Le Danube et les Vénus de la Préhistoire

La Vénus de Willendorf, retrouvée au bord du Danube en Wachau (Basse-Autriche)

   La plus ancienne Vénus danubienne retrouvée à l’heure actuelle, la « Vénus de Hohle Fels », sculptée dans de l’ivoire de mammouth et datée d’env. 31 000-40 000 ans av. J.-C., a été découverte à la fin de l’automne 2008, en 6 morceaux, sous trois mètres de sédiments, dans la grotte « Hohle Fels » du Jura souabe, à proximité de Schelklingen (Bade-Würtemberg, Allemagne), dans la vallée de l’Ach, un petit affluent de la rive gauche du Danube. C’est l’équipe de l’archéologue germano/américain Nicholas J. Conard (1961), professeur à l’Institut de Préhistoire de Tübingen et directeur du Musée de la préhistoire de Blaubeuren  qui est à l’origine de cette découverte. Ayant été reconstituée, il ne manque à la statuette que son bras et son épaule gauche. Sa modeste taille de 6 cm et un anneau légèrement usagé à la place de la tête semblent indiquer que la statuette a été portée en amulette. Sa réalisation met clairement en valeur ses attributs sexuels.

le Jura souabe, ses grottes et le Danube en amont et aval d’Ulm, sources Google map

Avec la mise à jour de cette représentation féminine tridimentionnelle, notre approche sur les premiers pas artistiques de la période paléolithique a été bouleversée. La Vénus aurignacienne de Hohle Fels, qui  fait partie des plus anciens exemples au monde connus de l’art figuratif humain, met aussi en relief l’importance de la Souabe danubienne comme l’un des premiers centres d’art de la Préhistoire européenne. Certains scientifiques ont émis l’hypothèse que les pratiques artistiques précoces de ces populations préhistoriques ont permis un développement plus avancé des capacités cognitives de l’Homme moderne, ce qui lui aurait valu à Homo Sapiens de supplanter en conséquence le Néandertalien1seul membre de la famille humaine à avoir occupé l’Europe entre 450 000 et 40 000 ans avant aujourd’hui. Les premières civilisations danubiennes pourraient ainsi avoir été déterminantes dans le processus d’évolution de l’homme. La Vénus de Hohle Fels est conservée à l’Institut d’Archéologie de Tübingen.

La Vénus de Hohle-Fels, datée de 31 000-40 000 ans avant J.-C., une des plus anciennes représentations féminines tridimentionnelles au monde, photo droits réservés

Sa « soeur cadette », la petite Vénus de Galgenberg ou « Fanny von Galgenberg », statuette en serpentine verte, d’environ 7,5 cm de hauteur et aux proportions beaucoup plus fluettes, fut retrouvée en 1988 à Strautzing, près de Krems, dans la vallée danubienne de la Wachau (Autriche). Elle a pu être datée de plus de 32 000 ans avant J.-C. (Aurignacien).
L’original, tout comme celui de la Vénus de Willendorf, est conservé au Muséum d’Histoire Naturelle de la Ville de Vienne (Naturhistorisches Museum Wien).

La Vénus de Galgenberg, datée de plus de 32 000 ans avant J.-C., surnommée aussi « Fanny von Galgenberg », photo droits réservés

Une autre statuette féminine a été découverte en Wachau. La Vénus de Willendorf voit à nouveau la lumière du jour en 1908 sur les bords même du fleuve à Willendorf (Wachau, Autriche). Elle représente vraisemblablement une divinité fluviale de l’époque glaciaire (datation entre 30 000 et 20 000 avant J.-C.) qui apparaît sous des  formes généreuses et avec une chevelure tressée.

La belle Vénus dite  « de Willendorf » (entre 30 000 et 20 000 avant J.C.) en calcaire et aux formes généreuses et découverte en Wachau autrichienne en 1908, photo droits réservés

