La « Schrammelmusik » : un répertoire viennois d’une grande popularité

Le Schrammel Quartett

   Kaspar Schrammel, le père des deux musiciens, nait en 1811 près du petit village de Litschau dans la région du Waldviertel (Basse-Autriche). Il joue dès l’âge de onze ans dans l’harmonie locale et améliore ses modestes revenus de tisserand en participant à des fêtes de village et des célébrations religieuses. Sa première femme, Josepha Irschik avec laquelle il s’est marié en 1832, meurt en 1837 à l’âge de 25 ans de la maladie des tisserands.

Kaspar Schrammel (1811-1895), tisserand, clarinettiste et compositeur

Il déménage en 1846 avec son premier fils Konrad (1833-1905)1 dans la banlieue de Vienne, s’installant en 1846 à Neulerchenfeld2, une commune qui fait depuis 1891 partie de Vienne et est intégrée à l’arrondissement d’Ottakring. Neulerchenfeld est déjà à l’époque un haut lieu de la musique populaire. La commune compte un peu plus de cinq mille habitants en temps ordinaire mais accueille certains dimanches et jours de fêtes dans ses auberges et tavernes jusqu’à seize mille spectateurs !

Hanns (Johann) Schrammel (1850-1893)

Kaspar Schrammel se remarie avec la chanteuse Aloisia Ernst. De cette union naissent deux garçons, Johann et Joseph. Kaspar Schrammel se rendra très tôt compte des des dons musicaux de ses deux fils avec lesquels il forme en 1861 un trio et joue à l’occasion de l’anniversaire de ses cinquante ans dans une auberge locale. Après un premier apprentissage du violon avec Ernst Melzer, il les inscrit, malgré des difficultés financières familiales, au conservatoire de Vienne où Johann3 et Joseph étudient avec Joseph Hellmesberger (1828-1893) et Karl Heißler (1823-1878).

Josef Schrammel (1852-1895)

Chacun des deux fils prend ensuite provisoirement un chemin différent, Johann joue dans diverses formations (orchestres de théâtre, de musique de salon viennoise) ou dirige des harmonies pendant son service militaire quand son frère Joseph se produit comme interprète dans des auberges et des tavernes et voyage à plusieurs reprises professionnellement au Moyen-Orient. Johann se marie en 1872 avec Rosalia Weichselberger et Joseph avec Barbara Prohazka (1855-?) en 1874.
Le krach de la bourse de de Vienne en 1873 entraine une sérieuse détérioration des conditions de la population et des musiciens d’orchestre classique bien plus importante que celles de leurs collègues interprètes de musique traditionnelle. Aussi la proposition de Johann à son frère Joseph de fonder leur propre formation est-elle bienvenue et peut se concrétiser en 1878. Le trio intègre le (Kontra)guitariste F. Draskovits et prend le nom de Nussdorfer Terzett (1878-1884). F. Draskovits cède sa place à l’excellent Anton Strohmayer (1848-1937), considéré comme le meilleur (Kontra)guitariste de Vienne un an plus tard. La formation joue essentiellement dans les auberges (Heuriger) du village viticole de Nussdorf au bords du Danube. Joseph tient la place de premier violon et Johann de second.

Le Schrammel Terzett au bal des lingères, caricature de 1883

Le Schrammel Terzett comme le public l’appelle familièrement s’adjoint à partir de 1884 les services de l’excellent clarinettiste (petite clarinette en sol, instrument surnommé pour son inimitable sonorité suave « picksüßes Hölzl ») Georg Dänzer (1848-1893).

Le Schrammel Quartett

Le quartette continue tout d’abord à se produire à Nussdorf et sa popularité ne cesse de croître. Le public qui assiste enthousiaste aux concerts de l’ensemble auxquels se joignent régulièrement des chanteurs amateurs comme le cocher Josef Bratfisch (1847-1892), des Jodler, des siffleurs et  des coiffeurs, provient de toutes les classes sociales de la société viennoise de l’époque.

Josef Bratfisch (1847-1892), cocher, chanteur populaire et siffleur, ami des frères Schrammel. Il devient le cocher du prince héritier Rodolphe de Habsbourg et son « confident » jusqu’à sa mort en 1889, photo collection Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne 

En plus de leurs productions dans les auberges de Nussdorf et plus particulièrement à la taverne « Schöll », Himmelstraße (aujourd’hui au 4, Kirchengasse, dans le XIXe arrondissement de Vienne), les musiciens interprètent à d’autres occasions des danses traditionnelles viennoises et participent également aux grands bals populaires de la capitale comme ceux des fripouilles, des cochers ou des lingères…

Johann-Strauss junior, caricature de Franz-Xaver Gaul (1837-1906), Musée historique de la ville de Vienne, 1880

Johann Strauß junior (1825-1899), se déplace en 1884 pour écouter la formation des frères Schrammel. Au lieu de l’heure prévue,  le compositeur des valses de  « Sur le beau Danube bleu » restera longtemps sur place et transmettra au retour, dans une lettre adressée à Johann Schrammel, ses plus hautes appréciations du jeu et du répertoire des musiciens. Johann lui dédicace en remerciement de ses éloges sa valse « Im Wiener Dialekt« . En 1886 c’est Hans Richter (1843-1916), alors Maître de chapelle de la cour de Vienne et chef de l’Orchestre philharmonique qui invite le Schrammel Quartett pour l’anniversaire du centième concert de la formation symphonique.

Hans Richter (1843-1916)

Dans un courrier aux musiciens de sa formation le chef d’orchestre écrit : « Vous devez écouter les incomparables valses merveilleusement interprétées par le célèbre Schrammel Quartett. Je ne peux pas mieux formuler mon invitation. »
Le Schrammel Quartett dont la réputation a désormais franchi les frontières, part en tournée au début de l’année 1889 et joue à Graz, Meran, Maribor, Celje, Ljubljana, Trieste, Venise, Abaccia, Fiume, Görz, Bolzano, Innsbruck, Klagenfurt, Münich, Salzbourg et  Linz. Les voyages à Londres et Paris sont annulés en raison du mauvais état de santé persistant de Johann Schrammel mais la saison bat son plein dans les tavernes de Nussdorf et dans la capitale. À l’automne les musiciens sont acclamés à Brno, Olomouc, Opava, Ostrava et Wroclaw.
Georg Dänzer quitte la formation pour des raisons de santé, en 1891. La petite clarinette en sol est alors remplacée par un autre instrument typiquement viennois, l’accordéon (Knöpferlharmonika) d’Anton Ernst (1862-1931) ce qui n’altère en rien le succès de l’ensemble. Mais  Anton Strohmayer arrête à son tour de jouer avec le Schrammel Quartett à la fin 1892. Karl Daroka le remplace. Un projet de voyage aux États-Unis (Chicago) est envisagé. Puis Johann Schrammel, de plus en plus malade du coeur, cesse de jouer et mourra désargenté en juin 1893. Josef continue quelques temps à se produire avec un autre violoniste. En octobre les musiciens sont de retour de l’exposition universelle de Chicago. Après encore de nombreux concerts avec ses nouveaux partenaires, les frères Daroka et l’accordéoniste Anton Ernst, une « Schrammelfest » en l’honneur de Johann, sous le patronage du compositeur et chef d’orchestre Carl Michael  Ziehrer (1843-1922), Josef Schrammel décèdera à son tour à l’automne 1895. Les deux musiciens avaient tous les deux quarante-trois ans et sont enterrés au cimetière de Hernals où ils avaient précédemment déménagé. Ils ont laissé en héritage un répertoire considérable donnant à celui-ci ses lettres de noblesse et faisant sa renommé. Johann Schrammel a, à lui tout seul, composé 274 oeuvres parmi lesquelles les marches « Wien bleibt Wien » (dédicacée à la ville de Vienne), « Kunst und Natur« , « Wiener Künstler« , des valses telle « Im Wiener Dialekt », dédiée à Johann Strauss junior, des musiques de bal populaire et de divertissement, de nombreuses polkas, des lieders en dialecte local dont les textes font l’éloge des différentes atmosphères et lieux viennois (Prater, les cafés…) ou sont parfois anecdotiques, critiques voire moralistes.

Les frères « Schrammeln » et leurs formations ont occupé une place unique dans la vie musicale viennoise en s’étant fait entendre et apprécier de toutes les classes sociales de leur époque et en jouant dans pratiquement tous les établissements populaires de la ville et de ses faubourgs dont la Rotonde et les grands cafés du Prater ainsi que dans les châteaux et palais de l’aristocratie autrichienne comme ceux du prince Kinsky et de l’un de leurs mécènes attentifs, le prince héritier Rodolphe de Habsbourg (1858-1889) dans ses résidences d’Orth/Danube et de Mayerling, au sud de Vienne où le prince héritier se suicidera (sera assassiné ?) le 30 janvier 1889. Leur musique rend en quelque sorte un hommage aux nombreux musiciens populaires viennois et musiciens de rues qui les ont précédés, harpistes, violoneux, joueur de cornemuse, chanteurs, siffleurs, fondateurs de la tradition des musique populaires viennoises.

Eric Baude, © Danube-culture, droits réservés, mis à jour juin 2023

Le Prince Héritier Rodolphe de Habsbourg avec sa femme la princesse Stéphanie de Belgique, photo Géruzet Frères,  collection Archives d’État autrichiennes

  Notes :
 1 Violoniste et joueur d’orgue de barbarie
2 C’est à Neulerchenfeld qu’est né Josef Leitgeb, corniste virtuose ami de J. Haydn et de la famille Mozart. J. Haydn aurait écrit son concerto pour cor pour ce musicien et  Mozart  ses quatre concerti pour cor et orchestre ainsi que probablement son quintette pour cor et quatuor à cordes.
3 Johann Schrammel y prend aussi des leçon de chant

Oeuvres (sélection) de Johann Schrammel :
Marches : Dornbacher Hetz, Kronprinz Rudolf-Marsch, Kunst und Natur, Wien bleibt Wien, Wr. Künstler…
Valses : Im Wr. Dialekt, Nußdorfer-Walzer, Weana Gmüath, Wie der Schnabel g’wachsen ist…
Danses et Lieders : Wr. Heurigen-Tänze 1. und 2. Parthie, D-Lieder, B-Lieder
Musiques de bal :  Busserl-Polka, Frühlingsgruß an Pauline, Im Kaffeehaus, Kreuzerl-Polka, Wr. Fiaker-Galopp…
Lieder : Die Dankbarkeit, Der Schwalbe Gruß, Der Frieden auf der Welt, Was Oesterreich is’’…

Oeuvres (sélection) de Josef Schrammel :
Marches : Purkersdorfer Marsch, Sultan-Marsc
Valses : Die Nußdorfer, Dornbacher Vergnügungs-Walzer,
Danses :  Wr. Tänze,
Musiques de bal : Pester Polka, Bei guter Laune, Quadrille de Terpsichore, Antoinetten-Polka
Lieder : Der Weaner is allweil leger, Mit Herz und Sinn für unser Wien, op. 27 Vindobona die Perle von Österreich! (textes de texte de C. Schmitter ), Die Rose von Orth (texte de Josef Weyl).

La Schrammelmusik

La « Schrammelmusik » est un terme générique pour désigner différentes formes et pratiques de musique populaire viennoise (valses, marches, polkas, galops, chansons et accompagnement de chansons) interprétées par de petits ensembles de musique de chambre caractéristiques et avec une instrumentation spécifique. Le terme dérive du nom de famille de deux frères violonistes, Johann et Josef Schrammel, dont la formation était appelée « Die Schrammeln » par les Viennois et dont la réputation légendaire d’interprètes et de compositeurs a donné au fil des ans le nom à ce genre musical dans la capitale autrichienne. Jusqu’alors la tradition était de nommer les ensembles d’un terme neutre tels que le National Quartett, le Volksmusik Quartett, l’Elite Quartet… ou selon les noms des interprètes ou de leurs fondateurs comme le Quintette Dänzeret Strohmayer, Gebrüder Butschetty (Les frères Butschetty),  de localités (D’Grinzinger, D’Dornbacher) ou encore de salles de concert das lesquelles ces ensembles se produisaient (Woodcock Trio, Maxim Quartet)… Le terme de Schrammelquartett ou Schrammelterzett ne s’est imposé qu’à partir des années 1920 et plus particulièrement après la seconde guerre mondiale. Le terme de Schrammelmusik s’est peu à peu répandu au-delà des frontières de Vienne et a été également adopté par des ensembles de musique alpins mais sans qu’il y ait toutefois intégration des éléments musicaux viennois spécifiques dans leur pratique.

Accordéon viennois (Knöpferlharmonika), photo droits réservés

La Schrammelmusik désigne aujourd’hui une grande variété d’ensembles instrumentaux mais la formation spécifique traditionnelle se compose d’au moins trois musiciens, un ou deux violons et une guitare basse ou « Kontragitarre ». Peuvent s’y joindre un accordéon et ou une petite clarinette en sol ou en fa, une flûte piccolo, et plus rarement une harpe et une cithare. Le quatuor original des frères Johann et Josef Schrammel se composait de deux violons, une « Kontragitarre » et une clarinette en sol (pour renforcer la voix du 1er violon). La plupart des ensembles de Schrammelmusik étaient composés de deux violons, d’un accordéon et d’une « Kontragitarre », instrumentation la plus courante avec sa variante à trois musiciens, le  Schrammelterzett  à un seul violon jusque dans la première moitié du XXe siècle. Quant au Salon-Schrammeln il doit être considéré comme une forme à part qui, en faisant appel à des instruments de divertissement et de danse comme le piano, l’harmonium, la batterie, la contrebasse, le saxophone… a abordé un répertoire beaucoup plus élargi.

Autre instrument typiquement viennois, la « Kontragitarre », photo droits réservés

Les tout débuts de ce genre musical qui prendra plus tard le nom de « Schrammelmusik » remonte aux années 1830. Les principaux interprètes et compositeurs du XIXe siècle ont été les frères Staller, Johann Mayer, Johann Schmutzer, Josef Weidinger, Anton Debiasy, Alois et Anton Strohmayer, Alexander Katzenberger, Johann et Josef Schrammel, Anton Turnofsky, V. Stelzmüller, Jakob Schmalhofer et Josef Winhart. Pour le XXe siècle jusqu’à 1945 les noms de Rudolf Strohmayer, Karl Resch, Karl et Josef Mikulas, R. Kemmeter, Anton Pischinger s’imposent tout comme ceux des ensembles Grinzinger, Maxim Quartet, Original Lanner Quartet et le Kemmeter-Strohmayer Trio. Lukas Kruschnik, B. Lanske, A. Kreuzberger, L. Babinski, K. Zaruba, W. Wasservogel avec le Faltl-Kemmeter-Schrammeln ont dominé la scène de la « Schrammelmusik » après la seconde guerre mondiale.

Nussdorf et la rue Kahlenberg

Les lieux où se produisaient ces musiciens qui se sont toujours considérés comme des musiciens traditionnels, étaient principalement les tavernes (Heuriger), les caveaux et les auberges des villages de la banlieue de la périphérie de la capitale parmi lesquels Nußdorf, Grinzing, d’où la superposition avec le terme de Heurigenmusik, les bars du centre-ville et les établissements de divertissement comme certains grands cafés du Prater où se produisirent de nombreux interprètes de ce genre musical. La musique n’était pas destinée à être dansée mais à être simplement écoutée. Le répertoire des ensembles était à l’origine purement instrumental, répertoire auquel on adjoint à la fin du XXe siècle des chanteurs et des comédiens. Dans les années 1920, pour la première fois, des musiciens des grands orchestres philharmoniques et des musiciens traditionnels constituent des quatuors de « Schrammelmusik » pour des manifestations sous forme de concerts dans des salles de musique classique.

Des musiciens classiques viennois ont manifesté un nouvel intérêt pour la « Schrammelmusik » à partir des années soixante. Les ensembles Spilar-Schrammeln et le Quatuor Schrammel classique de Vienne ont remis au goût du jour l’utilisation de la petite clarinette en sol. Les œuvres populaires des frères Johann et Josef Schrammel et de leurs contemporains ont trouvé une nouvelle popularité. Dans les décennies qui suivirent des quatuors de « Schrammelmusik » ont été fondés et se produisent lors de concerts dans des salles viennoises prestigieuses comme le Konzerverein et le Konzerthaus. La grande Schrammelfest sur la place de l’Hôtel de Ville de Vienne en 1993 et ​​les pique-niques Schrammel dans le Burggarten de Vienne de 2000 à 2002 ont permis à ce répertoire populaire d’être réhabilité et considéré par le public comme une expression incontournable de la culture traditionnelle viennoise. Il y avait plus de 30 quatuors de Schrammelmusik à Vienne au début du XXIe parmi lesquels les excellents Philharmonia Schrammeln, Symphonia Schrammeln, Neue Wiener Concert Schrammeln,Wiener Art Schrammeln, Malat Schrammeln, Thalia Quartet

En compagnie des frères Schrammel, gravure de Theodor Kupfer, 1886

Eric Baude, Danube-culture © droits réservés, mis à jour juin 2023 

Sources :
BÖCK, Alois, DEUTSCH Walter, Das Werk der Brüder Schrammel, Einführung und Verzeichnis, Folge 1, Die Märsche, 1993, Verlag Hans Schneider, Wien
DIRTMAN, Kurt, Schrammelmusik, Edition Kaleidoskop, Graz, Wien ,Köln, 1981
EGGER, Margarethe Egger: Die « Schrammeln » in ihrer Zeit, Heyne, München 2000
MAILLER, Hermann, Schrammelquartett, Ein Buch von vier wiener Musikanten, Wiener Verlag, Wien, 1945
SANER, Jacqueline, Die Gebrüder Schrammel, Werdegang einer musikalischen Familie und die Entwicklung eines Stilbegriffs, Universität, Wien, 2013 (Diplomarbeit)
KORNBERGER,Monika/WEBER, Ernst Art. « Schrammel, Familie », in: Oesterreichisches Musiklexikon online, Zugriff: 4.11.2020 https://www.musiklexikon.ac.at/ml/musik_S/Schrammel_Brueder.xml
www.biographien.ac.at, Austrian Centre for Digital Humanities and Cultural Heritage
www.daswienerlied.at
www.wienerlied.org
www.wienervolksliederwerk.at
www.radiowienerlied.at
http://www.volkstanz.at

Maria am Gestade, (Notre-Dame-du-Rivage), église des bateliers et des pêcheurs du Danube

    Les grands travaux de régulation et d’aménagement du fleuve, la construction du Donaukanal (Canal du Danube) et les importantes rénovations urbaines au XIXe siècle ont bousculé la physionomie du premier arrondissement de la capitale autrichienne. L’emplacement originel de l’église dominait le bras du Danube qui traverse la ville. Son clocher a ainsi longtemps servi de point de repère pour les bateliers qui en firent aussi, avec les pêcheurs, jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, un de leurs lieux de pèlerinage favoris. L’église garde encore dans son nom l’écho de son lien privilégié avec le fleuve et la navigation.

Maria am Gestade (Notre-Dame-du-Rivage), Österreichisch-ungarisch Monarchie in Wort und Bild, Wien, 1886 Vienne

Un sanctuaire à l’histoire mouvementée

   Il n’est pas impossible que la première chapelle chrétienne ait été construite à cet emplacement sur le site d’un sanctuaire romain. Des fouilles archéologiques ont permis de retrouver sur les lieux des vestiges de l’antiquité romaine.
   Certaines sources font remonter la fondation du sanctuaire à l’an 880. Madalvin, alors évêque de Passau, aurait confié à un moine du nom d’Alfied le soin d’ériger un petit édifice religieux. Celui-ci devient ensuite la propriété de moines écossais et irlandais peu après la fondation par ces derniers de la Schottenstift (Abbaye écossaise) en 1160. C’est à cette époque qu’il est fait mention pour la première fois d’une chapelle sur le site de l’église actuelle.

Carl Pekarek (1917-?), Maria am Gestade, 1928


   Un important incendie ravage Vienne en 1262. L’édifice n’est pas épargné. Il sera reconstruit une dizaine d’années plus tard. La chapelle entre en possession de la famille von Greif (vers 1330) qui fait reconstruire intégralement le choeur en style gothique flamboyant, peut-être l’intention d’en faire un caveau familial.
    Si le chœur est achevé en 1367, la construction du clocher n’en est par contre qu’à son début. L’église change encore une fois de propriétaire en 1391. Son nouveau maître, le Freiherr (baron) Hans von Liechtenstein-Nikolsburg (vers 1340-1398), souhaite donner à ce sanctuaire une importance qu’il n’avait pas encore acquis. Il choisit pour cela de confier l’ouvrage à un architecte renommé : Michael Knab, dit Maître Michael (vers 1340/1350-ap. 1399).

