Ada Kaleh (I)

« Les femmes de l’île chantent des chansons traditionnelles. Elles essaient de chanter dans des tonalités plus élevées en faisant vibrer leurs voix cristallines […]. Les pêcheurs fredonnent des airs de récitatifs qu’ils terminent par des fins de phrases aiguës. […]. Puis le soir vient et Ada kaleh s’élève doucement à travers la phosphorescence de l’eau. »
Tout comme l’ancienne et proche cité roumaine d’Orşova et les îles Poreci, érigée à l’emplacement de la colonie romaine de Tierna et qui marquait la fin de la voie trajane, prouesse technique et humaine taillée dans les rochers le long du fleuve par les armées romaines, la minuscule mais singulière île danubienne d’Ada Kaleh (1,7 km de long sur 500 m de large) fut recouverte en 1970 par les eaux d’un lac artificiel, conséquence de la construction du premier des deux imposants barrages/centrales hydroélectriques roumano-serbe des Portes-de-Fer, Djerdap I.

Cette île en forme de croissant au milieu du grand fleuve, formée par les sédiments d’un affluent de la rive gauche roumaine, la rivière Cerna, fut submergée par la volonté des dictateurs roumains Gheorghe Gheorghiu-Dej (1901-1965) et Nicolae Ceauşescu ( 1918-1989) qui ne voyaient dans cette île « exotique » qu’un désuet et encombrant souvenir de la longue domination ottomane sur les principautés danubiennes de Moldavie et de Valachie. L’histoire de cette île remonte jusqu’à l’antiquité et à la mythologie grecque. Elle portait avant l’arrivée des turcs sur l’île au XIVe siècle encore, semble-t-il, son nom grec d’origine, Erythia. Hérodote la mentionne sous le nom de Cyraunis. Les chevaliers teutoniques la baptisèrent Saan. L’île répondit aussi aux noms de Ducepratum, l’île ville Ata / Ada, l’Ile forteresse, Ada-Kale, Ada-i-Kebir, l’île d’Orsova, la Nouvelle Orsova, Karolina, Neu Orsova… Les Serbes la mentionnent sous le nom d’Oršovostrvo, les Hongrois la nomment Uj-Orsova sziget et les Roumains continuent à l’appeler de son nom turc Ada Kaleh (l’île fortifiée).

La vieille Orsova, la Nouvelle Orsova et les récifs en aval, dessin du XVIIIe siècle

Certains archéologues supposent que l’empereur Trajan lors de la guerre daco-romaine de 101-102, aurait traverser le Danube avec ses légions juste à l’endroit où se trouvait l’île, après avoir fait construire un pont de bateaux qui s’appuyait sur celle-ci. L’existence d’un canal de navigation pourrait confirmer qu’Ada Kaleh, de par sa position stratégique pour la défense de l’accès au canal, devait être déjà peuplée durant les Ier et IIe siècles après J.-C.1
Pour l’archéologue serbe Vladimir Kondic, la forteresse romaine de Ducepratum ou Ducis pratum, utilisée du IVe au VIe siècle, aurait été construite sur l’île-même.2
   « Une légende populaire de la région des Portes-de-Fer raconte qu’Hercule a séparé des rochers au lieu dit « Babakaï » ouvrant de ce fait les gorges du fleuve qui s’écoule vers la mer Noire. Les Valaques croient à un être surnaturel qu’ils appellent Dzuna, terme ressemblant beaucoup au mot Danube. Dzuna habite dans les profondeurs des eaux, sort de l’eau pour se laisser porter par le vent quand il souffle et on entend alors la musique de flûtes. Vue de la falaise, l’île d’Ada Kaleh ressemblait énormément par sa forme à un dragon dont la tête plongeait dans les profondeurs de Danube. Et selon de nombreuses croyances populaires de la région des Portes-de-Fer, on croit que la carpe, à partir d’un certain âge acquiert des ailes et sort de l’eau pour se transformer en dragon, d’où probablement la légende d’un combat mystique entre le héros populaire serbe Baba Novak et un terrible dragon de la région des Portes-de-Fer. Baba Novak coupa la tête du dragon qui dégringola de la colline et laissa des traces de sang  formant la rivière Cerna sur  la rive gauche confluant avec le grand fleuve près de l’île Saan-Ada Kale. L’origine du mot Saan renvoie au mot sang en latin et roumain, d’où une légende racontant que  l’île aurait été créée soit à partir de la tête en sang du dragon, soit à partir de gouttes de ce sang versé à l’endroit où la rivière Cerna se jette dans le Danube. »5
L’île est mentionnée sur une carte autrichienne de 1716 sous le nom de Carolaina.

Plan de l’île d’Orsova, Nicolas de Sparr : Atlas du Cours du Danube avec les plans, vues et perspectives des villes, châteaux et abbayes qui se trouvent le long du cours de ce fleuve depuis Ulm jusqu’à Widdin dessiné sur les lieux, fait en MDCCLI.TM (1751), collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche de Vienne

Les avantages de l’emplacement stratégique de l’île permettant de contrôler la navigation sur le fleuve à un endroit où la largeur de celui-ci est restreinte en raison du relief traversé, sont remarqués par les armées de l’empire des Habsbourg qui, après avoir repoussé les Turcs au XVIIsiècle, la dote d’un solide dispositif de fortifications afin de se prémunir contre de nouvelles menaces ottomanes, transformant peu à peu l’île à chacune de leurs occupations, en une sorte de  « Gibraltar » de l’occident en Europe orientale. Mais en 1739, suite au Traité de Belgrade entre l’Autriche et l’Empire ottoman, négocié avec l’aide de la France, l’île est rendue à la Sublime Porte ainsi que la Serbie et Belgrade. Elle sera difficilement reconquise par l’Empire autrichien en 1790 lors d’une nouvelle guerre austro-turque et demeurera par la suite ottomane jusqu’en 1918.

Ada Kaleh (Neu Orsova) sur la carte de Pasetti

Elle fut étonnement (volontairement ?) un des « oublis » des négociations du Congrès de Berlin (1878). Occupée de force par les armées austro-hongroises au moment de la Première guerre mondiale, Ada Kaleh devient officiellement un territoire roumain suite au Traité de Lausanne (1923). Les autorités du royaume de Roumanie laissent la jouissance de l’île à la population turque insulaire tout en lui donnant un statut fiscal avantageux, statut qui encourage la contrebande de diverses marchandises.

Elles la dotent en même temps de nouvelles infrastructures, construisent une école officiant en roumain et en turc, une église orthodoxe, une mosquée, une mairie, un bureau de poste, une bibliothèque, un cinéma, des fabriques de cigarettes, de loukoums, de nougats, des ateliers de couture et y installent même une station de radio !

Intérieur de la mosquée

La réputation grandissante de l’île lui permet d’attirer alors de nombreux visiteurs6 au nombre desquels le roi Carol II de Roumanie, des dignitaires du régime communiste et des curistes de la station thermale proche de Băile Herculane (Herkulesbad, les Bains d’Hercule). On raconte aussi que des tunnels auraient été creusés et remis en service par des trafiquants de marchandises sous le fleuve depuis l’île vers la rive droite yougoslave7. Les habitants y vivent de la fabrication de tapis, de la transformation du tabac, de la fabrication du sucre oriental rakat, d’autres produits non imposés, du tourisme et profitent sans doute aussi de diverses contrebandes.

Boite de lokoums « La favorite du sultan » d’Ada Kaleh

Il ne reste qu’un peu moins d’un demi-siècle avant sa disparition définitive, rayée de la carte par la dictature communiste. Mais qui sait si Ada Kaleh dont le minaret de la mosquée réapparaît parfois en période de basses-eaux du Danube, comme pour rappeler sa présence silencieuse sous les eaux assagies par la construction du barrage, ne redeviendra pas un jour ce qu’elle fut autrefois ?

Ada Kaleh, photo Rudolf Koller, 1931, collection Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Informés du projet mégalomane les habitants turcs commencent à déserter « l’île sublime » bien avant le début des travaux du barrage. Certains choisissent de repartir en Turquie, d’autres s’installent dans la région de la Dobroudja, à Constanţa qui a conservé un quartier  turc ou à Bucarest, attendant vainement la réalisation de la promesse du gouvernement roumain d’être rapatriés avec le patrimoine d’Ada Kaleh sur l’île toute proche en aval de Şimian (PK 927). Mais le projet de second barrage en aval, près de Gogoşu, (PK 877) qui commence dès 1973 et dont le lac de retenu aurait du à son tour noyé cette terre d’accueil, décourage les habitants de s’y installer. Il reste encore aujourd’hui sur cette petite île abandonnée, au milieu d’une végétation abondante, des ruines de ce nouveau paradis turc perdu. Des villages voisins serbes et roumains des bords du fleuve, Berchorova, Eșelnița, Jupalnic, Dubova, Tufari, Opradena, l’ancienne Orşova, d’autres îles des environs d’Ada Kaleh, des sites archéologiques remarquables, subissent le même sort.

L’île de Şimian (PK 927) avec ses quelques vestiges mais sans le charme de sa soeur Ada Kaleh, photo © Danube-culture, droits réservés

Quelques monuments et maisons furent malgré tout reconstruits sur l’île de Simian mais l’architecture et l’ambiance insulaire ottomane unique des petits cafés, des ruelles pittoresques, de la mosquée à la décoration élégante, des bazars turcs d’Ada Kaleh, de ses ruelles pittoresques et de ses jardins parfumés, disparurent dans les flots de la nouvelle retenue.

Le bazar d’Ada Kaleh en 1912

« Je me souviens encore de l’odeur du tableau Ada Kaleh quand je sautais de mon lit. L’île verte avec son minaret jaune pâle […] et la femme turque peinte au premier plan lévitait sur les profondeurs vert Nil du Danube […] Ma chambre était pleine jusqu’au plafond de cette odeur d’huile de lin et quand j’ouvrais la fenêtre, je le voyais littérairement se déverser et couler en cascades le long des cinq étages de façade rugueuse de notre immeuble en préfabriqué… »
Mircea. Cărtărescu, « Ada-Kaleh, Ada-Kaleh », Fata de la marginea vieţii, povestiri alese, Humanitas, Bucarest, 2014

Notes : 
1 Srdjan Adamovicz, « Ada Kaleh histoire et légende d’une Atlantide danubienne »
https://doi.org/10.4000/cher.13140
2 idem

3 idem
4 idem
5 Cartarescu Mircea « Ada Kaleh, Ada Kaleh (Vallée du Danube/Roumanie) », dans Last andLost, Atlas d’une Europe fantôme, sous la direction de Katharina Raabe et Monika Sznajderman. Traduit du roumain par Laure Hinckel, Éditions Noir sur Blanc 2007, p. 155-173, cité par Srdjan Adamovicz, dans « Ada Kaleh histoire et légende d’une Atlantide danubienne », opus citatum.
6 Voir l’article
L’expérience de l’Orient : le tourisme sur l’île danubienne submergée d’Ada Kaleh (1878-1918, 1ère partie)
7 Tunnels sous le Danube : un secret non résolu. L’infatigable voyageur M.T. Romano raconte que, dans l’entre-deux-guerres, on pouvait encore voir des traces des tunnels depuis les rives du Danube du côté serbe. Il affirmait que, selon les habitants, une autre galerie communiquait avec la rive roumaine et concluait que de tels travaux avaient dû soulever de nombreuses difficultés. Les murs de la forteresse, d’une épaisseur maximale de 25 mètres, avaient résisté, en 1737, pendant 69 jours, aux deux sièges turcs. En 1810, les drapeaux russes sont hissés brièvement sur l’île par le bataillon dirigé par Tudor Vladimirescu.

