Ulm

Ulm, ville libre impériale et aujourd’hui capitale du Land de Bade-Würtemberg

« Le Fischerviertel » ou Quartier des pêcheurs, est un site enchanteur, avec ses ruelles intimes et accueillantes, ses auberges prodigues en truites et en asperges, ses brasseries en plein air, sa promenade sur le Danube, ses vieilles maisons avec des glycines se reflétant dans la Blau, le ruisseau du lieu, lequel se jette discrètement dans le grand fleuve… ».
C. Magris, Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Le quartier des pêcheurs et la Blau en 1930

   Fondée en 854, la cité d’Ulm a été érigée en ville libre impériale par l’empereur Frédéric Barberousse en 1274. Elle est annexée quelques années à la Bavière au tout début du XIXe siècle puis restituée en partie au duché de Wurtemberg dès 1810. La ville fut détruite par un bombardement allié en 1944 à plus de 80 %.

   La « cathédrale » d’Ulm (1377-1890), en fait une église luthérienne gothique mais au dimension d’une cathédrale, revendique la flèche la plus haute du monde.

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   La ville possède encore un monastère bénédictin baroque avec une splendide bibliothèque, de jolies fontaines, une horloge astronomique du XVIe siècle, un quartier historique des pêcheurs au bord de la Blau devenu un haut-lieu touristique de la ville, plusieurs musées dont un intéressant Musée du pain, un remarquable Musée d’art du XXIe siècle (Musée Weishaupt), un Musée des Souabes du Danube (die Donauschwaben) qui relate l’histoire passionnante mais tragique des migrations volontaires ou imposées de ce peuple vers l’aval du fleuve. Au XVIIIe siècle près de 150.000 immigrants de langue allemande ont été incités à s’installer sur les terres hongroises reconquises sur les turcs par la couronne impériale autrichienne. La majorité venait  et de Souabe et des provinces autrichiennes dont la Lorraine. Il y eut 3 vagues principales de migration :
-de 1723 à 1726
-de 1764 à 1771
-de 1784 à 1786

À la fin de la deuxième guerre mondiale, quelques 13 à 15 millions de cette population d’ethnie allemande ont été expulsés de leur terre d’adoption par les régimes communistes de Hongrie et de Roumanie. Ce fut l’une des plus grandes campagne de nettoyage ethnique jamais réalisée dans l’histoire de l’humanité.

Plaque commémorative dédiée aux Souabes du Danube : aux morts de la patrie, de la guerre et des expulsions, photo © Danube-culture, droits réservés

« Sur la grand-place d’Ulm s’élève la cathédrale, dont le clocher est le plus haut du monde, et dont la construction — hétérogène — s’est étendue sur plusieurs siècles, puisqu’elle a commencé en 1377 et s’est terminée (si l’on ne tient pas compte de restaurations postérieures ) en 1890. Cette cathédrale a quelque chose de déplacé, cette pointe de mauvaise grâce qui apparaît presque toujours dans les exploits, dans les records… »
Claudio Magris, « L’archiviste des vilénies », in Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Le marché aux cochons
« La ville est aimable, les 548 brasseries recensées en 1875 semblent réconcilier idéalement Christian Friedrich Daniel Schubart, le poète révolté et Albrecht Ludwig Berblinger le célèbre tailleur qui voulait voler et retomba comme une pierre dans le Danube, le nouveau cinéma allemand, né en grande partie à Ulm, et la célèbre école supérieure de design. C’est de cet aimable genius loci que faisait preuve aussi le plus illustre des fils d’Ulm, Einstein, en écrivant dans un joli quatrain en vers, que les étoiles ― qui se moquent de la théorie de la relativité ― continuent éternellement leur chemin selon les lois de Newton.
Sur la façade de l’hôtel de ville, une plaque rappelle qu’à Ulm Kepler a publié ses Tables Rodolphines et inventé un poids-étalon adopté par la ville ; sur la place du marché aux bestiaux une autre plaque, qui célèbre avec arrogance les victoires allemandes de 1870 et la fondation du Reich de l’empereur Guillaume, ajoute sur un autre ton :
« Auch auf dem Markt der Säue,
Wohnt echte deutsche Treue ! »
« Même au marché aux cochons, bat un coeur allemand loyal. »