L’autel, photo © Danube-culture, droits réservés

  Originaire de Wiener Neustadt, il est l’architecte attitré du duc Albrecht d’Autriche III (1349-1395) pour lequel il a dessiné les plan du château de Laxenbourg. Il a aussi réalisé la tour sud de la cathédrale Saint-Étienne. C’est un architecte déjà expérimenté que le Freiherr von Liechtenstein-Nikolsburg a sollicité pour dessiner les plans de la nouvelle nef de Maria am Gestade en remplacement de l’ancien bâtiment de 1276 et poursuivre l’édification du clocher.

Détail de l’autel, photo © Danube-culture, droits réservés

 De nombreuses contraintes s’imposent. Le côté sud de la rue de Passau est déjà construit et l’escarpement au Nord et à l’Ouest limite l’espace constructible. Non seulement la nef ne pourra pas être plus longue que le chœur (l’une et l’autre parties de l’édifice sont de taille égale) mais elle devra même être plus étroite. À cela s’ajoute le caractère accidenté du terrain où il faut également tenir compte des ruines du rempart de l’époque romaine ainsi que de la nécessité d’opérer un coude pour agrandir l’église. L’architecte compensera en hauteur ce qui manque en largeur. En témoigne le caractère surprenant des proportions du bâtiment, encore accentué par sa situation en surplomb ; la nef s’élève à 33 mètres de haut pour une largeur de seulement 9, 7 mètres.

La flèche en pierre ajourée du clocher heptagonal, photo © Danube-culture, droits réservés

   La construction de la nef dure de 1394 à 1414. L’érection du clocher heptagonal se poursuivra jusqu’en 1417. Il est surmonté d’une extraordinaire flèche en pierre ajourée, chef d’œuvre du gothique flamboyant autrichien. Le chiffre sept correspond aux sept douleurs de la Vierge Marie.

L’annonciation faite à Marie, 1460, photo Danube-culture, droits réservés   

Les deux panneaux peints du choeur, oeuvres anonymes datant de 1460, représentent le couronnement de Marie à droite et l’autel de l’Annonciation à gauche. Sur la face arrière du premier panneau se trouve une représentation de la Crucifixion et sur le second le Mont des Oliviers. L’influence du style flamand, en particulier dans la représentation des étoffes et la richesse des coloris, est indéniable. Une nuée d’anges entoure la vierge, chacun avec sa personnalité propre mais tous d’une grâce remarquable. Certains jouent d’un instrument de musique quand d’autres portent simplement la robe de Marie ou en rectifient un pli.

 Les vitraux ouvrent l’édifice à la lumière. Les quatre superbes vitraux de l’abside de Maria am Gestade ont été reconstitués à partir d’éléments originaux des XIVe et XVe siècles.
   Dans le chœur et la nef, adossées aux piliers dans la partie droite de la nef, près de la chapelle Saint-Clément, se tiennent la statue de l’archange Gabriel et une statue de Marie (vers 1350). Les reliefs du portail d’entrée dans le chœur représentent la Vierge protectrice et son couronnement. Au-dessus du tympan du portail Ouest se trouve un baldaquin de pierre dont la pointe renvoie à celle qui surmonte la dentelle de pierre du clocher, contribuant ainsi à l’unité architecturale de l’église.

Maria am Gestade Wien, photo droits réservés

   La paroisse resta prospère pendant la Renaissance. En témoigne la présence, exceptionnelle à Vienne, d’éléments de style de cette époque dans l’église, le superbe buffet d’orgue (1515) et, dans une chapelle attenante, un petit autel de pierre (1520), avec le nom de son commanditaire, Johann Perger.

L’orgue  de Maria am Gestade et son superbe buffet Renaissance, photo droits réservés

   Les bombardements des armées ottomanes lors du siège de Vienne en 1683, n’épargnent pas l’église dont le clocher est détruit mais sera reconstruit cinq ans plus tard.
   Maria am Gestade, qui est rattachée à l’évêché de Passau en 1409, demeure la propriété des princes-évêques de Passau jusqu’en 1784. Avec la sécularisation de l’ancienne principauté ecclésiastique de Passau par l’empereur Joseph II, elle devient la propriété de l’État autrichien. Délabrée, servant d’entrepôt, l’église tombe en ruine. Joseph II envisage même sa destruction mais seul le coût d’une telle opération l’en dissuade. François Ier de Habsbourg (1768-1835) rouvrira l’église au culte et la confie à l‘ordre du Très Saint Rédempteur en 1820.
   L’église fera alors l’objet d’importants travaux qui se poursuivront jusqu’au premier tiers du XXe siècle. Le chœur est doté d’un maître-autel néo-gothique intégrant quelques éléments d’inspiration baroque. Les mosaïques et les statues qui surplombent le portail ouest datent de cette même époque.
   Le bras du Danube est aménagé en canal lors de la régulation du fleuve dans les années 1870. Des immeubles sont édifiés sur ses rives, enserrant peu à peu Maria am Gestade comme dans un étau. La construction d’un grand escalier devant l’église allège heureusement la pesanteur du nouvel environnement architectural.
   Du fait de la présence des reliques de saint-Clément Marie Hofbauer, d’origine morave, Maria am Gestade est l’église de la communauté tchèque de Vienne tout comme celle de la communauté française. 

Sources :
Wolfgang J. Bandion, Steinerne Zeugen des Glaubens. Die Heiligen Stätten der Stadt Wien, Wien, Herold, 1989

Felix Czeike, Wien, Kunst und Kultur-Lexikon, Stadtführer und Handbuch, München, Süddeutscher Verlag, 1976
Felix Czeike, Wien, Innere Stadt, Kunst-und Kulturführer, Jugend und Volk, Ed. Wien, Dachs-Verlag, Wien, 1993
Carl Dilgskron, Geschichte der Kirche unserer lieben Frau am Gestade zu Wien, 1882, Dom-und Diözesanmuseum (Katalog 1987)
Franz Eppel, Die Kirche Maria am Gestade in Wien, Salzburg, 1960
Rudolf Geyer, Handbuch der Wiener Matriken, Ein Hilfswerk für Matriken-Führer und Familienforscher,Verlag d. Österr. Inst. für Genealogie, Familienrecht und Wappenkunde, Wien, 1929
Gustav Gugitz, Bibliographie zur Geschichte und Stadtkunde von Wien, Hg. vom Verein für Landeskunde von Niederösterreich und Wien, Band 3 : « Allgemeine und besondere Topographie von Wien », Jugend & Volk, Wien 1956
P. Josef Löw, Maria am Gestade, Ein Führer, Wien, 1931
Alfred Missong, Heiliges Wien, Ein Führer durch Wiens Kirchen und Kapellen, Wiener Dom-Verlag, Wien, 1970
Richard Perger, Walther Brauneis, « Die mittelalterlichen Kirchen und Klöster Wiens »Zsolnay (Wiener Geschichtsbücher, 19/20), Wien, 1977
Richard Perger, « Ein Marienaltärchen von 1494 aus der Kirche Maria am Gestade in Wien », In Österreichische Zeitschrift für Kunst und Denkmalpflege, Hg. vom Österreichischen Bundesdenkmalamt, Horn-Wien, Berger / Wien-München, Schroll, 1970
Alfred Schnerich, Wiens Kirchen und Kapellen in kunst- und kulturgeschichtlicher Darstellung, Zürich -Wien, Amalthea 1921
Communauté catholique française de Vienne
www.ccfv.at
Site de la cathédrale saint-Étienne de Vienne
www.stephanskirche.at

Danube-culture © droits réservés, mis à jour juin  2023

Le canal de Marchfeld : du Danube à la Morava (March)

 Sa vocation est également de stabiliser et d’améliorer les conditions hydrologiques des eaux souterraines et de celles de surface avec l’aide de stations d’épuration.

Source Société du canal de Marchfeld

   Cet ouvrage, alimenté par les eaux du Danube et long de 19 km, part de Langenzersdorf, sur la rive gauche, en amont du bras du nouveau Danube et de l’île du Danube (Donauinsel), traverse une région frontalière1 qui fut d’une haute importance stratégique par le passé et le lieu de batailles historiques2.

Le canal de Marchfeld, photo © Danube-culture, droits réservés

Cette région se situe en aval de Vienne, au nord-est de la capitale, sur la rive gauche. Ses terres alluvionnaires sont propices à l’agriculture. Le Marchfeld souffrait toutefois d’un important déficit en eau en raison d’une faible pluviosité et d’un dense réseau de captage d’eaux souterraines (nappes phréatiques) dont le niveau, de ce fait et en raison des conséquences de la régulation du fleuve, baissait régulièrement. Les travaux de construction ont commencé en 1984 nécessitant la réalisation de 45 ponts. Le canal est entré en service en 1992.

Le « Feldwegbrücke Tilakstraße, se trouve près de la Bernhard-Bolzano-Gasse dans le quartier de Stammersdorf, dans le XXIe arrondissement de Vienne à Floridsdorf.
Le pont de 29 mètres de long et de 4 mètres de large, a été construit en 1988, photo droits réservés

La passerelle Felix Slavik sur le canal de Marchfeld se trouve près de la Tulzergasse ou de la Gschweidlgasse dans le quartier de Großjedlersdorf, dans le XXIe arrondissement de Vienne, Floridsdorf. La passerelle de 28 mètres de long et de 4 mètres de large sur le canal de Marchfeld a été construite et inaugurée en 1995, photo droits réservés

   Ce canal est le premier premier tronçon d’un réseau d’environ 100 km qui irrigue cette région et qui comprend, outre le canal de Marchfeld, la rivière Rußbach (71 km), alimentée par ce même canal et confluant avec le Danube en face de Hainburg, le canal d’Obersiebenbrunner (6 km) reliant le Rußbach et le Stempfelbach (32 km), un affluent de la March (Morava) et sous-affluent du Danube.

Le confluent de la Russbach avec le canal de Marchfeld sur le territoire de la commune de Deutsch Wagram, photo droits réservés

   Cette voie d’eau est désormais également une zone de loisirs et de découverte de l’environnement grâce aux pistes cyclables aménagées le long de son cours mais la baignade y est interdite. La navigation des embarcations dépourvues de moteur y est par contre autorisée.

La piste cyclable du canal de Marchfeld mène du Danube jusqu’au pont-passerelle de la liberté au-dessus de la March (Morava) à la frontière slovaque et à Bratislava (source Société du canal de Marchfeld)

Notes :
1 Ce qui explique que les ouvrages qui le franchissent soient équipés d’un dispositif militaire.
2 Bataille de Dürnkrut et Jedenspeigen (1278) entre le roi Ottokar II Přemysl de Bohême (vers 1230-1278) et l’empereur Rodolphe de  Habsbourg (1218-1291) qui vit la mort du premier et la victoire du second.
En 1809 eut lieu à Aspern-Essling et dans les environs, sur l’île de la Lobau, une bataille entre les troupes napoléoniennes et autrichiennes. La victoire échut cette fois aux armées autrichiennes commandées par l’archiduc Charles de Habsbourg (1771-1847) après un affrontement qui fait de nombreuses victimes parmi lesquelles le dévoué maréchal de Lannes (1769-1809), « le plus brave de tous les hommes » selon Napoléon.

www.marchfeldkanal.at (en allemand)
Eric Baude, © Danube-culture,  mis à jour juin 2023, droits réservés

Un oasis de verdure et de biodiversité aux portes de Vienne, photo © Danube-culture, droits réservés

Vienne et le vin : un art de vivre !

Le Viennois est aussi fier de ses vignobles que de l’histoire de sa ville et de son patrimoine musical. Wien est d’ailleurs un anagramme du mot vin en allemand (Wein). Il attribue volontiers à la présence du vin son sens de l’art de vivre, sa sensibilité, sa forme d’humour et d’esprit spécifiques, voire quelquefois sa supériorité ! Vienne se rattache via le vin à la civilisation latine et son histoire se confond aussi avec celle de la vigne. C’est l’empereur romain Probus (232-282) qui autorisa les légionnaires du camp de Vindobona à planter des vignes à proximité du Danube. Il n’est toutefois pas impossible que la culture de la vin puisse remonter encore plus loin, c’est à dire à l’époque des Celtes (400 avant J.-C.). La colline du Leopoldsberg aujourd’hui en partie couverte de vignobles, pourrait avoir abriter un oppidum celte. Vienne s’appelait alors Vedunia (transformé en Vindobona par les Romains) ce qui signifie en celte « ruisseau de forêt » ce qui convenait parfaitement à la petite rivière Vienne qui prend sa source dans la Forêt-Viennoise (Wienerwald) et descend ensuite vers le Danube et son canal dans laquelle elle  conflue au centre de la capitale autrichienne.

Vignobles du côté de Grinzing au sortir de l’hiver avec en arrière-fond les  gratte-ciels de Donaustadt, photo © Danube-culture, droits réservés

Le vignoble viennois occupe une superficie d’environ 700 hectares (Vienne s’étend sur 414,6 km2) exposés vers le sud pour la plupart et se répartissent sur les coteaux des Kahlenberg et Leopoldsberg qui surplombent la rive droite du Danube, dans les quartiers de Nußdorf, Grinzing (joli village de vignerons attesté depuis le Xe siècle), Sievering, Heiligenstadt, Salmannsdorf, sur les pentes du Bisamberg au nord du Danube (rive gauche), à Stammersdorf, Strebersdorf et Jedlersdorf, favorables au cépages bourguignons. On trouve encore des vignobles au sud de la capitale, à Mauer, Kalksburg sur les pentes du Laaer Berg et au-delà.

Le plus petit vignoble de la capitale et d’Autriche se trouve place Schwarzenberg, photo © Danube-culture, droits réservés

Le plus petit vignoble viennois (100 m2), datant de 1924 et planté en Gemischter Satz (mélange de différents cépages), se cache en plein centre ville. Il faut pour le découvrir se rendre au numéro 2 de la place Schwarzenberg devant le palais de l’archiduc Louis Victor. Les quelques rangs de vigne sont dissimulés derrière une balustrade et presque invisibles à l’oeil des touristes. Le vignoble produit 50 à 60 kilos de raisin annuellement. La cinquantaine de bouteilles issues des vendanges est vendue lors d’une manifestation caritative à l’Hôtel de ville de Vienne au mois de décembre.
On dénombre plus de 600 vignerons et quelques 180 Heuriger (caveaux) sur le territoire de la commune pour une production totale avoisinant les 25 000 hectolitres dont 21 000 de vins blancs (2016).

La Poste autrichienne a elle aussi rendu hommage au Gemischter Satz viennois, photo droits réservés

Les cépages :
Le Gemischter Satz, représentant 30 % de la surface totale du vignoble. Cette tradition remonte à la Renaissance et bénéficie de l’appellation prestigieuse D.A.C. (Districtus Austriae Controllatus) depuis 2013. Elle consiste à cultiver des cépages différents de vins blancs sur une même vigne et à les vendanger en même temps. Il peut y avoir de deux minimum jusqu’à 20 cépages différents ! Le Gemischter Satz symbolise l’esprit du vin blanc viennois par excellence, léger ou complexe, toujours fruité et généreux en arômes. Sont cultivés également sur le vignoble viennois les Grüner Veltliner, Neuburger, Riesling, Weißburgunder, Ruländer (pinot gris) Morillon (Chardonnay), Sauvignon blanc, Traminer, (Gelber) Muskateller, pour les blancs, Zweigelt, Merlot, Pinot noir (Blauburgunder) et Cabernet Sauvignon (rare !) et des Cuvées (vins rouges d’assemblage) comme le Danubis Grand Select, un grand vin rouge viennois du vigneron Fritz Wieninger (Stammersdorf). Certains vignerons ont implanté ces dernières années de nouveaux cépages (Shiraz…) ou proposent, pour s’adapter à la mode des vins rosés, parfois pétillants (Weingut Walter, Strebersdorf) à la jolie robe issus généralement du cépage Blauer Zweigelt, des vins blancs champagnisés ou des vins liquoreux de vendange tardive (Beerenauslese).

Place Schwarzenberg, photo © Danube-culture, droits réservés 

Les Heuriger et Buschenschank :
Les vins blancs viennois secs se boivent pour la plupart jeunes (1-3 ans) et sont servis habituellement dans des verres en Achtel (un huitième de litre), Viertel (un quart), en carafe (d’un litre ou de deux litres) ou à la bouteille. Dans les dégustations, on sert également des Sechzehntel (1 seizième = 6,5 cl). Ces vins se dégustent traditionnellement entre amis ou en famille dans les fameux Heuriger, au sein de leur cour aménagée en guinguette, dans les jardins et tonnelles, assis à des grandes tables et bancs en bois au confort assez rudimentaire ou encore au milieu des vignes dans les Buschenschank, ouverts seulement quelques semaines par an. Dans ces guinguettes à l’atmosphère bon enfant et conviviale se côtoient, dans un joyeux brouhaha, toutes les classes sociales viennoises auxquels se joignent désormais des touristes du monde entier de plus en plus nombreux. Réglementés par un édit de l’empeureur Joseph II en 1784, les Heuriger se reconnaissent facilement de la rue à la perche couronnée d’un bouquet ou de branches de pin marquant leur entrée et le droit de servir du vin et du Sturm, vin de l’année et en cours de fermentation.

Dument autorisé par l’empereur Joseph II, photo © Danube-culture, droits réservés

Les Viennois savourent souvent ainsi le plaisir partagé de bipperln (boire en dialecte viennois) quelques Achtel ou de partager a Lita (carafe d’un litre) ou même si on est assez nombreux de commander a Doppla (deux litres) de Gemischter Satz ou de Grüner Veltliner, Riesling, Sauvignon blanc, Chardonnay, de Cuvée (rouge), de déguster en plein air éventuellement quelques plats typiques présentés sous forme d’un Buffet (ici c’est plutôt la cuisine qui accompagne le vin !) et de goûter aux charmes des dernières douces soirées de l’automne ou des beaux jours revenus du printemps.

Frontispice de la valse de Johann Strauss « Wein, Weib und Gesang (« Aimer, boire et chanter »), pour choeur d’hommes et orchestre, opus 333, 1869, Wien Verlag C.A. Spina, collection de la Bibliothèque de la ville de Vienne

« Pour connaître vraiment l’âme viennoise, mieux vaut chercher entre Grinzing et Nußdorf un Heuriger non frelaté — ils sont, Dieu merci, encore nombreux—, ou bien pousser plus loin jusqu’à Sievering, un peu plus en dehors des sentiers battus. Partout on trouvera la même gaité sans vulgarité ni tapage, la même retenue aussi jusque dans l’épanchement, avec l’art d’éluder l’émotion par un sourire ; la sociabilité viennoise reste toujours de bonne compagnie, ne verse jamais dans la crapule ou dans le mélodrame. C’est qu’on ne soûle pas dans un Heuriger ; tout au plus s’y grise-t-on, juste assez pour atteindre cet état vibratoire où la sensibilité oscille incessamment entre euphorie et mélancolie. Au reste, les Viennois ont un instinct très sûr du moment où il convient de dire Servus, formule d’adieu familière du dialecte local qui équivaut à notre ancien « Serviteur ». Si la qualité d’une société se mesure à sa façon de s’amuser, il faut convenir que le Heuriger, qui conjugue des qualités que l’on pourrait croire incompatibles —simplicité paysanne, expressivité en demi-teintes, urbanité—, témoigne d’un raffinement et d’une originalité aujourd’hui presque uniques dans une Europe qui s’abrutit et perd toute saveur. »
X. Y. Lander, Vienne, « Plaisirs de table », Points Planète Seuil, Paris, 1989
Les Heuriger sont aussi des lieux où l’on peut entendre, interprétée par des chanteurs et d’excellents interprètes en formation de trois, quatre voire cinq musiciens composée d’un ou deux violons, d’une contre-guitare (un instrument typiquement viennois !) d’un accordéon, d’une petite clarinette en sol (au son inimitable surnommée dans leur dialecte par les Viennois « Picksüaßen Hölzls » qu’on pourrait traduire en français par quelque chose comme « une délicieuse friandise boisée »…), de la « Schrammelmusik« , un style de musique viennoise extrêmement populaire à la fin du XIXe/début du XXe dans les auberges de Nußdorf, un village de la banlieue de la capitale, qu’affectionnait, parmi bien d’autres célébrités, Johann Strauss fils et ses frères et sans lequel Vienne ne serait pas tout à fait Vienne. Cette musique doit son nom à Johann Schrammel (1850-1893) à son frère Josef (1852-1895) qui lui donnèrent ses lettres de noblesse. Quelle Viennoise ou Viennois n’a pas entendu dans ces lieux conviviaux au moins une fois dans sa vie la chanson « Wien bleibt Wien! », (Vienne sera toujours Vienne !), la « Kronprinz Rudolph-Marsch » (la Marche du Prince héritier Rodolphe) ou encore « Weana Gmüath« . Le vin et Vienne sont deux des thèmes les plus prédominant de ce répertoire de Schrammelmusik.