Eric Baude  pour Danube-culture, mis à jour août 2024, © droits réservés

Au revoir Adah-Kaleh, photo de 1964

Adah Kaleh, 1964

Sources :
ADAMOVICZ, Srdjan, « Ada Kaleh histoire et légende d’une Atlantide danubienne »
https://doi.org/10.4000/cher.13140
LORY, Bernard, « Ada Kale », Balkanologie, VI-1/2, décembre 2002, p. 19-22. URL : http://balkanologie.revues.org/437
MARCU, P. « Aspects de la famille musulmane dans l’île d’Ada-Kaleh », Revue des Études Sud-Est Européennes, vol. VI, n°4, 1968, pp. 649-669
NORRIS, Harry T., Islam in the Balkan, religion and society between Europe and the Arab world, Columbia (S.C.) University of South Carolina Press, Columbia, 1993

ŢUŢUI, Marian, Ada-Kaleh sau Orientul scufundat (Ada Kaleh ou l’Orient englouti), Noi Media Print, Bucureşti, 2010
VERBEGHT, Pierre, Danube, description, Antwerpen, 2010
https://en.wikipedia.org › wiki › Ada_Kaleh
Ada Kaleh, an Ottoman Atlantis on the Danube
Ada-Kaleh: the Balkan Island Where People Once Lived with no State or Masters, Petar Georgiev Mandzhukov’s memoir Harbingers of Storm (Sofia: FAB, 2013)
Ada Kaleh: the lost island of the Danube – photogallery

Au revoir les enfants, au revoir Adah Kaleh…

 Documentaires :
The Turkish Enclave of Ada Kaleh, documentaire de Franck Hofman, Paul Tutsek et Ingrid Schramme pour la Deutsche Welle (en langue anglaise)
https://youtu.be/pNOLbkE4524
Le dernier printemps d’Adah Kaleh (1968) et Adah Kaleh, le Sérail disparu (en roumain)
npdjerdap.org

 

Patrick Leigh Fermor : « quelques réflexions à la table d’un café, entre le Kazan et les Portes-de-Fer »

D’impressionnants et nombreux bateaux de croisière franchissent désormais cette succession de défilés assagis grâce au lac de retenu de la centrale hydro-électrique qui remonte loin, très loin et dont l’influence se fait sentir jusqu’à 150 km en amont. Ces défilés furent aussi, avant de devenir territoires roumains (rive gauche) et serbes (rive droite). pendant plusieurs siècles, des lieux d’affrontements entre l’Empire ottoman et le Saint Empire romain germanique dont faisaient partie le royaume de Hongrie et l’archiduché d’Autriche.
« Le progrès a aujourd’hui immergé l’ensemble de ce paysage. Un voyageur assis à ma vieille table sur l’embarcadère d’Orşova serait obligé de l’envisager à travers un gros disque de verre monté sur charnière de   cuivre ; ce dernier encadrerait une perspective de boue et de vase. Le spectateur serait en effet chaussé de plomb, coiffé d’un casque de scaphandrier et relié par cent pieds de tubes à oxygène à un bateau ancré dix-huit brasses plus haut. Parcourant un ou deux milles vers l’aval, il se traînerait péniblement jusqu’à l’île détrempée, au milieu des maisons turques noyées ; vers l’amont il trébucherait entre les herbes et les éboulis jonchant la route du comte Széchenyi pour discerner de l’autre côté du gouffre obscur les vestiges de Trajan ; et tout autour, au-dessus et en-dessous, l’abîme sombre baillerait, les rapides où se précipitaient naguère les courants, où les cataractes frémissaient d’une rive à l’autre, où les échos zigzaguaient le long des vertigineuses crevasses, étant engloutis dans le silence du déluge. Alors, peut-être, un rayon hésitant dévoilerait l’épave éventrée d’un village ; puis un autre, et encore un autre, tous avalés par la boue. Il pourrait s’épuiser à arpenter bien des jours ces lugubres parages, car la Roumanie et la Yougoslavie ont bâti l’un des plus gros barrages de béton et l’une des plus grosses usines hydroélectriques du monde entier, en travers des Portes de Fer. Cent trente milles du Danube se sont transformés en une vaste mare, qui a gonflé et totalement défiguré le cours du fleuve. Elle a supprimé les canyons, changé les escarpements vertigineux en douces collines, gravi la belle vallée de la Cerna presque jusqu’aux Bains d’Hercule. Des milliers d’habitants, à Orşova et dans les hameaux du bord de l’eau, ont du être déracinés et transplantés ailleurs. Les insulaires d’Ada Kaleh ont été déplacés sur une autre île en aval, et leur vieille terre a disparu sous la surface comme si elle n’avait jamais existé. Espérons que l’énergie engendrée par le barrage a répandu le bien-être sur l’une et l’autre rive, en éclairant plus brillamment que jamais les villes roumaines et yougoslaves, car, sauf du point de vue économique, les dommages causés sont irréparables. Peut-être, avec le temps et l’amnésie, les gens oublieront-ils l’étendue de leur perte.
D’autres ont fait mal, ou pis ; mais il est patent qu’on n’a jamais vu nulle part aussi complète destruction des souvenirs historiques, de la beauté naturelle et de la vie sauvage. Mes pensées vont à mon ami d’Autriche, cet érudit qui songeait aux milliers de milles encore libres que les poissons pouvaient parcourir depuis la Krim Tartarie jusqu’à la Forêt-Noire, dans les deux sens ; en quels termes, en 1934, avait-il déploré le barrage hydroélectrique prévu à Persenbeug, en Haute-Autriche : « Tout va disparaître ! Ils feront du fleuve le plus capricieux d’Europe un égout municipal. Tous ces poissons de l’Orient ! Ils ne reviendront jamais. Jamais, jamais, jamais !
Ce nouveau lac informe a supprimé tout danger pour la navigation, et le scaphandrier ne trouverait que l’orbite vide de la mosquée : on l’a déplacée pierre par pierre pour la reconstruire sur le nouveau site des Turcs, et je crois qu’on a soumis l’église principale au même traitement. Ces louables efforts pour se faire pardonner une gigantesque spoliation ont ravi à ces eaux hantées leur dernier vestige de mystère. Aucun risque qu’un voyageur imaginatif ou trop romantique croit entendre l’appel à la prière sorti des profondeurs ; il ne connaîtra pas les illusoires vibrations des cloches noyées comme à Ys, autour de la cathédrale engloutie : ou bien dans la légendaire ville de Kitège, près de la moyenne Volga, non loin de Nijni-Novgorod. Poètes et conteurs disent qu’elle disparu dans la terre lors de l’invasion de Batu Khan. Par la suite, elle fut avalé par un lac et certains élus peuvent parfois percevoir le chant des cloches. Mais pas ici : mythes, voix perdues, histoire et ouï-dire ont tous été vaincus, en ne laissant qu’une vallée d’ombres. On a suivi à la lettre le conseil goethéen : « Bewahre Dich von Raüber und Ritter und Gespentergeschichten », et tout s’est enfui… »

Patrick Leigh Fermor,  « La rançon du progrès ou « Quelques réflexions à la table d’un café, entre le Kazan et les Portes de Fer », in Dans la nuit et le vent, À pied de Londres à Constantinople (1933-1935), traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve, Éditions Nevicata, Bruxelles, 2016