Photo Danube-culture, droits réservés

Cette rime entre Säue (truie) et Treue (fidélité) est déjà, involontairement, une caricature malicieuse de ce qui, en peu d’années, allait devenir la vulgarité du riche et puissant Troisième Reich. C’est avec une tout autre délicatesse, par contre, qu’on a peint en 1717 sur la belle Maison des Pêcheurs, qui se trouve sur la petite place du même nom, l’image d’une ville, Weissenburg, autrement dit Belgrade. Le peintre, Johannes Matthäus Scheiffele, maître de sa corporation, a voulu immortaliser les convois militaires qui partaient d’Ulm et descendaient le Danube pour aller combattre les Turcs ; Belgrade, reprise puis perdue, étant un des noeuds stratégiques de cette guerre. C’est d’Ulm également, sur de grosses barques connues sous le nom de « pontons d’Ulm » [Ulmer Schachtel] que partaient les colons allemands qui s’en allaient peupler le Banat, les « Donaueschwaben », les Souabes du Danube, qui, durant deux siècles, de Marie-Thérèse à la seconde guerre mondiale, allaient marquer radicalement de leur empreinte cette civilisation danubienne aujourd’hui effacée… »
Claudio Magris, « Le marché aux cochons » in Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Fresque d’un « Ponton d’Ulm » sur l’ancienne mairie, photo Danube-culture, droits réservés

Sur le Danube supérieur…
« Il est indubitable qu’Ulm se trouve sur le Danube supérieur. Mais jusqu’où précisément arrive ce dernier, où se trouvent son début et sa fin, quelle est son aire, son identité, sa notion même ? L’ingénieur Neweklowsky a passé sa vie à tracer les limites de l’ « Obere Donau », du Danube supérieur, et ― une fois circonscrit ce territoire ― à le passer au crible, à le classifier et à le le cataloguer mètre par mètre dans l’espace et dans le temps, en ce qui concerne la couleur des eaux et les tarifs douaniers, le paysage qu’il offre à la perception immédiate et les siècles qui l’on construit. Comme Flaubert ou Proust, Neweklowsky a consacré toute son existence à son oeuvre, à l’écriture, au Livre ; le résultat, c’est un volume en trois tomes de 2 164 pages en tout, y compris les illustrations, qui pèse cinq kilos neuf cents et qui, comme le dit son titre, a, pour sujet non pas le Danube, mais plus modestement La navigation et le flottage sur le Danube supérieur (1952-1964). »
Claudio Magris, « Deux mille cent soixante-quatre pages et cinq kilos neuf cents de Danube supérieur », in Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Guerre et paix sur les bords du Danube
« Près de l’abbaye d’Elchingen, à quelques kilomètres de la ville, se trouve l’endroit où fut signée, le 19 octobre 1805, la Capitulation d’Ulm, reddition du général autrichien Mack — le « malheureux Mack » dont parle Tolstoï dans Guerre et Paix — à Napoléon. Une stèle rappelle le souvenir des morts napoléoniens — soldats français ou venus des divers États allemands alliés à l’époque avec l’Empereur :

À LA MÉMOIRE DES SOLDATS
DE LA GRANDE ARMÉE DE 1805
BAVAROIS, WURTEMBERGEOIS, BADOIS
ET FRANÇAIS

Camille ROQUEPLAN (1803-1855), bataille d’Elchingen et victoire du maréchal Ney sur les Autrichiens, le 14 octobre 1805.Un escadron du 10e régiment de chasseurs à cheval, commandé par le chef de brigade Auguste François-Marie Colbert de Chabanais, franchit  le Danube sur un pont en bois. À l’arrière plan, l’abbaye bénédictine d’Elchingen. Fusain et craies sur papier teinté.

Le paysage, avec ses bois brumeux le long du fleuve, fait penser à une gravure représentant une bataille. Une brèche montre l’endroit où le maréchal Ney fondit sur les défenses autrichiennes.
Cette section du Danube a été le théâtre de grandes batailles, comme celle d’Höchstadt (ou de Blenheim), au cours de laquelle le prince Eugène et Lord Marlborough, pendant la guerre de succession d’Espagne, infligèrent en 1704 une défaite à l’armée française du Roi-Soleil. Mais ces batailles aux abords du Danube sont des batailles de la vieille Europe prérévolutionnaire et prémoderne, qui prolongent — au gré des victoires et des défaites des différentes grandes puissances — l’équilibre entre les monarchies absolues jusqu’en 1789. L’empire danubien incarne par excellence ce monde de la tradition et Napoléon, qui après avoir vaincu les Autrichiens à Ulm entre dans Vienne, incarne, lui, la modernité qui talonne et serre de près le vieil ordre habsburgo-danubien, dans une poursuite qui n’aboutira qu’en 1918. »
Claudio Magris, « Grillparzer et Napoléon », in Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Site internet des villes d’Ulm et de Neu-Ulm : www.ulm.de
Office de tourisme : www.tourismus.ulm.de

Culture :
Musée de la culture du pain (Museum der Brotkultur) : www.museum-brotkultur.de
Musée centrale des Souabes du Danube (Donauschwäbische Zentralmuseum) : www.dzm-museum.de
Kunsthalle (Galerie) Weishaupt : www.kunsthallenweishaupt.de

La Nabada d’Ulm : une grande fête nautique danubienne !