Le Schrammel quartett (1890)  

Eric Baude, Danube-culture, mis à jour juin 2023, © droits réservés

Le Vocabulaire indispensable à connaître lors d’une visite d’un « Heuriger » viennois ou autrichien

Aus’gsteckt (is) = buisson, une couronne ou enseigne qui se trouve au-dessus au-dessus de l’entrée d’un Heuriger et qui signifie que la soif sera bientôt étanchée !
Beusch(e)l = poumon
Blunze/Blunzn = boudin noir
Brauner (kleiner/gross Brauner) = un grand ou petit café avec du lait, le café viennois par excellence !
Brösel = mie de pain, chapelure
Bucht(e)l = pâtisserie, beignets à la vapeur
Burenhäutel = Burenwurst, spécialité de saucisse, classique dans les stands de rue spécialisés
Doppler (« Doppelliter ») = 2 litres de vin
Eierschwammerl = chanterelle ou girolle
Eierspeise = œufs brouillés
Erdäpfel = pomme de terre (Kartoffeln en allemand)
Essigwurst = saucisse aigre, généralement saucisse supplémentaire dans une marinade au vinaigre/huile
Faschiertes = viande hachée

Heuriger « Zum Berger », photo droits réservés

Faschierte Laibchen = boulettes de viande
Fleckerln = pâtes autrichiennes
Fleischlaberl = fricadelle, boulette
Frankfurter = on entend par là à Vienne saucisses viennoises !
Frittaten = garniture de soupe, crêpes coupées en petites bandes étroites qui garnissent les bouillons
Geselchtes = viande fumée
Gespritzter ou G’spritzter = Schorle (50% d’eau pétillante, 50% de vin blanc ou rouge).
Signifie en argot une personne « singulière ». Si l’on utilise de l’eau minérale, on parle alors d’un « mélange ».
Sommerg’spritzter = G’spritzter avec plus de soda que de vin (2/1 ou 3/1)
Kaiserg’spritzer = G’spritzter avec un peu de sirop de sureau
Obi g’spritzt = jus de pomme avec une eau pétillante
Golatsche = pâtisserie autrichienne de forme carrée avec une pâte proche de la pâte feuilletée, fourrée de « topfen » (fromage blanc) ou de powidl (purée de pruneaux) ou de fruits divers.
Grammeln = lardons
Grieskoch = bouillie de semoule
Gug(e)lhupf = gâteau de forme et de goût assez proche du Kougelhopf alsacien
Haaße = saucisse chaude cuite dans l’eau
Häupt(e)lsalat = salade verte
Hendl = poulet
Heurige Erdäpfel = (pommes de terre) de la récolte de l’année
Heuriger = caveau de vigneron proposant du vin issu de la récolte de raisin de l’année (en autrichien « heuer ») et d’autres boissons alcoolisées ou non. Se rencontre un peu partout en Autriche ou l’on produit du vin.
Käsekrainer = saucisse viennoise au fromage
Kartoffelpuffer = galette de pommes de terre
Kipferln = croissants
Kletzen = poires séchées
Knacker, Knackwurst = saucisse autrichienne de grosse taile
Knödel = boulette de pain (Semmelknödel)
Kohl = chou frisé
Kohlsprossen = choux de Bruxelles
Kracherl = limonade
Kren = raifort
Ein Krügerl = 1/2 litre de bière
Leberkäse = fromage de viande
Liptauer = pâte à tartiner à base de fromage blanc et d’épices
Melange = « café viennois » (avec de la mousse lait chaud)
Most = jus de raisin non fermenté (moût de raisin) ou jus fermenté de pommes et de poires (cidre)
Nockerln = Spätzle
Ober = serveur (dans les cafés) ; à ne pas confondre avec
Obers = crème, crème fraîche ou Obi = jus de pomme
Palatschinke = crêpe épaisse au chocolat ou autres ingrédients sucrés
Paradeiser = tomate
Powidltaschkerl = petite poche, spécialité à base de pâte de pommes de terre, roulé dans de la chapelure et servi avec du sucre.
Purée = bouillie
Ribisel = groseille
Rindsuppe= bouillon de viande
Roten Rüben = betterave rouge
Rotkraut = chou rouge
Saft = jus ou saucez aussi sauce pour des plats salés
Sauerrahm = crème aigre
Schlag, Schlagobers = crème fouettée
Scherz(e)l = 1. entame ou dernier morceau d’une miche de pain 2. morceau déterminé de viande de bœuf
Schopfbraten = rôti d’échine de porc
Schöberl = biscuit salé pour garnir une soupe
Schwammerl = champignon
Seite(r)l = 1/3 de litre
Stamperl = verre à eau-de-vie, 2 cl
Staubzucker = sucre en poudre
Stelze = jarret de porc (à Vienne, généralement rôti croustillant)
Surfleisch = viande salée, alternative à l’escalope viennoise classique en tant que « Surschnitzel ».
Sturm = stade de fermentation du jus de raisin en vin. Le terme vient peut-être du fait que la consommation excessive de ce dernier peut entraîner des tempêtes intérieures…
Tafelspitz = viande de bœuf maigre cuite, spécialité viennoise, accompagnement classique : Apfelkren (pommes avec du raifort) ou Erdäpfelgröst’l (rôti de pommes de terre)
Topfen = fromage blanc dont on fourre par exemple les Strudel
Zwetschkenröster = compote de pruneaux

Bibliographie sélective (en langue allemande) :
LANDSTEINER, Erich : « Wien – eine Weinbaustadt? » In: Peter Csendes, Ferdinand Opll (Hg.): Wien. Geschichte einer Stadt. Bd. 2: « Die frühneuzeitliche Residenz (16. bis 18. Jahrhundert) », hrsgg. v. Karl Vocelka, Anita Traninger, Wien-Köln-Weimar: Böhlau 2003, S. 141-146.
BAUER Martin: Weinbau und Urbanisierung im Niederösterreich des Spätmittelalters und der frühen Neuzeit (ungedr. Dipl.Arb.), Wien 2002
PERGER, Richard, « Weinbau und Weinhandel in Wien im Mittelalter und in der frühen Neuzeit ». In: « Stadt und Wein ». In: Beiträge zur Geschichte der Städte Mitteleuropas (Hg. Ferdinand Opll) 14 (Linz 1996), S. 207 ff.
ARNOLD, Arnold: Wiener Weinwanderwege, Wien: Deuticke 1996
TSCHULK, Herbert: « Weinverfälschung in alter Zeit », in: Wiener Geschichtsblätter 40 (1985), S. 119 ff.
TSCHULK, Herbert: Wein und Weinhandel im Wiener Raum im Hoch- und Spätmittelalter (Prüfungsarbeit IföG, 1983)
Herbert Tschulk: « Weinbau im alten Wien ». In: Wiener Geschichtsblätter 37 (1982), Beiheft 7
Elisabeth Lichtenberger, Die Wiener Altstadt. Wien: Deuticke 1977
Hans Pemmer: Schriften zur Heimatkunde Wiens. Festgabe zum 80. Geburtstag. Hg. von Hubert Kaut. Wien [u.a.]: Jugend & Volk 1969 (Wiener Schriften, 29), S. 103 f. (Weinverfälschung)Paul Harrer-Lucienfeld: Wien, seine Häuser, Geschichte und Kultur. Band 2, 2. Teil. Wien, 1952 (Manuskript im WStLA), S. 307 f.
Leopold Schmidt: Wiener Volkskunde. 1940, S. 56 f. (Weinlese)
Statistisches Handbuch für den Bundesstaat Österreich 17 (1937), Wien: Österreichische Staatsdruckerei 1937
Albert Elmar: « Ottakring und der Wein ». In: Geschichte der Stadt Wien 4, S. 104 ff.
Geschichte der Stadt Wien. Hg. vom Altertumsverein zu Wien. Wien: Holzhausen 1897-1918, Bände 2/2 und 4

Heuriger Weinbau Maria Grötzer, Nußdorf, photo droits réservés

 quelques (bonnes) adresses de vignerons viennois :
www.zumberger.wien

bioweingutlenikus.at

www.wienwein.at

www.weinstrauch.at

www.wieninger.at

www.weinbauobermann.at

Vienne et le Danube

« Vienne, Capitale de toute l’Autriche, & célèbre par la résidence qu’y ont fait depuis longtems les Empereurs. Elle tire son nom du Wien ou Widn, ruisseau qui coule à l’Occident de ses murs. Selon mes propres Observations (car je ne rapporterai que celles que j’ai faites moi-même), elle est au 48. degré & 14 minutes de Latitude. »
Louis Ferdinand Marsigli (1658-1730), Comte de, Description du Danube, depuis la montagne de Kalenberg en Autriche, jusqu’au confluent de la rivière Jantra dans la Bulgarie, Contenant des Observations géographiques, astronomiques, hydrographiques, historiques et physiques ; par  Mr. Le Comte Louis Ferd. de Marsigli, Membre de la Société Royale de Londres, & des Académies de Paris & de Montpellier ; Traduite du latin., [6 tomes], A La Haye, Chez Jean Swart, 1744

« Vienne est située dans une plaine, au milieu de plusieurs collines pittoresques. Le Danube, qui la traverse et l’entoure, se partage en diverses branches qui forment des îles très agréables ; mais le fleuve perd lui-même de sa dignité dans tous ces détours ; et il ne produit pas l’impression que promet son antique renommée. Vienne est une ville assez petite, mais environnée de faubourg très spacieux ; on prétend que la ville, renfermée dans les fortifications, n’est pas plus grande qu’elle ne l’était quand Richard Cœur de Lion fut mit en prison non loin de ses portes. »
Baronne Germaine de Staël, De l’Allemagne, Londres, 1813, Charpentier, Paris, 1839, préfacé par Xavier Marmier

« Dans un cercle formé par les Alpes nordiques, au milieu d’une plaine charmante où les montagnes abaissent doucement leurs sommets sur les bords d’un fleuve majestueux qui se divise en plusieurs bras pour  mieux embellir la campagne, est située la ville célèbre dont nous avons fait connaître, dans le chapitre précédent, les différentes révolutions. Sa situation et ses édifices présentent en quelque sortes  l’image du pays et du gouvernement dont elle est la capitale. En voyant les lignes prolongées de ses fortifications, et l’espace qui la sépare de ses faubourgs, on on peut juger qu’elle est le siège d’une cour militaire. En visitant le palais de ses souverains, dont l’extrême simplicité ne diffère pas de l’habitation d’un particulier, on se figure que ce gouvernement doit être paternel  et économe. En admirant la multitude des beaux édifices, particulièrement des grands palais qui ornent ses places et ses remparts, on conçoit qu’une noblesse riche, magnifique et éclairée y fait son séjour. Enfin la propreté de ses rues, le bon goût de la plupart de ses édifices, les établissements particuliers  de tout genre qui en font partie, les promenades admirables qui les entourent, montrent que les bourgeois et le peuple de cette ville doivent jouir de l’aisance et du bien-être. Toutes ces conditions sont en effet remplies, et il n’est peut-être pas de lieu en Europe où l’on trouve plus l’aspect du bonheur, et où il existe plus réellement. Vienne diffère en cela des autres villes de l’Europe, qu’elle est uniquement habitée par une population de choix. Tout ce qui appartient aux métiers pénibles, aux fabriques répandant une mauvaise odeur, ou même aux travaux quelconques de main d’oeuvre grossière, est reléguée dans les faubourgs, qui sont une véritable dépendance et en quelque sorte les ateliers de la ville. Ainsi rien n’obstrue la circulation des rues où n’en dépare la propreté, et les édifices comme les habitants présentent partout l’aspect de la recherche et du goût. »
Comte Alexandre de Laborde, Voyage pittoresque en Autriche, Tome II, Paris, Imprimerie de P. Didot l’Ainé, 1821, p. 17 (Janska del, Piringer sculpt)

« Pour peindre Vienne d’un seul mot, je dirai : Vienne, c’est Paris ; et si les Viennois étaient des Marseillais, ils pourraient s’écrier à leur tour : Si Paris avait le Danube, ce serait un petit Vienne ! Vienne c’est donc Paris ; Paris petite ville, Paris où tout le monde se connait, où le nombre des homes dont on s’occupe et des femmes dont on parle est plus restreint, et par conséquent plus connu, plus observé, plus admiré ou plus ridiculisé. La vie de Vienne est disposée pour l’amusement et pour le plaisir. Depuis l’ouvrier jusqu’au millionnaire, c’est la même existence, à des prix différents et à qualité inégale…
Le [café] Sperl, dont on nous avait parlé comme d’un lieu de délices, est un horrible caboulot où l’on danse, où l’on soupe, où l’on chante, et que fréquente une société interlope, qui n’a son équivalent dans aucun pays civilisé.
Une odeur nauséabonde, composée de bière, de jambon, de roastbeef, de vieilles fleurs et de sueur humaine, en même temps qu’une vapeur épaisse, produite par la fumée de deux mille pipes, saisissent le malheureux visiteur à la gorge et l’aveuglent pour quelques minutes. S’il a le courage de persister, après s’être frayé un chemin à travers les bancs et les tables, il se trouve en face d’un orchestre excellent, comme tous les orchestres de Vienne, et qui joue pendant huit heures de suite les valses entraînantes de Johann Strauss et des Polkas de tous les compositeurs allemands, qui sont nombreux.
Sur cette musique, toujours au milieu des tables, de la fumée et des parfums, s’élancent des groupes d’infatigables danseurs de tous les pays, valaques, hongrois, slaves, turcs, monténégrins, car le peuple de Vienne se recrute parmi toutes les nations ; les femmes y sont laides de figure, mais bien faites, richement colorées, et habillées comme des comparses du théâtre Montparnasse. L’indienne et les bijoux d’or faux constituent le vêtement du Sperl. Quelques figures d’étrangers, égarés au milieu de cette cohue, contrastent, par leur ahurissement, avec la gaîté des habituels de ce bal, et les deux portraits de l’empereur et de l’impératrice, placés en évidence, suivent d’un regard mélancolique les ébats de leurs fidèles »
Albert Millaud (1844-1892), Voyage d’un fantaisiste, Vienne, le Danube, Constantinople, Paris, 1873

« La ville doit être savourée comme un souper exquis, lentement, avec contemplation, petit à petit ; en effet, il faut être devenu soi-même un peu viennois pour que toute la richesse de son contenu et les délices de son environnement deviennent notre propriété personnelle. »
Adalbert Stifter

« Lorsqu’en 1848 François-Joseph prend la couronne impériale, Vienne est encore une ville fermée, entourée par une double enceinte. Les plus anciennes fortifications, qui remontent au XIIIe siècle, s’accolent en fer à cheval au canal du Danube. Elles enserrent la vieille cité avec ses rues étroites, ses palais et ses églises, avec la Hofburg et la cathédrale saint-Étienne. C’est là que se trouve le centre de l’animation, le centre des affaires et de la vie mondaine. Une seconde enceinte qui date du début du siècle est sensiblement concentrique à la première, quoiqu’elle forme une légère pointe remontant la vallée de la Wien. Dans l’intervalle s’étend la ville moderne du XVIIIe et du XIXe siècle. Telle quelle, Vienne n’a encore qu’une superficie de 7 233 ha. En dehors de la seconde enceinte, c’est la campagne. Çà et là, quelques maisons s’étagent dans les vignes. Cependant de l’autre côté du Donaukanal s’étend une petite agglomération déjà compacte entre le Prater et le château impérial de l’Augarten : c’est la Leopoldstadt, la cité juive, d’où à peine arrivés des ghettos de l’Orient sortiront les maîtres du commerce autrichien. Ensuite, des prairies, des espaces couverts de roseaux. Les habitations ne se risquent pas plus avant vers le Danube. C’est que le Danube vagabonde encore en liberté ; il se partage, à la hauteur de Vienne, en une multitude de bras au cours indécis dont le tracé change à chaque inondation. Le fleuve a éloigné l’homme, et, de la même manière, il faut, sur l’autre rive, aller à une certaine distance dans le Marchfeld pour trouver les premiers villages d’Aspern et de Kagran. »

René Brouillet. « L’évolution d’une grande cité et les problèmes actuels de l’urbanisme. L’héritage du passé et l’oeuvre présente de la municipalité viennoise », in : Annales de Géographie, t. 43, n°246, 1934. pp. 610-626
Résistant, diplomate, ambassadeur en Autriche (1961-1963) puis au Vatican, René Brouillet (1909-1992) fut également membre du Conseil constitutionnel et premier directeur de cabinet du Général de Gaulle premier président de la Ve République.

« Mélange (prononcé mélannche), ce mot qui désigne le café viennois à la crème, c’était, en ce fin-de-siècle, le mot-clef de la ville entière ; galimafrée de races où déjà la germanique disparaissait sous la cohue slave, turque, juive, ruthène, croate, serbe, roumaine, galicienne ou dalmate. Et les Autrichiens, jusque-là souffre-douleur des plaisanteries bismarkiennes, commençaient à devenir les arlequins d’une sorte de Mardi Gras oriental, dont la capitale constituait le décor permanent.
Ce carnaval durait d’un bout de l’année à l’autre, à peine interrompu par une deuil de Cour, par une bronchite de l’Empereur, ou par l’écho, dans une des casemates voûtées où était tapie la plus vieille administration du monde, de quelque coup de feu mettant fin à la fin carrière d’un haut fonctionnaire surpris en flagrant délit d’espionnage au profit du tzar.
   Habitée par cent peuples, Vienne 1900 ne se divisait qu’en deux univers : les admis au Palais, les hoffähig, et les exclus. »
Paul Morand, « Vienne 1895 », Fin de siècle, L’imaginaire Gallimard, Paris, 1963

   « On lit sur un panneau de signalisation à l’entrée de Nußdorf, un quartier périphérique de Vienne au bord du Danube : « Dernière métropole danubienne, avant d’arriver à Budapest ». Seul un Viennois peut avoir écrit cette phrase. Le viennois est en effet méchant, il est fâché contre tout, bien évidemment la plupart du temps avec lui-même et la haine est par conséquence sa vertu préférée. Mais si il y a quelque chose que le Viennois déteste encore plus que lui-même et les autres habitants de sa ville défigurée par les cacas de pigeons c’est l’eau. Il n’y a rien que le Viennois abhorre plus que l’eau ! »
Andreas Dusl, « Wien am Inn », Ein etymologischer Essay, Das Wiener Donaubuch, Ein Führer durch Alltag und Geschichte am Strom, Édition S, Wien, 1987

   Le Danube avec ses inondations répétitives a fait payer jusqu’à un passé récent à la capitale autrichienne et à sa population des quartiers riverains un lourd tribut en vies humaines. D’autres grandes et petites villes des rives du Danube ont connu les mêmes catastrophes. C’est que le fleuve et ses humeurs capricieuses ont mis du temps à être maîtrisées.
C’est une des raisons, avec la volonté d’améliorer la navigation et par conséquence de faciliter le transport des marchandises et des passagers, pour laquelle son cours a été sévèrement détourné, rectifié, canalisé, éloigné d’une ville dont la périphérie s’étend aujourd’hui de part et d’autre d’un cours d’eau anthropisé et qui ne ressemble plus guère à celui d’il y a moins de deux siècles.

Un grand évènement de l’histoire du Danube viennois en forme de revanche contre le fleuve : l’inauguration du Danube canalisé en 1875

Il faut d’abord rappeler que le Danube est endigué sur la presque totalité de son parcours autrichien et ne retrouve provisoirement sa liberté qu’en aval de Vienne et ce jusqu’à Bratislava. La partie exclusivement autrichienne de ce tronçon naturel faillit pourtant, elle aussi disparaître dans les années soixante-dix du XXe siècle, avec le projet de construction d’une gigantesque centrale hydroélectrique à la hauteur de la petite cité médiévale de Hainburg (rive droite, PK 1884). Ce projet, soutenu à l’époque par l’ensemble de la classe politique et du monde économique fut heureusement abandonné après la mobilisation de scientifiques, de la population et des écologistes. Un fleuve « sauvage » et d’une indéniable beauté, irrigue encore entre les deux capitales distantes d’environ 60 km, le magnifique territoire du Parc Naturel des Prairies Alluviales Danubiennes, situé en grande partie sur sa rive gauche, depuis les faubourgs de Vienne et le port pétrolier de la Lobau jusqu’au confluent de la March (Morava) avec le Danube, confluent situé à la frontière austro-slovaque et aux pieds des ruines de la forteresse médiévale de Devín.

De nombreux bras morts et des anciens canaux inachevés irriguent le Parc National des Prairies Alluviales Danubiennes, photo © Danube-culture, droits réservés

On peut comprendre que la capitale impériale n’ait jamais fait vraiment confiance au grand fleuve. Elle s’en est prudemment éloignée ou plutôt ses responsables et ses urbanistes se sont obstinés à éloigner le coeur de la ville du fleuve par de gigantesques travaux d’aménagement, en particulier au début des années soixante-dix du XIXe siècle, époque où Vienne connut quelques-unes des inondations les plus catastrophiques de son histoire alors qu’elle préparait activement les festivités de l’exposition universelle de 1873.
Désormais, seul un Danube au cours principal canalisé, un fleuve rectiligne parcouru toute l’année par d’impressionnants bateaux de croisière et doté de ports de plaisance bétonnés d’une laideur absolue, un fleuve producteur d’énergie et apte au transport fluvial, traversé par des ponts, ferroviaires, routiers et autoroutiers, fleurtant avec les hautes tours du nouveau quartier de Kaisermühlen sur la rive gauche qui semblent vouloir symboliser la réconciliation de la ville avec un ersatz de fleuve, borde de nos jours la capitale autrichienne. L’île artificielle du Danube (Donauisel) et le Vieux Danube (Die Alte Donau), transformés en un vaste et agréable espace de détente, de loisirs où les Viennois se donnent rendez-vous tout au long de l’année pour se promener et se baigner, font évidemment pâle figure face aux somptueux paysages amont de la Strudengau et de la séduisante Wachau, cette dernière ayant été classée au patrimoine mondial de l’Unesco et accueillant de nombreux touristes.

