Contes et légendes du Machland et de la Strudengau (Autriche danubienne)
Le poisson qui parlait (Machland)
Le Danube s’écoule entre Mauthausen (rive droite) et le village d’Ardagger (rive gauche) aux portes de la Strudengau à travers la plaine autrefois inondable du Machland au temps où le Danube autrichien était encore un fleuve sauvage. Les forêts alluviales ancestrales, les bras morts, une multitude de marais et d’étangs formaient des paysages semi-aquatiques qui abritaient autrefois selon la croyance populaire de nombreux esprits des eaux réalisant parfois des miracles ou provoquant au contraire toutes sortes de catastrophes. Ondins, sirènes, fées et les sorcières pouvaient aussi se jalouser et rivalisaient d’imagination pour ensorceler les habitants. Mieux valait les laisser tranquille ! Il arrivait parfois que des habitants entendent des animaux parler le langage des humains comme cette histoire en témoigne.
Marie, la fille d’un paysan qui venait d’Heinrichdorf, un hameau des environs de Mauthausen, était allée laver du linge au bord d’un étang à proximité du fleuve. Elle frottait les chemises avec beaucoup d’énergie mais à force de se pencher, son dos commença à la faire souffrir. Au moment où elle voulut se reposer un instant, il lui sembla entendre une voix monter des profondeurs de l’étang. Elle se figea, tendit l’oreille et entendit clairement celle-ci lui dire : « Sors-moi ! Sors-moi de là ! »
L’instant d’après, la tête d’un énorme poisson apparut devant elle. Il était noir comme du charbon, sa gueule était grande ouverte et il regardait la jeune fille avec des yeux énormes. Effrayée par l’apparition de ce monstre la jeune fille laissa d’abord tomber dans l’eau la chemise qu’elle tenait dans ses mains puis elle s’enfuie à toutes jambes vers la ferme où elle chercha son père et lui dit avec une voix encore pleine d’émotion : Il y a un énorme poisson noir comme du charbon dans l’étang qui parle le langage des hommes. Il m’a demandé de le sortir de l’eau, arriva-t-elle à balbutier avec peine.
Le paysan se mit à rire et lui répondit : « Un poisson géant qui parle ? Ma pauvre fille, tu as dû encore une fois rêvasser au lieu de faire ta lessive. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu de poisson qui parle. File donc te remettre au travail. »
Marie avait beau insister et affirmer qu’elle avait vraiment vu et entendu parler un poisson géant, son père ne croyait pas un seul mot de ce qu’elle racontait et il finit même à la fin par se fâcher. « Je ne veux plus entendre parler de ces bêtises. Un poisson ça vit dans l’eau. Si on le ramène sur la terre ferme, il meure ! »
La jeune fille n’osa pas retourner à l’étang ce jour-là ni le jour suivant. Ce n’est que le surlendemain, sur l’insistance de son père, qu’elle prit son courage à deux mains et qu’elle y revint pour finir de laver son linge. C’était un jour merveilleux de l’été, l l’étang immobile réfléchissait le ciel. Pas un souffle de vent ne venait le troubler. Tout était calme, seules les libellules virevoltaient dans l’air avant de se poser sur un brin de roseau. C’était si tranquille que Marie elle-même crût avoir rêvé. Mais lorsqu’elle plongea le linge dans l’eau, il lui sembla entendre à nouveau la voix qui prononça distinctement : « Pourquoi ne m’as-tu pas sorti de là ? Maintenant, je dois rester ensorcelé et attendre de nouveau sept ans avant de pouvoir demander à un être humain de me délivrer. » Puis tout redevint silencieux et muet comme avant.
Marie fit sa lessive et rentra chez elle en courant. Elle ne parla plus jamais à personne de sa rencontre avec le poisson qui parlait même lorsque les gens racontaient qu’ils avaient vu un énorme poisson noir dans l’étang. Il paraît que c’était un poisson aussi muet que les autres !