La Vénus de Willendorf, figuration de la Terre mère ou déesse fluviale ?
   Une des plus anciennes figurations de la Mère primordiale ou Terre mère, Déesse souveraine, Grande Déesse, Déesse mère, Reine des morts est cette modeste statuette en calcaire de 11 cm de hauteur qui, si elle n’avait été découverte lors de fouilles au début du siècle, aurait pu peut-être rester encore des milliers d’années enfouie dans le sol de la belle Wachau Danubienne (Basse-Autriche).
   Le nom de Vénus de Willendorf ne correspond en fait à rien d’autre qu’au lieu où celle-ci a été exhumée car cette statuette ne figure pas une Vénus. Découverte par le préhistorien Josef Szombathy (1853-1943) en collaboration avec l’anthropologue Josef Bayer (1882-1931) sur le site d’une ancienne briqueterie à Willendorf (rive gauche du Danube, en amont de Krems/Danube), elle est datée de l’aurignacien récent (environ 20 000 avant J.-C.) et présente de nombreuses similitudes avec d’autres sculptures de la même époque : une tête sans visage, des bras repliés sur des sein très volumineux, des fesses et un ventre protubérants et des cuisses énormes.
   Du point de vue de l’esthétique moderne, cette statuette ne correspond pas du tout aux critères habituels d’une Vénus. Dans son ouvrage Le livre des Genèse Jacques Lacarrière la décrit ainsi : « Elle serait plutôt, selon ces mêmes critères, une mamma obèse et stéatopyge (hypertrophie des fesses et des cuisses), analogue à celles qu’on a découvert par la suite en Europe, notamment en France, en Moravie, en Silésie et dans le Piémont. Comme l’a écrit un des grands spécialistes de la préhistoire André Leroi-Gourhan : « Ces statuettes sont pratiquement interchangeables aux proportions près : les plus complètes portent sur la tête le même décor, ont les mêmes petits bras repliés sur les seins ou dirigés vers le ventre, les mêmes seins partant très bas et s’allongeant comme des outres au-dessus de la taille, les mêmes jambes fuyant en pied minuscules ou inexistants. »
   La Vénus de Willendorf, ajoute Jacques Lacarriere « n’était peut-être pas à proprement parlé une Terre mère, en ce sens qu’on ignore si elle était l’objet d’un culte ou d’un rituel de la fécondité. Elle annonce de façon impressionnante les figures de la Grande Déesse ou de la Terre mère que l’on va retrouver dans toute la Méditerranée à partir des époques historiques, c’est-à-dire à partir du IVe millénaire.
   Malgré les 25 000 ans qui nous séparent de cette statuette, elle recouvre et exprime déjà tout ce que les mots Femme et Mère signifieront plus tard pour les hommes. Ses seins, son ventre, son pubis et sa vulve annoncent les centaines de seins, de ventres, de pubis, de vulves que les archéologues ne cesseront – ne cessent encore – de découvrir dans les tombes de la Mésopotamie à la Gaule. J’ajouterai que l’outrance même de ses formes, cette stéatopygie si caractéristique comme l’exagération des signes sexuels, la rapprochent de façon évidente de cette Terre primitive, de cette matrice monstrueuse que les peuples historiques anciens imagineront à l’origine du monde et donc à l’origine d’eux-mêmes. La première fonction de la femme est ici, non pas l’érotisme mais la fécondité. Une fécondité qui ne se borne pas au cercle limité des hommes mais qui s’étend à la terre entière. »
Jacques Lacarrière

On peut se rendre sur la rive gauche du Danube en Wachau sur le lieu de sa découverte et visiter le petit musée qui lui est consacré à Willendorf sur la gauche du Danube.
www.willendorf.info

Plus récentes mais non moins aussi intéressantes sont les nombreuses autres sculptures mises à jour sur l’extraordinaire site archéologique danubien de Vinča (Serbie), témoin d’une civilisation du Chalcolithique (7000-3000 ans avant Jésus-Christ), elle-même précédée d’une culture encore plus ancienne, celle de Starčevo (6200-5300 avant J.-C.). C’est l’archéologue serbe Miloje Vasić (1869-1956) qui est à l’origine des fouilles entreprises à Vinča dès le début du XX(1908).

La déesse aux cheveux rouges, culture de Starcevo, photo droits réservés

Tout comme celui-ci, un autre site serbe encore plus ancien, Lepensky Vir (9500-6200 av. J.-C.), situé sur la même rive mais un peu en aval, dans les Portes-de-Fer témoigne également du haut degré de savoir-faire de ces premières civilisations danubiennes, du moins de celles que nous connaissons actuellement et dont on n’a pas encore découvert tous les nombreux trésors témoignant de leur savoir-faire et de leur culture.

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, mis à jour septembre 2023

Sources : 
Jacques Lacarrière, Le Livre des Genèses, « Les Vénus aurignaciennes », Philippe Lebaud éditeur, Paris, 1990

Le Bermet, un vin danubien unique au monde !

Bordée au nord par le Danube et au sud par un de ses principaux affluents, la Save1, une grande partie de ce massif, densément boisé et alimenté par un réseau hydrographique exceptionnel, a été classé pour son extraordinaire biodiversité en Parc National dès 1960 (www.npfruskagora.co.rs). Son périmètre a récemment encore été agrandi. Cette région, colonisée par l’homme dès le Paléolithique puis un des principaux centres de l’empire romain (Ier-IVe siècles ap. J.-C.)2, possède également un magnifique patrimoine archéologique et culturel. 35 monastères orthodoxes y ont été édifiés dont 15 subsistent encore aujourd’hui. La tradition vinicole régionale remonte à l’époque celte.