Danube-culture, mis à jour août 2024

Aleksandar Tišma (1924-2003) et Novi Sad

Son père était un Serbe originaire du village des confins militaires austro-hongrois (Grenzer) de Visuć près de Gospić qui avait fait son école primaire au bord du Danube à Sremski Karlovci grâce à une bourse mais n’avait pas pu poursuivre ses études au séminaire. Grâce à une recommandation de l’organisation humanitaire Privrednik, il fut pris en apprentissage chez le marchand Schwartz de Szeged et passa la Première Guerre mondiale dans un commissariat et, après la guerre, retourna travailler à Horgoš (la ville qui allait appartenir au Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes). C’est la qu’il rencontra sa future épouse Olga. A. Tišma avait pour habitude de dire que le mariage de ses parents, qui avaient déménagé à Novi Sad à cause raison du travail de son père, était une union formée d’oppositions.
Aleksandar grandit par conséquent en tant que fils unique d’un père extraverti, optimiste et affable, et d’une mère mélancolique, introvertie et passionnée d’art, qui insista beaucoup pour que son fils apprenne les langues étrangères dès son plus jeune âge. (Outre le serbe et le hongrois, Tišma parlait couramment l’anglais, l’allemand et le français). Leur loyauté à l’égard de « civilisations incohérentes », comme il le dira plus tard, l’a poussé à affronter très tôt des problèmes d’identité et à préférer le compromis à l’exclusivité, qu’il trouvait déplaisante. Refusant de choisir une collectivité, Tišma a fait de sa double origine, associée à ses penchants artistiques, une position d’individu détaché – un observateur, qui ne participe pas au monde, mais l’observe et l’analyse. Cette position l’a conduit, malgré son sentiment d’insécurité, à choisir le métier d’écrivain, de sorte que tout ce que les autres prenaient pour acquis, il le voyait et le racontait d’un point de vue original et personnel.
Dans le journal qu’il tient depuis sa jeunesse (1942-2001), ainsi que dans l’autobiographie de 1992, Sečaj se večkrat na Vali [Toujours se souvenir de Vali], Tišma écrit qu’au début de la Seconde Guerre mondiale, ses pensées étaient orientées vers l’individu, le personnel, et non le général. Pendant l’occupation, il a été expulsé du lycée serbe pour une infraction mineure, et le raid de Novi Sad en janvier 1942 – au cours duquel les deux nations auxquelles il appartenait de par sa naissance ont terriblement souffert, et auquel sa grand-mère a survécu par simple chance – a laissé une profonde cicatrice sur le jeune Tišma. (L’écrivain intégrera plus tard son expérience personnelle de cette époque dans un récit structuré de manière réaliste, un roman intitulé Le livre de Blam). Réfugié à Budapest (où la persécution des Juifs n’avait pas encore pris de l’ampleur) avec sa mère (grand-mère Teréz), Tišma s’inscrit à la faculté d’économie, qu’il quitte peu après pour la faculté de philosophie – département de langue et de littérature françaises.
En 1944, après l’occupation allemande de la Hongrie, il est envoyé avec des centaines d’autres étudiants dans un camp de travail en Transylvanie, où il passe six mois et, pour la première fois, comme il le dira plus tard, il se sent proche d’un groupe et « en vient à aimer les gens ». (Ce « retour » à la communauté était également crucial pour le futur écrivain, qui avait besoin de se familiariser avec la nature humaine et « la vie elle-même » afin de pouvoir écrire sur elle de manière réaliste). De retour chez ses parents à Novi Sad, il est atteint d’une jaunisse et, pendant sa convalescence dans une ferme voisine, il passe son temps à lire. Vers la fin de la guerre, il eut, comme il le dira plus tard, l’expérience de lecture la plus forte, lorsqu’il mit la main sur Le chemin de Swann de Proust en français. En même temps, le futur écrivain fut déçu, car il se rendit compte que tous les livres qu’il voulait écrire « avaient déjà été écrits ».
Après sa libération, il rejoint le quartier général du troisième groupe d’armées yougoslave sur la recommandation de son ami. Cela le conduit à Sombor, où il travaille dans la salle de rédaction de Bilten. Vivant parmi les vainqueurs, des soldats à la mentalité dite « montagnarde » – très différente de sa mentalité « pannonienne » – Tišma ressent l’attrait d’un mode de vie « simple » et « rudimentaire ». Ce travail dans l’armée, où il est bientôt engagé comme censeur au poste de l’armée, le sauve, croit-il, d’une mort certaine sur le front de Syrmie, où sont déployés des jeunes gens inexpérimentés et non qualifiés comme lui. Le magasin de son père, Gavra, est saisi et, selon les directives du nouveau régime, leur maison est bientôt remplie de résidents inconnus.
Les espoirs qu’il avait de s’installer en France, où vivaient des membres de sa famille, s’évanouirent rapidement : il ne remplissait pas les conditions requises et chaque tentative ultérieure d’obtenir un passeport dans la Yougoslavie socialiste se solda par un échec. Il commenca donc à travailler comme journaliste pour Slobodna Vojvodina, dont les bureaux se trouvent à Sremska Mitrovica et à Subotica, ressentant tout le poids et l’étouffement du journalisme de commande. À Novi Sad, le bureau central où il est finalement envoyé, il se sent soulagé par les personnes avec lesquelles il travaille en tant que journaliste pour la section économique. Au cours de l’été 1947, il participe$a à une « action de travail » en Bosnie, avant d’être appelé à effectuer son service militaire à Sarajevo et à Mostar.
En 1948, il entre au journal de Belgrade Borba, le journal officiel du parti communiste, dont la mission est d’éduquer les masses. Ce journal, comme il le dira plus tard, personne ne l’achetait ni ne le lisait, et c’est là qu’il devint candidat au Parti. À l’époque du conflit entre Tito et le Cominform, Tišma échappe à l’étiquetage et à une éventuelle sanction et déportation à Goli Otok, simplement en raison de son éloignement naturel de la communauté et de son désintérêt essentiel pour la politique. Il s’inscrit ensuite à des études d’histoire de l’art qu’il abandonne rapidement pour des études d’allemand, qui lui conviennent mieux.
En 1949, il trouve à nouveau un emploi à Novi Sad, où il devient secrétaire administratif de Matica srpska (où il restera jusqu’à sa retraite, travaillant plus tard comme éditeur dans sa maison d’édition), et où il rencontre Boško Petrović et Mladen Leskovac. L’année suivante, il commence à rédiger des critiques de périodiques littéraires étrangers pour Letopis Matice srpske. Il traduit également du hongrois, puis de l’allemand, et Letopis publie sa première histoire originale, « Ibikina kuća » [La maison d’Ibika]. Encouragé par les éloges et l’affection bienveillante de l’écrivain Boško Petrović, Aleksandar Tišma, plus mûr et plus sûr de lui, commence à écrire de la poésie et des pièces de théâtre. (Les cadres communistes l’ayant laissé tranquille parce qu’il avait déjà été exclu du Parti). Au début de l’année 1952, il épouse Sonja Drakulić, sa collègue de travail à la beauté saisissante, et ils ont un fils, Andrej, la même année. Il voulait écrire un roman sur un sujet qui le préoccupait personnellement : les tentatives des jeunes gens, vivant dans une société socialiste d’après-guerre, de quitter le pays. C’est deux ans après la mort de son père (1955), à l’âge de 33 ans, que Tišma obtient son passeport et entreprend un premier voyage tant attendu – à Paris. Bien qu’il se soit bien installé dans la capitale française, il est retourné auprès de sa famille et de sa maison, à Matica, où, l’année suivante, en 1958, il a publié ses premiers carnets de voyage.
C’est à ce moment-là que sa carrière littéraire commence à décoller. Il publie deux recueils de nouvelles, Krivice [Défauts] et Krčma [Taverne] (1961). La même année, il se rend en Pologne, où il écrit le célèbre carnet de voyage « Meridijani srednje Evrope » [Les méridiens de l’Europe centrale]. Au cours de ce voyage, Tišma fait l’expérience d’une certaine illumination épiphanique qui marque un tournant pour lui en tant qu’écrivain. Le judaïsme, auquel il appartient de par sa naissance, et l’Holocauste (bien qu’il ne l’ait pas vécu personnellement) deviennent les thèmes dominants de ses récits et de ses romans. C’est avec ces livres que l’écrivain atteint son apogée littéraire et qu’il reçoit de nombreux prix. Ces romans, The Book of Blam (1972), The Use of Man (1976), Kapo (1987), et un recueil de nouvelles, Škola bezbožništva [L’école de l’impiété] (1978) – où les thèmes dominants sont le mal dans l’homme « civilisé » et dans le monde – ont été traduits en 17 langues et ont valu à Tišma d’être reconnu, faisant de lui un auteur largement lu à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace culturel serbe et yougoslave.
Il devient membre correspondant de la VANU (Académie des sciences de Voïvodine) en 1979 et membre à part entière en 1984. Il est élu membre à part entière de l’Académie serbe des sciences et des arts (SANU) en 1991, et vice-président de sa branche de Novi Sad en 1992. L’Académie des arts de Berlin (Die Akademie der Künste in Berlin) l’a nommé membre en 2002. Il a reçu de nombreux prix : le prix Branko Radičević (1957) ; le prix Octobre de la ville de Novi Sad (1966) ; le prix Nolit (1977) ; le prix NIN (1977) ; le prix de la Bibliothèque nationale de Serbie (1978) ; les prix Szirmai Karoly (1977, 1979) ; le prix Andric (1979) ; le prix du livre de Leipzig pour la compréhension européenne (1995) ; le prix d’État autrichien pour la littérature européenne (1995) ; l’Ordre national du mérite français (1997).
Dans son discours inaugural à l’Académie, sous la forme d’une nouvelle intitulée « Nenapisana priča » [« Une histoire non écrite »] (1989), Aleksandar Tišma a révélé l’essence de sa poétique fondée sur une approche réaliste, la conviction que l’on ne peut écrire que sur des expériences non vécues, que l’écrivain, dans son atelier, maintient à une distance nécessaire. Le fait que son œuvre soit fondée sur la dualité de la proximité et de la séparation entre l’artiste et le monde est également évident dans l’autobiographie dans laquelle Tišma évoque sa vie jusqu’au moment de la mort de sa mère. Cet événement du domaine le plus intime, qui a sans aucun doute été une source de charge émotionnelle considérable, est dépeint sans occulter son contexte social plus large, où une autre tragédie se déroulait à une échelle beaucoup plus vaste, avec pour protagonistes des individus et des communautés entières.
Les raisons de l’éclatement de la Yougoslavie et des guerres des années 1990 sont étudiées dans Sečaj se večkrat na Vali, de manière concise mais très objective, ce qui, en fonction des prédispositions des lecteurs, a conduit à des appréciations différentes de cette œuvre autobiographique. La mort de sa mère et l’éclatement de son pays – un pays que Tišma considérait avec son détachement caractéristique et toujours présent (mais qui était pour lui le symbole d’une sorte de communauté, ce qui signifie qu’il a ressenti la perte d’un double « sanctuaire »), ont représenté un autre tournant dans la vie de l’écrivain. Après 1991, la dernière décennie du XXe siècle a vu s’estomper progressivement le milieu qui était – même s’il était peu inspirant ou rempli d’exemples de valeurs négatives – le seul véritable contexte de l’univers narratif de Tišma. Après avoir atteint la renommée en Europe, symbole de la liberté à laquelle il a toujours aspiré – avec une touche de mélancolie émanant de toutes ses œuvres où le mal est une présence, et l’humanité et la justice terrestre une absence constamment regrettée – Aleksandar Tišma mettait de l’ordre dans ses affaires.
Après la mort d’Aleksandar Tišma le 15. février 2003, à l’initiative de son fils Andrej Tišma,  la maison d’édition Akademska knjiga de Novi Sad a commencé à publier l’ensemble de ses œuvres. Le premier livre de ce projet a été le roman Ženarnik [Womencage] (2010), une œuvre restée à l’état de manuscrit.
En 2015, la Radio Télévision de Voïvodine a produit une série télévisée basée sur le roman de Tišma « Vere i zavere » [Foi et conspiration] (1983).