Il manque un fleuve au coeur de la capitale autrichienne…
Vienne et ses habitants, comme la plupart des citadins, semblent pourtant apprécier pourtant la présence du fleuve et celle de la nature mais sous une forme domestiquée, apaisée, organisée, apprivoisée. Le visiteur qui découvre la ville pour la première fois ne peut être que surpris et dérouté lorsqu’il cherche le fleuve sur un plan du centre ville. C’est d’abord le Canal du Danube (Donaukanal) qu’il aperçoit, en fait un ancien bras aménagé en promenade, bordé de bâtiments historiques et contemporains, de pistes cyclables, de murs tagués, de cafés en tous genres, de petits jardins alternatifs, d’une gare fluviale, d’embarcadères dont un décoré par Friedrich Hundertwasser, d’un bateau piscine (une institution aujourd’hui fermée définitivement), d’un ancien observatoire astronomique mais aussi de routes et d’autoroutes, de sites industriels, du réseau du métro (U-Bahn) et à son extrémité aval d’une ribambelle colorée de petites cabanes de pêcheurs qui contrastent avec un paysage environnant où les urbanistes n’ont guère fait preuve de goût ni d’imagination. C’est dans ce canal du Danube que se jette en plein centre-ville, la Vienne (Die Wien), cette jolie petite rivière qui descendait autrefois joyeusement des collines boisées des environs de la capitale, de la « Forêt viennoise » (Wienerwald) et qui lui a généreusement légué son nom. (Combien la toponymie est redevable aux cours d’eau !). Entièrement canalisée, la Vienne conflue dans le Donaukanal à la hauteur de l’observatoire astronomique (Urania) construit en 1910 par un élève d’Otto Wagner, Max Fabiani (1865-1962), inauguré par l’incontournable empereur d’Autriche François-Joseph de Habsbourg. Il abrite désormais une excellente salle de cinéma ainsi qu’un café.

L’immeuble Urania domine le confluent de la Wien avec le Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

Bras principal du fleuve au Moyen-Âge, longtemps fréquenté et animé par des bateliers, des pêcheurs, des marchands et de nombreuses autres corporations puis devenu secondaire, dénommé « Petit Danube », ce canal a été aménagé en même temps que le cours principal pendant les années 1870-1874.

L’autre Danube est ailleurs !
Mais où se trouve le « vrai » Danube ? De nombreux indices de sa présence sont certes visibles pour le visiteur attentif mais le fleuve lui-même est parfaitement invisible au coeur de la ville. Il faut se rendre sur l’île du Danube, sur la rive gauche, au port de Freudenau et dans certains des quartiers périphériques industriels et encore populaires qui voisinent ainsi sur la rive droite avec lui pour le rencontrer. Même du Prater, ouvert au public par l’empereur Joseph II de Habsbourg en 1766 et qui fut depuis régulièrement et sous divers prétextes amputé d’une partie de son territoire initial, on ne l’aperçoit guère sauf si l’on choisit de faire un tour de la célèbre grande roue ou des manèges plus récents dont les nacelles illuminées montent et descendent à une vitesse vertigineuse au dessus des arbres du parc.

Le parc du  Prater (à gauche) et Vienne en 1830 ; un Danube au cours encore sinueux, une multitude d’îles, le quartier de Leopoldstadt sur la rive gauche du bras aménagé (Donaukanal) et le confluent de la Vienne avec le celui-ci. Carte réalisée par l’architecte, cartographe et officier autrichien Carl Vasquez- Pinas von Löwentahl (1798-1861) 

Le ou les Danube ?
En fait le Danube à Vienne se conjugue au pluriel :
Le Danube (Die Donau) lui même ou bras principal (navigation de croisière, transport fluvial, installations portuaires (Freudenau), promenades, pistes cyclables, lieux de loisirs…

Le Nouveau Danube (Die neue Donau) loisirs nautiques, baignades, plages, pistes cyclables, promenades…), séparé du Danube par l’île artificielle du Danube (Donauinsel) avec une réplique de phare, qui commence en amont de Vienne au PK 1938,10 et finit en aval au PK 1915,8 à la hauteur du Parc National de la Lobau et du port pétrolier.

La trilogie danubienne viennoise actuelle : le Danube et son tracé rectiligne, le Nouveau Danube, tout autant rectiligne, à droite du fleuve séparé de celui-ci par l’île du Danube longiligne (Donauinsel), le bras mort du Vieux Danube en forme d’arc-de-cercle avec ses deux îles propices aux baignades. Quant au canal du Danube, il serpente dans la ville (à gauche) et longe le Prater, photo Wikipedia, domaine public

Le bras mort du Vieux Danube (Die Alte Donau) offre de nombreuses possibilités de loisirs nautiques, baignades, pêche, plages, parc aquatique, promenades, bars et restaurants au bord de l’eau. Avec ses deux îles, Großer Gänselhäufel et Kleine Gänsehäufel, il est l’un des espaces préférés des Viennois pendant la belle saison !

Vue du « Petit Danube » avant sa transformation en canal et du pont Ferdinand, 1828, peinture de C. L. Hoffmeister, collection Musée de la Ville de Vienne

Un ersatz de fleuve sauvage…
Le grand fleuve impérial d’autrefois, découpé à l’image de l’Empire autrichien, réduit comme une peau de chagrin qui s’identifiait intimement à celui-ci, aménagé, rectifié, méconnaissable, ne serait-il plus qu’une succession de mythes, de souvenirs et d’images littéraires éloignées de la réalité, un arrière-plan de cinéma, un décor de théâtre et de festivals, une suite de valses désuètes, des îles et des plages artificielles, des bases de loisirs aquatiques, des quais tristes et bétonnés, des installations portuaires en périphérie, des succession d’entrepôts, d’usines hydroélectriques aux écluses gigantesques, des autoroutes, des ponts, un Parc National (rive gauche) en partie piégé par l’extension de la ville vers le nord-est, dans un environnement urbain où subsistent des souvenirs de nature sauvage ponctuées de monuments des guerres napoléoniennes, un court canal abandonné et des bras morts au bord desquels des enfants viennois en « classe verte » visitent des expositions sur la biodiversité et tentent de se réconcilier avec celle-ci, un réseau de pistes cyclables, de chemins ou d’allées très (trop) fréquentées, un espace naturiste (FKK) et un port avec des installations pétrolières gourmandes en eau menaçant les prairies alluviales voisines ? Le Danube ne servirait-il plus que de faire-valoir à un tourisme fluvial pour des visiteurs et des touristes pressés de tout croire avoir vu et de rejoindre  satisfaits on ne sait quel ailleurs ?
Que reste t-il du Danube d’autrefois à Vienne ? Rien ou si peu ! Ce qu’on admire ou déteste plus rarement désormais ce n’est plus qu’une pâle figure du magnifique fleuve sauvage d’autrefois au cours sinueux, aux somptueux méandres qui faisaient l’apologie de la courbe ! Il ne reste plus du fleuve que le nom, qu’un Danube urbain domestiqué, apprivoisé, tenu en laisse par la main prométhéenne et intéressée de l’homme. Allez voir la tristesse de la « Donau Marina » et vous ne pourrez qu’acquiescer à ces propos !
Amoureux du Danube, passez votre chemin, inutile de vous arrêter à Vienne !

Rive droite : un Danube fonctionnel, bétonné, aménagé et urbanisé à outrance, ici le port où accostent de nombreux bateaux de croisière, photo © Danube-culture, droits réservés

Le Danube viennois est le moins romantique des Danube autrichiens. Même à Linz où l’on aime par dessus-tout construire des ponts, celui-ci a meilleure allure, à l’exception des rives conquises par le port industriel et les industries métallurgiques de la rive droite qui font la richesse de la ville…
Le Danube viennois peut se contempler à la rigueur d’en haut des 484 m du Kalhenberg, des 425 m du Léopoldsberg ou des 542 m du Hermannskogel. Mais sur les quais monotones et bétonnés, le Danube n’est plus qu’un cours d’eau ordinaire. Oubliés les paysages harmonieux en amont de la capitale et le Danube des belles Strudengau, Nibelungengau ou de l’harmonieuse Wachau.

Les nouveaux quartiers de la rive gauche (Kaisermülhen) et au premier plan l’île du Danube avec sa réplique de phare. Malgré l’audace de certains buildings, bien peu de poésie, de convivialité et d’originalité dans les aménagements ! Photo © Danube-culture, droits réservés

Un bac pour changer de rive et d’atmosphère ?
On peut encore traverser le Danube avec un dernier bac accessible aux voitures à la périphérie amont de Vienne, de Klosterneuburg (rive droite) à Korneuburg ancienne cité de chantiers navals. La petite route qui y mène depuis la petite cité Klosterneuburg circule dans un environnement de résidences secondaires parfois croquignolesques, haut perchées sur des pilotis, inondations obligent !
Le bac à fil est évidemment aussi très apprécié des cyclistes et autres randonneurs qui sillonnent inlassablement les bords aménagés du fleuve en particulier le weekend.


Lectures viennoises…

 Cette liste n’est évidemment pas exhaustive tant les littératures viennoises et sur Vienne sont abondantes.

Vienne sous Napoléon…
« La ville de Vienne est située sur la rive droite du Danube, fleuve immense dont un faible bras passe dans cette cité, le grand bras se trouvant à plus d’une demi-lieue au-delà. Le Danube forme sur ce dernier point une grande quantité d’îles, réunies par une longue série de ponts… »
Mémoires du Général baron de Marbot (1772-1854), Plon, Paris, 1891

« Vienne (était) entourée d’un puissant mur, de construction régulière et moderne, de fossés profonds et d’un chemin couvert, mais sans ouvrage avancé. Il y a un glacis ouvert, et les faubourgs sont construits à la distance requise par les règlements militaires. Ces derniers sont très étendus, et, depuis l’invasion des Turcs (!), entourés de retranchements, couverts d’ouvrages en maçonnerie. L’ensemble constitue une espèce de camp retranché, fermé par de solides portes… »
Anne Jean Marie René Savary (1774-1833), Mémoires du duc de Rovigo pour servir à l’histoire de l’empereur Napoléon,  Bossange et Charles Béchet, 1829

Au Prater
« Le Prater, que je n’ai vu que lorsqu’il était dépouillé de sa verdure, n’avait pas perdu pour autant toute ses beautés ; les jours de neige surtout, il présente un coup d’oeil charmant, et la foule venait de nouveau envahir ses nombreux cafés, ses casinos et ses pavillons élégants, trahis tout d’abord par la nudité de leurs bocages. Les troupes de chevreuils parcourent en liberté ce parc où on les nourrit, et plusieurs bras du Danube coupent les îles, les bois et les prairies. À gauche commence le chemin de Vienne à Brünn. À un quart d’heure de lieue plus loin coule le Danube (car Vienne n’est pas plus sur le Danube que Strasbourg sur le Rhin). Tels sont les Champs-Élysées de cette capitale. »
Gérard de Nerval (1808-1855), Vienne, Récit, Éditions Magellan, Paris, 2010.
G. de Nerval séjourne à Vienne du 19 novembre 1839 au 1er mars 1840. Il a trente ans. Il arpente la ville, son centre, ses parcs dont le fameux parc du Prater, va au spectacle, fait des rencontres et s’aperçoit qu’on le surveille dans ses moindre allées et venues !

« Le Danube était un fleuve gris, plat et boueux qui traversait très loin de là le second Bezirk1, la zone russe où gisait le Prater écrasé, désolé, envahi d’herbes folles au-dessus duquel la Grande Roue tournait lentement parmi les fondations des manèges de chevaux de bois, semblables à des meules abandonnées, de la ferraille rouillée de tanks détruits que personne n’avait déblayés et d’herbes brûlées par le gel aux endroits où la couche de neige était mince. »
Note :
1 Bezirk, arrondissement de Vienne
Graham Greene, Le Troisième Homme, Éditions Robert Laffon, Paris, 1950

« Vivre et laisser vivre, telle est la sagesse de Vienne, tolérance libérale qui peut tourner à l’indifférence cynique, comme disait Alfred Polgar à « Mourir et laisser mourir. »Le cimetière Biedermeier de Sankt Marx est complètement à l’abandon. Sur les tombes dévorées de rouilles, les ornements de fer partent en morceaux et les inscriptions s’effacent, l’adjectif « éternels » accompagnant le mot « regrets » se dissout dans l’oubli. C’est une forêt d’anges sans tête, avec une végétation envahissante qui recouvre les sépulcres, des stèles prises dans la jungle : un ange au flambeau renversé et portant la main à la tête en signe de douleur indique la tombe où on avait enseveli Mozart : les chrysanthèmes qu’une main a déposé sur ce modeste cénotaphe sont tout frais… »

Mais où sont les bains de Diane d’antan ? 
« Cette énorme bâtisse longeant le canal du Danube, au n° 95 de l’obere Donaustrasse, est le siège d’I.B.M. Une plaque, à l’entrée principale, rappelle que c’est à cet endroit, dans les locaux des bains de Diane, qui aujourd’hui n’existent plus, que Johann Strauss (fils) a exécuté pour la première fois, le 15 février 1867, Le beau Danube bleu.

Les Bains de Diane au bord du bras du Danube transformé ultérieurement en canal, gravure de l’époque

Les bains de Diane étaient certainement plus attrayants que cette espèce de grosse boite, mais les calculatrices et les cerveaux électroniques installés à présent dans cet ancien temple de l’éphémère, dans lequel toute une civilisation demandait à la légèreté d’écarter la tragédie ne troublent pas le tournoiement de cette valse qui, comme l’a génialement vu Stanley Kubrik dans 2001 Odyssée de l’espace, exprime l’unisson du rythme et du souffle des mondes… »
Claudio Magris, « Odyssée de l’espace », in Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

Quelques lecture en français sur Vienne et le Danube

ALTENBERG, Peter, Nouvelles esquisses viennoises, Éditions Actes Sud, Arles, 1994

BORSI, Franco et GODOLI, Ezio, Vienne, architecture 1900, Éditions Flammarion, Paris, 1985

BURLEAUD, Pierre, Danube-Rhapsodie, Images, Mythes et représentation d’un fleuve européen, Grasset, 2001

CANETTI, Elias, Écrits autobiographiques, Éditions Albin Michel, Paris, 1998

GREENE, Graham, Le Troisième Homme, Éditions Robert Laffont, Paris, 1950

JANIK, A. et TOULMIN, S., Wittgenstein, Vienne et la modernité, Perspectives critiques, Éditions PUF, Paris, 1981

JELINEK, Elfrida, La Pianiste, Éditions J. Chambon, Paris, 1989

JESENSKA, Milena, Vivre, Éditions Lieu commun, Paris ?, 1985

KAFKA, Franz, Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, Paris, 1976
L’écrivain est mort dans un sanatorium à la périphérie de Vienne.

KRAUS, Karl, Dits et contredits, Éditions Champs libres, Paris, 1975

LADINIG, Gernot (Die AlteDonau, Mensche in Wasser, Perspektiven einer Wiener Landschaft, Verlag Bohmann, Vienne, ? (en allemand)

LANDER, X. Y., Vienne, Collection Points Plan Planète, Éditions du Seuil, Paris, 1989

LERNET-HOLENIA, Alexander, Le comte Luna, Christian Bourgeois éditeur, Paris, 1994

LEMAIRE, Gérard-Georges (textes choisis et présentés par), Le goût de Vienne, Éditions du Mercure de France, Paris, 2003

MAGRIS, Claudio, Le Mythe et l’empire dans la littérature autrichienne moderne, Éditions de L’Arpenteur, Paris, 1991

MAGRIS, Claudio, Danube, Éditions Gallimard, Paris, 1988

MUSIL, Robert, L’homme sans qualités, Éditions du Seuil, Paris, 1957

POLGAR, Alfred, Théorie des cafés, Tome 2, Éditions Eric Koehler/Éditions de l’IMEC, Paris, 1997

ROTH, Joseph, Conte de la 1002e nuit, Éditions Robert Lafont, Paris, 1956

ROTH, Joseph, La crypte des capucins, Éditions du Seuil, Paris, 1983

SCHORSKE, Carl E., Vienne fin de siècle, politique et culture, Éditions du Seuil, Paris, 1983

SEETHALER, Robert, Le tabac Tresniek, Folio Gallimard, 2016

VON DODERER, Heimito, Les Démons, L’Étrangère, Gallimard, Paris, 1965

WORTHLEY MONTAGU, Lady, Lettres d’ailleurs, Éditions José Corti, Paris, 1997

ZWEIG, Stefan, Pays, villes, paysages, écrits de voyage, Éditions Belfond, Paris, 1996

Eric Baude pour Danube-culture, mise à jour juin 2023, © droits réservés

Napoléon et l’île de la Lobau (campagne d’Autriche de 1809) II

   Entre le 10 mai et le 6 juillet 1809 à l’occasion de la deuxième campagne d’Autriche, eurent lieu à Aspern, Essling, Groß-Enzersdorf et dans les environs, sur l’île de la Lobau, au milieu des méandres danubiens et bien avant que les grands travaux de canalisation du Danube de la deuxième moitié du XIXe siècle ne bouleversent et ne fassent disparaître l’extraordinaire complexité de ce paysage fluvial, de nombreux affrontements entre les troupes napoléoniennes et autrichiennes. Le 22 mai se déroule la bataille dite d’Aspern-Eßling, considérée comme une victoire par les Autrichiens dont les troupes, bien supérieures en nombre, étaient alors commandées par le prince Charles de Habsbourg (1771-1847), fils de l’empereur Léopold II (1747-1792). Le maréchal Jean Lannes (1769-1809), gravement blessé à cette occasion, mourra quelques jours plus tard.

Albert-Paul Bourgeois (?-1812), le maréchal Jean Lannes blessé à la bataille d’Essling, huile sur toile, 1809-1812, collection du château de Versailles, domaine public

6 stèles (obélisques) napoléoniennes et une route Napoléon (Alte Napoleon Straße et Napoleon Straße) commémorent le passage de la Grande Armée dans la Lobau où elle s’est quelque peu fourvoyée.
   La première des stèle, « La tête de pont des Français » (Brückenkopf der Franzosen) se trouve désormais sur la Lobgrundstraße (rue Lobgrund) à l’entrée des installations et du port pétroliers de Vienne. Les premiers éléments des armées napoléoniennes (la division du général Molitor) débarquèrent sur l’île de la Lobau à cette hauteur après avoir traversé sur des embarcations le Danube en venant de Kaiserebersdorf (quartier de Vienne sur la rive droite). Ils s’appliquèrent à construire tout d’abord deux ponts puis un troisième sur lesquels ne purent toutefois traverser qu’une partie des troupes avant que les Autrichiens ne les détruisent en laissant dériver depuis l’amont du fleuve des brûlots, bateaux-moulins en feu et des barques chargées de pierre que leur avaient fourni des bateliers du Danube expérimentés.
   La deuxième stèle, toute proche (traverser la voie ferrée et se diriger vers le « Panozalacke » et le « Fasangarten Arm », un ancien bras du fleuve) indique l’emplacement du quartier général de Napoléon (Napoleon Hauptquartier) en mai 1809.

La stèle du quartier général de Napoléon, photo © Danube-culture, droits réservé

   La troisième stèle (Napoleonstraße) se tient au carrefour de la Napoleonstraße et de la Vorwerkstraße (la route Napoléon qu’il faut suivre vers le nord en revenant sur ses pas et en tournant à gauche). Au-delà du bras mort d' »Oberleitner Wasser », en direction d’Eßling, on peut apercevoir le bastion de Napoléon (Napoleonschanze).

La stèle de la route Napoléon, photo © Danube-culture, droits réservés

Puis on suivra la « Vorwerkstraße » dans la direction de Groß-Enzersdorf en passant devant ou en visitant le joli Musée de l’histoire de la Lobau (Lobaumuseum) pour atteindre deux autres stèles, celle du « Cimetière des Français » (Franzosenfriedhof) et celle du « Magasin à poudre » (Napoleons Pulvermagazin). La dernière stèle commémorative, dite du « passage des Français », située un peu plus loin dans la direction de l »Uferhaus Staudigl », une auberge populaire très fréquentée à la belle saison (Lobaustraße 85, 2301, Groß Enzersdorf) marque l’endroit où les armées napoléoniennes franchirent depuis l’île de la Lobau, dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809 et par un temps exécrable, un dernier bras du fleuve pour atteindre la région du Marchfeld et rejoindre Wagram.