Le massif de la Fruška Gora et le Danube vue d’un satellite (photo wikipedia)

Un vin à l’élaboration secrète
Vin doux unique au monde, à l’origine boisson médicinale, fruit d’un mélange entre du raisin et une mystérieuse et longue macération composée d’un assemblage resté secret depuis plus de cinq cents ans de 27 plantes avec leurs fleurs et leurs fruits parmi lesquels l’absinthe qui lui donne une singulière note d’amertume, le Bermet a subjugué les plus prestigieuses courts européennes dès le Moyen-âge. Les Habsbourg semblent avoir été friands du Bermet, en particulier l’impératrice Marie-Thérèse qui en aurait offert comme cadeau à la Cour d’Angleterre en témoignage de sa reconnaissance. Elle aurait même, dit-on, dispensé les hommes de Sremski Karlovci des obligations de corvée militaire afin qu’ils puissent se consacrer entièrement à la culture de la vigne et à l’élaboration du Bermet.
Les vignerons de la Fruška Gora et producteurs de Bermet aiment encore à raconter comment leurs ancêtres réussirent à mettre ce vin sur les cartes des plus grands hôtels viennois. Ils envoyèrent dans la capitale des étudiants serbes qui étaient chargés de réclamer au personnel du restaurant un verre de Bermet en apéritif avant le déjeuner ou le diner. Devant la fréquence de cette demande en vin de Bermet les responsables des hôtels restaurants prirent la décision d’inscrire celui-ci sur leur carte et commencèrent à en importer de Sremski Karlovci. L’Académie des Sciences et des Arts Serbes conserve certaines cartes des vins des établissements qui proposèrent le Bermet à cette époque. Les mêmes vignerons eurent aussi l’idée d’ouvrir un restaurant dans la capitale impériale qui aurait exclusivement servi du vin de Bermet à ses clients.
On raconte par ailleurs que les passagers du Titanic se seraient laissés séduire par ses incroyables arômes et que peut-être la vigilance du malheureux commandant du prestigieux paquebot britannique aurait été trompée à l’aide ce divin breuvage. Le Bermet serait-il  à l’origine du tragique naufrage d’une nuit du mois d’avril 1912 ? On ne saura jamais non plus par quel chemin et pour quelles raisons ce breuvage s’est retrouvé à bord du paquebot britannique. Il se pourrait que ce vin serbe d’exception ait été proposé à la carte du restaurant mais il se pourrait également qu’un courtier en vin de Sremski Karlovci en ait fait expédier par bateau pour les États-Unis. Des bouteilles de Bermet ont été retrouvées intactes dans l’épave du Titanic et remontées à la surface en 1985.
   La teneur en alcool du Bermet oscille entre 16 et 18°. On le sert en apéritif ou en accompagnement de dessert (mariage idéal avec des desserts à la vanille) à une température de 18-20°, il est soit blanc ou rouge. Il peut être élaboré à partir de cépages Riesling, Graševina (Welschriesling), pour les blancs, Merlot, Portugieser (Portuguais bleu), Frankovka (Blaufränkisch), Župljanka, issu d’un croisement entre le Prokupač et le Pinot Noir,  Cabernet Sauvigon voire d’autres cépages suivant le vigneron pour les rouges). Ce vin ne peut être comparé à aucun autre vin doux ou d’apéritif. Sa complexité d’arômes, sa robe, sa longueur en bouche séduisent subtilement et offrent une finale surprenante mais très agréable.

Photo Danube-culture © droits réservés

La région de production est classée en appellation d’origine géographique protégée. Les meilleurs producteurs se trouvent dans la zone d’appellation protégée à Sremski Karlovci ou dans les villages de Kiš, Dulkin, Merc, Aleks, Kosović, Došen, Živanović, Marija Benišeka…

Notes : 
1 La Save, affluent de la rive droite, prend sa naissance dans les Alpes Juliennes à la hauteur de 1600 m, coule sur 940 km et rejoint le Danube au Km 1170, à la hauteur de Belgrade.
2 Sirmium (Sremska Mitrovica), ville fondée par une tribut celte, deviendra l’une des quatre capitales de l’Empire romain  à l’instauration de la Tétrarchie (293). Pas moins de dix empereurs naîtront dans la ville et dans ses environs.

Eric Baude pour Danube-culture © Droits réservés, mis à jour mars 2022

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