Prof. Gorana Raičević, traduction et adaptation en français Eric Baude pour Danube-culture

Novi Sad (Neusatz, Ujvidek)

Plan de Novi Sad en 1929

« Quand on se penche sur le plan de Novi Sad, on remarque un dessin semblable à une toile d’araignée, coupée d’un côté par un large ruban demi-circulaire et ramifiée en bon agencement dans les autres directions. Le ruban qui coupe la toile d’araignée par sa courbe – habituellement coloré en bleu – est le Danube, immuable frontière orientale de la ville, mais aussi son coeur, ses entrailles originels : car c’est sur sa rive , autrefois marécageuse, dans son demi-cercle intérieur de boue et de brume, que se fixèrent les premiers embryons de la localité, les huttes et les cabanes des artisans et des commerçants en vivres en vin qui, de la plaine humide et fangeuse, ravitaillaient sur la rive rocheuse opposée, le Petrovaradin militaire, sec et distingué, inaccessible pour eux par la force de la loi. Ces premiers habitants amenaient les denrées à vendre et les matières premières pour leurs produits de l’arrière-pays plat et fertile, où ils tracèrent en conséquence des voies longues et droites le long desquelles poussèrent les maisons des jardiniers et des transporteurs – le réseau s’élargit jusqu’où le lui permettait la frontière. Les quartiers les plus anciens qui germèrent tout près du Danube, sur les digues entre les bras du fleuve et les marais, ressortent aujourd’hui encore sur le plan en lignes sinueuses qui soudainement et capricieusement se jettent dans dans des élargissements circulaires – les places ; c’est là que se trouve encore le centre commercial, hérissé de magasins, de cafés, d’églises, d’institutions ; dans ces lacis s’élève aussi le bâtiment du cinéma Avala et, en face de biais, le Palais Mercure. Les quartiers plus récents, construits le long des routes vers l’arrière-pays, allongent leurs artères très loin, entrelaçant entre elles les mailles des rues transversales pour les perdre à nouveau en s’étirant de plus en plus effilées, chacune en une longue rue solitaire, étendue vers les champs, semblables aux extrémités écartées d’une toile d’araignée qui, invisiblement, en disparaissant, touche à son support.
Aleksandar Tišma, Le livre de Blam (Knjiga o Blamu), XI, pp.150-152, traduit du serbe par Madeleine Stevanov, Éditions Juillard/L’Âge d’Homme, Paris, 1986

Sources : www.tisma-foundation.com

Drobeta Turnu-Severin et les Portes-de-Fer par Lucien Romier

Les Portes-de-Fer
   « Le Danube, au sortir de la longue suite de défilés qui forment une coupure entre la chaînes des Carpates et celle des Balkans, s’apaise dans une grande courbe avant de prendre possession des plaines qui le conduiront à la mer Noire. Une route, venant de l’Orient par l’Olténie, arrive en terrasse sur cette courbe du Danube. Des collines boisées, d’où la route descend en lacets vers la vallée, on aperçoit, à l’Ouest, la masse de montagnes que le fleuve a traversée, et, marquant la sortie des Portes-de-Fer, deux petites villes, Kladovo (Serbie) du côté serbe, Turnu-Severin (Drobeta Turnu-Severin) du côté roumain. Ces deux villes correspondent à peu près aux deux têtes du pont de Trajan.

Vestiges du pont de Trajan

Peu de sites, mieux que celui-là, présentent le caractère d’un passage stratégique, différent d’un passage commercial. L’accès commercial de la Transylvanie est plus haut, par les routes de la Hongrie, ou plus bas par les routes de la Valachie. Mais quiconque est maître des Portes-de- Fer et de leurs issues, peut atteindre d’un coup de surprise le centre du réduit transylvain et en briser les artères de communication. Par là s’avancèrent les soldats de Trajan, résolus à en finir avec les Daces montagnards, pour mettre la main sur les mines d’or les plus riches du monde antique. Rome, au lieu de mordre dans la chair et les membres du royaume de Décébale, le saisit à la jointure de ses défenses montagneuses… Quelque qu’éphémère que fut la conquête proprement militaire de la Dacie par les Romains, le pays des Carpates a gardé de ce coup brutal et décisif une marque indélébile, que ni les Byzantins, ni les Germains, ni les Hongrois, ni les Turcs, envahisseurs successifs, n’ont pu effacer.
La ville de Turnu-Severin, reconstruite sur un plan géométrique à la russe par le général Kisselef1, gouverneur des provinces danubiennes, il y a environ un siècle, a des rues droites, bordées de maisons basses sans étage, aux murs blancs et aux toits rouges.

Plan de Drobeta Turnu-Severin

Elle s’enorgueillit d’un château d’eau en forme de donjon gothique. Des jardins en pente, que dominent un grand théâtre et une rangée de villas, descendent vers le fleuve. La ville moderne a prospéré par sa garnison, ses fonctionnaires, ses écoles, le commerce fluvial et quelques industries. Elle possède un large boulevard avec des cafés qui feraient envie à une sous-préfecture de notre Midi. On y rencontre des gens flânant toute la journée, et le soir, des dames qui ne semblent pas hostiles à l’étranger. Dans le quartier pauvre, des enfants jouent sans exubérance. C’est une population de fond olténien, alourdie par des influences balkaniques, hongroises et germaniques. Mais dans les champs, hors de la ville, le type du montagnard des Carpates, très haut de taille, très maigre, les cheveux couleur de chanvre, les yeux clairs et un peu tristes, voisine avec le type de l’Olténien au sang chaud et le type presque latin de certains Roumains de l’ancien Banat.

Le château d’eau de Drobeta Turnu-Severin

Bien qu’au dire des habitants, le château d’eau moderne soit la principale curiosité de la ville, je préfère m’attarder dans les ruines de la citadelle romaine. Les restes de l’enceinte et des tours dominent encore le bord de la vallée. On y accède par un parterre de fleurs discrètes. En bas, sur la rive, un haut bloc de briques maçonnées, rongé par le temps, vestige du pont de Trajan, dresse une silhouette qu’on dirait de défi, entre la ligne de chemin de fer et le fleuve où glissent les remorqueurs.
Le Danube, vers le soir, se dépouille un moment de toute brume. Ses eaux pâles et calmes reflètent les petites maisons de la rive serbe, et font paraître plus menaçante, à l’Ouest, la chaîne sombre des Balkans…La promenade aux Portes-de-Fer et au défilé de Kazan vaut bien une journée. En remontant la vallée, au-dessus de Turnu-Severin, on aperçoit la sortie du long goulot, de plus de cent kilomètres, par lequel le Danube s’est échappé de la plaine hongroise. À l’endroit où les dernières montagnes s’éloignent de ses deux rives, le fleuve devient soudain plus rapide : il coule sur des bancs d’écueils immergés qui tiennent toute la largeur de son cours. Ce sont les Portes-de-Fer. Jusque’à la fin du siècle dernier, la navigation n’y était possible qu’à l’époque des fortes crues et par des bateaux très légers. Depuis, le fleuve a été régularisé par des travaux de canalisation latérale aux passages les plus dangereux.
Le canal des Portes-de-Fer2, qu’inaugura en 1896 l’empereur François-Joseph, fut conçu et réalisé pour une utilité surtout germanique. Il assure, par une magnifique voie naturelle, le débouché de l’Europe centrale vers l’Orient. Mais cette oeuvre n’intéressait que fort peu les riverains du Bas-Danube.

Le vapeur Ferenc-Jozsef de la compagnie hongroise de navigation sur le Danube lors de l’inauguration du canal de Sip 

Elle menaçait même de porter dommage à leur trafic intérieur. Les défilés du Danube, dans le passé, furent beaucoup plus un obstacle et une frontière qu’un lien entre les pays riverains. C’est pourquoi sans doute les Romains avaient construit leur pont en aval, de manière à tourner l’obstacle. Les deux routes historiques de l’Europe centrale vers l’Orient étaient des routes de terre : l’une, que suit encore à peu près l’Orient-Express, passait par le coeur de la Transylvanie, faisait la fortune des colonies saxonnes établies à l’entrée des Carpates et débouchait vers Bucarest ; l’autre, que suit également, aujourd’hui, une voie ferrée, traversait la péninsule balkanique pour atteindre d’une part Salonique et d’autre part Constantinople.
Il était évident que la voie fluviale du Danube, dans la mesure où elle capterait le trafic de l’Europe centrale à destination ou en provenance de l’Orient, ferait un tort grave à la route de terre de Transylvanie. Les marchands saxons des villes transylvaines, quelle que fut leur fidélité aux traditions germaniques, apercevaient le péril depuis longtemps : dès le début du XIXe siècle, ils commencèrent de se plaindre de la concurrence danubienne.
Aujourd’hui que les clefs du passage entre le Moyen et le Bas-Danube appartiennent à la Roumanie et à la Yougoslavie, les deux États les plus intéressés à la prospérité des routes de terre, on sent comme une hésitation, un ralentissement dans le trafic danubien.
Pour la Roumanie, en particulier, le problème est capital. L’avenir commercial de ce jeune Etat réside dans l’exploitation éventuelle de deux grandes lignes de transit vers la mer Noire et le proche-Orient : la ligne Nord-Sud, venant de la Pologne et des pays de la Baltique, la ligne Ouest-Sud-Est, venant de l’Europe centrale. Selon que le trafic de l’Europe centrale empruntera la voie fluviale du Danube ou la voie de terre qui traverse la Transylvanie, cette dernière province perdra une partie de ses chances traditionnelles ou les verra croître, et l’axe de prospérité de la Grande Roumanie se déplacera au profit de la région des plaines ou de la région des plateaux. Les deux régions, plaines danubiennes et plateaux subcarpatiques, ayant subi des mélanges de populations et des influences historiques de caractère assez différent, cette question particulière rejoint le problème général de savoir sur quelle formule l’État roumain établira finalement son équilibre, entre le « vieux royaume » et les nouvelles provinces… »

Lucien Romier (1885-1944), Le carrefour des Empires morts, du Danube au Dniestr, Librairie Hachette, Paris, 1931

Notes :
1 Le comte Paul Kisseleff (1788-1872) fut gouverneur des principautés roumaines de 1829 à 1834. Il sera également nommé ambassadeur de l’Empire russe à Paris en 1852.
2 En réalité le canal de Sip inauguré le 27 septembre 1896 par l’empereur d’Autriche et roi de Hongrie François-Joseph de Habsbourg (1830-1916), le roi Alexandre Ier de Serbie (1876-1903)  et le roi de Roumanie Carol Ier (1839-1914). 

Danube-culture, © droits réservés, mis à jour juin 2024

Le bassin du Danube, un espace cohérent ? par Jacques Bethemont

« Les dysfonctionnements de l’espace danubien »

« La majeure partie du Danube a longtemps été unifiée dans le cadre de l’Empire austro-hongrois qui avait obtenu le principe de l’internationalisation du fleuve lors du traité de Vienne. Bien avant cette date, les autrichiens avaient entrepris d’améliorer la navigation sur le cours du fleuve dans les limites d’un espace impérial qui allait de l’aval de Passau à l’amont de Belgrade [Semlin ou aujourd’hui Zemun] jusqu’en 1878. Par la suite, le recul de l’Empire ottoman et l’indépendance de fait de la Valachie et de la Bulgarie permirent d’étendre le système navigable sur le cours aval du Danube. Restait le problème de la Serbie dont il est inutile de préciser qu’il ne fut pas résolu du temps de l’Empire.