Charles Meynier (1768-1832), « Le retour de Napoléon sur l’île de la Lobau après la bataille d’Essling, 23 mai 1809 », détail, huile sur toile, 1812, collection du château de Versailles

   Deux peintures historiques aux tonalités contrastées traitent de ces tragiques affrontements : celle du peintre français Charles Meynier (1768-1832) « Le retour de Napoléon sur l’île de la Lobau après la bataille d’Essling, 23 mai 1809 » et celle postérieure du peintre, graveur et écrivain autrichien Anton, Ritter von Perger (1809-1876), « La traversée de Napoléon depuis l’île de la Lobau après la bataille perdue d’Aspern. » huile sur toile, 1845.

Anton, Ritter von Perger (1809-1876), « La traversée de Napoléon depuis l’île de la Lobau après la bataille perdue d’Aspern » , huile sur toile, 1845

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Eric Baude, © Danube-culture, mai 2023, droits réservés

Napoléon et l’île de la Lobau (campagne d’Autriche de 1809) I

La Grande Armée traverse le Danube avant la bataille de Wagram ( juillet 1809)

« Le Danube n’existe plus pour l’ennemi. Le général Bertrand [1773-1844] a, par dessus le fleuve le plus difficile du monde, et sur une longueur de 2400 pieds1, jeté, en 14 jours, un pont. Un travail que l’on aurait crût nécessiter plusieurs années, et qui a pourtant été achevé en 15 à 20 jours… ». (24ème Bulletin)
Note :
1 Un pied équivaut à 30, 48 cm, en l’occurence le pont devait mesurer près de 800 mètres de long ! 

Oeuvres de Napoléon Bonaparte
Guerre d’Autriche
Cinquième tome

Ebersdorf, 23 mai 1809, une heure du matin.
Il est de la plus grande importance, Monsieur l’Intendant général, qu’aussitôt la réception de cette lettre vous nous fassiez charger sur des bateaux 100,000 rations (le pain ou de biscuit, si vous pouvez les fournir, et autant de rations d’eau-de-vie ; que vous leur fassiez descendre le Danube pour se rendre à la grande île, où est notre pont de bateaux , c’est-à-dire au deuxième bras à gauche. Une grande partie de l’armée se trouvera cette nuit dans cette île et y aura besoin de vivres. Envoyez un employé qui descendra avec les bateaux , et, arrivé à la tête du pont, il fera prévenir le duc de Rivoli, qui se trouvera dans la grande île vis-à-vis Ebersdorf, afin qu’il ordonne la distribution de ces vivres , dont il a le plus grand besoin.
Dans la situation des choses, rien n’est plus pressant que l’arrivée de ces vivres.
Le prince de Neuchâtel, major général [le maréchal Louis-Alexandre Berthier, prince de Neuchâtel (1753-1815)].

À Fouché. – Ebersdorf le 25 mai 1809
Je reçois votre lettre du 19. Vous avez vu par le bulletin ce qui s’est passé ici. La crue du Danube m’a privé de mes deux pont pendant plusieurs jours. Je suis parvenu enfin à les rétablir ce matin.

Las Cases [Emmanuel de las Cases, comte d’Empire (1766-1842] :
« Les premiers ordres sont donnés à l’instant même du désastre, et les préparatifs sont si rapides, que deux ou trois jours après la bataille, on voit déjà plusieurs sonnettes battre des pilotis au travers des deux grands bras du Danube (..) Le même jour, Napoléon détermine sur les lieux, et trace, de sa cravache sur le sable, le plan des ouvrages qui doivent former la tête des grands ponts et le réduit de Lobau ».

Tout ce qui flotte, ou y ressemble, est amené à hauteur de Kaiser-Ebersdorf. Pour relier l’île à la rive droite, un deuxième pont est construit, sur pilotis celui là, environ 40 m en amont de celui existant déjà. Il permet le passage de front de 3 voitures attelées, de l’artillerie et de la cavalerie.

Ludovico Visconti (1785-?), Napoléon ordonne de jeter un pont sur le Danube le 19 mai 1809.  La scène se passe sur la rive droite du Danube. Huile sur toile, ?, collection du château de Versailles, domaine public

Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.
Vienne, 3 juillet 1809.
   « Le duc d’Auerstaedt [Le maréchal,Louis Nicolas Davout (1770-1823), duc d’Auerstaedt et prince d’Eckmühl] a fait attaquer le 30, une des îles du Danube, peu éloignée de la rive droite, vis-à-vis Presbourg, où l’ennemi avait quelques troupes.
Le général Gudin [1768-1812] a dirigé cette opération avec habileté : elle a été exécutée par le colonel Decouz [1775-1814] et par le vingt-unième régiment d’infanterie de ligne, que commande cet officier. À deux heures du matin, ce régiment, partie à la nage, partie dans des nacelles, a passé le très petit bras du Danube, s’est emparé de l’île, a culbuté les quinze cents hommes qui s’y trouvaient, a fait deux cent cinquante prisonniers, parmi lesquels le colonel du régiment de Saint-Julien et plusieurs officiers, et a pris trois pièces de canon que l’ennemi avait débarquées pour la défense de l’île.

Général_César_Charles_Etienne_Gudin

Le général César Charles Étienne Gudin

Enfin, il n’existe plus de Danube pour l’armée française : le général comte Bertrand a fait exécuter des travaux qui excitent l’étonnement et inspirent l’admiration. Sur une largeur de quatre cents toises1, et sur un fleuve le plus rapide du monde, il a, en quinze jours, construit un pont formé de soixante arches, où trois voitures peuvent passer de front ; un second pont de pilotis a été construit, mais pour l’infanterie seulement, et de la largeur de huit pieds. Après ces deux ponts, vient un pont de bateaux. Nous pouvons donc passer le Danube en trois colonnes. Ces trois ponts sont assurés contre toute insulte, même contre l’effet des brûlots et machines incendiaires, par des estacades sur pilotis, construites entre les îles, dans différentes directions, et dont les plus éloignées sont à deux cent cinquante toises des ponts.

Quand on voit ces immenses travaux, on croit qu’on a employé plusieurs années a les exécuter ; ils sont cependant l’ouvrage de quinze  à vingt jours : ces beaux travaux sont défendus par des têtes de pont ayant chacune seize cents toises de développement, formées de redoutes palissadées, fraisées et entourées de fossés pleins d’eau. L’île de Lobau est une place forte : il y a des manutentions de vivres, cent pièces de gros calibre et vingt mortiers ou obusiers de siège en batterie. Vis-à-vis Esling, sur le dernier bras du Danube, est un pont que le duc de Rivoli a fait jeter hier. Il est couvert par une tête de pont qui avait été construite lors du premier passage.
Le général Legrand [1762-1815], avec sa division, occupe les bois en avant de la tête du pont.
L’armée ennemie est en bataille, couverte par des redoutes, la gauche  à Enzendorf, la droite à Gros-Aspern : quelques légères fusillades d’avant-postes ont eu lieu.
À présent que le passage du Danube est assuré, que nos ponts sont à l’abri de toute tentative, le sort de la monarchie autrichienne sera décidé dans une seule affaire.
Les eaux du Danube étaient le premier juillet de quatre pieds au-dessus des plus basses et de treize pieds au-dessous des plus hautes.
La rapidité de ce fleuve dans cette partie est, lors des grandes eaux, de sept à douze pieds, et lors de la hauteur moyenne, de quatre pieds six pouces par seconde, et plus forte que sur aucun autre point. En Hongrie, elle diminue beaucoup, et à l’endroit où Trajan fit jeter un pont, elle est presque insensible. Le Danube est là d’une largeur de quatre cent cinquante toises ; ici il n’est que de quatre cents. Le pont de Trajan était un pont de pierres fait en plusieurs années. Le pont de César, sur le Rhin, fut jeté, il est vrai, en huit jours, mais aucune voiture chargée n’y pouvait passer. Les ouvrages sur le Danube sont les plus beaux ouvrages de campagne qui aient jamais été construits… »
Note :
1 Une toise mesure 1, 949 mètre, quatre cent toises équivalent à  779, 6 mètres soit sensiblement la même longueur que précédemment

Napoléon sur l’île de la Lobau

Vingt-cinquième bulletin de la grande-armée.
Wolkersdorf, 8 juillet 1809

Passage du bras du Danube à l’île de la Lobau
« Le 4, à dix heures du soir, le général Oudinot [1767-1847] fit embarquer, sur le grand bras du Danube, quinze cents voltigeurs, commandés par le général Conroux [1770-1813]. Le colonel Baste [1768-1814], avec dix chaloupes canonnières, les convoya et les débarqua au-delà du petit bras de l’île Lobau dans le Danube. Les batteries de l’ennemi furent bientôt écrasées, et il fut chassé des bois jusqu’au village de Muhllenten.
À onze heures du soir les batteries dirigées contre Enzersdorf reçurent l’ordre de commencer leur feu. Les obus brûlèrent cette infortunée petite ville, et en moins d’une demi-heure les batteries ennemies furent éteintes.
Le chef de bataillon Dessales [1776-1864], directeur des équipages des ponts, et un ingénieur de marine avaient préparé, dans le bras de l’île Alexandre, un pont de quatre-vingts toises d’une seule pièce et cinq gros bacs.
Le colonel Sainte-Croix [1782-1810], aide-de-camp du duc de Rivoli [le maréchal Masséna, duc de Rivoli, prince d’Essling (1758-1817] se jeta dans des barques avec deux mille cinq cents hommes et débarqua sur la rive gauche.
Le pont d’une seule pièce, le premier de cette espèce qui, jusqu’à ce jour, ait été construit, fut placé en moins de cinq minutes, et l’infanterie y passa au pas accéléré.
Le capitaine Buzelle jeta un pont de bateaux en une heure et demie.
Le capitaine Payerimoffe jeta un pont de radeaux en deux heures. Ainsi, à deux heures après minuit, l’armée avait quatre ponts, et avait débouché, la gauche à quinze cents toises au dessous d’Enzersdorf, protégée par les batteries , et la droite sur Vittau. Le corps du duc de Rivoli forma la gauche ; celui du comte Oudinot le centre, et celui du duc d’Auerstaedt la droite. Les corps du prince de Ponte-Corvo [le maréchal Jean-Baptiste Bernadotte (1763-1844)], du vice-roi [Eugène de Beauharnais, fils adoptif de Napoléon et vice-roi d’Italie (1781-1824)], et du duc de Raguse [le maréchal Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont (1774-1852], la garde et les cuirassiers formaient la seconde ligne et les réserves. Une profonde obscurité, un violent orage et une pluie qui tombait par torrents, rendait cette nuit aussi affreuse qu’elle était propice à l’armée française et qu’elle devait lui être glorieuse… »

Richard Caton Woodville (1856-1927), Napoléon franchissant le pont pour l’île de la Lobau, 1912, collection Tate Gallery, domaine public

« Le Danube n’existe plus pour l’ennemi. Le général Bertrand a, par dessus le fleuve le plus difficile du monde, et sur une longueur de 2400 pieds, jeté, en 14 jours, un pont. Un travail que l’on aurait crût nécessiter plusieurs années, et qui a pourtant été achevé en 15 à 20 jours… » . (24ème Bulletin)

Après la retraite de mai, Napoléon a laissé dans la Lobau les 20 000 hommes du corps d’armée de Masséna, et installé le reste de son armée autour de Schönbrunn et de Vienne. Puis il fait entreprendre de très importants travaux pour rendre plus fiables ses moyens de passage du fleuve, à l’origine de sa déconfiture lors de la précédente bataille.
Au comte Daru, Intendant général de l’armée d’Allemagne à Vienne. [Pierre Daru (1767-1829) fut également brièvement en 1809, administrateur des provinces autrichiennes]

Les ponts en juillet 1809

Plan de la lobau en 1809 (auteur inconnu) pendant la présence des armées napoléoniennes avec les ouvrages sur les bras du Danube à la hauteur de Kaiserebersdorf (rive droite). On voit sur ce plan combien le cours du Danube viennois a été modifié depuis ! Collection Wien Museum

« Le premier pont, qui sera réservé à l’infanterie, est protégé par plusieurs rangées de pilotis, la tête de pont par des redoutes, et par des batteries installées à hauteur de Kaisers Ebersdorf et de la petite île (Schneidergund) sur laquelle les deux ponts s’appuient, au milieu du fleuve. Un moment on pense même tendre, d’une rive à l’autre, une énorme chaîne trouvée à l’arsenal, et qui datait du temps du siège turc, en 1683 ! En amont, d’autres ponts, plus petits, doivent aussi permettre de se protéger de ce que l’ennemi pourrait mettre à l’eau, comme il l’a fait si habilement en juin.
Puis il fait transformer l’île en un véritable camp retranché, y faisant installer tout ce qu’une armée a besoin à la veille d’une grande opération: un hôpital, une boulangerie, un chantier naval (Napoléon a fait venir des marins de la flotte. Ils sont également employés à la surveillance de l’île, dans des chaloupes, équipées de canons, qui sillonnent les canaux), des ateliers, réserves de nourriture, magasin à poudre, alimenté par les arsenaux de Vienne.
Des milliers d’ouvriers s’affairent. Mais aussi les soldats, qui n’apprécient guère ces travaux, en dépit du supplément de paye qui leur est versé. Entre les latrines et les travaux, beaucoup rêvent à leur vraie vie de soldat… »
Jean Lucas-Dubreton, historien et biographe (1883-1972)

Girault :
« J’allais faire une tournée dans l’île. J’y trouvais bien du changement. On travaillait à élever des batteries de tous cotés, et on construisait de nouveaux ponts sur pilotis (..) Toute l’île était devenue une véritable place forte »

Coignet [1776-1865 ] :
« Cent mille hommes (étaient) à l’œuvre dans l’île. On éleva des redoutes, on creusa des canaux, on traça des chemins, on prépara des ponts et des moyens de passage de toutes sortes ».

La situation des troupes avait été difficile juste après la retraite, comme en témoignent de nombreux protagonistes.

Journal de route d’un régiment hessois :
« Les troupes, épuisées par les deux jours de bataille (Essling), affaiblies par la faim et la soif, ne trouvèrent rien dans l’île de la Lobau, si ce n’est boire l’eau sale de la rivière et une place dans la boue pour bivouaquer. Le manque de vivres devint rapidement évident. La viande de cheval et des orties aromatisées de poudre de canon devenaient un plat délicat. Ce n’est que lorsque les ponts furent rétablis, le 25, que les vivres arrivèrent. »

Coignet :
« Nous fûmes ainsi bloqués dans l’île et nous restâmes trois jours sans pain, obligés, pour vivre, de manger tous les chevaux qui étaient avec nous. Pendant ce temps, M. Larrey faisait des amputations à deux pas de nous. Les cris de souffrance et d’agonie se mêlaient à nos cris de détresse. »

Pils :
« Les communications pour aller d’une rive à l’autre étaient si difficiles, que les hommes n’avaient rien à manger et que les chevaux n’avaient d’autre fourrage que les feuilles des broussailles de saules, seul produit de l’île. On se trouva dans la nécessité absolue de tuer des chevaux pour la subsistance des troupes et, comme les soldats excédés de fatigue par une bataille de dix-huit heures avaient abandonné bidons et marmites, on fut réduit à faire cuire la viande dans des cuirasses et dans des casques.
Nous n’étions pas mieux partagés pour la boisson, n’ayant d’autre eau que celle du fleuve qui charriait les cadavres des hommes et des chevaux tués pendant les deux dernières journées de combats. »

Larrey :
« Malgré la promptitude et l’efficacité de tous les moyens que nous avions employés, les blessés étaient dans une situation pénible, tous étendus sur la terre, rassemblés par groupes sur les rivages du fleuve, ou dispersés dans l’intérieur de l’île, dont le sol était alors sec et aride. Les chaleurs du jour étaient alors très fortes, et les nuits humides et glaciales. Les vents, qui sont fréquents sans ces contrées, couvraient à tout instant ces blessés de nuages de poussière: quelques branches d’arbres, ou des feuilles de roseau, ne les garantissaient qu’imparfaitement des rayons du soleil.
La rupture des ponts et la pénurie des barques pour le transport des denrées ajoutèrent à ces vicissitudes, et nous mirent dans une privation extrême de bons aliments et de boissons réconfortantes, dont nos malades avaient un pressant besoin. Je fus forcer de leur faire préparer du bouillon avec de la viande de cheval, qu’on assaisonna, à défaut de sel, avec de la poudre à canon. Le bouillon n’en fut pas moins bon ; et ceux qui avaient pu conserver du biscuit firent d’excellentes soupes (qu’on ne se figure pas que ce bouillon avait conservé la couleur noire de la poudre: la cuisson l’avait clarifiée). »

Boulart :
« L’armée resta dans l’île pendant quelques jours, à peu près dépourvue de vivres, car il ne pouvait en être apporté que par quelques barques. À défaut de viande, les soldats firent la guerre aux chevaux; dès la première nuit, il y en eut un bon nombre de saignés et dépecés: les chevaux d’officiers y passaient comme les autres ; chacun fut obligé de faire bonne veille pour échapper à ce coûteux tribut. »

La situation va donc s’améliorer lorsque les ponts vont être rétablis.

Larrey :
« Le troisième jour, nous eûmes heureusement toutes sortes de provisions, et nous pûmes faire des distributions régulières. Le quatrième jour, les ponts étant rétablis, les blessés furent tous transportés aux hôpitaux (..) Je fis transporter ceux qui appartenaient à la garde dans la superbe caserne de Reneveck (Rennweg), consacrée autrefois à l’usage de l’école impériale d’artillerie. »

La situation sanitaire n’est par pour autant satisfaisante, et la dysenterie s’installe, se répand, décimant les rangs.

Pour éviter que les Autrichiens puissent être tenus au courant de ce qui se prépare, les allées et venues dans l’île sont strictement surveillées.

Marmont :
« Davoust avait la police de l’île de la Lobau ; son caractère se montra, dans cette circonstance, avec toute sa sévérité sauvage. Il avait défendu aux habitants du pays, sous peine d’être pendus, de pénétrer dans nos camps, et souvent cet ordre a été exécuté à la rigueur » (selon Marbot un espion sera même intercepté et fusillé). »

L’île est traversée par une route qui mène des ponts de la rive droite à la tête de pont vers Essling

Las Cases :
« Le soin fût poussé à un tel point, qu’on éclaira (les ponts) par des lanternes de dix en dix toises, continués tout au travers de l’île de Lobau, le long des chaussées qu’on y avait pratiquées sur une largeur de quarante pieds. Au moyen de ces lanternes, le chemin demeurait aussi praticable de nuit que de jour. »

Des ponts sont jetés sur les nombreux bras qui sillonnent l’île, pour l’instant asséchés, mais pouvant se remplir rapidement, en cas de crue.

Du Kothau jusqu’à hauteur d’Aspern, la rive droite du petit bras est aussi équipée de redoutes et de fortes batteries. Ce bras, qui a la direction nord-sud, et est long d’environ quatre kilomètres, possède également de petites îles, qui sont autant de points de défense.

La première est l’île Alexandre (la Lobau elle-même est appelée île Napoléon.) On l’équipe de redoutes, de 4 mortiers, 10 canons de 12 et 16 de 16. Il s’agit de protéger la tête de pont, et de se garder de l’ennemi, en face d’Oberhausen et Wittau.

Un peu plus en aval, face à Groß-Enzersdorf, une autre île, beaucoup plus petite, l’île Montebello (ou encore île Lannes). Les batteries qui l’arment (10 mortiers, 20 canons de 18) sont dirigés sur ce village.

Continuons en amont du bras du Danube. L’île des Moulins, pareillement équipée, a pour mission de couvrir l’espace qui va de Groß-Enzersdorf à Essling.

Enfin, la dernière île, l’île d’Espagne, a ses 4 mortiers et 6 pièces de 12 directement dirigées sur Essling (toutes les pièces de gros calibre proviennent de l’arsenal de Vienne, dont les ouvriers ont également construit les affûts).

Bien entendu, ces îles sont reliées par des ponts à la Lobau. Il y en aura quatre, plus un ingénieux pont articulé, destiné à être mis en place grâce au courant de la rivière, tous construits à l’abri des regards de l’ennemi, en profitant du réseau de canaux de la Lobau. Toutes les réserves sont prêtes également pour parer à toute rupture de l’un ou l’autre de ces ponts, voire en construire d’autres, si nécessaire.

Pendant ce temps, Napoléon a fait construire des bacs, pouvant transporter 300 hommes, munis « pour mettre les hommes à l’abri de la mousqueterie, d’un mantelet mobile qui en s’abattant servait à descendre à terre ». Chacun des corps d’armée, qui doivent passer en des endroits différents, en est pourvu de 5, leur avant garde se composant donc, au moment du débarquement, de 1500 hommes.