    Selon la tradition le maire d’Ulm prête également ce jour-là devant les habitants de la ville le serment d’être un édile honnête et impartial dans la gestion de la cité, tant pour les pauvres que pour les riches. La Nabada commence l’après-midi à 16h
Nabada est un mot du dialecte souabe pour « hinunter » (vers le bas, vers l’aval). Et l’on vient aussi de très loin pour admirer ce carnaval aquatique qui met en scène toutes sortes de drôles embarcations animées à thème ou non, musicales… qui descendent alors le Danube sur un parcours de 7 km.

La Nabada d’Ulm, édition 2022, photo droits réservés

Le Danube fait partie intimement de l’histoire fluviale de la ville avec  ces deux petits affluents, l’Iller (147 km) et la Blau (22, 3 km) dont le nom ne provient pas comme on pourrait le croire de la couleur bleue (blau en allemand) mais vraisemblable du mot celte Blava, deux  rivières qui se jettent dans le fleuve à cet endroit, cette dernière traversant joyeusement le bastion des pêcheurs (Fischerbastei). 

Le bastion des pêcheurs d’Ulm sur la rive gauche du Danube, photo Danube-culture © droits réservés

    Ulm et le Danube c’est d’abord ce bastion historique des pêcheurs, aujourd’hui haut-lieu touristique sur la rive gauche du Danube, en contrebas de la cathédrale miraculeusement épargnée par les bombardements pendant la deuxième guerre mondiale et dont la flèche est la plus haute du monde (161,53 m).

La nef centrale de la cathédrale d’Ulm, photo © Danube-culture, droits réservés

   Le Danube souabe ce sont aussi les fameux « Ulmer Schachtel » dénommés en français « boites d’Ulm », ces coches d’eau construits sur le modèle des « Zille » viennoises dont on trouve une représentation sur la façade sud de l’Hôtel de ville, embarcations de transport en bois à fond plat, et destinées en principe à ne servir que pour un voyage aller (le bois pouvait être alors revendu sur le lieu d’arrivée ou servir de matériel pour la construction de maisons et autres bâtiments).

Un « Ulmer Schachtel » (boîte d’Ulm), fresque peinte sur la façade sud de l’Hôtel de ville, photo Danube-culture © droits réservés

De nombreux colons souabes descendirent le fleuve sur ces embarcations à la rencontre de leur destin pour s’installer au XVIIIe et XIXe, en plusieurs vagues successives (3 importantes vagues au XVIIIe soit environ 150 000 colons sur des territoires danubiens souvent marécageux des confins de l’Europe centrale et de l’Europe orientale, territoires reconquis au détriment de l’Empire ottoman soit par l’Empire autrichien (Banat, Batchka, Syrmie…), soit par l’Empire russe (Bessarabie, Dobroudja). Dans un tragique retournement dont l’Histoire des hommes a le secret, un grand nombre de leur descendants, fuyant les armées soviétiques, referont au XXe siècle, à la fin de la seconde guerre mondiale, le trajet en sens inverse jusqu’en Souabe pour les plus chanceux d’entre eux. Une visite au passionnant Musée central des Souabes du Danube d’Ulm permet de mieux comprendre leur épopée. 

Enseigne dans le bastion des pêcheurs, photo © Danube-culture, droits réservés

La ville d’Ulm fête encore le Danube avec de célèbres joutes nautiques, le Fischerstechen, une manifestation dont l’origine remonte au XVe siècle voire au Moyen-âge. Elle se déroule sur le fleuve tous les quatre ans, les deux dimanches précédent le lundi du serment. 16 équipages déguisés avec des costumes historiques défilent dans la ville puis s’affrontent à l’aide de lances en bois sur des « Zille » sous le regard amusé des spectateurs. Baignade dans le Danube pour les participants garantie sauf pour le vainqueur !  La dernière édition a eu lieu en 2017 et la prochaine édition du Fischerstechen se déroulera le 18 juillet 2021. On s’y retrouve ?

Eric Baude, Danube-culture © droits réservés, mis à jour août 2022

Le Fischerstechen d’Ulm en 2017n photo droits réservés

Pour séjourner et visiter Ulm :
Office du Tourisme d’Ulm (très courtois et efficace) :
https://tourismus.ulm.de
tourismus-region-ulm.de
www.ulmer-schifferverein.de
schwoermontag.com
(en allemand)

Musée central des Souabes du Danube (Donauschwäbisches Zentralmuseum Ulm) :
www.dzm-museum.de

Bastion des pêcheurs, photo Danube-culture © droits réservés

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