Le brassage des invasions et le reflux de la puissance turque avaient laissé dans un espace souvent uniforme, une mosaïque de peuples que séparaient leurs langues ou leurs religions avec, parfois, des frontières abolies mais encore sensibles comme celle qui séparait la Hongrie de la Valachie. Dans ce contexte social et politique délicat, le Danube apparaissait comme un facteur d’unité, d’autant que les problèmes frontaliers n’empêchaient pas l’acheminement vers les ports de la mer Noire du blé destiné à l’Europe du Nord et au Royaume-Uni1. Cette activité amenait une incessant brassage de population et l’existence d’une culture danubienne paraissait évidente en dépit de la diversité des langues, jusqu’à ce que le sort des armes et l’exacerbation des nationalismes amènent le démembrement de l’Empire austro-hongrois.

Le Bassin du Danube n’est donc pas assimilable à un espace cohérent et il reste pour l’essentiel affecté par des tensions frontalières qui dégénèrent régulièrement en conflits armés dont le dernier en date ne paraît pas définitivement clos. Dans ce contexte difficile, la Commission du Danube joue un rôle de conciliation qui pour être officiel n’en est pas moins modeste2. Témoignent de ces multiples contradictions, d’un côté l’échec de Gabčikovo entrepris dans le cadre de deux nations réunies dans un même ensemble économique, la CAEM (COMECOM), de l’autre la réalisation des deux barrages des Portes-de-Fer, mené à bien dans le cadre d’une coopération entre deux nations, la Roumanie et la Yougoslavie, appartenant à deux ensembles supposés antagonistes. »

Notes :
1 grâce au travaux de la Commission Européenne du Danube issue du Traité de Paris de 1856

2 avec désormais d’autres organismes internationaux en particulier dans le domaine environnemental parmi lesquels l’IPCDR (www.icpdr.org), The International Commission for the Protection of the Danube River, ou la structure  (danubeparks.org).

On lira également avec intérêt le rapport de la Commission au Parlement Européen, au Conseil, au Comité Économique et Social Européen et au Comité des Régions concernant la stratégie de l’Union européenne pour la région du Danube qui date… du 8 décembre 2010 ! L’UE a-t-elle une réelle et cohérente stratégie pour la région du Danube ? On peut en douter !
https://ec.europa.eu/regional_policy/information-sources/…

Sources :
Bethemont Jacques, « Le fleuve et la structuration de l’espace » in Les grands fleuves, entre nature et société, « Le fleuve et la structuration de l’espace », Armand Colin/VUEF, Paris 2002, p. 228

De Singidinum à Belgrade ou l’histoire contrariée de la « Ville Blanche » en quelques dates…

Le siège de Belgrade en 1717 par les armées de l’Empire autrichien sous le commandement d’Eugène-Carignan de Savoie (1663-1736)

5500-3500 av. J.-C. : civilisation néolithique de Vinča, elle-même précédée et/ou accompagnée à ses débuts  par la culture de Starčevo (6200-5500 av. J.-C.), dite civilisation de la « Vieille Europe ».

600 av. J.-C. : des tributs scythes et thraces s’installent sur le territoire actuel de la Serbie.

279 av. J.-C. : le nom de Singidinum, cité fondée par la tribut celte des Scordiques, apparaît pour la première fois.

91 av. J.-C. : Singidinum est occupée par les Romains. La cité devient le quartier général de la IVème légion « Flavia Felix ».

Le futur empereur Jovien (Flavius Claudius Jovianus, vers 331-364) nait à Singidinum, alors capitale de la Mésie romaine. Un pont est construit sur le Danube.

378 ap. J.-C. : les Goths détruisent Singidinum.

395 : Singidinum est rattaché à l’Empire romain byzantin ou Empire romain d’Orient. La ville regarde vers Constantinople

441 : les Huns conquièrent Singidinum.

450 : les Sarmates s’emparent de Singidinum.

470 : des tributs Goths conquièrent Singidinum.

488 : les Gépides prennent Singidinum.

504 : les Ostrogoths de Théodoric le Grand (vers 454-526) reconquièrent Singidinum.

510 : l’Empire byzantin reprend Singidinum suite à un traité de paix.

535 : la ville est rebâti sur l’ordre de l’empereur byzantin Justinien Ier (vers 483-565).

584 : les Avars conquièrent Singidinum.

592 : la ville est à nouveau reprise par l’Empire byzantin.

630 : des tributs slaves s’emparent de Singidinum.

827 : les Bulgares conquièrent la ville.

878 : première mention du nom slave de Belgrade (La Ville Blanche) dans une lettre du pape Jean VIII au prince bulgare Boris Ier  l’informant qu’il démet de ses fonctions l’évêque de la ville coupable de débauche.

896 : les Hongrois font le siège de Belgrade.

971 : l’Empire de Byzance reprend la ville.

976 : l’empereur macédonien Samuilo (Samuel Ier de Bulgarie, 958-1014) conquiert la ville.

1018 : Byzance reprend une nouvelle fois possession de Belgrade.

1096 : les Hongrois détruisent la ville qui reste rattachée à Byzance. Cette même année passent à ses pieds des armées de Croisés en route vers Jérusalem.

1127 : les Hongrois détruisent à nouveau Belgrade et se servent de ses pierres pour ériger sur la rive gauche de la rivière Sava, la forteresse de Zemun.

1147 : Une nouvelle croisade traverse Belgrade.

1154 : les armées byzantines détruisent la forteresse de Zemun et ramènent les pierres à Belgrade pour y reconstruire la forteresse de Kalemegdan.

1166 : création d’un premier État serbe indépendant dont le prince Stefan Ier Nemanjić (1113-vers 1200), est couronné roi.

1182 : retour de Belgrade dans le royaume de Hongrie

1185 : la ville revient dans l’empire byzantin après des négociations diplomatiques.

1189 : l’empereur Frédéric Barberousse traverse Belgrade à la tête des armées de la troisième Croisade.

1219 : indépendance de l’église orthodoxe serbe

1230 : les Bulgares conquièrent Belgrade.

1232 : reprise de Belgrade par les Hongrois

1284 : la Hongrie offre Belgrade au roi Stefan Dragutin (vers 1251-1316), fils d’Hélène d’Anjou. La ville passe pour la première fois sous autorité serbe.

1316 : la ville est incendiée par le roi Stefan Uroš Milutin II (1253-1321).

1319 : la ville redevient hongroise.

1346 : le roi serbe Stefan Dušan Nemanjić (vers 1308-1355) est couronné premier empereur des Serbes et des Grecs.

1371 : éclatement de l’Empire serbe. Invasion de la Serbie par les troupes ottomanes (1371-1375)

1402 : Belgrade est donnée par la Hongrie au despote Stefan Lazarević (vers 1377-1427) qui la reconstruit et en fait la capitale de la Serbie.

1427 : mort de Stefan Lazarević

1440 : Belgrade est assiégée en vain par les troupes ottomanes du sultan Murad II (1404-1451). Cent mille soldats et deux cents bateaux encerclent alors la ville.

Juillet 1456 : retour des Ottomans devant Belgrade. Le sultan Mehmed II (1432-1481) est blessé. Le siège est un échec pour les troupes de la « Sublime Porte » et la ville ne capitule pas.

Siège de Belgrade par les armées ottomanes en 1456

1521 : prise de Belgrade par Soliman le Magnifique (1495-1566) à la tête d’une armée imposante de trois cent mille hommes. Une longue occupation ottomane commence. Les hommes de la ville sont déportés à Constantinople.

1594 : le vizir Sinan Pacha (1506-1596) fait brûler les reliques de saint Sava sur la colline de Vračar.

1660 : début de la construction de la mosquée de Bajrakli

1688 : l’Empire autrichien prend Belgrade, ses armées pillent la ville, déjà saccagée par les troupes ottomanes au moment de leur retraite.

1690 : Belgrade est reprise par les Ottomans.

1699 : Traité de paix de Karlowitz entre l’Empire autrichien et l’Empire ottoman

1717 : les armées autrichiennes sous le commandement du Prince Eugène de Savoie-Carignan (1663-1736) reconquièrent Belgrade. La cité est reconstruite et la forteresse agrandie et renforcée.

Carte française du siège de Belgrade par les troupes impériales autrichiennes sous le commandement du Prince Eugène de Savoie, 1717

1719 : début du « règne » de Charles Alexandre de Würtemberg (1684-1737)

1723 : construction d’un système de défense de la ville par le général et ingénieur d’origine suisse, Nicolas Doxat de Demoret (1682-1738), considéré comme le « Vauban » autrichien.

1726 : les familles serbes sont chassées du quartier allemand de Belgrade.

Plan de Belgrade, 1739

1739 : Belgrade retombe aux mains de l’Empire ottoman au terme d’un traité de paix (Traité de Belgrade). De nombreux habitants s’enfuient.

7 octobre 1789 : les armées impériales autrichiennes, commandées par le maréchal Laudon (1717-1790) reprennent Belgrade.

Plan de Belgrade, de Semlin et des environs de la frontière austro-turque par Sebastian Hartl (1742-1805) Wien, 1789, source :  Museum Wien

1791 : retour de Belgrade dans l’Empire ottoman à la suite du Traité de Sistova (Svishtov).

1801 : les Janissaires ottomans en révolte sèment la terreur dans la ville. Des dizaine de nobles serbes sont tués, le pacha lui-même est étranglé.

1804 : première insurrection serbe contre l’occupant ottoman menée par Djordje Petrović (1752?-1817) dit Karadjordje (Georges le noir).

27 décembre 1806 : libération de Belgrade. La ville devient la capitale de la Serbie.

1811 : Djordje Petrović dit Karadjordje est choisi comme souverain héréditaire de la Serbie.

1813 : Belgrade est de nouveau reprise par les Ottomans. Djordje Petrović dit Karadjordje doit s’enfuir.

Printemps 1815 : deuxième insurrection dirigée par Miloš Obrenović (1780-1860). Autonomie politique partielle de la Serbie toujours dans l’empire ottoman.

Miloš Obrenović (1780-1860)

1817 : assassinat, sur ordre de Miloš Obrenović, de Djordje Petrović dit Karadjordje revenu en Serbie.

1823 : construction de la maison d’un noble serbe qui deviendra la plus célèbre des tavernes de Belgrade.

1830 : autonomie de la Serbie.

1840 : ouverture du premier bureau de poste à Belgrade.

1841 : construction de la cathédrale Saint-Michel.

1844 : fondation du Musée national.

1862 : des émeutes ont lieu suit à l’assassinat d’un jeune serbe par des soldats ottomans.

1867 : départ des ottomans et remise des clefs de la forteresse du Kalemegdan et de toutes les garnisons turques à Miloš Obrenović par le pacha turc Ali-Riza le 24 avril.

