Le monastère de Schönbühel (Wachau)
Le monastère servite de Schönbühel vue depuis l’amont, photo © Danube-culture, droits réservés
Les Starhemberg, une des plus vieilles familles de la noblesse de l’archiduché d’Autriche, prennent possession du château-fort et du domaine de Schönbühel en 1411. Ils en resteront les propriétaires durant plus de quatre siècles. Ludwig (1564-1620) et Gotthard von Starhemberg (1563-1624) ainsi leur frère Martin (1566-1620) seront des fervents adeptes du protestantisme et participeront à la célèbre bataille de la Montagne Blanche (Bilá Hora) de Prague en novembre 1620. cette bataille capitale bien que n’ayant duré que deux heures, est remportée par les troupes catholiques de l’empereur du Saint-Empire romain germanique Ferdinand II de Habsbourg (1587-1637) sur celles du roi de Bohême Frédéric V (1596-1632). Ce sera le début de la reconquête catholique des Pays de Bohême.
En raison de leur participation à cette bataille et à d’autres exactions contre des biens catholiques, les trois frères Starhemberg sont sévèrement punis par l’empereur et leurs biens confisqués. Leur frère Paul Jakob (1560-1635), resté prudemment en retrait des affrontements, peut avec beaucoup de difficultés conserver le domaine de Schönbühel. Son fils, Conrad Balthazar comte de Starhemberg (1612-1687)1, qui s’est converti au catholicisme, commence par faire édifier en 1666 à l’endroit où se trouvent des ruines de sinistre réputation, auréolées de légendes et tout autant maudites des bateliers du Danube (rochers dans le lit du fleuve), une chapelle sur le modèle de l’église du Saint Sépulcre de Jérusalem. Sa volonté était d’aider les habitants de la contrée à mieux se représenter les scènes essentielles de la vie du Christ et celles de la passion. La première messe est célébrée dans la chapelle en 1667 pour la nuit de Noël, le calvaire baroque est achevé en 1669.
L’ensemble des travaux de construction du monastère sont dirigés l’architecte originaire de Kufstein, Christoph Schachinger. Dans l’église Sainte-Rosalie du monastère une chapelle funéraire a été placée dans le chœur et la crypte a été conçue comme une grotte de Bethléem. C’est le seul exemple autrichien d’une réplique de la grotte de la Nativité. La chapelle Peregrinus, bâtie ultérieurement (1737), a été décorée de fresques rococo par le peintre Johann Wenzel Bergl (1719-1789), élève talentueux et original de Paul Troger (1698-1762) et un des peintres préférés de l’impératrice Marie-Thérèse qui le mit largement à contribution pour décorer certains des appartements de Schönbrunn et de la Hofburg (Vienne). Berlg a peint également ses fresques « exotiques » pour le pavillon du jardin de l’abbaye de Melk et celles du château de Donaudorf, désormais sous les eaux du Danube depuis la construction de la centrale d’Ybbs-Persenbeug en 1954.2
Se conformant à un souhait de la veuve de l’empereur Ferdinand II, Éléonore de Mantoue (1598-1655) auprès de laquelle il avait servi comme maître des écuries de la cour, Conrad Balthazar fait aménager entre 1670 et 1674 (1675?) une réplique adaptée de la grotte de la Nativité dans le rocher même à laquelle on accède par 54 marches. De nombreux se rendaient au monastère de Schönbühel par bateaux.
En 1669 l’église du château, dont les moines servites ont aussi la responsabilité, a acquis le statut de paroisse avec la bénédiction de l’évêque de Passau qui autorise également la création d’un cimetière.
Les statuts juridiques, établis en 1672, permettent à cinq moines et deux frères laïcs de résider au monastère. Schönbühel devient rapidement, grâce à sa réplique de l’église du Saint Sépulcre, un lieu de pèlerinage très fréquenté à la période baroque. L’empereur Léopold Ier de Habsbourg s’y rend en 1675. Lors de l’épidémie de peste de 1679, la réputation du pèlerinage de Schönbühel et de son église dédiée à sainte Rosalie est alors à son apogée. Une Fraternité du scapulaire est fondée et un Livre des miracles témoigne de nombreuses voeux de guérison exaucés.
Le château qui n’est plus guère habité ni entretenu, commence à tomber en ruine. Il est vrai que Conrad Balthazar Starhemberg s’est fait construire entretemps, de 1661 à 1667, un palais baroque sur la place des Minorites à Vienne et que sa famille possède de nombreux autres domaines en Autriche et dans des pays voisins parmi lesquels la forteresse voisine d’Aggstein (1685).