La Légende de l’ermite de l’île de Wörth (Strudengau), une des légendes les plus connues de la Strudengau
L’histoire se déroule en 1540 : un noble tyrolien souhaitait faire un agréable voyage vers la ville de Vienne avec son épouse. Ils embarquèrent sur un bateau (Zille) avec de nombreux passagers pour descendre l’Inn puis le Danube et s’approchèrent des redoutables tourbillons de la Strudengau. Dès la ville de Grein, on avait prévenu le capitaine de l’embarcation qu’il fallait un pilote local expérimenté pour traverser la succession de tourbillons sans encombre mais l’orgueilleux batelier refusa la proposition, prétextant que c’était inutile et qu’il avait déjà franchi bien des endroits difficiles. Le mugissement de l’eau agitée commença à se faire entendre. De l’écume blanchâtre recouvrit peu à peu le pont mais le batelier regardait l’eau avec dédain. Il ne pouvait pas voir les différents récifs qui se cachaient insidieusement sous la surface. Soudain, suite à un choc et à un craquement brutal, de l’eau pénétra à travers les planches disloquées. Le navire se mit à à tourner sur lui-même, la proue se pencha et, en quelques minutes, comme attirée par des forces souterraines mystérieuses, entraîna les passagers effrayées au fond de l’eau. Juste après, on vit un homme sortir la tête du tumulte des flots et, à grand-peine, parvenir à secourir un passager inconscient en le ramenant sur la plage de l’île de Wörth toute proche. Ce passager sauvé de la noyade était l’aristocrate tyrolien et le sauveteur son serviteur. Lorsque le comte reprit connaissance et qu’il ne vit ni son épouse, ni le bateau, ni l’équipage ni les autres passagers, il comprit qu’il s’était noyé. Abasourdi par l’immense douleur d’avoir perdu sa chère et tendre épouse, il décida de rester sur l’île pour y finir sa vie et mourir en ermite. Le comte vécut pendant 12 années avec son fidèle serviteur sur l’île. Ce dernier apporta son aide à un paysan qui y était installé. Le noble tyrolien avait élu domicile dans les ruines du château-fort et, lorsqu’un bateau descendait le Danube en provenance de Grein, il montait sur la tour et, par des gestes et des appels éloquents, avertissait l’équipage de la présence des dangers du courant et des rochers, leur indiquant précisément par où passer en toute sécurité. C’est ainsi que « l’ermite de l’île de Wörth » devint une célébrité connue de tous les bateliers qui n’hésitaient pas à remercier de ses services le pauvre homme en lui offrant au passage de nombreuses provisions.
Sa femme que le comte pensait morte pendant le naufrage, était en fait restée en vie grâce au merveilleux effet de la providence. Évanouie sur le bord ses poumons avaient été vidés de leur eau à Sarmingstein par des gens bienveillants qui avaient pris soin de son corps inanimé. En la regardant de plus près, ils remarquèrent toutefois que la comtesse respirait encore et ils parvinrent par miracle à la réanimer. Elle fut amenée à l’hôpital de Saint-Nicolas où elle reprit des forces de sorte qu’elle put continuer son voyage. Mais elle ne se rendit pas chez son frère à Vienne. Après avoir remercié et largement récompensé ses sauveurs, elle rentra au Tyrol où elle vécut retirée dans le deuil de son mari.
La nouvelle qu’un ermite s’était installé sur l’île de Wörth à proximité des redoutables tourbillons de la Strudengau, si dangereux pour la navigation, ermite qui avait failli lui-même mourir à cet endroit de nombreuses années auparavant, était parvenue par l’intermédiaire des bateliers qui naviguaient sur l’Inn jusqu’aux oreilles de la comtesse. Elle se demanda alors si cet ermite n’aurait pas par hasard des informations sur ce terrible naufrage d’il y avait 12 années. Elle lui envoya à tout hasard son valet qui, longtemps après, revint avec l’étrange message selon lequel l’ermite serait bien le comte qui avait été porté noyé depuis longtemps ! La comtesse se rendit alors rapidement sur l’île de Wörth. Le comte et son épouse tombèrent en larmes dans les bras l’un de l’autre et retournèrent dans leur propriété du Tyrol. En souvenir du sauvetage de ce naufrage, ils firent ériger cette belle croix en pierre que l’on peut encore voir de nos jours.
La chasse sauvage (Strudengau)
Il était une fois un paysan qui arrivait du pays voisin d’Achleiten et prit du bon temps dans une auberge d’Aumühle (Grein). Le temps passa très vite en joyeuse compagnie et le paysan fut surpris par la tombée de la nuit. Il se munit d’une lanterne pour retourner chez lui. Tandis que son chemin le menait à travers une forêt très sombre, il entendit soudain un cliquetis de chaîne parmi des hurlements de loups, des sifflement de serpents, des aboiement de chiens et des cris perçants de chouettes. Ces voix s’élevaient et se mélangeaient en un horrible tumulte. Un immense effroi traversa tout le corps de l’homme : il ne pouvait s’agir que de la fameuse et redoutable chasse sauvage. Il se jeta aussitôt au sol, cacha sa tête dans ses mains et commença à murmurer des prières.
Le paysan ne se souvint pas combien de temps il était resté couché sur le sol. Lorsqu’il se redressa avec hésitation, il remarqua que le cauchemar nocturne avait disparu et qu’il n’y avait désormais plus aucun bruit.
Quand il rentra chez lui et raconta son aventure, personne ne voulut croire à cette histoire étrange et qu’il avait pu échapper à la chasse sauvage. Mais le brave homme ne cessa, durant tout le reste de sa vie, d’évoquer cette épouvantable aventure.