1868 : réforme de l’alphabet serbe. Assassinat de Miloš Obrenović le 28 mai.

1876 : conflits serbo-turc et turco-russe.

1878 : le congrès de Berlin reconnaît l’indépendance de la Serbie.

1882 : proclamation du royaume de Serbie sous le règne de Milan Ier de Serbie (Milan Obrenović, 1854-1901)

1883 : première ligne téléphonique à Belgrade.

3 janvier 1889 : abdication de Milan Ier de Serbie. Il s’installe à Paris.

1893 : Alexandre Obrenović (1876-1903), fils de Milan Ier de Serbie s’empare du pouvoir. Premiers éclairages publics électriques à Belgrade.

1894 : premier tramway électrique. Début de la construction de la cathédrale saint Sava sur la colline de Vračar. Elle mettra toutefois plus d’un siècle à être achevée.

10 juin 1903 : assassinat du roi Alexandre Ier de Serbie (Alexandre Obrenović) par un groupe d’officiers nationaliste, membres de la « Main Noire ».

22 septembre 1904 : couronnement de Pierre (Karadjordjević) Ier de Serbie (1844-1921).

1912 : première guerre balkanique.

1913 : deuxième guerre balkanique.

1914 : Pierre Ier de Serbie, malade, cède le pouvoir à son fils Alexandre (1888-1934). L’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo. L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie et prend Belgrade. La ville est libérée après la contre-offensive de Cer.

Bombardement de Belgrade depuis le Danube par un monitor autrichien

1915 : Belgrade retombe aux mains des troupes austro-hongroises. Exode de ses habitants vers l’Albanie.

Ier novembre 1918 : libération de Belgrade qui devient la capitale du royaume des Serbes, Croates et Slovènes le Ier décembre. Ce même jour a lieu la proclamation de la naissance de la Yougoslavie. Son nom officiel de Yougoslavie ne sera adopté toutefois qu’en 1929.

21 décembre 1920 : le général français Franchet d’Espèrey (1856-1942) est proclamé citoyen d’honneur de Belgrade et Voïvode de l’armée serbe.

1921 : mort du roi Pierre Ier de Serbie. Son fils Alexandre lui succède.

1922 : mariage d’Alexandre Ier de Serbie avec Marie de Roumanie (1900-1961).

1924 : construction de la résidence royale sur la colline de Dedinje.

1927 : inauguration de l’aéroport de Belgrade.

1929 : proclamation de la dictature royale. Le royaume des Serbes, Croates et Slovènes devient la Yougoslavie. Première station de radio de Belgrade.

1934 : obsèques du roi Alexandre Ier de Yougoslavie, assassiné à Marseille par des Oustachis croates. Une régence est instituée.

1935 : construction du pont de Pančevo qui relie les deux rives du Danube.

25 mars 1941 : la Yougoslavie devient l’alliée du régime nazi.

27 mars 1941 : manifestations d’allégresse dans Belgrade suite au renversement du prince Paul de Serbie (1914-2009) et de l’installation de Pierre II de Serbie (1923-1970) sur le trône.

6 avril 1941 : bombardement par Hitler de Belgrade pourtant proclamée ville ouverte et invasion de la Yougoslavie par les troupes nazies.

17 avril 1941 : capitulation de la Yougoslavie.

9 mai 1941 : refus de la capitulation par Draža Mihailović (1893-1946).

Novembre 1941 : début de la guerre civile entre monarchistes et communistes.

Mai 1942 : Belgrade est proclamée « Judenfrei » par les autorités nazies.

16 avril 1944 : le bombardement de Belgrade par l’aviation alliée fait un millier de morts

20 octobre 1944 : la capitale serbe est libérée par les partisans de Tito (Josip Broz, 1892-1980) et les troupes soviétiques.

7 mars 1945 : Tito est nommé Premier ministre de la Yougoslavie. Il sera élu président de la république fédérale de Yougoslavie le 11 novembre 1945 après la victoire du parti communiste aux élections générales.

1946 : exécution du général Mihailović.

30 juillet 1948 : ouverture de la Conférence diplomatique internationale sur le Danube et la navigation danubienne à Belgrade. Signature de la Convention de Belgrade relative au régime de la navigation sur le Danube le 18 août 1948.

1958 : naissance de TV-Belgrade.

1961 : première conférence des pays non-alignés à Belgrade.

Été 1968 : manifestations d’étudiants contre la bureaucratie communiste et mouvements de protestation contre l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Armée rouge.

4 mai 1980 : mort du maréchal Tito. Son enterrement a lieu le 8 mai.

1987 : Slobodan Milošević (1941-2006) prend le pouvoir au sein du parti communiste yougoslave.

9 mars 1991 : grand mouvement de protestation à Belgrade contre le régime de Slobodan Milošević. La répression fait plusieurs morts.

1992 : embargo contre Belgrade suite à son soutien aux serbes de Bosnie et de Croatie. L’indépendance de la Croatie et de la Serbie sont reconnues par l’Union Européenne.

1995 : inauguration de la première rame de métro à Belgrade en pleine guerre des Balkans.

Fin 1996-début 1997 : importants mouvements de protestations contre Slobodan Milošević à Belgrade.

Printemps 1999 : bombardements de Belgrade et des ponts serbes sur le Danube par l’Otan.

5 octobre 2000 : coup d’état contre Slobodan Milošević.

2003 : assassinat à Belgrade du premier ministre pro-européen Zoran Djindjíć (1952-2003). Le pays s’appelle désormais l’Union de la Serbie et du Monténégro.

2006 : séparation de la Serbie et du Monténégro.

2009 : la Serbie est officiellement candidate à l’Union Européenne.

2010 : victoire à Belgrade de la la Serbie devant la France en finale de la Coupe Davis pour la première fois de son histoire.

2012 : la Serbie obtient le statut de candidat à l’adhésion à l’Union Européenne. Depuis, les négociations perdurent…

Sources :
ABOUT, Edmond, De Pontoise à Stamboul, Éditions Hachette, Paris, 1884
BATAKOVIĆ, Dušan T., Belgrade d’après les gravures anciennes (BN Paris)
BESSON, Patrick, Belgrade 1999, suivi de Les calomniateurs de la Serbie, L’Âge d’Homme, 1999

BUISSON, Jean-Christophe, Le Goût de Belgrade, Mercure de France, Paris, 2001
BUISSON, Jean-Christophe, Histoire de Belgrade, collection tempos, Éditions Perrin, Paris,  2013
CASTELLAN, Georges, Histoire des Balkans, Fayard, Paris 1991
ETEROVIĆ, Ivo, Belgrade aujourd’hui, Éditions Prometej, Belgrade, 2001
NORRIS, David, A., Belgrade, a Cultural History, Oxford University Press, Oxford, 2008
PAVIĆ, Milorad, A short history of Belgrade, Éditions Dereta, 2001
PIŠTALO, Vladimir, Millénaire à Belgrade, Éditions Phébus, Paris, 2008
VELIMIROVIĆ, Nicolas, Vie de saint Sava, L’Âge d’Homme, 2001.
YOUGOSLAVIE, Pierre II de, Mémoire d’un roi, Éditions Denoël, Paris, 1955

Danube-culture, mis à jour août 2023 , droits réservés

Et les îles Poreci disparurent sous les eaux du lac de retenue de la centrale hydroélectrique des Portes-de-Fer…

La petite cité de Donji Milanovac (Serbie, rive droite, PK 991), avant la construction du barrage des Portes-de-Fer Djerdap I, photo droits réservés 

C’est dans le village insulaire de Poreci qu’est né Baba (Starina) Novak (Старина Новак, vers 1521-1601), général de l’armée du prince Mihai Viteazul (Michel Ier le Brave, 1558-1601) et qui mena avec son frère Radu et son fils Gruia, une lutte farouche contre l’occupant ottoman.

Baba (Starisa) Novak (vers 1521-1601)

  Baba (Starina) Novak était un Haïdouk (brigand et rebelle) serbe. Il s’illustra dans les guerres et révoltes contre l’Empire occupant ottoman et est considéré comme un héros national par les Serbes ainsi que par les Roumains.
Né aux alentours de 1530, descendant d’une famille du Timok, il étudie au monastère orthodoxe de Poreč et parle couramment le serbe, le vieux slavon, le roumain et le grec. Il commence sa vie de haïdouk dès son plus jeune âge après avoir été emprisonné et sévèrement battu par les Ottomans qui lui cassent toutes ses dents d’où son surnom de Stanisa Novak (Vieux Novak). Il quitte son village insulaire et se réfugie dans les forêts de la vallée de Timok où il apprend rapidement le maniement des armes auprès d’un « harambaša » (commandant des haïdouks), constituant ensuite sa propre bande et commençant ses combats contre l’occupant turc. Sa forte et courageuse personnalité et ses prouesses de combattant entrainent le ralliement de nombreux hommes à sa cause.

Les deux îles Poreci englouties par la mise en eau de la retenue de la centrale hydroélectrique des Portes-de-Fer Djerdap I, source Dunai szigetek 

   Baba (Starina) Novak est mentionné en 1595 comme appartenant aux armées du prince valaque Mihai Viteazul (Michel le Brave) qu’il rejoint dans la région du Banat, recevant le grade de capitaine avec 2 000 haïdouks serbes sous ses ordres. Ses troupes participent à la prise de Călugăreni, libèrent les villes de Târgoviște, Bucarest et Giurgiu sur la rive gauche du Danube en octobre de la même année et sont présentes au siège Sofia ce qui leur vaut une grande réputation après que Baba (Starisa) Novak et ses 700 soldats trompent les Turcs en changeant d’itinéraire à travers les Balkans, réussissant à les attaquer par surprise en ne laissant derrière eux que huit soldats et en capturant de vastes quantités de bétail et de provisions. En 1598, ses troupes qui réunissent des Serbes mais aussi quelques Bulgares, se joignent aux soldats de Michel le Brave et, constituant une armée de 16 000 hommes, libèrent Plevna, Rahovo, Vratsa, Vidin et Florentin. Les Serbes et les Bulgares des villes reconquises  fêtent avec les haïdouks leur victoire par immense festin. En 1599, une armée de plus de 50 000 hommes sous le commandement de Bordj Mako rejoint les troupes de  Baba (Starina) Novak à Ploiești et reprend Sibiu aux Ottomans. En 1600, avec ses troupes, déployées dans le Banat, ils conquièrent toutes les terres au sud et se joignent également aux soulèvements de Mirăslău et des villes voisines. Baba (Starina) Novak accompagne en décembre de l’année suivante Michel le Brave à Vienne pour obtenir le pardon de l’empereur.
Voulant reprendre les forteresses de Lugos et de Caránsebes, il en est empêché et accusé de trahison par son ancien allié  Giorgio Basta (1544-1607), général d’origine italo-albanaise, futur gouverneur de la Transylvanie au service de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg et livré aux autorités hongroises à Cluj (Kolozsvár), où il est condamné au bûcher et brûlé le cinq février 1601. Des Tsiganes sont chargés de préparer les bûchers de Baba (Starina) Novak, de deux capitaines des armées de Michel le Brave, Joan Celeste et Savi Armašulu, et de quelques prêtres saxons. Michel le Brave qui n’était pas informé de ces actes, l’apprend lors de son passage à Cluj au début du mois d’août 1601 et rend hommage à Baba (Starisa) Novak sur le lieu même de son exécution. Son meurtre par des mercenaires wallons, ordonné par Giorgio Basta qui soupçonne Michel le Brave de trahison et de vouloir négocier avec les Ottomans, aura lieu près de Câmpia Turzii quelques jours plus tard.
Baba (Starina) Novak est vénéré comme un héros dans la poésie épique serbe.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour août 2023

