’École de Barbizon et tombe sous le charme de Charles-François Daubigny (1817-1878), qui expose à Vienne au début des années 70. Le peintre qui fait face à des difficultés financières se rend avec l’aide de son mécène en Dalmatie en 1874 puis  aux Pays-Bas en 1875 en compagnie de la peintre viennoise Tina Blau-Lang (1845-1916) avec laquelle il partage un atelier pour les mois d’été dans l’un des bâtiments du Prater de l’Exposition universelle (1873). Malade, sa situation financière ne s’améliorera qu’à partir de 1881 grâce à l’obtention du Reichel-Preis décerné par l’Académie des Beaux-Arts.

E. J. Schindler, scène du Prater, 1872, collection privée

Schindler visite à Munich la première exposition internationale d’art y découvrant des peintures de Gustave Courbet, Camille Corot (1791-1975)  et s’installe dans le parc du Prater en 1869 où l’atmosphère matinale des prairies et forêts alluviales sous la brume est pour lui une puissante source d’inspiration, à l’image de ce que Ville-d’Avray a représenté pour Camille Corot à la fin de sa vie. Il participe à l’Exposition de Vienne en 1873. Il passe ensuite les mois d’été de 1881 à 1884 en compagnie de sa famille et de son élève Karl Moll (1861-1945) à Bad Goisern (Haute-Autriche) puis, à partir de 1885, s’installe comme locataire au château de Plankenberg, une propriété d’une des branches de la famille Liechstenstein située près de Neulengbach (Basse-Autriche).

E. J. Schindler, Lune montante sur les prairies alluviales du Prater, huile sur toile, 1877, collection de la galerie du Belvédère de Vienne

Une petite colonie d’artistes se forme autour de lui avec ses élèves Carl Moll qui épousera trois années après la mort du peintre la veuve d’E. J. Schindler, la cantatrice d’origine allemande et mère d’Alma Mahler ( ), Anna Sofie Bergen (1857–1938), Olga Wisinger-Florian (1844-1926), Marie Egner (1850-1940), Eduard Zetsche (1844-1927) et Theodor Hörmann von Hörbach (1840-1895). Les lieux semblent avoir fait une forte impression sur sa fille Alma alors enfant : « Le château était pour moi plein d’horreur, de légendes et de beauté. On disait qu’un fantôme rôdait, nous, les enfants, en avions peur des nuits entières. Au milieu du grand escalier, un autel trônait dans une petite chapelle, et mon père y trouva une madone en bois et des chandeliers baroques dorés. L’autel était entouré de fleurs et n’était bien sûr jamais utilisé ; il n’était là que pour la beauté ».

E. J. Schindler, Chasse au canard dans le Prater, huile sur toile, 1884, collection de la galerie du Belvédère de Vienne

   En 1887/88, il retourne en Dalmatie, visite Corfou et participe avec quatre de ses tableaux (achevés en 1889) à l’aménagement du nouveau Musée d’Histoire Naturelle de la capital impériale. Nommé membre d’honneur de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne en 1888 (le peintre n’obtiendra curieusement jamais de poste de professeur dans cette même Académie des Beaux-Arts !), il reçoit deux ans plus tard la médaille d’or de l’État impérial austro-hongrois. Une exposition au Künstlerhaus de Vienne présente pour la première fois un grand nombre de ses peintures.

E. J. Schindler portrait

Portrait d’E. J. Schindler

   Ses premières études de la nature font référence au réalisme de Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865). Sa peinture qualifiée d’impressionnisme d’ambiance se situe délibérément à l’opposé de la peinture alpine académique «officielle» héroïsée, romantisée, grandiloquente et figée de l’époque. Sa volonté est d’abord de fixer l’essence des choses et non pas de se contenter de refléter leur apparence réelle et vide de sens. Il parvient à rendre et à transmettre dans ses oeuvres une impression globale du motif, de l’instant de la journée, de l’atmosphère, de la lumière et des conditions météorologiques qui sont presque comme exacerbé dans l’environnement du fleuve. Son influence sur la peinture viennoise de paysages s’est prolongée jusqu’au XXe siècle.

E. J. Schindler, huile sur carton, 1892, collection privée

Dans ses oeuvres de peintre paysagiste, E.J. Schindler transmet une manière très personnelle de vivre et de ressentir la présence de la nature, sans imposer sa technique picturale à ses élèves. Ses motifs préférés ont été les plaines alluviales du Danube, le parc du Prater avec ses arbres immenses et ses pièces d’eau, la Forêt viennoise, la région de la Wachau…
Le peintre décède en 1892 à l’âge de cinquante ans lors d’un séjour de convalescence en Allemagne sur l’île de Sylt (Frises du nord) et est inhumé au Zentralfriedhof (cimetière central) de Vienne comme tant d’autres personnalités artistiques autrichiennes.

E. J. Schindler par Edmund Hellmer (1895), Stadtpark  (parc municipal) de Vienne, photo droits réservés

À l’initiative de Carl Moll, un monument en marbre dédié au peintre est réalisé en 1895 par un de ses proches, Edmund Hellmer (1850-1935) et installé dans le parc municipal de Vienne. C’est à ce même sculpteur autrichien, auteur également du tombeau d’E. J. Schindler au cimetière central de Vienne que l’on doit encore le monument dédié à Johann Strauss dans le même parc municipal de la ville et qui attire tant d’admirateurs du compositeur.

Galerie autrichienne du Belvédère
www.belvedere.at/en/museum

Eric Baude pour Danube-culture, octobre 2022, © droits réservés

Emil Jakob Schindler, débarcadère des bateaux à vapeur sur le Danube près de Kaisermühlen, galerie du Belvédère, Vienne, vers 1872

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