La nymphe du Danube
La « Donauweibl » ou « Donauweibchen » ou l’ondine du Danube est au fleuve ce que représente « La Lorelei » pour le Rhin. Elle apparaît souvent comme une aimable et belle jeune fille avec de longs et magnifiques cheveux, la tête et les vêtements ornés de fleurs. Elle est tantôt bonne, tantôt perfide. Parfois, elle prévient et protège les bateliers et les pêcheurs lors de tempête et de gros temps sur le fleuve. En cas de crue, elle indique aux navires le bon chemin vers l’aval. Elle se dresse parfois sur le « Gransel » (Kranzel) ou à la proue du navire et a le pouvoir de dissiper le brouillard sur le fleuve. Son chant merveilleux mais dont personne ne comprend le sens saisit d’admiration les bateliers qui en oublient parfois leur gouvernail, font naufrage sur les rochers et se noient.
Le chevalier pillard du château-fort de Säbnich (Strudengau)
Au moment où régnait encore la loi du plus fort sur nos provinces vivait au château de Säbnich en Strudengau un chevalier pillard redouté. Avec l’aide de ses valets, il verrouillait le Danube au moyen de grosses chaînes et pillait sans scrupule les navires marchands qui remontaient le fleuve, prenant en otage de riches commerçants et demandant une forte rançon en échange. Lassé de ces agressions et alors qu’il venait de nouveau de piller des bateaux de pèlerins, un noble seigneur des environs rassembla une armée imposante et assiégea sa forteresse. Les vivres ne tardèrent pas à manquer et la faim s’installa derrière les remparts.Le château-fort fut pris d’assaut. Peu avant d’être fait prisonnier, le chevalier pillard banda les yeux de son cheval et s’élança avec lui dans le précipice. Son château fut incendié. La vallée de la Strudengau et le Danube redevinrent sûrs pour la navigation.
Au cours de la guerre de Trente ans (1618-1648), le château fut détruit par les Suédois. Il est depuis en ruine et il ne reste plus aujourd’hui de la forteresse de Säbnich que quelques décombres et ce conte…
L’église Notre-Dame de Struden (Strudengau)
Une légende rapporte que l’empereur du Saint-Empire romain germanique Maximilien Ier de Habsbourg (1459-1519) dormit une nuit dans son château de Werfenstein en 1502 et que le plafond d’une pièce s’effondra mystérieusement pendant son séjour. L’empereur put échapper à une mort certaine grâce à un petit homme habillé en gris qui l’avait averti à temps. Maximilien fit ériger l’église Notre-Dame de Struden pour le remercier d’avoir eu la vie sauve.
Un document de l’ancien tribunal libre de Struden du 16 novembre 1790 atteste que l’empereur Maximilien est effectivement le fondateur de l’ancienne église. Il entendait aussi offrir aux bateliers et aux transporteurs de sel qui remontaient et descendaient le fleuve dans ce passage difficile la possibilité d’écouter une messe les dimanches et les jours fériés. Il a d’ailleurs lui-même fait dire une messe en 1502, laquelle devait être répétée tous les ans le jour de son sauvetage, financée par le percepteur impérial et royal des péages et comptabilisée dans les dépenses. Le maître-autel de cette chapelle a été offert par les charpentiers de marine de Struden et d’autres bienfaiteurs. La conduite de l’office religieux fut confié à un prêtre de Saint-Nicolas ou, en cas d’empêchement, à un moine franciscain du couvent de Grein. Pendant 52 années, à chaque automne, une messe a été célébrée dans cette église conformément à la demande de l’Empereur.
Beaucoup plus tard, en 1784, sur ordre de l’empereur Joseph II, l’église a été fermée au culte. Le nouveau propriétaire l’a transformée en logements, son actuelle fonction. Le maître-autel avec le tabernacle a rejoint l’église paroissiale de Saint-Nicolas tout comme la statue de la Vierge Marie, les vêtements liturgiques, le ciboire, les chandeliers et le linge d’église. Le petit orgue a été transporté à l’église voisine de Klam. Les deux cloches ont été emmenées au village de Kreuzen. Cette ancienne église gothique se reconnaît aujourd’hui encore par son extrémité polygonale sous forme de tourelles et ses fenêtres maçonnées en ogive.
Sources :
Josef Petschan, Contes et curiosités de la Strudengau, 1929
Nora Kircher, Die Donau, in Mythen, Märchen und Erzählungen, Knaur, München, 1988
Hertha Kratzer, Donausagen, Vom Ursprung bis zur Mündung, Ueberreuter, Wien, 2003
Traduction en français et adaptation des contes pour Danube-culture, Eric Baude © droits réservés, mis à jour décembre 2023