Le 30 juin, toutes les fortifications sont prêtes, toutes les batteries sont en état de tirer. Napoléon a personnellement surveillé tous les travaux :

Marbot (1782-1859) :
« Chaque matin, il voulait avoir des nouvelles de Masséna, et Sainte-Croix [Charles d’Escorches de Sainte-Croix, fils du marquis de Sainte-Croix, autrefois ambassadeur de Louis XVI au près de la Porte ; il sera tué par un boulet à Lisbonne] avait pour ordre de rendre compte chaque jour, dès le lever du jour, dans sa chambre. Sainte-Croix passait sa nuit à inspecter l’île, inspectant nos postes et ceux de l’ennemi, puis il galopait jusqu’à Schönbrunn, où les aides de camp avaient l’ordre de l’amener sans tarder jusqu’à l’Empereur. Pendant que celui-ci s’habillait, Sainte-Croix faisait son rapport…Puis ils parcouraient à cheval l’île, pour inspecter les travaux de la journée, ou observant l’ennemi du haut d’une ingénieuse double échelle que Sainte-Croix avait fait installée en guise d’observatoire… Le soir, Sainte-Croix escortait l’Empereur jusqu’à Schönbrunn…. Cela dura 44 jours, par les chaleurs les plus extrêmes… »

Au cours d’une de ces inspections Masséna fait une chute de cheval, où il se blesse sérieusement, ce qui l’amènera à conduire ses troupes, les 5 et 6 juillet, dans une calèche, le chirurgien Brisset changeant les pansements régulièrement, sous la mitraille !

La même mésaventure arrive à Rapp [le général Jean Rapp (1771-1821)] :

« La bataille de Wagram eut lieu: je n’y assistai pas. Trois jours auparavant j’accompagnai Napoléon dans l’île Lobau: j’étais dans une de ses voitures avec le général Lauriston [le général Jacques Alexandre Bernard Law de Lauriston (1768-1828] ; nous versâmes : j’eus une épaule démise et trois côtes fracassées. »

Girault :
« Toute l’île était devenue une véritable place forte, défendue par plus de cent pièces de grosse artillerie. Tous les travaux s’exécutaient avec une activité extraordinaire, sous les yeux de l’Empereur, qui tous les jours venait s’assurer par lui-même de l’exécution de ses ordres, et surveiller les travaux des Autrichiens, qui eux aussi élevaient sur la rive gauche des retranchements formidables. On avait établi au milieu des arbres une grande échelle du haut de laquelle on pouvait découvrir toute la plaine. L’Empereur y montait souvent pour étudier les travaux de défense des Autrichiens. »

Coignet :
« L’Empereur arrivait tous les jours de Schönbrunn visiter les travaux, puis il montait dans son sapin pour examiner l’ennemi… »

Las Cases :
« Napoléon faisait souvent lui-même la tournée des postes de l’ennemi, et en approcha, dans l’île du Moulin, jusqu’à 25 toises. Un officier autrichien le reconnaissant un jour sur les bords d’un canal large de cinquante toises, lui cria : »Retirez-vous, Sire, ce n’est pas là votre place ».

Le 1er juillet au soir, celles installées dans la Mülhau, déclenchent un violent tir, qui a pour but de disperser les avant-postes autrichiens, et de couvrir le passage de troupes françaises en quatre endroits. A minuit, ces dernières sont installées, le calme retombe sur la Mühlau.

Marbot :
« Pour continuer de faire croire à l’archiduc Charles qu’il avait bien l’intention de passer le fleuve une nouvelle fois entre Aspern et Essling, Napoléon, après la nuit du 1er juillet, avait fait reconstruire le pont par lequel nous avions retraité, et fait passer deux divisions, dont les tirailleurs devaient détourner l’attention de l’ennemi de nos intentions sur Enzersdorf. Il est difficile de comprendre pourquoi l’Archiduc ait pu croire un instant que Napoléon pouvait attaquer sur ce point, face aux imposantes défenses qu’il avait élevé entre Aspern et Essling ; c’eut été prendre le taureau par les cornes. »

Et pourtant la feinte réussi: l’archiduc Charles met son armée en alarme, et la fait avancer à mi-chemin entre le Rußbach et le Danube. Réalisant son erreur, et la force de l’artillerie de la Lobau, il lui fait bientôt rebrousser chemin.

Le lendemain 2 juillet, 500 Français passent, à partir de l’île du Prater, dans le Schierlingsgrund. Le Biberhaufen est déjà occupé. À 8 h du matin, 9 batteries françaises ouvrent le feu sur Groß-Enzersdorf, pilonnant, autour du village et dans le village même, les emplacements occupés par les autrichiens, qui perdent plus de 300 hommes. Les Français en profitent pour occuper et fortifier la Mühleninsel, étant hors de portée des autrichiens.

Napoléon avait transféré son quartier général dans la Lobau.

Boulart :
« Le 3 juillet, départ général de la Garde pour l’île de Lobau, où l’Empereur s’établit. Trois ponts sur le Danube, l’un pour l’infanterie, le second pour la cavalerie, le troisième pour l’artillerie et les équipages rendent le passage du fleuve facile et prompt. »

Savary :
« Dans la journée du 2 juillet, L’Empereur transféra son quartier-général de Schönbrunn à Ebersdorf, et m’ordonna d’enlever tous les bagages du grand quartier, et de n’accepter qu’aucun français ne resta dans Schönbrunn ».

Girault :
« Le 1er juillet, Napoléon vint s’installer dans l’île avec tout le quartier général. Il fallut déguerpir. »

Il ne lui reste plus qu’à donner les ordres pour le passage sur la rive gauche et l’entrée dans la plaine du Marchfeld. Les troupes doivent commencer de se réunir dans l’île le 3 juillet, y être toutes concentrées le 4, avant de passer dans le Marchfeld.

Savary :
« Dès l’après-midi du 2, les troupes avaient commencées d’arriver de toutes les directions, un mouvement qui devait continuer toute la nuit, puis le 3, et encore le 4…150 000 fantassins, 750 pièces de canons, 300 escadrons de cavalerie formaient l’armée de l’Empereur. Les différents corps étaient rangés dans l’île en fonction de l’ordre dans lequel ils passeraient les ponts, de manière à éviter la confusion qui arrive en pareille occasion….. L’île de Lobau était devenue une seconde vallée de Jehosaphat : des hommes qui avaient été séparés l’un de l’autre durant six ans, se retrouvaient sur les bords du Danube. Les troupes du général Marmont, qui arrivait de Dalmatie, étaient composées d’éléments que nous n’avions pas vus depuis le camp de Boulogne. »

Bertrand :
« Le 4 juillet, traversée de Vienne, l’Empereur nous passe en revue sur le bord du Danube, rive droite. Immédiatement après, nous gagnons l’île de Lobau, où ma division est placée en première ligne sur la rive gauche d’un autre bras du Danube. »

Girault :
« Tous les jours de nouvelles troupes arrivaient dans l’île. Il y en avait de toutes les couleurs, des Bavarois, des Wurtembergeois, des Hessois, des Saxons… »

Macdonald :
« Nous ne fûmes pas les derniers à arriver, et nous étions au point de passage choisi pour surprendre l’ennemi. Nous avions parcouru soixante lieues en trois jours, et malgré la fatigue excessive et les chaleurs de cette saison, nous eûmes peu de traînards, tant les soldats de l’armée d’Italie avaient d’ardeur pour prendre part aux grands événements qui allaient se passer et combattre en présence de leurs frères d’armes de la Grande Armée, sous les yeux de l’Empereur. »

Marmont :
« Vous devez, monsieur le général Marmont, être le 5 au matin dans l’île Napoléon. » (Major Général Berthier).

« La leçon que Napoléon avait reçue lui avait profité. Des moyens de passage assurés, à l’abri de toute entreprise et de tout accident avaient été préparés. Le général Bertrand, commandant le génie de l’armée, avait conduit tous ces travaux avec habileté. Le véritable Danube était passé, et cette vaste île de Lobau rassemblait la plus grande population militaire que l’on eut jamais vue réunie sur un même point. »

Voltigeurs_of_a_French_Line_regiment_crossing_the_Danube_before_the_battle_of_Wagram

Voltigeurs de la grande armée traversant le Danube sur une embarcation avant la bataille de Wagram

Tascher :
« Le 3, toute l’armée de Hongrie vient de passer au pont d’Ebersdorf. Nos forces se concentrent, les grands coups vont se porter. Le 4, à 11 heures du matin…nous nous dirigeons sur Ebersdorf ; nous nous mettons en bataille dans la plaine en avant de Schwechat et nous y sommes accueillis comme l’autre fois par un orage affreux; je crois que la nuit sera rude.

L’armée entière se rassemble : l’armée d’Italie, celle de Dalmatie, les Saxons, les Bavarois, en un mot, tout ce qui combat pour Napoléon…À 9 heures du soir, notre tour arrive..Nous voilà donc dans cette fameuse île de Lobau, retraite de l’armée française après la funeste bataille d’Essling… C’est demain qu’il faudra vaincre ou mourir ! Quatre-cent mille hommes, qui ne se haïssent point, qui peut-être s’aimeraient s’ils se connaissaient, sont resserrés dans l’espace étroit de trois lieues carrées et n’attendent que le signal pour s’entr’égorger. Combien est intéressante la scène qui va s’ouvrir ! Nous sommes couchés dans la boue et plongés dans une profonde obscurité ; la pluie tombe par torrents. »

Ces Bavarois du général Wrede, dont parle Tascher, arrivent au dernier moment, n’ayant reçu que le 30 juin l’ordre de se rendre à Vienne.

Ils quittent Linz le 1er Juillet, à deux heures et demi du matin, et vont marcher 13 heures par jour, à la moyenne de 40 kilomètres ! Ils sont à Saint-Pölten le 3 Juillet. Là, ils reçoivent un nouveau message de Berthier :

« Mon Cher Général, si vous souhaitez participer à l’affaire qui se présente devant nous, vous devez arriver dans l’île de la Lobau, près d’Ebersdorf, avant 5h du matin, le 5 juillet. »

Wrede remet ses troupes sur pieds, et les amène le 4 à Purkersdorf. Ce n’est pourtant pas fini ; elles doivent encore faire 10 kilomètres pour aller bivouaquer à Schönbrunn. Au total, les Bavarois auront parcouru près de 225 kilomètres en un peu plus de quatre jours !

Czernin :
« Quand les canons de Wagram se firent entendre, nous vîmes arriver les Bavarois de Wrede. Ils avaient dû venir de Linz à marches forcées et, couverts de poussière et de boue, étaient si épuisés, qu’ils s’effondraient aux coins des rues. Leur aspect misérable éveillait la pitié. Mais eux aussi durent aller à cet abattoir, qu’on nomme le champ d’honneur. »

Un autre témoin raconte :

« Les Bavarois étaient si épuisés qu’ils s’effondraient au coin des rues et leur aspect inspirait la pitié. »

Le capitaine Berchen est tellement épuisé que, par deux fois, il s’endort et tombe de son cheval !

Et pourtant Wrede prendra part à la deuxième journée de Wagram. La marche de ses soldats est considérée par certains comme l’une des plus rapides de l’histoire militaire de ce temps.

Les Saxons de Bernadotte, eux, ont leur bivouac non loin des tentes de Napoléon. Celui-ci leur rend visite et s’adresse à eux, le général von Gutschmidt servant d’interprète :

« Demain, nous livrerons bataille – Je compte sur vous ! Dans quatre semaines vous regagnerez votre patrie. Le colonel Thielman a chassé les ennemis hors de la Saxe. »

Les cris de « Vive l’Empereur » l’accompagnent quand il s’éloigne.

Finalement, le passage a lieu dans la nuit du 4 au 5 juillet.

Sources : 
www.napoléon-histoire.com

Le parc du Prater de Vienne

Le parc du Prater de Vienne : entre nature et divertissement

   « Le Prater communique à l’Augarten par deux allées : c’est une forêt magnifique, d’une demi-lieue de long sur un quart de lieue de large, dont les arbres respectés par la cognée, depuis plusieurs siècles, présentent un abri majestueux et sombre où l’on respire toujours le frais. Comme ces arbres sont très- élevés, la terre qu’ils ombragent est couverte d’un tapis de verdure que le soleil ne jaunit jamais. Cette pelouse immense est parsemée de jolis pavillons, de maisonnettes, de cabanes d’une construction très variée. Ce sont des kiosques chinois turcs, indiens, de petites fabriques hollandaises, des chalets suisses, des huttes de sauvages, des masures gothiques. Chacune de ces habitations a une destination particulière : ce sont des cafés, des billards, des restaurateurs, des jeux de bagues, des salles de danse, des joueurs de gobelets, des cirques pour les exercices de chevaux ; les danseurs de corde, les feux d’artifices, tous les plaisirs enfin que réunissent à Paris les boulevards, les Champs-Élysées, le bois de Boulogne et les foires : mais Paris ne possède aucune promenade dans ses environs qui puisse être comparée au Prater par son étendue, la beauté de la végétation et l’extrême variété des sites.
Quoique le Prater soit éloigné de la ville d’un bon quart de lieues, le peuple s’y porte en foule, tous les dimanches et toutes les fêtes, pendant la belle saison ; les gens riches, tous les jours. Quel tableau charmant et animé ! Où le rencontrer ailleurs ? Princes, bourgeois, moines, militaires et grisettes s’y trouvent confondus. On y voit vingt peuples et vingt costumes différents : ce sont des Turcs, des Grecs, des Bohémiens, des Hongrois, des Cosaques, des juifs, les uns coiffés d’un turban, les autres d’un béret ; les Israélites barbus ; les Anabaptistes en lévite brune, et la tête couverte d’un grand chapeau ; les Viennoises de la classe des riches artisans portant une toque d’or de la forme du bonnet phrygien, des corsets d’une riche étoffe, des jupons plissés ; les paysans et les paysannes ayant des bretelles noires sur leur justaucorps. Au milieu de ce bizarre assemblage se promènent les élégants de la ville habillés à la française , mais ayant toujours dans leur mise et dans leur maintien quelque chose de tudesque. Dans les grandes allées du Prater, trois ou quatre files d’équipages circulent lentement au bruit de vingt ou trente orchestres distribués dans la forêt. Ceux qui préfèrent une promenade solitaire s’enfoncent jusqu’au bord du Danube, où la nature agreste et sauvage présente mille aspects enchanteurs qui inspirent le poète et font rêver le philosophe. Mais, dès que le soleil a quitté l’horizon, il faut abandonner le Prater, dont s’emparent en quelques minutes des myriades d’insectes importuns ; cousins, taons, maringouins : l’air en est obscurci ; ils fondent sur les promeneurs comme des nuées, ils les piquent, les dévorent. Un observateur allemand à qui je parlai de ce désagrément, me dit : C’est une police céleste. Sans ces insectes, l’amour ferait au Prater trop de ravage pendant le crépuscule. »
VOYAGE EN AUTRICHE, EN MORAVIE ET EN BAVIÈRE. FAIT A LA SUITE DE L’ARMÉE FRANÇAISE, PENDANT LA CAMPAGNE DE 1809 PAR LE CHEVALIER C. L. CADET DE GASSICOURT, PARIS, 1818
Charles-Louis Cadet de Gassicourt, fils illégitime de Louis XV, est un avocat, pharmacien, écrivain et goguettier français. Il séjourne  à Vienne à la suite des armées napoléoniennes en 1809.

 « Je regrette de ne pouvoir te parler encore que des plaisirs d’hiver de la population viennoise. Le Prater, que je n ‘ai vu que lorsqu’il était dépouillé de sa verdure, n’avait pas perdu pourtant toutes ses beautés ; les jours de neige surtout, il présente un coup d’oeil charmant, et la foule venait de nouveau envahir ses nombreux cafés, ses casinos et ses pavillons élégants, trahis tout d’abord par la nudité de leurs bocages. Les troupes de chevreuils parcourent en liberté ce parc où on les nourrit, et plusieurs bras du Danube coupent en îles les bois et les prairies. À gauche commence le chemin de Vienne à Brünn. À un quart de lieue plus loin coule le Danube (car Vienne n’est pas plus sur le Danube que Strasbourg sur le Rhin). Tels sont les Champs-Élysées de cette capitale… »
Gérard de Nerval (1808-1855), Voyage en Orient, IX, « Introduction, suite du Journal » par M. Gérard de Nerval, à un ami, Vers l’Orient, Troisième édition, revue, corrigée et augmentée, Tome premier, Paris, Charpentier, Librairie-Éditeur, 1851

    « Le Prater est un lieu bas, humide, mal entretenu, où l’on doit se trouver fort bien aux heures les plus chaudes des jours d’été. Je n’ose avancé que les Viennois, qui ont aux environs de leur ville tant de sites charmants, abandonnent le Prater ; il faut cependant, qu’en historien fidèle je dise qu’au moment où j’y arrivais je n’y trouvais personne, pas un promeneur, un cavalier ou un équipage mais treize cerfs et un grand seigneur. Le grand seigneur passait rapidement pour regagner soin hôtel, et les cerfs qui sont en liberté et qui n’en abusent pas, venaient très débonnairement chercher leur pâture au lieu accoutumé. Comme tant d’autres choses, le Prater s’en va : les chemins de fer l’ont tué et l’on ne fait rien pour lui rendre la vie… »
Victor Duruy (1811-1864), Causeries de voyage, De Paris à Bucharest, Première partie. De Paris à Vienne, Librairie de L. Hachette, Paris, 1864

   On se rend au Prater facilement par les moyens de transports ou à bicyclette, seul ou en famille pour jouir de l’atmosphère festive et populaire de ses attractions foraines, de sa légendaire et historique Grande-Roue sans laquelle Vienne ne serait pas Vienne et de ses cafés et restaurants mais aussi pour ses allées ombragées très fréquentées en toutes saisons par les sportifs et les promeneurs et une nature préservée qui s’étend jusqu’au Danube et au quartier de Freudenau, un des ports de la ville. Peut-être certains se souviendront-ils à l’occasion de leur promenade que le Prater fut aussi un haut-lieu des débuts de la démocratie, de la musique, de la chanson mais aussi de tous les genres musicaux et de l’histoire du cinéma viennois. D’autres, amateurs de suspens, préfèreront l’ambiance effervescente des courses hippiques du Wiener Trabennverein et se rendront à l’hippodrome classé monument historique tout proche de la Kriau pour y assister. L’atmosphère plus paisible du golf de Freudenau qui, comme les stades de football, a également empiété sur le Prater d’origine, invite les pratiquants de ce sport à savourer des heures de détente aux lisières de la zone industrielle.

Valentin Janscha (1747-1818), chasse à courre au cerf et au sanglier dans les prairies alluviales danubiennes, vers 1790, collection de l’Albertina, Vienne

Le Prater dans l’histoire et dans les arts

Comme tout bon Viennois Mozart eut l’occasion d’aller se promener dans le grand parc du Prater.
MOZART, Wolfgang Amadeus (1756-1791)
Gehn wir im Prater, gehn wir in d’Hetz (Allons au Prater…)
Canon KV 558 en si bémol majeur (2 septembre 1788)
https://youtu.be/BoL2NUnldDU 

Le Prater est mentionné dans des sources écrites de la Renaissance en l’an 1403. Il occupe alors une superficie bien plus importante que celle d’aujourd’hui et une grande partie des terrains sont des marécages dus à la présence de plusieurs bras Danube. Ces terrains appartiennent à divers monastères et paroisses.
En 1560, l’empereur Maximilien II de Habsbourg (1527-1576), fait clôturer ces bois et ces prés et les transforme en réserve de chasse réservée aux membres de la Maison des Habsbourg. La noblesse n’est autorisée à s’y rendre qu’au mois de mai, et ce bien évidemment « sans pistolet ni chien ».
Peu après son couronnement, le jeune monarque Joseph II (1741-1790), fils aîné de Marie-Thérèse d’Autriche et de François Ier de Habsbourg-Lorraine décide en 1766 d’ouvrir une partie du parc au public sauf la Hirschau qui demeure interdite et est réservée à l’élevage du gibier.

Cerfs en hiver dans le parc du Prater, 1840, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Ce qui n’empêche nullement certains visiteurs de franchir la clôture pour y organiser des rencontres galantes et discrètes ou éventuellement pour s’y battre en duel en toute tranquillité. Cette ouverture au public du Prater fut suivie par un réel engouement des Viennois pour ce nouvel espace accessible et, par beau temps, de longues files de fiacres s’y rendent. Toute la ville ou presque se donne alors rendrez-vous au Prater.
Joseph II fait également bâtir la Lusthaus (La maison du plaisir) par un architecte autrichien d’origine française qu’il apprécie, Isidore Canevale (1730-1786). Le terrain choisi fut celui d’une cabane de chasse, aux abords d’un ancien bras du Danube, le Wiener Wasser qui a été par la suite transformé en plan d’eau.