Le monastère prospérera jusqu’au règne de l’empereur Joseph II de Habsbourg (1765-1790) qui, en tant que fervent partisan des Lumières et par des réformes audacieuses, met fin à de nombreuses activités religieuses, restreint les pèlerinages, ferme des couvents et supprime certains ordres à tel point que le pape s’en inquiète. Dans ce contexte défavorable et en raison du nombre de plus en plus restreint de moines qui y demeurent, il est même envisager de fermer le monastère. Mais les droits paroissiaux reposant sur l’église du monastère depuis 1786 empêchent toutefois sa dissolution. Le monastère se retrouve d’autant plus dans une situation périlleuse qu’il est pillé par les armées françaises pendant les campagnes napoléoniennes d’Autriche en 1805 et 1809. Le manque de moyens empêche d’entretenir correctement les bâtiments et, de nouveau, le monastère qui recevra la visite de la toute jeune princesse Elisabeth d’Autriche (1837-1898) en 18443 est menacé de dissolution à plusieurs reprises. Faute de moine y résidant, il est administré à partir de 1904 par la section tyrolienne de l’ordre des servites qui, après avoir commencé à le restaurer finit par le fermer définitivement en 1980. Les bâtiments sont alors restitués à l’administration du château de Schönbühel. L’église paroissiale du monastère est rattachée au diocèse de Sankt Pölten.
L’architecture des bâtiments date du début de l’époque baroque et est d’une grande sobriété. Restée pratiquement la même depuis la construction du monastère elle s’intègre harmonieusement dans le paysage escarpé de ces rives danubiennes. Une « Via sacra » (chemin de pèlerinage) relie le monastère à l’église de Maria-Langegg, un autre haut-lieu de pélerinage.
En 1887, le philosophe et psychologue Franz Brentano (1838–1917), neveu du poète Clemens Brentano (1778-1842) et qui fût le professeur à l’université de Vienne de Sigmund Freud (1856-1939) et d’Edmund Husserl (1859-1938), découvrit à l’occasion d’une promenade à Melk, la taverne construite par la famille des comtes Starhemberg au XVIIe siècle à proximité du monastère.
Séduit par l’emplacement et par le fait que la taverne lui rappelait la maison de ses parents à Aschaffenburg, il l’acheta et l’aménagea pour en faire sa résidence d’été jusqu’en 1914, y recevant ses invités autour de conversations philosophiques. L’ancien prêtre défroqué, le « grand-père de la phénoménologie », opposé à toute forme d’absolutisme, que ce soit dans les communautés politiques, religieuses ou scientifiques, entretint de bons contacts avec ses voisins du monastère servite. Le philosophe autrichien Alfred Kastil (1874-1950) s’installera pendant la seconde guerre mondiale dans la maison jusqu’à sa mort pour travailler à l’édition des oeuvres de F. Brentano.
Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour juillet 2023
Le monastère est accessible à la visite à certaines conditions :
www.klosterschoenbuehel.at
Notes :
1 Ernst Rüdiger von Starhemberg (1638-1701) s’est en particulier illustré dans la lutte contre l’empire ottoman. Commandant courageux de la garnison qui défendait Vienne pendant le siège de 1683, il refusa de capituler et sauva la ville malgré l’arrivée tardive des troupes catholiques qui mirent en déroutent l’impressionnant armada turc.
2 Les fresques ont été heureusement préservées et transférées au château Laudon à Vienne.
3 La scène est reprise dans le film d’Ernst Marieschka Sissi (1955).
Sources :
FLOSSMANN, Gerhard, « Der Bezirk Melk », Band 2 einer Bezirkskunde: Ein Kultur- und Reiseführer. 1994, S. 251–256
HÄUSLER, W. Geschichte des Servitenklosters Schönbühel, Dissertation, Wien 1969
HOFFMANN, Thomas, HOFFMANN, Clemens, Die Wachau, Wunderbares, Sagenhaftes, Unbekanntes, Kral Verlag, Berndorf, 2013
PLÖCKINGER, N.N. Wachausagen. N°. 15, p. 24
PERNERSTOFER, Matthias, Errichtung und Neuausstattung des « Gottseligen Hauß Bethlehem » im Kloster Schönbühel an der Donau, Hollitzer, Wien, 2019
OPPEKER, Walpurga, « Das Servitenkloster Schönbühel in Bildern: Ergänzungen zur Baugeschichte ». in Das Waldviertel, Heft 77/3, 2008, pp. 241–255
BAUMGARTNER, Wilhelm, « Le contenu et la méthode des philosophies de Franz Brentano et Carl Stumpf « , Les Études philosophiques, 2003/1 (n° 64), p. 3-22. DOI : 10.3917/leph.031.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2003-1-page-3.htm
À l’école de Brentano, de Würzburg à Vienne, traduction sous la direction de Denis Fisette et Guillaume Fréchette, Vrin, Paris, 2007
www.kloster-schoenbuehel.at
www.schoenbuehel-aggstein.at
www.kirche-am-fluss.at