Souvenirs, impressions, pensées et paysages, pendant un voyage en Orient (1832-1833), ou Notes d’un voyageur par M. Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine (1790-1869)

« Constantinople », troisième tome
– 2 septembre 1833. –

« Nous sommes sortis ce matin des éternelles forêts de la Servie qui descendent jusqu’aux bords du Danube. Le point où l’on commence à percevoir ce roi des fleuves est un mamelon couvert de chênes superbes ; après l’avoir franchi, on découvre à ses pieds comme un vaste lac d’une eau bleue et transparente, encaissée dans des bois et des roseaux, et semé d’îles vertes ; en avançant, on voit le fleuve s’étendre à droite et à gauche, en côtoyant d’abord les hautes falaises de la Servie, et en se perdant, à droite, dans les plaines de la Hongrie. Les dernières pentes de forêts qui glissent vers le fleuve sont un des plus beaux sites de l’univers. Nous couchons au bord du Danube, dans un petit village servien.

Le lendemain nous quittons de nouveau le fleuve pendant quatre heures de marche. Le pays, comme tous les pays de frontières, devient aride, inculte et désert ; nous gravissons vers midi des coteaux stériles d’où nous découvrons enfin Belgrade à nos pieds. Belgrade, tant de fois renversé par les bombes, est assise sur une rive élevée du Danube. Les toits de ses mosquées sont percés, les murailles sont déchirées, les faubourgs abandonnés sont jonchés de masures et de morceaux de ruines ; la ville, semblable à toutes les villes turques, descend en rues étroites et tortueuses vers le fleuve. Semlin, première ville de la Hongrie, brille de l’autre côté du Danube avec toute la magnificence d’une ville d’Europe ; les clochers s’élèvent en face des minarets ; arrivés à Belgrade, pendant que nous nous reposons dans une petite auberge, la première que nous ayons trouvée en Turquie, le prince Milosch m’envoie quelques-uns de ses principaux officiers pour m’inviter à aller passer quelques jours dans la forteresse où il réside, à quelques lieux de Belgrade ; je résiste à leurs instances et je commande les bateaux pour le passage du Danube ; à quatre heures nous descendons vers le fleuve ; au moment où nous allions nous embarquer, je vois un groupe de cavaliers, vêtus presque à l’européenne, accourir sur la plage ; c’est le frère du prince Milosch, chef des Serviens, qui vient de la part de son frère, me renouveler ses instances pour m’arrêter quelques jours chez lui. Je regrette vivement de ne pouvoir accepter une hospitalité si obligeamment offerte ; mais mon compagnon de voyage, M. de Capmas, est gravement malade depuis plusieurs jours : on le soutient à peine sur son cheval ; il est urgent pour lui de trouver le repos et les ressources qu’offrira une ville européenne et les secours des médecins d’un lazaret. Je cause une demi-heure avec le prince, qui me paraît une homme aussi instruit qu’affable et bon ; je salue en lui et dans sa noble nation l’espoir prochain d’une civilisation indépendante, et je pose enfin le pied dans la barque qui nous transporte à Semlin. — Le trajet est d’une heure ; le fleuve, large et profond, a des vagues comme la mer ; on longe ensuite les prairies et les vergers qui entourent Semlin. — Le 3 au soir, entré au lazaret, où nous devons rester dix jours. Chacun de nous a une cellule et une petite cour plantée d’arbres ; je congédie mes Tartares, mes moukres, mes drogmans, qui retournent à Constantinople ; tous nous baisent la main avec tristesse, et je ne puis quitter moi-même sans attendrissement et sans reconnaissance ces hommes simples et droits, ces fidèles généreux serviteurs qui m’ont guidé, servi, gardé, soigné comme des frères feraient pour un frère, et qui m’ont prouvé, pendant les innombrables vicissitudes de dix-huit mois de voyages dans la terre étrangère, que toutes les religions avaient leur divine morale, toutes les civilisations leur vertu, et tous les hommes le sentiment du juste, du bien et du beau, gravé en différents caractères dans leur coeur par la main de Dieu. »

« Notes sur la Servie »
– Semlin, 12 septembre, au lazaret. –

« Le voyageur ne peut, comme moi, s’empêcher de saluer ce rêve d’un voeu et d’une espérance ; il ne peut quitter, sans regrets et sans bénédictions, ces immenses forêts vierges, ces montagnes, ces plaines, ces fleuves qui semblent sortir des mains du Créateur,, et mêler la luxuriante jeunesse de la terre à la jeunesse d’un peuple, quand il voit ces maisons neuves des Serviens sortir des bois, s’élever au bord des torrents, s’étendre en longue lisières jaunes au fond des vallées ; quand il entend de loin le bruit des scieries et des moulins, le son des cloches, nouvellement baptisées dans le sang des défenseurs de la patrie, et le chant paisible ou martial des jeunes hommes et des jeunes filles, rentrant du travail des champs ; quand il voit ces longues files d’enfants sortir des écoles ou des églises de bois, dont les toits ne sont pas encore achevés, l’accent de la liberté, de la joie, de l’espérance, dans toutes les bouches, la jeunesse et l’élan sur toutes les physionomies ; quand il réfléchit aux immenses avantages physiques que cette terre assure à ses habitants ; au soleil tempéré qui l’éclaire, à ces montagnes qui l’ombragent et la protègent comme des forteresses de la nature ; à ce beau fleuve du Danube qui se recourbe pour l’enceindre, pour porter ses produits au nord et à l’Orient, enfin à cette mer Adriatique qui lui donnerait bientôt des ports et une marine, et la rapprocherait ainsi de l’Italie ; quand le voyageur se souvient de plus qu’il n’a reçu, en traversant ce peuple, que des marques de bienveillance et des saluts d’amitié ; qu’aucune cabane ne lui a demandé le prix de son hospitalité ; qu’il a été accueilli partout comme un frère, consulté comme un sage, interrogé comme un oracle, et que ses paroles, recueillies par l’avide curiosité des papes [ popes ] ou des knevens, resteront, comme un germe de civilisation, dans les villages où il a passé ; il ne peut s’empêcher de regarder, pour la dernière fois, avec amour, les falaises boisées et les mosquées en ruines, aux dômes percés à jour, dont le large Danube le sépare, et de se dire, en les perdant de vue ; J’aimerais à combattre avec ce peuple naissant, pour la liberté féconde ! et de répéter ces strophes d’un des chants populaires que son drogman lui a traduit :
« Quand le soleil de la Servie brille dans les eaux du Danube, le fleuve semble rouler des lames de yatagans et les fusils resplendissants des Monténégrins ; c’est un fleuve d’acier qui défend la Servie. Il est doux de s’asseoir au bord et de regarder passer les armes brisées de nos ennemis. »
« Quand le vent de l’Albanie descend des montagnes et s’engouffre sous les forêts de la Schumadia, il en sort des cris, comme de l’armée des Turcs à la déroute de la Mosawa ; il est doux ce murmure à l’oreille des Serviens affranchis ! Mort ou vivant, il est doux, après le combat, de reposer au pied de ce chêne qui chante sa liberté comme nous ! »
Alphonse de Lamartine : SOUVENIRS, IMPRESSIONS, PENSÉES ET PAYSAGES PENDANT UN VOYAGE EN ORIENT, 1832-1833, OU NOTES D’UN VOYAGEUR, 1835

Danube-culture, © droits réservés, mis à jour août 2023

Les vignobles danubiens ; des terroirs d’exception !

Les somptueux vignobles de la Wachau autrichienne et leurs voisins de la vallée de la rivière Krems (Kremstal, rive gauche), du Kamp (Kamptal), de la Traisen (Traisental, rive droite) ou des coteaux adoucis de Wagram (rive gauche), pour ne citer que ceux-ci, sont emblématique des magnifiques vins blancs qui sont élaborés sur les terroirs danubiens autrichiens. Le niveau de qualité de ces vins danubiens est toutefois, comme partout, contrasté et va des vins les plus extraordinaires des meilleurs terroirs et parcelles aux plus simples des breuvages (vins rouges) n’apaisant guère (et encore !) que la soif.

Spitz/Danube (rive gauche) et ses vignobles au coeur de la Wachau, une région classée au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses paysages viticoles ancestraux, photo © Danube-culture, droits réservés

Quand à Vienne, unique capitale européenne à avoir préserver un vignoble conséquent, elle s’enorgueillit aussi à juste titre de ses nombreuses charmantes et joyeuses auberges et caveaux de vignerons avec cours, jardins, les « Heuriger » et parfois vue sur la ville. Ici l’on vous sert un gouleyant, traditionnel et joyeux vin blanc de production tout-à-fait locale, le « Gemischter Satz » qui peut être élaboré avec 20 différents cépages, parfois biologique (voir l’article sur les vins de Vienne sur ce site).

Le plus petit vignoble viennois, place Schwarzenberg, dont les vins sont vendus au profit d’oeuvres caritatives, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Danube est peut-être aujourd’hui, avec le Rhône, la Loire, l’estuaire de la Gironde, le Neckar, la Moselle et le Rhin, l’un des cours d’eau les plus propices à la culture de la vigne du continent européen. Comme pour le sel et d’autres matières (bois, fer, céréales…), on a longtemps acheminé par bateaux sur ce fleuve, avec en particulier les fameuses « Zille », grandes barques en bois à fond plat parfaitement adaptées à la délicate navigation danubienne, depuis les régions de production, d’importantes quantités de barriques de vin vers les capitales et les grandes villes qui jalonnent son parcours, telles Vienne, Bratislava, Budapest, Belgrade et au delà...