Dans le parc du Prater, 1810, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Le nouveau bâtiment fut surélevé pour éviter les inondations fréquentes et destructrices. Les nombreuses parois vitrées et les portes ont été dessinées afin de permettre à la nature de pénétrer facilement dans le bâtiment. Les murs sont peints avec une couleur verte. On s’y donne rendez-vous, on y discute, mange, joue, on y écoute de la musique, flirte… Cinq allées partant de ce bâtiment sont aménagées et complètent l’allée principale, ce qui permet également à l’empereur de mieux faire surveiller son peuple. La Lusthaus et ses abords abritent une grande fête en 1814 organisée en l’honneur de la victoire sur Napoléon, manifestation à laquelle les soldats autrichiens de retour chez eux sont conviés.
La Lusthaus abrite toujours un excellent restaurant ainsi qu’un espace où sont organisées de nombreuses manifestations culturelles.
www.lusthaus-wien.at

La Lusthaus pavoisée pour les fêtes de 1814, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Les grands cafés du Prater
   Les premiers cafés et restaurants du Prater remontent au XVIIIe siècle. Trois établissements sont érigés dans les années 1786 sur l’allée principale. Le premier propose initialement des concerts de musique classique. Beethoven s’y produit en 1814, Joseph Lanner en 1824. Mal géré ou déficitaire, l’établissement change 21 fois de propriétaire entre 1854 et 1938 et sera détruit par les bombardements alliés en 1945.
Le deuxième café était encore plus vaste et plus chic que le premier. C’est à la valse que sont dédiés les concerts qui s’y dérouleront au XIXe siècle. Johann Strauss junior et ses deux frères le fréquente à plusieurs reprises. À côté du bâtiment principal se trouvent une salle de billard, un buffet, un grand salon avec son propre scène pour un orchestre, quatre autres salons ainsi qu’un un jardin d’hiver. L’établissement subit le même sort que le premier café à la fin de la seconde guerre mondiale.
Le troisième café fonctionne toute l’année. De grandes fêtes y sont également organisées, auxquelles participent des musiciens célèbres. Ce café est transformé en « Singspieltheater » pouvant accueillir jusqu’à 5 000 personnes (1871). L’entrepreneur et impresario Anton Ronacher (1841-1892) rachète le restaurant en 1877 et y fait représenter des opérettes et des spectacles de variétés. Le café est lui aussi touché par les bombardements à la fin de la seconde guerre mondiale et définitivement démoli en 1962 pour laisser la place au « Brunswick Bowling Hall ».

La Schweizerhaus, une institution gastronomique viennoise
« J’étais hier au Prater en compagnie du vice-chancelier, le comte Schönhorn. C’est un parc ravissant  à l’étendue resplendissante. Nous avons jugé bon de quitter la grande allée à cause de la poussière et de nous diriger vers la forêt. Nous nous sommes arrêtés dans une petite auberge qui, d’après mon compagnon, s’appelle « Zur Schweizer Hütte ». Il y a des centaines d’années, un ermite vendait ici du poisson et des champignons aux chasseurs impériaux qui venaient s’y reposer. Les domestiques étaient des Suisses du Sundgau, réputés pour l’excellence et la loyauté de leur conduite, et le nom « SchweizerHütte » aurait été conservé depuis cette époque. Le propriétaire actuel est un homme d’un grand calme qui fait frire habilement des petits poissons à la broche et sert un délicieux jus de sureau que nous avons bu dans deux cruches … »
Lady Worthley Montaigu, 1766
La Schweizerhaus a été construite en 1868 sur l’emplacement de la  « Zur Schweizer Hütte« , un lieu fréquenté initialement par des chasseurs originaires de Suisse (d’où son nom) qui y recevaient l’aristocratie du Saint Empire Romain Germanique. Elle est rachetée en 1920 par un jeune boucher de 19 ans d’origine tchèque, Karl Kolarik (1901-1993). Celui-ci y installe une cuisine qui permet aux clients d’observer la préparation des plats. Le bâtiment est détruit à son tour pendant les bombardements alliés de 1945. La famille Kolarik reprend ses activités en 1947 accueillant sa clientèle dans un ancien wagon de la Grande Roue et dans une cabane en bois de vigneron.  Ce restaurant saisonnier (de mi-mars à fin octobre), une des adresses gastronomiques les plus populaires pour les amateurs de cuisine viennoise et bohémienne copieuse accompagnée de bières légendaires, demeure dans la possession de la même famille depuis 1920.
www.schweizerhaus.at

   Outres de nombreux et  impressionnants feux d’artifice qui sont tirés régulièrement depuis un emplacement spécifique du Haut-Prater, toutes sortes de tentatives et expériences scientifiques, parfois réussies, ont eu lieu dans le cadre du parc. Après le britannique Charles Hyam et l’artificier autrichien Johann Georg Stuwer en 1784, l’aéronaute français Jean-Pierre Blanchard (1753-1809) tente d’effectuer le premier vol libre en ballon depuis l’Autriche mais c’est d’abord un échec. Le public qui a du payer un droit d’entrée, est en colère et l’aéronaute doit être protégé de la foule par la police. Le 6 juillet 1791, il réussit toutefois à s’envoler du Prater jusqu’à Groß-Enzersdorf sur la rive gauche du Danube. Puis c’est au tour de l’horloger et génial inventeur Jakob Degen (1760?-1848) de s’envoler avec une machine volante à ailes mobiles actionnées par ses propres forces le 13 novembre 1808, réussissant le premier vol libre au-dessus du Prater. Huit ans plus tard, en 1816, le même Degen qui a inventé entretemps une hélice mécanique, fait monter un premier hélicoptère (sans pilote) jusqu’à une hauteur de 160 mètres.

Inauguration du Danube régularisé à Vienne, sources l’Illustration

   Les grands travaux de régulation du Danube dans les années 1870 permettent la disparition quasi totale des marécages. À l’occasion de la grande Exposition universelle de Vienne en 1873, une partie des terrains du Prater sont défrichés et de nouveaux chemins sont aménagés pour les promeneurs.

Pavillon de Perse, exposition universelle, 1873, collection du Wien Museum

Les bâtiments construits pour l’Exposition Universelle seront par la suite démolis, à l’exception de quelques-uns d’entre eux qui sont transformés en ateliers et loués à des artistes. Les autres bâtiments seront partiellement détruits par des bombardements en 1945. Le parc du Prater se trouve en zone d’occupation soviétique après la seconde guerre mondiale mais les Russes autorisent les Britanniques à y accéder et à y organiser des courses hippiques.

August Schäffer (1833-1916), En revenant de l’exposition universelle, huile sur toile, 1875, collection de la Galerie Nationale Autrichienne, Vienne

Le quai du Prater (Praterkai) a été aménagé en zone industrielle vers la fin du XIXe siècle. La zone de Freudenau est transformée en port fluvial. Des résidences sont construites le long du canal du Danube, un ancien bras du fleuve aménagé et des villas sont édifiées pour héberger de riches industriels anglais venus en Autriche profiter de la croissance économique. Ces derniers affectionnent particulièrement le Prater, car ils peuvent y pratiquer leurs sports favoris comme le cricket.

L’entrée de « Venedig in Wien », photo de 1895, Collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Le parc d’attractions
Gabor Steiner (1858-1944), directeur de théâtre, impresario et créateur du parc d’attractions Venedig in Wien (Venise à Vienne), inauguré en 1895, fait construire en 1897 la Wiener Riesenrad (Grande Roue de Vienne), un an avant le cinquantième anniversaire du règne de l’empereur François-Joseph de Habsbourg par les ingénieurs britanniques Walter Bassett Bassett (1864–1907) et Harry Hitchins.

La Grande Roue historique en 1897 avec ses trente nacelles, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

Elle est fermée durant la premier guerre mondiale, sert comme poste d’observation militaire et faillit être détruite en 1916 mais le coût prohibitif de sa démolition incite le nouveau propriétaire des lieux à y renoncer. Elle brûle à l’occasion des bombardements de la ville en 1944 et sera reconstruite en 1953 en n’intégrant toutefois que 15 des trente nacelles qui équipaient la Grande Roue Viennoise d’origine. Elle est alors restituée aux héritiers d’Édouard Steiner, propriétaire qui en avait été dépossédé en 1938 à l’occasion de la promulgation de lois antisémites lors de l’Anschluss

La discrète église Maria Grün, lieu de de pèlerinage
   À l’opposé du parc d’attraction, presque invisible, la discrète petite église Maria Grün, cachée dans son écrin de verdure près de l’allée d’Aspern et du Danube du Danube fut autrefois un haut-lieu de pèlerinage. Elle a été construite sur les plans de Josef Münster (1869–1946), architecte de la ville de Vienne en 1924 et consacrée le 21 décembre de la même année. Le bâtiment a été endommagé à plusieurs reprises pendant la seconde guerre mondiale par des bombardements qui visaient la zone industrielle et le port voisin de Freudenau. Restaurée par la suite elle fut réouverte au service religieux en 1948. Elle possède un orgue depuis 1985 et a été de nouveau entièrement rénovée en 1989. Maria Grün reste une destination privilégiée de pèlerinage pour les habitants d’origine croate de Vienne et du Burgenland.

L’église Maria Grün, photo droits réservés

Le Prater et le cinéma
   La plupart des toutes premières projections et spectacles cinématographiques ont lieu à Vienne en 1896 dans le cadre du parc d’attractions « Venise à Vienne » ouvert en 1895. Mais ce n’est qu’au tout début du XXe siècle que sont construites au Prater des petites salles de cinémas indépendantes. Gustav Münstedt diffuse des films dans une  salle adjacente de sa « Prater Hütte » à partir de 1904 puis dans la grande salle. 5 cinémas jouissent d’une situation de monopole jusqu’en 1920, année où est inauguré la salle de cinéma du cirque Busch dans les anciens locaux de celui-ci. Toutes les salles  à l’exception du Lustspieltheater seront détruites en 1945 par les bombardements alliés.

Le Prater dans le patrimoine littéraire, cinématographique et musical : une source d’inspiration féconde
   Le Prater et les prairies alluviales danubiennes, ces « espaces du bonheur pas cher », cadres d’idylles ou d’intrigues, champs géographique d’expérimentation de tous les possibles, du bonheur le plus pur mais aussi le plus kitsch, cultivé à merveille par les classes populaires ou du désespoir le plus profond et d’expression de frustrations, de déviations, apparaissent régulièrement dans les romans, romans policiers, nouvelles, pièces de théâtre, récits et poèmes d’auteurs autrichiens et étrangers. Quelques-uns d’entre eux sont traduits en français parmi lesquels La Ronde, Le sous-lieutenant Gustel d’Arthur Schnitzler (1862-1931), La nuit fantastique, L’amour d’Erika Ewald de Stefan Zweig (1881-1942), Le Flambeau dans l’oreille – Histoire d’une vie 1921-1931 d’Elias Canetti (1905-1994), Un autre Kratki-Baschik (récit) d’Heimito von Doderer (1896-1966), Ashantee de Peter Altenberg  (1859-1919), Histoire d’une fille de Vienne racontée par elle-même de Josephine Mutzenbacher (1906), roman érotique attribué postérieurement à Felix Salten (1869-1945), Le Tabac Tresniek de Robert Seethaler (1966).
Quant à Ödon von Horváth (1901-1938), auteur qualifié de « dégénéré » par les Nazis et dont ils brûleront les livres en 1933, il fait de ces prairies alluviales précisément l’un des cadres de sa pièce Légendes de la forêt viennoise (Geschichten aus dem Wienerwald, 1931) dans lequel les protagonistes, petits-bourgeois et commerçants de Josefstadt, déshabillés brutalement de leur verni comportemental et social superficiel, sont livrés à leurs attirances pulsionnelles. Là encore le kitsch s’invite et triomphe au milieu de cette farce tragicomique danubienne cruelle. Horváth emmène dans un épilogue pathétique ses personnes au paroxysme de leurs trivialité jusque dans le décor naturel et romantique de la Wachau, à Dürnstein, un des lieux favoris d’excursion des Viennois par bateau. Revenant comme des refrains tout au long de la pièce, les valses de Strauss qui « symbolisent la gaieté et l’insouciance, ainsi que le rayonnement culturel de Vienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle, relèvent désormais d’un âge d’or idéalisé et entrent en collision avec les comportements triviaux des petits-bourgeois horvathiens : Le Beau Danube bleu est joué par l’orchestre du bar « Maxim »  pour servir de toile de fond au numéro de « trois filles à moitié nues, les jambes prises dans une queue de poissons » qui sont supposer figurer « les sirènes du Danube ». La valse est réduite à l’état d’ornement dans un tableau de mauvais goût : à l’esthétique se substitue le pornographique. »1
Dans La pianiste d’Elfriede Jelinek « l’interdit social tissé par sa mère ne laisse chez Erika qu’une soupape, la rupture clandestine des digues, l’irruption des pulsion »2. Là encore le Prater sert de cadre au voyeurisme et à l’assouvissement des pulsions de son héroïne. « Elle part en chasse dans les « gorges goulues » de prairies désertes, dans cette steppe incertaine où « le paysage s’étend à perte de vue jusqu’à des pays étrangers (la Slovaquie et la Hongrie), jusqu’au Danube, au port pétrolier de Lobau [rive gauche, un territoire de prairies alluviales conquis par la ville industrielle au XXe siècle], au port de Freudenau. [port d’hiver et port commercial de Vienne, sur la rive droite, au-delà du Prater vers l’aval]. Le port aux grains de Albern. La jungle à l’entour du port de Albern. Puis l’Eau-Bleue et le cimetières des Sans-Noms [Namenslos Friedhof]. (Pierre Burleaud, idem, p. 169). Comme le souligne P. Burleaud, l’élément liquide « joue là son rôle métaphorique: écoulement, inondation, vagues et flots. »3
Le Prater, autrefois haut-lieu de fêtes mais aussi de prostitution et ses éléments naturels n’exorcise t-il pas le besoin de liberté d’habitants d’un pays tourmenté par son passé récent et qui n’a gardé de son ancien et immense territoire s’étendant auparavant jusqu’à la mer Adriatique, qu’une partie d’un fleuve symbole emportant avec lui des souvenirs de grandeur déchue.

Quelques films mettant en scène le Prater :
Merry-go-round (Erich von Stroheim, 1923)
Pratermizzi (Gustav Ucicky, 1927)
Prater (Willy Schmidt-Gentner, 1936)
WiennerinnenSchrei nach Liebe (Kurt Steinwendner, 1952)
Im Prater blüh’n wieder die Bäume (Hans Wolff, 1958)
Lo Strangolatore di Vienna (Guido Zurli, 1971)
Exit… nur kein Panik (Franz Novotny, 1980)
Malambo (Milan Dor, 1984)
The living Daylights (John Glen, 1987)
Der Prater – Eine wilde Geschichte, documentaire (Manfred Corrine, 2008)
Der Räuber (Benjamin Heisenberg, 2010)
Der Prater, documentaires en trois parties (Peter Grundei, Roswitha Vaughan, Ronald Vaughan, 2016)
Mein Prater, reportage pour la télévision (Franz Gruber, Andreas Dorner, 2017)
G’schichten aus dem Wiener Prater, documentaire  (Thomas Rilk, musique Ernst Molden, 2017)

Quant à la Grande-Roue emblématique, elle figure aussi dans de nombreux films de cinéastes ayant pris pour cadre Vienne et son patrimoine culturel comme Le Troisième Homme de Carol Reed (1949), d’après le scénario et le roman de Graham Greene et Tuer n’est pas jouer (1987) de John Glen qui fut lui-même assistant monteur pour le Le Troisième Homme.

En littérature… (langue allemande) et en musique

« Im Prater blühn’ wieder die Bäume » (« Au Prater les arbres refleurissent »), chanson viennoise de Robert Stolz (1880-1975)
https://youtu.be/g4ibJ7FLMHs
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Altenberg, Peter, « Blumen–Korso », in Wie ich es sehe, Prosaskizzen, Berlin, S. Fischer, 1898
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Le Prater en musique
   « Le Prater est un contrepoint de Vienne, c’est le plus ancien parc d’attractions d’Europe, et c’est une immense salle de décompression, une salle d’illusion, une salle de promesses dans laquelle on peut laisser le quotidien de la ville derrière soi. La définition du Viennois ne peut se passer du Prater, le Prater fait partie de lui-même. »
Zusana Zapke, historienne de la musique, Wien-Museum magazine, mars 2020

   Le Prater est une histoire à lui tout seul dans l’histoire de la musique de Vienne. Dans ce parc, ses établissements gastronomiques et ses lieux de distraction se sont croisés, se croisent et parfois se mélangent les amateurs de la valse, du foxtrot, du jazz, de la chanson viennoise (Wienerlieder), de la « Schrammelmusik » et du Singspiel si populaires, de l’opérette, de la musique pop, aujourd’hui du rap et hip hop…. Tout y est concentré, y compris toutes les formes de musique innovantes et les plus expérimentales. L’histoire de la valse s’est aussi déroulée dans le parc du Prater avec les fils Strauss, Joseph Lanner et des compositeurs locaux. D’autres musiciens ont dédié à celui-ci quelques-unes de leur oeuvres comme Ralph Benatzky, Emmerich Kálmán, Franz Lehar Edmund Eysler, Robert Stolz avec sa célèbre chanson et musique de film « Im Prater blühn wieder die Bäume » (« Au Prater les arbres refleurissent ») composée en 1916. Aucun parc au monde n’a engendré un tel élan musical !

 Vienne, ses faubourgs, le Prater et le Danube…

   « Un petit bras du Danube sépare la Léopoldstadt ou ville de Léopold, de Vienne propre. On y trouve quelques rues larges et droites, le superbe jardin Augarten et le bois charmant dit le Prater. Le faubourg et le joli quartier de Jaegerzeil, semblable aux anciens boulevards de Paris, sont situés sur une île au nord de la ville. Tous les autres s’étendent sur une ligne demi-circulaire qui va de sud-est à nord-ouest.
   Les deux faubourgs de Weissgoerber et d’Erberg, peuplés de grands manufacturiers, s’étendent le long du Danube à l’est de la ville ; entre ces faubourgs est le palais d’été du comte Razumowsky avec un jardin anglais, vis-à-vis le Prater. Les points de vue sont si bien pris, que le prince de Ligne a dit du possesseur de ce lieu charmant : « Il a su faire entrer tout le Prater  dans son jardin… »
   « L’Augarten, dont Joseph II ouvrit l’entrée au peuple, offre un coup d’oeil imposant par la magnificence un peu monotone, à la vérité, de ses grandes allées d’arbres, bien couvertes et bien alignées. Devant un vaste édifice qu’on trouve à l’entrée, et qui, sous de grandes galeries très bien décorées, présente au peuple de Vienne un grand nombre des restaurateurs, est une place circulaire, environnée de hauts marronniers où l’on trouve toute sorte de rafraîchissements. Les allées de l’Augarten conduisent à un cours, le long duquel règne une agréable prairie. Cette partie du jardin est environnée d’une terrasse au pied de laquelle coule le Danube. De ce point élevé, l’oeil parcourt des bois et des habitations champêtres, une foule de hameaux et de villages semés dans de riants vallons. Des groupes de collines couronnées de bocages, contrastent avec de vastes prairies où paissent de nombreux troupeaux. Cette scène d’enchantement est terminée par la vue de Brigitt. Cette forêt, qui forme la partie sauvage et romantique du jardin, s’étend à une lieue, et est traversée, dans toute sa longueur, par le Danube dont les bords offrent de délicieuses promenades. À l’entrée de ce bois, sur l’une des rives du fleuve, nombre de maisonnettes procurent au peuple qui s’y promène en foule, les jours de fêtes surtout, les plaisirs de la bonne chère, assortis à l’aisance plus ou moins grande de ces diverses classes.
   Les cabanes sont également répandues dans les prairies et sur le rivage du fleuve. Les instruments qui se font entendent dans toutes les parties du bois ajoutent à la gaité qu’inspire la table.
   En traversant le Danube qui sépare cette partie de la forêt, on trouve sur la partie opposée où ce fleuve se divise en plusieurs branches, un grand nombre d’île, les unes ombragées par des bois épais, d’autres couvertes de bocages riants ou de prairies émaillées. Toutes sont animées par le chant de divers oiseaux et par les bondissements des cerfs, des daims, des chevreuils. À l’extrémité de la forêt disparait entièrement le Danube pour faire place à à un charmant hameau composé de petites maisons à un seul étage, agréablement construites et peintes en dehors.
   Malgré la réunion de tant d’agréments dans le jardin d’Augarten et dans ses dépendances, il est moins varié que le Prater. C’est un vaste pré, couvert de forêts que partage une belle allée d’une lieue de long. Sur l’un des côtés, le seul qui soit fréquenté, cette forêt présente l’aspect d’un village, par un grand nombre de maisonnettes et de cabanes ajustées dans les bois. Ce sont des cafés turcs, chinois, italiens, anglais ; ce sont des salles de bal, de billard : tout cela est peint et décoré de mille manières. Sous l’ombrage se mêlent, avec une agréable confusion, princes, militaires, bourgeois, moines, grisettes : la cour elle-même vient s’y populariser. Les jolies femmes ne s’y montrent qu’au soleil couchant. Outre les cabanes consacrées au plaisir de la gourmandise, une infinité de tables sont répandues ça et là dans le bois, et l’on y sert toutes sortes de rafraîchissements. Les sons du cor, de la flûte, et d’autres instruments à vent se font entendre dans toutes les parties du bois.
   Pendant qu’on s’y livre à la joie des milliers de voitures de toute espèce qui rivalisent de rapidité dans leur course, des chevaux barbes, anglais, espagnols, traversent en tout sens la grande allée par laquelle on entre dans le bois, et qui aboutit à un pavillon, le but de ces courses. On retrouve là le Danube, et sur ses bords, un cours planté d’arbres.
   Pour ajouter au charme de cette promenade, on y donne, dans diverses occasions, de superbes feux d’artifice ; un bel amphithéâtre particulier est consacré à ce divertissement. Chaque allée des avenus de la forêt offre des perspectives ingénieusement ménagées, telles que la vue des hameaux, de quelques parties de la ville, du fleuve et de la montagne.
Ajoutons que cinq cents cerfs, très peu timides, tantôt se promènent à côté des voitures, et tantôt s’enfuient en bondissant à travers les bois.
   Certes, ce Prater est bien autre chose que le pitoyable bois de Boulogne ou les monotones Champs-Élysées de Paris… »
Conrad Malte-Brun, ANNALES DES VOYAGES, DE LA GÉOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE, 1810