Photo droits réservés

Les vignobles du Haut et Moyen-Danube
   Bien que la vigne soit cultivée en Allemagne dans quelques villages bavarois des bords du fleuve comme à Bach/Danube (rive gauche), entre Ratisbonne et Wörth, c’est en Autriche que le fleuve rencontre ses premières grandes régions viticoles : les régions de la Wachau, Kremstal, Wagram, Kamptal, Donauland, Vienne et ses collines, Petronell-Carnuntum (rive droite), la région des thermes (Thermenland, au sud de Vienne) et enfin la région orientale aux frontières de la Hongrie du nord du Burgenland (rive droite), plate et chaude, plaine et terroir féconds pour les vins de cépage Blaufränkisch, Zweigelt, Pinot noir, Carbernet-Sauvignon… mais aussi de grands vins blancs y compris de vendange tardive (Eiswein), plus particulièrement sur les reliefs autour du Neusiedlersee, grand lac peu profond, vestige de l’antique et immense mer panonnienne. La Styrie, la Carinthie méridionale et le Tyrol du sud, aux frontières de l’Italie, se joignent avec bonheur aux territoires viticoles danubiens.
Le niveau moyen de qualité de l’ensemble de la production autrichienne qui s’étend sur 50 000 ha de vignes est l’un des plus élevés d’Europe.

L’Abbaye de Göttweig comme celles de Melk et de Klosterneuburg, possède ses propres vignobles, photo © Danube-culture, droits réservés

C’est incontestablement dans la région de la Wachau, entre l’abbaye de Melk et l’abbaye de Göttweig, que s’élaborent les vins blancs secs les plus réputés de ce pays voire d’Europe. On aurait désormais tort de négliger malgré tout les vins des régions voisines de Wagram, Kamptal (rive gauche),Traisental le vignoble de Carnuntum (rive droite), en aval de Vienne, et celui du « Thermenland » avec ses jolis villages, au sud de la capitale, qui réservent de belles surprises à l’amateur oenophile éclairé.

Slovaquie méridionale et Hongrie danubienne (Moyen-Danube)
   Le vignoble slovaque (vins blancs) se tient sur la rive gauche (nord) du Danube et borde ses affluents. La production vinicole slovaque a beaucoup progressé depuis quelques années grâce à des vignerons entreprenants et soucieux de qualité. De l’autre côté, sur la rive hongroise se tiennent sur la rive droite les vignobles de la région de l’abbaye de Pannonhalma, au sud de Győr, puis apparaissent les premiers reliefs hongrois et l’excellent petit vignoble d’Ázsár-Nezmély. L’origine de ce vieux vignoble remonte à l’époque romaine. Un bon ensoleillement et une arrière-saison, souvent chaude, permettent de produire en majorité des vins rouges, plutôt légers et quelques vins blancs de qualité. Le Danube baigne ensuite sur la rive droite plusieurs grandes régions viticoles hongroises, de Budapest (district d’Etyek-Buda) jusqu’à la frontière méridionale avec la Croatie danubienne qui n’est pas non plus avares de divins breuvages (vignoble croate septentrional des régions de Baranja et d’Ilok). Ces paysages viticoles ont été façonnés par l’homme avec l’aide du fleuve et de ses affluents dont la Drava (Slavonie croate). Parmi les meilleurs vins rouges hongrois, on peut recommander ceux  des régions de  Szekszard, Tolna, Villány, Pecs… D’autres vignobles s’épanouissent aussi sur la rive gauche entre Danube et Tisza (vignobles de Kunság, Congrád, Hajós-Baja…).
Les vins hongrois danubiens offrent de belles émotions tant en rouge qu’en blanc voire rosé et méritent une redécouverte et une reconnaissance plus largement partagée comme celle que connait le légendaire Tokaji Aszú, l’un des vins doux les plus raffinés au monde et qui est désormais inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. La surface viticole compte en totalité 65 000 hectares cultivés par 32 000 vignerons. Quelques cépages :  Bikáver, Blauburger, Cabernet Franc, Kadarka, Pinot Noir, Zweigelt, Turán, Kékfrankos, Merlot,  Portugieser… (rouges), Chardonnay, Cirfandli, Irsai Olivér, Hárslevelü, Olaszrisling, Sauvignon blanc, kéknyelü, Kövidinka, Sárgamuskotály, Tramini Zenit, Szürkebarát, Zöldveltelini…(vins blancs).

Les vignobles serbes, croates, roumains et bulgares du Bas-Danube : le renouveau d’un savoir faire ancestral
   Dans les Balkans danubiens, l’amateur de découvertes sera tout à la joie de rencontrer des vins et des cépages parfois inconnus qui sortent encore relativement peu de leur zone de production comme celles du Banat serbo-roumain, de Vojvodine et de Fruška Gora en Serbie septentrionale, de Ruse, Pleven, Veliki Tarnovo et Vidin en Bulgarie (rive droite), des collines de l’Olténie (Dealu Mare) et de la Drobrogea en Roumanie. Malmenés par la période communiste, peu avide en élaboration de vins de qualité, ces vignobles apportent de bonnes (et moins bonnes) surprises qui illustrent l’hétérogénéité actuelle de la production mais il est évident que la qualité progresse rapidement. À noter que des vignerons français et italiens se sont, depuis quelques temps, installés sur les terroirs serbes et roumains danubiens et les versants septentrionaux de la Dobrogea roumaine. Leur présence influence les méthodes de vinification. Les vins élaborés ces dernières années, parfois de façon biologique, suscitent de plus en plus nombreux commentaires élogieux et de belles perspectives dans l’avenir. Certains vins serbes et roumains (et hongrois) se retrouvent dans les caves et sur les tables de grands restaurants fraçais !
Les conditions climatiques de la prochaine décennie seront déterminantes pour l’avenir des vignobles du Bas-Danube.

Le « Bermet », un vin serbe d’anthologie inclassable et à l’élaboration secrète, toujours cultivé en Vojvodine à Sremski Karlovci (rive droite), sur les bords du Danube, au pied de la belle Fruška Gora, photo © Danube-culture droits ré,servés

Mentionnons parmi les cépages cultivés le long du fleuve, outre les Riesling d’origine allemande et les transfuges français comme les Cabernet, Merlot et Pinot pour les rouges, le Sauvignon et le Chardonnay pour les blancs, les excellents Grüner Veltliner autrichiens (blanc), les Frankovka (rouge) ou l’Ezerjo slovaque, le Kadarka et  l’Olazriesling hongrois.

Photo © Danube-culture, droits réservés

En Croatie continentale on pourra déguster des vins de cépages Graševina et Traminer, en Serbie on découvrira un vieux cépage local traditionnel, le Procupac. Si l’on a beaucoup et sans doute un peu trop planté de Cabernet et de Merlot en Bulgarie danubienne, le pays possède aussi des cépages locaux intéressants comme le Mavrud, le Melnik (rouge), le Dimiat ou le Rkatsiteli (blanc).
La Roumanie est également riche en variétés locales et trésors insoupçonnés. Vignerons et oenologues valorisent de mieux en mieux les cépages Feteasca Neagra et Babeasca Neagra (rouge), les Feteasca Alba, Feteasca Regala, Cramposia (blanc). Là aussi souvent le meilleur comme le plus médiocre se côtoient encore mais la transition fait progresser la qualité. De beaux vins blancs aux raisins sucrés et ensoleillés sont produits à partir des variétés Grasa et Tamioasa jusque dans le delta du Danube.
La Moldavie peut aussi revendiquer des vins dignes d’être appréciés par les connaisseurs. Quant aux villages ukrainiens du delta, leurs habitants produisent un vin sympathique et de consommation uniquement locale .

Sources :
Sur les vins roumains et le réchauffement climatique :
Irimia, L.M., Patriche, C.V. & Roșca, B. Theor Appl Climatol (2018) 133: 1. Climate change impact on climate suitability for wine production in Romania
https://doi.org/10.1007/s00704-017-2156-z

 Sur les vins autrichiens :
www.vinea-wachau.at
www.kremstal-wein.at
www.wienerwein.at
www.oesterreichischwein.at

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour juillet 2023

Le grand canal de Bačka (région de Voïvodine, Serbie)

Grand canal de Bačka à hauteur de Bezdan, source : www.bezdan.org.sr

   Ce canal construit entre 1794 et 1801 appartient au système élaboré de voies d’eau, d’irrigation et de lutte contre les inondations Danube-Tisza-Danube. La longueur totale du canal est de 118 km. Il mesurait entre 17 et 25 m de large et sa profondeur était de 3 m à l’origine.

prevodnica07b

L’écluse d’entrée du Grand canal de Bačka depuis le Danube, actuellement désaffectée, photo,  www.bezdan.org.sr

Une importante et durable pollution a considérablement détérioré au XXe siècle la biodiversité de cette voie d’eau. Cette pollution est la conséquence de la proximité de champs d’extraction de pétrole sur une partie de son parcours et au déversement des rejets des zones industrielles des villes serbes de Vrbas, Kula et Crvenka. Près de 400 000 tonnes contenant des métaux lourds et des résidus de pétrole reposent sur le fond. Cette pollution a touché également les rivières reliées au canal. Selon de nombreux scientifiques, il est même considéré comme l’un des réservoirs les plus détériorés en Europe et pose de graves problèmes de santé pour les populations environnantes. Cette pollution a contaminé régulièrement aussi le Danube et la Tisza.

Grand canal de Bačka, à la hauteur de Bezdan

Grand canal de Bačka, à la hauteur de Bezdan, photo, www.bezdan.org.sr

Des travaux de dépollution et de réhabilitation du Grand canal de Bačka ont commencé à être réalisés, suite à la signature en 2008 par le Ministère de l’environnement serbe d’un mémorandum pour son nettoyage et sa remise en état mais ils n’ont pu être pour le moment achevés, faute de financements…
Certaines collectivités locales bordant la voie d’eau comme celle de Bezdan, ont malgré tout entrepris d’aménager ses berges dans l’intention de développer des activités de tourisme et de loisirs.

www.vodevojvodine.com
https://youtu.be/cG4m7lKLBlQ

Grand canal de Backa_Source Wikipedia

Grand canal de Bačka (photo source Wikipedia)

Danube-culture, mis à jour juin 2023

Sources :
https://www.ppf.rs › en › projects › ppf8-vbk-en
https://regard-est.com › voivodine-un-ecocide-dans-le-canal-du-grand-backa

Écluse sur le  Grand canal de Bačka à la hauteur de Mali Stapar. »L’empereur a visité Mali Stapar le 23 avril 1872, le jour de la Saint-Georges, et un nouveau canal a été creusé à cette occasion… »

Retour en haut de page