   « Le Prater est, pour les Viennois, ce que sont les Champs-Élysées pour les Parisiens, Hyde-Park pour les Anglais. C’est là que la fashion, noble et bourgeoise, se plaît dans la belle saison, à parader, soit à cheval soit en voiture, dans tout l’éclat de toilettes qui empruntent à nos modes leur élégance et leur caprice. Le Prater est à deux cents pas du faubourg du Jaegerzeil, situé sur la même île que le Leopoldstadt et le superbe jardin d‘Augarten. De magnifiques prairies, des faisanderies bien boisées se rencontrent là, ensemble. Du temps de Joseph II, les daims, les sangliers y vivaient de compagnie. Les accroissements considérables de ce parc sont dus particulièrement à ce monarque. Je ne sais quel courtisan voulait qu’il en interdit l’entrée au peuple pour que les grands seigneurs n’y trouvassent que leurs pairs. « Eh mon dieu ! répliqua le prince, il me faudrait donc, pour ne rencontrer que les miens, aller, vivant, m’enfermer dans les caveaux des Capucins. » Il fit détourner un bras du Danube qui séparait le faubourg du Parc. Hors de Jaegerzeil quatre grandes avenues conduisent au Prater : deux à gauche sont peu fréquentées, la troisième, qui aboutit au château d’où partent, dans les fêtes, les feux d’artifice, l’est beaucoup. C’est là que des guinguettes de formes gracieuses, construites en bois et dont le seuil offre plusieurs tables, invitent les promeneurs à se reposer. On y joue, on y boit, on y mange à l’ombre de majestueux arbres, sous les rameaux desquels l’artisan et le petit bourgeois oublient leurs soucis et rêvent quelquefois le bonheur. La quatrième est livrée à la haute aristocratie ; les piétons y trouvent, comme aux Tuileries, des chaises pour se reposer, des cafés, en plus grand nombre et peut-être aussi plus élégants, pour s’y rafraîchir et jouir de la vue des équipages armoriés, des brillantes cavalcades qui, à certains jours, se pressent en ce lieu. C’est en avril, mai, septembre et octobre, et surtout le lundi de Pâques que le Prater est envahi par la foule opulente et titrée. C’est là que les princes, les courtisans, les riches seigneurs luttent de magnificence ; c’est là que les jeunes dandys appartenant au beau monde, viennent déployer toute leur science hippique et faire admirer les allures superbes de leurs destriers dont la généalogie n’est pas moins noble que la leur.
   Le lundi de Pâques est pour le Prater ce qu’étaient, pour les Champs-Élysées, les jours de Long-Champs, quand nous avions encore un Long-Champs… »
Le Danube illustré, Édition française revue par H.-L. Sazérac., H. Mandeville, Libraire-Éditeur, Paris, 1849, pp. 12-13

« À Vienne, le dimanche qui suit la pleine lune du mois de juillet de chaque année, ainsi que le jour d’après, est un véritable jour de fête, si tant est qu’une fête ait jamais mérité ce nom. Le peuple en est le visiteur et l’acteur tout en un ; et si des gens du monde s’y rendent, ce ne peut être qu’en leur qualité de membre du peuple. Il n’y a là aucune possibilité de se distinguer ; du moins en était-il ainsi il y a quelques années encore.
Ce jour-là, la Brigittenau, reliée à l’Augarten, à la Leopoldstadt et au Prater par une suite ininterrompue de distractions, fête sa kermesse. Entre deux Sainte-Brigitte, le peuple des ouvriers compte ses bonnes journées. Longtemps attendue, la fête des saturnales finit par arriver. Alors la bonne et paisible ville est saisie par le tumulte. Une marée humaine remplit les rues. Bruits de pas, murmures de gens en train de converser que vient traverser ici où là une exclamation bruyante. Les différences sociales ont disparu ; civils et soldats se côtoient  dans ce mouvement. Aux portes de la ville, la poussée s’accroît. Après avoir gagné, perdu, puis regagné du terrain, on parvient enfin péniblement à s’extraire. Mais le pont du Danube offre de nouvelles difficultés. Victorieux là encore, deux flots qui se croisent l’un au-dessus de l’autre, le vieux Danube et la houle toujours plus grosse du peuple, le Danube coulant vers son ancien lit tandis que le flot du peuple, échappé à l’étranglement du pont, se déverse tel un vaste lac mugissant, submergeant tout sur son passage. Un nouvel arrivant trouverait ces signes inquiétants. Mais il n’y a là que joyeuse effervescence, plaisir déchaîné.
Déjà, entre la ville et le pont, des charrettes d’osier se sont avancées pour les véritables hiérophantes de la fête que sont les enfants des domestiques et des ouvriers. Surchargées, elles n’en fendent pas moins au grand galop la marée humaine qui s’entrouvre juste devant elle pour se refermer aussitôt après, insouciante et indemne. Car il existe à Vienne une alliance tacite entre les voitures et les hommes : ne pas écraser, même en pleine course, et ne pas se faire écraser, même si l’on ne fait pas attention le moindre du monde… »
Franz Grillparzer, Le musicien des rues, Éditions Jacqueline Chambon, Paris, 2000, traduction de Jacques Lajarrige, publié en allemand dans l’Almanach Iris en 1848  

« Le Prater, qui vit les chasses des prince au Moyen-Âge et fut ouvert dès 1766 au public, a été un parc admirable, et le reste, parce qu’il est très vaste, en ses parties préservées : il a vu défiler toutes les étoiles de Vienne et passer plus d’une fois, dans l’hiver 1930, un promeneur qui était Robert Musil. Mais on y a construit un stade, un hippodrome, les encombrants bâtiments de la Foire de Vienne (au-delà desquels on accède à des terrains vagues et à des fabriques qui longent le Canal du Danube, où quelques chalands, portant parfois des noms russes, sont à l’ancre). Et le « Wurstlprater », le Prater de la Grande-Roue, le célèbre Lunapark, n’a été reconstruit après la guerre que très partiellement et de façon, dit-on, trop organisée. Il est vrai qu’un dimanche d’avant-printemps n’y offre pas un spectacle très gai. Il y avait là quelques rares touristes, des soldats, des amoureux, des familles, un public clairsemé ; des garçons tournaient sur les tournantes pistes de « karting », l’air hébété; à côté de stands de tir presque vides, des Hongrois (vrais ou faux émigrés de 1956 ou revenants de l’Empire) vendaient des spécialités de leur pays. Dans le soir qui tombait, du haut de rochers de carton anfractueux, de souples squelettes invitaient la clientèle à un voyage au pays de l’horreur ; un manège tournoyait encore, dont les sièges étaient des vases de nuit de fer blanc bosselé. Dans le coin des enfants, près d’un petit train immobile et vide, qu’était censé conduire un mannequin de cire emprunté à une vitrine de mode, une réplique minuscule de la Grande-Roue s’élevait, emportant lentement dans les airs, mue ç bras d’homme ou peu s’en faut, un seul couple de clients assis face à face dans une nacelle ; un gros homme au visage jaune et bouffi, vêtu de noir, impassible (peut-être un fripier comme on en croise encore dans la Judengasse ?) et une petite fille. Ils ont dû faire deux fois, trois fois leur tour dérisoire ; quand la nacelle était au sommet de sa course, elle ne s’élevait guère plus haut que les arbustes voisins. Ils ne disaient mot. La petite fille n’eut pas un sourire… »
Philippe Jaccottet, Autriche, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1966

Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour mars 2023 © Danube-culture, droits réservés

Notes :
1 Florence Baillet, « Des pièces populaires sous la République de Weimar (1930-1933), Circularités et ritournelles »  in Ödön von Horvath, Voix allemandes, Belin, Paris, 2008, p. 132.
2 Pierre Burleaud, « L’idylle des prairies perverties » in Danube-Rhapsodie, Images, Mythes et représentation d’un fleuve européen, Grasset, 2001, p. 168
3 Pierre Burleaud, idem  p. 169

Sources :
Begleitende Broschüre zur Sonderausstellung « LiteraTOUR durch 250 Jahre Prater » vom 24.10.2016 bis Ende Februar 2017, für den Inhalt verantwortlich: Mag. arch. Georg Friedler, Textzusammenstellung Dr. Gertraud Rothlauf, Ausgabe, 1/2016, Bezirksmuseum Leopoldstadt, Wien
BURLEAUD, Pierre, Danube-Rhapsodie, Images, Mythes et représentation d’un fleuve européen, Grasset, Paris, 2001
DEWALD Christian, LOEBENSTEIN, Christian, SCHWARZ, Werner Michael, Wien in Film, Stadtbilder aus 100 Jahren, Wien Museum, Czernin Verlag, Vienne 2010
DEWALD, Christian, LOEBENSTEIN, Michael, Prater, Kino, Welt. Der Wiener Prater und die Geschichte des Kinos, Verlag Filmarchiv Austria, Wien, 2005

GRILLPARZER, Franz, Le musicien des rues, Éditions Jacqueline Chambon, Paris, 2000, traduction de Jacques Lajarrige, publié en allemand dans l’Almanach Iris en 1848
JACCOTTET, Philippe, Autriche, L’Atlas des Voyages, Éditions Rencontre, Lausanne, 1966,

MALTE-BRUN, Conrad, ANNALES DES VOYAGES, DE LA GÉOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE ; OU COLLECTION des Voyages nouveaux les plus estimés, traduits de toutes les langues européennes ; Des Relations originales inédites, communiquées par des Voyageurs Français et Etrangers ; Et des Mémoires Historiques sur l’origine, la Langue, les Moeurs et les Arts des Peuples, ainsi que le Climat, les Productions et le Commerce des Pays jusqu’ici peu ou mal connus ; ACCOMPAGNÉES D’un Bulletin où l’on annonce toutes les Découvertes, Recherches et Entreprises qui tendent à accélérer les progrès des Sciences Historiques, spécialement de la Géographie, et où l’on donne des nouvelles des Voyageurs et des extraits de leur Correspondance.Avec des Cartes et des Planches gravées en taille-douce, PUBLIÉES PAR M. MALTE-BRUN, Correspondant de l’Académie Italienne, de la Société d’Émulation de l’Île-de-France, et de plusieurs autres Sociétés savantes et littéraires, Seconde Édition, revue et corrigée.TOME HUITIÈME., À PARIS, Chez F. Buisson, Libraire-Editeur, rue Gilles-Coeur, n° 10., 1810
ÖHLINGER, Walter (Herausgegeben), Die Pläne der K.K. Haupt- und Residenzstadt Wien von Carl Graf Vasquez, Edition Winlker-Hermaden, Schleinbach, 2011

Wiener Prater, Wikipedia
www.bezirksmuseum.at
www.wienmuseum.at

Prater, 1888, Atelier Hans Neumann, collection de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

L’espace danubien Klosterneuburg-Korneuburg-Vienne : histoire d’une urbanisation des rives du fleuve

Planche de Klosterneuburg à Vienne du « Donaupanorama der Donau von Ulm bis Wien » de Bernhard Grueber (1806-1882) et Henry Winkles (1801-1860), publié par  Georg Joseph Manz (1808-1894) à Ratisbonne en 1848

Carte n°1 : époque préhistorique
Néolithique (6.000-2.000 av. J.-C.), Âge de bronze (2.200-800 av. J.-C.), Âge de fer  (800 av. J.-C.-15 ap. J.-C.)
   Les hommes se sédentarisent dans la région de Vienne au Néolithique, il y a environ 5.000 ans. Il leur faut défricher des parcelles des forêts avoisinantes pour permettre à l’agriculture et à l’élevage de se développer. Les hauteurs des monts Bisamberg et Leopoldsberg ainsi que les collines boisées situées au-delà, naturellement protégées, leur servent de lieux d’habitation.

Carte n°2 : époque romaine (vers 250 ap. J.-C.)
   Les hauteurs de (Kloster)neuburg et de Vienne sont idéales pour les Romains qui y établissent leurs bases militaires. Celles-ci servent à protéger la frontière le long du Danube (le Limes) contre les tribus germaniques s’infiltrant par le nord. Un camp de légionnaires fortifié a été érigé à la hauteur de Vienne qui s’appelle alors Vindobona et un autre fort de troupes auxiliaires à Korneuburg sur la rive gauche. Parallèlement à la construction de ces camps militaires, des villages sont édifiés à proximité afin d’approvisionner les garnisons romaines en nourriture.

Carte n°3 : zone de peuplement à la fin du premier Moyen-Âge (vers 1050)
   Après le départ des soldats romains (Ve siècle), les camps militaires et les villages voisine tombent en désuétude. Des colons bavarois et francs s’installent à Vienne lorsque Charlemagne et ses armées venant de l’ouest pénètrent, à l’occasion de sa campagne de 791, dans cette région danubienne.Vienne est devenue une ville de foire située sur l’importante voie commerciale du Danube. Elle se limite à cette époque aux anciens emplacements occupés par les Romains.

Carte n° 4 : zone de peuplement à la fin du haut Moyen-Âge (vers 1250)
   Les Babenberg transfèrent leur résidence de Melk/Danube à (Kloster)neuburg en 1113 puis à Vienne en 1145, engendrant ainsi son développement. Le nouveau rempart achevé vers 1200 rend le mur du camp romain obsolète.

Carte n°5 : zone de peuplement à la fin du Moyen-Âge tardif (vers 1500)
   La navigation sur le Danube est particulièrement dense en raison du mauvais état des routes. Vienne, Klosterneuburg et Korneuburg disposent d’embarcadères. Au Moyen-Âge, le cours de l’actuel canal du Danube (Donaukanal) correspond au bras principal du fleuve. Les ponts construits au XVe siècle près de Vienne facilitent le passage d’une rive à l’autre. Des lotissements suburbains se développent au-delà de l’enceinte de la ville.

Carte n° 6 : zone de peuplement vers 1600
   Les faubourgs, détruits après le premier siège de Vienne par les Ottomans de Soliman le Magnifique pendant l’été 1529, sont reconstruits et agrandis tout comme le rempart médiéval. Afin de pouvoir assurer une meilleure défense, l’espace situé devant les remparts est inconstructible. Klosterneuburg est également assiégée et partiellement détruite. Peu après, les Habsbourg décident de faire de Vienne leur résidence en 1533.

Carte n° 7 : zone d’habitation vers 1700
   Le quartier de Leopoldstadt (basse-ville), en zone inondable de l’époque devient une agglomération importante avant le second siège turc en 1683. Après avoir repoussé les Ottomans avec ses armées et celles de ses alliés, la cour d’Autriche et ses fonctionnaires vont transformer en quelques décennies les espaces de la banlieue viennoise dévastés par le siège.

Carte n° 8 : zone d’habitation vers 1800
Un rempart en terre renforcé par des palissades est érigé en 1704 pour protéger les faubourgs de Vienne des Hongrois révoltés contre les Habsbourg. Klosterneuburg est encore à cette époque une petite cité de vignerons mais qui perd au cours du temps son importance commercial. Une zone inconstructible doit être préservée devant les remparts de Korneuburg pour des raisons militaires ce qui empêche toute extension locale de l’habitat. Certaines îles ont déjà disparu du fait de travaux d’aménagement du fleuve entre Klosterneuburg et Vienne.

Carte n° 9 : zone de peuplement vers 1870
   Il n’y a plus de banlieues viennoises séparées, les différents quartiers à l’intérieur des remparts s’étant agglomérés dans une construction dense. Avec le perfectionnement des armes, les fortifications de Vienne, Klosterneuburg et Korneuburg perdent de leur intérêt. Leur démantèlement en grande partie change considérablement l’aspect de ces villes. Les restes des anciens remparts servent désormais de péages.

Carte n°10 : zone d’habitat vers 1914
   Les constructions de nouveaux immeubles le long du « Ring », boulevard circulaire autour du centre de Vienne, sont achevées en 1913. Le mur d’enceinte de la capitale a été démantelé en 1894 et remplacé par la première ligne de métro. L’urbanisation de la rive septentrionale du Danube commence après la fin des travaux de régularisation du Danube (1870-1875). L’édification de nouvelles lignes de chemin de fer l’intensifie. Korneuburg et Klosterneuburg, sur la rive gauche, ont été respectivement raccordées au réseau ferroviaire en 1841 et 1870. 

Carte n°11 : zone d’habitat vers 1950
   L’industrialisation de la fin du XIXe siècle entraine une augmentation de la population. Le début du XXe siècle engendre également une détérioration des conditions de vie due, par exemple, à la pollution liée au charbon. Les Viennois aisés quittent  alors la capitale pour s’installer dans les environs et y font bâtir des villas cossues. Les bas quartiers de Vienne sont, grâce aux travaux de régulation, désormais mieux protégés des inondations et se transforment peu à peu en zones industrielles et résidentielles.

 Carte n°12 : zone d’habitat vers l’an 2000 
La reconstruction des parties de la ville détruites par les bombardements et la résolution de la crise du logement entrainée par le conflit sont la priorité des années qui suivent la fin de la Deuxième Guerre mondiale. De plus en plus de Viennois émigrent dans les années soixante vers la périphérie, soit en tant que résidents permanents, soit pour le weekend et les vacances. Certains versants de la Forêt-Viennoise commencent à être colonisés et urbanisés tout comme certaines zones naturelles et bras morts des bords du fleuve. De nouveaux travaux d’aménagement du fleuve dans les années ont engendré la création de l’Île du Danube et d’un vaste espace de loisirs.

Sources :
Erich Wonka, Der Donauraum von Klosterneuburg und Korneuburg bis Wien, Ein Bild- und Karternband der Siedlungsausdechnung von der Urgeschichte bis un die Gegenwart und ihre Auswirkungen auf die Landschaft, Verlag Berger, Horn/Wien, 2020

Hugo Fischer von See (1831-1890) : un plan topographique en relief de Vienne, de ses environs et du Danube, 1869

   Hugo Fischer von See : plan topographique en relief de Vienne, de ses environs et du Danube avec des courbes de niveau représentées sous forme de gradins horizontaux en carton superposés de 5 en 5 brasses et en tenant compte de la régulation du Danube et des projets de chemins de fer et hippomobiles d’après les meilleures sources, 1869, échelle 1:28 800

Relief travaillé d’après la feuille 65 de la carte administrative de Basse-Autriche.
Dimension du plan en relief : 52 cm sur 52 cm

Les reliefs topographiques sont apparus en Autriche dans le contexte du deuxième relevé militaire du pays et des efforts, surtout de la part des militaires ayant une formation technique, pour intégrer la troisième dimension – l’altitude des lieux au-dessus du niveau de la mer – dans la cartographie.
Plus de 120 modèles de ces plans topographiques de ce type ont été présentés au public à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1873 à Vienne, dans le cadre d’une exposition complémentaire.

Hugo Fischer von See, sources Bibliothèque Nationale d’Autriche à Vienne

Sur la base du feuillet 65 de la carte administrative de Basse-Autriche, Hugo Fischer von See  a découpé des segments de carton dont les contours étaient définis par des lignes d’altitudes topographiques égales (isohypses). Il a collé ces segments les uns sur les autres en fonction des conditions réelles du terrain, créant ainsi un modèle de terrain tridimensionnel avec des marches. Les surfaces visibles d’en haut entre les bords des segments de carton collés les uns sur les autres représentaient de cette manière des couches d’altitude cartographiques. En outre, il a collé sur ces surfaces visibles d’en haut des différents segments de carton l’extrait correspondant de la « carte administrative », de sorte qu’en observant le relief verticalement, on peut voir l’image cartographique du feuillet 65 presque sans aucune distorsion.

Sources :
Jan Mokre, La carte en relief de Vienne et de ses environs par Hugo Fischer von See, blog de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne, 22 septembre 2021

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